Mme la présidente. Il faut conclure, ma chère collègue.
Mme Jocelyne Guidez. Mes chers collègues, cette proposition de loi, si vous l’adoptez, sera – je l’espère – un moyen d’accompagnement multidimensionnel en faveur de la prise en charge des TND. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE, RDPI, INDEP et Les Républicains. – Mme Cathy Apourceau-Poly applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Anne-Sophie Romagny, rapporteure de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, au printemps dernier, nos collègues Jocelyne Guidez, Laurent Burgoa et Corinne Féret ont rendu les conclusions de leur rapport d’information sur la prise en charge des troubles du neurodéveloppement.
Les TND forment une catégorie de troubles disparates, caractérisés par une perturbation du développement cognitif ou affectif de l’enfant, et toucheraient, selon la délégation interministérielle aux TND, près de 17 % de la population. Ils regroupent les TSA, les TDAH, les troubles spécifiques du langage et de l’apprentissage, aussi appelés « troubles dys », et les TDI.
Les conclusions du rapport de nos collègues sont formelles : malgré les efforts déployés par le Gouvernement, le compte n’y est pas pour la prise en charge des TND. Dans le sillage de ce rapport, Jocelyne Guidez a donc déposé une proposition de loi afin d’améliorer le repérage et l’accompagnement des personnes présentant des TND et de favoriser le répit des proches aidants. C’est ce texte qui est soumis au vote de notre assemblée aujourd’hui.
Danton disait : « Après le pain, l’éducation est le premier besoin d’un peuple. » L’éducation, c’est la clé de voûte de notre civilisation ; c’est le ciment de notre société. C’est la raison pour laquelle nous nous devons de garantir à tous les élèves, y compris à ceux qui présentent un TND complexe, l’accès à un parcours scolaire aussi ordinaire que possible, à proximité de leur domicile.
La France compte aujourd’hui 516 dispositifs spécifiques dédiés à la scolarisation en milieu ordinaire des élèves présentant un TND et nécessitant un accompagnement médico-social particulier. Il s’agit des UEMA, des UEEA et des DAR.
Si les objectifs de la stratégie pluriannuelle sont atteints, il y aura un peu moins de 900 dispositifs à l’horizon 2027, ce qui me paraît tout à fait insuffisant dans la mesure où 7 000 enfants autistes naissent chaque année en France. Il est nécessaire que la Nation se mobilise davantage, afin de porter le nombre de ces dispositifs à au moins 1 300 d’ici à 2027.
C’est à cette fin que la commission a réécrit l’article 1er pour en assurer l’applicabilité, dans une démarche à la fois ambitieuse et réaliste. Il s’agissait ainsi de prévoir la création d’au moins un dispositif spécifique dédié à l’accueil des élèves présentant un TND nécessitant un accompagnement médico-social particulier par circonscription académique d’ici à la rentrée 2027. La commission vous proposera de renforcer encore davantage le dispositif, en prévoyant l’ouverture d’au moins une UEMA ou UEEA par circonscription et d’au moins un dispositif d’autorégulation par département.
En tout état de cause, madame la ministre, j’attire votre attention sur l’enjeu de continuité des parcours scolaires des élèves bénéficiant de ces dispositifs. Nous ne disposons aujourd’hui que de 128 UEEA pour 319 UEMA. Par conséquent, il arrive bien souvent que, compte tenu de la spécificité de leur trouble, les élèves accueillis en UEMA se trouvent sans solution de scolarisation en sortie de maternelle. De même, il n’existe pas d’équivalent à ces dispositifs dans l’enseignement secondaire. La commission vous invite donc, madame la ministre, à mieux équilibrer les créations de dispositifs et à parachever l’accompagnement proposé, en créant des UESA au collège et au lycée.
Un autre point saillant du rapport de Jocelyne Guidez, Laurent Burgoa et Corinne Féret est la complexité de la procédure qui aboutit à la notification des mesures d’inclusion scolaire nécessaires. Cette procédure est bien souvent un véritable parcours du combattant. Sur ce sujet, la loi ne peut pas tout ; j’appelle donc les MDPH à poursuivre et à intensifier leurs efforts pour simplifier les procédures applicables et harmoniser leurs pratiques, parfois si disparates que des familles se voient contraintes de déménager dans un autre département.
L’article 4 apportera une première pierre à l’édifice, en inscrivant dans la loi la bonne pratique, déjà appliquée par certaines MDPH, de notifier les mesures d’inclusion scolaire pour la durée d’un cycle pédagogique, soit trois ans.
Un allongement de la durée des droits notifiés, pour les familles, ce sont des demandes de renouvellement plus espacées dans le temps et une charge administrative allégée ; pour les professionnels, ce sont moins de bilans à réaliser, ce qui libérera du temps pour le primodiagnostic et les interventions précoces.
En outre, l’article 4 a été amendé en commission, sur mon initiative, pour prévoir désormais une information des professionnels du diagnostic sur les délais de traitement des MDPH, afin de garantir une meilleure articulation pour une prise en charge plus précoce.
C’est dans la même logique que la commission a adopté l’article 2, tout en en clarifiant la rédaction. Cet article vise à assurer la formation des équipes pédagogiques à l’accueil et à l’accompagnement des élèves présentant un TND.
Là encore, madame la ministre, il me revient d’attirer votre attention sur la qualité parfois perfectible des contenus proposés aux enseignants, mais aussi sur l’incapacité de certains instituts à assurer l’intégralité des vingt-cinq heures de formation obligatoire sur les enjeux de l’école inclusive. Nous comptons sur votre engagement pour y remédier.
La commission a toutefois supprimé l’article 3, qui visait à renforcer la formation des professionnels de santé en contraignant le Gouvernement à inclure les situations de handicap et les TND dans les orientations pluriannuelles prioritaires de développement professionnel continu (DPC). Ces dispositions apparaissent en effet largement satisfaites par le droit en vigueur.
La formation n’en demeure pas moins un enjeu essentiel. Les professionnels de santé sont libres de choisir les actions auxquelles ils souhaitent s’inscrire. Or l’Agence nationale du DPC a souligné en audition la faible participation à certaines formations relatives aux TND. J’appelle donc le Gouvernement à renforcer les actions visant à sensibiliser les professionnels sur l’importance de cet enjeu, conformément aux engagements pris dans le cadre de la nouvelle stratégie nationale 2023-2027.
J’en viens maintenant aux dispositions du texte visant à systématiser le repérage précoce des TND, un enjeu clé pour éviter les retards de prise en charge et les risques de surhandicaps associés.
En population générale, malgré un taux de prévalence élevé, autour de 17 %, et un sous-diagnostic avéré, aucun des dix-sept examens obligatoires de l’enfant de moins de six ans n’est aujourd’hui dédié au repérage des TND. Certes, la refonte du carnet de santé devrait permettre une meilleure prise en compte, au sein de chaque examen, du repérage des TND. Pour autant, elle ne créera toujours pas d’examen spécifique et semble donc insuffisante pour répondre de façon adéquate aux enjeux du sous-diagnostic.
À cet effet, l’article 6 de la proposition de loi crée deux examens médicaux obligatoires de repérage des TND, pour tous les enfants. Conformément aux préconisations émanant des auditions, ces examens auront lieu à 18 mois, puis à 6 ans, deux âges charnières pour le repérage et le diagnostic des TND, pour lesquels il n’existe en outre pas d’examen obligatoire aujourd’hui. Condition nécessaire à un déploiement aussi vaste que possible, ces examens seront pris en charge intégralement par la sécurité sociale.
La Haute Autorité de santé (HAS) fait dépendre la stratégie de repérage précoce des facteurs de risque associés à chaque enfant. L’article 5, réécrit par la commission, complète le service de repérage créé par la dernière loi de financement de la sécurité sociale de manière à tenir compte de cette approche graduée, encore insuffisamment appliquée. Ce service s’appuiera désormais non seulement sur les examens obligatoires de l’enfant, mais également sur les examens complémentaires qui peuvent être justifiés par la prématurité ou tout autre facteur de risque identifié.
Enfin, le texte contient un dernier volet, relatif au répit des proches aidants. La commission a décidé de pérenniser les expérimentations mises en place par la loi du 10 août 2018 pour un État au service d’une société de confiance, dite loi Essoc, qui autorise des dérogations au droit du travail dans le cadre de prestations de relayage à domicile du proche aidant et dans le cadre de séjours de répit aidant-aidé. Ces dispositifs ont été expérimentés pendant une durée suffisante et leur bilan est globalement positif.
Ces solutions de répit de longue durée peuvent soulager temporairement de sa charge le proche aidant et préserver sa santé. Elles apparaissent particulièrement pertinentes dans les cas où l’état de la personne aidée nécessite une assistance permanente.
Afin de tenir compte des retours d’expérience des intervenants et des structures, la commission a adopté un amendement aux termes duquel un accord de branche pourra ajuster certains paramètres de ce dispositif dérogatoire, afin de permettre aux partenaires sociaux de l’adapter aux réalités du terrain.
Mes chers collègues, le texte que nous examinons ce matin, amendé par la commission en accord avec son auteure Jocelyne Guidez – je salue sa détermination et son engagement de longue date sur le sujet –, permettra, me semble-t-il, de simplifier les parcours des personnes présentant des TND, comme ceux de leurs proches. C’est pourquoi je vous invite à l’adopter. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE, RDPI, INDEP et Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Catherine Vautrin, ministre du travail, de la santé et des solidarités. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens d’abord à remercier Mme la sénatrice Jocelyne Guidez, grâce à qui nous discutons, ce matin, du sujet crucial du dépistage et de l’accompagnement des troubles du neurodéveloppement.
Au sein du très large ministère dont je suis chargée, j’aurai évidemment à cœur d’accorder une attention particulière à la situation des personnes en situation de handicap et à celle de leurs familles.
C’est notre devoir et notre honneur que d’être au rendez-vous de l’accompagnement et du soutien de toutes les vulnérabilités face aux épreuves de la vie. Nous devons tout faire pour permettre à chacun de vivre le plus normalement possible. Tel est le sens de l’inclusion.
C’est évidemment à l’école, cœur battant de la promesse républicaine d’égalité et d’émancipation, que nous devons agir pour l’inclusion de tous.
Vous le savez, en lien avec ma collègue chargée de l’éducation nationale, je souhaite faire de la scolarisation des enfants en milieu ordinaire un axe fort de mon action. Cela suppose plusieurs prérequis, en particulier la mise en place de dispositifs de formation et d’accompagnement spécifiques.
Madame la sénatrice, votre proposition de loi répond à cet objectif pour les élèves présentant un trouble du neurodéveloppement.
Comme élue locale ayant exercé différents mandats pendant de nombreuses années, je partage particulièrement votre approche, fondée sur l’accès au bon accompagnement dans tous les territoires.
L’enjeu est également de mieux accompagner les familles dans leurs démarches, qui sont complexes et souvent épuisantes.
Tout l’enjeu est donc de faire en sorte, ensemble, d’éviter le non-recours. C’est pourquoi le Gouvernement est favorable à ce que les mesures accordées par les MDPH pour l’insertion scolaire puissent être accordées pour un cycle scolaire.
Je veux revenir sur quelques autres éléments de cette proposition de loi, même si Mme la rapporteure l’a déjà présentée dans le détail.
Dans le domaine de la santé, la France excelle dans le curatif ; notre enjeu commun, mesdames, messieurs, les sénateurs, est d’atteindre cette qualité en matière de prévention. C’est pourquoi je partage pleinement votre ambition de mieux suivre et dépister ces troubles.
En revanche, il ne nous paraît pas forcément utile d’alourdir encore le parcours de détection précoce – déjà plus de vingt examens obligatoires – que connaissent les enfants de 0 à 6 ans, en y ajoutant un nouvel examen de dépistage. Le Gouvernement proposera donc plutôt d’accorder une attention accrue à la détection des TND dans le parcours existant.
Je salue particulièrement les dispositions de l’article 7. Vous avez raison, madame Guidez : les mesures visant à faciliter le recours à l’accompagnement, regroupées sous le vocable peu élégant, mais efficace, de « relayage », sont capitales.
Comme chacun d’entre nous, j’ai beaucoup de reconnaissance et de respect envers les proches aidants. Je connais l’épuisement moral et physique qui peut être le leur au quotidien. Il est vraiment temps d’apporter des réponses de long terme à cette situation et d’adapter notre droit du travail. Nous touchons là du doigt l’intérêt d’un ministère élargi, susceptible d’agir à la fois sur les métiers du médico-social et sur le droit du travail. Les assouplissements dont nous parlons depuis si longtemps s’en trouveront facilités.
Cette solution de répit, fondée sur une expérimentation qui a fait ses preuves, suscite un véritable espoir chez les millions de personnes concernées. Je tiens à remercier l’auteure comme la rapporteure de ce texte d’avoir défendu cette mesure.
Mesdames, messieurs les sénateurs, soyez certains que vous pourrez compter sur ma détermination la plus totale.
C’est la troisième fois que j’ai l’honneur de m’adresser à vous en moins d’une semaine pour vous dire combien je souhaite agir à vos côtés en faveur des conditions de vie des personnes en situation de handicap. Ces personnes, en particulier les enfants atteints de troubles du neurodéveloppement, méritent une attention particulière, que l’État va exprimer au travers de sa stratégie en la matière.
Je suis ravie de constater votre engagement sur ce sujet ; en témoigne le large soutien dont bénéficie cette proposition de loi. Déterminé à obtenir des avancées concrètes pour ces personnes et leurs proches, le Gouvernement sera, bien évidemment, à vos côtés. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP, RDSE, UC et Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Laurent Burgoa. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
M. Laurent Burgoa. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, au sein de cet hémicycle, nous devons nous interroger sur la société que nous souhaitons. Toutefois, le législateur ne saurait se contenter d’être un penseur ; il doit s’efforcer d’être un faiseur.
Aux yeux de trop nombreux concitoyens – souvent abstentionnistes d’ailleurs –, notre vie politique ne se paie plus que de mots. Nous autres, parlementaires, serions des femmes et des hommes plus prompts à prendre des postures que des décisions qui se traduisent dans leur vie.
Le chemin vers une société toujours plus inclusive se prépare ; je veux à cet égard remercier ici très chaleureusement notre collègue Jocelyne Guidez, auteure de cette proposition de loi. Elle et moi avions eu le plaisir, avec Corinne Féret, de publier un rapport d’information portant sur la prise en charge des troubles du neurodéveloppement, rapport qui avait mis en lumière le manque de moyens en la matière.
Trop d’incantations, de vœux pieux et de belles annonces ont été faits à ce sujet. Aujourd’hui, les attentes restent nombreuses, trop nombreuses !
Aussi, mes chers collègues, l’adoption en commission de cette proposition de loi – saluons au passage le travail de Mme la rapporteure – est-elle une réelle satisfaction. Ce texte vise à améliorer le repérage et l’accompagnement des troubles du neurodéveloppement, mais aussi à favoriser le répit des proches aidants.
En effet, nous devons garantir la scolarisation, dans les meilleures conditions et sur tous les territoires, des enfants présentant un trouble de ce type.
Si certains dispositifs existants favorisent déjà l’inclusion de ces élèves, ils ne sont pas assez nombreux et je ne peux me résoudre à voir des familles quitter emploi et foyer pour accéder à l’un d’eux.
L’article 1er, réécrit en commission afin de permettre une mise en œuvre plus effective, prévoit la création d’au moins un dispositif dédié à la scolarisation en milieu ordinaire, avec l’appui de professionnels du secteur médico-social, dans chaque circonscription académique métropolitaine et académie d’outre-mer.
Les troubles du neurodéveloppement, comme l’accompagnement des personnes qui en sont atteintes, nécessitent un réel supplément d’énergie. Au travers de l’article 4, nous souhaitons contraindre l’administration à ne pas puiser dans cette énergie, si essentielle pour les familles.
En effet, dans ce domaine comme dans d’autres, la complexité des procédures constitue une charge administrative insupportable. L’article 4 consacre – enfin ! – la nécessité de notifier les aides scolaires pour la durée d’un cycle pédagogique, c’est-à-dire pour trois ans et non pas pour un an seulement, comme c’est le cas actuellement dans certaines MDPH.
Ce même article dispose que les professionnels impliqués dans le diagnostic devront recevoir une information sur les délais des MDPH pour prononcer les mesures d’inclusion, afin de permettre une mise en œuvre aussi rapide que possible de ces dernières.
L’article 2 tend, quant à lui, à renforcer la formation des équipes pédagogiques.
L’article 5 crée deux examens médicaux obligatoires de repérage des troubles du neurodéveloppement. Fixés à 18 mois et 6 ans, ils seront intégralement pris en charge par l’assurance maladie. J’ai bien noté votre léger désaccord sur ces dispositions, madame la ministre, mais cet article est très important, car le repérage précoce des troubles est décisif pour réduire les pertes de chance et, ainsi, améliorer l’efficacité des prises en charge.
En ce qui concerne la pérennisation du dispositif de répit pour les aidants, nous souhaitons permettre aux partenaires sociaux des branches concernées de l’ajuster aux réalités de terrain comme aux spécificités des troubles du neurodéveloppement.
Enfin, nous ne pouvons qu’encourager le Gouvernement à renforcer les actions de sensibilisation et de formation destinées aux professionnels de santé, en particulier aux médecins libéraux. Ils sont en effet les mieux placés pour déceler ces troubles et réduire ainsi les pertes de chance.
La stratégie nationale 2023-2027 pour les troubles du neurodéveloppement affichée par le Gouvernement semble témoigner que celui-ci mesure toute l’importance du sujet ; nous y serons attentifs.
Si cette proposition de loi ne peut pas tout résoudre, elle exploite les outils législatifs en notre pouvoir pour faciliter grandement la vie des familles concernées.
C’est la raison pour laquelle tous les membres du groupe Les Républicains la soutiendront pleinement. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE, RDPI et INDEP.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Claude Lermytte. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Marie-Claude Lermytte. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous débattons aujourd’hui des troubles du neurodéveloppement, ou TND : une abréviation que l’opinion publique – plus particulièrement les parents, la communauté éducative et les professionnels médicaux et paramédicaux – intègre de plus en plus.
Notre pays, animé de longue date par la psychanalyse, prend progressivement conscience de l’existence de ces troubles, quasiment ignorés depuis trop longtemps. On pointait du doigt le mauvais élève, le fainéant, les parents absents et fautifs, mais on ne concevait pas qu’un enfant puisse présenter des symptômes de TDAH, des troubles du langage et des apprentissages, ou encore de nombreux autres dysfonctionnements.
Comparativement à certains pays comme l’Allemagne et la Belgique, ou encore à la province du Québec, la France accuse un retard important en matière de TND.
C’est tout le mérite de la proposition de loi de Jocelyne Guidez que de sensibiliser l’opinion à ce sujet. Quelque 10 % des enfants seraient concernés, soit environ 100 000 naissances par an !
Or, si le dépistage est recommandé systématiquement par la Haute Autorité de santé, il n’est pas obligatoire. L’article 6 a précisément pour objet d’inscrire dans la loi un repérage, en instaurant deux examens obligatoires, qui seraient réalisés, à 18 mois et à 6 ans, par un médecin dûment formé.
Un pas de géant est donc franchi ; nous ne pouvons que nous en réjouir. Mais ce pas de géant risque d’être un pas de côté si vous ne prenez pas en compte, madame la ministre, l’absence cruelle de médecins formés à cette discipline !
C’est là que le bât blesse : seulement 300 médecins sur les 100 000 généralistes diplômés sont formés aux TND. Selon nos informations, il en faudrait environ 3 000 sur l’ensemble du territoire.
Plusieurs raisons expliquent cette réticence à l’égard de cette discipline. Les TND exigent une compétence transversale qui relève de la pédiatrie, de la neurologie, ou encore de la pédopsychiatrie. Ainsi, il n’existe ni spécialité, ni qualification, ni diplôme en la matière, ce qui rend la compétence difficilement lisible. Il faudrait donc une reconnaissance par le Conseil de l’ordre national des médecins et un diplôme.
Cette reconnaissance devrait être également assurée par la sécurité sociale, qui ne rembourse pas à leur juste valeur ces consultations particulièrement longues. (Mme Jocelyne Guidez applaudit.)
La réalité d’aujourd’hui est la suivante : un enfant dont on suppose qu’il est atteint d’un trouble du neurodéveloppement peut bénéficier du forfait d’intervention précoce, qui permet la prise en charge, pendant un an, des frais de bilans et des séances d’ergothérapeute, de psychomotricien ou de psychologue.
Ce forfait a pour but de faciliter le diagnostic. S’il doit être salué comme une avancée, il reste néanmoins limité à certains professionnels et le manque de coordination entre ces derniers est souvent regretté.
Encore faut-il décrocher un rendez-vous ! Ainsi, pour suivre des séances avec un orthophoniste, professionnel indispensable dans le cadre de l’accompagnement des troubles « dys », le délai est aujourd’hui d’une à deux années d’attente.
C’est un motif de découragement, qui peut avoir des conséquences néfastes, notamment sur la scolarité. De plus, il faut que l’enfant soit pris en charge par le professionnel adéquat.
Un médecin spécialisé dans les TND depuis vingt ans m’expliquait que, faute de spécialistes, nombre d’enfants ou d’adolescents sont orientés vers des prises en charge inadaptées. Cela peut entraîner des conséquences dramatiques, alors que, s’ils avaient été accompagnés par les spécialistes appropriés, la cause du trouble aurait été identifiée et le bon traitement aurait été prescrit.
Vous l’aurez compris : il ne suffit pas de dépister si l’on ne peut soigner correctement. Il faut donc prendre le problème à bras-le-corps pour réduire le coût humain et social d’un enfant non soigné. Faute de professionnels, dans certains cas, ce dernier développera des pathologies plus lourdes, telles que la dépression ou des addictions.
Mme la présidente. Veuillez conclure, ma chère collègue !
Mme Marie-Claude Lermytte. Il faut donc porter nos efforts sur la formation des médecins et la sensibilisation des personnels enseignants, comme il est proposé à l’article 2.
Cette proposition de loi va dans le bon sens ; c’est la raison pour laquelle notre groupe la soutiendra. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Henno. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Olivier Henno. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens à saluer notre collègue Jocelyne Guidez pour sa détermination et la grande énergie qu’elle consacre à ce sujet, qui en a bien besoin ; je veux aussi saluer Mme la rapporteure, particulièrement à l’aise sur cette question, et la féliciter pour son premier rapport.
Madame la ministre, vous avez eu, au fond, la formule juste : tous les problèmes abordés lorsque nous débattons de ces sujets résultent d’un défaut de notre système de soins, celui d’avoir été, de tout temps, orienté vers le curatif au détriment du préventif.
C’est une des raisons pour lesquelles on se focalise souvent sur la crise des urgences. Certes, celle-ci occasionne beaucoup de souffrances, mais on oublie d’autres aspects, comme l’errance thérapeutique, qui rend les parcours douloureux et parfois dramatiques.
Dans un cas comme dans l’autre, on peut parler d’une perte de chance dont les conséquences sont souvent irréversibles.
Les troubles du neurodéveloppement sont un bel exemple de ces pathologies mal connues et mal identifiées, qui, faute de diagnostic et de prise en charge, ont maintenu trop de vies dans la souffrance.
Notre collègue Jocelyne Guidez, concernée à titre personnel par le sujet, est à l’écoute des patients et des familles depuis des années. Elle nous propose aujourd’hui un texte visant à mieux repérer, diagnostiquer et accompagner les TND. Notre groupe salue sa constance et son engagement, en espérant naturellement que cette proposition de loi tant attendue rencontrera le plus large soutien de notre assemblée.
Je rappelle que la catégorie des TND regroupe les troubles du spectre autistique, les troubles du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité et les troubles spécifiques du langage et des apprentissages, dits troubles dys.
Je tiens au passage à excuser notre collègue Nadia Sollogoub, très investie également sur ces sujets, et qui regrette de ne pouvoir être parmi nous ce matin.
Il faut encore ajouter à cette liste les troubles oppositionnels avec provocation (TOP), souvent associés aux TDAH, qui sont extrêmement lourds à gérer et à vivre pour les familles.
Au total, les TND pourraient concerner plus d’une personne sur dix, soit une part très importante de la population, que nous ne pouvons pas laisser sans réponse, sans aide, sans piste, sans une porte à pousser pour mettre un nom sur les troubles et, surtout, sans organiser une prise en charge adaptée.
La Revue neurologique publiait en avril 2022 cette synthèse : « Les […] TND sont fréquents en population générale et perdurent souvent tout au long de la vie, même s’ils peuvent être masqués par des mécanismes de compensation. […] Une reconnaissance des troubles et une prise en charge adaptée favorisent une intégration sociétale de bonne qualité. »
Voilà pourquoi il est essentiel, comme le prévoit l’article 1er de cette proposition de loi, qu’un maillage de classes dédiées aux enfants présentant une forme de TND se mette en place sur le territoire national.
La présidente d’une association de mon département me disait de ces enfants, parfois infatigables, mais plus souvent très fatigables, qu’il leur faut une scolarisation de proximité, sans quoi la fatigue des transports fait perdre le bénéfice d’une scolarité adaptée.
C’est tout l’enjeu de l’inclusion scolaire, qui ne doit pas être source de complications supplémentaires ; il convient à l’inverse de la faciliter administrativement ; d’où les dispositions de simplification proposées à l’article 4. Dans ce domaine comme dans beaucoup d’autres, quand on interroge les familles, la lourdeur administrative fait figure de seconde peine. En matière de santé aussi, les codes ne cessent de grossir. Nous avons donc une obligation de simplification.
Toujours à propos des difficultés de scolarisation, on ne peut que regretter l’absence de mise en place des plans d’accompagnement personnalisés (PAP). S’ils étaient respectés à la lettre, ils permettraient parfois d’éviter des demandes d’heures d’AESH. Certaines choses sont simples, mais essentielles.
Le plus important – je rejoins en cela mon propos sur l’errance thérapeutique – reste la pose du diagnostic, qui doit être facilitée. C’est la raison pour laquelle la formation des soignants et des enseignants est absolument indispensable.
Voir que l’autre est différent, détecter ce qu’il possède de plus ou de moins que des enfants, des parents ou des patients comme nous toutes et nous tous, voilà ce qui permet de ne pas les envoyer, parfois sans retour, dans une voie de garage.
Je veux insister, pour conclure, sur la dimension humaine de cette proposition de loi. « Si tu diffères de moi, mon frère, loin de me léser, tu m’enrichis », disait Saint-Exupéry. Ce pourrait être une belle devise pour notre société, une société où la différence, loin de faire peur, aurait sa place et laisserait éclore les talents, dans leur diversité.
Pour cela, il faut aussi que les aidants soient reconnus. Cette proposition de loi concerne beaucoup de familles. Je veux encore saluer le travail réalisé par son auteure et par Mme la rapporteure. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP et Les Républicains.)