Mme Corinne Narassiguin. Ce projet de loi constitutionnelle comprend deux mesures que l’on pourrait qualifier de baroques. Non seulement il fait de la révision constitutionnelle une réforme par défaut, mais surtout il méconnaît les droits du Parlement en déléguant au pouvoir réglementaire les modalités d’application de la révision.
Avec ce texte, monsieur le ministre, vous êtes en rupture totale avec les méthodes engagées par les accords de Matignon, puis par l’accord de Nouméa, qui se fondent d’abord sur un accord politique local, avant l’intervention du législateur.
Cet ultimatum n’est pas acceptable. Le Gouvernement enchaîne les fautes depuis le départ du Premier ministre Édouard Philippe : organisation à marche forcée du troisième référendum, remise en cause de l’impartialité de l’État avec la nomination de Sonia Backès, modification unilatérale du corps électoral via ce projet de loi constitutionnelle, nomination de rapporteurs partiaux à l’Assemblée nationale, remise en cause de la parole de l’État donnée lors de l’accord de Nouméa.
C’est une pente dangereuse que vous prenez là, monsieur le ministre. Le rôle de l’État français doit être celui d’un partenaire actif, mais toujours impartial ; il doit faciliter l’émergence d’un accord global sur une nouvelle organisation politique et institutionnelle.
Modifier le corps électoral, oui. C’est une nécessité constitutionnelle. Pour autant, ce n’est pas aujourd’hui une urgence institutionnelle. En profiter pour modifier la répartition des sièges au congrès et aux assemblées des provinces, non. Cette répartition, qui remonte aux accords de Matignon, est un pilier du compromis historique qui a ramené la paix civile. Toute modification n’est envisageable que dans le cadre d’un futur accord politique global.
Vous le savez, la situation locale est difficile : le territoire connaît une crise économique et sociale, la filière du nickel est en grande difficulté, l’usine du Nord est à l’arrêt, les effets économiques en cascade paralysent presque tous les secteurs d’activité, les déficits sociaux s’aggravent. Les tensions sont importantes ; selon nous, c’est faire preuve d’inconscience que de jouer ainsi avec le feu. La seule intervention urgente de l’État qui est attendue de tous en Nouvelle-Calédonie, c’est un plan de sauvetage économique.
Nous saluons l’approche du rapporteur Philippe Bas, qui souhaite également mettre l’accent sur la nécessité de parvenir à un accord entre les acteurs locaux.
Monsieur le garde des sceaux, monsieur le ministre, il est encore temps d’éviter la catastrophe en veillant à ne pas raviver les tensions. Laissez aux acteurs locaux le temps de discuter, afin de parvenir à un accord global au service de la poursuite d’une décolonisation réussie. Il est encore temps de prolonger la poignée de main entre Tjibaou et Lafleur et de parvenir à un destin commun. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. Georges Naturel. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Georges Naturel. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour examiner le projet de loi constitutionnelle qui, enfin, permettra à des milliers de Calédoniens de participer à la vie démocratique de la Nouvelle-Calédonie.
Quelle est la situation aujourd’hui ?
Plus de 20 % des 220 000 électeurs en Nouvelle-Calédonie sont privés du droit de vote aux élections provinciales. Cela représente 43 000 Calédoniens. En d’autres termes, 20 % des électeurs ne sont pas autorisés à se prononcer lors d’élections qui, pourtant, tous les cinq ans, permettent d’élire des instances ayant une incidence sur la vie quotidienne de tous les Calédoniens.
Parce qu’ils sont arrivés en Nouvelle-Calédonie après le mois de novembre 1998 ou parce qu’ils sont nés de parents installés après cette date couperet, des milliers de Calédoniens, de cœur ou de naissance, qui y ont passé toute leur jeunesse et qui y construisent leur avenir, sont exclus de la vie démocratique de notre territoire.
Mes chers collègues, jamais ni les accords de Matignon ni l’accord de Nouméa n’ont fixé les conditions d’un tel gel du corps électoral. Aucun texte soumis à l’approbation des Calédoniens n’a gravé dans le marbre cette date couperet de novembre 1998. En réalité, ce gel a été ajouté postérieurement, par la révision constitutionnelle de février 2007.
De plus, cette disposition n’a été intégrée que dans la perspective des élections provinciales de 2009 et de 2014, pour permettre aux scrutins d’autodétermination de se dérouler dans le calme. Il s’agissait donc d’une disposition transitoire, qui, hélas ! perdure déjà depuis trop longtemps. Dégeler le corps électoral de la Nouvelle-Calédonie pour permettre un retour de la démocratie est donc une nécessité absolue.
Au-delà de cet aspect démocratique, ne pas dégeler le corps électoral reviendrait à nous placer en dehors des exigences constitutionnelles et conventionnelles qui nous lient, ce qui ne serait tenable ni juridiquement ni politiquement.
Enfin, mes chers collègues, ne pas voter ce texte reviendrait à ouvrir la boîte de Pandore. Comment imaginer que les élections provinciales qui se tiendront au mois de décembre prochain ne soient pas contestées par les Calédoniens ? Comment imaginer que les nouvelles assemblées des provinces et du congrès soient pleinement légitimes si 20 % des électeurs sont tenus à l’écart des urnes ? Nous ne pouvons le concevoir.
En ce sens, le groupe Les Républicains votera avec vigueur en faveur de l’article 1er permettant de dégeler le corps électoral des élections provinciales pour toute personne née en Nouvelle-Calédonie ou y résidant depuis au moins dix ans. Cela permettra à près de 25 000 Calédoniens, aujourd’hui exclus, de s’exprimer dans les urnes à l’occasion du prochain renouvellement des assemblées de province et du congrès. Je serai particulièrement vigilant à ce que ce dégel soit ferme et définitif.
Qui plus est, mes chers collègues, nous aurons à nous prononcer sur les deux amendements, tout aussi fondamentaux, que j’ai déposés.
Le premier amendement doit permettre, pour les couples mariés dont l’un des membres est inscrit sur la liste provinciale, de réduire de moitié, soit à cinq ans, la durée de résidence nécessaire pour faire partie de cette liste électorale.
Nombreux sont les Calédoniens qui épousent un métropolitain ou un Ultramarin du Pacifique ou d’ailleurs avec le souhait de fonder une famille. Il me semble qu’une telle disposition serait une mesure de justice et une marque de confiance à l’égard de ceux qui ont adopté la Nouvelle-Calédonie comme territoire de cœur. En retour, celle-ci se doit de les accueillir et de les intégrer.
Le second amendement a un objet au moins aussi fondamental que le dégel du corps électoral prévu par ce projet de loi constitutionnelle dans sa version initiale. Il vise à rétablir le principe de l’égalité devant le suffrage en Nouvelle-Calédonie en rééquilibrant la répartition des sièges des provinces au sein du congrès.
Les accords de Matignon, il y a trente-six ans de cela, puis l’accord de Nouméa, dont je rappelle qu’il était transitoire, ont fixé la répartition des sièges au congrès de la Nouvelle-Calédonie. Cette répartition donnait déjà un avantage de représentativité aux provinces à majorité indépendantiste : Nord et îles Loyauté.
Néanmoins, le temps a passé. Alors qu’en 1988 la province Sud représentait 68 % de la population pour 60 % des sièges au congrès, aujourd’hui, du fait des dynamiques économiques, elle concentre 75 % de la population calédonienne, sans toutefois disposer de plus d’élus pour la représenter. Cette exception démocratique donne ainsi aux habitants de la province des îles Loyauté une représentativité plus de deux fois supérieure à celle des habitants de la province Sud. Au regard du principe constitutionnel d’égalité devant le suffrage, de tels écarts ne sont plus acceptables.
Rééquilibrer la répartition des sièges au congrès est donc indispensable pour que cette révision constitutionnelle permette véritablement de remettre la démocratie au cœur du fonctionnement institutionnel de la Nouvelle-Calédonie.
À ceux qui, aujourd’hui, seraient tentés de s’abstenir et de préférer l’excès de prudence, je dis : ne cédez pas au chantage à la paix, qui, en plus d’être démocratiquement dangereux, ne fait pas honneur au destin commun que tous les Calédoniens s’efforcent de bâtir depuis trois décennies. Ce n’est pas l’excès de prudence, mais bien les actes et la volonté qui donneront à la Nouvelle-Calédonie la force de relever les défis qui l’attendent.
Mes chers collègues, c’est de l’avenir de la Nouvelle-Calédonie qu’il est question et c’est de cet avenir que je désire vous parler. Depuis ce 26 juin 1988 où Jean-Marie Tjibaou et Jacques Lafleur se sont serré la main à Matignon, afin que tous les Calédoniens puissent avancer ensemble vers un destin commun, la Nouvelle-Calédonie a fait la preuve de sa volonté et de sa détermination à concevoir l’avenir.
Un avenir où chaque Calédonien trouvera sa place au sein de la société. Un avenir où chaque culture pourra s’exprimer dans sa beauté, sa richesse et sa diversité. Un avenir où, ensemble, nous relèverons les défis économiques qui se dressent devant nous. Un avenir commun pour la Calédonie et pour les Calédoniens au sein de la République française, ainsi qu’ils l’ont décidé majoritairement à trois reprises.
Mes chers collègues, avec force, je vous demande de voter en faveur de ce projet de loi constitutionnelle et de soutenir les amendements que je présenterai. Il y va de l’avenir de la démocratie calédonienne, de son avenir dans la République et de ce destin commun qui, plus que jamais, nous est si cher. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. le rapporteur applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Patrick Kanner. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous débattons aujourd’hui, sur fond de crise économique et sociale, du dégel du corps électoral en Nouvelle-Calédonie. Les négociations sur cet enjeu constituent l’une des pierres angulaires de l’édifice de la paix.
Rappelons que, au moment des accords de Matignon, la Nouvelle-Calédonie était au bord de la guerre civile. Michel Rocard, en tant que Premier ministre, devait relever des défis majeurs : ramener la paix, retisser les liens de la confiance et engager un mouvement de décolonisation pacifique et viable.
Les accords de Matignon ont assuré pendant dix ans le maintien d’une paix civile et engagé la réconciliation. La Nouvelle-Calédonie s’est organisée autour de trois provinces, pour donner aux Kanaks la responsabilité politique des régions où vivent la majorité d’entre eux et favoriser leur développement économique.
Le rééquilibrage entre les communautés et les territoires a progressé, appuyé par un effort financier sans précédent de l’État au profit des équipements publics et par un programme de formation. La culture kanake est désormais reconnue. Le magnifique centre culturel Tjibaou, l’un des grands travaux du président Mitterrand, en est un témoignage patent. À mon tour, je tiens à saluer, dans le même élan, le courage politique de Jacques Lafleur.
L’accord de Nouméa, œuvre de Lionel Jospin en 1998, a poursuivi ce mouvement. Il exprime une vision partagée de l’histoire et de l’avenir du pays. Pour la première fois, l’État et les partis politiques de la Nouvelle-Calédonie portent un regard commun sur la période douloureuse, très douloureuse, de la colonisation.
Pour garantir l’avenir de la Nouvelle-Calédonie, l’État doit assurer une mission permanente de dialogue. Il doit favoriser chaque pas qui nous mène vers une résolution pacifique du conflit. « La paix, c’est la négociation, c’est le courage de céder sur certains points au nom d’un objectif plus essentiel, le courage de transformer l’ennemi en interlocuteur. » Ainsi s’exprimait Michel Rocard.
La méthode éprouvée par Michel Rocard, puis par Lionel Jospin, doit nous inspirer. Elle a affirmé la volonté de l’État de trouver par la négociation une solution de compromis, dans laquelle personne ne renierait ses idéaux. Pourtant, monsieur le ministre, il me semble que nous avons changé de paradigme, que le gouvernement actuel a décidé de rompre avec l’impartialité et la neutralité que la position de facilitateur des débats, de médiateur parfois, imposait à l’État.
Notre devoir est d’entretenir le travail accompli. En effet, la construction originale qui a été imaginée avait pour but de bâtir un destin commun pour la population pluriethnique néo-calédonienne, constituée du peuple d’origine et de ceux qui, depuis cent soixante-dix ans, s’y sont installés durablement.
Le débat que nous avons aujourd’hui ne concerne pas seulement les Néo-Calédoniens. Le débat qui nous amène est celui de la décolonisation, de l’autodétermination et du droit à l’émancipation.
En érigeant l’accélération en système, l’exécutif se trompe. Cette marche forcée, dont nous faisons régulièrement les frais, le mène à une forme de brutalité institutionnelle. Les réformes rejetées par l’ensemble des citoyens se font désormais à coup de 49.3.
Pour la situation de la Nouvelle-Calédonie, la verticalité n’a pas sa place. Pourtant, alors que tous les acteurs en présence préconisent un accord global – même ici, au Sénat, et c’est heureux – et non partiel, vous avez fait le choix de scinder les sujets.
Aussi, monsieur le ministre, je tiens à vous le redire : aucune solution imposée ou arrachée ne sera bonne. Je fais mienne l’une des conclusions de la tribune récente de M. Jean-François Merle, ancien conseiller de Michel Rocard pour l’outre-mer : « Une modification en l’absence d’accord s’appelle une rupture de contrat. »
Que les débats qui nous attendent à l’issue de cette discussion générale nous permettent de revenir à la raison, celle qui, en Nouvelle-Calédonie, rime, que nous le voulions ou non, mes chers collègues, avec le temps long. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. Mathieu Darnaud. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Mathieu Darnaud. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est bien une nouvelle page qu’il nous revient collectivement d’écrire aujourd’hui, après que, à trois occasions, lors de trois référendums, nos compatriotes de Nouvelle-Calédonie ont réaffirmé leur attachement à la France, ainsi qu’à notre communauté de destin.
Oui, monsieur le ministre, vous l’avez souligné : avec ce nouveau chapitre, il nous faut renouer avec le temps long et être en recherche permanente de stabilité. Cette recherche, nous devons la faire avec l’humilité, la tempérance et, oserai-je dire, la clarté qui sont nécessaires. Aujourd’hui, il nous revient de nous prononcer sur le dégel du corps électoral.
Je ne répéterai pas les propos de l’ensemble des collègues qui se sont succédé à cette tribune, mais il est important de rappeler que, aujourd’hui, 42 596 personnes sont exclues du corps électoral. Dès lors, il est difficile d’imaginer priver nos concitoyens de participer à la désignation de la gouvernance de leur territoire.
Il faut éviter d’opposer la nécessité d’aboutir à un accord global à la tenue des élections, qu’il s’agisse des assemblées de province ou du congrès, qui, elle aussi, répond à une impérieuse nécessité.
Je le dis avec une certaine solennité, il est important de prendre en considération ce fait : la province comme le congrès ont vocation à répondre aux attentes quotidiennes de nos concitoyens de Nouvelle-Calédonie, à fixer le cap et à répondre aux défis auxquels doit faire face la Nouvelle-Calédonie. Je veux bien sûr parler des défis sociaux et, plus encore, économiques, qui ont d’ailleurs été évoqués.
Il importait d’apporter une réponse urgente à la question du corps électoral. Le scénario idéal eût été, bien évidemment, la conclusion entre les acteurs calédoniens d’un accord d’ensemble sur l’avenir du territoire. Le rôle du législateur national aurait alors été d’accompagner l’évolution du statut de la Nouvelle-Calédonie sur la base de cet accord, qui aurait nécessairement comporté un volet consacré à la question du corps électoral.
Malheureusement, si nous sommes ici aujourd’hui, c’est bien pour constater qu’il n’y a pas eu d’accord après les trois référendums. Le Gouvernement a donc choisi de prendre les devants et de déposer un projet de loi constitutionnelle portant modification du corps électoral pour les élections au congrès et aux assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie.
Ce texte rétablit un corps électoral glissant, accessible après dix ans de présence sur le territoire. En outre, il ménage la possibilité d’un accord local, comme cela a été souligné, en prévoyant que l’entrée en vigueur du corps électoral rénové, le 1er juillet prochain, puisse être suspendue, et que les prochaines élections puissent, une nouvelle fois, être reportées.
Nous sommes favorables par principe à une évolution du corps électoral gelé vers un système plus souple et, surtout, plus respectueux des exigences démocratiques. Si la durée de la présence préalable requise peut être discutée – elle le sera sans doute dans la suite des négociations –, il ne nous paraît pas acceptable de la fixer à dix ans.
Je sais, monsieur le ministre, mes chers collègues, que, à près de 17 000 kilomètres de cet hémicycle, nos débats sont scrutés par nos compatriotes, qu’ils vivent à Nouméa, à Koné ou à Lifou.
Nous leur devons la clarté. Nous leur devons aussi de faire en sorte que notre vote améliore le fonctionnement de la province et du congrès. Ceux-ci doivent en effet faire face aux défis actuels, qu’il s’agisse du pacte nickel, dont nous souhaitons qu’il puisse rapidement faire l’objet d’un accord, ou des questions épineuses posées par l’avenir de la caisse d’assurance maladie et de la caisse d’assurance chômage. Il s’agit là, tout simplement, du quotidien de nos concitoyens : nous savons que c’est essentiel.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe Les Républicains votera ce texte, tout en appelant de ses vœux la conclusion rapide d’un accord entre les acteurs calédoniens, seule manière d’aboutir à un règlement durable et global des problématiques de la Nouvelle-Calédonie.
M. Philippe Bas, rapporteur. Très juste !
M. Mathieu Darnaud. Nous avons, dans cet hémicycle, la volonté chevillée au corps de faire en sorte que l’avenir de la Nouvelle-Calédonie se présente mieux demain qu’aujourd’hui. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Gérald Darmanin, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi tout d’abord de remercier les orateurs qui voteront ce texte.
Je salue en particulier l’évolution du groupe Union Centriste, dont je comprends bien les exigences, les nuances et les subtilités évoquées à propos de l’amendement du rapporteur ; mais, comme l’a souligné M. Bonnecarrère, l’essentiel est l’adoption de la réforme constitutionnelle, pour les raisons que nous avons évoquées.
Madame Vogel, votre argument sur le manque d’impartialité de l’État me gêne, même si vous l’avez moins mobilisé que lors du dernier débat. Vous évoquez le troisième référendum, organisé pendant la crise de la covid, alors qu’aucune élection n’avait lieu en métropole. Mais rien n’est plus faux, madame la sénatrice !
La covid a commencé en 2020 : au début de l’année pour la France et l’Europe, pendant l’été ailleurs. Le troisième référendum a été déclenché par les indépendantistes eux-mêmes, non par le Gouvernement. Ce sont eux qui, le 8 avril 2021, ont demandé au congrès, à la majorité des trois cinquièmes, d’exiger la tenue d’un des référendums prévus par les accords de Nouméa, en pleine crise de la covid, un an et demi après le début de la pandémie. L’État n’y est donc pour rien.
Ce référendum s’est tenu. Je rappelle que des élections régionales et cantonales ont eu lieu en juin 2021. Les Français se sont donc rendus deux fois aux urnes juste après un pic épidémique. Les maires calédoniens, y compris indépendantistes, ont organisé le scrutin référendaire le 12 décembre 2021. Une partie des indépendantistes, certes minoritaire, a d’ailleurs voté, comme M. Néaoutyine lui-même, cosignataire des accords de Nouméa, l’a revendiqué.
Le retour aux urnes, d’ailleurs, a eu lieu quelques jours avant le premier tour des élections législatives, car un candidat indépendantiste était en position de l’emporter dans la circonscription de M. Metzdorf. Ne dites donc pas que l’État a déclenché et organisé ce troisième référendum de manière non impartiale : ce sont les indépendantistes qui étaient à la manœuvre, et en pleine crise de la covid.
La métropole tenait d’ailleurs des élections également – c’est bien normal, quoi qu’on en dise parfois. Et aucun de ces scrutins n’a été contesté, ni devant le Conseil d’État ni devant aucune instance internationale.
Par ailleurs, je m’étonne que personne ne dénonce les ingérences étrangères scandaleuses dans ce dossier, comme celle de l’Azerbaïdjan, qui finance une partie du mouvement indépendantiste et qui veut porter la contestation du troisième référendum devant l’ONU. Il est incohérent de s’émouvoir à Paris du sort des Arméniens tout en laissant Bakou attiser la division sur notre sol.
La Nouvelle-Calédonie n’a pas à subir de telles ingérences, surtout de la part de pays qui massacrent des civils. J’ai demandé à la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) d’être particulièrement vigilante pour prévenir toute ingérence sur le sol français et garantir un vote libre aux Calédoniens.
Vous reprochez à Mme Backès d’avoir été ministre. Cela revient à dire que tout le monde peut servir le Gouvernement de la République, sauf les citoyens de Nouvelle-Calédonie… C’est une conception étrange de la citoyenneté ! Inscrivons d’urgence dans la Constitution qu’aucun Calédonien ne peut être membre du Gouvernement !
Parce que le dossier calédonien sera, et c’est normal, l’objet de discussions politiques et parlementaires, les Calédoniens sont-ils des Français entièrement à part ? Je ne le crois pas. Mme Backès est-elle une citoyenne comme les autres, qui peut être appelée à servir son pays ? Bien sûr que oui !
M. Patrick Kanner. Elle était présidente de la province Sud !
M. Gérald Darmanin, ministre. Et alors ? Quel rapport ? Ce n’est pas la première fois que des élus d’outre-mer viennent servir la République… Cet argument ad hominem n’était donc pas à la hauteur.
Monsieur Kanner, nous rendons tous hommage, comme l’a fait Mme Narassiguin, à M. Jospin. L’accord de Nouméa, comme celui de Matignon, a garanti la paix et permis d’avancer dans le travail profond que doit faire la République en termes de reconnaissance de la colonisation, ainsi que de dessiner des trajectoires pour la Nouvelle-Calédonie.
Pour autant, ces accords ne sont pas parole d’évangile. Il y a eu un manque dans les négociations. L’accord, en effet, a été conçu pour que, au moins une fois sur trois, on dise « oui » à l’indépendance. Or les Calédoniens ont répondu trois fois « non » à l’indépendance. On s’en est tiré avec une phrase prévoyant que les partenaires se réunissent afin de constater la situation ainsi créée. La belle affaire ! Qu’était-il prévu en cas de non à l’indépendance ? La situation dans laquelle nous sommes. Ce sont les accords de Nouméa qui nous placent dans cette situation, monsieur Kanner.
Vous faites donc de la politique quand vous affirmez à la tribune que nous ne serions pas dans la continuité des accords de Nouméa et du consensus qui les a suivis. Vous prétendez qu’il faut absolument un accord pour voter, comme l’ont dit aussi M. Temal ou Mme Narassiguin. Mais s’il n’y a pas d’accord, que proposez-vous ? Que l’on reporte les élections pendant des mois ou des années ?
Je constate du reste que vous avez des différences d’appréciation. M. Temal évoque une date butoir, en gros celle du Conseil d’État, à savoir 2025. Est-ce cela que vous proposez ? (M. Rachid Temal proteste.)
Vous, monsieur le président du groupe socialiste, vous exigez un accord pour voter. Nous pourrons donc attendre des mois, sinon des années, avant d’arriver à un accord.
Or, comme l’a souligné le rapporteur Bas, reporter sans cesse des élections n’est pas constitutionnel. Je m’étonne qu’un groupe comme le vôtre considère que les mandats peuvent être prolongés à l’envi par le Parlement français. Il faut que les gens votent, surtout pour les élections locales !
M. Rachid Temal. Lisez nos amendements…
M. Gérald Darmanin, ministre. Vous pourriez au moins admettre, comme je le fais moi-même, que les accords de Nouméa ont vraiment débloqué la situation et garanti la paix sociale, en respectant le peuple premier et en fixant des échéances, que nous avons toutes tenues.
Je pense notamment à l’audit de décolonisation et aux trois référendums, tous tenus au cours du premier quinquennat du Président de la République, et le dernier un an avant l’élection présidentielle, quand le premier avait été déclenché par le Premier ministre Édouard Philippe à son arrivée à Matignon. Nous avons fait en sorte que l’autodétermination soit réelle.
Toutefois, vous n’apportez pas de solution. Que se passera-t-il si les partenaires ne se réunissent pas pour trouver un accord ? Je comprends donc que votre attitude est une posture, et je ne trouve pas cela très digne.
D’ailleurs, madame Corinne Narassiguin, vous qui donnez des leçons à la tribune, j’ai trouvé votre propos sur ma personne suffisant, mais pas nécessaire. (Mme Corinne Narassiguin proteste.)
Madame, je suis heureux que vous vous soyez récemment rendue en Nouvelle-Calédonie. J’ai compris que c’était votre premier déplacement sur place. J’espère que vous en avez tiré aussi la conclusion que la situation y est complexe. Cela aurait dû vous éviter, sans doute, de faire de la politique sur le dossier calédonien, ce que vous avez malheureusement fait à cette tribune – mais vous ne pouvez pas vous en empêcher, il nous a fallu nous y habituer depuis le début de votre mandat au Sénat…
M. Patrick Kanner. Ce n’est pas très respectueux !
M. Gérald Darmanin, ministre. C’est moi qui regrette que Mme Narassiguin ne respecte pas les personnes. Elle a été particulièrement insultante. (Protestations sur les travées du groupe SER.)
Madame Cukierman, je suis désolé de vous dire que votre propos sur la population m’a un peu choqué. Vous avez invoqué des arguments qui, s’ils étaient mobilisés en dehors du dossier calédonien, évoqueraient le « grand remplacement » : vous avez parlé de populations extérieures venues de France pour noyer le peuple kanak… Cela s’appelle le grand remplacement !
Pour ma part, je pensais que les communistes étaient universalistes. Encore une fois, on peut très bien être blanc et indépendantiste, ou kanak et non-indépendantiste. Je m’étonne donc de cette essentialisation. Il ne s’agit pas de classifier les populations présentes sur place en fonction de leur couleur de peau. Or vous avez utilisé le verbe « noyer » et vous avez évoqué des « populations venant de France ».