4
Candidatures à une commission mixte paritaire
M. le président. J’informe le Sénat que des candidatures pour siéger au sein de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi relative aux services express régionaux métropolitains ont été publiées.
Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
5
Attribution à une commission des prérogatives d’une commission d’enquête
M. le président. L’ordre du jour appelle l’examen d’une demande de la commission des lois tendant à obtenir du Sénat, en application de l’article 5 ter de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, qu’il lui confère, pour une durée de six mois, les prérogatives attribuées aux commissions d’enquête pour mener une mission d’information sur les émeutes survenues à compter du 27 juin 2023.
Il a été donné connaissance de cette demande au Sénat lors de la séance du 23 octobre dernier.
Je mets aux voix la demande de la commission des lois.
(La demande de la commission des lois est adoptée.)
M. le président. En conséquence, la commission des lois se voit conférer, pour une durée de six mois, les prérogatives attribuées aux commissions d’enquête pour mener cette mission d’information.
Le Gouvernement sera informé de la décision qui vient d’être prise par le Sénat.
6
Immigration et intégration
Discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration (projet n° 304 [2022-2023], texte de la commission n° 434 rectifié [2022-2023], rapport n° 433 [2022-2023]).
La procédure accélérée a été engagée sur ce texte.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme Christine Bonfanti-Dossat applaudit également, suscitant l’étonnement amusé de ses collègues du groupe Les Républicains.)
Mme Christine Bonfanti-Dossat. C’est l’habitude… (Sourires.)
Mme Laurence Rossignol. Vous avez une amie, monsieur le ministre… (Mêmes mouvements.)
M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur et des outre-mer. Ne soyez pas jalouse… (Nouveaux sourires.)
Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, sans conteste, les deux grands défis de notre siècle, qui se présentent déjà à nous, sont les questions environnementales et les questions migratoires.
Chacun est au fait des enjeux environnementaux, chacun les commente, chacun les voit, mais les enjeux migratoires sont moins évidents à traiter dans les débats médiatiques et politiques. À la lecture de la presse ce matin encore, nous pourrions croire que la France est une île, même si, nous l’avons vu récemment, le fait de se refermer sur son île n’est pas très efficace en matière d’immigration…
Quelque 110 millions de personnes : c’est le nombre de déplacés dans le monde en 2023 selon le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) du fait des guerres au Soudan, en Syrie, en Afghanistan, en Ukraine. Notre continent, l’Europe, est entouré de terres instables : Caucase, Proche-Orient, Moyen-Orient, Sahel, Libye.
Si les pays du Sud accueillent les trois quarts de ces déplacés, l’Europe connaît elle aussi une augmentation de son immigration irrégulière et de ses demandes d’asile. Ces dernières ont augmenté de 60 % depuis le début de l’année et concernent tous les pays, régimes politiques et gouvernants.
À ces demandeurs d’asile s’ajoutent entre 21 et 24 millions de réfugiés par an du fait des dérèglements climatiques, soit 60 000 par jour ! Les pays les plus pauvres sont cinq fois plus touchés par ces dérèglements, ce qui accroît le nombre de départs dans leur population vers l’Occident, vers l’Europe.
En un mot, nous n’avons pas fini de parler d’immigration…
C’est peut-être tant mieux, car, mesdames, messieurs les sénateurs, parler d’immigration revient à parler de notre souveraineté, de ce qui fait un État et ses frontières, des choix de ce dernier en matière d’accueil sur son territoire, en matière d’intégration et de conditions à cette intégration, ou permet de définir ceux dont on veut se séparer.
Parler d’immigration est certes difficile, car nous parlons de femmes, d’hommes et d’enfants, mais c’est nécessaire et éminemment politique.
Parler d’immigration, c’est aussi parler de notre modèle républicain et social, de sa capacité à intégrer, des moyens qu’on lui octroie, des règles que nous fixons.
Parler d’immigration, c’est également parler de sécurité.
Enfin, parler d’immigration, c’est parler aux Français.
Mesdames, messieurs les sénateurs, comme moi, vous rencontrez vos électeurs ; comme moi, vous lisez les sondages. Les Français sont préoccupés par l’immigration. Ils sont parfois paradoxaux, mais toutes et tous nous demandent de légiférer et de prendre des décisions.
Le texte que propose le Gouvernement est une proposition en ce sens. Ici, devant vous, avec humilité, le ministre de l’intérieur, qui, depuis trois ans et demi, est chargé, à la demande du Président de la République et de la Première ministre, de ces questions, est ouvert à la discussion avec le Sénat, avec l’ensemble du Parlement, pour coconstruire, ensemble, un texte ferme, juste et, surtout, efficace.
Ce qui comptera pour le ministre de l’intérieur que je suis, ce ne seront ni les postures ni les futures majorités, mais ce sera l’efficacité. Sommes-nous capables de doter de moyens notre pays, nos services de police, nos services préfectoraux, tous ceux qui travaillent dans le monde parfois difficile des questions migratoires, pour plus d’efficacité, pour répondre à la demande d’autorité des Français, pour répondre aux exigences d’intégration, pour éviter que les populistes ne surfent sur l’incapacité qu’ont les États d’appliquer leurs décisions ?
Le Gouvernement est cohérent. La loi du 24 janvier 2023 d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (Lopmi), pour laquelle vous avez ici très majoritairement voté, au-delà même de la majorité sénatoriale, augmentait de 25 % les crédits du ministère de l’intérieur alloués à l’intégration. Elle ouvrait une refonte extrêmement importante des préfectures et du travail que ces dernières fournissent au service de nos concitoyens.
Monsieur le président de la commission des lois, vous m’avez demandé, voilà plus de deux ans, une telle refonte. Je tiens, au travers de ce propos, à saluer tous les agents de préfecture, tous ceux qui travaillent dans les bureaux et assurent les accueils, dans des conditions parfois très difficiles. Ils reçoivent à la fois nos compatriotes et ceux qui, étrangers, veulent des titres de séjour ou qui ont reçu de notre part l’ordre de repartir chez eux.
Cette réforme des préfectures, qui n’est pas d’ordre législatif, accompagne ce texte de loi. Elle est la conséquence de la Lopmi. Je m’engage à présenter devant vous dans les prochaines semaines cette réforme profonde, d’ordre réglementaire, pour qu’elle soit effective au 1er janvier de l’année prochaine.
En quelques mots, j’indique qu’elle vise à accorder tous les moyens nécessaires pour que les préfectures vérifient l’intégration des personnes, pour qu’elles examinent les titres de séjour après le premier dépôt d’une demande et pour leur permettre de lutter avec force, en les renvoyant dans leur pays, contre tous ceux qui ont des casiers judiciaires ou qui commettent des actes de délinquance en France et abusent de notre générosité. Il s’agit d’accorder aux préfectures les moyens d’appliquer les fameuses obligations de quitter le territoire français (OQTF), expression devenue pour les Français un synonyme d’incapacité à appliquer les reconduites hors du territoire.
Cette réforme vise en même temps à ne pas embêter tous ces étrangers qui vivent depuis tant d’années, parfois des décennies, sur le sol national, qui ne font de mal à personne et qui attendent longtemps le renouvellement de leur titre de séjour.
Je pense à ce chibani de Tourcoing qui, depuis quarante-cinq ans, réside sur le territoire national. Certes, il a gardé la nationalité de son pays d’origine, mais il a combattu dans les armées françaises. La République ne s’honore pas à le faire patienter devant la préfecture du Nord pour renouveler son titre de séjour alors que, à 80 ans, il ne fait de mal à personne et, pour ainsi dire, chante La Marseillaise comme nous tous.
Mesdames, messieurs les sénateurs, après la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur, après la refonte de la vie de nos préfectures, le temps à venir est aussi européen, au travers de la modification de nos règles d’asile et d’immigration.
L’Europe a une gouvernance économique de l’immigration, elle a des conseils des ministres de l’économie et des finances, des conseils au sein desquels se réunissent les ministres de la zone euro, mais elle n’a pas de gouvernance politique de l’immigration. Alors que nos frontières sont communes et que les enjeux sont planétaires, nous ne parlons pas, sauf très difficilement, d’une seule voix quand il s’agit d’aborder la question migratoire.
Il est évident que l’une des grandes réponses à ce défi est l’Union européenne. Tous les gouvernants, y compris ceux qui ont fait électoralement campagne contre l’Europe, en sont à appeler la Commission européenne, le Parlement européen ou leurs collègues européens des autres ministères de l’intérieur pour pouvoir répondre aux crises, comme cela a été récemment encore le cas à Lampedusa.
Oui, il faut des règles européennes ; oui, la libre circulation à l’intérieur de l’Union européenne doit se faire si, et seulement si, les frontières extérieures de l’Europe sont tenues, et fermement. Actuellement, ce n’est pas le cas. (MM. Roger Karoutchi et André Reichardt acquiescent.)
Sous la présidence française du Conseil de l’Union européenne, le Président de la République a défendu le pacte sur la migration et l’asile qui, depuis vingt ans, traînait dans les bureaux de la Commission européenne.
Avec l’alliance politique de la plupart des pays européens, la France, par son dynamisme, a réussi à faire adopter deux textes essentiels pour l’Europe et pour notre pays.
Le premier texte est la réforme du règlement relatif à Eurodac, la base de données de l’Union européenne pour la comparaison d’empreintes digitales des demandeurs d’asile. Actuellement, les étrangers qui arrivent en Europe ne sont pas enregistrés. Ici ou là, ils reçoivent un accueil ; parfois, ils sont poussés vers d’autres pays. Comme les Français et nos courageux policiers et gendarmes le constatent, nous ne savons pas qui ils sont. Nous ne connaissons pas leur âge : sont-ils ou non majeurs ? Nous ignorons les raisons de leur venue chez nous. Lorsqu’ils sont interpellés, ils demandent l’asile, et sont ainsi relâchés. Commence alors un nouveau processus, long, qui empêche la République de savoir qui elle accueille sur le territoire national.
La réforme de la base de données Eurodac, adoptée par le Conseil européen et – je l’espère – bientôt votée, avant les élections européennes, par le Parlement européen, permettra d’enregistrer tous les étrangers sur le sol européen, de prendre leurs empreintes, de connaître leur identité et leur âge, et de reconstituer leur état civil.
De plus, cette réforme permettra à toutes les polices européennes, grâce au système européen Etias d’information et d’autorisation concernant les voyages – European Travel Information and Authorization System –, de connaître le contenu de ce fichier. Lorsqu’elles procéderont à une interpellation, elles sauront l’identité de la personne, sans avoir à reprendre le processus mortifère que j’évoquais précédemment au sujet de l’incapacité des États à agir.
Cette disposition, monsieur le président de la commission des lois, figure dans ce texte. Nous pourrons ainsi être informés de l’identité de tous ceux qui arriveront sur notre sol et dès lors nous lutterons férocement contre l’immigration irrégulière.
Le second texte, très important, défendu à l’échelon européen touche évidemment à l’asile à la frontière au travers de la fiction de non-entrée physique et juridique sur le sol européen. Un nombre important de personnes arrivent en Europe en provenance de pays où nous partons en vacances et avec lesquels nous avons des relations diplomatiques extrêmement fortes. Ces pays ne sont pas des dictatures et la situation n’y est nullement difficile. Pour autant, beaucoup de demandes d’asile en sont issues ; elles « embolisent » les services et empêchent de rendre une réponse rapide à ceux qui ont vraiment besoin de l’asile en France.
Le principe d’asile à la frontière nous permettra très rapidement d’opérer une distinction entre ceux qui méritent que leur soit accordée une protection forte, que l’Europe leur prête une oreille attentive et humaniste, et ceux qui abusent du droit d’asile par un détournement de procédure.
Ces deux textes, s’ils sont votés très prochainement par le Parlement européen, aideront tous les Européens, donc la France, à être plus efficaces et plus réactifs.
Comme je l’ai indiqué, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement se présente devant la Chambre haute plein d’humilité, mais aussi de volontarisme.
Ce projet de loi, madame, monsieur les rapporteurs, a été déposé sur le bureau du Sénat voilà quelques mois. Il a été adopté par la commission des lois, à quelques détails près (Mme Marie-Pierre de La Gontrie sourit.), ce dont je remercie cette dernière. Arrivé avec vingt-sept articles, il a atteint la cinquantaine : la commission, après en avoir supprimé seulement deux du projet de loi, en a ajouté presque autant.
J’ai déjà eu l’occasion, en m’exprimant publiquement ou en répondant aux questions dans votre hémicycle, de dire que le Gouvernement émettrait un avis favorable sur la quasi-intégralité des dispositions présentées par la majorité sénatoriale, donnant ainsi corps à la coconstruction. Nous partons du principe que notre texte n’était pas mauvais, puisqu’il a été adopté par la commission des lois du Sénat, mais que le Gouvernement n’était pas seul à avoir raison : il faut que cette loi soit élaborée avec l’ensemble des parlementaires.
Le texte que j’ai eu l’honneur de soumettre au nom du Gouvernement et du Président de la République prend directement sa source dans la campagne présidentielle et repose sur deux mots : fermeté et simplification.
Je commence par la fermeté.
La fermeté s’exerce d’abord contre les étrangers délinquants. Les Français ne comprennent pas que nous n’arrivions pas à éloigner ou à expulser du territoire national des personnes qui ont commis des crimes de sang, qui s’en sont prises à leur femme et aux policiers, qui se livrent au trafic de drogue.
Ce ne sont ni la Constitution ni la Convention européenne des droits de l’homme qui empêchent de les expulser, c’est la loi française ! L’année dernière, mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai demandé et obtenu l’expulsion de 2 500 étrangers délinquants.
M. Roger Karoutchi. Ce n’est pas assez !
M. Gérald Darmanin, ministre. Je n’ai pas pu obtenir et même pas pu demander à la justice de notre pays l’expulsion de 4 000 personnes, non parce que je n’avais pas les laissez-passer consulaires des pays ou qu’un juge aurait trouvé cette expulsion disproportionnée, mais parce que le législateur, il y a presque vingt-cinq ans, a décidé qu’il ne fallait pas, en plus de la peine prononcée contre un étranger ayant commis un acte grave, l’éloigner ou l’expulser du territoire national. Les réserves d’ordre public étaient ainsi inventées…
Mme Marie-Pierre de La Gontrie et M. Rachid Temal. C’est Nicolas Sarkozy !
M. Gérald Darmanin, ministre. … pour les personnes arrivées avant 13 ans dans notre pays ou qui s’y sont mariées.
Dès lors, je ne peux pas expulser quelqu’un qui est arrivé à 12 ans et demi sur le sol national et qui à 19 ans a commis un crime. En revanche, celui qui est arrivé à 13 ans et demi sur le territoire national et qui à 19 ans, pour diverses raisons, a commis un délit, comme un vol de voiture, je peux l’expulser ! Qu’y a-t-il de logique, mesdames, messieurs les parlementaires, dans cette législation ?
Je viens demander au Sénat et à l’Assemblée nationale de lever les réserves d’ordre public et de permettre au ministre de l’intérieur d’appliquer ce que demandent les Français : la fermeté. Que ceux que nous accueillons généreusement sur notre territoire respectent nos règles ! S’ils ne les respectent pas, s’ils sont responsables d’avoir commis des crimes et des délits, s’ils ne se conforment pas aux valeurs de la République, alors obtenons leur éloignement ou leur expulsion du territoire national.
La fermeté s’exerce également au travers du retrait ou du non-renouvellement des cartes de résident pour les étrangers en France qui ne respectent pas les règles, quels que soient les conditions d’attribution de ces cartes, le statut ou la nationalité des personnes.
À l’heure actuelle, lorsque le ministère prend connaissance, de la part des services de la justice, de la police ou de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), du non-respect des règles de la République par une personne, le ministre de l’intérieur – les Français doivent le savoir ! – ne peut pas lui retirer son titre de séjour, du moins pas dans tous les cas.
La fermeté s’exerce aussi contre les passeurs. Un écosystème mafieux utilise la misère humaine ; en échange de grosses sommes d’argent, ils se livrent à un trafic pour faire venir en France ou en Europe des femmes, des enfants et des hommes. Les passeurs ne sont pas les gentils organisateurs des arrivées en Occident ! Ils sont des criminels dont l’argent finance la drogue, le terrorisme et la prostitution.
Nous devons les combattre.
Pour l’instant, un passeur encourt une peine délictuelle ! Les services de sauvetage de la police et de la gendarmerie, ainsi que des bénévoles, ont tenté de porter secours en novembre dernier aux vingt-sept personnes mortes dans la Manche, faisant face aux corps de femmes enceintes repêchés dans une eau à trois degrés.
Ceux qui étaient responsables de ces morts malheureuses n’étaient pas les policiers français, eux qui tous les jours plongent dans la mer du Nord pour essayer de sauver quelques vies et qui donnent un peu d’espoir aux migrants tentant leur chance en Grande-Bretagne.
La responsabilité n’en revient pas davantage à nos règles. Les responsables, ce sont les criminels, lesquels peuvent seulement être poursuivis actuellement devant la justice pour un délit.
Pour montrer de la fermeté contre les passeurs, ces délits doivent devenir des crimes, passibles de vingt ans de prison. C’est l’objet de ce texte. Il s’agit de considérer que le terrorisme, le trafic de drogue ou d’êtres humains sont de même nature et méritent la sévérité des tribunaux.
En outre, la fermeté doit s’exercer contre les marchands de sommeil. Qui ici n’a pas été élu local et n’a pas vu son urbanisme, notamment en centre-ville, devenir une passoire ? Devant le travail qu’essaient de faire les élus en tenant compte de toutes les règles d’urbanisme et des difficultés qu’elles posent, l’on voit désormais des personnes, souvent ne déclarant pas leurs recettes au fisc, parfois étrangères elles-mêmes, qui utilisent la misère des gens pour pouvoir les loger sans quittance de loyer, sans lavabo, sans électricité, dans des locaux infestés par la mérule, malgré la présence d’enfants de quelques mois.
Oui, être marchand de sommeil, c’est comme être passeur : cela revient à commettre un crime contre des êtres humains. Ce texte, monsieur le président de la commission des lois, contient des dispositions qui attaquent pour la première fois aussi durement ces marchands de sommeil. En effet, l’objectif est de casser l’écosystème des irréguliers, en tout cas de l’immigration irrégulière.
De plus, la fermeté doit s’exercer contre certains patrons voyous. Ces derniers embauchent, connaissant pertinemment leur statut, des étrangers en situation irrégulière. Ils les exploitent dans des conditions inacceptables pour la concurrence : on est toujours moins cher lorsqu’on embauche des sans-papiers, lorsqu’on échappe à l’inspection du travail et qu’on n’est soumis ni aux cotisations ni aux charges patronales !
Les conditions sont également inacceptables pour les personnes qui subissent le joug, parfois moyenâgeux, de patrons qui font du chantage à la régularisation, qui utilisent la misère pour s’épargner d’avoir à accorder des avantages sociaux et des droits syndicaux aux salariés.
L’article 8, que le Sénat, Monsieur le président de la commission, a supprimé, est excellent. Je le dis sans aucune espèce de posture : Olivier Dussopt et moi le défendons.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Il est où, d’ailleurs ?
M. Gérald Darmanin, ministre. Je proposerai donc – ce sera assez rare dans ce débat, monsieur le président de la commission – un amendement de rétablissement. Oui, il faut fermer administrativement les entreprises qui, sciemment, embauchent les sans-papiers, sans quoi vous ne tarirez pas le flux des personnes qui viennent irrégulièrement dans notre pays ! Il est illogique de vouloir ne pas régulariser des personnes qui ne disposent pas de papiers sans fermer les entreprises qui les font venir, mesdames, messieurs les sénateurs !
Votons pour l’article 8 ! Travaillons dessus, s’il est mal rédigé, mais luttons fortement contre ceux qui embauchent des sans-papiers et qui ne le déclarent pas ! (M. Claude Malhuret applaudit.)
M. Rachid Temal. Alors nous ne ferons pas les jeux Olympiques !
M. Gérald Darmanin, ministre. Évidemment, des personnes tombent dans l’irrégularité pour la simple raison qu’elles utilisent un alias ou que la préfecture ne leur a pas répondu assez vite. Leur patron n’est pas un voyou quand il vient voir le parlementaire, le maire ou le préfet, qu’il lui indique devoir gérer la situation indésirable qui vient de tomber sur la tête de son salarié, cherchant à la régler.
D’autres patrons, malheureusement – vous le savez –, utilisent cette misère humaine pour faire plus de profits. Je pense que c’est le devoir de la droite, de la gauche, du centre comme des indépendants de lutter contre la filière d’immigration irrégulière que représente parfois un patronat sans scrupules.
Enfin, la fermeté touche aux exigences d’intégration.
Mesdames, messieurs les sénateurs, à l’heure actuelle, pour avoir une carte de séjour long, il faut prendre des cours de français, mais sans que personne vérifie s’ils ont été parfaitement suivis et, surtout, s’ils ont été efficaces, contrairement à ce qui prévaut beaucoup de pays dans le monde !
Ce texte contient une mesure qui, à mon avis, est attendue par tout le monde, en premier lieu – je le pense – par les étrangers qui veulent s’intégrer. De fait, nous consacrons beaucoup plus de moyens à l’intégration, comme je l’indiquais au sujet de la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur. Nous prévoyons, dans un article que le Sénat a malheureusement supprimé là aussi, qu’un temps d’apprentissage du français puisse avoir lieu sur les horaires de travail.
Si une femme de ménage fait une heure et demie de trajet en RER pour être au travail à quatre heures et demie du matin, si elle reprend, à sept heures du matin, le RER pendant une heure et demie tout en ayant deux enfants chez elle, dans une ville très éloignée du centre de Paris, il n’est pas vrai qu’elle aura le temps à quatorze heures trente d’aller à la préfecture ou dans une association prendre des cours de français !
Je ne parle pas de taxes, je parle d’une responsabilité sociale des employeurs, comme c’est le cas dans ma région, dans le nord de la France. Après le « 1 % logement », je vous propose le « 1 % intégration », si j’ose dire !
L’intégration par le travail concerne très majoritairement les femmes ; cette immigration est avant tout féminine. Si les employeurs embauchent des personnes, notamment ces femmes, qui n’ont pas toutes les capacités de s’intégrer, du fait, par exemple, qu’elles ne parlent pas français, il faut non seulement qu’ils autorisent l’apprentissage du français pendant les heures de travail, mais aussi qu’un examen permette de savoir si cet apprentissage est réussi.
Si l’apprentissage est réussi, on a droit à un titre de séjour long sur le territoire national. S’il ne l’est pas, l’intégration est impossible : il faut quitter le territoire. C’est l’idée que nous vous soumettons. C’est ce que proposent – je le rappelle – la plupart des grands pays qui nous entourent. Il est inimaginable de travailler aux États-Unis sans avoir un travail régularisé et sans parler anglais !
Nous ne proposons rien d’autre que de pouvoir intégrer les personnes, au moment où le Président de la République et vous tous – j’ai cru le comprendre à partir des débats récents – avez défendu la langue française. Le Gouvernement ne comprendrait pas que nous ne trouvions pas un accord sur l’exigence de savoir parler français pour s’intégrer en France et se voir délivrer un titre de séjour.
Après la fermeté, la simplification.
Monsieur le président de la commission des lois, je dois plaider coupable. Je plaide coupable de plagiat. (M. Mickaël Vallet soupire.) La simplification des procédures est l’objet du rapport d’information Services de l’État et immigration : retrouver sens et efficacité, rédigé par M. Buffet au nom de l’ensemble du Sénat ; de fait, je crois savoir, monsieur le président de la commission, que tous les groupes politiques ont adopté votre rapport, qui s’inspirait lui-même d’un autre rapport, celui-ci du Conseil d’État.
Le drame de notre politique migratoire et de la non-application des OQTF, nonobstant mon évocation précédente des réserves d’ordre public, est le fait que nous soyons longs, et même beaucoup trop longs.
La loi du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie, dite loi Collomb, a permis à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), agence qui, au ministère de l’intérieur, étudie les demandes d’asile, de travailler plus rapidement.
Avant que M. Collomb ne présente son texte, les délais étaient à peu près d’un an. Désormais, ils sont de cinq mois. En moyenne, car il y a des cas particuliers, nous avons divisé par deux le temps de réponse. Or la justice administrative continue pour sa part d’être lente, notamment la Cour nationale du droit d’asile (CNDA).
Mesdames, messieurs les sénateurs, voici un exemple. Imaginons, à côté de quelqu’un qui arriverait en France ce matin après avoir traversé les mers et qui demanderait l’asile, l’arrivée au même moment d’une personne souhaitant détourner ce droit pour rester en France. Cette personne commencerait par déposer un dossier à l’Ofpra. En cinq mois à peu près, nous donnerions une réponse. Nous ne sommes pas laxistes : dans 70 % des cas, l’Ofpra répond par la négative. En effet, nous refusons 70 % des demandes d’asile en France. Nous avons l’un des taux de refus les plus importants d’Europe.
Une fois ce refus formulé, que ferait le demandeur ? Il déposerait un recours devant la Cour nationale du droit d’asile, recours qui prend entre neuf mois et un an. La procédure aurait donc commencé depuis presque un an et demi. La Cour nationale du droit d’asile n’est pas laxiste non plus : dans 70 % des cas également, elle dit non !
Que ferait la personne ensuite ? Elle attendrait que le préfet lui délivre une OQTF, laquelle est susceptible de recours. La personne engagerait donc cette procédure. Pendant ce temps-là, le ministre de l’intérieur ne pourrait pas l’expulser, donc attendrait.
Vous le savez bien, de 40 % à 50 % des contentieux devant les tribunaux administratifs relèvent du droit des étrangers, et même 60 % devant les cours administratives d’appel. Celles-ci, ainsi que les tribunaux administratifs de nos territoires, écoutent de moins en moins les doléances de vos élus locaux sur l’urbanisme, car, de plus en plus, elles ne font que du contentieux des étrangers. (Mme le rapporteur acquiesce.)
Par conséquent, cet étranger qui serait déjà arrivé depuis plus d’un an et demi sur le territoire national attendrait encore neuf mois que le tribunal administratif, par exemple de Lille, le déboute, car, dans 70 % des cas, le jugement va dans ce sens.
Que ferait enfin cet individu ? Il saisirait le Conseil d’État, un recours encore suspensif.
Voilà comment quelqu’un qui se serait vu opposer un refus quatre fois, à qui on aurait imposé un arrêté de reconduite à la frontière, pour qui on aurait sans doute négocié un laissez-passer consulaire avec tel ou tel pays, pourrait rester deux à trois ans sur le territoire national sans que nous puissions l’expulser.
Pendant ce temps-là, cette personne aurait peut-être été embauchée par un patron voyou, parce qu’il faut bien qu’elle vive. Elle aurait peut-être eu l’occasion d’avoir accès au logement, ce dont nous reparlerons. Elle aurait peut-être eu accès à la santé, ce dont nous reparlerons aussi. Elle aurait peut-être fait des enfants sur le territoire national. Si tel avait été le cas et que cette personne s’était mariée, alors le ministre de l’intérieur ne pourrait pas l’expulser, puisque cet individu entrerait dans les réserves d’ordre public qui empêchent d’agir !
Je vous demande que l’on puisse répondre à quelqu’un rapidement, par l’affirmative ou par la négative. Pour la première fois, le Gouvernement ne vient pas devant vous pour changer la liste des pays qui sont sûrs ou qui ne le sont pas, ou pour changer les critères de l’asile. Il vous assure que nous avons globalement de bons critères, des agents courageux à l’Ofpra, des juges qui, en général, écoutent la demande du ministère de l’intérieur, mais qui sont aussi sensibles à la misère de telle ou telle personne.
En moyenne, nous répondons par la négative à 70 % des personnes qui se présentent chez nous, mais au bout de trois ans. Si finalement la réponse devait être positive au terme de cette période, pensez-vous que leur vie pendant ce temps serait digne de la France ? Quelques centaines d’euros sont octroyés à ces personnes au titre de l’allocation pour demandeur d’asile (ADA) ou de l’aide sociale. Forcément, elles sont prises dans la spirale soit du travail illégal soit, pire, de la difficulté et de la délinquance.
Inspirés par le rapport Buffet, nous vous demandons la rapidité. Notre droit compte aujourd’hui douze procédures différentes pour contester les décisions relatives au séjour des étrangers. Il n’est pas de contentieux plus complexe ! Nous proposons de passer à trois ou quatre procédures seulement – c’est en débat avec la commission –, par souci d’accélérer la prise de décision.
La simplification passe également par l’extension du recours à la vidéo-audience.
Elle passe aussi, en matière de réforme de l’asile, par la territorialisation de l’Ofpra. Il s’agit de permettre à la justice administrative, y compris à la CNDA, d’offrir des réponses de proximité pour aller plus vite.
Nous voulons simplifier aussi le travail des policiers, qui ne peuvent aujourd’hui procéder à une prise d’empreintes par coercition. Nous proposons de rendre cela possible.
De même, ceux de nos policiers qui sont à nos frontières ne peuvent inspecter une voiture transportant des bouées ou un moteur de bateau hors réquisition du procureur de la République. Ce projet de loi prévoit bien évidemment de simplifier leur travail en leur donnant les moyens d’agir.
Nous appelons à la simplification, toujours, pour agir à l’encontre de tous ceux qui abusent de notre droit au séjour, notamment dans le cadre de la demande d’asile. Les Français doivent savoir que le ministre de l’intérieur ne peut retirer la carte de résident d’un Tchétchène, par exemple, ayant le statut de réfugié politique en France et qui retournerait passer l’été en Tchétchénie, pays – dictature ! – dont il a pourtant demandé à être protégé ! (MM. Joshua Hochart et Stéphane Ravier s’exclament.) Je vous demande de corriger cette imperfection, comme les autres, demande qui me paraît frappée au coin du bon sens.
Simplification, enfin, en ce qui concerne les titres de séjour, qui sont bien trop nombreux, comme vous le soulignez souvent, madame la rapporteure. Nous proposons de faire un premier pas en supprimant dix titres de séjour liés au passeport talent. Simplification, simplification, simplification !
Mesdames, messieurs les sénateurs, ce texte est ferme, mais non dépourvu d’humanité. Pour la première fois, le Gouvernement de la République va proposer que les enfants de moins de 16 ans ne soient plus placés dans les centres de rétention administrative. En pratique, c’est ce que nous faisons déjà depuis un an. À l’exception de Mayotte, où sont mises en œuvre des dispositions particulières et pour le bien du service public et pour celui de nos compatriotes mahorais, le Gouvernement propose au Parlement d’inscrire cette pratique dans la loi.
Ce texte est ferme, mais il respecte les outre-mer. Pour la première fois, un texte régalien va traduire directement les dispositions de l’article 73 de la Constitution : les outre-mer méritent mieux qu’une habilitation à légiférer par ordonnance.
Nous resterons extrêmement ouverts aux dispositions nouvelles, notamment pour ce qui concerne la Guyane et Mayotte, mais aussi pour tout territoire ultramarin qui souhaiterait voir s’appliquer son droit particulier. Qui peut penser qu’il est loisible de gérer la Guyane et Mayotte comme la Corrèze ou le nord de la France ? Le Gouvernement sera bien évidemment très sensible aux dispositions que proposeront les parlementaires ultramarins – et les autres.
Ce texte est ferme, mais il n’est pas fermé. Le Gouvernement est à l’écoute de la Haute Assemblée pour en modifier les articles, pour adopter les amendements, d’où qu’ils viennent,…