M. Rachid Temal. De l’esprit ! (Sourires.)

M. Bruno Le Maire, ministre. … « car ce qui nous réunit est toujours plus fort que ce qui nous divise ; car la France, notre pays, notre nation, notre terre, demeurera notre fierté ; car, oui, être Français, en 2024, est une fierté.

« Notre société est plus ouverte, plus audacieuse, plus pionnière que ne le suggère l’image que nous nous renvoyons parfois à nous-mêmes.

« Être Français en 2024, c’est vivre dans un pays où l’histoire s’écrit.

« Être Français en 2024, c’est vivre dans un pays qui n’a pas renoncé à œuvrer pour le progrès social, à protéger les droits de tous, et surtout de toutes, et à en conquérir de nouveaux.

« Être Français en 2024, c’est vivre dans un pays dont l’honneur est de se battre pour la stabilité du monde, pour la justice et pour la paix.

« Être Français en 2024, c’est, dans un pays qui, il y a dix ans seulement, se déchirait autour du mariage pour tous, pouvoir être Premier ministre en assumant son homosexualité. (Mouvements divers sur les travées du groupe Les Républicains.)

« En tout cela, je vois la preuve que notre pays bouge (Mêmes mouvements.), que les mentalités évoluent et que nous n’avons aucune raison de céder à la fatalité.

« Aussi, je n’ai qu’une chose à dire à nos concitoyens, quelle que soit leur couleur de peau, leur origine, leur adresse ou leurs croyances : la France est votre pays et, en France, tout est possible !

« Madame la présidente, mesdames, messieurs les députés, oui, nous sommes fiers d’être Français et, avec vous, je veux faire briller cette fierté française.

« Je viens de vous présenter le cap de mon gouvernement, que nous avons pris sous l’autorité du Président de la République, pour reprendre pleinement notre destin en main et restaurer notre souveraineté.

« Aujourd’hui, nous sommes prêts : prêts à voir la vérité en face ; prêts à écouter et prêts à entendre la voix de tous les Français ; prêts à agir ; prêts à œuvrer sans relâche, fidèles à notre devise républicaine ; prêts à garantir la liberté ; prêts à œuvrer pour plus d’égalité ; prêts à toujours choisir la fraternité. (Mme Sophie Primas manifeste sa lassitude.)

« En effet, madame la présidente, mesdames, messieurs les députés, nous ne sommes pas n’importe quel pays. Nous ne serons jamais une puissance moyenne, qui se résignerait au déclin avec fatalité.

« Nous ne sommes pas condamnés à subir. Au contraire, nous sommes déterminés à agir, déterminés à prendre notre destin en main, déterminés parce que nous sommes la France et que rien ne résiste au peuple français ! » (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP, ainsi que sur des travées des groupes RDSE et UC.)

M. le président. Acte est donné de la déclaration de politique générale dont il vient d’être donné lecture au Sénat.

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures vingt, est reprise à seize heures trente-cinq, sous la présidence de M. Alain Marc.)

PRÉSIDENCE DE M. Alain Marc

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

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Article 16 (interruption de la discussion)
Dossier législatif : proposition de loi instituant des mesures judiciaires de sûreté applicables aux condamnés terroristes et renforçant la lutte antiterroriste
Explications de vote sur l'ensemble (début)

Condamnés terroristes et lutte antiterroriste

Suite de la discussion et adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

M. le président. L’ordre du jour appelle les explications de vote des groupes et le vote par scrutin public solennel sur la proposition de loi instituant des mesures judiciaires de sûreté applicables aux condamnés terroristes et renforçant la lutte antiterroriste, présentée par M. François-Noël Buffet et plusieurs de ses collègues (proposition n° 202, texte de la commission n° 259, rapport n° 258).

Mes chers collègues, je vous rappelle que ce scrutin s’effectuera depuis les terminaux de vote. Je vous invite donc à vous assurer que vous disposez bien de votre carte de vote et à vérifier que celle-ci fonctionne correctement en l’insérant dans votre terminal de vote. En cas de difficulté, les huissiers sont à votre disposition.

Avant de passer au vote, je vais donner la parole à ceux de nos collègues qui ont été inscrits pour expliquer leur vote.

J’indique au Sénat que, compte tenu de l’organisation du débat décidée par la conférence des présidents, chacun des groupes dispose de sept minutes pour ces explications de vote, à raison d’un orateur par groupe, l’orateur de la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe disposant de trois minutes.

Vote sur l’ensemble

Discussion générale
Dossier législatif : proposition de loi instituant des mesures judiciaires de sûreté applicables aux condamnés terroristes et renforçant la lutte antiterroriste
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

M. le président. La parole est à M. Louis Vogel, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

M. Louis Vogel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la menace terroriste reste très forte en France ; des attentats encore récents nous empêchent de l’oublier.

Il nous appartient plus que jamais d’être vigilants face à la dynamique de radicalisation – c’est bien de cela qu’il s’agit – aujourd’hui à l’œuvre sur internet, où des individus isolés et bien souvent déséquilibrés « consomment des contenus », comme on dit aujourd’hui, qui font l’apologie du terrorisme.

Malgré ces difficultés nouvelles, de nombreux attentats sont déjoués : il faut le souligner, tout en saluant l’engagement de nos forces.

À cet égard, je tiens à revenir très brièvement sur les apports parlementaires qui ont permis d’améliorer notre procédure pénale et notre droit pénal.

Parce que la menace évolue, notre droit doit s’adapter ; c’est la force de notre démocratie ; c’est aussi l’honneur du Sénat.

Sans le travail de notre commission des lois et de la délégation parlementaire au renseignement, sans divers textes d’initiative parlementaire, comme la proposition de loi renforçant la lutte contre le terrorisme et le suivi des condamnés terroristes à leur sortie de détention, déposée par nos collègues Philippe Bas et Marc-Philippe Daubresse, notre droit ne serait doté aujourd’hui ni d’infractions spécifiques ni de procédures adaptées aux nouveaux phénomènes que nous subissons.

Je pense en particulier à la loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, dite loi Silt. Ce texte, qui a démontré son efficacité, fait l’objet d’un suivi régulier par le législateur.

Je pense aussi à la loi du 30 juillet 2021 relative à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement, qui a pérennisé et adapté certaines des dispositions de 2017, notamment par une mesure de sûreté pour les terroristes sortant de prison, et renforcé la loi sur le renseignement de 2015.

Le présent texte, que nous nous apprêtons à voter, renferme quant à lui diverses solutions nouvelles élaborées dans le même esprit.

Tout d’abord, il vise à assurer un meilleur suivi des personnes condamnées pour terrorisme. Cet enjeu a toute son importance : rien ne sert de condamner si, par la suite, les individus dont il s’agit ne font pas l’objet d’une vigilance constante. Le juge pourra prononcer davantage d’obligations de surveillance. Les terroristes les plus dangereux, y compris ceux qui souffrent de troubles psychiatriques, pourront par ailleurs faire l’objet d’une mesure de rétention de sûreté.

Ensuite, pour ce qui concerne les mineurs radicalisés, cette proposition de loi permet de déroger aux durées limites de placement en centre éducatif fermé ou en centre de rétention.

En outre, le présent texte s’efforce d’adapter notre droit aux nouvelles formes de radicalisation, dites en ligne.

Le constat était déjà simple en 2021. Il l’est tout autant en 2024 : la menace évolue, et notre droit doit s’adapter, dans le respect des libertés publiques.

À cette fin, la commission a fait le choix de créer un délit de détention de contenus apologétiques, lorsque cette dernière va de pair avec l’adhésion à une idéologie terroriste.

Or, qu’il s’agisse du texte de 2021 ou de cette proposition de loi, la Constitution doit rester notre seul cadre : en ce sens, même si l’objectif est louable, ce délit ne nous paraît pas, en l’état, de nature à échapper à la censure du Conseil constitutionnel.

M. Louis Vogel. Les sages de la rue de Montpensier ont déjà eu l’occasion de juger que ni cette adhésion ni la détention de tels contenus « ne sont susceptibles d’établir, à elles seules, l’existence d’une volonté de commettre des actes terroristes ou d’en faire l’apologie ». Il nous semble donc que, sur ce point, l’ouvrage devra être remis sur le métier.

Pour ce qui concerne la radicalisation hors ligne, nous sommes favorables à l’aggravation des peines de provocation ou d’apologie du terrorisme lorsque les actes visés sont commis au sein des lieux de culte ou par des ministres des cultes. Essentiels à l’exercice de la liberté de religion, les lieux de culte ne doivent en aucun cas participer au mouvement de diffusion de la haine.

La commission a également envisagé une mesure d’interdiction de paraître dédiée aux grands événements.

Nous faisons nôtre l’objectif – il s’agit d’éloigner les personnes dangereuses des grands rassemblements, notamment à l’approche des jeux Olympiques et Paralympiques –, mais la suite de ce travail législatif, notamment à l’Assemblée nationale, devra parfaire le dispositif, afin qu’il s’inscrive pleinement dans l’arsenal existant.

Enfin, le présent texte procède à un certain nombre de corrections.

L’ouverture de nouveaux droits à nos concitoyens fournit parfois des moyens faciles aux malfaiteurs. La simplification de la procédure de changement de nom en est un exemple : il n’a jamais été si facile de sortir des fichiers de la police !

Cette proposition de loi comble la lacune dont il s’agit, et c’est une bonne chose. Désormais, le procureur de la République sera systématiquement saisi par l’officier d’état civil lorsque la demande émanera d’un auteur de crime terroriste.

Voilà autant de mesures qui seront utiles pour protéger nos concitoyens.

Mes chers collègues, au total, cette proposition de loi nous permettra de lutter plus efficacement contre le terrorisme tout en préservant la liberté des Français : les élus du groupe Les Indépendants – République et Territoires sont donc pleinement favorables à son adoption. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur des travées du groupe RDPI.)

M. Emmanuel Capus. Excellent !

M. le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Philippe Bonnecarrère. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les élus du groupe Union Centriste voteront eux aussi cette proposition de loi de lutte contre le terrorisme, pour deux raisons principales.

Premièrement, notre position résulte d’un choix de responsabilité, à l’heure où la France reste soumise à la menace terroriste.

Monsieur le ministre de l’intérieur, vous nous avez tracé la semaine dernière un tableau de cette menace en détaillant ses diverses évolutions ; pour sa part, le Sénat est dans son rôle en se demandant si nous avons bel et bien tout fait pour lutter contre le terrorisme.

Je ne vous apprendrai rien en rappelant que les mesures ici proposées émanent du parquet national antiterroriste et de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI). Si nous reprenons ces suggestions, c’est précisément dans l’esprit de responsabilité que je viens d’invoquer.

Le Gouvernement aurait tort de s’en offusquer ou d’y voir, en creux, des critiques formulées à l’approche des jeux Olympiques. Proposer de nouvelles mesures pour lutter contre le terrorisme, ce n’est pas faire de mauvaises manières politiques ou adresser de quelconques reproches indirects.

Au demeurant, le Parlement n’a jamais perdu de vue l’importance de la lutte contre le terrorisme ; souvenons-nous des mesures adoptées en 2015 au titre de l’état d’urgence, de la loi dite Silt de 2017, de la loi de 2020 et, plus récemment encore, de la loi de 2021 sanctuarisant les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance, dites Micas.

Deuxièmement, le présent texte a le mérite de nous doter d’une utile boîte à outils.

Tout ce qui permet de supprimer des angles morts dans la lutte contre le terrorisme mérite d’être pris en considération, notamment quand les idées viennent de nos meilleurs policiers et de nos magistrats spécialisés.

Dans cette boîte à outils, les membres de notre groupe retiennent deux dispositifs majeurs.

La première de ces avancées, c’est la mesure de sûreté. À ce titre, nous nous accordons quant au diagnostic : non seulement la menace terroriste a changé, mais nous voyons se profiler la fin des peines d’emprisonnement de personnes très lourdement condamnées. Or nombre de ces individus sont restés fidèles à une idéologie radicale ou sont atteints de troubles psychiques.

Ces profils prédominent chez les personnes qui passent à l’acte et l’expression d’un tel constat, dressé la semaine dernière par M. le garde des sceaux lui-même, ne fait pas pour autant de nous les adeptes d’une quelconque justice prédictive.

Monsieur le rapporteur, vous nous avez proposé de rendre plus opérationnelle la mesure de sûreté tout en l’objectivant, soit par une probabilité plus élevée de récidive, soit par la notion d’adhésion avérée à une idéologie radicale.

Parallèlement, vous nous avez suggéré d’exclure les mesures de surveillance les plus attentatoires aux libertés individuelles et de limiter notre action aux personnes condamnées pour des crimes à caractère terroriste, en optant pour un haut niveau de sanction. En résumé, vous avez tenu à assortir la mesure de sûreté de fortes garanties.

La seconde de ces avancées, c’est la pénalisation de la détention de contenus faisant l’apologie du terrorisme.

Mes chers collègues, que peut faire la société si, à l’occasion d’une visite domiciliaire, on révèle la détention ou l’enregistrement de données à caractère terroriste dans l’ordinateur ou sur le téléphone mobile de l’intéressé ? À l’heure actuelle, rien.

Il semble raisonnable de judiciariser ce type de situation ; ce faisant, nous aurons davantage de moyens de suivre l’intéressé.

Monsieur le rapporteur, à ce titre, vous nous proposez également des garanties, en restreignant la mesure prévue aux contenus les plus graves et en précisant que l’on recherchera si l’individu concerné donne les preuves d’une adhésion à une idéologie radicale.

Contrairement à ce que j’ai pu entendre, le Conseil constitutionnel, en 2020, a non pas censuré cette mesure,…

M. Philippe Bonnecarrère. … mais émis une réserve d’interprétation.

Comme M. Vogel, j’ai relu la décision du Conseil constitutionnel, lequel insiste avec force sur la lourdeur des peines encourues.

Peut-être pourriez-vous tirer parti de la navette pour examiner de plus près la question de l’échelle des peines. Si nous descendions d’un cran, l’objectif que vous visez ne serait menacé en rien, puisqu’il s’agit en réalité de pouvoir judiciariser la personne concernée.

Dans cette palette de mesures, je suis un peu plus réservé quant à la portée du bannissement numérique en tant que peine complémentaire. En effet, je vois mal comment empêcher les intéressés de créer des profils successifs.

De même, nous éprouvons quelques doutes quant à l’effectivité de l’interdiction de paraître dans les transports en commun, même si nous comprenons que les auteurs du présent texte, à l’instar de M. le rapporteur, ont à l’esprit la sécurité des jeux Olympiques.

Mes chers collègues, les deux principales dispositions soumises à notre vote, à savoir la mesure de sûreté et la pénalisation de la détention de contenus faisant l’apologie du terrorisme, ne sont certes pas décisives – soyons modestes –, mais elles seraient utiles.

Reste cette question : sont-elles constitutionnelles ? Vaste sujet…

À mon sens, nous devons avant tout garder à l’esprit cet impératif : toute mesure restrictive de liberté doit être nécessaire, proportionnée et adaptée. L’évolution de la menace terroriste, que j’évoquais en préambule, change également la manière d’y répondre et alimente nos propositions au titre de cette boîte à outils.

Sans offrir une certitude absolue, les garanties proposées témoignent du sérieux de la démarche engagée. Une société – faut-il le rappeler ? – a le droit de se protéger : ce constat est, pour les élus du groupe Union Centriste, le fil conducteur d’une position de responsabilité. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à M. Guy Benarroche, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. Guy Benarroche. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, « un État démocratique doit s’opposer à la barbarie du terrorisme en évitant d’affaiblir l’État de droit et le respect des droits de l’homme. Ne pas réussir à trouver cet équilibre serait une victoire pour les terroristes », disait Nils Muižnieks, ancien commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe.

M. le garde des sceaux le rappelait la semaine dernière dans cet hémicycle : l’État de droit n’est pas un obstacle à la lutte contre le terrorisme. Bien au contraire, il en est l’instrument.

Le président de notre commission des lois, François-Noël Buffet, soulignait quant à lui que l’équilibre des lois de lutte contre le terrorisme est un enjeu clé de notre société. Nous devons bel et bien suivre une ligne de crête entre la proportionnalité des mesures et l’efficacité de la lutte antiterroriste, alors que la menace terroriste, dont nul ne nie l’existence, est à la fois forte et protéiforme.

Suivi et surveillance judiciaire aux critères de prononcé plus souples, nouveau régime de rétention de sûreté réservé aux condamnés terroristes encore engagés dans une idéologie radicale, extension des possibilités de placement sous contrôle judiciaire pour les mineurs en centre éducatif fermé, ou encore introduction d’un nouveau délit de recel d’apologie de terrorisme, toutes ces mesures le démontrent : sous prétexte d’une efficacité par ailleurs non démontrée, notre assemblée a rompu avec cet équilibre.

L’utilité, la constitutionnalité de ce texte, la proportionnalité, l’opérationnalité des mesures et tout simplement leur efficacité ne nous paraissent pas au rendez-vous.

Je le répète, nous faisons nôtres les principaux constats dressés par les auteurs de cette proposition de loi, ainsi que par M. le rapporteur, qu’il s’agisse des difficultés de prise en charge, y compris psychologique et psychiatrique, des condamnés terroristes à l’issue de leur peine, de l’imprévisibilité croissante des attaques terroristes, souvent perpétrées par des loups solitaires, ou encore de la radicalisation toujours plus forte des mineurs. Mais – c’est là où le bât blesse – aucune des mesures du présent texte ne permet de répondre à ces problématiques.

La prise en charge et le suivi, notamment psychiatriques, des condamnés terroristes après leurs peines ne peut être menée au prix de la suppression des garanties des justiciables.

On ne peut juguler l’autoradicalisation sans comprendre et prendre en charge l’isolement social et les pathologies parfois psychiatriques des individus.

On ne peut envisager la radicalisation des mineurs sous le seul biais de la surveillance, sans se préoccuper de l’accompagnement nécessaire de ces populations parfois fragiles.

M. Darmanin l’a rappelé : la moitié des personnes impliquées dans un projet d’attentat depuis 2021 avaient moins de 20 ans, étaient isolées socialement et très connectées virtuellement, et 30 % d’entre elles étaient instables d’un point de vue psychiatrique. Attaquons-nous à cette réalité ! Les élus de notre groupe se désolent que rien, dans le présent texte, n’aille en ce sens.

Au lieu de renforcer la prévention et l’accompagnement de la radicalisation pour les mineurs, l’on durcit la procédure pénale à leur encontre.

Dans une étude datant de 2018, l’Institut français des relations internationales (Ifri) démontrait que la majorité des actes terroristes étaient perpétrés par des personnes sans antécédent judiciaire. La pauvreté et l’isolement social sont également des facteurs propices à la radicalisation ; mais, sur ces sujets, le présent texte reste également muet.

Cette proposition de loi n’est donc pas équilibrée ; surtout, elle n’a pas évité l’écueil d’une justice prédictive.

Les contorsions auxquelles ce sujet donne lieu n’ont de cesse de nous étonner : les termes « lorsque son comportement manifeste qu’il ne respecte pas les principes de la République » nous paraissent à la fois bien fragiles et bien flous. Nous sommes bel et bien face à un risque d’arbitraire.

Cette rédaction se fonde sur la notion de « dangerosité », figurant dans la loi du 10 août 2020 instaurant des mesures de sûreté à l’encontre des auteurs d’infractions terroristes à l’issue de leur peine.

Or, à ce titre, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) avait pris soin de formuler une mise en garde : « La commission rappelle que le système judiciaire français se fonde sur un fait prouvé et non sur la prédiction aléatoire d’un comportement futur. Elle s’inquiète donc de l’instauration de mesures restrictives de liberté reposant sur un fondement aussi incertain, source inévitable d’arbitraire. »

Nous regrettons, tout comme M. le ministre de l’intérieur – ce n’est pas courant ! –, l’affichage de la peine complémentaire d’inscription au fichier des personnes recherchées des personnes interdites de transports en commun. Je parle bien d’affichage, car les personnels des transports n’ont pas accès à ce fichier. M. le ministre a d’ailleurs rappelé que certains d’entre eux y figuraient.

De même, le présent texte ne renforce en rien la coopération européenne ou internationale pour ce qui concerne le financement du terrorisme ou la lutte contre le rôle plus que trouble de certains pays disposant d’une puissance régionale.

Nous continuons de dénoncer les manques de moyens humains dédiés au suivi psychiatrique en prison, aux acteurs de la réinsertion, au temps d’enquête, nécessairement long, mis à mal par la politique du chiffre imposée aux policiers, ou encore à la gestion des signalements sur la plateforme d’harmonisation, d’analyse, de recoupement et d’orientation des signalements (Pharos).

Cerise sur le gâteau – passez-moi l’expression –, le présent texte a repris un certain nombre de mesures du projet de loi relatif à l’immigration avant même la décision du Conseil constitutionnel, qui, depuis lors, les a déclarées contraires à la Constitution.

Les articles 9 et 10 contiennent en effet des mesures de la loi récemment censurée.

M. Gérald Darmanin, ministre de lintérieur et des outre-mer. Ce sont des cavaliers…

M. Guy Benarroche. Alors que notre assemblée s’honore d’œuvrer pour la lisibilité du droit, cette démarche nous paraît délétère.

J’y vois la marque d’un véritable entêtement. Cette volonté d’affichage politique d’une idéologie que nous rejetons se double, de manière insidieuse, d’une attaque portée au Conseil constitutionnel, d’une remise en cause de son rôle.

Au sujet de la consultation des contenus, j’observe du reste que le Gouvernement n’a pas exprimé d’avis défavorable sur notre amendement visant à supprimer l’article 11,…

M. Gérald Darmanin, ministre. Bien observé !

M. Guy Benarroche. … lequel recrée le délit de recel de contenus, une disposition déjà censurée par le Conseil constitutionnel.

Enfin, mes chers collègues, à l’article 18, nous avons défendu un amendement qui est à nos yeux essentiel : il s’agissait de consolider la jurisprudence du Conseil d’État, qui distingue violences contre les biens et violences contre les personnes.

À la suite des manifestations de Sainte-Soline, M. le ministre de l’intérieur a qualifié les manifestants d’écoterroristes et lancé la vindicte à l’encontre du mouvement des Soulèvements de la Terre, tout en remettant en cause les travaux et le financement de la Ligue des droits de l’homme.

Les écologistes ont toujours défendu les libertés associatives et syndicales. De même, nous avons toujours déploré l’acharnement pour le moins déraisonnable subi par certaines associations.

Aujourd’hui plus que jamais, il nous paraît essentiel de limiter l’arbitraire avec lequel l’État s’attaque à certaines manifestations et à certains manifestants. A contrario, nous sommes ébahis de voir à quel point M. le ministre minimise certains faits et accepte certaines dégradations.

L’État doit protéger ses services et ses agents, tout comme il doit protéger le droit de manifester en toute sécurité.

Toutes les colères, toutes les revendications doivent pouvoir s’exprimer dans notre République. Aucune souffrance, quelle qu’elle soit, ne doit être accueillie par une interdiction de manifester et par des cordons de CRS.

En parallèle, il faut protéger des tentatives de dissolution arbitraire dont elles font l’objet certaines des associations de désobéissance civile qui organisent des actions d’occupation, qui ne propagent en aucun cas la haine et ne commettent pas de violence envers qui que ce soit.

Mes chers collègues, cette proposition de loi ne répond pas aux problématiques exposées, aux analyses communes qui ont été établies et, en somme, à la réalité. Elle est tout simplement dangereuse.

Les élus de notre groupe voteront contre ce texte. (Applaudissements sur des travées du groupe GEST.)

M. le président. La parole est à M. Ian Brossat, pour le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky.

M. Ian Brossat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la lutte contre le terrorisme est une priorité absolue et indiscutable ; il est de notre responsabilité collective de mettre en place des dispositifs efficaces pour assurer la sécurité de nos concitoyens.

Cette tâche complexe requiert une exigence particulière : veiller collectivement à ne pas céder au terrorisme. À cet égard, la société française a résisté de manière remarquable. Nous avons fait, ensemble, le choix de ne pas sacrifier notre État de droit. Cet impératif doit rester notre boussole.

En la matière, le contexte a singulièrement évolué entre mardi dernier et aujourd’hui. Je pense évidemment à la décision par laquelle le Conseil constitutionnel a censuré un peu moins de la moitié du projet de loi sur l’immigration.

Cette décision n’est pas sans impact sur nos débats d’aujourd’hui, car plusieurs des mesures du présent texte ont été, de fait, censurées à cette occasion.

Le Gouvernement avait anticipé cette décision, trompant ainsi ses alliés et renvoyant sa responsabilité politique à une institution dont le rôle n’est certainement pas de l’assumer.

Une telle instrumentalisation du Conseil constitutionnel et des droits fondamentaux, pour obtenir à tout prix un accord de part et d’autre, doit nous conduire à nous interroger sur notre façon de faire la loi.

Notre droit ne vaut pas seulement par temps calme. Il est fait pour résister à tous les temps. À cet égard, nous en sommes profondément convaincus : une société où le droit prime et où, en toutes circonstances, la démocratie est érigée en principe est à la fois mieux armée et plus solide pour répondre aux enjeux de son temps et aux périls qu’elle doit affronter.

La lutte contre le terrorisme peut nous rendre plus forts si elle nous permet de renouveler et de renforcer la confiance dans nos institutions démocratiques.

Aujourd’hui, nous étudions une proposition de loi dont l’ambition initiale, salutaire, est la lutte contre le terrorisme, mais dont certaines dispositions vont de fait bien au-delà – M. Benarroche vient de le souligner.

Les amendements de M. le rapporteur, aussi bien en commission qu’en séance, ont même aggravé ce travers.

Je pense notamment à l’article 1er bis, qui faisait initialement de « l’inconduite notoire » le motif de retrait d’un sursis probatoire ou d’un suivi sociojudiciaire, peu importe l’infraction, qu’elle soit en lien ou non avec le terrorisme. Dorénavant, ce motif sera le non-respect des principes de la République, une notion qui ferait ainsi son entrée dans la procédure pénale.