Sommaire

Présidence de Mme Sylvie Robert

Secrétaires :

Mme Véronique Guillotin, M. Philippe Tabarot.

1. Procès-verbal

2. Rappel au règlement

Mme Nathalie Goulet

3. Mises au point au sujet de votes

4. Candidatures à une commission mixte paritaire

5. Épargnants et exploitations agricoles françaises. – Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Discussion générale :

Mme Vanina Paoli-Gagin, auteur de la proposition de loi

M. Christian Klinger, rapporteur de la commission des finances

M. Marc Fesneau, ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire

M. Raphaël Daubet

M. Martin Lévrier

Mme Isabelle Briquet

M. Laurent Somon

M. Dany Wattebled

M. Michel Canévet

M. Daniel Salmon

M. Éric Bocquet

M. Guillaume Chevrollier

M. Marc Fesneau, ministre

Clôture de la discussion générale.

Article 1er

M. Daniel Salmon

Amendement n° 4 de la commission. – Adoption.

Amendement n° 1 de M. Éric Bocquet. – Rejet.

Amendement n° 3 de M. Éric Bocquet. – Rejet.

Amendement n° 5 de la commission. – Adoption.

Amendement n° 6 de la commission. – Adoption.

Adoption de l’article modifié.

Article 2

M. Daniel Salmon

M. Marc Laménie

Adoption de l’article.

Article 3 – Adoption.

Article 4

Amendement n° 2 de M. Éric Bocquet. – Rejet.

Adoption de l’article.

Article 5 (supprimé)

Vote sur l’ensemble

Adoption de l’article modifié.

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE Mme Sylvie Vermeillet

6. Mise au point au sujet d’un vote

7. Interdiction de l’usage de l’écriture inclusive. – Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Discussion générale :

Mme Pascale Gruny, auteur de la proposition de loi

M. Cédric Vial, rapporteur de la commission de la culture

Mme Rima Abdul-Malak, ministre de la culture

M. Martin Lévrier

M. Yan Chantrel

M. Étienne Blanc

M. Aymeric Durox

Mme Marie-Claude Lermytte

Mme Annick Billon

Mme Mathilde Ollivier

M. Pierre Ouzoulias

Mme Maryse Carrère

Mme Else Joseph

Clôture de la discussion générale.

Article 1er

Mme Marie-Pierre Monier

Mme Colombe Brossel

M. Adel Ziane

M. Pierre Ouzoulias

Mme Mathilde Ollivier

Mme Laurence Rossignol

M. Mickaël Vallet

Mme Mélanie Vogel

M. Max Brisson

M. Patrick Kanner

M. Daniel Salmon

M. Stéphane Piednoir

Mme Cécile Cukierman

Amendement n° 1 de M. Yan Chantrel. – Rejet.

Amendement n° 3 de la commission. – Adoption.

Adoption de l’article modifié.

Article 2

Amendement n° 2 de M. Yan Chantrel. – Rejet.

Amendement n° 4 de la commission. – Adoption.

Adoption de l’article modifié.

Vote sur l’ensemble

M. Yan Chantrel

M. Bruno Retailleau

Mme Annick Billon

Mme Françoise Gatel

Mme Cécile Cukierman

Mme Laurence Rossignol

Mme Mathilde Ollivier

M. Daniel Salmon

M. Max Brisson

M. Cédric Vial, rapporteur

Adoption, par scrutin public n° 20, de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.

8. Ordre du jour

Nomination de membres d’une commission mixte paritaire

compte rendu intégral

Présidence de Mme Sylvie Robert

vice-présidente

Secrétaires :

Mme Véronique Guillotin,

M. Philippe Tabarot.

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à seize heures.)

1

Procès-verbal

Mme la présidente. Le compte rendu intégral de la séance du jeudi 26 octobre 2023 a été publié sur le site internet du Sénat.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté.

2

Rappel au règlement

Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour un rappel au règlement.

Mme Nathalie Goulet. Mon rappel au règlement se fonde sur l’article 29 de notre règlement.

Je voulais vous faire part de l’effroi avec lequel un certain nombre d’entre nous avons hier observé les manifestations sur un aéroport du Daguestan, où une foule compacte a pénétré sur le tarmac pour s’attaquer à des passagers en provenance d’Israël et les passer à tabac.

Cet antisémitisme rappelle les pires pogroms, notamment ceux de l’époque tsariste.

Dans le même temps, à Istanbul, des librairies sont désormais interdites aux Juifs. Le nombre d’actes antisémites en France a crû de façon exponentielle ces dernières semaines.

Je sais que le ministre de l’intérieur est extrêmement attentif à ces questions. Toutefois, je voulais vous faire part de la très grande inquiétude qui saisit une partie de la population face à un déferlement de haine comme le monde n’en a pas connu et ne pensait plus en connaître après la Shoah et tout ce qui s’est passé ces dernières années.

Le Sénat a voté il y a quelques mois une résolution pour condamner l’antisémitisme. Notre collègue Roger Karoutchi s’étonnait que l’on doive, dans la France de 2023, voter une telle résolution.

L’antisémitisme, mes chers collègues, n’est pas une opinion : c’est un délit.

Aussi, je voulais faire ce rappel au règlement de façon que le Sénat soit réactif pour lutter contre toute forme d’antisémitisme, ici ou ailleurs.

Mme la présidente. Acte est donné de votre rappel au règlement, ma chère collègue.

3

Mises au point au sujet de votes

Mme la présidente. La parole est à Mme Isabelle Briquet.

Mme Isabelle Briquet. Lors du scrutin public n° 10 du 24 octobre 2023 sur l’amendement n° 185 rectifié, tendant à insérer un article additionnel après l’article 2 bis de la proposition de loi visant à améliorer l’accès aux soins par l’engagement territorial des professionnels, Mmes Isabelle Briquet, Marion Canalès, MM. Rémi Cardon, Yan Chantrel, Mme Hélène Conway-Mouret, M. Vincent Éblé, Mme Frédérique Espagnac, M. Hervé Gillé, Mme Gisèle Jourda, M. Éric Kerrouche, Mmes Monique Lubin, Marie-Pierre Monier, Corinne Narassiguin, MM. Alexandre Ouizille, David Ros, Lucien Stanzione, Jean-Claude Tissot, Simon Uzenat et Adel Ziane souhaitaient voter pour.

Mme la présidente. La parole est à M. Raphaël Daubet.

M. Raphaël Daubet. Lors du scrutin public n° 19 sur l’ensemble du projet de loi portant mesures d’urgence pour lutter contre l’inflation concernant les produits de grande consommation, Mme Nathalie Delattre souhaitait voter pour.

Mme la présidente. Acte est donné de vos mises au point, mes chers collègues. Elles seront publiées au Journal officiel et figureront dans l’analyse politique des scrutins concernés.

4

Candidatures à une commission mixte paritaire

Mme la présidente. J’informe le Sénat que des candidatures pour siéger au sein de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur le projet de loi portant mesures d’urgence pour lutter contre l’inflation concernant les produits de grande consommation ont été publiées.

Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.

5

 
Dossier législatif : proposition de loi visant à associer les épargnants à la transmission des exploitations agricoles françaises
Discussion générale (suite)

Épargnants et exploitations agricoles françaises

Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à associer les épargnants à la transmission des exploitations agricoles françaises, présentée par Mme Vanina Paoli-Gagin et plusieurs de ses collègues (proposition n° 920 [2022-2023], texte de la commission n° 62 rectifié, rapport n° 61).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin, auteur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et RDPI. – M. Paul Toussaint Parigi applaudit également.)

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à associer les épargnants à la transmission des exploitations agricoles françaises
Article 1er

Mme Vanina Paoli-Gagin, auteur de la proposition de loi. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 7 septembre dernier, à l’occasion de la visite de M. le ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire dans l’Aube, j’ai eu l’occasion de me rendre de nouveau dans les lycées agricoles de Saint-Pouange et de Sainte-Maure. Les équipes enseignantes et les élèves y partagent une même passion pour le travail de la terre et une même ambition, celle de nourrir notre pays.

Tous partagent aussi une même préoccupation : la transmission des exploitations. C’est là « le » sujet de préoccupation principal, tant pour ceux qui s’apprêtent à entrer dans le monde du travail que pour ceux qui s’approchent de la retraite.

Au cours des échanges que nous avons eus, un élément m’a marquée : pour la première fois dans l’histoire de ces établissements, les jeunes lycéens ne sont plus nécessairement issus du monde agricole. C’est un basculement majeur. Il s’inscrit dans une dynamique de longue durée qui modifie la sociologie de notre agriculture.

Pour le dire plus simplement, tous les agriculteurs de demain, vraisemblablement dans leur grande majorité, ne seront plus des enfants de paysans.

Il est essentiel d’avoir à l’esprit cette évolution structurelle si l’on veut préparer l’avenir de notre agriculture. Cette évolution n’est pas propre à mon département. Elle concerne l’ensemble du territoire national.

J’en veux pour preuve trois chiffres issus du rapport que la Cour des comptes, dont je salue la clairvoyance, a remis à la commission des finances, au mois d’avril dernier.

Le premier chiffre concerne la diminution du nombre d’agriculteurs. Celui-ci a été divisé par cinq depuis 1955, passant de 2,5 millions à 500 000 en 2020 ; cette baisse drastique s’est produite alors que la population active globale ne cessait d’augmenter. La proportion des agriculteurs dans la population active s’est donc effondrée et les agriculteurs sont devenus une minorité.

Le deuxième chiffre témoigne du vieillissement de cette population. Près d’un exploitant agricole sur deux partira à la retraite dans les dix prochaines années. Voilà qui est colossal. Il est donc urgent de préparer la relève, à la fois en formant des jeunes et en facilitant leur entrée dans le monde agricole.

Le troisième chiffre révèle l’agrandissement des exploitations agricoles. Depuis l’an 2000, leur surface moyenne est passée de 42 à 69 hectares, soit une augmentation de plus de 60 %.

On peut s’en désoler et regretter la disparition progressive des petites exploitations. Il faut en tout cas garder à l’esprit qu’acquérir une exploitation est de plus en plus difficile.

En effet, le coût du foncier constitue, encore aujourd’hui, l’une des barrières à l’entrée pour les jeunes qui souhaitent s’installer, même si, rappelons-le, les terres françaises sont moins chères qu’ailleurs en Europe. Bien sûr, les investissements liés à l’équipement des installations et à l’acquisition des outils de production représentent aussi un coût très important.

Investissement dans le foncier, d’une part, investissement dans l’outil de production, d’autre part : tels sont les deux leviers sur lesquels nous pouvons agir pour faciliter l’installation des futurs exploitants agricoles.

Monsieur le ministre, je sais que vous êtes parfaitement conscient de toutes ces problématiques. Une grande partie d’entre elles se trouvent au cœur des travaux que vous avez récemment menés, dans le cadre de la préparation de votre plan pour l’avenir de l’agriculture, dont nous connaîtrons bientôt le contenu. Je suis sûre que vous présenterez plusieurs mesures pour apporter des solutions concrètes et opérationnelles.

Cependant, je crois que le Sénat ne perd jamais son temps lorsqu’il cherche à contribuer à l’avenir de l’agriculture, de la viticulture et de l’élevage dans notre pays. N’est-ce pas d’ailleurs aussi son rôle en tant que chambre des territoires ?

C’est pourquoi le groupe Les Indépendants – République et Territoires a choisi d’inscrire à l’ordre du jour des travaux du Sénat ma proposition de loi visant à associer les épargnants à la transmission des exploitations agricoles françaises.

Concrètement, il s’agit de créer un nouveau véhicule de portage financier afin de permettre l’acquisition de foncier agricole, qui sera ensuite donné à bail à long terme à un agriculteur, dans le cadre du statut du fermage. Il s’agit bien, j’y insiste, de baux agricoles de long terme.

Ce véhicule, que je proposais de nommer « groupement foncier agricole d’épargnants » (GFAE), permettrait ainsi de drainer l’épargne privée vers l’acquisition de terres et de renforcer la souveraineté alimentaire du pays.

Nous aurons largement le temps, mes chers collègues, de revenir en détail, au cours de l’examen des articles, sur les différents aspects de ce dispositif. Je tiens toutefois à apporter quelques éclaircissements préalables.

Tout d’abord, on peut s’interroger sur l’opportunité d’un tel dispositif : pourquoi vouloir mobiliser l’épargne privée en vue de la diriger vers l’investissement dans le foncier agricole ?

Ce n’est pas la première fois que j’ai l’occasion de le dire ici : alors que notre dette publique bat chaque année des records, la mobilisation de l’épargne privée constitue un levier d’action majeur pour financer la transition écologique.

On estime ainsi que la « surépargne covid », c’est-à-dire l’épargne supplémentaire accumulée pendant la crise sanitaire, s’établit dans une fourchette entre 150 et 300 milliards d’euros : cela représente trois fois le montant du plan de relance ou, pour donner un autre ordre de grandeur, la valeur de l’ensemble du foncier agricole français.

Je persiste et signe : pour réaliser les investissements nécessaires à la transition écologique, sans creuser la dette ni alourdir les impôts, il faut trouver des moyens d’orienter les capitaux privés vers les priorités de nos politiques publiques. La souveraineté alimentaire de la France en fait partie, me semble-t-il.

Ensuite, comment ces capitaux seront-ils utilisés ?

La réponse est très simple : ils le seront de la même manière qu’ils le sont déjà dans le cadre d’un groupement foncier agricole (GFA) classique. Notre objectif est de proposer un nouveau modèle pour mobiliser des capitaux. Le dispositif porte sur la collecte, et non pas sur la destination.

Ainsi, contrairement à ce que d’aucuns voudraient faire croire, je ne vous propose pas de remettre en question le statut du fermage ni le rôle des sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (Safer) dans la régulation du foncier agricole. Ces sujets sont structurants, mais ils ne constituent pas, à proprement parler, l’objet de cette proposition de loi.

Et pour cause, une fois que l’argent aura été collecté auprès des épargnants et que le terrain aura été acquis, toutes les règles qui s’appliquent aujourd’hui aux GFA s’appliqueront demain aux GFAE.

Le risque de prédation par des acteurs étrangers, qui a été agité par certains comme un épouvantail, n’est pas non plus un argument opposable à ce dispositif. Je ne dis pas que le risque n’est pas réel, bien au contraire, mais il existe déjà dans le droit actuel : j’en suis parfaitement consciente, d’autant plus en tant qu’élue d’un terroir viticole. Le dispositif proposé ne change rien à cet égard ; s’il ne résout pas le problème, il ne l’aggrave pas non plus. Des acteurs étrangers pourront tenter de se servir de ce nouveau véhicule, comme ils le font déjà avec les GFA existants.

Je tiens également à dissiper une autre crainte qui a pu être exprimée. Non, un investissement dans un GFA d’épargnants n’a pas vocation à être un produit d’épargne ultraliquide.

Ces groupements seront en effet soumis aux dispositions du code monétaire et financier et respecteront des règles claires en matière de dépôt, de retrait et de cession d’actifs. Cependant, ces règles relèvent du domaine du règlement, et non de celui de la loi.

C’est pourquoi je m’en suis remise à la sagesse de notre rapporteur, dont je tiens à saluer le travail, ainsi que la démarche extrêmement constructive avec laquelle il a abordé ce texte. Sur son initiative, la commission des finances a renommé les GFA d’épargnants en GFA d’investissement.

La notion d’investisseurs semble susciter moins de confusion. Elle ne s’adresse pas à un public d’initiés et présente l’avantage de rassurer sur la finalité du véhicule.

Cette dénomination est aussi une façon de souligner la ressemblance avec les groupements forestiers d’investissement (GFI), qui constituent des outils très bien connus dans le domaine forestier.

Je me suis inspirée de ces véhicules, qui ont déjà prouvé leur efficacité pour mobiliser des capitaux privés vers la consolidation et l’entretien de nos forêts. Je remarque au passage – et je le dis à l’attention des fans du statu quo – que les GFI n’ont pas particulièrement transformé nos parcelles sylvicoles en des places de marché livrées à la seule vénalité des spéculateurs.

Enfin, comment ce dispositif s’articulera-t-il avec les autres politiques publiques ?

Il ne remet nullement en cause ce qui existe déjà, ni les GFA d’exploitants familiaux, ni le rôle des Safer, ni les aides à l’installation. Il s’agit simplement d’ajouter une corde à notre arc de politiques publiques, en faveur de la transmission des exploitations et du renouvellement générationnel.

En conclusion, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens à vous redire l’objectif de ce texte.

Si notre agriculture constitue un atout stratégique pour la Nation, elle est aussi traversée par de profondes évolutions, qui sont celles de notre temps.

On ne préparera pas la relève des agriculteurs sans adapter notre modèle aux aspirations des jeunes générations. Il faut valoriser d’autres modèles d’exploitation que le modèle familial, dans lequel ceux qui travaillent possèdent à la fois le foncier et l’outil de production.

L’hybridation des formes d’exploitation progresse, sous l’effet de la montée en puissance des services. Plus fondamentalement, le rapport à la propriété évolue. Pour beaucoup de jeunes, la valeur réside dans l’usage, et non dans la propriété.

Il s’agit non pas d’opposer les modèles, mais bien de permettre à tous les Français qui veulent exercer la noble profession de travailler la terre, même lorsque leurs parents ou que leurs grands-parents ne sont pas agriculteurs, de trouver le modèle qui leur convient.

Il s’agit de fédérer les énergies autour d’un objectif clé : la souveraineté alimentaire et l’excellence agricole de la France.

Je crois que cette proposition de loi apporte une petite pierre à ce vaste édifice. J’espère que le Sénat l’adoptera et qu’elle pourra utilement enrichir, monsieur le ministre, votre plan d’avenir pour l’agriculture. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, RDPI, RDSE et UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Christian Klinger, rapporteur de la commission des finances. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous prenons peu à peu la mesure du déclin progressif de notre secteur agricole. Les constats sont connus : des conditions de travail peu enviables, une rémunération globalement insuffisante, des enjeux environnementaux de plus en plus prégnants et la concurrence de pays qui ne sont pas soumis aux mêmes normes que nous.

Face à ces diagnostics très largement partagés – et je ne vous apprendrai rien, monsieur le ministre, en soulignant l’implication de plusieurs de nos collègues sénateurs sur ces sujets –, la réaction du Gouvernement se fait encore attendre. On nous annonce depuis quelques mois un projet de loi d’orientation et d’avenir agricoles, mais le calendrier reste flou.

La situation est d’autant plus inquiétante qu’elle contribue à stigmatiser un secteur déjà durement pénalisé par son manque d’attractivité. En moins de soixante-dix ans, le nombre d’exploitants agricoles a été divisé par cinq, passant de plus de 2,5 millions en 1955 à 496 000 en 2020. Surtout, environ 43 % des travailleurs du secteur agricole pourraient partir à la retraite d’ici à 2033.

Le sujet du renouvellement générationnel est donc majeur, alors que plus de la moitié des candidats à l’installation ne sont plus issus du milieu agricole, donc du modèle traditionnel d’exploitation familiale.

Les nouveaux entrants sont majoritairement des personnes qui ne disposent pas d’un capital foncier. Ce constat doit nous amener à faire évoluer notre politique agricole pour tenir compte des transformations en cours, parmi lesquelles la question du foncier occupe une place centrale. Bien sûr, les leviers à actionner sont multiples pour lever les freins à l’installation et à la transmission : il y a des enjeux tout autant de régulation que de concurrence, de droit du travail, d’accompagnement des cédants, de fiscalité ou encore de portage du foncier.

Un objectif unique doit pourtant nous guider, celui de rétablir notre souveraineté alimentaire.

La présente proposition de loi, déposée par notre collègue Vanina Paoli-Gagin, s’inscrit dans ce contexte. Son ambition n’est pas de résoudre l’ensemble des difficultés que je viens de soulever – qui le pourrait d’ailleurs ? Elle s’attache à une modalité précise de soutien à l’installation et à la transmission des exploitations agricoles, celle du portage collectif du foncier. Je tiens d’ailleurs à souligner ici, devant vous, monsieur le ministre, le travail de notre collègue Vanina Paoli-Gagin et la qualité de nos échanges.

Le dispositif proposé, que nous avons voté et soutenu en commission des finances, vise à créer une nouvelle voie de financement et d’accès au foncier agricole, à travers des groupements fonciers agricoles d’investissement (GFAI). Cette initiative repose sur l’idée que l’abondance d’épargne privée des Français devrait pouvoir être mobilisée au profit de formes d’investissement « éthiques », au service des agriculteurs, de la souveraineté alimentaire et d’un « retour à la terre ».

Je crois, monsieur le ministre, que nous pouvons tous, ici, souscrire à cet objectif.

J’ai, pour ma part, considéré que la création d’un nouveau véhicule d’investissement était une solution parmi d’autres pour renforcer nos outils d’aide à l’installation et à la transmission. Ce véhicule innovant peut répondre aux attentes de certains exploitants agricoles, en fonction de leurs besoins, de leur secteur d’activité, mais aussi du coût du foncier dans leur territoire. J’ai donc abordé la création des GFAI comme une piste de réflexion, intéressante, mais sans doute modeste.

Je sais que la création de ces groupements fonciers agricoles d’investissement a suscité des interrogations, en commission comme ailleurs. Celle-ci n’est pourtant pas le Grand Soir du monde agricole. Si vous me permettez cette expression pour qualifier ce que nous proposons, « il faut que tout change pour que rien ne change ».

Il faut que tout change, tout d’abord, parce que, justement, le but est de mobiliser l’épargne de personnes physiques pour aider les agriculteurs à s’installer, pour porter à leur place le coût du foncier, qui est de plus en plus élevé. Ouvrir la souscription des parts de GFA au public permet d’atteindre cet objectif.

Pour que rien ne change, ensuite : la création des GFAI ne remet absolument pas en cause le régime juridique des baux ruraux, très protecteur des exploitants agricoles. C’était le plus important pour la commission des finances. Au contraire, le fonctionnement de ces groupements ne dérogera pas aux règles des baux de long terme. Les détenteurs de parts de GFAI ne pourront pas s’immiscer dans la vie de l’agriculteur, qui doit rester maître chez lui.

C’est donc avec cet impératif en tête que nous avons travaillé sur le dispositif des GFAI en commission. J’espère, monsieur le ministre, que vous soutiendrez ces évolutions.

Nous avons d’abord modifié sa dénomination, transformant les groupements fonciers agricoles d’épargnants en groupements fonciers agricoles d’investissement.

Il s’agit en effet d’un nouveau véhicule d’investissement, qui sera soumis à la supervision de l’Autorité des marchés financiers (AMF). Comme tout produit financier, il comporte des risques, en termes de liquidité comme de rendement. Les GFAI seront par définition des produits peu liquides, dans la mesure où le foncier agricole est donné à bail à long terme, et aux perspectives de rendement faibles, sauf à augmenter les loyers des exploitants agricoles preneurs de baux, ce qui n’est pas souhaitable.

Autant donc désigner clairement ces groupements pour ce qu’ils sont, sur le modèle d’ailleurs des groupements forestiers d’investissement, que nous connaissons tous ici.

La commission des finances a également adopté un amendement pour préciser la composition de l’actif de ces groupements, afin de le rendre un peu plus liquide.

Enfin, elle a prévu, de nouveau dans un sens favorable aux exploitants, que tous les apports en numéraire devraient être utilisés dans un délai de deux ans pour des investissements à vocation agricole. Ce délai était initialement de trois ans, ce qui pouvait apparaître un peu long.

À l’article 2, nous avons également préservé le droit de préemption des sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural : celles-ci pourront préempter les parts de GFAI, au même titre que les parts de GFA. De nouveau, rien ne change sur ces aspects-là.

Je dois souligner la sagesse des auteurs de la proposition de loi, qui ont souhaité conserver, pour les GFAI, les règles de fonctionnement des GFA, très protectrices des associés personnes physiques et des exploitants agricoles. Par exemple, et c’est l’objet de l’article 3, les personnes physiques disposeront d’un droit de vote double, contre un droit de vote simple pour les personnes morales.

Enfin, l’article 4 étend aux parts de groupements fonciers agricoles d’investissement deux dispositifs fiscaux favorables, qui existent pour les parts de GFA. D’une part, les donataires de parts de GFAI bénéficieront d’une exonération partielle de droits de mutation à titre gratuit (DMTG). D’autre part, les détenteurs de ces parts seront totalement ou partiellement exonérés d’impôt sur la fortune immobilière (IFI). Il s’agit là, à mon sens, d’un simple alignement du régime fiscal des GFAI sur celui des GFA. De tels avantages fiscaux devraient également être de nature à inciter davantage d’épargnants à souscrire ce produit, en compensation de rendements limités.

La commission des finances vous propose donc d’adopter un dispositif équilibré et encadré pour faciliter l’installation des jeunes agriculteurs. Ce dernier trouvera sans doute à s’appliquer pour ceux qui n’ont pas les moyens financiers d’acquérir du foncier dès le début de leur vie professionnelle. On peut aussi penser aux agriculteurs qui travaillent dans des territoires frappés par une forte hausse du coût du foncier, comme c’est le cas, par exemple, des viticulteurs dans certaines régions.

Pour conclure, et je le redis devant vous, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous proposons la création d’un dispositif susceptible de soutenir l’installation des agriculteurs et la transmission des exploitations, sans remettre en cause le principe cardinal qui veut que l’agriculteur soit maître chez lui.

Je vous invite donc à voter pour cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, INDEP et RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. Marc Fesneau, ministre de lagriculture et de la souveraineté alimentaire. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur, madame la sénatrice Paoli-Gagin, mesdames, messieurs les sénateurs, le prix du foncier agricole et le statut du fermage constituent, chacun en convient, des atouts pour la compétitivité de notre agriculture, notamment par rapport à nos voisins européens, mais la difficulté d’accès au foncier, pour les futurs exploitants, en particulier ceux qui ne sont pas issus du milieu agricole – ils sont de plus en plus nombreux à être dans ce cas – est considérée de manière consensuelle comme l’un des freins à l’installation des jeunes générations.

Il s’agit d’un enjeu de souveraineté alimentaire majeur et c’est tout l’intérêt du débat que nous aurons aujourd’hui, lors de l’examen de cette proposition de loi déposée sur l’initiative de Vanina Paoli-Gagin et du groupe Les Indépendants – République et Territoires, que je tiens à saluer.

Naturellement, cet enjeu était, et demeure, comme vous le savez, au cœur des concertations que nous avons menées sur le projet de pacte et de loi d’orientation visant à faciliter le renouvellement des générations agricoles, annoncé par le Président de la République.

Je souhaiterais saluer, à cette tribune, cet exercice démocratique inédit. Menée à l’échelle nationale et régionale, sous l’égide du ministère, de l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture (APCA) et de Régions de France, cette concertation, qui avait aussi un volet ultramarin, a mobilisé l’ensemble des écosystèmes agricoles et alimentaires, les acteurs de l’enseignement, de la recherche, de l’orientation et de la formation continue, de l’installation, ainsi que le monde associatif, les parlementaires et les élus locaux.

Les jeunes de l’enseignement agricole y ont également participé, tout comme la société civile, par le biais notamment du Conseil économique, social et environnemental (Cese), qui a rendu un avis, et le grand public.

Cette concertation a, de mon point de vue, montré qu’il était possible de dégager un certain nombre de points de consensus sur un sujet aussi essentiel que celui de notre agriculture, de notre souveraineté alimentaire et du renouvellement des générations des exploitants – un sujet qui nourrit parfois les caricatures et les excès de toutes sortes.

Je sais qu’il s’agit sans doute ici, au Sénat, d’une évidence, mais je tiens à remercier les parties prenantes d’avoir joué le jeu, d’avoir débattu du fond, d’avoir échangé dans la diversité, sans s’arrêter aux divergences, et d’avoir su se projeter collectivement sur l’avenir de notre agriculture à l’horizon de vingt ans, en dépit du poids des défis, en particulier climatiques, écologiques et démographiques qui sont devant nous.

Cette concertation a mis en exergue, de manière consensuelle, le besoin de simplifier l’accès aux outils et aux moyens de production et, dans cette perspective, la nécessité d’encourager le développement du portage, temporaire ou pérenne, du foncier.

Le débat est posé de manière claire avec cette proposition de loi qui part d’un constat simple : les groupements fonciers agricoles, sociétés de portage dédiées à l’agriculture, créées il y a déjà plusieurs années, constituent des véhicules utiles pour drainer des capitaux en faveur de l’agriculture, et décharger ainsi les agricultrices et les agriculteurs du poids, parfois excessif, de l’investissement initial dans le foncier.

Il n’en reste pas moins que des difficultés subsistent pour collecter des capitaux auprès des particuliers, notamment en raison de l’impossibilité pour ces groupements de solliciter les investisseurs en procédant à l’offre au public de leurs parts sociales.

Plusieurs difficultés freinent également l’utilisation des GFA : la faible rentabilité générale de l’investissement dans le foncier agricole ; la responsabilité illimitée de l’investisseur en cas de pertes, qui est proportionnelle au nombre de parts détenues ; le caractère peu liquide des parts sociales et l’absence de marché pour négocier ces dernières ; ou encore la négociation difficile des conditions de sortie des propriétaires de parts au regard des incidences sur les exploitants lorsque ces conditions n’ont pas été suffisamment précisées lors de la souscription.

Pour répondre à ces difficultés, les auteurs de la proposition de loi proposent de créer un nouveau type de groupements fonciers, les groupements fonciers agricoles d’épargnants, sur le modèle, le rapporteur l’a indiqué, des groupements fonciers forestiers. Ces GFAE sont devenus, au terme de l’examen en commission, les groupements fonciers agricoles d’investissement. Je tiens d’ailleurs à saluer la qualité et le sérieux des travaux du rapporteur et de la commission des finances.

En tant que ministre de l’agriculture, je perçois dans le dispositif proposé un double avantage.

J’y vois la capacité à augmenter le nombre d’investisseurs dans le secteur du foncier agricole et à apporter de nouveaux capitaux dans les exploitations agricoles. Nos concitoyens pourront ainsi s’impliquer davantage dans les questions agricoles et accompagner le renouvellement des générations, tout en contribuant à notre souveraineté alimentaire.

Au regard du fonctionnement des actuels groupements fonciers agricoles, nous pensons qu’une profondeur de marché de 100 millions d’euros par an pourrait être atteinte avec cette nouvelle mesure.

Madame la sénatrice, monsieur le rapporteur, vous avez souligné les craintes que certains ont exprimées. Je répète que cette proposition de loi ne vise nullement à remettre en cause le statut des baux ruraux.

S’il ne faut pas y voir une solution miracle, elle apporte néanmoins une pierre à l’édifice de la question foncière. Ses dispositions seront d’autant plus utiles qu’elles seront pensées en cohérence avec d’autres outils favorisant, à l’échelle locale, le renouvellement des générations.

Dans le cadre de la mise en œuvre du fonds Entrepreneurs du vivant, qui sera financé par France 2030, l’État s’est ainsi engagé à soutenir en fonds propres, à hauteur de 400 millions d’euros, des solutions de partage innovantes pour les exploitations agricoles.

À la différence du GFAI, qui sera destiné aux particuliers épargnants et qui permettra donc des apports de capital privé dans le foncier agricole, le fonds Entrepreneurs du vivant offre à l’État la possibilité d’abonder les différentes structures de portage existantes, qu’elles soient publiques ou privées, nationales ou locales.

Ces deux outils seraient donc complémentaires. Compte tenu des besoins de portage du foncier associés au renouvellement des générations, ils sont sans doute aussi nécessaires l’un et l’autre.

Par ailleurs, les GFAI tels que vous les avez pensés me semblent des structures susceptibles d’apporter des garanties en matière de maîtrise des capitaux. Grâce aux garde-fous qu’elles imposeraient quant au type d’investisseurs autorisés, elles nous permettraient de conserver, comme le font la plupart des pays du monde, notre souveraineté sur cet élément stratégique qu’est le foncier.

Ce n’est pas le cas de l’ensemble des outils d’investissement à long terme, qui ne tiennent pas toujours compte des enjeux propres à la souveraineté alimentaire.

Je sais d’ailleurs que cette préoccupation s’est exprimée en commission et que l’auteure de cette proposition de loi y est particulièrement attentive.

J’y vois un impératif au regard de l’enjeu de renouvellement des générations auquel nous sommes confrontés et de notre volonté partagée de préserver la diversité de nos modèles agricoles.

Naturellement, la mise en œuvre des GFAI pose – vous l’avez souligné, monsieur le rapporteur – un certain nombre de questions, auxquelles nos débats, je n’en doute pas, apporteront des réponses.

La question du foncier est cruciale. La formation est un élément central du renouvellement des générations. Il faut donner aux agriculteurs qui s’installent, comme à ceux qui sont en place, la capacité de mener les grandes transitions à venir : énergétique, écologique, phytosanitaire.

Afin d’inciter les jeunes qui le souhaitent à s’installer – ces derniers ne sont plus issus, désormais, majoritairement de milieux agricoles –, nous devons leur tenir un discours plus positif sur l’agriculture et leur donner des perspectives.

Nous devons leur dire que, sur les questions du foncier, de l’investissement ou des grandes transitions qui sont à l’œuvre, l’État, les collectivités et nous tous sommes à leurs côtés.

Ce débat et le vote du Parlement enverront, en tout état de cause, un signal fort sur la nécessité de développer des outils de portage du foncier et des capitaux, conformément à ce que nos travaux de ces derniers mois ont fait ressortir.

Je m’engage à y être particulièrement attentif à l’occasion de la prochaine présentation du pacte d’orientation en faveur du renouvellement des générations et de la loi qui en découlera. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, RDSE, INDEP et UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Raphaël Daubet.

M. Raphaël Daubet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je viens d’un département où les parcelles sont petites, mais où l’attachement à la terre est grand.

J’ai souvenir de mon grand-père paysan, né en 1904, qui se déclarait « propriétaire » sur les actes d’état civil, en lieu et place de sa profession. Il ne possédait pourtant que quelques hectares de noyers dans la vallée de la Dordogne et de maigres landes sur le causse. Une fierté ! La mienne encore aujourd’hui.

Évidemment, cette proposition de loi est bien éloignée de ce modèle anthropologique, séculaire, qui sous-tend le rapport à la terre dans des départements comme le mien.

Pourtant, elle peut sûrement répondre à des réalités différentes, en d’autres lieux, ou nouvelles, en d’autres temps.

On se rappelle le slogan d’un rêve largement partagé à travers le monde : « La terre à ceux qui la travaillent. »

En dissociant propriété foncière et travail de la terre, ce texte touche à une fibre très sensible de nos représentations et pose la question d’un renforcement du capitalisme au sens premier du terme, dans l’agriculture.

C’était d’ailleurs mon premier élan : par principe, s’opposer à ce qui s’apparente à un pas de plus vers la marchandisation de la terre ou la financiarisation de l’agriculture.

À la réflexion, je pense que, comme souvent, l’écueil serait de se focaliser sur l’enjeu idéologique.

Le monde a changé. Pour nombre d’agriculteurs, la propriété n’est plus une priorité absolue. Ce qui compte, c’est la stabilité du foncier, que le bail rural peut, souvent, suffire à garantir complètement.

De plus, le capital des GFAE ne serait pas ouvert aux sociétés, à l’exception de celles qui sont autorisées par le code rural, et les Safer conserveraient leur droit de préemption en cas de cession de l’ensemble des parts. Bref, des garde-fous existent.

La mobilisation de capitaux privés dans la propriété foncière fera-t-elle plus encore de l’exploitant un exploité agricole ? Pas sûr ! Je pense que le mal dont souffre la profession prend racine sur d’autres terrains.

Chacun d’entre vous, mes chers collègues, connaît la réalité du monde agricole français. En une génération, nous avons perdu les deux tiers des effectifs.

Dernièrement, au congrès des maires du Lot, Jérôme Fourquet a eu cette formule frappante : « L’agriculture est le plus grand plan social silencieux de l’histoire de France contemporaine. »

Oui, il est urgent d’assurer le renouvellement des générations. À ce titre, l’idée de drainer l’épargne des Français vers le financement des acquisitions foncières n’est pas inintéressante, même si rien ne permet réellement de mesurer la portée ni l’impact de la présente proposition de loi.

Pour autant, le véritable besoin en capitaux pour l’agriculture devrait concerner non pas les acquisitions foncières, mais l’innovation, la recherche et le développement, afin de répondre aux grands défis qui nous attendent : l’abandon planifié de la chimie, la pénurie de main-d’œuvre, le coût grandissant des énergies fossiles.

On ne peut pas demander aux agriculteurs de trouver tout seuls les solutions à l’immense défi de transformation qui se dresse devant eux. L’heure est à l’ouverture d’une nouvelle ère du machinisme agricole, mobilisant des capitaux publics et privés. Or cela nécessite un effort d’investissement massif, accompagné d’un véritable plan stratégique.

C’est à ce prix que l’agriculture redeviendra une puissante économie productive et que la France protégera sa souveraineté alimentaire.

Le RDSE soutiendra malgré tout cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP et UC. – M. Thierry Cozic applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Martin Lévrier.

M. Martin Lévrier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi revêt une grande importance, dans le contexte de la profonde transformation du modèle agricole français et des défis auxquels sont confrontés les exploitants agricoles de notre pays.

La diminution du nombre d’exploitations agricoles, associée à leur concentration et à l’augmentation de leur taille, est un phénomène observé dans de nombreux pays ; la France ne fait pas exception. Aujourd’hui, le solde est négatif et, chaque année, 6 000 exploitants ne sont pas remplacés.

Face à ces enjeux majeurs, nous avons l’impérieuse nécessité de prendre des mesures appropriées pour soutenir et renouveler notre secteur agricole.

La récente évaluation de la Cour des comptes a mis en lumière des problèmes majeurs dans les politiques d’installation des nouveaux agriculteurs et de transmission des exploitations agricoles en France.

Les insuffisances des instruments d’aide à l’installation et la faiblesse de la politique agricole en matière de transmission y ont été soulignées, tandis que des obstacles économiques importants à la transmission des exploitations ont été identifiés.

Pour y remédier, la proposition de loi déposée par Vanina Paoli-Gagin vise à associer les épargnants à la transmission des exploitations agricoles françaises. Elle prévoit la création d’un groupement foncier agricole d’épargnants, un mécanisme innovant qui permettrait de mobiliser l’épargne des Français en faveur de l’acquisition de terres agricoles.

Les épargnants pourraient ainsi investir dans le foncier agricole, lequel serait ensuite mis à la disposition d’un agriculteur au travers d’un bail à long terme, dans le cadre du statut de fermage.

Cette approche permettrait de séparer l’acquisition du foncier de l’acquisition de l’appareil productif et, ainsi, d’assurer pour les nouveaux agriculteurs, la stabilité de l’exploitation.

Nous sommes conscients que des préoccupations ont été soulevées sur la viabilité du GFAE, notamment en ce qui concerne son rendement potentiel et sa liquidité. Il s’agit de préoccupations majeures, en ce qu’elles risquent de décourager les investisseurs potentiels.

Cependant, ces questions ne doivent pas nous dissuader d’explorer de nouvelles voies pour soutenir le secteur agricole. C’est dans cet esprit que nous sommes très attentifs aux pistes innovantes étudiées par le ministère de l’agriculture. Elles pourraient corriger les angles morts de la proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui.

Vous l’avez compris : la question de la transmission des exploitations agricoles est bien trop cruciale. Il est impératif de trouver des solutions garantissant la pérennité de notre agriculture et la sauvegarde de notre souveraineté alimentaire, par le développement de filières de production souveraines, compétitives et respectueuses de l’environnement.

Il est essentiel de rappeler que cette proposition de loi a émergé dans le cadre des concertations ouvertes par le ministre de l’agriculture au mois de décembre dernier, à la suite de l’annonce du Président de la République.

Notre collègue Vanina Paoli-Gagin a bien voulu se saisir de cette question et nous l’en remercions. Néanmoins, le chantier qui nous attend exige que toutes ces propositions soient traitées d’un bloc dans la loi d’orientation et d’avenir agricoles.

Nous nous engageons à travailler en concertation avec l’ensemble des parties prenantes pour trouver des solutions viables pour notre secteur agricole.

C’est pourquoi notre groupe, bien conscient des limites de cette proposition de loi, votera en sa faveur, tout en appelant à une discussion approfondie dans le cadre du projet de loi d’orientation et d’avenir agricoles. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – MM. Raphaël Daubet et Michel Canévet applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Isabelle Briquet.

Mme Isabelle Briquet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi visant à associer les épargnants à la transmission des exploitations agricoles françaises permettrait de drainer l’épargne des Français vers l’acquisition de foncier agricole.

Elle a pour fondement l’idée que la continuité du foncier agricole est un enjeu majeur pour la souveraineté alimentaire de la France, en particulier en raison de la baisse du nombre d’exploitants, de l’augmentation de la taille des exploitations et du vieillissement des agriculteurs.

Si l’on peut partager ces constats et entendre la volonté de favoriser la transmission des exploitations agricoles, la méthode proposée dans ce texte ne nous convainc pas vraiment.

La création de groupements fonciers agricoles d’épargnants, devenus groupements fonciers agricoles d’investissement après le passage du texte en commission des finances, renforce une approche de gestion capitalistique de l’agriculture : les terres agricoles deviennent un objet d’investissement financier plutôt qu’un moyen de production agricole.

Cette orientation vers la finance peut détourner l’attention des enjeux clés auxquels est confrontée l’agriculture moderne.

L’agriculture doit, en effet, relever des défis majeurs liés à l’adaptation au changement climatique, à la préservation de la biodiversité, à la réduction des émissions de gaz à effet de serre, à la gestion durable des ressources en eau, et à d’autres aspects environnementaux.

Encourager une approche purement capitaliste peut conduire à négliger ces défis fondamentaux et à mettre en péril, à long terme, la durabilité de notre secteur agricole.

La création d’un nouveau dispositif d’aide économique comme le GFAI sans effectuer, au préalable, une étude d’impact approfondie sur les dispositifs existants comporte un risque sérieux d’éviction : les financements déjà en place, notamment dans le secteur forestier, pourraient être ignorés ou affaiblis.

Cette fragmentation des politiques économiques peut créer des incohérences et des distorsions dans le paysage agricole. Elle peut également se révéler inefficace sur le plan économique, entraîner une mauvaise allocation des ressources et nuire à la coordination des différents acteurs de l’agriculture.

En outre, ce nouvel outil ne résoudra pas les problèmes d’installation et laisse de côté le seul levier à même de répondre globalement à cet enjeu : la régulation foncière.

En la matière, l’état de la législation, qui a pourtant connu une évolution récente, ne répond absolument pas aux enjeux du renouvellement générationnel et de l’agriculture à taille humaine telle que nous la pratiquons dans nos territoires.

L’accès au foncier est l’un des freins à l’installation de nouveaux agriculteurs, notamment de ceux qui ne bénéficient pas d’une transmission de l’exploitation agricole de leurs parents.

Toutefois, le problème de la transmission ne peut se réduire à la question du portage foncier, car la reprise du capital d’exploitation pèse aussi lourdement sur les installations, parfois même plus que le foncier.

Au surplus, la perspective d’une prochaine loi d’orientation agricole rend cette proposition de loi peu opportune, en appréhendant les sujets agricoles sous un angle extrêmement réduit.

Il est essentiel de repenser notre modèle agricole à l’aune de nos objectifs environnementaux et de favoriser les pratiques agricoles bénéfiques pour la biodiversité.

Enfin, ce texte repose sur une baisse des recettes fiscales. L’État devrait, une nouvelle fois, renoncer à une part de ses revenus.

Dans un contexte économique marqué par l’incertitude et les défis liés à la crise, l’abandon de recettes fiscales affaiblit la capacité de l’État à financer les services publics et ne constitue guère une aubaine pour nos finances publiques.

En conclusion, nous plaidons en faveur d’une approche plus globale, équilibrée et coordonnée, qui soutienne les objectifs de durabilité, de sécurité alimentaire et de justice sociale. Ces sujets devront être abordés durant l’examen du projet de loi d’orientation et d’avenir agricoles.

Nous devons veiller à ce que notre politique agricole soit alignée sur les besoins de la société, sur les défis environnementaux et sur les principes de responsabilité budgétaire.

De notre point de vue, l’initiative de notre collègue Paoli-Gagin, telle qu’elle est présentée, ne répond pas à ces préoccupations.

Le groupe socialiste votera donc contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Éric Bocquet applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Laurent Somon. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Laurent Somon. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la présente proposition de loi de Vanina Paoli-Gagin vise à donner la possibilité aux épargnants d’investir dans le foncier agricole via un nouveau véhicule appelé le groupement foncier agricole d’épargnants, ce afin de favoriser la transmission du foncier agricole aux nouvelles générations d’agriculteurs et ainsi faciliter leur installation.

Il y a urgence : la moitié des agriculteurs ont plus de 50 ans et leurs exploitations sont à la veille d’être transmises.

Notre rapporteur Christian Klinger, dont je salue le travail de fond, a permis de mieux encadrer les dispositions de la proposition de loi au bénéfice de l’agriculteur.

Baux relevant du régime des baux ruraux, renouvellement de droit du bail, loyer encadré selon un barème établi par le préfet de département, droit de préemption de rachat ou encore possibilité pour les Safer de prendre des parts, voire toutes les parts, sont autant de dispositions qui offrent des perspectives encourageantes et un cadre légal rigoureux à même de garantir « une jouissance paisible d’un bien par son fermier ».

Néanmoins, au-delà de la volonté affichée de trouver des appuis financiers à l’investissement dans des exploitations agricoles pour l’installation des jeunes agriculteurs et favoriser leurs reprises, cette proposition de loi a été et reste l’objet d’interrogations.

Si le groupe Les Républicains est favorable à l’ensemble des leviers facilitant la transmission et l’installation des nouveaux exploitants agricoles, il n’en demeure pas moins vigilant sur les conséquences du dispositif proposé.

En effet, il est nécessaire de s’assurer, d’un côté, que ce dispositif répond aux besoins des agriculteurs français et, d’un autre côté, que ce type de produit présente une attractivité suffisante pour les épargnants. Il ne faudrait pas non plus que ces derniers, mus par un objectif de rentabilité, se livrent à la spéculation foncière ou que soit porté atteinte à la liberté des modes et types de cultures.

Les agriculteurs doivent pouvoir répondre aux attentes sociétales et environnementales, contribuer à notre souveraineté alimentaire et conserver la liberté d’entreprendre et de s’organiser entre producteurs dans un cadre collectif et réglementaire stabilisé.

Ne risque-t-on pas de favoriser une forme de financiarisation du foncier agricole, qui aurait des conséquences sur les transmissions agricoles familiales ?

Je rappelle que plus de 60 % de la surface agricole utile est déjà « portée » par des tiers à l’agriculture et louée en fermage. Dans la Somme, cette proportion atteint 80 %.

Le marché foncier annuel des ventes agricoles est de 7 milliards d’euros et les Safer orientent déjà le marché foncier agricole en intervenant dans 25 % à 30 % des ventes.

Les fermiers ne risquent-ils pas d’être exposés à des contraintes supplémentaires ? Des sociétés d’épargne largement « ou…vertes » ne pourraient-elles pas souscrire aux GFAI et imposer aux baux souscrits dans un maquis réglementaire déjà complexe des conditions agronomiques ou variétales plus contraignantes ?

Ce risque n’est-il pas de nature à déposséder les agriculteurs de leur liberté d’assolement ou de leur plan d’élevage ?

M. le rapporteur reconnaît, dans son rapport, les limites de l’initiative, en précisant qu’elle représente une piste de réflexion parmi d’autres.

Parmi ces dernières figure, à l’heure des projets alimentaires territoriaux (PAT), le développement de GFA mutuels, à l’instar de ceux qui sont proposés dans nombre de départements, sur l’initiative des chambres d’agriculture.

En cohérence avec l’élaboration d’un PAT, les collectivités territoriales, ainsi que les Safer et des investisseurs privés locaux, pourraient y participer, aux côtés des agriculteurs.

Cela permettrait à un exploitant agricole détenteur d’un bail rural à long terme accordé par ce GFA d’accéder à une forme de maîtrise du foncier qu’il exploite.

Cette nouvelle proposition, que nous étudions, ne garantit pas à l’exploitant d’accéder au capital, s’il ne dispose pas d’au moins une part sociale de ce GFA, lui permettant d’ouvrir un droit de préférence en cas de cession de parts sociales, conformément aux dispositions de l’article L. 322-5 du code rural et de la pêche maritime, qui accorde « un droit de priorité aux associés qui participent à l’exploitation des biens du groupement […] ».

Dans un rapport du ministère de l’agriculture publié en 2023, Stratégies dusage des terres en France dans lobjectif dassurer la souveraineté alimentaire et de préserver la biodiversité, les auteurs Valérie Baduel, Claire Hubert et Hervé Lejeune appelaient à l’établissement d’un « réel consensus pour promouvoir notre souveraineté alimentaire sur la base d’une définition d’objectifs clairs et d’outils à mettre en place […] au niveau le plus approprié […] pour optimiser les arbitrages fonciers entre protection de la biodiversité et souveraineté alimentaire ». Ils ajoutaient que « la loi d’orientation agricole en préparation pourrait permettre de telles évolutions ».

Un autre rapport, remis cette fois en 2017 par Charles Gendron et Yves Granger, précisait déjà les nécessaires évolutions des outils de régulation et diversification des outils de portage du foncier.

Les agriculteurs réclament un cadre clair et stable, que seule une loi d’orientation agricole définira.

Pour rappel, les GFA ont été créés dans la foulée des lois d’orientation de 1960 et de 1962, une fois que les objectifs avaient été définis et que le cadre réglementaire avait été stabilisé. Aujourd’hui, nous discutons des outils avant même cette première étape indispensable.

Monsieur le ministre, il est temps, dans le cadre d’une loi d’orientation, de définir les objectifs environnementaux et les politiques stratégiques en matière de production et de foncier agricoles, et de proposer les évolutions nécessaires du statut de fermage éventuellement, ainsi que les outils financiers qui seraient de nature à faciliter les reprises.

Mettre la charrue avant les bœufs n’est guère rassurant, ni pour le rendement attendu par les épargnants ni pour la production des agriculteurs !

Nous nous associons donc à la prudence de M. le rapporteur, en proposant une réflexion plus globale et plus approfondie, que nos débats du jour pourront éclairer. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Dany Wattebled. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et RDPI.)

M. Dany Wattebled. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le foncier agricole est un sujet stratégique pour notre pays. Il y va de notre souveraineté nationale, en matière alimentaire comme économique.

Notre groupe s’est saisi de cette thématique voilà déjà plusieurs années. Comme l’a rappelé Vanina Paoli-Gagin, dont je salue le travail, Les Indépendants avaient inscrit ce sujet à l’ordre du jour des travaux du Sénat au mois de février 2020, juste avant la crise sanitaire.

Depuis lors, notre pays a traversé de nombreuses crises. Aujourd’hui, nous devons remettre l’ouvrage sur le métier.

Aussi, je suis heureux que le groupe Les Indépendants propose un dispositif opérationnel visant à garder la maîtrise de nos terres agricoles. J’espère que nos débats permettront de faire avancer les choses.

Le sujet n’est pas facile, car les enjeux varient d’un territoire à l’autre.

Dans le département du Nord, dont je suis l’élu, comme dans la plupart des territoires frontaliers, le foncier agricole fait l’objet de fortes tensions, en raison des écarts de prix entre les pays.

Selon le récent rapport du Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux, la valeur moyenne d’un hectare agricole libre est ainsi de 6 000 euros en France, contre 12 000 euros en Espagne, 21 000 euros en Allemagne, 30 000 euros en Suisse et 63 000 euros aux Pays-Bas.

Le rapport précise aussi que « ce différentiel de prix facilite le rachat des terres agricoles françaises par les étrangers ». C’est exactement ce que nous constatons dans le Nord, en particulier dans l’Avesnois et les Flandres, le prix moyen de l’hectare étant également plus élevé en Belgique qu’en France. Nous assistons donc à une prédation sur notre territoire.

Monsieur le ministre, il est important d’avoir à l’esprit ces tensions près de nos frontières. Elles sont d’autant plus graves que, naturellement, nous partageons ces frontières avec nos amis et partenaires européens et que nous ne pouvons ni ne voulons faire de discrimination en raison de la nationalité.

Reste que le sentiment de dépossession est bien présent dans ces territoires. Nous aurions tort de le négliger, car nous savons à quoi il mène.

C’est pourquoi j’espère que cette proposition de loi contribuera à renforcer notre souveraineté sur le foncier.

Les groupements fonciers agricoles d’investissement devront permettre aux Français de se mobiliser pour conserver la maîtrise foncière sur le territoire national.

Vanina Paoli-Gagin l’a rappelé : le débat porte aujourd’hui sur notre capacité à attirer plus de capitaux privés pour acquérir des terres agricoles et pour aider à l’installation de nouveaux exploitants.

Ma collègue souhaite renforcer la capacité de notre pays à maîtriser son propre foncier. J’espère que ce dispositif pourra utilement y contribuer.

Dans tous les cas, monsieur le ministre, il faudra que votre plan pour l’avenir de l’agriculture apporte des solutions concrètes à ce problème. Agissons pour que les territoires frontaliers – Avesnois, Flandres, Nord – préservent leur foncier.

Plus que jamais, l’Europe doit jouer collectif pour garantir sa souveraineté alimentaire. Il est important que notre pays, grâce à l’intervention des Safer, ne soit pas perdant dans l’affaire. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, RDPI et UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Canévet. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Michel Canévet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe Union Centriste tient à remercier le groupe Les Indépendants et Vanina Paoli-Gagin de cette proposition de loi, qui est importante.

La France est un grand pays rural – et maritime – et nous sommes tous attachés à cette ruralité et à son avenir. Comme beaucoup, je vis à la campagne et je souhaite que la campagne soit active.

Le ministre l’a rappelé : nous faisons face à des défis de souveraineté alimentaire et énergétique que l’agriculture peut aussi contribuer à relever.

Depuis plusieurs décennies, le nombre d’exploitations a connu une baisse significative : divisé par cinq par rapport à 1955, il atteint aujourd’hui un peu moins de 400 000.

C’est dire combien il est nécessaire d’agir pour tenter d’enrayer cette érosion perpétuelle et continue. L’urgence est d’autant plus grande que 45 % des exploitants agricoles en activité ont plus de 55 ans.

Le défi du renouvellement des générations qui partent à la retraite auquel nous serons confrontés dans la prochaine décennie est immense. Pour le relever, nous aurons besoin d’outils.

Je tiens au passage à saluer le travail de M. le rapporteur, Christian Klinger. Cette proposition de loi est issue d’un travail préalable de la Cour des comptes, réalisé à la demande de la commission des finances du Sénat, afin de bien appréhender la réalité de la transmission des entreprises dans notre pays.

Dans l’une de ses conclusions, la Cour des comptes appelait à promouvoir une palette d’instruments juridiques, financiers et comptables éprouvés ou émergents, susceptibles d’apporter des solutions à la variété des formes d’exploitation.

Je suis de cet avis et c’est la raison pour laquelle j’ai félicité le groupe Les Indépendants d’avoir saisi cette occasion de proposer un dispositif complémentaire.

Il s’agit bien, en effet, de rechercher la complémentarité. Un certain nombre d’outils, assez efficaces d’ailleurs, existent déjà pour accompagner l’installation des agriculteurs. Nous devons les multiplier, et cette forme de groupement foncier agricole est l’un de ces outils.

Je ne crois pas que, ce faisant, nous favorisions la marchandisation de l’activité agricole, comme le craignent certains. Plus de 60 % des agriculteurs sont aujourd’hui locataires. Il n’y a donc pas lieu de s’inquiéter sur ce point.

Je vous rappelle, monsieur le ministre, que c’est un Finistérien célèbre, François-Tanguy Prigent, lequel fut votre prédécesseur, qui a créé, en 1946, le statut du fermage. (M. Ronan Dantec acquiesce.) Cette mesure a permis à tous les exploitants de travailler dans des conditions décentes, sans être asservis, ce qui est d’une importance capitale.

Nous devons réfléchir en termes de production. Il est clair, en observant la situation des exploitations, que beaucoup d’entre elles sont difficilement transmissibles. Ainsi, il est nécessaire de trouver des outils facilitant leur transmission. Comme l’autrice de la proposition de loi, je suis convaincu que la mobilisation de l’épargne publique peut y contribuer.

En tant qu’élu d’un département maritime, je constate que nous faisons face aux mêmes constats et aux mêmes difficultés pour le renouvellement des navires. Nous devrions nous inspirer de ces pratiques pour mobiliser l’épargne en faveur du renouvellement de la flotte de pêche, qui représente un enjeu de production pour la France. De la même manière, le renouvellement des exploitations est un enjeu majeur, et nous devons lui accorder une attention particulière.

Le groupe Union Centriste salue donc et soutient sans réserve cette proposition de loi.

J’aimerais également évoquer la nécessité d’une agriculture plus vertueuse. Les mesures agroenvironnementales et climatiques (Maec) ont connu un grand succès en Bretagne, mais elles ont engendré une impasse financière qu’il serait utile de résorber. On constate l’engagement de nombreux exploitants dans la région pour des pratiques agricoles aussi vertueuses que possible – un objectif que nombre de mes collègues sénateurs partagent. Ces pratiques vertueuses doivent être encouragées et accompagnées. De cette façon, nous pourrons continuer à développer une agriculture plurielle. En Bretagne notamment, les élevages jouent un rôle majeur et leur niveau de capitalisation exige de nouvelles formes de financement. C’est précisément le but de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP, ainsi quau banc des commissions. M. Marc Laménie applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Salmon. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. Daniel Salmon. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la question du foncier agricole est un sujet fondamental pour l’avenir de notre agriculture. Les enjeux sont immenses : sa régulation doit permettre tout à la fois de favoriser l’installation de nouveaux agriculteurs dans un contexte de renouvellement des générations et de chute du nombre d’actifs, de lutter contre l’agrandissement excessif et l’accaparement des terres, d’engager la nécessaire transition écologique, et d’assurer notre souveraineté alimentaire – et je parle d’une vraie souveraineté alimentaire, monsieur le ministre.

Avec ce texte, vous nous proposez de créer un nouveau véhicule de portage financier, les GFAI, c’est-à-dire des GFA dont les parts du capital social font l’objet d’une offre au public.

Je souhaite exprimer dès à présent notre perplexité face à ce nouveau dispositif financier.

M. Daniel Salmon. Son seul résultat tangible sera de permettre à des investisseurs de diversifier leur portefeuille d’actions en leur faisant notamment bénéficier d’un traitement fiscal et successoral favorable. Non, hélas ! cet outil ne permettra pas d’atteindre l’objectif affiché, qui est de faciliter la transmission des terres agricoles.

En conditionnant cet outil à la conclusion de baux à long terme, dont les loyers sont supérieurs à ceux du bail de neuf ans, il risque de provoquer une augmentation des loyers et, en fait, de constituer un frein à l’installation de nouveaux actifs, bien moins à même de payer des loyers élevés que ceux qui sont déjà installés.

C’est d’ailleurs précisément ce que l’on observe depuis la création des groupements forestiers d’investissement, qui servent de modèle aux GFAI que vous proposez. L’arrivée des investisseurs en forêt a provoqué une augmentation des prix du foncier, rendant difficile l’installation pour les forestiers locaux.

En l’absence de tout encadrement de ces GFAI, ce nouvel outil risque donc de renforcer la dynamique actuelle de concentration des terres et d’agrandissement des fermes et, par là même, le développement de l’agro-industrie.

Or nous considérons que les dispositifs de portage foncier doivent, au contraire, permettre une orientation des terres agricoles vers des exploitations à taille humaine, pourvoyeuses d’emploi, et qui adoptent des pratiques environnementales vertueuses.

Bref, si cette proposition de loi ne vient pas bouleverser les équilibres en place, nous voyons dans ces nouveaux GFAI un glissement dangereux vers une logique de financiarisation du foncier agricole, une évolution qui ne garantit en rien le renouvellement générationnel et la transition écologique.

Ce texte, de fait, ne tient pas compte de la nécessité de changer de modèle, alors que les crises climatiques et environnementales nous pressent d’agir. La terre agricole n’est pourtant pas un bien comme les autres. Elle devrait être considérée comme un bien commun, car elle constitue un élément clé de notre avenir collectif.

J’exprime devant vous une dernière inquiétude : le débat sur le foncier agricole va-t-il se résumer à cette proposition de loi, qui pourrait bien se révéler contre-productive ou allons-nous sérieusement y consacrer le temps nécessaire lors de l’examen du projet de loi d’orientation et d’avenir agricoles ?

Je me tourne donc vers le banc du Gouvernement. Monsieur le ministre, vous ne pouvez pas faire l’impasse sur la question de la régulation du foncier dans le projet de loi d’orientation et d’avenir agricoles. Ce sujet doit impérativement être mis sur la table. À cette occasion, vous pourrez compter sur moi et sur le groupe GEST pour défendre des propositions permettant de faire de la régulation foncière un outil pour renouveler les générations, lutter contre l’agrandissement et favoriser les pratiques en faveur du climat et de la biodiversité.

À l’heure où la faiblesse du revenu agricole est patente, est-il pertinent de mettre le foncier entre les mains des investisseurs, dont la question existentielle est : quel est le rendement ? Il me semble que ce n’est pas ce qu’il y a de plus pertinent aujourd’hui… (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme la présidente. La parole est à M. Éric Bocquet.

M. Éric Bocquet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, « préserver le caractère familial de l’agriculture » et « facilite[r] l’accès au foncier agricole dans des conditions transparentes et équitables » sont les objectifs assignés à l’État par l’article L. 1 du code rural et de la pêche maritime.

Or, aujourd’hui, une exploitation sur cinq s’étend sur 136 hectares ou plus ; deux tiers des terres agricoles, lorsqu’elles changent de mains, concourent à l’agrandissement des exploitations. En d’autres termes, les exploitations sont devenues tellement grandes que, souvent, seules des firmes peuvent les reprendre. Ce phénomène, insuffisamment documenté, empêche la transmission en faveur d’une agriculture de proximité, à taille humaine, qui permettrait aussi de changer les pratiques agricoles.

Dans le même temps, presque un travailleur agricole sur deux devrait partir à la retraite dans les dix ans à venir. Le besoin en termes de renouvellement générationnel est donc énorme. De fait, il y a urgence à favoriser réellement les aspirants à l’installation, dont 60 % ne sont pas issus du milieu agricole. Il y a urgence à ce que notre pays parvienne enfin à suivre le cap agricole qu’il a lui-même fixé.

Cela est impératif si nous voulons la cohabitation de plusieurs modèles agricoles sur notre territoire et la survie d’un certain modèle familial.

Or, face au renchérissement du prix du foncier et à sa raréfaction, les textes que nous examinons depuis deux ans ne sont pas la hauteur des enjeux. Pis, ils étendent la logique de marché à ce bien commun qu’est la ressource foncière.

Le texte dont nous débattons aujourd’hui n’échappe pas à la règle, puisqu’il propose la création d’un nouveau véhicule d’investissement défiscalisé, en faveur des épargnants les plus aisés, le GFAI, et cela sans aucune étude d’impact.

Or, dans le dispositif proposé, les terres concernées par cet instrument de portage foncier pourront être louées à tout agriculteur, quelle que soit la superficie qu’il exploite. Dès lors, comment être sûr que ce dispositif ne bénéficiera pas essentiellement aux grandes structures ? Celles-ci pourront plus facilement accepter des loyers supérieurs à ceux des baux traditionnels. Par conséquent, cela privera de terres les candidats à l’installation.

Comment évaluer le risque de renchérissement des baux ruraux ? Il n’est pas inexistant, comme le soulignait à juste titre le rapporteur. Le GFAI est un produit financier comportant des risques, dont le détenteur recherchera un niveau de rentabilité important. Or, comme le souligne très justement le rapport de la commission des finances, « la maîtrise du coût du fermage, et donc du foncier, s’oppose à l’attractivité du foncier agricole pour les investisseurs, à la recherche d’un certain niveau de rendement ».

De même, ce produit, dont on nous dit qu’il sera éthique, n’est pas ciblé. Nous ne savons pas à qui profitera ce nouveau portage foncier : à l’installation ? À l’agrandissement ? Au verdissement de notre agriculture ? Rien dans le texte ne le précise.

S’il est vrai que chaque génération d’agriculteurs s’installe différemment que la précédente, prenons garde que la terre ne devienne un nouveau terrain de jeu pour les fonds d’investissement, une marchandise en somme.

Plus que jamais, nous devons répondre de manière ambitieuse à la banalisation d’une vision capitalistique de l’agriculture, qui draine son lot de mégaexploitations, détenues sous des formes sociétaires, dans lesquelles la plupart des travailleurs agricoles seront salariés et où les conditions de travail seront une variable d’ajustement pour des détenteurs de capital foncier toujours plus éloignés du monde agricole.

Appelons à une refonte en profondeur de la régulation foncière et des outils d’orientation du foncier que sont les Safer et au contrôle des structures non par touches successives, mais dans le cadre d’un débat de fond autour du projet de loi d’orientation et d’avenir agricoles.

Nous pensons, comme de nombreuses organisations agricoles, que le GFAI, destiné aux plus gros patrimoines cherchant à défiscaliser, tourne le dos à la logique coopérative des GFA à la faveur d’une logique d’investissement, qui risque de favoriser encore plus la dynamique en cours de concentration des terres dans les mains de grands groupes financiers, et cela au détriment de l’installation des jeunes agriculteurs. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et SER.)

Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Chevrollier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Guillaume Chevrollier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, les difficultés que connaissent nos agriculteurs pour s’installer ou transmettre leurs exploitations sont bien connues au sein de notre Haute Assemblée : baisse du nombre d’exploitants, vieillissement des agriculteurs actifs, affaiblissement du modèle traditionnel familial, augmentation de la surface moyenne des exploitations, frein de l’accès au foncier.

Toutes ces tendances se sont accélérées et ont été confirmées ces dernières années. Elles suscitent, à raison, beaucoup d’inquiétudes, car c’est notre puissance agricole qui est en jeu.

Comment tenir nos objectifs pour recouvrer notre souveraineté alimentaire si les agriculteurs ne peuvent plus s’installer dans de bonnes conditions ou transmettre leurs exploitations ? Dans mon département de la Mayenne, entre 2010 et 2020, nous en avons perdu plus de 1 000. Dans le même temps, le nombre de chefs d’exploitation a diminué de 17 %.

Le coût d’installation pour un jeune agriculteur avoisine quant à lui 1 million d’euros et peu de banques sont prêtes à financer des projets de reprise, en particulier dans l’élevage bovin, si important pour notre bocage.

Pour tenter de répondre à cette situation, la région Pays de la Loire a récemment lancé le dispositif « territoire pilote » pour accroître et faciliter les transmissions en associant l’ensemble des acteurs concernés. L’efficacité de ce dispositif tient notamment à l’animation d’un réseau local, au plus près de nos territoires agricoles.

Le défi est de taille. C’est une véritable transformation des modèles d’exploitation agricole que nous devons envisager.

La création des GFA dans les années 1970, dans le but d’empêcher le démembrement des exploitations lors de leur transmission, a constitué une première réponse pertinente, dans le contexte de l’époque. Dans la continuité de ce dispositif, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui a pour objet la création d’un GFA d’épargnants. Au travers de l’ouverture de l’acquisition foncière agricole aux épargnants, un système de fermage serait mis en place pour faciliter l’installation des agriculteurs. Il s’agit d’un outil complémentaire intéressant, mais il me semble important de formuler quelques réserves.

Comme notre rapporteur, Christian Klinger, dont je salue ici le travail, je doute de l’attractivité de ce dispositif, qui me semble très limité dans sa portée – sur ce point, je regrette l’absence d’étude d’impact, puisqu’il s’agit d’une proposition de loi.

De nombreux instruments existent déjà pour le portage collectif du foncier. Certes, ce système pourrait faciliter l’installation, mais quelle possibilité offre-t-il réellement concernant la transmission ? Par ailleurs, être locataire, est-ce vraiment le sens que l’on veut donner à notre agriculture ?

J’ai bien conscience des réalités de l’agriculture aujourd’hui : un candidat sur deux à l’installation agricole n’est pas issu d’une famille d’exploitants agricoles et, par conséquent, ne dispose pas de l’appareil productif et du foncier nécessaires.

Face à l’érosion du potentiel de production que nous constatons tous dans nos territoires, il nous faut trouver des solutions qui permettent de maintenir une diversité des modèles agricoles, de rendre de l’attractivité aux métiers agricoles et d’adapter l’agriculture française aux mutations que nous connaissons.

Monsieur le ministre, l’examen de cette proposition de loi est donc l’occasion de vous interpeller de nouveau sur cet enjeu majeur qu’est la transmission pour nos agriculteurs, dans un contexte de transition environnementale. C’est un enjeu du point de vue non seulement du foncier, mais également de la rentabilité et de la lutte nécessaire contre l’agribashing : autant de sujets à traiter dans le projet de loi d’orientation et d’avenir agricoles, que nous attendons tous ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. M. Raphaël Daubet applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Marc Fesneau, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite formuler quelques réflexions et analyses en réponse à vos différentes interventions.

Monsieur Daubet, je vous remercie de votre intervention, dont je partage un certain nombre de points, notamment votre interrogation sur la nécessité de toucher aux grands équilibres et de mettre le doigt dans un tel engrenage. Comme vous l’avez bien souligné dans votre démonstration, le monde a évolué et il est essentiel de se demander si nos outils correspondent réellement à la réalité vécue sur nos territoires.

Je tiens à souligner un aspect que plusieurs d’entre vous ont évoqué : le renouvellement des générations. C’est un sujet de souveraineté alimentaire, mais également une question de dialogue entre le monde agricole et la société. Moins nous avons d’agriculteurs, plus nous avons de difficultés, sur les territoires, à établir un dialogue. Je prendrai l’exemple de trois pays : l’Irlande, avec 5 millions d’habitants, compte 135 000 exploitations agricoles ; l’Italie, qui a moins d’habitants que la France, en compte plus d’un million ; l’Espagne en a 900 000. La puissance agricole, non plus que le dialogue, sur le territoire, avec l’agriculture, ne peut être décorrélée du nombre d’exploitants agricoles. La question du renouvellement des générations est économique, écologique et sociologique. Si nous n’agissons pas sur ce renouvellement, nous n’y arriverons pas.

Oui, monsieur Lévrier, ce texte n’est qu’une pierre de l’édifice : tout comme son auteure et son rapporteur, nous ne prétendons pas qu’il résoudra l’ensemble des problèmes liés au renouvellement des générations et aux difficultés d’accès au foncier.

Madame la sénatrice Briquet, vous avez mentionné plusieurs sujets importants. Vous avez évoqué le risque d’éviction. En réalité, l’éviction est déjà présente. Le texte dont nous discutons cet après-midi vise justement à éviter un tel risque. Partout, le prix du foncier devient inaccessible pour beaucoup. Dans le territoire que je connais le mieux, le Loir-et-Cher, les terres qui coûtaient autour de 5 000 euros valent aujourd’hui entre 10 000 et 14 000 euros l’hectare et elles sont acquises par des personnes n’ayant aucun lien avec l’agriculture. Nous devons travailler pour éviter ces effets d’éviction, ce qui nécessite une régulation. Cette proposition de loi le permet.

Cela a également été dit par l’auteure et le rapporteur de cette proposition de loi, celle-ci ne remet aucunement en cause le statut du fermage et, partant, ne crée aucun effet d’éviction. Ce statut constitue un énorme avantage comparatif pour notre pays, car c’est un élément de sécurisation. Le fermage et l’encadrement de ses prix constituent un avantage comparatif immense pour notre pays.

Vous avez évoqué plusieurs mécanismes de régulation. Actuellement, la loi du 23 décembre 2021 portant mesures d’urgence pour assurer la régulation de l’accès au foncier agricole au travers de structures sociétaires, dite loi Sempastous, commence à produire ses effets. Ne lui faisons pas de procès ! Nous n’avons pas encore un recul suffisant pour en faire l’évaluation, mais les remontées d’informations des Safer nous fourniront des éléments pour évaluer son efficacité ou les besoins d’amodiation. Cet aspect me semble crucial.

Beaucoup d’entre vous ont souligné la nécessité d’une approche plus globale, englobant les aspects budgétaires, sociaux et environnementaux : j’y ajouterai la question de la souveraineté.

Je rappelle que c’est Stéphane Le Foll, au travers de la loi du 13 octobre 2014 d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, qui a créé les groupements forestiers d’investissement, ce qui montre une continuité dans ce type de dispositif et un assez large consensus politique en sa faveur.

Monsieur Somon, vous dites que le texte imposera des contraintes supplémentaires pour ceux qui souhaitent s’installer : nous avons là un point de désaccord. Le travail en commission a bien montré que l’objectif est non pas d’ajouter davantage de contraintes, mais plutôt de permettre à l’investisseur d’investir sans empiéter sur le pouvoir décisionnel de l’agriculteur. L’agriculteur doit rester maître chez lui pour que le système fonctionne. Le présent texte permet d’éviter cet écueil. D’ailleurs, le risque que vous évoquez existe aussi si ce sont des collectivités territoriales qui interviennent. J’en connais qui se montrent prescriptrices sur le choix des cultures… Mais le statut du fermage est suffisamment protecteur.

Monsieur le sénateur Wattebled, vous avez évoqué le sentiment de dépossession – il est vrai que vous êtes élu d’un département frontalier, problématique à laquelle n’est pas confrontée la région Centre-Val de Loire ! Ce sentiment peut être double, touchant les régions frontalières comme celles qui ne le sont pas. Le prix bas des terres agricoles en France est un atout majeur en termes de compétitivité, avec la stabilité du fermage et l’encadrement des loyers. Cependant, il peut y avoir des effets d’éviction, que ce soit en région frontalière ou à l’« intérieur des terres », où des jeunes ne parviennent parfois pas à s’installer faute d’accès au foncier. Il est vrai toutefois que la tension est plus forte à la frontière. Nous devrons travailler cette question avec les Safer et renforcer la régulation.

Oui, monsieur le sénateur Canévet, il est nécessaire de multiplier les outils, car aucun dispositif ne résoudra à lui seul tous les problèmes, y compris sur la question du foncier. C’est la combinaison de divers outils que nous mettrons sur la table qui permettra de répondre aux diverses situations. Le dispositif présenté semble être intéressant à explorer.

Je souhaite insister sur la puissance du fermage, même si certains exploitants s’en tiennent encore à l’écart. Plusieurs dispositions de la loi Sempastous venaient dévoyer le statut des organisations sociétaires. Il est impératif de remettre le statut du fermage au cœur du dispositif, car il s’agit d’une protection essentielle.

Concernant les Maec, notamment en Bretagne, il est à noter que les moyens de l’État sont plus importants dans la programmation actuelle que dans les précédentes. Cependant, un plus grand nombre d’individus s’engagent dans ces transitions – ce qui constitue plutôt une bonne nouvelle. Cela crée une difficulté en termes de financement, mais nous travaillons, avec la ministre de la transition écologique, pour que les agences de l’eau puissent assumer la part qui leur revient et afin que les moyens soient déployés pour soutenir en particulier les agriculteurs engagés dans des Maec dites systèmes, les plus présentes en Bretagne.

Monsieur Salmon, vous affirmez que les GFI ne fonctionnent pas. Cependant, la hausse des prix du foncier forestier est attribuable au fait que les forêts sont redevenues une valeur refuge. En fait, on commence enfin à payer le bois à sa juste valeur, contrairement aux trente ou quarante dernières années, où tel n’était pas le cas, sauf peut-être pour le chêne et les résineux – en particulier dans le Sud-Ouest, grâce à la présence d’une filière très organisée –, le reste étant utilisé comme résidu. C’est une bonne nouvelle, y compris pour le renouvellement forestier, car cela facilitera les investissements. La montée des prix du foncier forestier s’explique par l’intérêt grandissant pour la forêt aujourd’hui, qui est bienvenu, je le répète. Tant mieux si un nombre croissant de personnes découvrent l’intérêt de la forêt ! La proposition de loi vise non pas à résoudre l’intégralité des problèmes liés au foncier, mais à apporter une contribution spécifique à ce sujet.

Je souhaite évoquer la question de l’équilibre entre les secteurs privé et public dans la possession des terres agricoles. En France, seulement 1,7 % de ces terres relèvent de la maîtrise d’ouvrage publique, le reste étant propriété privée. Ne faisons donc pas croire que nous faisons passer les terres du public au privé, puisque la propriété foncière agricole est déjà principalement privée – et ce n’est pas un gros mot. Là où je vous rejoins, c’est qu’il est essentiel de trouver des mécanismes de régulation.

En Bretagne, les mécanismes de régulation sont en place et fonctionnent dans de bonnes conditions, ce qui se traduit par un taux de renouvellement des générations plus élevé que dans d’autres régions. Cela est dû à la collaboration de tous les acteurs régionaux et au modèle agricole propre à cette région. Cela montre à la fois que la régulation peut fonctionner et qu’une volonté bretonne s’est exprimée à tous les niveaux – collectivités et responsables professionnels – pour favoriser le renouvellement. Nous avons donc besoin de travailler sur le foncier en termes de capitaux et de régulation.

Je partage certains points avec vous, monsieur Bocquet, contrairement à ce que vous pourriez penser. Nous devons éviter une vision excessivement rentable de l’agriculture. Il est essentiel de ne pas exiger de l’agriculture des rendements qu’elle ne peut pas fournir. Je conviens qu’il faut distinguer la spéculation capitalistique de la nécessité d’apporter des capitaux pour accompagner la transition. Il y a un vrai besoin de matériel performant pour assumer la transition et permettre à des jeunes de s’installer. Certaines structures, en particulier dans l’élevage, nécessitent des capitaux, c’est une réalité économique.

Nous devons nous assurer que le groupement foncier soit orienté vers l’installation des jeunes agriculteurs, et non vers l’agrandissement des exploitations. Nous ambitionnons de résoudre le problème d’accès au foncier pour ceux qui ne peuvent pas y accéder, en particulier les jeunes, ou moins jeunes, agriculteurs en devenir.

Enfin, monsieur Chevrollier, vous vous demandez si être locataire peut être une perspective. Je souligne que la moitié des agriculteurs français sont locataires ! (M. Michel Canévet acquiesce.) Le statut du fermage protège ces locataires. Plus vous avez de nouveaux agriculteurs qui ne sont pas issus du milieu agricole, plus ces agriculteurs, pour éviter une charge de foncier trop lourde, rechercheront le statut de locataire.

Il est essentiel de considérer la question du foncier dans le cadre d’un pacte et d’une loi pour garantir la transmission et le renouvellement des générations. Je répète que, pour favoriser l’installation des jeunes en agriculture, il faut non seulement aborder la question du foncier, mais également les besoins en capitaux, la formation, la fiscalité, les conditions de travail et la rémunération. Dans les systèmes d’élevage, par exemple, il faut de la main-d’œuvre et donc une rémunération et des conditions de travail qui ne soient pas les mêmes que celles de nos parents ou grands-parents. C’est un sujet central.

Enfin, il est vital de créer un environnement favorable à l’installation des jeunes, en valorisant le métier d’agriculteur et en évitant les discours dévalorisants à l’égard de cette profession. Comment voulez-vous qu’un jeune s’installe dans l’élevage quand, à longueur de journée, on montre cette profession du doigt, avec des inscriptions – je préfère ne pas entrer dans le détail – sur les murs ou des intrusions dans des exploitations agricoles dans le but de dénoncer tel ou tel mode d’exploitation ? (Marques dapprobation sur les travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains.) Il n’y a pas beaucoup de secteurs, au fond, où l’on s’entend dire à longueur de journée que l’on ne fait pas un beau métier. Pour moi, c’est un beau métier, un métier dont nous avons besoin, et il faut encourager ceux qui l’exercent à la transition et ne pas décourager ceux qui le souhaitent de s’installer en agriculture. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains. M. Christopher Szczurek applaudit également.)

Mme la présidente. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

proposition de loi visant à associer les épargnants à la transmission des exploitations agricoles françaises

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi visant à associer les épargnants à la transmission des exploitations agricoles françaises
Article 2

Article 1er

Le chapitre II du titre II du livre III du code rural et de la pêche maritime est complété par un article L. 322-25 ainsi rédigé :

« Art. L. 322-25. – I. – Tout groupement foncier agricole mentionné à l’article L. 322-1, qui lève des capitaux auprès d’investisseurs en vue de les investir dans l’intérêt de ces derniers et conformément à une politique d’investissement que ce groupement ou sa société de gestion définit, est un groupement foncier agricole d’investissement. Ce groupement est soumis à l’article L. 214-24 du code monétaire et financier.

« Un groupement foncier agricole d’investissement est une société civile régie par les articles 1832 à 1870-1 du code civil et par les articles L. 322-1 à L. 322-21 et L. 322-23 du présent code. Il peut offrir au public ses parts sociales.

« II. – L’offre au public de ses parts sociales par un groupement foncier agricole d’investissement est soumise aux articles L. 214-86 à L. 214-113 du code monétaire et financier et respecte les conditions suivantes :

« 1° À concurrence de 15 % au moins, le capital maximal du groupement, tel que fixé par ses statuts, doit être souscrit par le public dans un délai de deux années après la date d’ouverture de la souscription. À défaut, le groupement est dissous et ses associés sont remboursés du montant de leur souscription ;

« 2° L’ensemble des biens immobiliers du groupement foncier agricole doit être donné à bail à long terme ;

« 2° bis L’actif du groupement foncier agricole d’investissement est constitué d’immeubles à usage ou vocation agricole en vue de l’exercice d’une activité agricole définie à l’article L. 311-1 et de liquidités ou valeurs assimilées. Un décret en Conseil d’État fixe les conditions et limites de détention et de gestion de ces actifs, en particulier pour ce qui concerne la composition de l’actif du groupement foncier agricole d’investissement, les opérations d’échange et de cession de l’actif, les règles de gestion et de fusion des groupements fonciers agricoles d’investissement ;

« 3° Pour l’application de l’article L. 214-89 du même code, la responsabilité de chaque associé d’un groupement foncier agricole d’investissement qui a recours à l’offre au public ne peut dépasser le montant de sa part dans le capital.

« III. – Le groupement foncier agricole d’investissement mentionné au II est soumis aux articles L. 231-8 à L. 231-21 du code monétaire et financier.

« IV. – Pour l’application des articles L. 321-1, L. 411-1 à L. 412-1, L. 621-1, L. 621-8 à L. 621-8-2 et du I de l’article L. 621-9 du code monétaire et financier, les parts des groupements fonciers agricoles d’investissement sont assimilées à des instruments financiers.

« V. – Pour l’application des articles L. 621-5-3, L. 621-5-4 et L. 621-8-4 du code monétaire et financier, les groupements fonciers agricoles d’investissement sont assimilés à des organismes de placement collectif.

« VI. – Le règlement général de l’Autorité des marchés financiers précise les conditions d’exercice de l’activité de gestion des groupements fonciers agricoles d’épargnants relevant du présent article. »

Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Salmon, sur l’article.

M. Daniel Salmon. Je l’ai déjà dit, il n’est fait aucunement référence dans cet article à une politique visant à favoriser l’installation. Le dispositif n’étant ni fléché ni conditionné à des objectifs de renouvellement des générations, il peut parfaitement être utilisé pour supporter et nourrir des agrandissements excessifs et des logiques d’accaparement foncier.

Par ailleurs, nous nous inquiétons de la référence aux baux de long terme, lesquels permettent d’avoir un fermage 15 % à 25 % supérieur aux baux de court terme. Pourquoi a-t-on choisi d’en parler explicitement dans ce texte, sinon pour satisfaire les investisseurs ? En effet, entre investisseurs et spéculateurs, nous le savons, il n’y a parfois qu’un fil ténu.

Enfin, comme l’a rappelé M. le ministre, le fermage est un outil essentiel dans la politique du foncier agricole en France. Certains orateurs ont parlé, s’agissant de ce texte, de nouvelle pierre ajoutée à l’édifice. N’est-ce pas plutôt une pierre que l’on retire au bas du mur, fragilisant ainsi tout l’édifice du système de fermage qui nous est cher ?

J’enjoins donc à mes collègues de faire preuve d’une grande vigilance eu égard à cet article. Pour notre part, nous voterons contre.

Mme la présidente. L’amendement n° 4, présenté par M. Klinger, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 4

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

« …° Les statuts prévoient au profit des membres du groupement autres que les personnes morales un droit de préférence pour l’acquisition des parts mises en vente. Les statuts peuvent accorder un droit de priorité aux associés participant à l’exploitation des biens du groupement, notamment en vertu d’un bail à long terme ;

La parole est à M. le rapporteur.

M. Christian Klinger, rapporteur. Avec le présent amendement, je propose que les statuts du groupement foncier agricole d’investissement prévoient obligatoirement un droit de priorité pour ses membres et qu’ils puissent établir un droit de priorité supplémentaire pour les associés participant à l’exploitation des biens du groupement, notamment en vertu d’un bail.

L’ajout de cette disposition contribuerait à renforcer la protection non seulement des membres du groupement, mais également des exploitants agricoles, qui continueraient par ailleurs toujours de bénéficier des clauses protectrices du régime juridique des baux ruraux.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Marc Fesneau, ministre. M. le rapporteur propose un dispositif qui permette de renforcer la protection des membres du GFAI, tout en veillant à ce que les exploitants agricoles, bénéficiaires en dernier ressort, ne soient pas pénalisés.

Sagesse.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 4.

(Lamendement est adopté.)

Mme la présidente. L’amendement n° 1, présenté par MM. Bocquet, Savoldelli et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, est ainsi libellé :

Alinéa 6

Remplacer les mots :

long terme

par les mots :

des personnes physiques ou des actifs agricoles, exploitant, après la conclusion du nouveau bail, moins de la surface agricole moyenne départementale, ou son équivalent par chef d’exploitation, s’engageant dans la transition agroécologique

La parole est à M. Éric Bocquet.

M. Éric Bocquet. Nous pensons, comme beaucoup d’organisations agricoles, qu’il aurait fallu agir sur la question de la régulation foncière afin de permettre d’orienter les terres libérées vers l’installation, l’étoffement des plus petites structures et la transition agroécologique, avant d’inventer un nouvel instrument financier de portage du foncier.

Aussi, avec cet amendement, nous souhaitons faire en sorte de réserver les bénéfices de ce portage au développement de l’agriculture familiale et paysanne. À cet effet, nous proposons de cibler ce dispositif afin qu’il ne favorise pas l’agrandissement et l’accaparement des terres par des sociétés, notamment financières.

Il faut savoir qu’aujourd’hui 14 % des terres agricoles de ce pays sont la propriété de grands groupes, comme Auchan, Chanel ou encore L’Oréal, aussi curieux que cela puisse paraître.

Au-delà de la problématique du prix d’accès à la terre, il existe une réelle inadéquation entre les fermes à céder et les projets d’installation. L’augmentation de la surface des exploitations, la spécialisation, la mécanisation des pratiques ont transformé l’outil de production, entraînant une augmentation du coût de reprise et un décalage par rapport aux nouveaux projets agricoles, surtout pour les installations hors cadre familial. Sans ce calibrage, ce texte n’atteindra pas ses objectifs affichés de renouvellement des générations, ainsi que de renforcement de l’agriculture familiale et de l’agroécologie.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Christian Klinger, rapporteur. Avis défavorable.

Notre objectif est de faire en sorte que la création des GFAI ne se traduise pas par de nouvelles règles pour les exploitants agricoles par rapport à celles qu’ils connaissent déjà dans le cadre d’un groupement foncier agricole classique. L’agriculteur doit rester maître chez lui et la création d’un nouveau véhicule de portage du foncier ne doit pas remettre en cause ce principe cardinal.

Le souhait, partagé, me semble-t-il, est que les baux consentis dans le cadre d’un GFAI respectent strictement les règles applicables aux baux ruraux, ni plus ni moins. Or cet amendement, s’il était voté, imposerait de nouvelles conditions, tenant par exemple à la surface d’exploitation ou à l’engagement dans la transition écologique. Bien sûr, nous pouvons partager ces objectifs, mais il ne me semble pas pertinent d’introduire de telles distinctions dans un bail consenti par un GFAI.

Avec cette explication, je pense répondre également aux préoccupations exprimées par M. Somon sur les conditions pouvant être imposées aux exploitants agricoles.

Je rappelle enfin que, dans ce texte, le statut d’associé des personnes morales, comme les Safer, les sociétés d’intérêt collectif agricole (Sica), les établissements financiers à vocation agricole, est strictement réglementé et beaucoup plus encadré qu’actuellement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Marc Fesneau, ministre. Comme le souligne M. le rapporteur, la situation est aujourd’hui bien moins encadrée qu’elle ne le sera si ce texte est voté.

Prenons garde d’introduire dans le statut du GFAI, notamment dans les contraintes de mise à bail, des éléments qui n’ont pas lieu d’y être. Bien évidemment, nous partageons les objectifs séduisants de transition de notre agriculture, mais un excès de contraintes finira par conduire à des agrandissements ; or nous voulons favoriser l’installation des jeunes.

L’idée, c’est de permettre le portage de foncier, tout en nous donnant les moyens publics de la transition et de la planification écologique. À chaque installation, nous devons nous poser la question du modèle pour savoir s’il est tenable et viable. Ensuite, il faut évaluer les moyens publics à mettre en œuvre pour faire en sorte que la transition s’effectue bien.

Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur cet amendement.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 1.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme la présidente. L’amendement n° 3, présenté par MM. Bocquet, Savoldelli et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, est ainsi libellé :

Alinéa 6

Compléter cet alinéa par les mots :

en favorisant les projets d’installations

La parole est à M. Éric Bocquet.

M. Éric Bocquet. Toujours dans l’idée de calibrer le dispositif, nous souhaitons prioriser l’utilisation de ce nouvel outil de partage foncier en faveur non pas de l’agrandissement, mais de l’installation. Il s’agit d’éviter que ce dispositif n’accompagne la dynamique actuelle de concentration des terres et de renforcement de l’agriculture industrielle, les exploitants les plus à même de payer des loyers, qui seront sans doute plus élevés, étant ceux qui sont déjà installés.

Les grandes exploitations représentent aujourd’hui un cinquième de l’ensemble et couvrent environ 40 % du territoire agricole métropolitain. Aujourd’hui, deux tiers des surfaces libérées conduisent à l’agrandissement de fermes déjà existantes. Selon les données de Terre de Liens, en 2019, il y a eu 21 000 départs, la taille moyenne d’exploitation étant de 69 hectares, et 14 000 installations, en moyenne sur 35 hectares. Ainsi, les départs libèrent 1,5 million d’hectares, quand les installations occupent 490 000 hectares, soit 33 % environ des surfaces libérées.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Christian Klinger, rapporteur. Cette précision ne me semble pas nécessaire et pourrait même se révéler contre-productive.

Pas nécessaire, puisque les baux, consentis dans le cadre d’un GFAI ou non, s’adressent principalement à des candidats à l’installation. En effet, le groupement, en aidant à supporter le coût du foncier, permet à un jeune agriculteur de s’installer lorsqu’il ne dispose pas du capital foncier nécessaire.

Contre-productive, puisqu’il ne faudrait pas qu’elle puisse conduire, dans le cadre de la transformation d’un GFA en GFAI, à empêcher un exploitant agricole déjà installé de renouveler son bail.

Je demande le retrait de cet amendement ; faute de quoi, l’avis sera défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Marc Fesneau, ministre. Même avis.

Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Salmon, pour explication de vote.

M. Daniel Salmon. Nous l’avons dit tout à l’heure, il n’est pas possible de tout mettre dans ce texte, mais il faut malgré tout prévoir des garde-fous, savoir où l’on va et quelles politiques publiques l’on veut mener.

Je considère les amendements de M. Bocquet comme des amendements de repli pour essayer d’encadrer cette proposition de loi qui, selon nous, ne va pas dans le bon sens, puisqu’elle entraînera assurément de la spéculation sur le foncier. J’espère que nous pourrons reparler de tout cela lors de la discussion à venir du projet de loi d’orientation agricole.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 3.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme la présidente. L’amendement n° 5, présenté par M. Klinger, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Alinéa 12

Remplacer le mot :

épargnants

par le mot :

investissement

La parole est à M. le rapporteur.

M. Christian Klinger, rapporteur. Amendement de coordination.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Marc Fesneau, ministre. Sagesse.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 5.

(Lamendement est adopté.)

Mme la présidente. L’amendement n° 6, présenté par M. Klinger, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

« … - L’application des dispositions du présent article ne permet de déroger à aucune des règles applicables aux baux ruraux prévues au chapitre VI du titre Ier du livre IV du code rural et de la pêche maritime.

La parole est à M. le rapporteur.

M. Christian Klinger, rapporteur. Les GFAI sont soumis aux règles applicables aux GFA : que le bail rural soit consenti par un GFA ou un GFAI, le régime juridique, protecteur des exploitants agricoles, ne change pas. Il n’est pas possible d’y déroger. Avec le présent amendement, je propose de rappeler ce principe expressément.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Marc Fesneau, ministre. Je partage complètement ce point de vue, mais il me semble que l’article dispose déjà que les GFA, et par extension les GFAI, ne pourront pas déroger aux règles applicables aux baux ruraux.

C’est un avis de sagesse, votre souhait me semblant déjà satisfait, d’une certaine façon.

M. Christian Klinger, rapporteur. C’est pour avoir « ceinture et bretelles » ! (Sourires.)

M. Marc Fesneau, ministre. C’est sécurisant, mais redondant !

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 6.

(Lamendement est adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 1er, modifié.

(Larticle 1er est adopté.)

Article 1er
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Article 3

Article 2

Le code rural et de la pêche maritime est ainsi modifié :

1° Le 3° du II de l’article L. 141-1 est complété par les mots : « ou la totalité des parts de groupements fonciers agricoles d’investissement tels que définis à l’article L. 322-25 » ;

2° Après la première phrase de l’article L. 322-13, est insérée une phrase ainsi rédigée : « Ce délai est porté à deux ans pour les groupements fonciers agricoles d’investissement définis à l’article L. 322-25. »

Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Salmon, sur l’article.

M. Daniel Salmon. On lit dans l’article 2 que les Safer peuvent exercer leur droit de préemption sur la totalité des parts de GFAI.

Cette rédaction, vous le savez, suscite une vraie interrogation, parce que l’on parle de « totalité des parts », alors que le code rural dispose que la préemption n’est possible que sur une partie d’entre elles.

Aussi, je me permets de soulever le sujet pour obtenir une clarification. Est-ce que l’on reste en phase avec la rédaction du code rural ou faut-il voir dans cette rédaction une évolution tendant à ce que les Safer ne puissent plus préempter que la totalité des parts, ce qui ne sera pratiquement jamais possible ? Tout se joue sur quelques mots qui ne sont pas sans importance.

J’aimerais bien entendre M. le rapporteur et M. le ministre à cet égard.

Mme la présidente. La parole est à M. Marc Laménie, sur l’article.

M. Marc Laménie. Je tiens tout d’abord à saluer l’initiative de notre collègue Vanina Paoli-Gagin, à l’origine, avec ses collègues du groupe Les Indépendants, de cette proposition de loi qui touche à des problématiques essentielles pour le monde agricole au travers de l’installation des jeunes agriculteurs.

L’article 2 fait référence aux Safer, créées par la loi d’orientation agricole du 5 août 1960 dans un but d’aménagement du territoire et de transparence du marché foncier rural, à une époque où notre pays comptait beaucoup plus d’agriculteurs qu’aujourd’hui.

Cet article aborde la gouvernance des Safer. J’ai moi-même siégé à la Safer Champagne-Ardennes en tant que représentant du conseil général. La présence des élus locaux, notamment des maires, dans la gouvernance des Safer m’est toujours apparue primordiale.

Le but des Safer est notamment de favoriser l’installation des jeunes, ce qui sera facilité par la possibilité pour elles de préempter jusqu’à 100 % des parts de GFAI, ce qui me semble une bonne chose.

Je soutiendrai donc l’article 2.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 2.

(Larticle 2 est adopté.)

Article 2
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Article 4

Article 3

Le code monétaire et financier est ainsi modifié :

1° À l’intitulé du paragraphe 4 de la sous-section 2 de la section 2 du chapitre IV du titre Ier du livre II, après le mot : « forestière », la fin est ainsi rédigée : « , groupements forestiers d’investissement et groupements fonciers agricoles d’investissement » ;

2° Au premier alinéa de l’article L. 214-86, après le mot : « forestier », sont insérés les mots : « et les groupements fonciers agricoles d’investissement définis à l’article L. 322-25 du code rural et de la pêche maritime » ;

3° Aux deuxième et troisième alinéas de l’article L. 214-89, après le mot : « investissement », sont insérés les mots : « et des groupements fonciers agricoles d’investissement » ;

4° Au début du deuxième alinéa de l’article L. 214-103, sont ajoutés les mots : « Sous réserve de l’article L. 322-10 du code rural et de la pêche maritime, ». – (Adopté.)

Article 3
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Article 5

Article 4

I. – Le code général des impôts est ainsi modifié :

1° Le 4° du 1 de l’article 793 est ainsi modifié :

a) Au premier alinéa, après le mot : « maritime », sont insérés les mots : « , ainsi que celles des groupements fonciers agricoles d’investissement tels que définis par l’article L. 322-25 du même code » ;

b) Au dernier alinéa du c, les mots : « et L. 322-23 » sont remplacés par les mots : « , L. 322-23 et L. 322-25 » ;

2° Au premier alinéa du IV de l’article 976, après les mots : « aux groupements fonciers agricoles », sont insérés les mots : « , ainsi que celles des groupements fonciers agricoles d’investissement tels que définis à l’article L. 322-25 du code rural et de la pêche maritime, ».

II (nouveau). – La perte de recettes résultant pour l’État de l’extension des exonérations de droits de mutation à titre gratuit et d’impôt sur la fortune immobilière aux parts de groupements fonciers agricoles d’investissement est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

Mme la présidente. L’amendement n° 2, présenté par MM. Bocquet, Savoldelli et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Éric Bocquet.

M. Éric Bocquet. Cet article vise à appliquer aux parts de GFAI les exonérations fiscales applicables aux parts de GFA, telles que les exonérations partielles de droits de mutation à titre gratuit ou les exonérations totales et partielles d’impôt sur la fortune immobilière. C’est donc une nouvelle niche fiscale, qui s’ajoute aux 465 autres existant en France, selon un rapport de la Cour des comptes publié au mois de juillet dernier, pour un total de 94 milliards d’euros. Un chiffre qui fait tourner la tête !

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Christian Klinger, rapporteur. L’article 4 étend aux GFAI les avantages fiscaux prévus pour les GFA en matière de droits de mutation à titre gratuit et d’IFI. Il s’agit d’un simple alignement visant à faire en sorte que les GFAI fonctionnent de la même manière que les GFA.

Avis défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Marc Fesneau, ministre. Même avis.

La suppression de l’article 4 reviendrait à dévitaliser la proposition de loi. L’objectif est bien d’inciter un grand nombre de nos concitoyens à investir dans les GFAI, les sociétés étant très encadrées pour le faire.

Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Salmon, pour explication de vote.

M. Daniel Salmon. Nous sommes totalement opposés à ce que nos politiques publiques servent à exonérer d’impôt, notamment d’IFI, quelques personnes qui vont investir dans du foncier agricole et attendre que la valeur de leurs parts augmente tout en touchant les revenus du bail.

Il faut subordonner ces exonérations au nombre d’actifs à l’hectare ou à la réalité de l’installation, ce qui n’est pas le cas en l’occurrence. Nous partons dans le flou, sauf pour ce qui est d’enrichir des investisseurs.

Mme la présidente. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin, pour explication de vote.

Mme Vanina Paoli-Gagin. L’objectif est de permettre à nos concitoyens de donner du sens à leur épargne. C’est un copier-coller de dispositifs qui existent d’ores et déjà.

Mon cher collègue, votre obsession de la spéculation et de l’ultrarendement me paraît complètement déconnectée du fonctionnement réel des marchés sur la thématique qui nous préoccupe aujourd’hui. Les gens qui vont investir dans ce type de véhicule ne rechercheront pas des taux de rendement interne (TRI) importants compte tenu de la durée de l’investissement et du blocage de l’épargne. Je ne comprends pas vos craintes.

Enfin, la petite musique que vous jouez sur l’absence de préoccupations de gestion durable dans les exploitations que nous viendrions financer m’apparaît contradictoire. Si ce sont des spéculateurs, il faudra justement que ces exploitations soient exemplaires, puisque les financements, en règle générale, ne vont plus vers l’agriculture « brune » et non durable. J’ai vraiment du mal à comprendre les injonctions contradictoires qui structurent votre propos. Ayez confiance ! (Exclamations ironiques sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 2.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 4.

(Larticle 4 est adopté.)

Article 4
Dossier législatif : proposition de loi visant à associer les épargnants à la transmission des exploitations agricoles françaises
Explications de vote sur l'ensemble (début)

Article 5

(Supprimé)

Vote sur l’ensemble

Article 5
Dossier législatif : proposition de loi visant à associer les épargnants à la transmission des exploitations agricoles françaises
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

Mme la présidente. Personne ne demande la parole ?…

Je mets aux voix, dans le texte de la commission modifié, l’ensemble de la proposition de loi visant à associer les épargnants à la transmission des exploitations agricoles françaises.

(La proposition de loi est adoptée.) – (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, RDSE et UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, l’ordre du jour de cet après-midi étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures cinquante, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de Mme Sylvie Vermeillet.)

PRÉSIDENCE DE Mme Sylvie Vermeillet

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à associer les épargnants à la transmission des exploitations agricoles françaises
 

6

Mise au point au sujet d’un vote

Mme la présidente. La parole est à Mme Annick Billon.

Mme Annick Billon. Lors du scrutin n° 9 sur l’amendement n° 2 rectifié quinquies visant à insérer un article additionnel après l’article 2 bis de la proposition de loi visant à améliorer l’accès aux soins par l’engagement territorial des professionnels, mon collègue Hervé Maurey souhaitait voter pour.

Mme la présidente. Acte est donné de cette mise au point, ma chère collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.

7

 
Dossier législatif : proposition de loi visant à protéger la langue française des dérives de l'écriture dite inclusive
Discussion générale (suite)

Interdiction de l’usage de l’écriture inclusive

Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à protéger la langue française des dérives de l'écriture dite inclusive
Article 1er

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe Les Républicains, la discussion de la proposition de loi visant à interdire l’usage de l’écriture inclusive, présentée par Mme Pascale Gruny et plusieurs de ses collègues (proposition n° 404 [2021-2022], texte de la commission n° 68, rapport n° 67).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme Pascale Gruny, auteur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Philippe Folliot applaudit également.)

Mme Pascale Gruny, auteur de la proposition de loi. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, ce matin, nous avons inauguré la Cité internationale de la langue française, à Villers-Cotterêts. C’est dans la chapelle de ce château royal que François Ier a signé, en août 1539, la célèbre ordonnance instituant le français comme langue administrative du royaume.

Ce n’est donc pas un hasard si le Président de la République a choisi le département de l’Aisne, berceau de la langue française, terre d’écrivains mondialement connus comme La Fontaine, Dumas ou Racine, pour y installer cette grande cité dédiée à l’histoire de notre langue et à la place centrale qu’elle occupe dans la construction de notre lien social.

C’est précisément ce lien social que les partisans de l’écriture inclusive ont décidé de fragiliser en cherchant, depuis plusieurs années, à déconstruire la langue française.

Réclamée prétendument pour introduire dans l’écriture un équilibre entre l’usage du masculin et du féminin, l’écriture inclusive ne résulte de rien d’autre que d’une volonté d’affaiblir encore davantage la langue française en la rendant illisible, imprononçable et impossible à enseigner. L’Académie française ne s’y est d’ailleurs pas trompée en y voyant un « péril mortel » pour l’avenir de la langue française.

Nul ne peut contester les difficultés de lecture qu’entraîne une telle graphie, qui nous fait buter sur les mots, nous contraint au bégaiement et finit par nous faire oublier le sens de la phrase. En fragmentant les mots et les accords, l’écriture inclusive rend la marche d’un texte chaotique et exige d’être expert en déchiffrage pour en comprendre le sens. C’est une véritable régression de l’acte de lire.

Plus grave, cette écriture vient battre en brèche la mission première de notre système éducatif : apprendre à lire. Elle entrave gravement les efforts des élèves présentant des troubles d’apprentissage comme la dyslexie, la dyspraxie ou la dysphasie. Elle pénalise les enfants en situation de handicap, autistes ou malvoyants, qui dépendent de logiciels d’aide à la lecture incapables de reconnaître l’écriture inclusive, donc de restituer le texte lu.

Alors même qu’elle est censée inclure le plus grand nombre, cette écriture contribue à exclure une partie de nos concitoyens.

Bien sûr, notre langue est le résultat d’une longue histoire, faite d’enrichissements progressifs et d’apports successifs. L’écriture inclusive est non pas le fruit d’une telle évolution spontanée, mais bien le résultat d’une démarche militante qui cherche à imposer ses vues à tous. Dictée par la nouvelle doxa du temps présent, elle apparaît d’abord comme le domaine réservé d’une élite et n’est rien d’autre, rappelons-le, qu’un nom de domaine déposé en 2016 par une agence de communication. (Mme Mathilde Ollivier et M. Thomas Dossus sen amusent.)

Ses défenseurs voudraient nous faire croire qu’en France les femmes sont infériorisées, voire violentées en raison d’une structure viciée de la langue. C’est méconnaître les règles du genre grammatical, où le masculin et le féminin ne correspondent pas systématiquement à des catégories sexuées. Les mots n’ont pas de sexe et encore moins de sexualité.

Ainsi, on dit « une échelle », mais « un escabeau ». Le livre n’est pas plus mâle que la page n’est femelle. Dans l’armée, on dit « une sentinelle », « une ordonnance » ou « une estafette », un marqueur féminin désignant ici des fonctions historiquement masculines. « Une grenouille » peut être un papa grenouille. (Sourires.) Faut-il par ailleurs s’indigner qu’il pleuve ou qu’il neige ?

Si certains ne supportent pas d’entendre que le masculin l’emporte sur le féminin, il leur suffit d’énoncer qu’au pluriel le mot s’accorde au masculin, lequel, dans la langue française, fait office de neutre.

Tenir la langue responsable des discriminations que les femmes subiraient revient à nier la diversité des systèmes linguistiques et, surtout, à établir une corrélation discutable entre la langue et l’organisation sociale : le persan n’a pas de catégorie de genre, mais les femmes n’en sont pas moins discriminées en Iran.

Ne nous trompons pas de combat. Pour lutter réellement contre les discriminations sexistes, concentrons plutôt nos efforts sur les violences conjugales, sur les disparités salariales ou sur les phénomènes de harcèlement.

En abîmant la langue française, l’écriture inclusive pourrait également signer le déclin du français parlé dans le monde. Ses partisans font le choix assumé d’accroître considérablement les difficultés préexistantes de notre langue par une excroissance artificielle des mots. La langue anglaise, qui n’accorde pas ses adjectifs, et quasiment pas ses verbes, en sortirait bien évidemment gagnante.

Pour toutes ces raisons, le temps est venu de mettre définitivement fin aux dérives de l’écriture inclusive.

Si son utilisation a déjà été interdite pour les services de l’État par la circulaire du 21 novembre 2017 relative aux règles de féminisation et de rédaction des textes publiés au Journal officiel de la République française, dite circulaire Philippe, puis à l’école par la circulaire de Jean-Michel Blanquer du 5 mai 2021 sur les règles de féminisation dans les actes administratifs du ministère de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports et les pratiques d’enseignement, ces mesures apparaissent aujourd’hui clairement insuffisantes pour endiguer la propagation du phénomène : d’une part, parce qu’elles ne traitent qu’une partie du sujet ; d’autre part, parce qu’elles pourraient facilement être remises en cause.

Certains syndicats et enseignants affichent d’ailleurs publiquement leur résistance et leur détermination à en poursuivre la diffusion dans les classes. L’écriture inclusive devient la norme dans certains journaux ; on ne s’en étonne plus dans la communication des entreprises ni dans les publicités de marques grand public. On la retrouve même gravée sur des plaques commémoratives apposées dans l’enceinte de l’Hôtel de Ville de Paris.

M. Rémi Féraud. Et alors ?

Mme Pascale Gruny. Son usage s’est répandu rapidement à l’université. Certains professeurs encouragent cette pratique en rédigeant des énoncés d’examen en écriture inclusive et en proposant à leurs étudiants d’y répondre de la même manière. D’autres ont déclaré qu’ils risquaient de perdre leur charge d’enseignement s’ils refusaient d’utiliser ce type d’écriture.

Devant une telle situation, une seule réponse est possible : la loi, qui doit se prononcer avec clarté et fermeté sur ce sujet pour que chacun puisse s’y référer en toutes circonstances.

La proposition de loi que je défends aujourd’hui énonce un principe clair : l’interdiction du recours à l’écriture inclusive dans tous les cas où le droit exige un document rédigé en français. Elle complète ainsi utilement la loi du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française, dite loi Toubon, qui énonce déjà que la langue française est « la langue de l’enseignement, du travail, des échanges et des services publics ».

L’interdiction de l’écriture inclusive s’appliquera à toute la sphère publique, comme les documents administratifs ou l’enseignement, mais aussi à une large partie du domaine privé, comme les documents commerciaux, la publicité ou les notices d’utilisation, tout en laissant bien évidemment un délai aux fabricants et distributeurs pour s’adapter au dispositif.

Ce texte vise également le monde du travail, puisque plusieurs dispositions du code du travail imposent l’usage du français dans le contrat de travail, le règlement intérieur, les documents comportant des obligations pour le salarié ou dont la connaissance est nécessaire pour l’exécution de son travail, les conventions et accords collectifs.

Cette énumération n’est pas exhaustive : la disposition a vocation à s’appliquer de façon systématique dès lors que l’usage du français est exigé. Cela permettra d’appliquer les sanctions prévues par ces textes en cas de document rédigé en écriture inclusive : nullité de l’acte, sanction de l’agent public ou de l’enseignant.

Je remercie notre rapporteur Cédric Vial de la qualité du travail qu’il a accompli au sein de la commission afin d’enrichir le texte, par exemple en incluant dans le dispositif les mots grammaticaux constituant des néologismes comme les pronoms de type « iel ».

Je salue également l’intégration de la proposition de loi déposée par notre collègue Étienne Blanc, qui prévoit que tout acte juridique qui contreviendrait à l’interdiction d’usage de l’écriture inclusive soit nul de plein droit.

Mes chers collègues, cette proposition de loi n’est pas un combat d’arrière-garde. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe SER.)

M. Patrick Kanner. Un peu, tout de même !

Mme Laurence Rossignol. Non, vous représentez l’avant-garde !

Mme Pascale Gruny. Elle ne vise d’autre objectif que celui de protéger la langue française de tous ceux qui veulent l’abîmer. Elle n’a d’autre ambition que de réaffirmer le droit de chacun au français, en plaidant pour une lisibilité démocratique de l’écrit.

J’attends du Président de la République qu’il soutienne activement cette initiative pour réaffirmer son attachement à notre langue.

M. Patrick Kanner. Il l’a déjà fait !

Mme Pascale Gruny. Il a commencé à le faire ce matin, à Villers-Cotterêts, en appelant à « ne pas céder aux airs du temps », affirmant qu’il n’y a « pas besoin d’ajouter des points ou des tirets au milieu des mots pour rendre notre langue visible ». Je compte aussi sur vous, madame la ministre, pour mener ce combat à nos côtés.

« La langue française, d’ailleurs, est une eau pure que les écrivains maniérés n’ont jamais pu et ne pourront jamais troubler », écrivait Maupassant.

M. Mickaël Vallet. Tout se tient !

Mme Pascale Gruny. Inspirons-nous de ses mots pour combattre une idéologie qui met en péril la clarté et la distinction de notre langue.

Parce que le français est notre destinée commune et qu’il s’est montré essentiel pour souder la Nation et assurer sa pérennité, parce que nous sommes les dépositaires temporaires des mots et des voix qui ont sculpté la langue française par le passé, parce qu’il est de notre devoir de transmettre à nos enfants une langue compréhensible qui n’exclut pas les plus fragiles d’entre nous, je vous invite à vous prononcer avec conviction et détermination en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Cédric Vial, rapporteur de la commission de la culture, de léducation et de la communication. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, « La langue de la République est le français », dispose notre Constitution dès son article 2.

« La langue française garantit l’unité de la Nation, elle est une langue de liberté et d’universalisme », déclarait ce matin même le Président de la République lors de l’inauguration de la Cité internationale de la langue française, à Villers-Cotterêts.

« La langue française est une femme », déclarait Anatole France pour dire son amour de cette langue.

Pourtant, pour les partisans de l’écriture dite inclusive, la langue française serait sexiste ; selon eux, elle serait le reflet de plusieurs siècles de domination masculine, amalgamant ainsi le genre grammatical avec le sexe de la personne – cette « personne » dont le genre grammatical est féminin, mais qui peut indifféremment désigner quelqu’un de sexe masculin ou féminin.

En revanche, convenons-en, la langue française est en situation de fragilité : triomphe de l’anglais et du franglais, baisse du niveau des élèves, recul de l’apprentissage du français dans le monde.

Madame la ministre de la culture, l’écriture dite inclusive pose aujourd’hui une question supplémentaire : faudra-t-il bientôt considérer la littérature française des siècles passés comme dépassée, car reflet d’une époque intrinsèquement sexiste ?

Finalement, de quoi parle-t-on ? C’est une question intéressante qu’il convient de se poser, car il n’existe pas de définition claire et inscrite dans le marbre de l’écriture dite inclusive ; il n’existe pas d’Académie de l’écriture inclusive.

C’est la raison pour laquelle nous vous proposons non pas d’interdire l’écriture inclusive, mais de « protéger la langue française des dérives de l’écriture dite inclusive ». Il s’agit non pas d’interdire certaines pratiques rédactionnelles, tout à fait conventionnelles, bien qu’assimilées à cette écriture dite inclusive, mais de se garantir de certains abus et de protéger notre langue de certaines dérives.

Quelles sont ces pratiques ?

La féminisation des noms de métiers et fonctions ne pose évidemment aucune difficulté. Elle est acceptée aujourd’hui par tous, y compris, depuis 2019, par l’Académie française. Elle doit être promue.

L’usage de termes épicènes, identiques au féminin et au masculin – comme « les parlementaires » ou « les gens » –, ne pose pas non plus de difficulté.

La double flexion – mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs – ne pose pas davantage de difficulté, dès lors qu’il en est fait un usage approprié et non systématique, ayant pour finalité d’effacer tout emploi d’un masculin générique.

L’usage du point médian ou de tout autre signe de ponctuation, utilisé, par exemple, dans une forme plurielle dans laquelle le genre masculin devient générique ou pour se substituer à une double flexion, pose en revanche un problème et soulève des difficultés.

Les néologismes de formes neutres ou non binaires tels que « iel », « ul », « als », « toustes », « toux » ou « celleux », qui se développent de manière entropique, posent problème et soulèvent des difficultés.

Soyez-en sûrs, la créativité des partisans de l’écriture dite inclusive ne s’arrêtera pas là.

M. Daniel Salmon. C’est vrai !

M. Cédric Vial, rapporteur. Sont parfois également préconisées des modifications des règles grammaticales, comme l’accord de proximité. On parlera ainsi « d’hommes et de femmes radieuses », l’accord se faisant avec le terme le plus proche.

L’écriture dite inclusive est loin d’être marginale. Je ne partage pas le point de vue selon lequel la question serait anecdotique et ne mériterait pas que nous en débattions : l’écriture dite inclusive se répand rapidement, particulièrement dans la sphère publique, notamment sous l’influence du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCE), qui en fait la promotion.

Le HCE, organisme placé auprès de la Première ministre, a publié un guide pratique qui sert de référence. Il recommande l’usage du point médian et tend donc à en diffuser l’emploi, à l’encontre de l’esprit et de la lettre de la circulaire de 2017 du Premier ministre Édouard Philippe.

À l’université, l’écriture dite inclusive est couramment répandue. On s’y rallie de plus ou moins bon gré, afin d’éviter d’être classé « réactionnaire » ou « rétrograde », pour utiliser la sémantique qui se veut culpabilisatrice de mon collègue de la Nup·e·s, Yan Chantrel. (Lorateur prononce : « Nup point e point s. » – Sourires sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

Les correspondances privées ne sont pas les seules à être concernées : des statuts d’université ont été ainsi rédigés ; un sujet d’examen en écriture inclusive non binaire a été récemment proposé à des étudiants de l’université Lyon II.

L’écriture non genrée est déjà très employée outre-Atlantique, ses promoteurs considérant l’écriture inclusive binaire comme rétrograde !

C’est toute la question de l’universalité du langage qui est ici posée, de sa capacité à représenter un monde commun, plutôt que de vouloir rendre visibles toutes nos différences. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

À quelles difficultés sommes-nous confrontés ?

D’abord, l’écriture dite inclusive représente une menace pour l’intelligibilité et l’accessibilité de la langue.

Si nous parlons d’écriture dite inclusive, c’est que je réfute l’expression « écriture inclusive », laquelle ne possède, dans les faits, aucun des ingrédients de l’inclusion ; elle en vient même à produire l’inverse !

Alors que 11 % des jeunes participant à la Journée défense et citoyenneté (JDC) rencontrent des difficultés dans le domaine de la lecture et que beaucoup de linguistes soulignent l’écart grandissant entre le français oral et le français écrit, l’écriture dite inclusive ne fait qu’aggraver ce constat.

Elle est en fait profondément excluante pour les 2,5 millions de personnes considérées en situation d’illettrisme, pour les 6 % à 8 % de la population concernés par des troubles « dys », notamment la dyslexie, ou encore pour le million de personnes considérées comme aveugles ou malvoyantes. Pour toutes ces personnes, il n’y a pas de combat pour ou contre l’écriture dite inclusive, mais des difficultés supplémentaires et pratiques à résoudre. Pour eux, cette écriture est excluante.

Rappelons que l’accessibilité et l’intelligibilité de la loi sont des objectifs de valeur constitutionnelle. À cet égard, l’écriture dite inclusive va à l’encontre de toutes les démarches de simplification administrative. Elle est en contradiction complète avec la démarche dite du Falc, le français facile à lire et à comprendre, méthode qui vise à rendre les publications plus simples et plus accessibles en les rédigeant dans un langage compréhensible par tous.

Par ailleurs, cette variation de notre langue ne répond pas à une demande et ne résulte pas d’une évolution spontanée du langage oral. C’est une nouvelle grammaire et une nouvelle syntaxe imposées de façon brutale par les militants de cette cause. Ce n’est donc pas une forme de langage neutre d’un point de vue politique : c’est une écriture militante.

Lors de nos auditions, il nous a été rappelé qu’il s’agissait d’un combat pour la cause féministe ou pour la cause LGBT. Dans tout combat, il y a des combattants…

Mme Mélanie Vogel. Ou des combattantes !

M. Cédric Vial, rapporteur. … – c’est ainsi que s’imaginent ces militants – et des combattus – c’est ainsi que doivent être considérés tous les autres.

Il faut choisir son camp : celui des progressistes ou des conservateurs.

Mme Laurence Rossignol. C’est souvent le cas !

M. Cédric Vial, rapporteur. Beaucoup se rallient dès lors moins par conviction que pour ne pas être classés parmi les réactionnaires, madame Rossignol.

Cette remise en cause de la neutralité du langage n’est pas critiquable dans les correspondances privées, mais elle l’est dans les services publics, où les agents sont tenus à une obligation de neutralité religieuse et politique.

La langue, aidée de la liberté d’expression, est là pour permettre d’exprimer toutes les opinions, mais la langue elle-même n’est pas une opinion !

J’en viens maintenant aux deux propositions de loi. Le droit applicable est aujourd’hui constitué de deux circulaires : l’une, de 2017, ne concerne que les textes publiés au Journal officiel ; l’autre, rédigée en 2021, traite de l’enseignement.

Avec ces deux textes, le Gouvernement nous dit que le droit et l’enseignement sont des affaires trop sérieuses pour y laisser libre cours aux expérimentations linguistiques, soit, mais ce qui vaut pour les actes publiés au Journal officiel doit valoir pour tout acte juridique. Et ce qui est pertinent dans l’enseignement primaire et secondaire doit aussi l’être dans le supérieur.

Le texte de notre collègue Pascale Gruny présente le grand intérêt de s’inscrire dans un cadre juridique existant, celui de la loi Toubon, qui a défini un certain nombre de textes et de documents dont l’accessibilité nécessitait leur rédaction en français. Ce texte, après son adoption, a fait l’objet d’une décision du Conseil constitutionnel.

Pour définir ce qu’il convient de bannir de l’écriture dite inclusive, c’est la définition donnée en 2017 par la circulaire du Premier ministre qui est ici reprise.

La commission a introduit trois types de modifications.

Premièrement, elle souhaite limiter certaines innovations d’ordre grammatical : sont visés les pronoms, prépositions, déterminants ou conjonctions de coordination constitués de néologismes dits neutres, tels que « iel », « als », « toustes » ou « celleux ».

Deuxièmement, elle a étendu l’interdiction aux publications émanant de personnes publiques ou de personnes privées chargées d’une mission de service public. C’est une question de neutralité et d’accessibilité, comme je l’ai déjà souligné.

Troisièmement, la commission a prévu, à compter de la promulgation de la loi, la nullité de plein droit de tout acte juridique non conforme, reprenant ainsi la proposition de notre collègue Étienne Blanc.

Mes chers collègues, je vous propose d’adopter ce texte dans sa rédaction issue des travaux de la commission.

Continuons, ainsi, de débattre et d’exprimer nos différences par la langue plutôt que dans la langue. Continuons de protéger la langue française, qui est notre bien commun. Continuons, enfin, de faire progresser l’égalité femmes-hommes là où elle est vraiment menacée.

Je conclurai mon propos par la citation d’un ancien collègue, sénateur de la Seine et écrivain de talent : Victor Hugo, qui a siégé sur ces travées…

Mme Cécile Cukierman et M. Pierre Ouzoulias. (Montrant du doigt la médaille fixée au pupitre utilisé jadis par Victor Hugo, à lextrême gauche.) Ici !

M. Cédric Vial, rapporteur. À gauche, oui. Vous faites bien de le rappeler !

Selon Victor Hugo, qui fut un grand défenseur des libertés et un promoteur acharné d’une langue vivante, sachant évoluer dans son époque, « les langues meurent quand la logique de la langue s’altère, les analogies s’effacent, les étymologies cessent de transparaître sous les mots, une orthographe vicieuse attaque les racines irrévocables, de mauvais usages malmènent ce qui reste du bon vieux fonds de l’idiome ». (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mmes Annick Billon et Marie-Claude Lermytte applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Mme Rima Abdul-Malak, ministre de la culture. Madame la présidente, monsieur le président de la commission, cher Laurent Lafon, monsieur le rapporteur, cher Cédric Vial, madame le sénateur – puisque c’est votre souhait –, chère Pascale Gruny, nous voici réunis pour débattre de notre langue commune le jour de l’inauguration, par le Président de la République, de la Cité internationale de la langue française, premier lieu au monde dédié à la langue française, à Villers-Cotterêts, en Picardie, où François Ier a signé, en 1539, l’ordonnance qui a fait du français la langue des décisions de justice et des actes administratifs, afin de les rendre accessibles et intelligibles au plus grand nombre.

Le véritable enjeu était alors bien celui de l’égalité ; cette ordonnance marquait aussi la création de l’état civil.

Près de cinq siècles plus tard, nous voici rassemblés autour d’un sujet qui illustre une fois encore cette passion française autour de la langue. En tant que ministre de la culture, je ne peux que m’en réjouir : plus notre langue suscite des débats, des échanges, plus son importance est affirmée.

La langue française est à la fois la langue de l’unité, de la cohésion, celle qui fédère, qui rassemble, et la langue de la diversité, nourrie d’influences multiples, d’accents différents, d’une relation constante à nos langues régionales et aux autres langues du monde – une langue qui nous relie à 321 millions de francophones à travers le monde.

Légiférer sur notre langue, c’est toucher à notre bien commun le plus précieux. Les autres pays francophones regardent de près vos travaux ; c’est donc toujours un moment d’histoire, ce qui invite à la précaution et à la sagesse.

Que veut dire l’écriture dite inclusive ? Objet de polémiques depuis quelques années, elle recouvre différents procédés graphiques, syntaxiques, lexicaux et rédactionnels, visant initialement à assurer une égalité de représentation du genre féminin et masculin dans la langue.

Venons-en à la teneur de la proposition de loi qui nous occupe. La loi dite Toubon, que vous proposez ici de compléter et dont nous célébrerons l’an prochain le trentième anniversaire, est le socle légal qui permet de garantir l’emploi de la langue française dans les principales circonstances de la vie quotidienne, conformément à l’article 2 de la Constitution, selon lequel, vous l’avez tous rappelé, la langue de la République est le français.

Elle garantit un droit au français pour nos concitoyens, dans l’enseignement, au travail, dans l’accès aux savoirs et à la culture, dans leurs rapports avec les services publics ou dans leurs pratiques de consommation. C’est une loi fondamentale, qui crée des obligations concernant l’emploi de la langue, mais non son contenu ou sa forme. Elle n’a pas vocation à imposer un usage correct ni standardisé du français, comme l’a reconnu lui-même Jacques Toubon, que vous avez récemment auditionné.

Votre proposition de loi vise à interdire l’écriture inclusive dans tous les documents dont le droit exige qu’ils soient rédigés en français, ce qui concerne le point médian, mais aussi les néologismes, sur lesquels je reviendrai.

Nous connaissons tous les difficultés attachées à l’emploi du point médian : la fragmentation des mots et des accords qu’induit cet usage rend la lecture plus difficile. La complexification de la graphie et l’impossibilité de la transcrire à l’oral constituent un véritable obstacle à l’apprentissage de la langue. Cette graphie suscite des incompréhensions chez nombre de nos concitoyens et peut mettre en difficulté les publics les plus fragiles, ceux que l’on considère en situation d’insécurité linguistique, mais également les plus âgés et les personnes dyslexiques ou malvoyantes.

C’est pourquoi le Gouvernement, quelques mois seulement après le début du précédent quinquennat, a posé des règles précises : la circulaire du Premier ministre Édouard Philippe du 21 novembre 2017 prohibe le recours au point médian dans les actes administratifs, tout en encourageant la généralisation de la féminisation des métiers et des fonctions.

Cette circulaire a été complétée dans le champ de l’enseignement par celle du 5 mai 2021 relative aux règles de féminisation dans les actes administratifs du ministère de l’éducation nationale et des pratiques d’enseignement. Le Gouvernement a donc, depuis longtemps, une position ferme et équilibrée sur le sujet : clarté et intelligibilité de la langue dans l’intérêt de nos concitoyens.

Ces deux circulaires ont posé les limites nécessaires sur un sujet complexe. Elles ont permis de concilier les enjeux de féminisation, d’inclusion et d’intelligibilité des messages pour les administrations de l’État et dans les pratiques d’enseignement.

Votre proposition de loi se distingue des circulaires précédentes en étendant l’interdiction à l’ensemble des personnes publiques, y compris les collectivités territoriales. Nous sommes favorables à cette partie de la proposition de loi, sous réserve de sa compatibilité avec la libre administration des collectivités territoriales.

Dans sa rédaction issue des travaux de commission, le texte prévoit d’étendre l’interdiction de l’écriture inclusive à tout contrat privé sous peine de nullité de plein droit. Le Gouvernement est très réservé sur cette disposition, qui concerne aussi bien les cas où il existe une obligation d’emploi du français imposée par la loi ou le règlement – les contrats de travail, par exemple – que ceux où il n’est aucune obligation juridique de ce point de vue. Cela reviendrait, par exemple, à interdire l’usage d’une graphie particulière dans des documents régissant des relations entre deux particuliers, comme un contrat de bail. Cette mesure nous semble excessive.

Rappelons aussi que le Conseil constitutionnel, lorsqu’il a été saisi sur plusieurs articles de la loi de 1994, a opéré une distinction entre les personnes publiques ou chargées d’une mission de service public, auxquelles il est possible d’imposer l’usage d’une terminologie officielle, et les personnes privées, auxquelles une telle obligation ne peut être imposée en vertu de la liberté d’expression et de communication.

Le Conseil constitutionnel a ainsi jugé, dans sa décision du 29 juillet 1994, que l’article XI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen implique « le droit pour chacun de choisir les termes jugés par lui les mieux appropriés à l’expression de sa pensée ; que la langue française évolue, comme toute langue vivante, en intégrant dans le vocabulaire usuel des termes de diverses sources, qu’il s’agisse d’expressions issues de langues régionales, de vocables dits populaires, ou de mots étrangers ».

L’interdiction du recours à des graphies inclusives ou à des néologismes grammaticaux par les personnes privées se heurterait ainsi au principe de liberté de pensée et d’expression protégé par notre Constitution.

Venons-en au sujet des néologismes, que vous souhaitez aussi exclure. Il me semble que nous dépassons ici la question de l’intelligibilité du langage pour aborder celle de ses évolutions.

Comme l’a rappelé le Président de la République ce matin, la langue française est mouvante, car elle est infiniment vivante. C’est une langue d’innovation, de création, en dialogue avec les évolutions du monde et de son époque. Sa force, sa vitalité, ce sont précisément ses mutations.

Une langue vivante évolue, c’est dans son essence même, et ces innovations peuvent donner place à une féminisation du langage à laquelle je suis favorable.

Je lisais cet après-midi, sur l’un des murs des salles de la Cité internationale de la langue française, à Villers-Cotterêts, une citation de Victor Hugo : « La langue française n’est pas fixée, et ne se fixera point. Une langue ne se fixe pas. L’esprit humain est toujours en marche, ou, si l’on veut, en mouvement, et les langues avec lui. »

Je pense que l’on peut avoir confiance en l’inventivité de notre langue, étant précisé que des garde-fous nous protègent de la tentation des extravagances. La commission d’enrichissement de la langue française et l’Académie française travaillent ensemble pour approuver les termes nouveaux, veiller à leur cohérence et à leur harmonisation dans le temps long.

Notre langue, grâce à son inventivité, nous offre la possibilité d’inclure le genre féminin de mille manières.

En conclusion, oui à la préservation de la lisibilité et de la facilité de compréhension de notre langue, de son intelligibilité ; non au point médian, à toutes les complexités graphiques qui rendent la langue illisible.

Oui à la féminisation des noms de métiers, aux doubles flexions – sénateur, sénatrice ; auteur, autrice –, aux mots épicènes, qui permettent d’inclure tout le monde – hommes, femmes et ceux qui ne se sentent ni homme ni femme –, mais non à l’enfermement de la langue.

Mon rôle, en tant que ministre, votre rôle, en tant que parlementaires, n’est pas de contraindre l’évolution de la langue ni de nous ériger en police de la langue. Nous sommes garants de l’égalité devant la langue, et c’est là notre plus belle mission.

Pour toutes ces raisons, le Gouvernement s’en remettra à la sagesse de la Haute Assemblée sur cette proposition de loi. (M. Pierre Ouzoulias applaudit. – Marques dironie sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Martin Lévrier.

M. Martin Lévrier. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, « Moi, général de Gaulle, actuellement à Londres, j’invite les “officier·e·s” et les “soldat·e·s” “français·e·s” (M. Martin Lévrier oralise les points médians et les marques daccord Rires sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.) qui se trouvent en territoire britannique ou qui viendraient à s’y trouver, avec leurs armes ou sans leurs armes, j’invite les “ingénieur·e·s” et les “ouvrier·e·s” “spécialisé·e·s” des industries d’armement qui se trouvent en territoire britannique ou qui viendraient à s’y trouver, à se mettre en rapport avec moi. »

Nul ne peut imaginer que le Général de Gaulle eût pu rassembler et gagner la guerre avec un discours si peu intelligible.

Outre le fait que l’écriture inclusive soit avant tout un acte de militantisme qui, sur le fond comme sur la forme, peut se révéler préjudiciable à la cause – le féminisme, vous l’avez rappelé, monsieur le rapporteur – qu’il veut défendre, son utilisation, en particulier l’emploi du point médian, entraîne une complexification inutile de la langue. Elle constitue un frein important à son apprentissage et à sa maîtrise. Elle rend impossible l’oralisation des textes, empêche la lecture à voix haute – vous venez de le constater – et la prononciation et a des conséquences néfastes sur les processus d’apprentissage, alors même que tous les enseignants s’accordent à dire que la baisse du niveau en français s’accentue.

Par ailleurs, est-il nécessaire de rappeler, comme l’indique l’Académie française, que les règles de l’écriture dite inclusive excluent certains groupes, notamment les personnes souffrant de handicaps cognitifs, et qu’elles restreignent le débat sur des questions linguistiques ? En outre, n’étant universellement ni reconnues ni comprises, elles favorisent l’anglais comme langue dominante dans la francophonie.

Pour ces seules raisons, nous pourrions souhaiter que s’applique la proposition de loi déposée par Mme le sénateur Pascale Gruny visant à interdire l’usage de l’écriture inclusive.

Toutefois, deux circulaires encadrent déjà le sujet.

L’une, du 21 novembre 2017 du Premier ministre Édouard Philippe, relative aux règles de féminisation et de rédaction des textes publiés au Journal officiel de la République française, indique que : « Les textes qui désignent la personne titulaire de la fonction en cause doivent être accordés au genre de cette personne. Lorsqu’un arrêté est signé par une femme, l’auteure doit être désignée, dans l’intitulé du texte et dans l’article d’exécution, comme “la ministre”, “la secrétaire générale” ou “la directrice”. »

Il y est par ailleurs rappelé que l’intitulé des fonctions occupées par une femme doit être systématiquement féminisé et qu’il convient, dans les actes de recrutement, de « recourir à des formules telles que “le candidat ou la candidate” ».

Enfin, cette circulaire invite à proscrire l’écriture inclusive et l’emploi d’une graphie faisant apparaître une forme féminine en sus de la forme masculine.

L’autre, du 5 mai 2021 du ministre de l’éducation, Jean-Michel Blanquer, réaffirme que la conformité aux règles grammaticales et syntaxiques est de rigueur et qu’elle s’impose dans le cadre de l’enseignement, tout en confortant la féminisation des noms de métiers et de fonctions.

Si nous nous associons à la volonté de notre collègue, la sénatrice Gruny, …

Mme Laurence Rossignol. Le sénateur ! (Sourires.)

M. Martin Lévrier. Je vois que vous suivez, c’est agréable, merci ! (Nouveaux sourires.)

Mme Laurence Rossignol. Il est difficile de résister à la féminisation, monsieur Lévrier !

M. Martin Lévrier. Il nous semble plus pertinent d’envisager l’élargissement du périmètre de ces deux circulaires que d’adopter une nouvelle loi spécifique sur l’écriture inclusive, d’autant que l’application de ce texte aux personnes privées risque de se révéler inconstitutionnelle.

Pour toutes ces raisons, notre groupe, dans sa grande majorité, s’abstiendra sur cette proposition de loi. (Marques dironie sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Olivier Rietmann. Quel courage !

Mme la présidente. La parole est à M. Yan Chantrel. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Yan Chantrel. Madame la présidente, madame la ministre, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, chères collègues, chers collègues, alors que nos compatriotes subissent hausse du coût de la vie, crise du logement et difficultés d’accès aux soins, que la guerre sévit aux portes de l’Europe et que le conflit israélo-palestinien menace d’embraser le monde, la droite sénatoriale n’a pas trouvé mieux que de légiférer sur des marques de ponctuation ! (M. Francis Szpiner applaudit et ironise.)

Faute de pouvoir répondre aux préoccupations des Françaises et des Français, la droite sénatoriale nous inflige ses lubies rétrogrades et réactionnaires (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) avec cette neuvième proposition de loi sur le sujet depuis 2018.

Attardons-nous sur l’enjeu de ce débat. Pourquoi le langage non sexiste, ou langage égalitaire, a-t-il émergé et pourquoi est-il nécessaire ?

En 2023, la France se situe seulement au quarantième rang du classement des pays en matière d’égalité des sexes effectué par le Forum économique mondial. Pis, elle se classe au quatre-vingt-deuxième rang dans la catégorie spécifique concernant l’écart des revenus entre sexes.

Trois fois plus nombreuses que les hommes à être embauchées à temps partiel, les femmes ne perçoivent toujours que 75 % en moyenne du salaire de leurs homologues masculins.

Malgré les lois votées ces vingt dernières années, qu’il s’agisse de la loi Génisson relative à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, de la loi Copé-Zimmerman relative à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d’administration et de surveillance et à l’égalité professionnelle ou de la loi Rixain visant à accélérer l’égalité économique et professionnelle, les comités exécutifs des 120 plus grosses sociétés françaises ne comptent toujours que 26 % de femmes. Seules trois entreprises du CAC 40 sont dirigées par une femme.

De même, dans notre assemblée, nous ne comptons que 126 sénatrices pour 348 élus, soit 36 %.

M. Max Brisson. Quel est le rapport avec le texte ?

M. Yan Chantrel. Ce taux ne progresse plus, puisqu’il était de 35 % avant le renouvellement sénatorial de 2023.

Comment s’explique ce plafond de verre ? Si nos politiques publiques n’ont qu’une efficacité limitée, c’est parce qu’elles sont mal appliquées et pas suffisamment accompagnées de sanctions, mais c’est aussi parce que les représentations et les stéréotypes sexistes, qui sont autant d’obstacles à l’égalité entre les femmes et les hommes, perdurent dans notre société. Or ces représentations passent par notre langue et par l’usage que nous en faisons.

C’est pourquoi il est important d’adopter un langage non sexiste, un langage inclusif, c’est-à-dire un « ensemble d’attentions lexicales, syntaxiques et graphiques permettant d’assurer une égalité des représentations entre les femmes et les hommes », conformément à la définition du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes.

C’est cette aspiration à l’égalité que prévoit d’interdire le présent texte. Interdire, prohiber, bannir, éliminer, annuler : revoilà donc les apôtres de la cancel culture.

M. Max Brisson. Trop, c’est trop, tout de même !

M. Yan Chantrel. Au-delà des considérations techniques que contient ce texte, sur lesquelles nous reviendrons au cours du débat, il faut bien avoir en tête le fond de la pensée de M. Blanc et de Mme Gruny pour comprendre les intentions que traduisent leurs propositions de loi respectives, que le rapporteur a fusionnées en un seul texte.

Dans son exposé des motifs, M. Blanc écrit : « Notre pays est la proie de revendications diversitaires et victimaires toujours plus véhémentes. L’exigence d’une langue “féminisée” est l’une de ces revendications. Il est de notre devoir de nous y opposer. » C’est écrit noir sur blanc : la cible de ce texte, c’est la féminisation de la langue et de la société. Dans la langue, comme ailleurs, il faudrait pour M. Blanc que le masculin continue de l’emporter sur le féminin.

M. Étienne Blanc. Je confirme !

M. Yan Chantrel. Quant à Mme Gruny, elle n’est pas en reste (Ah ! sur les travées du groupe Les Républicains.), puisqu’elle refuse pour elle-même la féminisation des titres et des fonctions et continue de se désigner sous les vocables masculins : « sénateur », « conseiller départemental » et « vice-président ».

M. Max Brisson. Et alors ?

M. Yan Chantrel. Ce texte, s’il était adopté, conduirait à interdire non seulement le point médian et le pronom « iel », mais également toutes les ponctuations médianes, comme les parenthèses que l’on trouve sur les cartes d’identité, qui seraient rendues caduques,…

M. Cédric Vial, rapporteur. C’est faux !

M. Yan Chantrel. … ainsi que « les pratiques rédactionnelles […] visant à substituer à l’emploi du masculin […] une graphie faisant ressortir l’existence d’une forme féminine », ce qui inclut les doubles flexions, comme « les sénatrices et les sénateurs ».

Ce que rejette la droite sénatoriale, c’est non seulement l’usage de formes féminines, mais leur existence même. Cachez ce féminin que je ne saurais voir !

Chers collègues, l’usage précède la norme et non l’inverse. Vous aurez beau dresser toutes les barrières et mettre toutes les œillères qu’il vous plaira, la langue française appartient non pas aux législateurs et aux législatrices que nous sommes, mais aux locuteurs et aux locutrices francophones qui la font vivre !

M. Stéphane Piednoir. C’est moche !

M. Yan Chantrel. J’étais présent ce matin à l’inauguration de la Cité internationale de la langue française, à Villers-Cotterêts. Dans ce magnifique écrin, on célèbre la vitalité d’une langue française en perpétuelle évolution depuis des siècles, une langue parfaitement équipée pour le féminin, comme le prouve l’existence des mots « autrice », « mairesse » ou « commandante » depuis le Moyen Âge ; une langue qui n’a jamais eu peur des abréviations comme en attestent tous nos pluriels en « x » ; une langue qui s’enrichit depuis toujours de ses néologismes.

Je conclurai sur ces mots de Victor Hugo, dans la préface de Cromwell, que vous avez citée, madame la ministre : « Les langues ni le soleil ne s’arrêtent plus. Le jour où elles se fixent, c’est qu’elles meurent. »

Nous voterons contre cette proposition de loi rétrograde, car vouloir figer la langue française, c’est la faire mourir. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)

Mme la présidente. La parole est à M. Étienne Blanc. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Étienne Blanc. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, dans sa Lettre ouverte sur lécriture inclusive, publiée le 7 mai 2021, l’immortelle Hélène Carrère d’Encausse écrivait : « Une langue procède d’une combinaison séculaire de l’histoire et de la pratique, ce que Lévi-Strauss et Dumézil définissaient comme “un équilibre subtil né de l’usage”. En prônant une réforme immédiate et totalisante de la graphie, les promoteurs de l’écriture inclusive violentent les rythmes d’évolution du langage selon une injonction brutale, arbitraire et non concertée, qui méconnaît l’écologie du verbe. »

Je pourrais arrêter ici mon intervention puisque tout est dit !

Oui, l’écriture dite inclusive menace la langue française, celle que Maurice Druon comparait à une horlogerie suisse qui marque toujours l’heure exacte : « une horlogerie de la pensée » avait-il écrit.

L’écriture inclusive trouve ses racines dans une politique plus générale de reconnaissance de la primauté des identités. C’est une idéologie mortifère, imposée par les campus américains ou ceux d’Europe du Nord. Sous prétexte d’égalité des sexes, elle vise à détruire le français en s’inscrivant dans une culture woke, une culture qui vise plus largement à contester notre modèle de civilisation.

Un exemple : pour les tenants du wokisme, la fonction neutre du masculin participe à l’occultation des femmes. Notre langue française serait donc sexiste ; par conséquent, il faut la détruire.

Pourtant, sur cette question de la neutralité du masculin, Georges Dumézil et Claude Lévi-Strauss rappelaient dès 1984 qu’il n’existait dans la langue française « aucun rapport d’équivalence entre le genre grammatical et le genre naturel ».

Par effet de convention, l’usage du masculin générique correspond au neutre, simplement au neutre, sans qu’aucune volonté de domination d’un sexe sur un autre découle de ce choix.

L’Académie française rappelle utilement que l’usage du masculin neutre – et il en serait de même si le féminin avait été neutre – permet de souligner qu’il y a du commun entre les deux sexes et que les hommes et les femmes ne sont pas deux espèces à jamais séparées. Elle rappelle également : « La multiplication des marques orthographiques et syntaxiques qu’induit [l’écriture inclusive] aboutit à une langue désunie, disparate dans son expression, créant une confusion qui confine à l’illisibilité. »

Le Président de la République l’a d’ailleurs rappelé dans son discours, ce lundi 30 octobre à Villers-Cotterêts, sitôt contredit par Mme Rousseau, qui s’offusque de ce qui est pourtant une évidence.

L’ordonnance de Villers-Cotterêts du 25 août 1539 était courte : deux simples articles liaient la vie publique de la France avec l’usage scrupuleux du français.

L’article 110 prévoyait : « Et afin qu’il n’y ait cause de douter sur l’intelligence [des arrêts de justice], nous voulons et ordonnons qu’ils soient faits et écrits si clairement, qu’il n’y ait ni puisse avoir aucune ambiguïté ou incertitude ne lieu à demander interprétation. »

L’article suivant indiquait : « … nous voulons dorénavant que tous arrêts, ensemble toutes autres procédures, […], soient prononcés, enregistrés et délivrés aux parties, en langage maternel français et non autrement. »

Voilà un modèle de clarté qui devrait inspirer et plus encore contraindre les législateurs que nous sommes, si enclins à sombrer dans un charabia juridique et un bavardage devenus aussi incompréhensibles qu’inutiles.

C’est pour cette raison que j’ai déposé une proposition de loi très courte, constituée d’un article unique de trois lignes, qui visait à déclarer nul tout acte juridique comportant l’usage de l’écriture inclusive.

Monsieur le rapporteur, vous avez bien voulu reprendre ma proposition de sanction de nullité et je vous en remercie. Vous avez, par votre travail, complété utilement le texte de Mme Gruny, en précisant à l’extrême ce qu’est l’écriture inclusive, pour aboutir à un texte absolument remarquable.

Cette nullité apporte à la proposition de loi de Mme Gruny une redoutable efficacité.

Mme la présidente. Il faut conclure !

M. Étienne Blanc. Il sera loisible à tout citoyen de saisir le juge pour obtenir la nullité d’un acte civil, commercial ou administratif. Il n’est pas de sanction plus redoutable en droit que la nullité.

Ce faisant, nous parviendrons à chasser l’écriture inclusive de notre patrimoine commun qu’est la langue française, ce bien si précieux hérité de notre longue histoire. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Aymeric Durox.

M. Aymeric Durox. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous voilà réunis nuitamment pour l’examen d’une proposition de loi qui aurait fait sourire il y a encore dix ans, mais qui, du fait de l’accélération de l’histoire et de l’amplification des phénomènes de déconstruction de notre société, apparaît aujourd’hui nécessaire.

Cette discussion générale vient néanmoins à point nommé puisque, aujourd’hui même, le Président de la République en personne a déclaré dans un discours, à l’occasion de l’inauguration de la Cité internationale de la langue française, à Villers-Cotterêts – ville excellemment bien gérée par un maire du Rassemblement national –, qu’il ne fallait pas « céder aux airs du temps » et qu’il convenait de « garder aussi les fondements [de la langue française], les socles de sa grammaire, la force de sa syntaxe ».

Certes, l’on peut parfois douter de la sincérité des convictions de l’intéressé, mais il faut aussi se féliciter quand celles-ci vont dans le bon sens.

C’est d’ailleurs au nom de ce bon sens que l’Académie française, garante de notre langue, émettait en 2017, à l’unanimité, une solennelle mise en garde face à la diffusion virale de cette écriture prétendument inclusive. Ainsi écrivait-elle : « La multiplication des marques orthographiques et syntaxiques que cette écriture induit aboutit à une langue désunie, disparate dans son expression, créant une confusion qui confine à l’illisibilité. On voit mal quel est l’objectif poursuivi et comment il pourrait surmonter les obstacles pratiques d’écriture, de lecture – visuelle ou à voix haute – et de prononciation. Cela alourdirait la tâche des pédagogues. Cela compliquerait plus encore celle des lecteurs. » L’ancien professeur que je suis ne peut qu’approuver un tel constat.

Ne nous y trompons pas, les fondements de l’écriture inclusive ne relèvent pas, comme voudraient nous le faire croire ses partisans les plus habiles, d’une entreprise de modernisation, d’évolution, d’adaptation de la langue française aux temps actuels. Ils sont une démarche idéologique, une entreprise politique, concertée et méthodique, de déconstruction de la langue française.

Cette entreprise repose sur un confusionnisme linguistique, fondé sur la croyance naïve que le langage doit refléter ce qu’il désigne, sur une vision dévoyée de l’égalité entre les hommes et les femmes, sur un communautarisme rampant ou clairement proclamé qui ramène chacun à sa communauté d’appartenance au lieu de viser le sentiment d’appartenance à une humanité commune. En ce sens, l’écriture prétendument inclusive est un défi aux universaux de la République française.

Elle est aussi un défi au rayonnement de notre langue, et par là de notre pays, dont nous ne sommes que les héritiers et les légataires et que nous avons pour mission sacrée de protéger et de transmettre aux générations futures et aux 300 millions de francophones de par le monde.

À l’heure de la mondialisation, où l’uniformisation semble être l’horizon délétère, quel serait l’avenir d’une langue qui s’empêcherait elle-même par ce redoublement de complexité, face à un « globish » si puissant et simple à utiliser, lequel gagne déjà notre jeunesse ?

C’est la raison pour laquelle le Rassemblement national a déposé une proposition de loi similaire à l’Assemblée nationale il y a quelques semaines. En commission, les sénateurs du groupe Les Républicains ont voté pour cette proposition de loi, mais aucun d’entre eux n’a eu le courage d’être présent en séance ni même de participer à la discussion générale. Résultat : notre proposition de loi a été rejetée par le groupe Renaissance, allié à la Nupes.

Nous, nous ne faillirons pas et nous apporterons notre soutien à cette proposition de loi, au nom du bien commun et de l’intérêt supérieur de notre pays. (MM. Joshua Hochart et Christopher Szczurek applaudissent.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Claude Lermytte.

Mme Marie-Claude Lermytte. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la France excelle toujours dans ce genre de polémique inutile, mais essentielle, car lancée par une minorité de militants décidés à enflammer le débat public et à semer la division quand notre belle langue devrait nous rassembler.

Si l’écriture dite inclusive semble partir d’un bon sentiment, elle est en réalité contre-productive. Elle n’est évidemment pas à la hauteur des enjeux liés à la nécessaire égalité entre les femmes et les hommes, laquelle ne se limite pas à un « e » final séparé par un point.

De plus, cette écriture s’accompagne d’un saccage de la grammaire française, construite au fil du temps et patinée par les usages. Elle constitue pour beaucoup un obstacle à la lecture et à la compréhension de l’écrit.

Le texte que nous étudions aujourd’hui vise à préserver la lisibilité, la compréhension et la richesse de notre langue.

Comme cela a été rappelé, nombre de jeunes ne savent ni lire ni écrire à leur entrée en classe de sixième. Interrogez aussi quelques enseignants à l’université et ils vous diront de quelle situation dramatique ils héritent.

Nous sommes conscients que notre langue est malmenée depuis des décennies par des méthodes d’apprentissage sur lesquelles le ministre de l’éducation nationale est revenu, non sans un certain courage. Il faudra toutefois quelques générations pour que nos enfants maîtrisent de nouveau leur langue maternelle.

Si le partage d’une langue est un facteur essentiel d’union, il ne doit pas être un facteur d’exclusion. N’en rajoutons pas !

Avant d’introduire dans notre langue, au nom d’une idéologie, les artifices du langage inclusif, donnons la priorité à l’apprentissage des bases de l’orthographe et de la grammaire et transmettons modestement le goût tout simple de la lecture.

Qu’une élite souhaite partager ce langage, fort bien. Il ne s’agit pas d’interdire son usage : nous ne sommes pas des censeurs. En revanche, précisons, comme le prévoit ce texte, que les représentants du secteur public ne sont pas autorisés à utiliser l’écriture inclusive.

J’en profite pour vous demander, madame la ministre, le bilan de la circulaire du 21 novembre 2017 du Premier ministre Édouard Philippe relative aux règles de féminisation et de rédaction des textes publiés au Journal officiel de la République française, laquelle déconseillait l’usage de l’écriture inclusive, et de celle de Jean-Michel Blanquer du 5 mai 2021.

Aujourd’hui, le Président de la République était à Villers-Cotterêts, dans mes chers Hauts-de-France, à l’occasion de l’inauguration de la Cité internationale de la langue française. Il a déclaré, à propos de la langue française, qu’il fallait « garder la force de sa syntaxe » et « ne pas céder aux airs du temps ». Si je ne peux que souscrire à ses propos, je m’interroge sur l’efficacité de ces deux circulaires, puisque six ans plus tard, le développement de l’écriture inclusive inquiète le Président de la République.

Madame la ministre, je sais que l’on nous apprenait que le masculin l’emporte sur le féminin, mais permettez-moi, en conclusion, de reprendre à mon compte la formule d’un sénateur honoraire, qui se reconnaîtra, prononcée lors d’un débat sur le thème de l’écriture inclusive organisé sur l’initiative du groupe Les Indépendants en 2021 : « Je n’ai pas oublié […] que les valeurs qui nous animent sont les principes de la République, de la liberté, de l’égalité et de la fraternité, quatre féminins dont [personne] ne revendique la masculinisation ! »

Au nom du groupe Les Indépendants – République et Territoires, j’accueille donc favorablement ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Annick Billon. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Annick Billon. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, en 2024, la loi Toubon aura trente ans. Ce texte, et avant lui l’ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539, mise à l’honneur aujourd’hui, garantit à nos concitoyens un « droit au français ». Hasard du calendrier, le président Emmanuel Macron inaugurait ce jour la Cité internationale de la langue française.

Nous examinons la proposition de loi de notre collègue Pascale Gruny visant à interdire l’usage de l’écriture inclusive. Ce sujet fait débat et est source de divergences, vous l’aurez compris. Ce débat est non pas linguistique, mais idéologique et sociétal.

Les défenseurs de l’écriture inclusive affirment que la langue et la pensée sont liées. En modifiant la langue, en la rendant plus inclusive, on favoriserait l’égalité entre les femmes et les hommes. Une société qui inclurait les femmes dans son langage les inclurait dans son fonctionnement. Permettez-moi d’en douter !

Est-ce à dire que les pays qui ont recours au pronom neutre sont plus égalitaires et inclusifs à l’égard des femmes que les pays francophones ? Les femmes ne sont pas mieux considérées chez nos amis anglophones, et ce malgré une langue on ne peut plus inclusive, puisque non genrée. Le chinois et le turc sont également des langues qui n’appliquent pas l’accord masculin-féminin. Pour autant, la Chine et la Turquie ne sont ni connues ni reconnues pour être des modèles d’égalité entre les femmes et les hommes.

Dans la langue française, le recours au masculin n’a pas vocation à occulter le féminin. Je me dois de rappeler qu’en français le masculin est le genre non marqué qui peut jouer le rôle d’un neutre. Comme dans bien d’autres langues, le masculin a valeur générique et peut être utilisé quand le sexe de la personne n’est pas à prendre plus en considération que ses autres particularités individuelles. Au contraire, ajouter un suffixe féminin à la fin du nom masculin, c’est ne présenter les femmes qu’à moitié, comme accessoires.

La condition des femmes n’est pas une histoire d’orthographe. Nous ne devons pas la réduire à cela. La condition des femmes évoluera grâce non pas à un point médian, mais à des programmes de lutte contre les violences conjugales, à des cours d’éducation à la vie affective et sexuelle adaptés, à une prise en charge qualitative de leur santé, à la recherche de l’égalité salariale et à la protection de leurs droits fondamentaux.

C’est tout l’intérêt du travail que j’ai mené pendant mes six années en tant que présidente de la délégation sénatoriale aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. J’ai la conviction que l’écriture inclusive n’aurait pas fait avancer les combats que la délégation a menés, qu’il s’agisse de lutter contre les violences sexuelles et sexistes, d’en finir avec les zones blanches de l’égalité, de défendre la place des femmes dans l’entreprise et dans la fonction publique, d’améliorer la santé des femmes au travail ou de dénoncer les dangers de l’industrie pornographique.

Nos travaux ont permis de donner la parole aux femmes, de plonger au cœur des discriminations et d’aller chercher les maux à la source afin de mieux les soigner.

Nos travaux ont abouti à des mesures concrètes. Je pense, par exemple, à la récente adoption de la proposition de loi visant à renforcer l’accès des femmes aux responsabilités dans la fonction publique, que j’ai présentée avec Martine Filleul et Dominique Vérien, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes.

Enfin, je tiens à alerter sur les conséquences de l’utilisation de l’écriture inclusive. Selon une étude du ministère de l’éducation nationale publiée au mois de juin dernier, un jeune français sur neuf a des difficultés de lecture et près de la moitié d’entre eux sont en situation d’illettrisme.

Souhaitons-nous vraiment aggraver ces chiffres ? L’écriture dite inclusive est en réalité une langue d’exclusion pour plusieurs millions de personnes en France – environ 10 % de la population sont concernés. L’écriture inclusive est compliquée à appréhender et à manier, surtout pour nos concitoyens présentant des difficultés ou des handicaps tels que la dyslexie.

D’autant que l’écriture inclusive n’est pas la seule forme d’écriture alternative. Si nous normalisons le recours à l’écriture inclusive, nous ouvrons la porte à l’écriture non binaire et aux autres formes qui pourraient émerger. Il ne serait alors plus question de suivre l’évolution de la langue, mais, au contraire, de la réécrire complètement.

Mes chers collègues, le français est un trésor national que nous devons préserver. C’est notre patrimoine.

Selon le linguiste et cofondateur du dictionnaire Le Petit Robert, Alain Rey, l’écriture inclusive est inutile, parce qu’elle ne peut se représenter à l’oral. Un texte en écriture inclusive qui ne peut se parler, quelle aberration !

En conclusion, je tiens à saluer le travail du rapporteur Cédric Vial, qui a permis de préciser le texte par l’adoption de deux amendements en commission.

Le groupe Union Centriste entend donc mettre non pas un point médian, mais un point final à ce débat en votant cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP et Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Mathilde Ollivier. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mme Karine Daniel applaudit également.)

Mme Mathilde Ollivier. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, ce soir, nous examinons une proposition de loi visant à interdire l’usage de l’écriture inclusive, un texte qui n’est pas sans rappeler la proposition de loi du Rassemblement national débattue dans le cadre de sa niche parlementaire à l’Assemblée nationale, le 12 octobre dernier.

On m’avait dit qu’au Sénat on respectait et on privilégiait le travail de fond. Or la première proposition de loi sur laquelle je dois me pencher est un texte démagogique…

M. Max Brisson. Vous vous y connaissez en démagogie !

Mme Mathilde Ollivier. … ayant pour objet d’interdire l’usage de l’écriture inclusive.

À l’heure où nous sommes frappés par les urgences et les crises d’ampleur internationale, nous sommes en droit de nous interroger sur votre sens des priorités. Selon toute vraisemblance, vous êtes davantage préoccupés de réaliser au Sénat ce que l’extrême droite fait à l’Assemblée nationale. (Exclamations indignées sur les travées du groupe Les Républicains.)

Loin des fantasmes et des polémiques,…

M. Max Brisson. Éculé !

Mme Mathilde Ollivier. … intéressons-nous réellement à cette écriture qui déchaîne les passions de la droite et de l’extrême droite.

M. Max Brisson. Cliché !

Mme Mathilde Ollivier. L’écriture inclusive est un outil de féminisation et d’inclusivité de la langue. La question du point médian monopolise souvent les débats.

Pourtant, il est important de rappeler ici qu’il n’est qu’une composante de l’écriture inclusive. Celle-ci est riche de ses pratiques multiples (Mme Françoise Gatel samuse.) : l’utilisation du genre dans les noms de métiers, celle de termes épicènes ou encore de la double flexion.

Au cours des derniers siècles, la règle du masculin qui l’emporte sur le féminin s’est progressivement imposée dans l’écriture de notre langue. Voilà trois siècles, Nicolas Beauzée, ancien professeur et académicien, justifiait ainsi cette domination : « Le genre masculin est réputé plus noble que le féminin à cause de la supériorité du mâle sur la femelle. » (Marques dironie sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

J’y insiste : « À cause de la supériorité du mâle sur la femelle » ! Voilà le type de discours qui a contribué, il y a quelques siècles, à imposer cette règle de grammaire.

Ainsi, j’ai décidé de faire de ce discours une ode à l’égalité. (Oh ! sur les travées du groupe Les Républicains.) Oui, parler d’écriture inclusive, c’est en réalité évoquer ce chemin vers l’égalité femmes-hommes.

Lorsque des linguistes, des féministes, le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, la Belgique ou encore le Canada préconisent l’utilisation de l’écriture inclusive en français, que faites-vous ? À rebours de l’histoire, vous souhaitez l’interdire.

L’écriture inclusive n’est pas une obligation. Toutefois, lorsque les femmes se révèlent moins enclines à répondre à une annonce de recrutement qui utilise le masculin générique (Mme Pauline Martin le conteste.), alors se pose la question et de la lutte contre les discriminations et de l’inclusivité dans notre langue.

Nous, écologistes, progressistes, féministes, sommes favorables à l’usage de l’écriture inclusive, non pas par dogmatisme, mais parce que cette pratique est un levier indispensable pour la visibilité des femmes et des minorités de genre dans notre langue.

Entendez bien là, mes chers collègues : ni menace ni révolution. L’écriture inclusive invite simplement à prendre le chemin de l’inclusivité. Elle vient bousculer la domination masculine présente dans notre écriture depuis des siècles. Il est temps de ne plus apprendre aux petites filles et aux petits garçons « que le masculin l’emporte sur le féminin ». Il est temps que, sur les premiers actes administratifs, les bébés filles ne soient plus « né(e)s ».

La langue transcrit le réel. Elle n’est pas immuable, elle est constamment en mouvement, elle évolue avec son temps et reflète les progrès de notre société. Elle transmet une culture, une histoire. L’histoire française de ces derniers siècles est marquée par le patriarcat. L’écriture inclusive fait partie de la solution pour le combattre.

Vous vous battez contre l’utilisation d’un point ; nous nous battons pour avancer vers une société plus égalitaire et plus inclusive. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER.)

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Ouzoulias.

M. Pierre Ouzoulias. Madame la présidente, madame la ministre, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, mes chers collègues, en préambule, je dois évoquer le paradoxe qui consiste à débattre de formes typographiques et grammaticales qui ne s’entendent pas et qui ne seront pas transcrites dans les comptes rendus de notre séance. (Sourires.)

Personnellement, je ne sais ni lire ni écrire l’écriture dite inclusive et, collectivement, les collègues du groupe CRCE-K estiment qu’il n’est point besoin d’ajouter de la complexité à une langue écrite qui est de moins en moins maîtrisée par les élèves. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – M. Martin Lévrier applaudit également.)

Toutefois, le jour de l’inauguration de la Cité internationale de la langue française, à Villers-Cotterêts, et bientôt trente ans après le vote de la loi relative à l’emploi de la langue française, il eût été de bonne politique que nous profitassions (Sourires.) de ces événements pour nous interroger sur son application et sur la lente régression de l’usage du français. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

Reconnaissons-le, mes chers collègues, notre langue est de plus en plus corrompue par des anglicismes et des barbarismes.

M. Max Brisson. C’est vrai !

M. Pierre Ouzoulias. Jusque dans notre hémicycle et au sommet de l’État sévit une forme de volapük qui compromet l’intelligibilité du discours public.

Le dessein politique de l’ordonnance de Villers-Cotterêts était de laïciser la langue française en proscrivant le latin. Historiens et juristes débattent toujours pour déterminer si le « langage maternel français » de l’ordonnance désigne le français ou les langues écrites en France. Il est fort probable que l’usage imposé du français s’inscrive plutôt dans la volonté révolutionnaire de rompre avec l’Ancien Régime.

Je note ainsi, cum grano salis, que la présente proposition de loi n’est pas sans rappeler le décret du 2 thermidor an II (Sourires.), pris par Robespierre huit jours avant son exécution, qui disposait « qu’il ne pourra être enregistré aucun acte, même sous seing privé, s’il n’est écrit en langue française ».

La Constitution de la Ve République est plus sage quand elle déclare, depuis la réforme constitutionnelle de 1992, que « la langue de la République est le français ». Cela ne veut pas dire que le français est la langue de toute la France et il ne faudrait pas qu’une entreprise de normalisation poussée du français puisse ébranler le statut toujours fragile des langues régionales.

M. Max Brisson. Très bien !

M. Pierre Ouzoulias. Par sa décision du 29 juillet 1994, le Conseil constitutionnel a clairement établi que l’État et ses administrations publiques pouvaient se prescrire des normes typographiques et lexicographiques. En revanche, il a censuré la loi Toubon en considérant que le législateur ne pouvait imposer « à des personnes privées […] l’obligation d’user […] de certains mots ou expressions définis par voie réglementaire ». En conséquence, je doute fort que l’article 2 de la présente proposition de loi respecte cette jurisprudence constitutionnelle.

De façon plus générale, appartient-il au seul législateur français d’édicter des normes pour une langue utilisée par 300 millions de personnes, dont une majorité d’Africains ? La francophonie mérite mieux que cette petite querelle française sur une extravagance typographique, tout à fait évanescente, et son prétendu radicalisme.

Refusant de trancher cette question inepte, nous ne participerons pas au vote. En revanche, madame la ministre, nous souhaitons vivement la tenue d’un grand débat sur l’application de la loi Toubon et sur la place du français dans le monde. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et RDPI, ainsi que sur des travées des groupes SER et RDSE. – Mme Françoise Gatel et M. Marc Laménie applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Maryse Carrère. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. Michel Canévet applaudit également.)

Mme Maryse Carrère. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la langue française pourrait offrir un terrain d’entente aux hommes et aux femmes politiques. Ce fut le cas lors du vote unanime de la loi dite Bas-Lauriol, en 1975. Ce le fut bien moins lors du vote confus et querelleur de la loi Toubon, en 1994, qui provoquait déjà la polémique.

Il est nécessaire de rappeler que l’examen de ce texte s’inscrit d’abord dans un débat sociétal qui, au-delà de l’inclusivité de notre langue, a plus globalement trait au combat pour l’égalité entre les femmes et les hommes, ainsi qu’à la reconnaissance des identités de genre.

Il est alors légitime de se demander si notre langue doit être le reflet de nos évolutions sociales. Par définition, le français est une langue vivante. À quoi l’écriture inclusive répond-elle ? À une demande de la population ? À une évolution spontanée de notre langage oral ? N’ayons garde de faire de la langue française un instrument de propagande politique et militante, un outil clivant au service d’une idéologie.

M. Bruno Retailleau. Très bien !

Mme Maryse Carrère. Si l’écriture inclusive peut revêtir plusieurs formes, il faut objectivement reconnaître qu’elle devient, dans la plus sophistiquée d’entre elles, source de multiples et nouvelles inégalités.

Nous devons opposer à la nécessaire féminisation de notre langue au travers de la double flexion, du recours à des termes dits épicènes et de l’accord des métiers, titres, grades ou fonctions avec le genre de la personne concernée, la menace que l’écriture inclusive représente pour l’intelligibilité et l’accessibilité de notre langue par l’usage du point médian ou de néologismes à la sémantique perfectible et source supplémentaire d’exclusion scolaire et de stigmatisation.

La loi n’a pas pour mission de régir la langue, ni son usage, ni sa qualité, ni son contenu. Elle fixe les règles nécessaires à son emploi collectif. Jacques Toubon l’a rappelé : il n’y a pas lieu de légiférer sur une variante du français.

Le français est la langue de la République. Si la République a l’obligation d’écrire un français intelligible, l’article XI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen interdit au législateur d’imposer l’usage obligatoire d’une terminologie officielle aux personnes privées.

Nous nous interrogeons sur le véhicule législatif employé. En la matière, le Gouvernement doit faire face à ses responsabilités, s’assurer de la bonne application du droit en vigueur et apporter les modifications nécessaires. Je pense ici aux dérives extrêmes de l’écriture inclusive dans les laboratoires que sont nos universités – ces dérives doivent être encadrées par de nouvelles circulaires.

Le débat sur l’inclusivité de la langue française doit contribuer à une prise de conscience d’une large partie de l’opinion, ce qui est, après tout, le meilleur service que l’État puisse lui rendre.

Si nous voulons conserver au français sa vocation universelle, celui-ci doit exprimer toutes les réalités, toutes les notions nouvelles. L’usage gouverne la langue. La langue évolue, s’enrichit de termes nouveaux empruntés aux langues étrangères, aux langues régionales, à l’argot ou à l’invention linguistique. À nous d’imposer à la sphère publique les arbitrages jugés nécessaires, justes et proportionnés.

Le groupe RDSE estime qu’il est possible de défendre la langue française en tant que langue vivante, qui évolue, sans pour autant être qualifié de conservateur. Nous ne souhaitons pas entrer dans un débat où prises de position partisanes, critiques systématiques et absence de toute forme de nuance font foi.

Certains membres de notre groupe sont fermement opposés aux excès de l’écriture inclusive ; pour d’autres, la forme que ce combat revêt au travers du texte semble disproportionnée. Aussi nos suffrages se répartiront-ils entre abstention et vote pour. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – Mme Françoise Gatel applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Else Joseph. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Else Joseph. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, voilà un texte important, qui va bien au-delà de simples sujets économiques, sociaux ou budgétaires.

La manière dont nous parlons, la manière dont nous écrivons est bien plus qu’un code normatif : c’est un code humain, civilisationnel, qui en dit long sur ce que nous sommes.

Attenter au vocabulaire ou à sa syntaxe, c’est déconstruire notre langue et, au-delà, les relations humaines. Une langue n’est pas un caprice arbitraire, c’est un pacte qui permet aux hommes et aux femmes de vivre ensemble, un pacte qui suppose des règles objectives qui doivent être respectées.

Depuis quelques années, nous assistons à la prolifération de ces usages qui entendent adapter notre graphie. Sous prétexte de féminisation, ils visent à remplacer l’emploi du masculin par une graphie faisant ressortir l’existence d’une forme féminine. Au nom de cette prétendue modernité apparaissent des expressions lourdes et sans beauté.

L’écriture inclusive présuppose une lecture idéologique de l’évolution de la langue. Au cours de l’évolution qui a conduit à la langue française telle que nous la connaissons aujourd’hui, le genre neutre a été absorbé par le genre masculin : ce n’est pas une histoire de misogynie. La circulaire du 21 novembre 2017 reconnaissait d’ailleurs que « le masculin est une forme neutre ».

Il existe certainement d’autres manières d’affirmer l’égalité entre les hommes et les femmes que de détricoter notre belle langue. On ne résout pas une problématique professionnelle par un faux débat.

Non, l’écriture inclusive n’est pas une évolution normale de la langue française. Ce n’est pas une démarche similaire au passage du latin aux langues vernaculaires ou de l’ancien français au français actuel avec l’apparition d’une forme écrite. Ce n’est pas même une évolution tout court ; c’est une démarche militante alimentée par l’idéologie et imposée brutalement.

L’écriture inclusive est non pas une demande de ceux qui écrivent, mais un choix imposé par des cénacles restreints au nom d’une conception dévoyée de la modernité. C’est un mauvais signe envoyé à tous ceux qui apprennent le français ou qui veulent devenir Français. Pour les jeunes qui ont parfois des difficultés à apprendre et à maîtriser notre langue, ce sera non pas une écriture inclusive, mais une écriture exclusive, qui ne leur donnera certainement pas le goût de la lecture. Cela risque même de renforcer l’anglais.

Contre ce choix arbitraire et idéologique, nous ne pouvons que déplorer une certaine impuissance publique.

Les circulaires de 2017 et de 2021 n’ont pas eu les effets escomptés, peut-être parce qu’elles n’étaient pas les textes idoines au regard de notre hiérarchie des normes. À un certain moment, c’est au législateur qu’il appartient de prendre ses responsabilités.

Voilà quelques mois, à l’occasion d’un contentieux concernant une collectivité locale, le juge administratif s’était retranché derrière le silence de la loi du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française, qui dispose que la langue française est « la langue de l’enseignement, du travail, des échanges et des services publics ». Il fallait donc remédier à cette anomalie en rappelant que les textes qui imposent la langue française excluent l’usage de cette graphie dénaturante.

Pour cette raison, la présente proposition de loi dispose que les documents qui doivent être rédigés en français, en application de la loi de 1994 ou d’une autre disposition législative ou réglementaire, ne sont pas réputés répondre à cette exigence en cas de recours à l’écriture inclusive. Cela méritait d’être inscrit dans la loi, qui s’impose au juge et à l’administration. Je m’en réjouis d’autant plus que ce texte est le fruit d’une démarche sénatoriale lancée par mes collègues Pascale Gruny et Étienne Blanc, que je salue.

La décision du Conseil constitutionnel du 21 mai 2021 sur la loi relative à la protection patrimoniale des langues régionales et à leur promotion avait censuré, au nom de la Constitution, l’usage de signes diacritiques dans la transcription des actes de l’état civil. Pour le Conseil constitutionnel, cela conduirait à reconnaître à des particuliers « l’usage d’une langue autre que le français » dans leurs relations avec les administrations et les services publics.

Le Conseil constitutionnel s’était donc prononcé sur le français, tel qu’il est sérieusement pratiqué. Il est donc possible de défendre cet usage normal du français et d’exclure ces pratiques qui n’ont rien à voir avec notre langue. Le législateur ne doit pas se laver les mains, au risque de voir la priva lex – pardonnez-moi ce latinisme – l’emporter.

En raison de l’importance de l’enjeu, nous voterons le texte dans sa rédaction issue des travaux de commission. En cette journée d’inauguration de la Cité internationale de la langue française, à Villers-Cotterêts, ne nous trompons pas de débat. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Marie-Claude Lermytte et M. Michel Laugier applaudissent également.)

Mme la présidente. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

proposition de loi visant à protéger la langue française des dérives de l’écriture dite inclusive

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi visant à protéger la langue française des dérives de l'écriture dite inclusive
Article 2

Article 1er

I. – Après l’article 19 de la loi n° 94-665 du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française, il est inséré un article 19-1 ainsi rédigé :

« Art. 19-1. – I. – Les documents qui, en application de la présente loi ou d’une autre disposition législative ou réglementaire, doivent être rédigés en français ne remplissent pas cette condition lorsqu’il y est fait usage de l’écriture dite inclusive, entendue comme désignant les pratiques rédactionnelles et typographiques visant à introduire des mots grammaticaux constituant des néologismes ou à substituer à l’emploi du masculin, lorsqu’il est utilisé dans un sens générique, une graphie faisant ressortir l’existence d’une forme féminine.

« II (nouveau). – L’écriture dite inclusive, au sens du I du présent article, est interdite dans les publications, revues et communications mentionnées à l’article 7 de la présente loi.

« III (nouveau). – Tout acte juridique qui comporte l’usage de l’écriture dite inclusive, au sens du I du présent article, est nul de plein droit. »

II. – La seconde phrase du premier alinéa du II de l’article L. 121-3 du code de l’éducation est remplacée par deux phrases ainsi rédigées : « L’usage de l’écriture dite inclusive, au sens de l’article 19-1 de la loi n° 94-665 du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française, dans les documents qui s’y rapportent, est interdit. Des exceptions à l’usage du français peuvent être justifiées : ».

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Pierre Monier, sur l’article.

Mme Marie-Pierre Monier. Je voudrais partager ma perplexité d’avoir à examiner cette proposition de loi comme premier texte relatif à la culture, en cette rentrée où l’édifice de nos valeurs et de notre école républicaine semble plus que jamais vacillant.

Pointer ce décalage ne remet pas en cause l’importance de la langue ; car oui, la façon dont nous nous exprimons contribue à façonner notre représentation du monde.

Ludwig Wittgenstein le résumait ainsi : « Les limites de mon langage signifient les limites de mon propre monde. »

Faisons tomber ces limites. Parcourons ensemble le chemin d’une langue plus égalitaire pour ouvrir à toutes les femmes le champ des possibles.

Quelle meilleure illustration que nos débats récents sur la forme à donner à la version féminine du mot « questeur » lors de la nomination de la première femme à ce poste ? Voilà quelques décennies, la question ne se serait pas même posée. Or les auteurs du présent texte semblent vouloir nous renvoyer tout droit vers ce passé.

Parler d’écriture inclusive nécessite de rappeler, loin de toute caricature, que les outils disponibles pour s’exprimer de façon plus égalitaire sont variés – féminisation des termes, mots épicènes, utilisation des formes féminines et masculines pour évoquer un public mixte – et que la préoccupation d’être compris par le plus grand nombre est très largement partagée.

C’est d’ailleurs pour cela que les préconisations défendues par des instances comme le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes évoluent, dans un souci constant de concilier clarté de l’expression et meilleure visibilité des femmes.

Cette démarche est à l’image de la langue française dans son ensemble, toujours en mouvement. Ne cherchons pas à l’enfermer dans des carcans coercitifs, car là est le vrai péril mortel. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées du groupe GEST.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Colombe Brossel, sur l’article.

Mme Colombe Brossel. Ainsi donc, il y a urgence à légiférer pour interdire l’utilisation de l’écriture inclusive.

Nous étions saisis de pas moins de deux propositions de loi de la droite sénatoriale – elles ont fusionné – sur ce sujet. Et, voilà quelques jours, le Rassemblement national proposait le même type d’interdiction dans le cadre de sa niche parlementaire à l’Assemblée nationale.

Voilà enfin le sujet majeur, l’outil qui résoudra toutes les difficultés de la vie quotidienne de nos concitoyennes et de nos concitoyens.

Il serait urgent, primordial, impératif, absolument nécessaire d’interdire toutes les dimensions de l’écriture inclusive, comme le proposent les auteurs de la proposition de loi. Il ne serait alors même plus possible de dire, au début d’une intervention : « Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs ». (Protestations sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – M. Joshua Hochart proteste également.)

M. Max Brisson. N’importe quoi !

Mme Colombe Brossel. Il serait nécessaire, absolument impératif et primordial d’éviter que les offres d’emploi ne soient exclusivement rédigées en intégrant la référence aux deux genres, alors qu’il est statistiquement prouvé que les candidatures de femmes sont plus nombreuses quand tel est le cas.

Nous aurions pu débattre du point médian, outil le plus décrié de l’écriture inclusive. Est-il réellement nécessaire de légiférer sur ce sujet ? Ne peut-on considérer qu’une langue est un objet vivant, qu’elle évolue par la force de ceux qui la parlent et qui la font vivre et qu’elle est, comme le reste du monde, le réceptacle de combats, notamment contre l’invisibilisation des femmes ? Et c’est un beau mot que celui de combattante.

En vérité, il est question ce soir non pas de la langue française, mais d’une vision rétrograde (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) et passéiste de la société. Pendant que le Sénat débat de la nécessité impérieuse, urgente et primordiale d’encadrer la langue par la loi – quand il ne peut encadrer les avancées de la société –, les combats féministes et pour l’égalité des droits, eux, continuent.

C’est la raison pour laquelle les sénatrices et les sénateurs socialistes voteront contre cette proposition de loi ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Ghislaine Senée applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Adel Ziane, sur l’article.

M. Adel Ziane. Madame la présidente, madame la ministre, chères collègues et chers collègues, la proposition de loi que nous examinons ce soir m’interpelle, tant elle me semble en complet décalage avec les urgences et les priorités actuelles de notre Nation.

Son article 1er, qui constitue le cœur du dispositif, révèle une forme de confusion, d’analogie trompeuse, de déni et d’ambivalence.

Confusion, tout d’abord, parce que vous réduisez et confondez volontairement l’usage du point médian avec l’écriture inclusive. Or les mots épicènes ou la double flexion sont d’autres aspects de l’écriture inclusive. Au sujet de la double flexion, vous la qualifiez, me semble-t-il, de « bégaiement inclusif », alors que l’un des premiers hommes politiques à l’avoir popularisée est le général de Gaulle avec son célèbre « Françaises, Français, aidez-moi ! »

Analogie trompeuse, ensuite, lorsque vous convoquez 1984, l’œuvre de George Orwell, pour légitimer vos propos. Dans cet ouvrage, c’est en effet l’État qui impose aux citoyens l’usage d’une langue appauvrie, qui empêche de penser le monde et ses évolutions.

L’écriture inclusive n’est en rien comparable : elle est le fait de citoyens qui désirent se doter d’outils pour comprendre et appréhender notre société en visant l’inclusivité la plus large.

Déni, encore, car la langue française est une langue vivante, comme certaines et certains l’ont évoqué, qui a connu de nombreuses réformes et évolutions au cours des 500 dernières années. Cet enrichissement permanent a préservé sa vivacité et sa pertinence au travers des siècles.

Ambivalence, enfin, car cette proposition de loi soutient bien évidemment des positions conservatrices concernant la langue française.

Oui, de prime abord, le point médian n’est pas forcément évident à lire. Toutefois, comme certains l’ont souhaité, simplifier la langue, c’est aussi parfois exclure.

C’est ce à quoi se sont employés les grammairiens à partir du XVIIe siècle, comme l’abbé Bouhours, en 1675, selon lequel « lorsque les deux genres se rencontrent, il faut que le plus noble l’emporte », ou comme Nicolas Beauzée, pour qui « le genre masculin est réputé plus noble que le féminin à cause de la supériorité du mâle sur la femelle ».

À l’aune de ces exemples, ce n’est donc pas céder « aux airs du temps » que de vouloir poursuivre le combat pour l’égalité entre les femmes et les hommes, en particulier par la langue. Il s’agit d’un enjeu politique majeur.

Cette proposition de loi contient une contradiction et un paradoxe profond, qui vise à graver le français dans le marbre,…

Mme la présidente. Veuillez conclure, cher collègue !

M. Adel Ziane. … notre langue qui n’a eu de cesse de se transformer et de s’enrichir à travers le temps. Rien n’est gravé dans le marbre ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, sur l’article.

M. Pierre Ouzoulias. J’évoquerai deux points techniques.

Le premier a trait au troisième alinéa de l’article 1er par lequel les auteurs de la proposition de loi souhaitent interdire l’écriture inclusive dans les publications désignées à l’article 7 de la loi Toubon. Or ledit article mentionne spécifiquement les publications en langue étrangère, afin de les obliger à publier un résumé en français. Ce troisième alinéa de l’article 1er me semble donc sans objet, mes chers collègues.

J’en viens au second point. En 2022, sur les 2 357 thèses soutenues, 36 % l’ont été en anglais. Dans certaines disciplines, comme les mathématiques, l’informatique, la physique ou l’économie, l’emploi de l’anglais est devenu majoritaire et celui du français sera bientôt tout à fait marginal.

Pour les articles scientifiques, sans avoir réalisé personnellement le décompte, le bilan est pire. Les scientifiques français publient aujourd’hui majoritairement en anglais.

Mes chers collègues, ce soir, la question que nous devons nous poser n’est pas d’ordre typographique ; il s’agit de savoir si le français continuera d’être une langue scientifique. (MM. Jean Hingray et Michel Laugier applaudissent.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Mathilde Ollivier, sur l’article.

Mme Mathilde Ollivier. Je souhaite revenir sur deux points.

Nombreux ici sont ceux qui évoquent les difficultés des personnes dyslexiques à lire l’écriture inclusive. Or il n’existe aujourd’hui aucune étude sur le sujet. Par conséquent, j’ignore quelles sont leurs sources… (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

J’en viens à la lisibilité de la langue. Il existe une étude, en revanche, selon laquelle les personnes s’habituent à cette écriture et retrouvent, après une première lecture plus lente, leur vitesse de lecture normale.

Comme toujours, la France avance à reculons – et le Sénat de manière encore plus visible (Mme Françoise Gatel proteste.) – face à ces avancées sociétales, qui répondent à de réelles attentes d’une part importante de la société.

Dans l’article 1er, les auteurs de la proposition de loi définissent ce que serait l’écriture dite inclusive, « entendue comme désignant les pratiques rédactionnelles et typographiques visant à introduire des mots grammaticaux constituant des néologismes ».

Par ce biais, il s’agit d’interdire l’utilisation de mots tels que « iel » ou « celleux », qui constitueraient une dérive importante. Mais qui définirait les néologismes concernés ? Quand un mot est-il considéré comme un néologisme et à quel moment ne l’est-il plus ?

Le mot « iel », par exemple, est entré dans le dictionnaire Le Robert, mais pas encore dans le Larousse. La prochaine proposition de loi aura-t-elle pour objet de déterminer quel dictionnaire doit être suivi ? Débattrons-nous du caractère militant ou non du dictionnaire Le Robert ? (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Pascale Gruny sexclame.)

À la page 15 de son projet, Gérard Larcher écrit : « Je vous propose pour les trois années à venir une véritable cure d’austérité normative. » Pensez-vous que ce soit vraiment le moment de légiférer sur l’écriture inclusive ? (Applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées du groupe SER.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Rossignol, sur l’article. (Ah ! sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme Laurence Rossignol. Ne me mettez pas la pression ! (Sourires.)

Nous avons déjà eu ce débat ; je crois que nous n’allons pas arriver à nous convaincre les uns les autres.

Selon vous, l’écriture inclusive serait militante. Oui, bien évidemment ! Ce caractère militant se comprend aisément : en dépit de l’inscription dans la loi ces cinquante dernières années de l’égalité entre les femmes et les hommes, de l’égalité salariale, de l’égalité d’accès à toutes les formations, les choses n’avancent pas.

Nous nous sommes alors demandé si les véritables raisons ne résidaient pas ailleurs que dans l’application de la loi. Et quel est cet « ailleurs » ? C’est l’ensemble des représentations qui font que les petites filles – croyez-moi, en la matière, des enquêtes sérieuses existent –, dès l’âge de 5 ou 6 ans, considèrent qu’elles n’ont pas les mêmes compétences que les garçons.

Elles pensent déjà qu’elles sont moins douées pour les mathématiques et même pour les sciences en général. C’est un ensemble de représentations qu’il nous faut combattre.

Tout le travail que nous menons consiste à enlever de la tête des petites filles l’idée selon laquelle elles seraient moins performantes que les garçons. Mais reconnaissons-le : quand, à longueur de scolarité, on dit et on répète que « le masculin l’emporte sur le féminin », il faut que les enseignants soient redoutablement outillés pour expliquer aux enfants que cette règle se limite à la grammaire et que, dans la société, tout le monde est égal.

J’ai entendu le Président de la République affirmer que, dans la langue française, le neutre est masculin : certes – c’est une réalité factuelle –, mais, si le neutre est masculin, le masculin, lui, est loin d’être neutre.

Le masculin est viril… (Protestations sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme Rima Abdul-Malak, ministre. Pas forcément !

Mme Laurence Rossignol. Le masculin est fondé sur des représentations de la différence des sexes qui induisent des comportements et des stéréotypes distincts. C’est précisément contre ces représentations que l’écriture inclusive permet de lutter.

Enfin, chers collègues de la majorité sénatoriale, pardonnez-moi de vous le dire : vous perdez votre temps.

Même si votre proposition de loi est adoptée, vous pensez vraiment que vous m’empêcherez d’écrire « mesdames et messieurs les élu·e·s » ?

M. Max Brisson. Ce n’est pas le sujet !

M. Stéphane Piednoir. Il ne s’agit pas de cela !

Mme Laurence Rossignol. Vous pensez vraiment m’empêcher d’écrire les statuts de mon association en employant le pluriel de majorité,…

Mme la présidente. Merci, chère collègue.

Mme Laurence Rossignol. … ce d’autant plus qu’il s’agit d’une association féministe ? Jamais vous ne m’en empêcherez. Votre proposition de loi ne sert à rien ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)

Mme la présidente. La parole est à M. Mickaël Vallet, sur l’article.

M. Mickaël Vallet. Mes chers collègues, dans le droit fil des propos de Pierre Ouzoulias, je tiens à vous dire que je suis à la fois enthousiaste et navré du débat de ce soir.

Je suis enthousiaste, car – je le dis sans ironie aucune –, à mon sens, il est important que le politique puisse débattre de questions d’ordre linguistique. Si des propositions de loi traitent de ces sujets, nous devons les prendre telles qu’elles sont, sans mépris aucun.

M. Mickaël Vallet. Nous devons pouvoir en débattre.

Cela étant, je suis navré que ce sujet soit abordé sous un angle si étroit : je le dis sans aucun esprit polémique.

Tout d’abord – M. le rapporteur l’a relevé à très juste titre –, nous ne traitons pas de l’écriture inclusive, mais, en fait, du point médian.

Monsieur Vial, vous ajoutez qu’aujourd’hui la féminisation ne pose plus aucun problème ; elle a tout de même donné lieu à des controverses comparables à celle de ce soir.

Les linguistes ne font pas la politique, de même que les politiques ne font pas la langue. J’observe toutefois que de très grands linguistes qui ont lutté pour la féminisation des noms sont, pour des raisons fondées sur la grammaire et la syntaxe, ou encore parce qu’ils la jugent impossible en pratique, contre l’utilisation systématique du point médian.

C’est aussi mon cas. Selon moi, il n’est pas possible d’écrire un texte de cinquante pages, un rapport ou que sais-je encore en utilisant systématiquement le point médian. Ce n’est pas tenable. Dès lors, il ne me semble même pas nécessaire de légiférer en ce sens : cet usage disparaîtra de lui-même.

Cela étant, il n’est pas interdit d’être intelligent. Quand on se présente devant une assemblée, que l’on s’adresse à un groupe composé – et c’est bien normal – d’hommes et de femmes, on a le droit de dire « mesdames, messieurs », « chères et chers », comme le fait le Président de la République. On peut même, de manière vocative, utiliser le « cher·e·s ». Ce choix ne pose aucun problème dès lors qu’il est compris par tout le monde, qu’il n’est pas source de confusion.

En résumé, il me semble que nous sommes enfermés dans un piège : j’y reviendrai en explication de vote. (M. Patrick Kanner applaudit.)

M. Pierre Ouzoulias. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à Mme Mélanie Vogel, sur l’article.

Mme Mélanie Vogel. Chers collègues de la majorité sénatoriale, vous dites et répétez que l’écriture inclusive est une invention militante. La réalité – vous devez l’assumer enfin –, c’est que vous-mêmes êtes les héritières et les héritiers de militants qui, au XVIIe siècle, ont eu pour projet politique de masculiniser la langue française. Nous vous avons rappelé à plusieurs reprises le raisonnement suivi par ces derniers : « Le genre masculin étant le plus noble, il doit prédominer toutes les fois où le masculin et le féminin se rencontrent. » Voilà une affirmation d’une neutralité absolue ! (Sourires sur les travées du groupe GEST.)

À la même époque, on a décidé de supprimer les termes « mairesse », « doctoresse » ou encore « poétesse ». En revanche, on a conservé « nourrice » et « servante », puis, plus tard, « caissière » et « femme de ménage ». Mais qui pourrait y voir l’expression d’un projet politique sexiste ? Franchement, qui ? (Sourires sur les mêmes travées.)

C’est vrai, la langue est le véhicule de nos valeurs. Au fond, elle décrit le monde tel qu’on voudrait qu’il soit.

Oui, celles et ceux qui militent pour que le masculin l’emporte sur le féminin véhiculent l’image d’un monde qu’ils veulent sexiste ; oui, celles et ceux qui militent pour que l’écriture soit inclusive, pour que toutes les personnes dont on parle se sentent représentées, militent pour une société plus égalitaire et plus juste. Pour notre part, nous l’assumons pleinement ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – M. Patrice Joly et Mme Laurence Rossignol applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Max Brisson, sur l’article.

M. Max Brisson. Sur ce sujet, on sait ce que pensent les socialistes et les écologistes qui siègent dans cet hémicycle : ils nous l’ont dit et répété maintes et maintes fois… (Protestations sur les travées des groupes SER et GEST.)

M. Mickaël Vallet. Alors, on va vous laisser !

M. Max Brisson. Leur position est extrêmement claire : ils sont pour l’écriture inclusive, car ils sont de plus en plus favorables à toutes les théories de la déconstruction.

Madame la ministre, vous regardez ce combat entre la droite et la gauche ; mais vous, que pensez-vous ? Voilà la vraie interrogation.

Mme Laurence Rossignol. Sagesse ! (Sourires sur les travées du groupe SER.)

M. Max Brisson. Votre attitude, je vous l’avoue, nous donne un peu le vertige.

À la suite du Président de la République, vous dénoncez les dérives d’une démarche militante : nous approuvons. Pour autant, quand il est question d’agir, vous reculez – et là, nous sommes désappointés.

Une fois de plus, nous sommes face au « en même temps » dans toute sa splendeur. Une fois de plus, vous procrastinez.

Vous nous dites que les garde-fous existants nous protègent, mais vous décrivez tous les dangers qu’entraîne la progression de l’écriture inclusive. C’est bien la preuve que ces garde-fous sont insuffisants. On le voit d’ores et déjà dans l’enseignement supérieur. On le vérifiera bientôt dans l’enseignement secondaire, puisque l’écriture inclusive progresse dès à présent dans les manuels scolaires.

Demain, la langue impossible à lire pourrait être enseignée dans les écoles malgré les circulaires, malgré les garde-fous actuels, malgré cet arsenal que vous prétendez suffisant et qui, à l’évidence, ne l’est pas.

Voilà pourquoi il faut légiférer. Voilà pourquoi il faut conserver l’article 1er, qui est bel et bien utile. Voilà pourquoi cette proposition de loi tout entière est utile. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Kanner, sur l’article.

M. Patrick Kanner. Madame la présidente, chères collègues sénatrices, chers collègues sénateurs, camarades, compagnons, compagnonnes et j’en passe… (Sourires.)

Mme Cécile Cukierman. « Camarade », cela ne se féminise pas ! (Nouveaux sourires.)

M. Patrick Kanner. Monsieur Brisson, vous interpellez Mme la ministre en lui demandant ce qu’elle pense de cette question : elle pense comme le Président de la République. Pour un membre du Gouvernement, c’est bien normal. Elle ne peut que confirmer les propos tenus lors de l’inauguration de cette après-midi : dont acte. Si vous voulez approfondir la question, vous pourrez toujours l’interroger en privé, ce sera plus simple…

Chers collègues de la majorité sénatoriale, la langue française, comme n’importe quelle autre langue, est soumise aux évolutions de la société. Nous toutes et tous constatons les changements divers et variés de notre vocabulaire, qu’il s’agisse d’anglicismes ou d’apports régionaux. Qui d’entre nous peut dire qu’il échappe à ce type d’innovations ?

Nous ne pouvons légiférer sur une langue, qui, par définition, est une réalité vivante ; nous ne pouvons pas l’encadrer. C’est pourtant ce que tentent de faire les auteurs du présent texte. Dès lors, nous sommes conduits à nous pencher sur la langue administrative et à nous interroger sur la langue de la République.

Je tiens à vous le rappeler à mon tour : la langue française n’est pas inclusive. Depuis trop longtemps, elle traite les femmes et les hommes de deux manières différentes.

Personne n’entend imposer l’usage de l’écriture inclusive. Pourquoi, de votre côté, voulez-vous absolument l’interdire ? On se demande quels sont vos buts réels.

Censurer l’écriture inclusive revient finalement à invisibiliser toutes les avancées que nous avons pu obtenir, collectivement, en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes. (Protestations sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. Patrick Kanner. Il y a encore beaucoup de progrès à accomplir en ce sens. Pour notre part, nous voterons contre la proposition de loi qui nous est soumise. (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)

Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Salmon, sur l’article.

M. Daniel Salmon. Chers collègues de la majorité sénatoriale, je trouve que vous avez une bien curieuse vision de la langue.

Une langue, c’est vivant ; une langue, cela ne se fige pas. La langue de Montaigne est très différente de celle de Maupassant. Fut un temps où l’on disait « ça pleut » ; puis l’on se mit à dire « il pleut ». Le français a connu mille et une autres évolutions.

J’entends vos arguments. Vous redoutez notamment la complexification de la langue.

Moi qui ai été enseignant, j’ai connu la réforme de 1990, qui visait précisément à simplifier l’orthographe française. Or ceux qui combattent aujourd’hui l’écriture inclusive sont ceux-là mêmes qui combattaient cette simplification.

M. Thomas Dossus. C’est vrai !

M. Daniel Salmon. La réforme de 1990 nous invitait à nous interroger sur l’évolution des mots : pourquoi chariot prend-il un « r » quand charrette en prend deux, alors que ces termes ont la même étymologie ? Le choix de la simplicité est bien d’opter pour deux « r » dans les deux cas.

Cette simplification, vous n’avez cessé de lutter contre elle. Aujourd’hui, vous nous parlez de combattre la complexification. Nous sommes face à un sérieux paradoxe.

Vous célébrez Villers-Cotterêts. Je vous le dis en tant que Breton : nous n’avons jamais salué cette ordonnance prise contre les langues régionales, qui entendit faire du francien, parlé par un vingtième des Français, la langue dominante du pays. S’imposant peu à peu à la France entière, ce dialecte a fini par tuer notre diversité linguistique. (M. Francis Szpiner proteste.) C’est un vrai sujet.

Vos arguments reviennent, en définitive, à fossiliser la langue française ; mais je sais que, de ce côté de l’hémicycle, vous êtes et serez toujours partisans du fossile… (Exclamations sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mme Mélanie Vogel rit.)

Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Piednoir, sur l’article.

M. Stéphane Piednoir. Je suis absolument saisi, non seulement par la mauvaise foi de certains de nos collègues – nous venons d’en avoir une nouvelle preuve –, mais aussi par l’amalgame auquel se livrent un petit nombre d’entre eux.

D’une part, il y a la féminisation des mots, qui va d’ailleurs de pair avec la masculinisation, dont nous n’avons pas parlé. Cette évolution est évidemment admise, dans la mesure du possible. « Son Altesse » et « Sa Majesté » garderont probablement leur genre à jamais : c’est comme cela.

D’autre part, il y a ce hachage menu des mots qu’entraîne le point médian, lequel va de pair avec l’existence de pronoms totalement dépourvus de sens : c’est là qu’est, selon nous, le véritable problème.

Chers collègues, dans cette confusion, je vois tout simplement une forme de paresse. On nous reproche de ne pas utiliser le « mesdames, messieurs », alors que nous faisons tous des discours à tout bout de champ et que nous y avons systématiquement recours. Personne ici ne refuse ce genre de « doubles flexions », comme vous les appelez.

Enfin, madame la ministre, vous avez évoqué la nécessité de construire des garde-fous face à certaines évolutions qui menacent notre langue française. C’est précisément ce que nous offre cette proposition de loi : des garde-fous. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Cukierman, sur l’article.

Mme Cécile Cukierman. Mes chers collègues, à l’évidence, nous sommes face à un écueil : comment faire en sorte que ce débat passionnant ne tourne pas au débat passionnel ?

Dans une société qui connaît de moins en moins le sens de la mesure, nos discussions s’hystérisent inévitablement. Les uns et les autres se sentent poussés dans leurs retranchements, au point que leurs paroles peuvent dépasser leurs pensées respectives.

Non, la langue et la culture françaises ne sont pas en train de s’effondrer. Non, l’écriture inclusive n’est pas l’alpha et l’oméga de l’égalité entre les femmes et les hommes. En la matière – j’en demeure convaincue –, le véritable combat est celui de l’égalité salariale. Sur ce front, il y a encore beaucoup à faire.

La langue permet de communiquer, donc de faire société. Elle fait de l’homme cet « animal politique » dont parlait Aristote. En ce sens, elle constitue un sujet éminemment politique. Je ne saurais dire le contraire : ma mère, Catalane, a appris sa langue maternelle sous Franco, qui en avait interdit l’enseignement en Espagne.

L’histoire de France et, au-delà, les différentes histoires européennes nous rappellent ainsi tout le rôle politique de la langue.

Pour ma part, je tiens à insister sur la différence fondamentale entre la langue écrite et la langue orale. Si nous voulons réellement progresser vers l’égalité, il est impératif de conjuguer l’une et l’autre. Or le présent texte ne répond pas à ce défi-là.

Pour leur part, les membres du groupe CRCE-K ne prendront pas part aux votes, qu’il s’agisse des articles ou de la proposition de loi dans son ensemble.

M. Pierre Ouzoulias. Très bien !

Mme la présidente. L’amendement n° 1, présenté par M. Chantrel, Mme Monier, M. Kanner, Mmes Brossel et Daniel, M. Lozach, Mme S. Robert, MM. Ros, Ziane et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Yan Chantrel.

M. Yan Chantrel. Mes chers collègues, nous nous opposons à l’article 1er sur le fond : nous avons précisé pourquoi lors de la discussion générale. J’ajoute que nous nous y opposons sur la forme.

Je confirme que cette proposition de loi est un véhicule législatif inapproprié.

Les auteurs du présent texte entendent réformer la loi Toubon. Cette dernière protège le français face à l’immixtion de langues étrangères, mais elle n’a pas vocation à s’attaquer à des variantes de notre langue ou à ses évolutions internes. Elle n’a pas vocation à fixer la norme de la langue française.

Monsieur le rapporteur, Jacques Toubon lui-même l’a rappelé lors de son audition : cette loi protège le français, mais ne dicte pas ce qu’est le bon ou le mauvais français.

Avec cette proposition de loi, nous nous engageons sur une pente glissante : bientôt, on interdira les variantes régionales du français.

En outre, ce texte est très mal calibré. On peut débattre de l’usage du point médian, dont il faut rappeler qu’il n’est qu’une abréviation ; mais, contrairement à ce que vous dites, cette proposition de loi va beaucoup plus loin. Elle vise bel et bien à interdire l’écriture inclusive. Référez-vous à la définition qui figure dans l’exposé des motifs : c’est bien ce dont il est question.

Vous visez l’ensemble des ponctuations médianes, qui existent pourtant depuis très longtemps et figurent sur nombre d’actes et de documents administratifs. Regardez votre carte d’identité : vous y trouverez des parenthèses. C’est de l’écriture inclusive. L’adoption du présent texte rendra automatiquement ces documents caducs – et je ne parle pas des déclarations d’impôts, qui contiennent elles aussi de nombreuses parenthèses.

Bref, votre proposition de loi est très mal rédigée. C’est un peu problématique, pour nous qui sommes chargés de faire la loi…

Enfin, de telles dispositions conduiraient à supprimer les doubles flexions, comme « mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs », ou tout simplement « mesdames, messieurs », formule par laquelle s’ouvre l’exposé des motifs de tout texte de loi. C’est ce que vous proposez d’interdire. (Protestations sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Cédric Vial, rapporteur. Monsieur Chantrel, vous ressassez la question des parenthèses figurant sur les cartes d’identité, dans la mention « né(e) », qui a d’ailleurs disparu des nouveaux titres. En l’occurrence, il ne s’agit pas d’un masculin générique. Il n’y a donc pas lieu de supprimer la parenthèse.

Un signe de ponctuation, comme le point médian, n’est pas souhaitable quand il a vocation à remplacer un masculin générique. Toutefois – j’y insiste –, sur une carte d’identité, la mention « né(e) » est destinée soit à un homme, soit à une femme ; dès lors, la parenthèse reste tout à fait valable. Nous ne sommes pas dans le cas que vous retenez.

Peut-être voulez-vous faire croire que nous proscrivons tout signe de ponctuation, mais cette proposition de loi interdit uniquement les signes de ponctuation quand ils sont employés à la place d’un masculin générique.

Ce n’est pas la première fois que nous discutons de cette question. Nous ne sommes pas d’accord et nous sommes tous d’accord pour admettre que nous ne serons pas d’accord. (Sourires.)

Mme Cécile Cukierman. C’est beau ! (Nouveaux sourires.)

M. Cédric Vial, rapporteur. Madame Rossignol, je tiens à vous remercier d’avoir confirmé l’exactitude de nos propos : vous l’avez dit vous-même, l’écriture inclusive est un acte militant.

Madame Vogel, vous l’avez également rappelé en soulignant que la langue est un « véhicule » pour nos valeurs. Eh bien, nous ne ferons pas de covoiturage cette fois-ci. (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

La commission est défavorable à cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Rima Abdul-Malak, ministre. Monsieur Brisson, il me semble avoir été assez claire : si le présent texte s’en tenait à graver dans le marbre de la loi les circulaires de 2017 et de 2021 interdisant le point médian et étendant cette interdiction à l’ensemble des actes des personnes publiques, le Gouvernement exprimerait un avis favorable.

J’ai émis des réserves sur deux points.

Le premier, c’est l’extension de cette interdiction aux contrats privés, qui nous expose à un risque d’inconstitutionnalité.

Le second, c’est l’interdiction des néologismes. À cet égard, le Gouvernement estime que l’on sort du champ de l’intelligibilité de la loi, de l’égalité d’accès à la langue, de la compréhension de celle-ci et de sa facilité d’apprentissage, pour légiférer sur l’évolution de la langue.

Sur ces deux sujets, nous ne sommes pas tout à fait d’accord avec les auteurs de cette proposition de loi : c’est ce qui nous conduit, non pas à émettre un avis défavorable, mais à laisser le Sénat trancher, avant de poursuivre ce débat dont le grand intérêt se confirme.

Voilà pourquoi, sur cet amendement, le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat.

Mme la présidente. La parole est à M. Mickaël Vallet, pour explication de vote.

M. Mickaël Vallet. Mes chers collègues, je saisis cette occasion de poursuivre mon propos précédent.

Je parlais d’un piège dans lequel nous sommes tous pris, à gauche comme à droite.

La loi de 1994 relative à l’emploi de la langue française fut préparée par Catherine Tasca et présentée par Jacques Toubon au Parlement. Elle reçut alors l’appui d’éminents représentants de la majorité sénatoriale – je pense notamment à Jacques Legendre, qui en fut le rapporteur –, avant d’être déférée devant le Conseil constitutionnel par la gauche, ce qui fut une erreur partisane.

Aujourd’hui, la droite se précipite sur des hochets. Elle se rue sur des sujets de niche, comme celui qui nous occupe ce soir : je le dis avec tout le respect que j’éprouve pour ceux qui se préoccupent des questions linguistiques.

Ce constat a été rappelé à plusieurs reprises, notamment lors du colloque organisé pour les vingt ans de la loi Toubon, il y a presque une décennie de cela : la loi relative à l’emploi de la langue française traite la compréhension du français et le droit à cette langue de manière globale. À l’inverse, nous empruntons ce soir une porte d’entrée qui – je le dis très humblement – me semble assez étroite.

M. Pierre Ouzoulias. Tout à fait !

M. Mickaël Vallet. Madame la ministre, moi aussi, je suis curieux de savoir ce que vous pensez de ces questions.

Si nous sommes face à un piège, c’est parce que les circulaires en vigueur ne sont pas appliquées.

Il y a un mois et demi de cela, le préfet de mon département organise une conférence de presse avec les forces de l’ordre et les services déconcentrés de l’État. La réunion a pour objet les questions de sécurité dans les lieux publics. Il s’agit plus précisément de créer un label départemental intitulé Safe place. Le préfet, alors sur le départ, s’en amuse lui-même. Heureusement que le sénateur Vallet n’est pas là, déclare-t-il, sinon, qu’est-ce qu’on aurait pris…

Un courrier est fait au nouveau préfet – le pauvre, c’est tombé sur lui. Évidemment, un tel intitulé est illégal : ce label est donc immédiatement supprimé.

La loi Toubon contient un grand nombre de dispositifs nous permettant de faire respecter, non pas la pureté de la langue française – l’Académie française elle-même n’en a pas le monopole –, mais le droit à la compréhension entre les citoyens, d’une part, entre les citoyens et leurs élites, de l’autre.

Sur ce sujet, j’ai une main à tendre vers l’ensemble des travées de cet hémicycle : j’y reviendrai lors des explications de vote sur l’ensemble. À ce stade, je vous pose simplement cette question : faites-vous appliquer la loi ? (MM. Patrick Kanner et Pierre Ouzoulias applaudissent.)

M. Pierre Ouzoulias. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote.

Mme Laurence Rossignol. Monsieur le rapporteur, vous me donnez crédit d’avoir une approche militante des questions de langue : bien sûr, puisque nous en avons une lecture féministe.

Nous dénonçons les stéréotypes et les représentations défavorables aux femmes que la langue véhicule. Mais, entre vous est moi, il y a une différence : je suis une militante et je le reconnais, tandis que vous êtes des militants et que vous ne le reconnaissez pas.

En prenant parti contre l’écriture inclusive, vous émettez à l’évidence un signal politique. Est-ce un pur hasard si, pour la seconde fois, vous portez cette affaire devant le Sénat ? Si vous tenez absolument à utiliser les mots d’« écriture inclusive » ? Si, la semaine dernière, les députés du Rassemblement national ont défendu une proposition de loi traitant du même sujet ?

J’ai du mal à croire que tous ces parlementaires de droite – vous, le RN et probablement les représentants des autres droites de ce pays – se passionnent subitement pour la pureté de la langue française. Non ! Votre sujet, ce n’est pas l’écriture inclusive. C’est la peur que vous inspire l’indifférenciation des sexes. C’est une peur anthropologique… (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Stéphane Piednoir. Psychanalyse de bas étage !

Mme Laurence Rossignol. Inutile de couvrir ma voix.

Voilà quelques instants, vous avez désigné vous-mêmes ceux qui, en vous, provoquent cette peur : les féministes et les LGBT – les deux bêtes noires de tous les conservateurs et réactionnaires de cette planète,… (Protestations sur les mêmes travées.)

Mme Laurence Rossignol. … de Bolsonaro à Trump en passant par Poutine. Les obsessions sont toujours les mêmes : les transgenres, les homosexuels et les féministes. Or l’écriture inclusive concentre tout cela dans votre esprit.

Mme Marie-Claire Carrère-Gée. Vous n’avez pas le monopole du féminisme !

Mme Laurence Rossignol. De manière assez simple et militante – reconnaissez-le –, vous manifestez ici votre hostilité à certaines évolutions de la société. Je vous le concède, ces questions sont vertigineuses, mais vous n’y répondrez certainement pas par des interdictions. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme la présidente. La parole est à M. Yan Chantrel, pour explication de vote.

M. Yan Chantrel. Monsieur le rapporteur, j’ai l’impression que vous n’assumez pas véritablement la finalité de votre texte.

À vous entendre, ses dispositions n’empêcheront pas les doubles flexions comme « sénatrices, sénateurs ».

Nous sommes tout de même dans un endroit sérieux, où l’on fait la loi : dans les textes que nous votons, chaque mot doit être maîtrisé. Or je vous renvoie à cette proposition de loi telle qu’elle est écrite : elle a pour objet « les pratiques rédactionnelles et typographiques visant à […] substituer à l’emploi du masculin, lorsqu’il est utilisé dans un sens générique, une graphie faisant ressortir l’existence d’une forme féminine ».

Les doubles flexions sont bien des pratiques rédactionnelles qui remplacent un masculin générique. De même, « né(e) » est une graphie qui fait apparaître une forme féminine à la place d’un masculin générique…

M. Cédric Vial, rapporteur. Mais non ! Le singulier n’est pas générique !

M. Yan Chantrel. En fait, vous ignorez la définition de ces pratiques rédactionnelles, qui, si votre texte est adopté, seront toutes interdites.

L’exposé des motifs nous permet d’ailleurs de connaître la philosophie suivie par notre collègue qui a écrit ce texte : c’est exactement ce que vous visez et c’est là qu’est le problème.

Comme l’a très bien dit Laurence Rossignol, vous êtes des militants. Vous êtes les seuls à vouloir légiférer sur ces sujets, en tombant dans les travers dont vous nous accusez à tort. Vous semblez croire que nous voulons rendre l’écriture inclusive obligatoire, mais, nous, nous ne légiférons pas en ce sens.

Vous voudriez imposer une manière de penser et de normer la langue, alors que ce n’est pas le rôle du législateur.

J’y insiste, avec ce texte, vous vous engagez sur une pente dangereuse. Quelqu’un que vous respectez tout particulièrement, Jacques Toubon, vous l’a d’ailleurs dit lors de son audition : votre texte n’est pas bon. Il ne va pas dans le bon sens. Il ne correspond même pas à la philosophie de sa propre loi. La meilleure chose à faire, c’est de voter notre amendement pour mettre fin à ce spectacle. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)

Mme la présidente. La parole est à M. Marc Laménie, pour explication de vote.

M. Marc Laménie. Je salue avant tout le travail accompli par la commission et par l’auteur de cette proposition de loi, notre collègue Pascale Gruny.

Je ne souhaitais pas intervenir ce soir, mais, à la suite de M. le rapporteur et de Mme la ministre, je tiens à insister sur la nécessité de préserver les fondamentaux nécessaires à l’apprentissage de la lecture et de l’écriture.

M. Chantrel a évoqué différents documents officiels, qu’il s’agisse des titres sécurisés, comme les cartes nationales d’identité, ou des déclarations d’impôt sur le revenu.

Je suis tout sauf un spécialiste de l’écriture inclusive ; je le reconnais volontiers. Je mesure l’importance de l’égalité entre les femmes et les hommes et je milite bien sûr en ce sens – je rappelle d’ailleurs, si besoin est, que notre assemblée compte beaucoup de sénatrices de grande qualité ! (Sourires.) –, mais nous ne devons pas nous tromper de débat.

Pour ma part, je suivrai l’avis de la commission. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme Françoise Gatel applaudit également.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 1.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme la présidente. L’amendement n° 3, présenté par M. C. Vial, au nom de la commission, est ainsi libellé :

I.- Après l’alinéa 4

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

« … - Le présent article est d’ordre public. »

II.- Alinéa 5, après la deuxième phrase

Insérer une phrase ainsi rédigée :

Cette disposition est d’ordre public.

La parole est à M. le rapporteur.

M. Cédric Vial, rapporteur. Il s’agit d’un amendement rédactionnel, madame la présidente.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Rima Abdul-Malak, ministre. Avis favorable.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 3.

(Lamendement est adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 1er, modifié.

(Larticle 1er est adopté.)

Article 1er
Dossier législatif : proposition de loi visant à protéger la langue française des dérives de l'écriture dite inclusive
Explications de vote sur l'ensemble (début)

Article 2

La présente loi est d’ordre public. Elle s’applique aux contrats et avenants conclus postérieurement à son entrée en vigueur.

Toutefois, l’article 19-1 de la loi n° 94-665 du 4 août 1994 précitée ne s’applique aux produits destinés à la vente qu’à compter du premier jour du septième mois suivant la publication de la présente loi.

Mme la présidente. L’amendement n° 2, présenté par M. Chantrel, Mme Monier, M. Kanner, Mmes Brossel et Daniel, M. Lozach, Mme S. Robert, MM. Ros, Ziane et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Yan Chantrel.

M. Yan Chantrel. En bonne logique, nous proposons également la suppression de l’article 2.

M. le rapporteur aime se référer à l’ordonnance de Villers-Cotterêts. Peut-on imaginer meilleur jour pour citer ce texte ? Son article 110, qui reste en vigueur aujourd’hui, est rédigé en ces termes : « Et afin qu’il n’y ait cause de douter sur l’intelligence desdits arrêts, nous voulons et ordonnons qu’ils soient faits et écrits si clairement, qu’il n’y ait ni puisse avoir aucune ambiguïté ou incertitude ne lieu à demander interprétation. »

C’est précisément au nom du principe de clarté de la norme que nous défendons l’écriture inclusive.

Monsieur le rapporteur, c’est bien le masculin générique, que vous tenez tant à défendre, qui est ambigu. Si je dis : « Les sénateurs se fichent pas mal de l’égalité femmes-hommes », est-ce que je parle des hommes de cette assemblée ou des hommes et des femmes qui la composent ? Ce n’est pas clair.

Contrairement au premier, le deuxième alinéa de l’article premier de la Constitution est écrit en langage inclusif : « La loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales. »

S’il avait été écrit avec un masculin générique, il aurait perdu tout son sens : « La loi favorise l’égal accès des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales. » (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. Stéphane Piednoir. C’est absurde !

M. Yan Chantrel. Nous défendons donc bien la clarté de la loi, au contraire des apôtres du masculin générique. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Stéphane Piednoir. Il se décrédibilise tout seul !

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Cédric Vial, rapporteur. Sans surprise, l’avis sera défavorable.

Monsieur Chantrel, vous évoquez le masculin générique. Laissez-moi toutefois vous rappeler que « il est né » n’en est pas un. C’est un masculin. De la même manière, « elle est née » indique bien un féminin et n’est pas non plus générique.

Si l’on dit « ils sont nés », ce qui signifie, si vous préférez, « ils et elles sont nés », c’est bien un masculin pluriel générique. Cela ne souffre d’aucune ambiguïté et ne laisse place à aucune interprétation, mais il n’est pire sourd ou sourde que celui ou celle qui ne veut pas entendre ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Max Brisson. Très bien !

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Rima Abdul-Malak, ministre. Comme précédemment, le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat.

Mme la présidente. La parole est à M. Mickaël Vallet, pour explication de vote.

M. Mickaël Vallet. J’en termine avec la démonstration.

Nous ne tomberons pas d’accord sur ce sujet, mais nous sommes tous pris au piège, pour des raisons historiques et partisanes, d’un côté, pour des raisons d’étroitesse d’esprit, de l’autre. (Oh ! sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mes chers collègues, vous n’avez pas eu beaucoup à souffrir de mes interventions ce soir. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Francis Szpiner. Quand même !

M. Mickaël Vallet. Le véritable problème, ou le plus criant, sur lequel nous pouvons légiférer de manière moins ambiguë, demeure celui de l’anglicisation croissante et du manque de compréhension par nos administrés de ce qui se passe dans notre pays.

Sur ce point, je tends la main à l’ensemble de mes collègues. La sagesse sénatoriale, au-delà de la sagesse ministérielle, devrait nous permettre de procéder comme nous l’avons déjà fait avec succès : non pas seulement en préparant des propositions de loi, qui peuvent avoir leur utilité, mais aussi, et surtout, en menant l’évaluation les politiques publiques.

La loi Toubon va avoir trente ans. Dans un contexte politique nouveau, marqué par le numérique, l’intelligence artificielle et le comportement changeant des administrations d’État et des collectivités territoriales, elle mérite une évaluation approfondie, afin que le Sénat puisse œuvrer à son amélioration et à son ancrage dans les réalités contemporaines.

Je pose donc de nouveau la question, madame la ministre : comment la loi que nous prétendons modifier ce soir est-elle appliquée ? Le Président de la République a tenté de se raccrocher aux branches aujourd’hui, mais cela n’a pas convaincu grand monde. Comment vous-même souffrez-vous les « Choose France », « France Connect », « French Impact » ? Quid, dans des entreprises issues de grands monopoles publics, de « Orange Bank » ou de « My French Bank » à La Poste ? Quiconque lit cela devrait avoir le rouge au front !

M. Pierre Ouzoulias. Très bien !

M. Mickaël Vallet. Quant aux collectivités territoriales, je ne vais sans doute pas me faire d’amis ainsi, mais que dire de « Sarthe Me Up », « OnlyLyon », « Let’s Grau » – remarquable jeu de mots ! –, « MadeInJura », « My Loire Valley », etc. ?

J’en termine avec la carte nationale d’identité, pour laquelle le Gouvernement – Mme Schiappa était chargée de ce dossier –, n’a pas été fichu de faire autrement que d’imposer l’anglais comme deuxième langue, alors même que l’Union européenne autorise le plurilinguisme.

Mme la présidente. Merci, mon cher collègue !

M. Mickaël Vallet. Que devons-nous faire à ce sujet, madame la ministre ? (Applaudissements sur des travées des groupeCRCE-K et Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Mélanie Vogel, pour explication de vote.

Mme Mélanie Vogel. Je souhaite revenir sur le discours de notre collègue Lévrier, qui nous expliquait précédemment combien, en traduisant le discours du Général de Gaulle avec des points médians, celui-ci devenait illisible. Le point médian, rappelons-le, est une forme d’abréviation écrite. Ainsi, « Français·es » est l’abréviation de « Françaises et Français ». Il semblerait que, pour certains d’entre nous, cela devienne alors extrêmement difficile à lire et à comprendre.

Pourtant, lorsque je regarde l’écran dans cet hémicycle, juste avant le nom de M. Chantrel, je vois « amdt n petit rond 2 ». Et, manifestement, vous n’avez aucun problème de lecture ou de compréhension ! (Protestations sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

M. Laurent Somon. Ça, c’est une vraie abréviation !

Mme Mélanie Vogel. Quelle est la raison de cette différence ? Expliquez-moi pourquoi il est tellement compliqué pour vous de saisir que l’ajout d’un point médian entre un « s » et un « e » signifie « Françaises et Français », alors qu’il vous est parfaitement possible de comprendre que « amdt n petit rond 2 » veut dire « amendement numéro 2 » ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE-K.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 3.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme la présidente. L’amendement n° 4, présenté par M. C. Vial, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Alinéa 1

Supprimer les mots :

est d’ordre public. Elle

La parole est à M. le rapporteur.

M. Cédric Vial, rapporteur. Cet amendement est le corollaire de l’amendement de précision rédactionnelle proposé à l’article 1er.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Rima Abdul-Malak, ministre. Favorable.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 4.

(Lamendement est adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 2, modifié.

(Larticle 2 est adopté.)

Vote sur l’ensemble

Article 2
Dossier législatif : proposition de loi visant à protéger la langue française des dérives de l'écriture dite inclusive
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

Mme la présidente. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Yan Chantrel, pour explication de vote.

M. Yan Chantrel. Notre groupe votera contre cette proposition de loi, car il ne s’agit pas d’un objet législatif sérieux, ainsi que nous l’avons démontré lors de ce débat.

En outre, ce texte est rétrograde : sa véritable cible est la féminisation de la société et de la langue, c’est-à-dire l’égalité entre les femmes et les hommes.

Il contrevient ainsi à la loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, laquelle impose de prendre en compte cette égalité dans toutes les politiques publiques, notamment en matière de communication ou de légistique, soit dans l’écriture même des textes législatifs.

Nous voterons contre, parce qu’il ne revient pas aux législateurs et législatrices que nous sommes de dicter la norme linguistique ou de définir ce qu’est le bon ou le mauvais français.

Il semble même que cette proposition de loi soit inconstitutionnelle, en ce qu’elle porte atteinte au principe de libre communication des pensées et des opinions consacré par l’article XI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, lequel avait déjà conduit à une censure partielle de la loi Toubon. (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)

Mme la présidente. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour explication de vote.

M. Bruno Retailleau. Madame la présidente, madame la ministre, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, il est assez drôle de voir la gauche recourir à ses vieilles méthodes, au vocabulaire de l’excommunication. Nous voilà condamnés, non pas à la réaction, mais à bien pire encore : nous sommes assimilés à MM. Trump, Poutine ou Bolsonaro. Soit, c’est un combat…

Pour autant, à mon sens, vous vous trompez de cible.

J’apprécie que le clivage droite-gauche soit revigoré, mais pas à ce prix, car cette langue, cette écriture faussement inclusive, c’est véritablement l’écriture de l’exclusion, tant elle est imprononçable à l’oral et indéchiffrable à l’écrit.

Ce sera une écriture de l’entre-soi, de quelques-uns, favorisée dans des cercles militants, une écriture de « précieuses ridicules », aurait dit Molière.

Mme Laurence Rossignol. Si tel devait être le cas, pourquoi en faire toute une histoire ?

M. Bruno Retailleau. On nous a reproché de déposer ce texte, mais nous avons eu raison de le faire et je remercie le rapporteur et le président de la commission de leur travail.

Des circulaires existent, certes, mais elles ne sont pas appliquées, et les jurisprudences sont contradictoires. Comme législateurs, il nous revient de fixer la règle. Victor Hugo, souvent cité ce soir, disait : « Il faut faire entrer le droit dans la loi. »

Plus encore, nous avons eu raison, parce qu’ici, nous nous sentons tous Françaises et Français. Or derrière l’écriture inclusive, il y a bien plus qu’une question de syntaxe ou de vocabulaire.

Mme Laurence Rossignol. Nous y voilà !

M. Bruno Retailleau. Bien entendu !

Dans nulle autre nation, il n’existe un lien aussi étroit entre la Cité et la langue. Pourquoi, sinon, aurions-nous créé une Académie française, qui n’a d’équivalent chez aucun autre peuple, pour défendre notre langue ?

M. Mickaël Vallet. Ça existe en Belgique.

M. Bruno Retailleau. Le Président de la République a inauguré aujourd’hui la Cité internationale de la langue française à Villers-Cotterêts. Demain auront lieu les jeux Olympiques. Le français est leur langue officielle.

M. Pierre Ouzoulias. De moins en moins !

M. Bruno Retailleau. Ce lien est irréductible. La France est une patrie littéraire,…

Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Bruno Retailleau. … son âme réside dans sa littérature et dans sa langue.

Demain, nous voulons que le français soit la langue de l’universalisme, et non celle du féminisme différentialiste.

Mme la présidente. Il faut conclure !

M. Bruno Retailleau. Nous proclamons que, en France, nous devons faire preuve d’indifférence à la différence. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Annick Billon, pour explication de vote.

Mme Annick Billon. Pour conclure ce débat sur l’écriture dite inclusive, rappelons que l’évolution de la société ne saurait se résumer à cette question. On a voulu nous faire croire que cette technique permettrait de faire progresser l’égalité entre les femmes et les hommes. Ce n’est pas le cas.

Pour avancer sur ce terrain, il faut des moyens, des budgets, des lois qui soient appliquées. J’ai ainsi évoqué l’éducation à la sexualité et à la vie affective, dispensée dans moins de 10 % des établissements scolaires, alors que la loi prévoit trois séances par an et par niveau. Il faut également améliorer l’accès aux soins pour les femmes, assurer l’égalité salariale, renforcer la justice.

Nous ne nous divisons donc pas entre, d’un côté, les réactionnaires et, de l’autre, les féministes. Je suis moi-même élue depuis 2014, et je crois pouvoir affirmer que la majorité sénatoriale a porté de nombreux textes qui ont fait progresser l’égalité salariale ou la lutte contre les violences intrafamiliales. Si l’écriture inclusive suffisait à faire reculer le nombre de féminicides, nous l’aurions adoptée depuis longtemps !

La majorité sénatoriale aime la langue française, elle aime son patrimoine et elle entend les défendre. Le groupe Union Centriste votera donc cette proposition de loi et souhaite mettre un point final, et non un point médian, à ce débat. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Gatel, pour explication de vote.

Mme Françoise Gatel. Je souhaite tout d’abord indiquer que je rejoins notre collègue Mickaël Vallet sur la nécessité de lutter contre l’invasion des anglicismes ; c’est l’un des rares points sur lesquels nous convergeons. Je me trouve à ses côtés dans ce combat.

Madame Vogel, le ridicule ne tue plus depuis l’époque des Précieuses ridicules. Votre argument consistant à assimiler l’abréviation du mot « amendement » à l’écriture inclusive, en affirmant que la plupart des Français n’en comprendraient pas le sens, est quelque peu léger. Il existe de nombreux termes que des Français utilisent au quotidien et que je ne maîtrise pas, car je n’exerce pas leurs métiers. Pourtant, des symboles comme celui de l’euro, qui peuvent paraître compliqués, sont compris de tous.

Chacun a le droit de déposer les propositions de loi de son choix, il s’agit là de notre prérogative. Il est regrettable que ce débat donne lieu à des leçons de morale où l’on qualifie ses opposants de fossiles, de dinosaures, de politiquement incorrects ne comprenant rien à l’évolution de la société.

Personne ici n’a affirmé que la langue ne devait pas évoluer. Nous avons indiqué qu’elle était notre bien commun et qu’elle devait rester accessible à tous.

Je rappelle aux féministes engagées dans ce débat que la République et la démocratie que nous avons en partage s’écrivent au féminin, que les principales valeurs républicaines que sont la liberté, l’égalité et la fraternité sont aussi des valeurs féminines. Je m’en réjouis et je les partage volontiers avec nos collègues masculins ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.

Mme Cécile Cukierman. Il est sans doute difficile de faire entendre ce que je m’apprête à dire, parce que nous avons versé dans l’excès et que chacun a simplifié ses positions à outrance.

Non, la gauche n’est pas pour l’écriture inclusive. Certains militants de gauche le sont, d’autres ne le sont pas.

Je tiens donc à rétablir quelques vérités, au nom de mon seul groupe, le CRCE-K, car, ayant horreur que l’on parle pour moi, je me garde moi-même de parler pour les autres.

Un point est fondamental pour nous : la langue et le langage nous permettent de faire société. Nous devons combiner en permanence dans notre réflexion le double enjeu de l’égalité entre les femmes et les hommes et de l’égal accès au savoir et à la maîtrise du langage pour toutes et pour tous, quelles que soient nos différences liées aux conditions sociales ou territoriales.

C’est ce défi que nous devons d’abord relever ; or, en l’état, l’écriture inclusive n’y répond pas. Cela signifie-t-il que la langue française telle qu’elle est utilisée aujourd’hui est satisfaisante ? Nous n’irons pas jusque-là.

Pour autant, le français est une langue vivante et nous ne nous résignons pas à considérer qu’elle ne pourrait évoluer en rien. Cette langue devra toujours refléter la société à laquelle nous aspirons.

Je le dis en toute sincérité : le combat du féminisme pour la reconnaissance réelle des femmes dans la société vaut mieux que la lutte pour un « e » entre parenthèses.

Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote.

Mme Laurence Rossignol. Il est coutumier d’expliquer aux féministes sur quoi elles devraient se battre ou à quoi elles devraient renoncer,…

Mme Marie-Claire Carrère-Gée. C’est qui « les féministes » ?

Mme Laurence Rossignol. Ce travers est aussi vieux que le féminisme lui-même. Le problème est que le système dans lequel nous vivons et que nous essayons de bousculer pour parvenir à l’égalité est parfaitement cohérent.

Pourquoi tenons-nous tant à l’évolution de la langue ? Parce que le Président de la République affirme que nous n’avons pas besoin d’écriture inclusive, le neutre étant masculin. Or ce neutre masculin invisibilise les femmes ; c’est précisément ce contre quoi nous luttons. Le neutre masculin n’est pas perçu comme un neutre, mais bien comme un masculin.

Nous sommes tous bouleversés par les évolutions de la langue. Il y a un an, une affiche évoquait un « homme enceint ». Beaucoup de Français s’en sont émus ; moi-même, j’ai mis un certain temps à comprendre de quoi il était question.

Pour autant, en quoi l’expression « homme enceint » choquerait-elle davantage que « madame le sénateur » ? (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.) Pour moi, c’est exactement la même chose : une contradiction entre deux termes.

Rappelez-vous que, autrefois, quand il y avait très peu de femmes dans cet hémicycle, on disait « les sénateurs », en les incluant. Elles étaient invisibles. C’est parce que leur nombre a augmenté que le mot « sénatrice » s’est imposé et que le vocabulaire a évolué pour imposer la féminisation des mots. Celle-ci rend les femmes visibles quand le neutre les rend invisibles. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Mathilde Ollivier, pour explication de vote.

Mme Mathilde Ollivier. Une certitude émerge de ce débat : notre groupe ne votera pas cette proposition de loi qui tend à interdire l’écriture inclusive. Quelle surprise !

La majorité sénatoriale a fait le choix de débattre de ce sujet ce soir. Quant à nous, nous ne vous demandons pas d’adopter cette écriture, de l’utiliser, mais seulement de laisser celles et ceux qui le souhaitent le faire librement.

L’écriture inclusive répond au besoin de diverses communautés… (Exclamations sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

Mme Françoise Gatel. Voilà, c’est le mot !

Mme Pascale Gruny. C’est le communautarisme qui est dangereux !

Mme Mathilde Ollivier. … désireuses de se voir représentées à travers elle.

Il nous paraît donc important de soutenir le développement de cette écriture et l’usage du point médian. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Salmon, pour explication de vote.

M. Daniel Salmon. Mes chers collègues, vous vous fourvoyez en soutenant l’idée que le français serait immuable. La langue a toujours évolué. On peut, certes, aimer les musées et les vieilles pierres, mais même nos vieilles bâtisses, nos vieux châteaux, ont connu des transformations.

Nous assistons à une sorte de « stéphanebernisation » visant à tout figer, comme si nous avions connu un âge d’or.

Mme Françoise Gatel. Quel rapport avec Stéphane Bern ?

M. Daniel Salmon. Vous voudriez réécrire l’histoire, comme pour isoler un moment durant lequel la France aurait été parfaite, et dont il ne faudrait plus rien changer. On pourrait en sourire !

J’entends évoquer les anglicismes ; personne ne se plaint pourtant du fait que Guillaume le Conquérant ait apporté le français en Angleterre. Un tiers du vocabulaire anglais vient du français ! On réimporte le mot coach, mais il provient de « cocher ». Les exemples sont légion.

Vous entretenez une approche étriquée de cette question en vous intéressant à la domination française plus qu’au respect des langues. Vous vous opposez ainsi au point médian, mais aussi au tilde sur le prénom du petit Fañch. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.) Il s’agit simplement pour vous d’une question de suprématie.

Bruno Retailleau évoque les « précieuses ridicules », mais pourquoi associe-t-on « précieuses » et « ridicules » ? Pourquoi ces femmes, qui souhaitaient être savantes, ont-elles été ridiculisées ? Nous pourrions trouver ici même quelques précieux ridicules ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme la présidente. La parole est à M. Max Brisson, pour explication de vote.

M. Max Brisson. Je tiens à remercier Pascale Gruny et Étienne Blanc de nous avoir offert la possibilité de ce débat.

Je rappelle à Mme Rossignol que c’est Mme Gruny, alors vice-présidente,…

M. Mickaël Vallet. Vice-président, plutôt !

M. Max Brisson. … qui a fait en sorte qu’il y ait dans cette assemblée un questeur désigné parmi les sénatrices. Je l’en remercie, car cela fait litière des procès qui nous sont intentés.

Il y a longtemps que je n’avais pas été qualifié de réactionnaire et de conservateur. C’est finalement positif : cela nous rappelle que, sur certains sujets, les clivages perdurent.

Madame Rossignol, je suis désolé que vous ayez absolument cherché à ramener le débat vers la légitime lutte pour l’égalité entre les femmes et les hommes.

J’aurais aimé que l’on parle d’un autre combat nécessaire, celui de l’enseignement du français, et des classes dans lesquelles les maîtres essaient d’enseigner notre langue. Il s’agit d’un métier extrêmement difficile, dont nous n’avons absolument pas parlé ce soir. Or ceux qui, hier, militaient pour simplifier le français, parfois à l’excès, entendent aujourd’hui, par militantisme, le complexifier.

C’est en ayant à l’esprit les professeurs et les élèves que je voterai avec enthousiasme cette proposition de loi, qui, loin d’exclure, tend à rassembler !

M. Pierre Ouzoulias. Il y a déjà une circulaire.

M. Max Brisson. Si être réactionnaire, c’est rassembler et unir, alors laissons les progressistes dans le camp de la division ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Cédric Vial, rapporteur. Je souhaite à mon tour remercier nos collègues Pascale Gruny et Étienne Blanc de leurs initiatives. Comme l’a rappelé Max Brisson, ce débat important, qui a suscité des passions, était nécessaire pour notre société.

Je remercie également le président de la commission de la culture, Laurent Lafon, pour la confiance qu’il m’a accordée en me confiant ce travail de fusion des deux textes, que j’ai mené avec grand plaisir.

Je tiens aussi à saluer les interventions nuancées de certains collègues de tous bords, notamment MM. Pierre Ouzoulias et Mickaël Vallet. Je partage une grande partie de leurs propos visant à élargir le débat et il me semble que nous devrions poursuivre ces échanges en commission, avec Mme la ministre.

Après ce débat, je suis plus que jamais convaincu que nous avons fait œuvre utile avec ce texte. Mes chers collègues, vous avez démontré, s’il en était besoin, que vous étiez dans une logique militante, de combat.

Mme Laurence Rossignol. Nous n’aurions pas été élus si nous n’avions pas été militants !

M. Cédric Vial, rapporteur. Cependant, la langue n’est pas une opinion, elle est ce qui permet de les exprimer ; elle garantit la liberté d’expression, un principe constitutionnel ; elle est un outil universel, qui doit nous rassembler.

Dès lors que certains usages permettent de classer les uns et les autres dans des camps différents, que la langue n’est plus neutre et qu’elle sape la neutralité des agents publics, un problème philosophique se pose, qui n’a rien à voir avec la féminisation, et nous avons besoin de le régler.

M. Max Brisson. Très bien !

M. Cédric Vial, rapporteur. Vous êtes dans une logique combattante, et vous nous placez dans le camp des combattus. (Mme Mathilde Ollivier rit.) Nous nous battrons pour préserver notre langue comme un langage universel.

Nous formons le vœu, madame la ministre, après les ouvertures du Président de la République, que le texte qui sera voté par la majorité sénatoriale poursuivra son chemin avec le soutien du Gouvernement, afin de répondre à l’attente légitime de la majorité des Français. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?…

Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble de la proposition de loi dont la commission a ainsi rédigé l’intitulé : proposition de loi visant à protéger la langue française des dérives de l’écriture dite inclusive.

J’ai été saisie de deux demandes de scrutin public émanant, l’une, du groupe Les Républicains et, l’autre, du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 20 :

Nombre de votants 325
Nombre de suffrages exprimés 303
Pour l’adoption 221
Contre 82

Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à protéger la langue française des dérives de l'écriture dite inclusive
 

8

Ordre du jour

Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, mardi 31 octobre 2023 :

À neuf heures trente :

Questions orales.

De quatorze heures trente à dix-huit heures trente :

(Ordre du jour réservé au groupe CRCE-K)

Proposition de loi portant amnistie des faits commis à l’occasion de mouvements sociaux et d’activités syndicales et revendicatives, présentée par Mmes Cathy Apourceau-Poly, Éliane Assassi, Laurence Cohen et plusieurs de leurs collègues (texte n° 926, 2022-2023) ;

Proposition de loi constitutionnelle visant à abroger l’article 40 de la Constitution, présentée par Mme Éliane Assassi, MM. Éric Bocquet, Pascal Savoldelli et plusieurs de leurs collègues (texte n° 732, 2022-2023).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt-trois heures cinquante-cinq.)

nomination de membres dune commission mixte paritaire

La liste des candidats désignés par la commission des affaires économiques pour faire partie de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi portant mesures durgence pour lutter contre linflation concernant les produits de grande consommation a été publiée conformément à larticle 8 quater du règlement.

Aucune opposition ne sétant manifestée dans le délai dune heure prévu par larticle 8 quater du règlement, cette liste est ratifiée. Les représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire sont :

Titulaires : Mmes Dominique Estrosi Sassone, Anne-Catherine Loisier, Anne Chain-Larché, MM. Olivier Rietmann, Franck Montaugé, Christian Redon-Sarrazy et Frédéric Buval ;

Suppléants : M. Pierre Cuypers, Mme Martine Berthet, MM. Franck Menonville, Jean-Jacques Michau, Mme Marianne Margaté, M. Vincent Louault et Mme Antoinette Guhl.

Pour le Directeur des comptes rendus du Sénat,

le Chef de publication

FRANÇOIS WICKER