M. Marc-Philippe Daubresse. Elle y figure déjà !
M. Ian Brossat. Je pense aussi aux articles 1er ter, 8, 8 bis, 8 ter, 15 bis et 15 quater.
En définitive, un quart des articles sont dénués de tout lien avec l’objectif initial de cette proposition de loi. Nous sommes face à une forme d’insincérité et face à une mise en cause, selon nous inutile, de l’État de droit.
M. Marc-Philippe Daubresse. Relisez la Constitution !
M. Ian Brossat. Mes chers collègues, j’en viens maintenant au fond du présent texte, qui traite essentiellement, tout en débordant parfois du sujet, des moyens juridiques permettant la prévention de la récidive des personnes condamnées pour terrorisme.
Notre arsenal législatif a considérablement évolué ces dernières années ; il existe désormais de nombreux dispositifs permettant le suivi des condamnés pour terrorisme à l’issue de leur détention.
Dans la lutte contre le terrorisme, nous devons avant tout rechercher l’efficacité. Or, selon nous, les deux principaux articles de ce texte, à savoir les deux premiers, n’y contribuent pas, au contraire.
Ainsi, en modifiant un certain nombre de critères, l’article 1er aurait pour effet de créer une nouvelle appréciation de la radicalisation, qui ne serait pas cohérente avec les autres dispositifs et risquerait même de les fragiliser.
Enfin, cette proposition de loi, qui traite principalement des personnes sortant de prison, nous place tous face à la question suivante : considérons-nous ces personnes comme irrécupérables ? Le point aveugle de ce texte est précisément la prison et la mission de prise en charge assignée à l’administration pénitentiaire.
Le monde carcéral est le talon d’Achille de notre société face à la radicalisation ; il manque cruellement de moyens pour prendre à bras-le-corps ce problème. Il faut s’attaquer aux causes profondes du terrorisme, en déployant des politiques cohérentes de prise en charge des détenus radicalisés et de prévention de la radicalisation en prison.
Mes chers collègues, vous l’aurez compris : si nous approuvons l’objectif de ce texte, nous ne souscrivons pas à son contenu. En conséquence, nous ne voterons pas cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K, ainsi que sur des travées des groupes SER et GEST.)
M. le président. La parole est à M. Michel Masset, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Michel Masset. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les membres du groupe RSDE partagent les objectifs des auteurs de ce texte comme les dispositifs qu’ils proposent.
Je ne reviens pas sur l’importance d’adapter notre législation à la menace terroriste, laquelle évolue sans cesse. Toutefois, il nous faut garder à l’esprit que durcir la législation répressive est en quelque sorte un aveu d’échec de nos sociétés, qui n’ont pas su empêcher que des crimes soient commis.
Nombre des dispositions prévues dans cette proposition de loi ne posent pas de difficulté à nos yeux. Je pense à celles qui tendent à renforcer la mesure judiciaire de prévention de la récidive terroriste et de réinsertion ou à aggraver certaines peines liées à la commission d’actes terroristes. Je pense également aux mesures d’investigation, comme l’allégement de la procédure d’autorisation d’achat de fournitures dans le cadre des enquêtes sous pseudonyme.
Mes chers collègues, au terme de l’examen de ce texte, il y a toutefois lieu de vous faire part, sinon de réserves, du moins de points de vigilance particuliers, qui tiennent à l’équilibre que doit toujours maintenir notre législation entre exigences fondamentales d’un État de droit et nécessités répressives de la lutte antiterroriste.
Je souhaite ainsi appeler votre attention sur l’article 1er bis, qui introduit le motif d’un « comportement [qui] manifeste qu’il ne respecte pas les principes de la République » pour révoquer le sursis probatoire. Malgré la disparition de la notion d’« inconduite notoire », la nouvelle disposition pâtit encore d’un certain flou. Elle pourrait soulever des problèmes, comme cela a été rappelé au cours de nos débats.
Dans un autre registre, je souhaite revenir sur les dispositions de l’article 7 bis. Il est en effet prévu que l’appel formé par le ministre de l’intérieur contre un jugement d’annulation d’un renouvellement des Micas entraîne de plein droit la prolongation des effets de la mesure initiale.
À première vue, cette disposition m’a semblé bonne : mieux vaut avoir quelques certitudes avant d’annuler les Micas ! Toutefois, j’ai également été sensible aux arguments avancés par certains de nos collègues, nous alertant sur le risque de dérives. En effet, ces mécanismes juridiquement automatiques priveraient les magistrats d’une part de leur liberté d’appréciation et marqueraient une forme de défiance à leur égard.
Je prendrai enfin l’exemple de l’article 11, qui réintroduit, dans une rédaction restreinte, le délit de recel d’apologie du terrorisme, lequel n’a pas fait l’objet de modifications en séance.
Là encore, nous comprenons l’objet de cette disposition et nous aurions même tendance à le soutenir. Reste que nous savons que le Conseil constitutionnel a conclu, dans une décision du mois de juin 2020, que « le délit de recel d’apologie d’actes de terrorisme port[ait] à la liberté d’expression et de communication une atteinte qui n’[était] pas nécessaire, adaptée et proportionnée ».
Certes, les auteurs du texte ont ajouté des critères, afin de prévenir une éventuelle censure. Cela étant, je rappelle, comme l’a déjà fait M. le garde des sceaux, que l’adhésion ne suffit pas à caractériser la volonté de commettre un acte terroriste ou d’en faire l’apologie. Il faut donc veiller à ne pas créer une infraction qui serait seulement fondée sur des soupçons de criminalité.
J’en viens aux réponses apportées au problème des mineurs radicalisés ou en voie de radicalisation.
La position du groupe RSDE s’inscrit dans le droit fil des propos que j’ai tenus lors de précédents débats : nous sommes attachés au principe d’un droit pénal spécial et autonome pour les mineurs ; nous appelons également à prévenir toute judiciarisation à outrance du destin de jeunes en construction.
Il faut absolument renforcer la prévention contre la radicalisation, notamment par des mesures éducatives et sociales. L’environnement dans lequel grandissent les mineurs joue un rôle prépondérant dans leur disposition à accueillir favorablement ou non des discours de radicalisation.
Mes chers collègues, je termine en rappelant que l’État de droit est le cadre garantissant aux citoyens le respect de leurs droits et libertés. Ce cadre assure l’efficacité de la loi ; il est la force de la République.
Bien sûr, je vois grandir la défiance envers les juges, qui livreraient parfois des interprétations contraires aux intérêts de certains – ou à certains intérêts –, mais il y va de l’intérêt général et de notre responsabilité de garantir avec volontarisme les droits et libertés constitutionnellement protégés.
L’atteinte à ces principes est un point de non-retour dont nous devons nous tenir le plus possible éloignés. Je sais que la navette parlementaire, si elle est conduite dans des conditions normales, nous permettra d’aboutir à une bonne version du texte, efficace et protectrice.
Malgré ces réserves, considérant les objets du texte et les modifications qui y ont été apportées, notre groupe votera majoritairement pour. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. Olivier Bitz applaudit également.)
M. Marc-Philippe Daubresse. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme Patricia Schillinger. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour délibérer sur la proposition de loi instituant des mesures judiciaires de sûreté applicables aux condamnés terroristes et renforçant la lutte antiterroriste, présentée par notre collègue François-Noël Buffet.
Au cours de son examen en commission puis en séance publique, nous avons de façon unanime reconnu l’importance cruciale de son objet : la lutte antiterroriste. Il y va de la sécurité de notre nation, mais aussi – et surtout – de la préservation de nos valeurs démocratiques.
Par-delà les drames humains, je rappelle, car c’est un point essentiel, que ce sont l’unité et les valeurs fondamentales de notre République qui sont prises pour cible.
Afin de contenir la menace terroriste et de contrer les fléaux qu’elle peut entraîner, nous avons, depuis 2017, en transcendant les clivages partisans, considérablement renforcé les moyens juridiques, judiciaires et administratifs permettant de garantir la sécurité de nos concitoyens.
Conjuguées à l’action exemplaire de nos forces de l’ordre et de nos services de renseignement, ces mesures ont permis de prévenir la commission de nombreux attentats.
Toutefois, comme l’ont rappelé les tragiques événements d’Arras et du pont de Bir-Hakeim, la menace terroriste reste prégnante dans notre pays. Elle évolue de manière plus diffuse et plus imprévisible depuis 2015.
Un certain nombre des dispositions du texte nous semblent ainsi aller dans le bon sens. Je pense à la suppression de l’autorisation préalable du procureur de la République ou du juge d’instruction dans le cadre des enquêtes sous pseudonyme, à l’interdiction de paraître dans les transports en commun pour les grands événements ou encore à l’élargissement des motifs de dissolution d’une association ou d’un groupement de fait.
Par ailleurs, la commission des lois a grandement contribué à enrichir le texte et nous tenons à saluer le travail de son rapporteur.
Plusieurs mesures nous semblent de nature à renforcer la sécurité de nos concitoyens. Je pense au caractère suspensif de l’appel interjeté par le ministre de l’intérieur en cas de jugement d’annulation des Micas, à la possibilité de prolonger la rétention administrative d’un étranger dont l’expulsion a été prononcée en lien avec des faits de provocation directe à des actes de terrorisme ou d’apologie du terrorisme. C’est également le cas de l’information transmise aux préfets de la prise en charge médicale sans leur consentement de personnes radicalisées ou de l’introduction d’un délit d’apologie du terrorisme dans les réseaux privés de communication.
Si nous pouvons partager un certain nombre de mesures contenues dans ce texte, au sein du groupe RDPI, nous demeurons convaincus de la nécessité de déployer nos efforts contre la menace terroriste dans le respect de l’État de droit et des principes fondamentaux qui le régissent.
À ce titre, en séance publique, nous avons salué les efforts déployés par M. le rapporteur pour atteindre le nécessaire équilibre entre lutter efficacement contre le terrorisme et garantir les droits et libertés constitutionnels.
Toutefois, au terme de son examen par notre assemblée, certaines des dispositions du texte ne nous paraissent pas encore satisfaisantes.
Aussi, les craintes que nous avons exprimées vis-à-vis de certaines mesures demeurent, craintes qui ont du reste été assez largement partagées par tous les groupes de cet hémicycle.
Si la substitution de la notion de « comportement manifeste » attestant du non-respect des principes de la République à la notion d’« inconduite notoire » témoigne d’un effort de compromis, force est de constater que cette nouvelle condition demeure tout aussi floue.
La possibilité de déclencher une mesure de sûreté sur le fondement d’un simple critère de dangerosité, en l’absence de tout trouble mental médicalement constaté, nous semble en contradiction très nette avec la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Elle suscite en outre des inquiétudes quant à une possible orientation vers une justice prédictive.
Bien que la rédaction de la proposition de loi ne soit pas encore optimale, le groupe RDPI se rallie au caractère d’intérêt général du texte et à l’objectif de sécurité publique que ses auteurs visent.
C’est pourquoi nous voterons ce texte. Nous avons bon espoir que la navette parlementaire réponde à nos réserves quant à la constitutionnalité de certaines mesures. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. Jérôme Durain, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Jérôme Durain. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour expliquer notre position sur la proposition de loi instituant des mesures judiciaires de sûreté applicables aux condamnés terroristes et renforçant la lutte antiterroriste, je reviendrai sur le contexte de son élaboration et sur son contenu.
Le contexte est lourd : notre pays fait toujours face à un niveau de menace terroriste élevé, menace protéiforme en raison des idéologies inspirant l’action de terroristes potentiels. L’islamisme radical constitue sans aucun doute le danger le plus immédiat, comme les trop nombreux attentats commis dans notre pays le rappellent régulièrement.
Cela ne signifie pas que le danger ne puisse pas émaner d’autres idéologies. Le ministre de l’intérieur a d’ailleurs rappelé lors des débats le danger toujours plus présent que constitue l’ultradroite. Il s’agit d’une menace raciste, suprémaciste, accélérationniste, clairement identifiée par les plus hautes autorités du renseignement de notre pays.
D’autres menaces font peser sur la communauté nationale des dangers substantiels pour les années à venir. Notre groupe n’en minore aucune.
La menace terroriste est aussi protéiforme par ses modes d’action. La possibilité d’une attaque de masse, à l’instar de celle que notre pays a subie à Paris en 2015, existe toujours, même si l’affaiblissement relatif des capacités de projection à l’étranger des organisations islamistes radicales internationales l’a fait baisser d’un cran, notamment grâce à l’action de nos forces de défense et de nos services de renseignement.
Les attaques les plus récentes sont le fait de ceux que l’on appelle communément des « loups solitaires ». Il s’agit d’individus dont le passage à l’acte est pour l’essentiel la conséquence de la déstabilisation opérée par des idéologies fanatiques – ils sont manipulés par les discours de haine répandus sur les réseaux sociaux – et par l’instrumentalisation pernicieuse du contexte national et international.
Le contexte mondial, vous le savez comme moi, est marqué par le risque important et jamais démenti que notre pays soit pris pour cible de façon prioritaire par des ennemis pour qui la place particulière de la France sur la scène internationale est insupportable.
Attaquée, menacée, parfois divisée, la France tient toujours son rang. Elle continue de faire vivre ses valeurs et de jouer son rôle diplomatique et militaire. Elle ne cesse de vouloir vivre, tout simplement.
Nous organisons les jeux Olympiques et Paralympiques de Paris. Nous tentons de peser en faveur de la résolution des conflits les plus durs ; nous ne réussissons pas toujours bien sûr, mais nous essayons toujours, en gardant en tête l’idéal démocratique qui constitue aussi notre identité.
Le contexte sécuritaire national, c’est la libération, dans les années à venir, de détenus condamnés pour des actes terroristes graves.
J’en reviens maintenant au texte sur lequel nous sommes amenés à nous prononcer aujourd’hui.
Je constate tout d’abord que ses premiers signataires sont MM. Buffet, Retailleau et Marseille, qui ont joué un rôle de premier plan lors d’un récent épisode législatif… (Sourires sur des travées du groupe SER.)
Leur intention est louable, puisque tous trois souhaitent, au travers de ce texte, « améliorer le suivi post-carcéral des individus condamnés pour des faits de terrorisme » ou encore « compléter l’arsenal administratif et pénal de lutte antiterroriste », ainsi que l’indique l’exposé des motifs.
Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain a maintes fois témoigné de sa volonté constante de faire face à la menace qui pèse sur nos concitoyens, comme l’a rappelé ma collègue Corinne Narassiguin, au cours des débats.
Lorsque nous étions aux responsabilités, nous avons fait évoluer le droit. Ainsi, en 2014, nous avons créé de nouvelles infractions, afin de permettre la judiciarisation de personnes n’étant pas encore passées à l’acte et de renforcer la capacité de l’action judiciaire. En 2015, nous avons proposé la loi relative au renseignement. De plus, la loi du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale a introduit la « peine complémentaire » de « suivi socio-judiciaire ».
Plus récemment, notre groupe a voté la loi du 24 janvier 2023 d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur, dite Lopmi, pour doter nos services de renseignement de moyens supplémentaires.
Cependant, les solutions proposées par le texte que nous examinons aujourd’hui nous laissent sceptiques. Elles nous semblent poser des difficultés juridiques, du point de vue tant de leur constitutionnalité que de leurs effets sur le droit pénal.
La constitutionnalité de ce texte est un sujet en soi. On l’a vu lors de l’examen du projet de loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration, dit Immigration, cette question n’a pas trop perturbé la majorité de cet hémicycle.
Selon nous, elle est au contraire centrale.
D’une part, parce qu’un exemplaire original de la Constitution de la Ve République, exposé dans la salle des conférences, nous rappelle constamment à l’ordre.
D’autre part, parce qu’elle emporte de réelles conséquences pour notre société, comme nombre de voix de la droite républicaine l’ont rappelé en fin de semaine dernière. « Quand les responsables politiques chauffent tout le monde à blanc, vous risquez d’avoir une fin de mandat qui pourrait un jour ressembler à celle de Trump. » C’est bien en ces termes que s’est exprimé Xavier Bertrand.
Notre Constitution n’est pas un simple ouvrage dans une vitrine, elle constitue l’un des piliers de l’État de droit. Aussi aurions-nous apprécié de pouvoir bénéficier d’un avis du Conseil d’État sur ce texte. Or les caractéristiques formelles des propositions de loi nous privent de l’automaticité d’une telle saisine.
De tels éclairages auraient été utiles s’agissant du concept d’« inconduite notoire », mis en cause sur toutes les travées, comme de la nouvelle forme de mesure prévue pour« renforcer les Micas », selon l’expression même des auteurs. Pour autant, le Gouvernement craint que cela ne vienne « fragiliser la légalité des Micas qui seraient prononcées […], alors que les Micas permettent de prononcer des obligations plus rigoureuses ».
Voter ce texte, c’est aussi renoncer aux principes fondamentaux de notre droit pénal, tels que la présomption d’innocence, le droit à la réinsertion après la peine effectuée, le respect de la vie privée et familiale, le principe de non-rétroactivité du droit pénal et celui de non-cumul des peines.
Mes chers collègues, l’enfer est parfois pavé de bonnes intentions. Or nous craignons justement que ce texte, aux objets louables, ne se révèle infernal. Le ministre de l’intérieur et le garde des sceaux ont multiplié les avis de sagesse lors de nos débats, tout en tentant de nous faire comprendre que certaines mesures devraient être supprimées ou améliorées, à tout le moins retravaillées.
La sagesse sénatoriale peut être mise en doute, si nous adoptons des mesures dont nous connaissons d’avance la fragile constitutionnalité. Le récent épisode de la loi Immigration doit nous appeler collectivement à la plus grande prudence sur les possibilités de rattraper le tir au cours de la navette parlementaire.
Notre choix est clair : nous ne voterons pas un texte dont nous savons qu’il est en partie inconstitutionnel. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. Marc-Philippe Daubresse, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Marc-Philippe Daubresse. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous nous apprêtons à voter solennellement la proposition de loi instituant des mesures judiciaires de sûreté applicables aux condamnés terroristes et renforçant la lutte antiterroriste.
Le choix d’un tel vote, loin d’être neutre, illustre le rôle moteur joué par le Sénat depuis 2014 dans la consolidation de notre législation antiterroriste. Il permet surtout de mettre en exergue l’importance des nouveaux défis auxquels nous sommes actuellement confrontés en matière de lutte contre le terrorisme.
L’année dernière, notre pays a été frappé par des attentats barbares, tragiques illustrations de la prégnance de la violence de la radicalisation islamiste dans notre territoire et de notre vulnérabilité face à ses évolutions.
Depuis l’été 2018, 486 détenus islamistes ont été libérés ; une part significative d’entre eux restent ancrés dans une idéologie radicale, d’après la DGSI et les milieux judiciaires. Parmi les 391 détenus aujourd’hui incarcérés pour des infractions terroristes, un noyau dur d’une cinquantaine d’individus présente un profil particulièrement inquiétant. Or un certain nombre d’entre eux sortiront bientôt de prison, alors même que leur état psychiatrique est particulièrement inquiétant et mal pris en charge.
L’évolution de la menace endogène inquiète les services secrets pour qui ces individus « restent à la merci d’un passage à l’acte soudain […], sans qu’il y ait forcément de signes avant-coureurs ». De même, le procureur national antiterroriste confirme le rôle essentiel joué par les réseaux sociaux pour alimenter les phénomènes d’autoradicalisation qu’il juge « plus difficiles à suivre et à judiciariser » en l’état du droit, et appelle à de nouvelles mesures.
Par ailleurs, la radicalisation croissante de mineurs, en nette augmentation, s’opère désormais directement sur le territoire national.
Cette menace n’est plus aujourd’hui le seul fait de groupes radicalisés, soutenus matériellement et logistiquement par des organisations internationales, y compris depuis des zones de combat.
Elle se caractérise par le passage à l’acte d’individus isolés, les loups solitaires, qui mettent le peu de moyens à leur disposition au service d’un projet mortifère, fruit d’une radicalisation solitaire, menée principalement en ligne, notamment sur les réseaux sociaux.
Quelles qu’en soient l’ampleur et la motivation, une attaque terroriste, à plus forte raison lorsqu’elle est commise en plein centre de notre capitale ou à l’encontre d’un enseignant, symbole vivant des valeurs de la République, nous touche en plein cœur et appelle la réponse la plus ferme qui soit.
Nous ne devons pas trembler pour répondre avec intransigeance et efficacité à ces actes, car ils sapent les fondements de notre pacte républicain.
Nous le devons aux victimes. Nous le devons aux Français.
Alors que le monde entier aura les yeux rivés sur notre pays pendant les jeux Olympiques et Paralympiques, il est de notre responsabilité de donner aux services tous les moyens nécessaires pour garantir la sécurité d’un tel événement et combattre efficacement l’hydre terroriste.
Dans ce contexte, la proposition de loi que nous sommes sur le point de voter est la bienvenue.
Elle comble tout d’abord les manques du cadre juridique en vigueur. Je pense en particulier au régime des mesures judiciaires de sûreté applicables aux terroristes sortant de détention, qui laisse encore trop souvent les services impuissants pour prévenir les sorties sèches d’individus dangereux.
Nous souhaitons ensuite mettre à la disposition de l’administration de nouveaux instruments juridiques, en réintroduisant une mesure hybride déjà votée par deux fois au Sénat, visant à combiner un suivi et une surveillance judiciaire, en étendant la rétention de sûreté aux criminels terroristes présentant des troubles psychiatriques graves, ou encore en instaurant un nouveau régime de rétention de sûreté réservé aux condamnés terroristes encore engagés dans une idéologie radicale.
De même, les auteurs de la proposition de loi ont pris la mesure des enjeux soulevés par la prise en charge des mineurs radicalisés. Nous avons tenu une position d’équilibre entre l’indispensable accompagnement des enfants concernés et l’absolue fermeté qu’attendent de nous les Français.
Ainsi, nous avons permis d’étendre les possibilités de placement sous contrôle judiciaire, en centre éducatif fermé, ou d’assignation sous bracelet électronique. Nous avons également maintenu la possibilité de poursuite de prise en charge par la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ).
Au travers de cette proposition de loi, nous tirons enfin les conséquences de l’évolution de la menace, notamment en réintroduisant, sous une nouvelle forme – et après avoir pris en compte les réserves du Conseil constitutionnel –, le délit de recel d’apologie du terrorisme, qui a été nourri par les observations et propositions très constructives des acteurs judiciaires et administratifs de la lutte antiterroriste.
Dans ce texte, nous avons recherché le juste équilibre entre l’efficacité de la lutte antiterroriste et la sauvegarde des droits et libertés constitutionnels. Compte tenu de l’urgence d’agir et dans un souci de cohérence globale du dispositif, j’ai souhaité, en tant que rapporteur, faire adopter plusieurs articles additionnels. Je le dis à nos collègues qui siègent à la gauche de cet hémicycle : ils ont tous un lien avec le texte !
M. Rachid Temal. Ah !
M. Marc-Philippe Daubresse. Nous respectons ainsi l’esprit et la lettre de la Constitution de 2008, qui s’impose à tous. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – Murmures sur les travées du groupe SER.)
Le président Larcher l’a rappelé, personne ne peut remettre en cause le droit d’amendement légitime du Parlement par une interprétation rigoriste de l’article 45 de la Constitution,…
M. Rachid Temal. Ce n’est pas nous !
M. Marc-Philippe Daubresse. … qui se suffit à lui-même, puisqu’il prend en compte, pour la recevabilité des amendements, le lien même indirect avec l’objet du texte d’origine. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Rachid Temal. Cela n’a rien à voir !
M. Marc-Philippe Daubresse. J’ai été constituant, j’ai voté la révision constitutionnelle de 2008, ce qui n’est pas votre cas ! (Bravo ! et applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – Exclamations sur des travées du groupe SER.)
M. André Reichardt. Très bien !
M. Éric Kerrouche. N’importe quoi !
M. Marc-Philippe Daubresse. Nous pouvons collectivement nous féliciter du travail réalisé.
C’est pourquoi je remercie vivement MM. François-Noël Buffet, Bruno Retailleau et Hervé Marseille de leur initiative. Je remercie également l’ensemble de nos collègues, bien au-delà de la majorité sénatoriale, de leur propos.
Je salue le travail d’amendements de nos collègues André Reichardt, Jacqueline Eustache-Brinio, Hervé Marseille et Nathalie Goulet, qui ont encore une fois cherché à renforcer notre arsenal législatif.
Je remercie enfin M. le ministre de l’intérieur et des outre-mer de son soutien constant et de sa détermination à atteindre cet objectif, ainsi que M. le garde des sceaux – nous regrettons qu’il ne soit pas parmi nous ce soir – d’avoir émis de nombreux avis de sagesse.
Il est vrai qu’en matière régalienne le Gouvernement devrait s’en remettre plus souvent à la sagesse du Sénat.