Mme Laurence Rossignol. Surtout de la droite !
M. Gérald Darmanin, ministre. … à partir du moment où ils visent à répondre à nos exigences d’efficacité, de fermeté et de simplicité, et pour trouver le meilleur compromis possible. Il s’agit de montrer aux Français, quelles que soient nos différences, que nous avons compris qu’ils nous demandent d’agir ensemble.
Le Gouvernement a déposé plusieurs amendements dont je me suis expliqué avec le président de la commission des lois ainsi qu’avec Mme et M. les rapporteurs. Je proposerai notamment une modification complète du travail du juge des libertés et de la détention (JLD), en lien avec M. le garde des sceaux, pour faire en sorte que les personnes détenues en centre de rétention administrative ne soient plus libérées pour des raisons de forme ou de nullité de la procédure. Le JLD doit avant tout s’arrêter sur la dangerosité desdites personnes que l’on souhaite expulser.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez adopté la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur, qui visait notamment à porter le nombre de places en centres de rétention administrative de 1 300 à 3 000. Les personnes concernées sont soit fichées pour radicalisation, soit connues pour des actes de délinquance. La population de ces centres a changé. Nous nous concentrons d’abord sur l’expulsion des personnes dangereuses pour le bien public, ce qui me semble de bon sens.
Le juge des libertés et de la détention ne peut plus agir comme il le faisait jadis, lorsque les personnes placées en centre de rétention n’avaient commis aucun acte délictuel. Nous souhaitons que le JLD tienne compte avant tout de cette dangerosité et qu’il n’annule pas le travail réalisé par le ministère de l’intérieur pour des questions de tampons manquants ou pour une nullité de procédure bénigne.
Le Gouvernement proposera également d’allonger de cinq à dix ans l’interdiction de retour sur le territoire national. Les décisions d’expulsion sont aujourd’hui assorties d’une interdiction de retour de cinq ans ; or, dans certains cas que je ne peux détailler dans l’instant – je pourrai le faire devant vous ultérieurement –, il nous semble préférable de porter cette interdiction à dix ans. Cette durée correspond aux règles de plusieurs de nos voisins européens et participera de l’efficacité de la sécurité publique.
Le Gouvernement a également déposé un amendement visant à éviter les abus de demande d’asile. Quand un policier interpelle une personne en situation irrégulière, il suffit à celle-ci de se déclarer en demande d’asile, même si les démarches n’ont pas encore été entreprises, pour être relâchée jusqu’à ce qu’elle dépose sa demande. S’ensuit alors la procédure de trois ans que j’évoquais voilà quelques instants… Face à cette situation, le Gouvernement propose une disposition très ferme et très forte : lorsque la personne interpellée en situation irrégulière invoquera, pour rester plus longtemps sur le territoire, une demande d’asile pour laquelle elle n’aurait pas encore entamé de démarches administratives, elle devra désormais effectuer cette demande en rétention, selon une procédure accélérée.
Le Gouvernement va également proposer que les demandes d’asile de personnes ayant déjà obtenu l’asile dans un autre pays soient irrecevables. On comprend aisément le sens de cette disposition au regard du drame d’Annecy, même si ce texte a été rédigé antérieurement à cette attaque.
Le Gouvernement n’épuise pas les autres débats liés à ce texte, qui peuvent être d’ordres constitutionnel – vous débattrez bientôt d’une proposition de loi constitutionnelle –, référendaire – le Président de la République a ainsi proposé aux partis de réfléchir à l’extension du champ du référendum de l’article 11 de la Constitution à des questions de société telles que l’immigration – ou européen et conventionnel.
Personne n’a jamais dit que ce texte constituait une réponse à tout ; mais personne ne peut dire sérieusement qu’il manque de fermeté ni nier qu’il permettra d’offrir à nos policiers et à nos gendarmes des moyens supplémentaires. Personne ne peut dire non plus que le Gouvernement n’est pas ouvert à la discussion avec le Parlement. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP et UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
(M. Gérard Larcher remplace M. Alain Marc au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Muriel Jourda, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, ne disposant pas d’un temps bien considérable, je me contenterai de tracer à grands traits le travail réalisé par la commission des lois sur ce projet de loi, dernier avatar d’une litanie de textes sur l’immigration dont le nombre même nous laisse penser qu’ils n’ont jamais atteint le but qui leur était assigné.
Pour aborder ce texte, nous avons d’abord tenu compte de sa nature : il s’agit d’une loi ordinaire, qui ne nous permet pas de nous affranchir des contraintes que nous imposent la Constitution et les engagements européens et internationaux de notre pays.
Nous avons aussi essayé d’écarter les quelques poncifs qui sont repris dans la vie politique française et qui nuisent, selon moi, à la bonne efficacité de nos décisions.
Non, l’immigration n’est pas systématiquement synonyme de délinquance. (Marques d’ironie sur les travées des groupes SER et GEST.) Ce serait faire injure à nos concitoyens d’origine étrangère que de le dire.
En revanche, il ne faudrait pas tomber de l’excès dans l’aveuglement et ne pas voir qu’un certain type de délinquance – je pense notamment au terrorisme islamiste qui sévit sur notre territoire – n’est pas sans lien avec l’immigration. (Murmures sur les mêmes travées.)
De la même façon, et dans un autre ordre d’idées – pardonnez-moi, monsieur le ministre, mais vous êtes sans doute celui qui répète le plus cette antienne –, non, l’immigration n’est pas toujours une chance pour la France.
M. Rachid Temal. C’est l’Histoire de France !
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Certes, les étrangers peuvent exercer un certain nombre de métiers en France, mais il s’agit alors davantage d’une spécificité de notre marché du travail.
On peut aussi penser que côtoyer une culture étrangère est plutôt enrichissant, ce qui est vrai. Toutefois, lorsque cette culture prend une place telle qu’elle crée une « insécurité culturelle », pour reprendre les termes de Laurent Bouvet,… (Protestations sur les travées des groupes SER et GEST.)
M. Rachid Temal. Oh là là !
Mme Audrey Linkenheld. Et voilà le grand remplacement !
Mme Muriel Jourda, rapporteur. … c’est-à-dire la sensation que notre propre culture est contrecarrée sur notre territoire, nos concitoyens n’y voient pas une chance pour la France.
Les immigrés eux-mêmes, me semble-t-il, n’estiment pas être une chance pour notre pays. Quitter sa terre natale, ses proches, tout ce qui nous est familier comme notre histoire, nos traditions ou notre culture est forcément un déchirement à ne pas sous-estimer. L’émigration est toujours une souffrance pour celui qui part (Marques d’ironie sur les travées des groupes SER et GEST.), surtout lorsqu’il confie les économies familiales à ces nouveaux esclavagistes que sont les passeurs pour risquer sa vie en Méditerranée. L’immigré ne vient pas chez nous pour nous rendre service, mais parce qu’il pense que la France est une chance pour lui.
C’est donc en écartant ces poncifs que nous avons abordé ce texte. Préalable indispensable, nous avons également défini ce qu’est une politique migratoire, à savoir une politique qui consiste à dire qui a le droit d’entrer et de rester dans un pays qui n’est pas le sien, et à quelles conditions.
S’il existe 187 types de titre de séjour en France et si chacun sait comment y rentrer, il est un vide terrible : déterminer quels étrangers peuvent venir en France et pour y faire quoi.
L’apport principal de la commission des lois a consisté à introduire un titre Ier A visant à véritablement maîtriser les voies d’accès au territoire. Qui s’intéresse à ces sujets, comme Philippe Bonnecarrère et moi-même le faisons depuis quatre ans dans le cadre du débat budgétaire ou comme le fait le président Buffet depuis de nombreuses années, sait que le trop grand nombre d’entrées sur le territoire nuit à la politique migratoire : nous ne savons plus accueillir, nous ne savons plus intégrer et, en définitive, nous n’appliquons même plus les textes que nous votons. Nous ne sommes pas en mesure d’éloigner les personnes entrées en France de manière irrégulière ni celles qui ont perdu leur titre de séjour après être rentrées légalement sur notre territoire.
Ce premier titre prévoit donc un débat au Parlement afin de fixer des quotas pour déterminer, autant que faire se peut, qui va rentrer en France et quelle quantité d’étrangers nous pouvons accueillir. Nous avons aussi resserré les conditions du regroupement familial et celles de l’obtention du titre « étranger malade » et du titre « étudiant », lequel doit être davantage contrôlé. Tel est l’apport principal de la commission des lois ; nous débattrons des autres sujets au cours de la discussion. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Michel Canévet applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, après avoir rappelé les propos du président Larcher, pour lequel, sur l’immigration, la situation n’est plus tenable, après avoir souligné que le travail technique entre les rapporteurs s’est très bien déroulé et que la majorité sénatoriale est d’accord sur la quasi-totalité des sujets (Ah bon ? sur les travées des groupes SER et GEST.), après avoir dit qu’il existe des solutions pour réécrire l’article 3 du projet de loi (Mêmes mouvements.), je voudrais organiser mon propos introductif autour de quatre points.
Premièrement, nous avons une obligation de résultat ; deuxièmement, notre engagement de fermeté a été respecté ; troisièmement, nous vous proposons un retour du Parlement dans la définition de la politique migratoire ; quatrièmement, nous nous inscrivons dans le cadre conventionnel et constitutionnel, le tout au service de l’action publique.
Premièrement, donc, nous avons une obligation de résultat : le Sénat doit adopter un texte. Personne ne comprendrait que la Haute Assemblée ne soit pas en mesure de répondre aux attentes de nos concitoyens, en revanche, ce d’autant que l’application du temps législatif programmé à l’Assemblée nationale laisse planer un doute sur la capacité des députés à mener le débat jusqu’à son terme. L’élaboration d’un texte est une question de légitimité parlementaire, tout particulièrement pour le Sénat, dont nous estimons tous qu’il est aujourd’hui le point d’équilibre institutionnel. Il nous appartient d’être cohérents et de faire aboutir notre travail.
Deuxièmement, ce texte – en plus de ceux que contenait sa version initiale, sur laquelle M. le ministre vient de s’exprimer – introduit des éléments incontestables de fermeté, et vous en aurez de nombreux témoignages. La première étape a eu lieu lors des travaux en commission, au mois de mars dernier ; la deuxième étape, à savoir le débat en séance publique, nous permettra d’adopter de nouveaux amendements. C’est bien un nouveau paysage de la politique migratoire qui se dessine ; ce n’est pas une addition de mesures.
Troisièmement, ce texte marque un retour du Parlement : la politique migratoire n’est pas simplement diplomatique ou mémorielle ; elle est régalienne et s’écrit au présent, sous le contrôle du Parlement. Avec le débat annuel proposé à l’article 1er A du projet de loi, nous souhaitons nous donner collectivement, en nous appuyant sur les données qui auront été collectées, les moyens d’être plus précis en termes d’évaluation et de fixer les objectifs de la politique migratoire. Le Parlement doit pouvoir décider d’un cap.
Quatrièmement, nous avons travaillé dans le respect de nos engagements conventionnels et de notre Constitution. J’entends le débat au sein de la société entre liberté individuelle et droits collectifs. Je ne crois pas que l’État de droit entrave l’action publique. La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) admet une marge d’appréciation nationale. Si l’on se penche sur cette question avec précision, on verra que le Conseil constitutionnel n’a jamais interdit ni au pouvoir exécutif ni au pouvoir législatif de mettre en œuvre leurs politiques.
Sans anticiper sur la suite du débat, prenons garde d’introduire des dispositions inconstitutionnelles qui n’apporteraient rien à la crédibilité du Parlement et qui, se heurtant à une censure, pourraient faire croire à nos concitoyens que l’action publique n’est plus possible.
Je crois très profondément que la politique migratoire qui vous est proposée au travers de ce texte peut être efficace, même si elle ne le sera jamais à 100 %. Je partage, à cet égard, le sentiment d’humilité qu’a exprimé le ministre de l’intérieur voilà quelques instants. Indubitablement, l’adoption de ce texte, complété par vos amendements, permettra de mener une politique plus efficace. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Exception d’irrecevabilité
M. le président. Je suis saisi, par Mme Cukierman, M. Brossat et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, d’une motion n° 1.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 2, du règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration (n° 434 rectifié, 2022-2023).
La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour la motion.
Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, loin de nous l’idée, en déposant cette motion, de laisser sous-entendre qu’il n’y aurait pas lieu de débattre de l’immigration dans notre pays. Toutefois, nous demeurons convaincus que ce n’est pas avec ce texte que nous répondrons à deux des nombreux défis de demain : l’explosion des migrations de par le monde et la lutte contre le terrorisme, plus particulièrement le terrorisme islamique radical.
Nous nous devons un discours de vérité, sans excès, mais empli de sincérité et de conviction. Monsieur le ministre, c’est dans cet état d’esprit que s’inscrit mon groupe avant l’examen des articles de votre projet de loi.
Un discours de vérité, car il ne faudrait pas laisser à penser que gestion des politiques migratoires et lutte contre le terrorisme vont forcément de pair.
Il suffit de se retourner sur la dernière décennie et sur les attentats dont notre pays a été victime pour constater qu’immigration ne rime pas avec terrorisme. Ne laissons pas les Français croire que ce texte assurera leur sécurité. Ne laissons pas croire non plus que la France pourrait stopper les migrations de populations qui fuient par milliers le dérèglement climatique, les guerres, la famine. Les drames récents, notamment celui de Lampedusa, le démontrent.
Oui, ces femmes et ces hommes traversent le monde massivement au péril de leur vie, car c’est pour eux la seule chance de survie. Une partie de notre planète subit famine et sécheresse de manière quasi permanente. Cette réalité, ce sont souvent les pays les plus riches de notre planète qui en sont les premiers responsables : déforestation massive, hyperurbanisation, exploitation des cours d’eau et des océans.
À ces migrations s’ajoutent les nombreux conflits qui parfois, bien loin des plateaux de télévision, font des milliers de morts, des milliers de prisonniers, des milliers de filles privées d’école, des milliers d’enfants soldats, des milliers de femmes violées. Telle est la réalité de la guerre et des dictatures.
Là encore, c’est au péril de leur vie, à pied, derrière des camions ou dans des bateaux de fortune que, chaque jour, des milliers de personnes tentent de fuir vers un eldorado que notre pays, parmi d’autres, incarne.
Et pourtant, à leur arrivée, l’eldorado s’effondre : ils ont cherché à partir pour vivre ; ils restent ici pour survivre.
Notre devoir, au pays de Voltaire et de Hugo, est de les accueillir avec humanité. Oui, nous avons un impératif : les sortir des mains de tous les passeurs, trafiquants et exploiteurs en tout genre. Or votre texte n’apporte pas de réponse ; au contraire, il tend à stigmatiser un peu plus encore ces femmes et ces hommes qui n’ont plus rien en les rangeant dans le camp de ceux qui nuiraient à notre pays.
Mais de quelle nuisance parlons-nous ? Je vous invite à voir ou à revoir le magnifique documentaire diffusé sur France Télévisions Nous les ouvriers, à relire l’Histoire de France, pour mesurer combien ces femmes et ces hommes, bien loin d’être des nuisances, ont aidé la France à se construire, à se défendre et à se reconstruire.
Pêle-mêle, ils étaient marocains, tunisiens, algériens, sénégalais, ivoiriens, polonais, italiens, espagnols, portugais et de tant d’autres pays encore. Ils ont tous connu à leur arrivée l’hostilité plus ou moins mondaine du racisme ordinaire. Par le travail, par l’exigence de notre République à faire du commun et nom du communautarisme (M. Stéphane Ravier s’exclame.), ils se sont intégrés et ont su vivre ensemble, en France.
Je ne fais preuve d’aucun angélisme : oui, le monde a changé ; oui, notre République et ses valeurs ont faibli.
Aux termes de notre Constitution, la « République est indivisible, laïque, démocratique et sociale ». C’est en confortant ces quatre principes que nous sortirons du débat nauséabond auquel nous assistons depuis plusieurs années ; un débat qui a fait renoncer les gouvernements successifs, convaincus que la répression et la négation même de la réalité régleraient le problème. Or il n’en est rien.
Au contraire, à nier cette réalité, nous avons affaibli notre République en renvoyant ces personnes dans le communautarisme, en les excluant de nous-mêmes de notre commun, parfois en les déshumanisant, renforçant l’emprise des marchands de sommeil, des patrons voyous et autres exploiteurs de la misère humaine.
Le débat que nous aurons sur l’aide médicale de l’État (AME) en est un exemple frappant : priver de soins préventifs des femmes et des hommes, au détriment de toute politique de santé publique, est une catastrophe pour les personnes concernées comme pour la société.
Enfin, ne soyons pas hypocrites : nous sommes nombreux dans nos départements à connaître des parcours de réussite, et pas seulement dans les métiers en tension, et tout aussi nombreux à solliciter, ici ou là, les préfets pour des dérogations. Parfois même, monsieur le ministre, nous vous interpellons directement.
Si le monde a changé, nous devons renforcer nos politiques, nous devons renforcer le droit au travail pour ces femmes et ces hommes qui ne demandent que cela, nous devons renforcer la prise en charge de l’apprentissage du français pour décommunautariser ces personnes et les rendre libres de leur destinée.
Enfin, nous devons créer les structures d’accueil dignes du pays des droits de l’homme plutôt que de nous satisfaire des dormeurs de rue. Cela doit se traduire dans la loi et non en renforçant le pouvoir discrétionnaire des préfets.
Autre sujet, celui de la lutte contre le radicalisme. Sachez, monsieur le ministre, que nous serons toujours de ce combat-là. Nous le savons, et l’histoire algérienne des années 1990 le démontre : le radicalisme islamiste n’aime pas les progressistes. Car, à la doctrine de Dieu, nous répondons par la celle de la République ; à la doctrine de l’immobilisme, facilitatrice de l’exploitation de l’homme par l’homme, nous répondons par celle de l’éducation et de la construction d’un esprit critique, seul facteur d’émancipation pour les individus.
Nous voulons non pas une République « uniformée », mais une République qui rassemble, qui conjugue les talents de chacun au service de tous.
Je finirai par quelques remarques de forme.
Dans la lignée des précédents textes, ce projet de loi participe de fait à l’inflation normative – une loi sur l’immigration tous les dix-huit mois, c’est sans équivalent ! – et au non-respect des principes de sécurité juridique et d’intelligibilité de la loi, alors que l’on ne dispose ni d’un appareil statistique complet ni du bilan de la loi du 10 septembre 2018 à laquelle les mêmes objectifs étaient assignés, comme l’a rappelé le Conseil d’État. Ce n’est pas respectueux du travail de la représentation nationale.
Ce texte encourt fortement la censure du Conseil constitutionnel. Il porte plus que jamais atteinte au droit de mener une vie familiale normale, protégé par la jurisprudence européenne sur l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. Il contrevient également à la jurisprudence du Conseil constitutionnel relative au respect de la vie privée, fondée sur l’article II de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
Nous examinons ce projet de loi dans un contexte particulier de stigmatisation des étrangers. Nous assistons même à une sorte de concours Lépine des propositions les plus dures, pouvant aller jusqu’à une remise en cause de l’État de droit, laquelle n’est pas toujours assumée, notamment lorsque certains acteurs politiques envisagent de bousculer une Constitution qu’ils sont d’ordinaire plus enclins à préserver.
Ce texte est rempli de contradictions. Comment peut-on, en même temps, poursuivre un objectif d’intégration des étrangers et s’en prendre au regroupement familial ? Comment peut-on, en même temps, vouloir accélérer les procédures d’expulsion et augmenter l’ensemble des délais de rétention ? Comment peut-on, en même temps, durcir les sanctions contre les marchands de sommeil et ne pas accompagner davantage les victimes ?
Monsieur le ministre, mes chers collègues, vous l’aurez compris, nous ne faisons nôtres ni le texte du Gouvernement ni celui que la droite sénatoriale a réécrit. Cependant, nous débattrons jusqu’au bout avec vous, car nous demeurons convaincus que c’est dans le débat, dans la confrontation et dans la contradiction que nous avancerons. Tel est le sens de cette motion visant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Et c’est parce que celle-ci sera rejetée que je tiens à vous dire que nous ne lâcherons rien : article après article, nous serons en mesure de démontrer que d’autres solutions sont possibles pour faire grandir notre République sur la route de l’humanité sans lui être néfastes pour autant. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et SER, ainsi que sur des travées du groupe GEST.)
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. L’avis est, comme vous vous en doutez, défavorable pour les quelques raisons suivantes.
Madame Cukierman, vous aspirez à poursuivre et à amplifier le débat ; cela implique donc d’examiner le texte au fond !
Vous appelez à un discours de vérité ; c’est bien le point de départ ! Nous comptons quelque 600 000 à 900 000 personnes présentes illégalement sur notre sol, notre dispositif d’intégration est en panne, nous souffrons d’une incapacité chronique à atteindre nos objectifs et nous aurons environ 150 000 demandeurs d’asile cette année – un record, même si la France est loin d’être le pays le plus « attractif » pour les demandeurs d’asile.
Je conclurai, madame la sénatrice, en réagissant à deux des points que vous avez abordés.
Vous avez dit que nous vivions une époque de conflits multiples, ce en quoi, bien sûr, vous avez raison. Aussi le texte est-il une réponse non à je ne sais quel air du temps qui serait à la stigmatisation, comme je l’entends parfois, mais à une situation géopolitique bien réelle, caractérisée par un fort niveau d’instabilité.
Vous avez également appelé à « faire du commun ». Comment « faire du commun » dans la France de 2023 ? Il y a là un objectif que je partage volontiers, tout en émettant, je le répète, un avis défavorable sur la motion que vous venez de présenter.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre. Avis défavorable, évidemment.
Je partage avec vous, madame la sénatrice, l’envie que ce débat se déroule dans des conditions respectueuses du débat républicain. Quand on parle d’immigration – il me semble l’avoir dit à la tribune –, on parle bel et bien de femmes et d’hommes, d’enfants aussi, mais on parle également de femmes et d’hommes qui, au nom de la République, agissent auprès d’eux, les écoutent et les accompagnent ; c’est le cas des associations. Ce qui importe, ici, ce sont moins les questions matérielles ou d’argent, sujets certes respectables, que l’humain : « La seule querelle qui vaille est celle de l’homme », pour ne pas dire : « L’humain d’abord » ! Et c’est précisément dans cet esprit que travaille le Gouvernement.
J’en viens très rapidement à deux points de votre intervention, madame la sénatrice, contre lesquels je souhaite m’inscrire en faux.
Premièrement, vous dites – j’entends cet argument souvent, et partout – qu’en la matière il y a eu vingt lois en trente ans,…
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Vingt-neuf !
M. Gérald Darmanin, ministre. … une tous les dix-huit mois. Mais c’est tout à fait faux ! Depuis que le Président de la République a pris ses fonctions, il y a eu une seule loi consacrée à ce sujet, en 2018. C’est donc la deuxième loi en six ans sur l’immigration.
M. Bruno Sido. Ce n’est pas beaucoup…
M. Bruno Retailleau. Il en faudrait d’autres !
M. Gérald Darmanin, ministre. M. Retailleau dit qu’il en faudrait d’autres : mettez-vous d’accord !
On ne peut pas dire que le Gouvernement fut « priapique » (Sourires.) pour ce qui est des lois migratoires ces dernières années : une tous les six ans, cela me paraît raisonnable.
Combien de textes budgétaires avez-vous votés cette année, mesdames, messieurs les sénateurs ?
M. Rachid Temal. En moyenne avec l’Assemblée nationale ?
M. Bruno Sido. Trop ! (Pas assez ! sur d’autres travées.)
M. Gérald Darmanin, ministre. Trop ou pas assez ? On mesure bien là la diversité de la majorité sénatoriale…
M. Rachid Temal. Parlez du texte !
M. Gérald Darmanin, ministre. Précisons – vous l’avez fait vous-même, madame la sénatrice – que les questions migratoires évoluent au gré de l’actualité internationale : ce qui se passe dans certains pays, que les talibans prennent le pouvoir en Afghanistan ou que le Bangladesh subisse les effets du changement climatique, que l’armée française se retire du Sahel au prix de graves difficultés ou que les coups d’État se succèdent ici et là, tout cela a bien sûr des conséquences sur notre pays.