M. Pierre Ouzoulias. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote.
Mme Laurence Rossignol. Monsieur le rapporteur, vous me donnez crédit d’avoir une approche militante des questions de langue : bien sûr, puisque nous en avons une lecture féministe.
Nous dénonçons les stéréotypes et les représentations défavorables aux femmes que la langue véhicule. Mais, entre vous est moi, il y a une différence : je suis une militante et je le reconnais, tandis que vous êtes des militants et que vous ne le reconnaissez pas.
En prenant parti contre l’écriture inclusive, vous émettez à l’évidence un signal politique. Est-ce un pur hasard si, pour la seconde fois, vous portez cette affaire devant le Sénat ? Si vous tenez absolument à utiliser les mots d’« écriture inclusive » ? Si, la semaine dernière, les députés du Rassemblement national ont défendu une proposition de loi traitant du même sujet ?
J’ai du mal à croire que tous ces parlementaires de droite – vous, le RN et probablement les représentants des autres droites de ce pays – se passionnent subitement pour la pureté de la langue française. Non ! Votre sujet, ce n’est pas l’écriture inclusive. C’est la peur que vous inspire l’indifférenciation des sexes. C’est une peur anthropologique… (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Stéphane Piednoir. Psychanalyse de bas étage !
Mme Laurence Rossignol. Inutile de couvrir ma voix.
Voilà quelques instants, vous avez désigné vous-mêmes ceux qui, en vous, provoquent cette peur : les féministes et les LGBT – les deux bêtes noires de tous les conservateurs et réactionnaires de cette planète,… (Protestations sur les mêmes travées.)
M. Stéphane Piednoir. Au secours !
Mme Dominique Estrosi Sassone. Caricature !
Mme Laurence Rossignol. … de Bolsonaro à Trump en passant par Poutine. Les obsessions sont toujours les mêmes : les transgenres, les homosexuels et les féministes. Or l’écriture inclusive concentre tout cela dans votre esprit.
Mme Marie-Claire Carrère-Gée. Vous n’avez pas le monopole du féminisme !
Mme Laurence Rossignol. De manière assez simple et militante – reconnaissez-le –, vous manifestez ici votre hostilité à certaines évolutions de la société. Je vous le concède, ces questions sont vertigineuses, mais vous n’y répondrez certainement pas par des interdictions. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme la présidente. La parole est à M. Yan Chantrel, pour explication de vote.
M. Yan Chantrel. Monsieur le rapporteur, j’ai l’impression que vous n’assumez pas véritablement la finalité de votre texte.
À vous entendre, ses dispositions n’empêcheront pas les doubles flexions comme « sénatrices, sénateurs ».
Nous sommes tout de même dans un endroit sérieux, où l’on fait la loi : dans les textes que nous votons, chaque mot doit être maîtrisé. Or je vous renvoie à cette proposition de loi telle qu’elle est écrite : elle a pour objet « les pratiques rédactionnelles et typographiques visant à […] substituer à l’emploi du masculin, lorsqu’il est utilisé dans un sens générique, une graphie faisant ressortir l’existence d’une forme féminine ».
Les doubles flexions sont bien des pratiques rédactionnelles qui remplacent un masculin générique. De même, « né(e) » est une graphie qui fait apparaître une forme féminine à la place d’un masculin générique…
M. Cédric Vial, rapporteur. Mais non ! Le singulier n’est pas générique !
M. Yan Chantrel. En fait, vous ignorez la définition de ces pratiques rédactionnelles, qui, si votre texte est adopté, seront toutes interdites.
L’exposé des motifs nous permet d’ailleurs de connaître la philosophie suivie par notre collègue qui a écrit ce texte : c’est exactement ce que vous visez et c’est là qu’est le problème.
Comme l’a très bien dit Laurence Rossignol, vous êtes des militants. Vous êtes les seuls à vouloir légiférer sur ces sujets, en tombant dans les travers dont vous nous accusez à tort. Vous semblez croire que nous voulons rendre l’écriture inclusive obligatoire, mais, nous, nous ne légiférons pas en ce sens.
Vous voudriez imposer une manière de penser et de normer la langue, alors que ce n’est pas le rôle du législateur.
J’y insiste, avec ce texte, vous vous engagez sur une pente dangereuse. Quelqu’un que vous respectez tout particulièrement, Jacques Toubon, vous l’a d’ailleurs dit lors de son audition : votre texte n’est pas bon. Il ne va pas dans le bon sens. Il ne correspond même pas à la philosophie de sa propre loi. La meilleure chose à faire, c’est de voter notre amendement pour mettre fin à ce spectacle. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
Mme la présidente. La parole est à M. Marc Laménie, pour explication de vote.
M. Marc Laménie. Je salue avant tout le travail accompli par la commission et par l’auteur de cette proposition de loi, notre collègue Pascale Gruny.
Je ne souhaitais pas intervenir ce soir, mais, à la suite de M. le rapporteur et de Mme la ministre, je tiens à insister sur la nécessité de préserver les fondamentaux nécessaires à l’apprentissage de la lecture et de l’écriture.
M. Chantrel a évoqué différents documents officiels, qu’il s’agisse des titres sécurisés, comme les cartes nationales d’identité, ou des déclarations d’impôt sur le revenu.
Je suis tout sauf un spécialiste de l’écriture inclusive ; je le reconnais volontiers. Je mesure l’importance de l’égalité entre les femmes et les hommes et je milite bien sûr en ce sens – je rappelle d’ailleurs, si besoin est, que notre assemblée compte beaucoup de sénatrices de grande qualité ! (Sourires.) –, mais nous ne devons pas nous tromper de débat.
Pour ma part, je suivrai l’avis de la commission. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme Françoise Gatel applaudit également.)
Mme la présidente. L’amendement n° 3, présenté par M. C. Vial, au nom de la commission, est ainsi libellé :
I.- Après l’alinéa 4
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« … - Le présent article est d’ordre public. »
II.- Alinéa 5, après la deuxième phrase
Insérer une phrase ainsi rédigée :
Cette disposition est d’ordre public.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Cédric Vial, rapporteur. Il s’agit d’un amendement rédactionnel, madame la présidente.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 1er, modifié.
(L’article 1er est adopté.)
Article 2
La présente loi est d’ordre public. Elle s’applique aux contrats et avenants conclus postérieurement à son entrée en vigueur.
Toutefois, l’article 19-1 de la loi n° 94-665 du 4 août 1994 précitée ne s’applique aux produits destinés à la vente qu’à compter du premier jour du septième mois suivant la publication de la présente loi.
Mme la présidente. L’amendement n° 2, présenté par M. Chantrel, Mme Monier, M. Kanner, Mmes Brossel et Daniel, M. Lozach, Mme S. Robert, MM. Ros, Ziane et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Yan Chantrel.
M. Yan Chantrel. En bonne logique, nous proposons également la suppression de l’article 2.
M. le rapporteur aime se référer à l’ordonnance de Villers-Cotterêts. Peut-on imaginer meilleur jour pour citer ce texte ? Son article 110, qui reste en vigueur aujourd’hui, est rédigé en ces termes : « Et afin qu’il n’y ait cause de douter sur l’intelligence desdits arrêts, nous voulons et ordonnons qu’ils soient faits et écrits si clairement, qu’il n’y ait ni puisse avoir aucune ambiguïté ou incertitude ne lieu à demander interprétation. »
C’est précisément au nom du principe de clarté de la norme que nous défendons l’écriture inclusive.
Monsieur le rapporteur, c’est bien le masculin générique, que vous tenez tant à défendre, qui est ambigu. Si je dis : « Les sénateurs se fichent pas mal de l’égalité femmes-hommes », est-ce que je parle des hommes de cette assemblée ou des hommes et des femmes qui la composent ? Ce n’est pas clair.
Contrairement au premier, le deuxième alinéa de l’article premier de la Constitution est écrit en langage inclusif : « La loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales. »
S’il avait été écrit avec un masculin générique, il aurait perdu tout son sens : « La loi favorise l’égal accès des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales. » (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Stéphane Piednoir. C’est absurde !
M. Yan Chantrel. Nous défendons donc bien la clarté de la loi, au contraire des apôtres du masculin générique. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Laurence Rossignol. Bravo !
M. Stéphane Piednoir. Il se décrédibilise tout seul !
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Cédric Vial, rapporteur. Sans surprise, l’avis sera défavorable.
Monsieur Chantrel, vous évoquez le masculin générique. Laissez-moi toutefois vous rappeler que « il est né » n’en est pas un. C’est un masculin. De la même manière, « elle est née » indique bien un féminin et n’est pas non plus générique.
Si l’on dit « ils sont nés », ce qui signifie, si vous préférez, « ils et elles sont nés », c’est bien un masculin pluriel générique. Cela ne souffre d’aucune ambiguïté et ne laisse place à aucune interprétation, mais il n’est pire sourd ou sourde que celui ou celle qui ne veut pas entendre ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Max Brisson. Très bien !
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Rima Abdul-Malak, ministre. Comme précédemment, le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat.
Mme la présidente. La parole est à M. Mickaël Vallet, pour explication de vote.
M. Mickaël Vallet. J’en termine avec la démonstration.
Nous ne tomberons pas d’accord sur ce sujet, mais nous sommes tous pris au piège, pour des raisons historiques et partisanes, d’un côté, pour des raisons d’étroitesse d’esprit, de l’autre. (Oh ! sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mes chers collègues, vous n’avez pas eu beaucoup à souffrir de mes interventions ce soir. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Francis Szpiner. Quand même !
M. Mickaël Vallet. Le véritable problème, ou le plus criant, sur lequel nous pouvons légiférer de manière moins ambiguë, demeure celui de l’anglicisation croissante et du manque de compréhension par nos administrés de ce qui se passe dans notre pays.
Sur ce point, je tends la main à l’ensemble de mes collègues. La sagesse sénatoriale, au-delà de la sagesse ministérielle, devrait nous permettre de procéder comme nous l’avons déjà fait avec succès : non pas seulement en préparant des propositions de loi, qui peuvent avoir leur utilité, mais aussi, et surtout, en menant l’évaluation les politiques publiques.
La loi Toubon va avoir trente ans. Dans un contexte politique nouveau, marqué par le numérique, l’intelligence artificielle et le comportement changeant des administrations d’État et des collectivités territoriales, elle mérite une évaluation approfondie, afin que le Sénat puisse œuvrer à son amélioration et à son ancrage dans les réalités contemporaines.
Je pose donc de nouveau la question, madame la ministre : comment la loi que nous prétendons modifier ce soir est-elle appliquée ? Le Président de la République a tenté de se raccrocher aux branches aujourd’hui, mais cela n’a pas convaincu grand monde. Comment vous-même souffrez-vous les « Choose France », « France Connect », « French Impact » ? Quid, dans des entreprises issues de grands monopoles publics, de « Orange Bank » ou de « My French Bank » à La Poste ? Quiconque lit cela devrait avoir le rouge au front !
M. Pierre Ouzoulias. Très bien !
M. Mickaël Vallet. Quant aux collectivités territoriales, je ne vais sans doute pas me faire d’amis ainsi, mais que dire de « Sarthe Me Up », « OnlyLyon », « Let’s Grau » – remarquable jeu de mots ! –, « MadeInJura », « My Loire Valley », etc. ?
J’en termine avec la carte nationale d’identité, pour laquelle le Gouvernement – Mme Schiappa était chargée de ce dossier –, n’a pas été fichu de faire autrement que d’imposer l’anglais comme deuxième langue, alors même que l’Union européenne autorise le plurilinguisme.
Mme la présidente. Merci, mon cher collègue !
M. Mickaël Vallet. Que devons-nous faire à ce sujet, madame la ministre ? (Applaudissements sur des travées des groupes CRCE-K et Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Mélanie Vogel, pour explication de vote.
Mme Mélanie Vogel. Je souhaite revenir sur le discours de notre collègue Lévrier, qui nous expliquait précédemment combien, en traduisant le discours du Général de Gaulle avec des points médians, celui-ci devenait illisible. Le point médian, rappelons-le, est une forme d’abréviation écrite. Ainsi, « Français·es » est l’abréviation de « Françaises et Français ». Il semblerait que, pour certains d’entre nous, cela devienne alors extrêmement difficile à lire et à comprendre.
Pourtant, lorsque je regarde l’écran dans cet hémicycle, juste avant le nom de M. Chantrel, je vois « amdt n petit rond 2 ». Et, manifestement, vous n’avez aucun problème de lecture ou de compréhension ! (Protestations sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. Laurent Somon. Ça, c’est une vraie abréviation !
Mme Mélanie Vogel. Quelle est la raison de cette différence ? Expliquez-moi pourquoi il est tellement compliqué pour vous de saisir que l’ajout d’un point médian entre un « s » et un « e » signifie « Françaises et Français », alors qu’il vous est parfaitement possible de comprendre que « amdt n petit rond 2 » veut dire « amendement numéro 2 » ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE-K.)
Mme la présidente. L’amendement n° 4, présenté par M. C. Vial, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 1
Supprimer les mots :
est d’ordre public. Elle
La parole est à M. le rapporteur.
M. Cédric Vial, rapporteur. Cet amendement est le corollaire de l’amendement de précision rédactionnelle proposé à l’article 1er.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 2, modifié.
(L’article 2 est adopté.)
Vote sur l’ensemble
Mme la présidente. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Yan Chantrel, pour explication de vote.
M. Yan Chantrel. Notre groupe votera contre cette proposition de loi, car il ne s’agit pas d’un objet législatif sérieux, ainsi que nous l’avons démontré lors de ce débat.
En outre, ce texte est rétrograde : sa véritable cible est la féminisation de la société et de la langue, c’est-à-dire l’égalité entre les femmes et les hommes.
Il contrevient ainsi à la loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, laquelle impose de prendre en compte cette égalité dans toutes les politiques publiques, notamment en matière de communication ou de légistique, soit dans l’écriture même des textes législatifs.
Nous voterons contre, parce qu’il ne revient pas aux législateurs et législatrices que nous sommes de dicter la norme linguistique ou de définir ce qu’est le bon ou le mauvais français.
Il semble même que cette proposition de loi soit inconstitutionnelle, en ce qu’elle porte atteinte au principe de libre communication des pensées et des opinions consacré par l’article XI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, lequel avait déjà conduit à une censure partielle de la loi Toubon. (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)
Mme la présidente. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour explication de vote.
M. Bruno Retailleau. Madame la présidente, madame la ministre, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, il est assez drôle de voir la gauche recourir à ses vieilles méthodes, au vocabulaire de l’excommunication. Nous voilà condamnés, non pas à la réaction, mais à bien pire encore : nous sommes assimilés à MM. Trump, Poutine ou Bolsonaro. Soit, c’est un combat…
Pour autant, à mon sens, vous vous trompez de cible.
J’apprécie que le clivage droite-gauche soit revigoré, mais pas à ce prix, car cette langue, cette écriture faussement inclusive, c’est véritablement l’écriture de l’exclusion, tant elle est imprononçable à l’oral et indéchiffrable à l’écrit.
Ce sera une écriture de l’entre-soi, de quelques-uns, favorisée dans des cercles militants, une écriture de « précieuses ridicules », aurait dit Molière.
Mme Laurence Rossignol. Si tel devait être le cas, pourquoi en faire toute une histoire ?
M. Bruno Retailleau. On nous a reproché de déposer ce texte, mais nous avons eu raison de le faire et je remercie le rapporteur et le président de la commission de leur travail.
Des circulaires existent, certes, mais elles ne sont pas appliquées, et les jurisprudences sont contradictoires. Comme législateurs, il nous revient de fixer la règle. Victor Hugo, souvent cité ce soir, disait : « Il faut faire entrer le droit dans la loi. »
Plus encore, nous avons eu raison, parce qu’ici, nous nous sentons tous Françaises et Français. Or derrière l’écriture inclusive, il y a bien plus qu’une question de syntaxe ou de vocabulaire.
Mme Laurence Rossignol. Nous y voilà !
M. Bruno Retailleau. Bien entendu !
Dans nulle autre nation, il n’existe un lien aussi étroit entre la Cité et la langue. Pourquoi, sinon, aurions-nous créé une Académie française, qui n’a d’équivalent chez aucun autre peuple, pour défendre notre langue ?
M. Mickaël Vallet. Ça existe en Belgique.
M. Bruno Retailleau. Le Président de la République a inauguré aujourd’hui la Cité internationale de la langue française à Villers-Cotterêts. Demain auront lieu les jeux Olympiques. Le français est leur langue officielle.
M. Pierre Ouzoulias. De moins en moins !
M. Bruno Retailleau. Ce lien est irréductible. La France est une patrie littéraire,…
Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Bruno Retailleau. … son âme réside dans sa littérature et dans sa langue.
Demain, nous voulons que le français soit la langue de l’universalisme, et non celle du féminisme différentialiste.
Mme la présidente. Il faut conclure !
M. Bruno Retailleau. Nous proclamons que, en France, nous devons faire preuve d’indifférence à la différence. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Annick Billon, pour explication de vote.
Mme Annick Billon. Pour conclure ce débat sur l’écriture dite inclusive, rappelons que l’évolution de la société ne saurait se résumer à cette question. On a voulu nous faire croire que cette technique permettrait de faire progresser l’égalité entre les femmes et les hommes. Ce n’est pas le cas.
Pour avancer sur ce terrain, il faut des moyens, des budgets, des lois qui soient appliquées. J’ai ainsi évoqué l’éducation à la sexualité et à la vie affective, dispensée dans moins de 10 % des établissements scolaires, alors que la loi prévoit trois séances par an et par niveau. Il faut également améliorer l’accès aux soins pour les femmes, assurer l’égalité salariale, renforcer la justice.
Nous ne nous divisons donc pas entre, d’un côté, les réactionnaires et, de l’autre, les féministes. Je suis moi-même élue depuis 2014, et je crois pouvoir affirmer que la majorité sénatoriale a porté de nombreux textes qui ont fait progresser l’égalité salariale ou la lutte contre les violences intrafamiliales. Si l’écriture inclusive suffisait à faire reculer le nombre de féminicides, nous l’aurions adoptée depuis longtemps !
La majorité sénatoriale aime la langue française, elle aime son patrimoine et elle entend les défendre. Le groupe Union Centriste votera donc cette proposition de loi et souhaite mettre un point final, et non un point médian, à ce débat. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Gatel, pour explication de vote.
Mme Françoise Gatel. Je souhaite tout d’abord indiquer que je rejoins notre collègue Mickaël Vallet sur la nécessité de lutter contre l’invasion des anglicismes ; c’est l’un des rares points sur lesquels nous convergeons. Je me trouve à ses côtés dans ce combat.
Madame Vogel, le ridicule ne tue plus depuis l’époque des Précieuses ridicules. Votre argument consistant à assimiler l’abréviation du mot « amendement » à l’écriture inclusive, en affirmant que la plupart des Français n’en comprendraient pas le sens, est quelque peu léger. Il existe de nombreux termes que des Français utilisent au quotidien et que je ne maîtrise pas, car je n’exerce pas leurs métiers. Pourtant, des symboles comme celui de l’euro, qui peuvent paraître compliqués, sont compris de tous.
Chacun a le droit de déposer les propositions de loi de son choix, il s’agit là de notre prérogative. Il est regrettable que ce débat donne lieu à des leçons de morale où l’on qualifie ses opposants de fossiles, de dinosaures, de politiquement incorrects ne comprenant rien à l’évolution de la société.
Personne ici n’a affirmé que la langue ne devait pas évoluer. Nous avons indiqué qu’elle était notre bien commun et qu’elle devait rester accessible à tous.
Je rappelle aux féministes engagées dans ce débat que la République et la démocratie que nous avons en partage s’écrivent au féminin, que les principales valeurs républicaines que sont la liberté, l’égalité et la fraternité sont aussi des valeurs féminines. Je m’en réjouis et je les partage volontiers avec nos collègues masculins ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.
Mme Cécile Cukierman. Il est sans doute difficile de faire entendre ce que je m’apprête à dire, parce que nous avons versé dans l’excès et que chacun a simplifié ses positions à outrance.
Non, la gauche n’est pas pour l’écriture inclusive. Certains militants de gauche le sont, d’autres ne le sont pas.
Je tiens donc à rétablir quelques vérités, au nom de mon seul groupe, le CRCE-K, car, ayant horreur que l’on parle pour moi, je me garde moi-même de parler pour les autres.
Un point est fondamental pour nous : la langue et le langage nous permettent de faire société. Nous devons combiner en permanence dans notre réflexion le double enjeu de l’égalité entre les femmes et les hommes et de l’égal accès au savoir et à la maîtrise du langage pour toutes et pour tous, quelles que soient nos différences liées aux conditions sociales ou territoriales.
C’est ce défi que nous devons d’abord relever ; or, en l’état, l’écriture inclusive n’y répond pas. Cela signifie-t-il que la langue française telle qu’elle est utilisée aujourd’hui est satisfaisante ? Nous n’irons pas jusque-là.
Pour autant, le français est une langue vivante et nous ne nous résignons pas à considérer qu’elle ne pourrait évoluer en rien. Cette langue devra toujours refléter la société à laquelle nous aspirons.
Je le dis en toute sincérité : le combat du féminisme pour la reconnaissance réelle des femmes dans la société vaut mieux que la lutte pour un « e » entre parenthèses.
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote.
Mme Laurence Rossignol. Il est coutumier d’expliquer aux féministes sur quoi elles devraient se battre ou à quoi elles devraient renoncer,…
Mme Marie-Claire Carrère-Gée. C’est qui « les féministes » ?
Mme Laurence Rossignol. Ce travers est aussi vieux que le féminisme lui-même. Le problème est que le système dans lequel nous vivons et que nous essayons de bousculer pour parvenir à l’égalité est parfaitement cohérent.
Pourquoi tenons-nous tant à l’évolution de la langue ? Parce que le Président de la République affirme que nous n’avons pas besoin d’écriture inclusive, le neutre étant masculin. Or ce neutre masculin invisibilise les femmes ; c’est précisément ce contre quoi nous luttons. Le neutre masculin n’est pas perçu comme un neutre, mais bien comme un masculin.
Nous sommes tous bouleversés par les évolutions de la langue. Il y a un an, une affiche évoquait un « homme enceint ». Beaucoup de Français s’en sont émus ; moi-même, j’ai mis un certain temps à comprendre de quoi il était question.
Pour autant, en quoi l’expression « homme enceint » choquerait-elle davantage que « madame le sénateur » ? (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.) Pour moi, c’est exactement la même chose : une contradiction entre deux termes.
Rappelez-vous que, autrefois, quand il y avait très peu de femmes dans cet hémicycle, on disait « les sénateurs », en les incluant. Elles étaient invisibles. C’est parce que leur nombre a augmenté que le mot « sénatrice » s’est imposé et que le vocabulaire a évolué pour imposer la féminisation des mots. Celle-ci rend les femmes visibles quand le neutre les rend invisibles. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Mathilde Ollivier, pour explication de vote.
Mme Mathilde Ollivier. Une certitude émerge de ce débat : notre groupe ne votera pas cette proposition de loi qui tend à interdire l’écriture inclusive. Quelle surprise !
La majorité sénatoriale a fait le choix de débattre de ce sujet ce soir. Quant à nous, nous ne vous demandons pas d’adopter cette écriture, de l’utiliser, mais seulement de laisser celles et ceux qui le souhaitent le faire librement.
L’écriture inclusive répond au besoin de diverses communautés… (Exclamations sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)