Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marie Lebec, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur Burgoa, comme le montrent les échanges entre la France et l’Union européenne, il existe encore des difficultés juridiques quant au droit applicable et à la détermination des tribunaux territorialement compétents. Le Gouvernement s’est attelé à cette tâche.
Parallèlement, le Gouvernement engage une action résolue contre les tentatives de contournement du droit français, pour lutter contre les pratiques abusives des centrales d’achat européennes que vous avez tous mentionnées, mesdames, messieurs les sénateurs.
Monsieur Burgoa, pour répondre à votre question le plus concrètement possible, notamment au regard des précisions que j’ai d’ores et déjà apportées dans mes précédentes interventions, je mentionnerai certaines sanctions infligées par la DGCCRF et qui me paraissent emblématiques dans le cadre de la lutte contre ces abus.
Je pense d’abord à l’amende administrative de 6,34 millions d’euros qui a été infligée à Eurelec, à laquelle est rattaché Leclerc, pour absence de signature des conventions avec ses fournisseurs au 1er mars.
Cette centrale d’achat a également été assignée par le ministre de l’économie devant le tribunal de commerce de Paris en juillet 2019 pour soumission de ses fournisseurs à un déséquilibre significatif. En effet, Eurelec a tenté d’imposer la loi belge à ses fournisseurs sans négociation, les privant de la sorte des mécanismes protecteurs du droit français.
Au mois de janvier 2022, c’est l’enseigne Intermarché qui a fait l’objet d’une amende administrative d’un montant de 19,2 millions d’euros pour les pratiques de la centrale AgeCore. Il était reproché à Intermarché de ne pas avoir fait figurer les services internationaux fournis par AgeCore dans des conventions signées.
Enfin, deux entités françaises et une entité belge d’Intermarché ont été assignées en 2021 pour les pratiques d’AgeCore sur le fondement des dispositions relatives à l’avantage sans contrepartie, en raison de l’inconsistance des services de coopération commerciale fournis par la centrale d’achat.
Vous le voyez, monsieur le sénateur, des sanctions ont été prises. Celles que j’ai mentionnées datent toutes d’avant 2023. Comme je l’ai indiqué à Mme Primas, cinquante contrôles sur les pratiques des centrales d’achat européennes ont été réalisés par la DGCCRF en 2023. (Mme Anne-Catherine Loisier s’exclame.)
Mme la présidente. La parole est à M. Laurent Burgoa, pour la réplique.
M. Laurent Burgoa. Madame la ministre, je vous remercie des éléments que vous venez de nous fournir. Continuez : les agriculteurs ont besoin d’un véritable contrôle de ces centrales d’achat. Ce ne sont pas des voyous : ils ne comprennent pas que les personnels des agences de l’eau viennent les contrôler armés, alors qu’eux respectent les règles de la République.
M. Guislain Cambier. Bravo !
Mme la présidente. La parole est à M. Yves Bleunven. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Yves Bleunven. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, l’un des marqueurs de la colère des agriculteurs est la situation économique dans laquelle ils se trouvent et qui touche l’ensemble de nos filières agricoles. L’efficacité toute relative des lois qui se succèdent depuis trente ans n’a pas permis une révolution en matière de construction des prix ; force est de constater que le compte n’y est pas.
La France est dotée d’un arsenal législatif important pour une meilleure rémunération des agriculteurs. Pour autant, qu’en est-il du contrôle du respect de ces règles ? La pratique des centrales d’achat à l’étranger, qui sévit maintenant depuis plus d’une dizaine d’années et qui a été mise en lumière par le rapport de la commission d’enquête sur la situation et les pratiques de la grande distribution et de ses groupements dans leurs relations commerciales avec leurs fournisseurs, ne cesse de se développer.
Je n’énumérerai pas ces grandes entités – mes collègues l’ont très bien fait précédemment – dont la discrétion délibérée les rend parfaitement inconnues du grand public. Ces groupements internationaux permettent aux distributeurs de s’affranchir du droit français, donc des garde-fous que nous avons mis en place avec les lois Égalim, notamment en matière de respect du calendrier des négociations, cher aux interprofessions.
Nous savons que les négociations commerciales ont été particulièrement difficiles cette année. Samedi dernier, le Premier ministre a promis davantage de contrôles pour s’assurer que les négociations commerciales entre les enseignes des supermarchés et leurs fournisseurs de l’agroalimentaire ne se fassent pas au détriment du prix payé aux agriculteurs.
Quid des contrôles auxquels sont soumises ces grandes centrales d’achat ? La loi Descrozaille a pourtant soumis au droit et aux tribunaux français les contrats négociés avec les grandes et moyennes surfaces via ces centrales d’achat dès lors que les produits sont vendus en France. Combien de contentieux aujourd’hui ?
Si la coercition mise en place est insuffisante, peut-on imaginer, comme le préconisait déjà le rapport de la commission d’enquête de 2019, un encadrement de la création et de l’activité de ces centrales d’achat via une directive européenne ? Où en sont les discussions à ce sujet ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marie Lebec, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur, j’espère avoir déjà apporté des éléments de réponse à vos questions en répondant à M. Burgoa.
Pour renforcer le cadre des négociations, le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, s’apprête à lancer une mission gouvernementale sur le cadre appliqué aux négociations commerciales annuelles. Celle-ci sera chargée d’explorer les conditions permettant à la fois de négocier dans un cadre de confiance et de s’adapter aux crises, comme celles qu’on a pu connaître ces dernières années.
L’objectif est d’aboutir à une relation de confiance, une relation plus apaisée entre la distribution, les industriels et les agriculteurs, qui constituent tous trois des maillons indispensables de la chaîne de production.
Une bonne négociation devra s’inscrire dans une logique de valorisation du travail de nos agriculteurs et de nos industriels. Elle devra également permettre, au travers des enseignes de distribution, de montrer ce que la France sait faire de meilleur.
Vous avez évoqué les contrôles. Sachez que le contrôle des négociations qui se sont achevées démarrera prochainement et que le Gouvernement s’est engagé à ouvrir des discussions avec la prochaine Commission européenne pour harmoniser le cadre de ces négociations.
Enfin, madame Loisier – je vous ai vue réagir à ma réponse au sénateur Burgoa –, je voudrais vous préciser que, dans les cas que j’ai cités, les amendes administratives ont bien été payées.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Do Aeschlimann.
Mme Marie-Do Aeschlimann. Madame la ministre, comme cela a été souligné, la loi du 30 mars 2023 tendant à renforcer l’équilibre dans les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs, dite loi Égalim 3, avait un objectif simple dans un contexte d’inflation : faire appliquer le droit français aux produits commercialisés en France, afin de protéger les producteurs.
C’est un sujet d’actualité, alors que les négociations commerciales entrent dans leur dernière phase et que de très nombreux agriculteurs manifestent, en ce moment même, inquiétude et désarroi.
Nous le savons, le Sénat a agi pour sanctuariser, si je puis dire, la matière première agricole dans les négociations commerciales et permettre à nos agriculteurs, qui nourrissent la France, d’obtenir une juste rémunération de leur travail. Je tiens à leur exprimer ici mon soutien plein et entier.
Dans un maquis de règles tatillonnes et infantilisantes, l’interdiction de faire porter la négociation sur le prix d’achat des matières premières agricoles a suscité un grand espoir au sein de la profession.
Mais, comme cela a été souligné, le développement des centrales d’achat à l’étranger, qui échappent de facto au droit français, affaiblit significativement la portée et l’effectivité de cette clause de bon sens.
Pour que notre droit ne soit pas réduit à un catalogue de bonnes intentions, il faut veiller à ce que les tentatives de contournement de la loi française soient mises en échec.
Il apparaît dès lors indispensable de parvenir à une harmonisation des normes à l’échelle européenne pour mettre un terme à cette pratique regrettable.
Ma question est donc simple : quelle voix la France porte-t-elle, au niveau de l’Union européenne, pour faire respecter ses propres règles ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marie Lebec, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée des relations avec le Parlement. Madame la sénatrice Aeschlimann, vous avez raison : aujourd’hui, en matière de négociations commerciales, les législations européennes sont trop peu harmonisées.
En fait, le seul cadre qui existe actuellement est celui de la directive européenne du 17 avril 2019 sur les pratiques commerciales déloyales dans les relations interentreprises au sein de la chaîne d’approvisionnement agricole et alimentaire. Comme vous le savez certainement, cette directive liste un ensemble de pratiques déloyales qui sont interdites : retards de paiement de plus de trente jours pour les produits alimentaires périssables et de plus de soixante jours pour les autres ; annulations de commandes de produits périssables à brève échéance ; modifications unilatérales des contrats par les acheteurs ; menaces ou exécutions de représailles commerciales par l’acheteur contre le fournisseur.
Or l’on constate que tout cela est bien moins protecteur que la réglementation française, que le paquet Égalim et la loi Descrozaille, notamment, ont permis de consolider au fil des années.
C’est pourquoi la France prépare une stratégie de défense d’une plus grande harmonisation de la réglementation européenne, afin d’éviter tout déséquilibre dans les relations commerciales. Elle mènera ce combat auprès de la Commission européenne qui entrera en fonctions l’été prochain.
Nous l’avons fait, me semble-t-il, pour d’autres filières ; je pense notamment à l’industrie. Tout le monde a pris conscience des enjeux de la maîtrise des filières. Et, comme vous l’avez rappelé à juste titre, nous le devons tout particulièrement aujourd’hui à nos agriculteurs, qui se mobilisent pour rappeler les conditions dans lesquelles ils doivent exercer leur métier. Il me paraît d’autant plus important de travailler à une telle harmonisation pour renforcer notre agriculture française et européenne.
Conclusion du débat
Mme la présidente. En conclusion du débat, la parole est à M. Franck Menonville, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Laurent Burgoa applaudit également.)
M. Franck Menonville, pour le groupe Union Centriste. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, à l’heure où la voix des agriculteurs français et européens résonne avec force partout sur notre continent, en particulier dans notre pays, il est de notre responsabilité d’apporter des réponses concrètes aux problèmes rencontrés par ceux qui nous nourrissent.
Je tiens à saluer la démarche de notre collègue Anne-Catherine Loisier et de notre groupe de l’Union Centriste, qui a permis d’inscrire à notre agenda politique le recours aux centrales d’achat par la grande distribution. Cette question fait évidemment pleinement écho à l’actualité immédiate de notre agriculture.
Notre groupe a souhaité se saisir d’un tel sujet, qui est important et particulièrement d’actualité pour l’équilibre des négociations commerciales et la juste rémunération des agriculteurs.
Eureca, Eurelec, Everest… ces centrales d’achat aux noms inconnus du grand public sont pourtant aujourd’hui des acteurs majeurs de l’agroalimentaire.
Les vagues d’alliances de distributeurs observées en 2014, puis en 2018, ont conduit au renforcement du pouvoir de marché des distributeurs. Je pense notamment aux alliances entre Carrefour et Système U et entre Carrefour et Tesco, ainsi qu’à Horizon, qui regroupe Casino, Auchan, Dia, Metro et Schiever.
Le cas d’Eurelec est symptomatique. En effet, avec cette centrale d’achat installée à Bruxelles, il devient possible pour certains distributeurs de s’affranchir de certaines règles françaises, en matière de droit de la concurrence et de délais de paiement notamment, en organisant une véritable extraterritorialité juridique et réglementaire.
De telles alliances soulèvent deux problèmes majeurs.
Le premier est le fait que ces centrales d’achat échappent trop souvent au droit français et à ses exigences.
Les pratiques d’optimisation juridique, voire d’évasion, des acteurs de la grande distribution doivent aujourd’hui cesser ; le droit français doit s’appliquer partout. Il n’est plus possible que des acteurs français travaillent avec des centrales d’achat installées ailleurs en Europe au mépris des règles, votées par la représentation nationale, protégeant les acteurs économiques de la filière agroalimentaire.
Les lois Égalim doivent s’appliquer à l’ensemble des acteurs. Personne ne peut s’affranchir du respect de l’ensemble des normes, à l’instar du principe de non-négociabilité des matières premières agricoles. C’est une question de justice sociale et d’équité économique. Nous devons être fermes avec les acteurs qui ne jouent pas le jeu.
Le second problème est double : il concerne la transparence et l’asymétrie des informations. Les systèmes d’achats en ligne des détaillants obligent les fournisseurs à fournir des informations sur leurs capacités, leurs usines, leurs profits nets et leurs volumes. Ces informations privilégiées sont ensuite communiquées aux différents distributeurs. Les fournisseurs ont alors des marges de manœuvre très réduites dans les négociations.
Nous devons donc, au plus vite, rééquilibrer et réguler ces relations, dont l’asymétrie grandit avec la puissance des centrales d’achat. Cette réflexion doit s’inscrire dans une volonté globale de bâtir un meilleur équilibre des relations commerciales.
La question d’une réforme de la loi du 4 août 2008 de modernisation de l’économie, dite LME, doit, à mon avis, se poser également et, avec elle, celle de la lutte contre la surconcentration des acteurs et leurs positions dominantes.
Un débat sur les marques de distributeurs doit aussi se tenir. C’est un défi global que nous devons relever.
Le Gouvernement doit être à l’unisson sur ce dossier. Aujourd’hui, les injonctions contradictoires sont trop nombreuses et le manque de volontarisme en matière de contrôle de l’application de la loi Égalim est criant.
Le ministre de l’agriculture ne peut pas être le seul à gérer ce dossier. L’Europe doit aussi s’imposer et imposer ce débat pour harmoniser les procédures de négociation.
Madame la ministre, le moment est venu de passer des mots aux actes en encadrant, voire en sanctionnant davantage de telles pratiques et en protégeant nos agriculteurs, nos producteurs et notre industrie, afin de sortir de cette guerre des prix destructrice de valeur pour notre économie. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous en avons terminé avec le débat sur les pratiques des centrales d’achat de la grande distribution implantées hors de France.
Nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à onze heures trente-huit, est reprise à onze heures quarante.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
3
Dépistage des troubles du neurodéveloppement
Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Union Centriste, de la proposition de loi visant à améliorer le dépistage des troubles du neurodéveloppement, l’accompagnement des personnes qui en sont atteintes et le répit de leurs proches aidants, présentée par Mme Jocelyne Guidez et plusieurs de ses collègues (proposition n° 908 [2022-2023], texte de la commission n° 246, rapport n° 245).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme Jocelyne Guidez, auteure de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi qu’au banc des commissions.)
Mme Jocelyne Guidez, auteure de la proposition de loi. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à vous faire part de ma satisfaction de voir cette proposition de loi inscrite à l’ordre du jour de notre assemblée dans le cadre du temps réservé du groupe Union Centriste.
Avant toute chose, je veux remercier vivement mes collègues, de toutes sensibilités politiques, pour leur soutien et leur confiance.
Je tiens aussi à saluer l’engagement d’Annick Jacquemet, rapporteure de la première proposition de loi que j’ai déposée dans ce domaine, le 25 octobre 2021, ainsi que celui d’Anne-Sophie Romagny, rapporteure du présent texte. Elles ont su s’emparer du sujet et en comprendre les enjeux.
Mes remerciements les plus sincères s’adressent également à mes collègues Laurent Burgoa et Corinne Féret, avec qui j’ai eu l’honneur de travailler pendant plusieurs mois sur le rapport d’information intitulé Prise en charge des troubles du neuro-développement : le compte n’y est pas. Les victoires sont belles uniquement si elles sont partagées.
Nous avons donc le plaisir d’examiner aujourd’hui les dispositions d’un texte dont l’intitulé a été amélioré grâce à un amendement de la rapporteure : la notion de « repérage » est en effet préférable à celle de « dépistage ».
Cette initiative parlementaire s’inscrit dans la continuité de ma première proposition de loi et de la mission d’information qui nous a été confiée par la commission des affaires sociales sur les troubles du neurodéveloppement (TND).
À titre personnel, je connais bien le quotidien des enfants concernés, puisque mon petit-fils, qui vient de fêter ses 6 ans, présente un trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) haut potentiel et bénéficie d’un suivi pluridisciplinaire hebdomadaire depuis ses 3 ans.
C’est pourquoi j’ai décidé, dès 2021, d’aller plus loin en multipliant les rencontres sur le terrain, auprès des familles, du corps éducatif et du tissu associatif et médico-social.
Je suis heureuse qu’une partie des conclusions de notre rapport d’information aient été reprises par le Gouvernement dans la stratégie nationale 2023-2027 pour les troubles du neurodéveloppement : autisme, dys, TDAH, troubles du développement intellectuel (TDI). Les objectifs de cette nouvelle stratégie me semblent ambitieux. C’est pourquoi j’espère sincèrement qu’ils s’accompagneront de mesures concrètes.
Depuis près de vingt ans, l’action publique a concentré ses efforts sur les troubles du spectre de l’autisme (TSA), et je suis parfaitement consciente de l’ampleur du travail qu’il reste à réaliser. Le passage d’une stratégie pour l’autisme à une stratégie étendue à l’ensemble des TND était néanmoins indispensable.
Je suis satisfaite que le Gouvernement ait pris l’initiative, depuis 2017, de définir de nouvelles priorités pour répondre à l’ensemble des besoins des enfants, des adultes et de leurs familles ; je salue aussi la prise en charge plus spécifique, depuis peu, des personnes souffrant de TDAH.
Les principaux facteurs de risque sont l’existence de TND dans la famille, d’une part, et la prématurité, d’autre part. Or le nombre de bébés nés prématurément augmente depuis plusieurs années. Tous les nouveau-nés vulnérables ne font pourtant pas l’objet d’un suivi spécifique. Selon les études internationales, un enfant sur six présente des TND ; cela représente 18 % des naissances annuelles.
Si l’on transpose ces chiffres à la situation démographique française, on estime que les TDAH concernent 5 % des enfants et 2,5 % des adultes, les troubles dys 5 % à 17 % des enfants en âge scolaire et les TSA 1 % de la population. Mais les données récentes laissent penser que ce taux est plus proche de 2 % des naissances. Sans doute ces évolutions sont-elles dues non seulement à la redéfinition de certains troubles, mais aussi aux efforts accomplis pour en améliorer le repérage.
Face à ce constat alarmant, il est plus que nécessaire de s’interroger sur la manière de garantir l’accès à une scolarisation en milieu ordinaire à tous ces élèves, qui méritent un suivi spécifique, adapté et concret. Trop souvent, l’enjeu central pointé par les différents acteurs est celui du décalage entre les objectifs et la réalité vécue.
Lors d’une visite faisant suite à une interpellation par un maire de mon département, j’ai été sidérée de constater les difficultés rencontrées par une enseignante non spécialisée dans l’autisme et une accompagnante d’élèves en situation de handicap (AESH) dans une classe qui accueillait une dizaine d’enfants présentant un TSA.
Ces élèves ne parlaient pas. Ils criaient, sautaient d’un canapé à l’autre, tiraient les cheveux de l’enseignante et lui donnaient des coups de pied. Bref, elle vivait au quotidien une situation pour le moins difficile. Elle était d’une patience extraordinaire, mais nous a avoué que, si elle aimait énormément ces enfants, elle était néanmoins épuisée face à la complexité d’une telle situation. À mon sens, on ne peut pas parler ici d’inclusion.
Alors que ce terme est sans cesse mis en avant, mes observations de terrain démontrent malheureusement que l’on se retrouve complètement hors de la réalité par manque de moyens humains d’accompagnement.
Faute de places disponibles en institut médico-éducatif (IME), on rend tout le monde malheureux : le corps enseignant, qui se sent impuissant devant la situation actuelle, et les parents, à qui on a donné trop d’espoir. L’inclusion, oui ! Mais donnons-nous les moyens financiers et humains d’offrir un accompagnement de qualité à ces enfants !
« Le handicap n’est pas dans la personne, mais dans l’environnement qui ne sait pas l’accueillir », disait Albert Jacquard.
Les insuffisances d’un système jusqu’ici défaillant, notamment en ce qui concerne le passage d’une unité d’enseignement en maternelle autisme (UEMA) à une unité d’enseignement élémentaire autisme (UEEA), m’ont motivée à rédiger l’article 1er.
Cela entraîne une rupture dans le suivi de ces enfants entre l’école maternelle et l’école élémentaire. Là aussi, par mon expérience, j’ai pu constater le désarroi des enseignants, du corps médical et des parents quand on leur annonce qu’il n’y a pas de place pour cet enfant en école élémentaire et qu’il doit retourner chez lui alors qu’il a fait tant de progrès pendant son cursus en maternelle. D’où mon combat pour la mesure inscrite à l’article 1er.
Compte tenu de la progression constante du nombre d’enfants souffrant de handicap (ESH) scolarisés – il est passé de 134 000 à 430 000 enfants entre 2004 et 2022 –, force est de constater que les efforts sont largement insuffisants. Cette forte progression ne doit pas masquer l’hétérogénéité des situations, le manque de fluidité des parcours entre écoles maternelle et élémentaire, puis entre le primaire et le secondaire, ni le nombre considérable d’enfants dont la scolarisation est loin d’être effective, leur accès à l’école se limitant à quelques heures de cours par semaine.
La nouvelle stratégie nationale pour les TND ne demeure pas muette sur la scolarisation de ces enfants, mais les dispositifs supplémentaires annoncés sont loin de répondre à leurs besoins. Il est urgent d’avancer sur ce sujet.
Dans cette perspective, la rapporteure propose la création d’au moins un dispositif dédié à la scolarisation en milieu ordinaire des élèves présentant un TND, avec l’appui de professionnels du secteur médico-social, dans chaque circonscription académique métropolitaine et académie d’outre-mer, et ce au plus tard le 1er septembre 2027. Je ne puis que partager cette suggestion, qui a pour objectif d’accompagner, d’anticiper et d’agir en amont, même si je suis favorable à ce qu’on aille encore plus loin !
Aussi, le Gouvernement prévoit l’extension du champ d’intervention des dispositifs d’autorégulation (DAR) aux élèves présentant un trouble spécifique du langage et des apprentissages (TSLA) ou un TDAH, ainsi que la priorité qui semble être donnée à l’ouverture de dispositifs à l’école élémentaire et dans l’enseignement secondaire pour assurer la continuité pédagogique. Sur ce sujet, nous ne pouvons que soutenir le Gouvernement et l’inciter à faire davantage en créant des unités d’enseignement secondaire autisme (UESA).
En outre, un travail structurel doit être mené afin d’améliorer la procédure administrative permettant d’obtenir, auprès des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH), la notification des mesures d’inclusion scolaire. Il s’agit d’un parcours du combattant pour les familles concernées !
Pour lever ces difficultés, l’article 4 fluidifie les procédures applicables en inscrivant dans la loi la bonne pratique, déjà appliquée par certaines MDPH, de notifier les mesures d’inclusion scolaire pour la durée d’un cycle pédagogique, soit trois ans.
L’idée est simple : éviter d’avoir à remplir les formulaires de renouvellement de droits, ou encore de multiplier les bilans et les tests auprès de professionnels de santé pour lesquels il existe, sur de nombreux territoires, des files d’attente de plusieurs mois.
Elle est pertinente, puisque le renouvellement trop fréquent des dossiers MDPH contribue à emboliser l’accès aux soins pour les enfants en attente de diagnostic.
Je remercie la rapporteure d’avoir secondé ma préoccupation en déposant un amendement tendant à améliorer l’articulation entre les acteurs du diagnostic et les MDPH, en prévoyant que les premiers seront informés des délais de traitement des seconds. L’objectif est d’éviter la situation dans laquelle la programmation des examens de diagnostic conduits par le corps médical dépasse très souvent le délai, d’un mois, de traitement du dossier par la MDPH, ce qui fait perdre aux enfants un an, voire deux ans de mesures d’accompagnement.
Il est aussi temps de mieux former des équipes pédagogiques à l’échelle nationale. C’est l’objet de l’article 2, qui prévoit également le contrôle de la qualité des contenus de leurs formations.
En outre, il faut sensibiliser les professionnels de santé, afin de les inciter à suivre les formations qui sont à leur disposition.
Enfin, je tiens à souligner qu’il n’existe pas aujourd’hui d’ateliers de formation et de sensibilisation destinés aux parents d’un enfant présentant un TDAH. Ces parents en font pourtant la demande, parce qu’ils se trouvent souvent démunis face aux comportements de leur enfant.
J’en viens au repérage précoce des TND. Il est proposé à l’article 6 d’instaurer deux examens médicaux obligatoires de repérage, l’un à 18 mois et l’autre à 6 ans. Ces examens seraient intégralement pris en charge par la sécurité sociale.
Je souhaite enfin attirer votre attention sur le répit des proches aidants, travail que je mène depuis six ans, et la situation des adultes.
Je soutiens la pérennisation immédiate de l’expérimentation du relayage, prévue à l’article 7. Je défends cette idée depuis le mois de septembre dernier. Néanmoins, je déplore que la prise en charge des adultes présentant des TND n’avance que très lentement. Je souhaite que nos débats n’excluent pas cette question extrêmement importante.
Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, quelle que soit notre place dans l’hémicycle, quelles que soient nos convictions politiques, nous sommes tous sensibles au sujet du handicap.
Madame la ministre, la prévention a un coût, mais ne pas en faire a un coût aussi : un coût humain, car enfants, parents et enseignants sont fragilisés ; un coût politique, celui qui est lié à la lutte contre le décrochage ; un coût social, celui qui est lié à l’addiction, à la délinquance et au suicide. Il est donc tout à fait judicieux d’investir aujourd’hui pour que toute la société soit renforcée demain.
Comme l’écrivait Albert Jacquard, auteur d’Éloge de la différence : « Notre richesse collective est faite de notre diversité. “L’autre”, individu ou société, nous est précieux dans la mesure où il nous est dissemblable. »