M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Je le répète : si un risque terroriste est avéré à la Meinau, pour reprendre votre exemple, mon cher collègue, il est bien couvert par l’article 7.
La mesure proposée par cet amendement, si ce dernier était adopté, poserait un problème de disproportionnalité et serait censurée.
Par ailleurs, comme je l’ai fait remarquer, j’essaie de faire en sorte que les dispositions que nous votons ne viennent pas porter ombrage aux mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance, qui, ainsi que l’a souligné M. le garde des sceaux voilà quelques instants, sont très efficaces. (M. le garde des sceaux acquiesce.) Je n’ai eu de cesse d’éviter tout chevauchement de dispositions qui serait préjudiciable.
Voilà pourquoi la commission demeure défavorable à cet amendement.
M. André Reichardt. Je retire mon amendement, monsieur le président !
M. le président. L’amendement n° 9 rectifié est retiré.
Article 15 bis (nouveau)
Au début du quatrième alinéa de l’article 61-3-1 du code civil, sont ajoutés les mots : « Lorsque la personne est condamnée pour des crimes à caractère terroriste ou ».
M. le président. L’amendement n° 53, présenté par M. Daubresse, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
I.- Le code civil est ainsi modifié :
1° L’article 60 est ainsi modifié :
a) A la première phrase du premier alinéa, après les mots : « Toute personne » sont insérés les mots : « dont l’acte de naissance est détenu par un officier de l’état civil français » ;
b) La dernière phrase du dernier alinéa est supprimée ;
c) Sont ajoutés deux alinéas ainsi rédigés :
« Lorsque le changement de prénom demandé est susceptible de constituer une menace pour l’ordre public en raison de la condamnation du demandeur pour l’une des infractions dont la liste est fixée par décret en Conseil d’État, l’officier de l’état civil saisit sans délai le procureur de la République.
« L’officier de l’état civil informe le demandeur de la saisine du procureur de la République. Si celui-ci s’oppose au changement de prénom, le demandeur, ou son représentant légal, peut saisir le juge aux affaires familiales. » ;
2° L’article 61-3-1 est ainsi modifié :
a) A la première phrase du premier alinéa, les mots : « Toute personne majeure peut demander à l’officier de l’état civil de son lieu de résidence ou » sont remplacés par les mots : « Toute personne majeure dont l’acte de naissance est détenu par un officier de l’état civil français peut demander à cet officier de l’état civil » ;
b) Au quatrième alinéa, après les mots : « En cas de difficultés », sont insérés les mots : « ou, dans le cas prévu au premier alinéa, lorsque le changement de nom demandé est susceptible de constituer une menace pour l’ordre public en raison de la condamnation du demandeur pour l’une des infractions dont la liste est fixée par décret en Conseil d’État, ».
II. – Après le sixième alinéa de l’article 706-25-7 du code de procédure pénale, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« 5° De déclarer tout changement de prénom ou de nom ».
La parole est à M. le rapporteur.
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. L’article 15 bis est important, puisqu’il tend à lutter contre les détournements abusifs de la procédure de changement de nom introduite par la loi relative au choix du nom issu de la filiation, dite Vignal, par des condamnés terroristes.
On peut encore aller plus loin. C’est pourquoi cet amendement a quatre objectifs : premièrement, élargir le dispositif aux changements de prénom ; deuxièmement, garantir la saisine systématique par l’officier de l’état civil du procureur de la République territorialement compétent ; troisièmement, garantir l’unicité des documents justifiant de l’identité et prévenir des problèmes sécuritaires liés à une éventuelle double identité ; quatrièmement, ajouter, au titre des obligations des personnes inscrites au fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions terroristes (Fijait), l’obligation de déclarer tout changement de nom ou de prénom.
Il s’agit donc d’éviter que les terroristes ne détournent la loi Vignal à leur profit.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à Mme Corinne Narassiguin, pour explication de vote.
Mme Corinne Narassiguin. Nous ne nous opposerons pas à cet article, pas plus qu’à cet amendement.
Cependant, je tiens à exprimer au nom du groupe SER notre inquiétude générale au regard de ce qui sous-tend cette démarche.
Nous ne sommes évidemment pas opposés à ce que le procureur soit systématiquement informé, dans la mesure où c’est bien à lui seul qu’il revient de prendre la décision. Pour autant, nous tenons à rappeler que son rôle n’est pas de faire obstacle à une volonté de réintégration ou de réinsertion qui peut être tout à fait sincère et passer aussi par un changement de nom, notamment après une condamnation. On ne peut pas partir du principe que toute personne condamnée est appelée à récidiver.
M. le président. La parole est à Mme Marie Mercier, pour explication de vote.
Mme Marie Mercier. Nous voterons bien évidemment cet amendement.
En effet, lors de l’examen de la proposition de loi Vignal, texte qui est entré en vigueur le 1er juillet 2022, nous avons alerté sur la facilité à opérer ce changement de nom, qui peut se faire en mairie ou sur simple demande.
Il a été question du Fijait. Pour ma part, je signalerai le cas de Francis Évrard. Ce violeur multirécidiviste, qui a violé le petit Enis, vient de changer de nom en prison pour prendre celui de sa maman. De ce fait, Francis Évrard n’apparaît désormais plus sur le Fijais, le fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes.
Je me félicite évidemment de la rédaction de cet amendement, mais nous en reparlerons en ce qui concerne le Fijais.
M. le président. En conséquence, l’article 15 bis est ainsi rédigé.
Article 15 ter (nouveau)
Au premier alinéa des articles 138-2 et 712-22-1 du code de procédure pénale, après la référence : « 706-47 », sont insérés les mots : « ou pour un crime ou une infraction à caractère terroriste ».
M. le président. L’amendement n° 40, présenté par M. Durain, Mmes Narassiguin et de La Gontrie, MM. Bourgi et Chaillou, Mme Harribey, M. Kerrouche, Mme Linkenheld, M. Roiron et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Corinne Narassiguin.
Mme Corinne Narassiguin. Nous demandons la suppression de l’information obligatoire de l’autorité académique et du chef d’établissement d’une mise en examen ou d’une condamnation pour infraction terroriste, y compris d’apologie, d’une personne scolarisée ou ayant vocation à être scolarisée dans l’établissement scolaire, que celui-ci soit public ou privé.
L’adoption de cette mesure, dont on peut comprendre l’intention, pourrait en pratique avoir des effets contre-productifs et néfastes. En effet, à partir du moment où vous informez un chef d’établissement, vous faites porter sur ce dernier une responsabilité qui n’est pas la sienne. Que dirait-on ? Que ferait-on ? Que reprocherait-on à un chef d’établissement si l’un de ses élèves commettait un crime, alors qu’il avait été informé ?
Monsieur le rapporteur, vous avez expressément cité l’apologie de terrorisme dans l’objet de l’amendement de commission visant à créer l’article 15 ter ; or c’est justement l’exemple type d’une infraction qui pourrait facilement être reprochée à des légions de collégiens. Faudrait-il alors mettre en place des fichiers, prévoir la déscolarisation de sûreté ? Soit on est condamné, soit on ne l’est pas. Soit on est libre, soit on ne l’est pas. Soit on a quelque chose à reprocher, soit on n’a rien fait.
Avec cet article, vous êtes en train de brouiller toutes les lignes et tous les principes. Je rappelle à cet égard le rapport d’information de M. François Pillet, que l’on connaît bien dans cette assemblée, qui avait mis en garde contre ce type de mesures.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Sur cet amendement de suppression, la commission émet un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 42, présenté par M. Durain, Mmes Narassiguin et de La Gontrie, MM. Bourgi et Chaillou, Mme Harribey, M. Kerrouche, Mme Linkenheld, M. Roiron et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Remplacer les mots :
des articles 138-2 et
par les mots :
de l’article
La parole est à Mme Corinne Narassiguin.
Mme Corinne Narassiguin. Cet amendement de repli tend à exclure du champ de l’article 15 ter l’information obligatoire en cas de mise en examen, disposition qui bafoue totalement la présomption d’innocence.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Il s’agit d’une disposition contraire à la position défendue par la commission la semaine dernière : avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l’article 15 ter.
(L’article 15 ter est adopté.)
Après l’article 15 ter
M. le président. L’amendement n° 10 rectifié, présenté par M. Marseille, Mme N. Goulet, MM. Henno, Levi, Longeot et Menonville, Mmes Tetuanui et Guidez, MM. Laugier, Mizzon et Bleunven, Mme Jacquemet, MM. Pillefer, Duffourg, Bonnecarrère et Kern, Mme Herzog, M. Lafon, Mmes Vermeillet, de La Provôté, Florennes et Sollogoub et MM. Vanlerenberghe, Cazabonne, Capo-Canellas, Cigolotti, Maurey, S. Demilly et Chauvet, est ainsi libellé :
Après l’article 15 ter
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le II de l’article L. 613-3 du code de la sécurité intérieure est ainsi modifié :
1° La première phrase du premier alinéa est ainsi modifiée :
a) Après le mot : « imagerie », sont insérés les mots : « ou de photographie numérique » ;
b) Après le mot : « millimétriques », sont insérés les mots : « ou centimétriques » ;
2° Le second alinéa est ainsi modifié :
a) À la première phrase, après le mot : « images », sont insérés les mots : « produites par un dispositif d’imagerie utilisant des ondes millimétriques » ;
b) À la troisième phrase, après le mot : « image », sont insérés les mots : « produite par ondes millimétriques » ;
c) Après la troisième phrase, est insérée une phrase ainsi rédigée : « L’image produite par ondes centimétriques analyse les densités et non les formes, permettant la visualisation simultanée de la personne et de son image à travers une photographie numérique produite uniquement en cas de détection d’une substance ou d’un objet interdits. » ;
d) À la dernière phrase, après le mot : « images », sont insérés les mots : « produites par un dispositif d’imagerie ou de photographie utilisant des ondes millimétriques ou centimétriques ».
La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. L’article L. 613-3 du code de la sécurité intérieure autorise le recours aux dispositifs d’imagerie utilisant des ondes millimétriques pour la sécurisation des sites et enceintes dans lesquels sont organisées des manifestations sportives, récréatives ou culturelles rassemblant plus de 300 spectateurs.
Cet amendement a pour objet de permettre à des sociétés d’utiliser une technologie innovante basée sur les ondes centimétriques, et pas seulement millimétriques, pour la sécurisation des sites et événements susvisés.
Il s’agit là d’un amendement de précision, rédigé au millimètre par M. Marseille. (Sourires.)
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Le président Marseille a raison de considérer que les ondes centimétriques sont nettement moins intrusives que les ondes millimétriques. La précision qu’il propose d’introduire rend donc le dispositif plus opérationnel : avis favorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre. J’aimerais que le rapporteur Daubresse nous précise la différence entre les deux types d’ondes. (Sourires.) En attendant, j’émets un avis de sagesse sur cet amendement.
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l’article 15 ter.
Article 16
Les conséquences financières pour l’État résultant de la présente loi sont compensées, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services. – (Adopté.)
M. le président. Mes chers collègues, nous avons achevé l’examen des articles de la proposition de loi.
Je vous rappelle que les explications de vote et le vote par scrutin public sur l’ensemble du texte se dérouleront le mardi 30 janvier.
La suite de la discussion est renvoyée à une prochaine séance.
Nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures, est reprise à dix-huit heures cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
6
Accompagnement humain des élèves en situation de handicap
Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe Les Républicains, la discussion de la proposition de loi visant la prise en charge par l’État de l’accompagnement humain des élèves en situation de handicap sur le temps méridien, présentée par M. Cédric Vial et plusieurs de ses collègues (proposition n° 840 [2022-2023], texte de la commission n° 251, rapport n° 250).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Cédric Vial, auteur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDPI et INDEP, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. Cédric Vial, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, être devant vous ce soir constitue pour moi à la fois un plaisir, un aboutissement, un honneur, une étape et une satisfaction.
Un plaisir tout d’abord, puisque ma proposition de loi porte sur un sujet qui me tient particulièrement à cœur et sur lequel je suis très mobilisé depuis près d’un an maintenant. C’est toujours – du moins, je l’imagine – un moment important dans la vie d’un parlementaire de voir son texte débattu dans l’hémicycle.
Un aboutissement ensuite, car la mission flash que j’ai menée sur les modalités de gestion des accompagnants d’élèves en situation de handicap (AESH) pour une école inclusive a fait apparaître la nécessité de passer par un texte législatif pour résoudre un certain nombre de problèmes. La présente proposition de loi est la traduction de la recommandation n° 10 du rapport d’information que j’avais remis au nom de la commission de la culture, dont je remercie le président, Laurent Lafon.
Un honneur également, car vous avez été très nombreux, sur toutes les travées, à encourager et à soutenir mon initiative, avec, à la clé, un vote unanime en commission de la culture. J’espère que le Sénat sera ce soir à la hauteur du vote intervenu en commission.
Une étape aussi, car si vous décidez d’adopter ce texte aujourd’hui, le processus législatif devra se poursuivre à l’Assemblée nationale, avec, je l’espère, le regard bienveillant du Gouvernement, ce qui serait un atout indéniable.
Une satisfaction enfin, car cette loi, si elle est on ne peut plus simple, réglera des problèmes qui sont devenus complexes et qui, d’ailleurs, n’existaient pas avant que l’État ne les crée…
Sans me livrer à un historique exhaustif, j’aimerais rappeler quelles ont été les principales étapes dans la politique de prise en charge du handicap.
J’évoquerai tout d’abord la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. Adopté sous l’impulsion du Président de la République de l’époque, Jacques Chirac – vous étiez alors membre du gouvernement, madame la ministre (Mme la ministre acquiesce.) –, ce texte a constitué un premier pas important, en permettant de passer d’une obligation éducative à une obligation de scolarisation de tous les enfants en situation de handicap dans un établissement en milieu ordinaire le plus près de chez eux.
Cette première étape a été confirmée par la loi du 8 juillet 2013 d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République, adoptée sous le quinquennat de François Hollande, qui a permis de nouvelles avancées, avec la création, notamment, des fameux AESH et l’inscription dans le marbre de la notion d’« inclusion scolaire ». L’engagement des décideurs publics en faveur de tout ce qui peut faciliter cette inclusion ne s’est jamais démenti depuis lors.
Le code de l’éducation dispose d’ailleurs très clairement qu’il revient à l’État de mettre en œuvre tous les moyens concourant à la scolarisation d’une personne en situation de handicap, qu’il s’agisse d’un enfant, d’un adolescent ou même d’un adulte.
Mais, après ces deux grandes avancées, il y a eu un recul. En effet, dans une décision de novembre 2020, le Conseil d’État, à rebours des politiques menées par les différents gouvernements et des votes successifs intervenus au Parlement, a jugé que le législateur avait probablement fait erreur en considérant la prise en charge sur le temps méridien comme nécessaire – elle l’est pourtant bel et bien ! – à l’inclusion scolaire.
Nous avons donc besoin aujourd’hui d’une loi, afin de rétablir ce qui, de mon point de vue, n’aurait jamais dû être remis en cause par une jurisprudence et de réaffirmer la position constante du législateur et des différents gouvernements : pour qu’un enfant en situation de handicap puisse être scolarisé, il est nécessaire de prévoir un accompagnement sur le temps méridien. Et c’est une responsabilité qui incombe à l’État !
Mes chers collègues, en votant ce texte, vous rappellerez au juge que c’est le Parlement, et non la jurisprudence, qui fait la loi !
Car la jurisprudence de 2020 est venue complexifier encore la vie des parents d’enfants en situation de handicap – comme s’ils avaient besoin de cela ! –, en leur imposant de trouver un nouvel interlocuteur et d’engager des démarches supplémentaires. Les effets de bord observés n’étaient peut-être pas souhaités à l’origine, mais ils sont bien réels aujourd’hui.
Premièrement, on a assisté à une rupture dans la prise en charge des enfants en situation de handicap.
En effet, la politique de prise en charge a été mise en place pour permettre aux enfants en situation de handicap de suivre une scolarité la plus normale possible, avec des mesures d’accessibilité quand c’est faisable et des compensations humaines quand c’est nécessaire.
Or une telle rupture d’accompagnement éducatif, qui a, par exemple, obligé à des changements d’interlocuteur là où un accompagnement sur le temps méridien était maintenu, a créé des difficultés supplémentaires. On pense évidemment aux enfants atteints de troubles autistiques, mais le problème va bien au-delà de ce seul cas.
Deuxièmement, les collectivités territoriales en ont également pâti. D’abord, le transfert d’une telle responsabilité a représenté un coût financier très difficile à supporter, en particulier pour certaines communes rurales. Ensuite, alors que les communes n’étaient jusqu’à présent pas compétentes en matière de handicap, on leur a demandé de juger si tel ou tel enfant avait besoin d’être accompagné, ce qu’elles n’ont évidemment pas la capacité de faire. Enfin, les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) ne notifiant plus sur le temps méridien, les maires ont dû assumer une charge probablement trop lourde pour eux, de surcroît avec un coût pour la collectivité contraire, nous semble-t-il, à l’intention du législateur.
Troisièmement, l’enseignement privé, que les collectivités territoriales ne sont pas tenues de financer en cas de carence du financement étatique, n’avait pas non plus la possibilité d’utiliser le forfait scolaire pour rémunérer les personnels chargés de l’accompagnement sur le temps méridien. Cela a conduit à des difficultés importantes, notamment des déscolarisations d’enfants, avec, quand c’était possible, des rescolarisations dans des établissements publics voisins. Il a fallu recourir au « système D », par exemple en faisant appel au bénévolat, pratique qui ne devrait plus avoir cours à notre époque. Et il est arrivé que le ministère de l’éducation nationale maintienne des financements, malgré la décision du Conseil d’État, afin de ne pas faire de vagues…
Quatrièmement, comment aller vers une professionnalisation du métier d’AESH, comme le souhaitent les personnels concernés, avec des contrats à temps partiel, voire très partiel, ou des multi contrats ? Les AESH ont besoin d’avoir un contrat unique, avec un employeur unique, et de suivre une formation adaptée à leur métier, en l’occurrence la prise en charge.
Or c’est précisément ce que la décision du Conseil d’État ne permet pas. Et si la circulaire du 4 janvier 2023 a pu sembler constituer une avancée, on s’est aperçu qu’elle était peu appliquée. Sans doute faudrait-il d’ailleurs – c’est un autre sujet – s’interroger sur l’applicabilité des décisions du ministère de l’éducation nationale…
Je ne serai pas plus long. Comme je l’ai indiqué, ce texte simple a pour objet de résoudre des problèmes compliqués.
Certes, il ne les résoudra pas tous : si l’objectif de l’inclusion scolaire justifie la mobilisation de tous les dispositifs qui ont été mis en place, il faut revoir de fond en comble l’organisation générale.
Pour autant, nous avons aujourd’hui la possibilité de franchir une première étape. Je crois que beaucoup d’associations, d’enseignants, d’AESH et d’enfants nous attendent. Soyons au rendez-vous de l’inclusion ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDPI et INDEP, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, et INDEP, ainsi qu’au banc des commissions.)
Mme Anne Ventalon, rapporteure de la commission de la culture, de l’éducation, de la communication et du sport. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, aucune institution n’incarne mieux la promesse républicaine que l’école, à condition de veiller à faire en sorte qu’elle assume ces valeurs d’égalité et de fraternité gravées sur les frontons de nos établissements scolaires.
C’est pourquoi l’école inclusive fait l’objet d’une attention particulière et ancienne de notre commission. Je remercie donc Cédric Vial de nous avoir donné l’occasion d’en débattre en examinant sa proposition de loi visant à la prise en charge par l’État de l’accompagnement humain des élèves en situation de handicap sur le temps méridien.
La dernière fois que nous avons abordé le sujet avec le ministre de l’éducation nationale, c’était au mois de novembre dernier, dans un tout autre contexte. Sur toutes les travées de notre Haute Assemblée, nous avions dénoncé la volonté du Gouvernement de transformer les pôles inclusifs d’accompagnement localisés (Pial) en pôles d’appui à la scolarité. Cette réforme, pourtant systémique, se faisait sans concertation et en catimini lors du débat budgétaire.
Bien entendu, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui ne réglera pas à elle seule l’ensemble des problématiques auxquelles l’école inclusive doit faire face. Mais elle constitue une première étape. Il s’agit de garantir une continuité tout au long de la journée dans la prise en charge des élèves en situation de handicap scolarisés.
Combien d’enfants ont besoin d’un accompagnement humain sur le temps méridien ? Répondre avec précision à une telle question nécessiterait de disposer de données exhaustives qui – hélas ! – font défaut.
L’ordre de grandeur qui m’a été donné par les services du ministère de l’éducation nationale est de 20 000 à 25 000 élèves concernés en 2023, une estimation sans doute basse.
Ce sont en tout cas plusieurs milliers d’enfants et leur famille qui ont été perturbés par la décision du Conseil d’État du 20 novembre 2020. En effet, celui-ci a considéré que la compétence de l’État devait se restreindre à la prise en charge des situations de handicap sur la seule période scolaire. Les temps périscolaires, incluant le passage à la cantine, relèvent de la responsabilité des collectivités territoriales. Cette décision a modifié la prise en charge financière et administrative des AESH sur le temps méridien, à rebours de la pratique en vigueur.
La nouvelle situation a fait deux perdants : les élèves et leurs accompagnants. Ces AESH, qui sont principalement des femmes, ont en effet vu leur emploi du temps malmené, ne pouvant plus travailler pour l’éducation nationale sur le temps périscolaire. Surtout, elles se retrouvent à présent avec deux employeurs : l’État pour le temps scolaire, et la commune pour le temps périscolaire. Elles enchaînent ainsi les heures sans pause réglementaire de vingt minutes à midi ou sans prise en compte des temps de trajet lorsqu’elles sont affectées l’après-midi dans un autre établissement.
Les communes ont dû assumer une charge financière supplémentaire, et ce dans un contexte budgétaire contraint. Elles doivent également exercer une compétence qui n’est pas de leur ressort et peuvent ainsi avoir des difficultés pour identifier la bonne personne à recruter.
Enfin, certains élèves en situation de handicap se retrouvent sans accompagnement sur le temps méridien malgré les recommandations de la maison départementale des personnes handicapées.
D’ailleurs, afin d’éviter de mettre en difficulté des élèves qui étaient jusqu’ici accompagnés à la cantine avec une prise en charge de l’État, les personnels de l’éducation nationale ont eu pour consigne de ne pas remettre en cause les situations existantes. Le ministère m’a indiqué continuer à financer 60 % des besoins d’accompagnement sur le temps périscolaire. Bien évidemment, je salue la décision de ne pas retirer du jour au lendemain son accompagnant à un élève. Mais quid des 40 % restants ?
Car la jurisprudence du Conseil d’État entraîne des différences de traitement.
Je pense notamment aux élèves du premier degré, pour lesquels, à l’exception de ceux qui étaient déjà accompagnés en 2020, la prise en charge de l’accompagnement humain sur le temps méridien dépend des capacités de la commune. Pour le second degré, en revanche, c’est l’État qui continue de financer.
Je pense également aux élèves en situation de handicap scolarisés dans des établissements privés sous contrat.
Le forfait scolaire ne permet pas de couvrir les dépenses qui interviennent sur le temps périscolaire, contraignant les établissements à faire appel à des volontaires – parents, grands-parents ou enseignants retraités. Parfois, des AESH sont présents sans refacturation par le rectorat et la question de la responsabilité en cas d’accident de travail est passée sous silence.
Enfin, l’absence de solution a aussi malheureusement conduit certains parents à retirer leur enfant de l’établissement.
Face à ces situations et aux nombreuses questions des communes, quelle a été la réponse du ministère ?
Une note adressée aux recteurs le 4 janvier 2023 a rappelé les trois modalités pour l’organisation de la prise en charge des élèves handicapés pendant la pause méridienne : le recrutement direct par la collectivité territoriale, le recrutement en commun et la mise à disposition par l’éducation nationale d’AESH volontaires aux collectivités territoriales.
Reconnaissons-le, la mise à disposition représente un progrès. Elle permet de réduire le nombre d’employeurs des AESH et d’améliorer leurs conditions de travail, permettant aussi une vraie continuité dans le suivi des élèves en situation de handicap.
Néanmoins, elle reste difficile à mettre en œuvre pour les communes, car il n’existe pas de convention type harmonisée. La mise à disposition, qui est une convention tripartite entre le rectorat, la commune et l’AESH, reste donc un outil juridique complexe, notamment pour les petites communes.
Enfin, le conventionnement ne règle pas la question du coût pour les communes et pour les établissements privés sous contrat. Je signale d’ailleurs qu’au moins une académie applique des frais de gestion de 5 % pour la mise à disposition d’un AESH à une commune.
Au regard de cette situation confuse, que tous les acteurs s’accordent à faire évoluer, notre collègue Cédric Vial a donc déposé cette nécessaire proposition de loi, qui vise à transférer à l’État la prise en charge des AESH intervenant sur le temps méridien.
Et c’est en considérant les impératifs de solidarité et de l’intérêt de l’enfant que la commission a adopté ce texte sans modification. Celui-ci réduit les inégalités de situation entre des enfants aux besoins comparables et assure une continuité dans leur prise en charge. Je tiens à féliciter une nouvelle fois Cédric Vial de son initiative salutaire.
Une telle évolution législative pose aussi la question de la formation des AESH. Les soixante heures de formation sont sans doute déjà insuffisantes et doivent être complétées. En effet, les missions à accomplir sur le temps méridien, qui sont plus axées sur les gestes du quotidien, diffèrent du temps pédagogique.
Je conclurai mon propos par deux points.
D’abord, madame la ministre, je souhaite vous alerter sur les unités localisées pour l’inclusion scolaire (Ulis). Les élèves concernés sont affectés dans ces classes par l’éducation nationale. L’école qui les accueille peut être située dans une commune autre que leur commune de résidence. Certains élus, au motif qu’ils n’ont pas donné leur accord à une scolarisation en dehors de la commune, refusent de payer la prise en charge de l’AESH sur le temps périscolaire. La situation est telle que certains maires s’opposent aujourd’hui à l’ouverture d’une classe Ulis dans leurs écoles, en raison du reste à charge qu’elle engendre.
Ensuite, il y a urgence à réformer l’école inclusive. Il est nécessaire de remettre au cœur de ses priorités l’accessibilité physique, matérielle et pédagogique et de ne pas se reposer uniquement sur un accompagnement humain, qui ne peut pas tout.