Mme Monique de Marco. L’article 11 vise à préciser le régime des services d’intérêt général qui entrera en application à partir de 2024. On peut considérer que le SIG est à l’audiovisuel ce que le label d’information politique et générale (IPG) est à la presse. Il s’agit de distinguer des contenus de produits qui, en raison de leur objet d’intérêt général, font l’objet d’une mise en avant particulière.
L’article 11 vise à étendre les SIG au-delà des programmes de l’audiovisuel public. Pour autant, la qualification de SIG implique, à mon sens, une certaine exemplarité dès lors qu’elle confère une visibilité particulière.
Il serait difficilement compréhensible qu’une société dont les programmes portent atteinte, par exemple, aux droits de la personne relatifs à la vie privée, à son image ou à son honneur, et à sa réputation, puisse bénéficier d’une telle mise en avant.
C’est la raison pour laquelle cet amendement vise à retirer immédiatement la qualification de SIG aux sociétés privées ayant fait l’objet d’une mise en demeure ou de sanctions de la part de l’Arcom.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur. Il n’apparaît pas souhaitable de conditionner la qualification de SIG à l’absence de mise en demeure ou de sanction par l’Arcom, d’autant plus qu’aucune précision n’est donnée quant à la gravité des faits qui pourraient entraîner cette « double peine ».
On peut, par ailleurs, rappeler que même France Télévisions fait l’objet de mises en demeure de la part du régulateur. Par une décision du 11 avril 2018, le Conseil supérieur de l’audiovisuel, estimant que le contenu d’un reportage traduisait un défaut de mesure dans l’évocation d’une procédure judiciaire criminelle en cours, avait ainsi mis en demeure la société France Télévisions de respecter à l’avenir son cahier des charges.
Cet amendement aurait donc pour conséquence de créer une nouvelle asymétrie entre les chaînes publiques et privées. La commission a émis un avis défavorable.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Rima Abdul-Malak, ministre. Je précise, une fois de plus, que je ne suis globalement pas favorable à cette proposition de loi. Mais, puisqu’il s’agit d’amendements d’appel permettant d’avoir un débat de fond sur des enjeux importants, je prends la peine d’y répondre.
La manière dont est rédigé votre amendement, madame de Marco, pose quand même question puisque vous ne ciblez que le service audiovisuel privé alors que le service public peut aussi faire l’objet de mises en demeure ou de sanctions. C’est par ailleurs dès la première mise en demeure ou sanction de l’Arcom que vous voulez retirer la qualification de service d’intérêt général. Une telle disposition me semble assez disproportionnée. La loi prévoit en effet une gradation dans les interventions de l’Arcom.
Pour toutes ces raisons, j’émets également un avis défavorable.
Mme le président. La parole est à Mme Monique de Marco, pour explication de vote.
Mme Monique de Marco. Je comprends les réserves de Mme la ministre. Cet amendement va un peu loin, mais c’est néanmoins une piste qui mériterait d’être d’explorée. On ne peut pas attribuer des SIG à vie, et il faut bien trouver un moyen de restreindre cette qualification si certains services contreviennent aux obligations qui en découlent.
Certes, cet amendement est un peu « raide », mais il permet d’ouvrir le débat sur l’article 11 et les SIG. Je veux bien qu’il soit éventuellement sous-amendé pour l’adoucir.
Mme le président. L’amendement n° 50, présenté par M. Assouline, Mme S. Robert, MM. Kanner, Antiste, Chantrel, Lozach et Magner, Mme Monier, M. Stanzione, Mme Van Heghe et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l’article 11
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après le douzième alinéa de l’article 28 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« …°La part minimale d’investissement consacrée à l’information ; ».
La parole est à M. David Assouline.
M. David Assouline. Avant toute chose, puisqu’une prise de parole sur l’article n’est pas ici possible, je voudrais faire savoir que mon amendement n° 51 portant également article additionnel après l’article 11 a été déclaré irrecevable au titre de l’article 45 de la Constitution. Une telle décision est totalement injustifiée.
M. Roger Karoutchi. J’en étais sûr…
M. David Assouline. Puisqu’il ne m’est pas possible d’en parler à ce moment du débat, je trouverai le moyen de l’évoquer ultérieurement dans l’hémicycle.
M. Laurent Burgoa. On n’en doute pas ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. David Assouline. L’amendement n° 50 vise à reprendre une proposition adoptée à l’unanimité de ses membres par la commission d’enquête sur la concentration des médias en France.
Compte tenu de l’importance de l’information et du travail des rédactions, notamment dans l’audiovisuel, qui demeure, en dépit de la montée en puissance du numérique, un vecteur extrêmement puissant de diffusion, il avait semblé essentiel que figure aussi parmi les différentes obligations légales pour l’audiovisuel public un engagement concernant l’information.
La loi de 1986, à son article 28, fait déjà obligation de faire figurer dans les conventions certains engagements chiffrés de programmation. Il en est ainsi de la proportion substantielle d’œuvres musicales françaises ou interprétées en langues régionales, de la part des ressources consacrées à l’acquisition de droits de diffusion de films d’expression originale française, des proportions de programmes accessibles aux personnes sourdes ou malentendantes, etc.
En revanche, il n’existe aucune obligation légale sur la proportion d’investissements dans l’information. Or l’information est pour le service public quelque chose de fondamental. Dans le monde actuel, cet enjeu ne doit pas être affaibli et là doit être la tâche première du service public.
Mme le président. Veuillez conclure, cher collègue…
M. David Assouline. Je propose donc qu’il y ait une part minimale d’investissement consacrée à l’information.
Mme le président. Il faut conclure, cher collègue !
M. David Assouline. Je n’ai dépassé mon temps de parole que de cinq secondes, madame la présidente !
Mme le président. Monsieur Assouline, vous disposez de deux minutes pour présenter un amendement. Deux minutes, ce n’est pas deux minutes dix ni deux minutes trente. Quand la présidence de séance dit stop, c’est stop, d’autant que, lorsque vous présidiez les débats, vous étiez vous-même strict sur le respect des temps de parole ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Laurent Burgoa. Très bien !
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur. L’avis de la commission devrait adoucir les mœurs, puisqu’il sera favorable. (Sourires.)
La proposition consistant à obliger les chaînes d’information à investir à un niveau minimal dans l’information a été faite par le président Laurent Lafon lors des travaux de la commission d’enquête sur la concentration dans les médias. Elle a été une des rares à faire l’unanimité et à retenir l’attention de l’Arcom.
L’information constitue un point fort des chaînes par rapport aux plateformes.
M. Max Brisson. C’est vrai !
M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur. Il apparaît donc légitime de renforcer cet avantage comparatif dans les conventions négociées avec le régulateur.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Rima Abdul-Malak, ministre. Je comprends ce débat, mais il soulève deux difficultés.
D’une part, on imagine difficilement contraindre une chaîne musicale, par exemple, à investir dans des programmes d’information. Il faudrait donc se limiter aux seuls éditeurs qui diffusent effectivement de l’information, mais à quel degré ?
D’autre part, comment mettre en œuvre cette mesure ? Quelles dépenses doivent-elles être comptées comme des dépenses d’information ? Ce n’est pas si évident.
J’émets donc un avis de sagesse sur ce sujet complexe.
Mme le président. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.
M. David Assouline. Les minima seront bien sûr définis en fonction du média. Effectivement, une chaîne musicale n’aura pas les mêmes contraintes qu’une autre chaîne. C’est une réflexion qu’il faudra bien évidemment construire.
Madame la présidente, quand je présidais les débats, je coupais l’orateur à deux minutes et dix secondes lorsque la chute ne venait pas. Vous m’avez interrompu brutalement à deux minutes et trois secondes alors que je finissais ma phrase. À chacun sa conception… Vous avez parfaitement le droit de couper le micro à deux minutes pile, mais alors faites-le pour tout le monde ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
Mme le président. C’est bien ce que je fais !
M. David Assouline. Non, ce n’est pas ce que vous faites. (Les protestations redoublent sur les mêmes travées.) Le concert qui vous accompagne et vous soutient ne m’impressionne pas du tout. Vous avez rempli votre rôle, je ne le remets pas en question. Il me reste encore cinquante-trois secondes de temps de parole, je pourrais continuer, mais je m’arrête là.
M. François Bonhomme. Encore faut-il avoir des choses à dire…
Mme le président. Chacun sait comment je préside, monsieur Assouline, je ne privilégie personne : ni à droite ni à gauche ! Je ne reviendrai pas là-dessus.
Je mets aux voix l’amendement n° 50.
(L’amendement est adopté.)
Mme le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l’article 11.
Article 11 bis (nouveau)
I. – Le dernier alinéa de l’article 30-1-1 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 précitée est ainsi modifié :
1° Le mot : « trois » est remplacé par le mot : « cinq » ;
2° Le mot : « cinq » est remplacé par le mot : « sept ».
II. – L’avant-dernier alinéa de l’article 25 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 précitée est ainsi rédigé :
« Elle peut également, en vue d’assurer la gestion optimale des fréquences radioélectriques ou de favoriser la modernisation de la diffusion des services de télévision par voie hertzienne terrestre, modifier les autorisations et les assignations délivrées en application des articles 30-1 et 30-2. Elle peut organiser le regroupement des éditeurs de services sur une ou plusieurs ressources radioélectriques. »
Mme le président. L’amendement n° 71, présenté par M. Assouline, Mme S. Robert, MM. Kanner, Antiste, Chantrel, Lozach et Magner, Mme Monier, M. Stanzione, Mme Van Heghe et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. David Assouline.
M. David Assouline. Cet article 11 bis a été introduit lors de l’examen du texte en commission, sur proposition de notre collègue Catherine Morin-Desailly.
Il ne nous semble pas opportun de prévoir un allongement des délais d’autorisation en vue de l’arrivée des services en ultra haute définition (UHD) lors des renouvellements d’autorisation des chaînes TNT payantes en 2025.
Je m’interroge sur le bien-fondé de ce dispositif. En tout état de cause, je ne suis pour l’instant pas convaincu. C’est la raison pour laquelle je présente cet amendement de suppression.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur. La loi du 25 octobre 2021 relative à la régulation et à la protection de l’accès aux œuvres culturelles à l’ère numérique a prévu les conditions de l’expérimentation de l’UHD en permettant à l’Arcom de réorganiser les multiplex afin, par exemple, de permettre la création d’une chaîne UHD consacrée aux jeux Olympiques de 2024.
Cette disposition ne prenait pas en compte la probabilité de l’arrêt des chaînes payantes de la TNT en 2025. Or il est d’intérêt public d’innover afin d’assurer l’avenir de la TNT. L’UHD est appelée à jouer un rôle essentiel pour ce faire.
J’émets donc un avis défavorable.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Rima Abdul-Malak, ministre. J’ai indiqué hier que nous étions favorables à l’ultra haute définition. C’est une étape nouvelle dans la modernisation de la TNT. Je rejoins donc l’avis de M. le rapporteur.
Mme le président. Je mets aux voix l’article 11 bis.
(L’article 11 bis est adopté.)
Après l’article 11 bis
Mme le président. L’amendement n° 24 rectifié bis, présenté par Mme Morin-Desailly, MM. Lafon et Henno, Mme Guidez, M. Levi, Mme Gatel, MM. J.M. Arnaud, Duffourg et Chauvet, Mme Saint-Pé, MM. Hingray et Capo-Canellas, Mmes Herzog, Billon et Devésa, MM. Détraigne et Longeot et Mme de La Provôté, est ainsi libellé :
Après l’article 11 bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le premier alinéa du I de l’article 34-2 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication est complété par une phrase ainsi rédigée : « Les dispositions du présent alinéa ne sont pas applicables lorsque ces services sont distribués par contournement. »
La parole est à M. Pierre-Antoine Levi.
M. Pierre-Antoine Levi. Cet article vise à exclure les services distribués par contournement, qu’ils proviennent de distributeurs over the top (OTT) ou d’opérateurs de réseaux de communication électronique.
L’obligation de must carry applicable aujourd’hui à ce mode de distribution n’apporte pas de couverture supplémentaire du territoire. Les services distribués par contournement le sont grâce au fait que le distributeur emprunte les réseaux existants, qu’ils soient ou non les siens, pour commercialiser ses offres de service.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur. Cette disposition avait été examinée en commission dans le cadre d’un amendement de Catherine Morin-Desailly de portée plus large, qui n’avait pu être adopté.
Cette nouvelle rédaction devrait permettre à France Télévisions de mieux maîtriser la reprise de son signal par les plateformes. Avis favorable.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Rima Abdul-Malak, ministre. La notion de distribution par contournement, particulièrement complexe, n’est définie nulle part. On ne peut pas exclure par principe que certains de nos compatriotes ne soient pas dépendants des distributeurs OTT pour recevoir l’offre groupée des chaînes de la TNT, en particulier des programmes de service public. Cet amendement les en priverait. À ce stade, j’en demande le retrait.
Mme le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l’article 11 bis.
Article 12
L’article 42-3 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 précitée est ainsi modifié :
1° La seconde phrase du premier alinéa est ainsi modifiée :
a) Le mot : « cinq » est remplacé par le mot : « deux » ;
b) (nouveau) Sont ajoutés les mots : « ou si l’Autorité estime que cette modification de contrôle ne porte pas atteinte à l’impératif fondamental de pluralisme et à l’intérêt du public et qu’elle n’a pas un objectif manifestement spéculatif » ;
2° (nouveau) À la première phrase du quatrième alinéa, après le mot : « agrément », sont insérés les mots : « à une modification, substantielle ou non, de l’autorisation, ne remettant pas en cause l’orientation générale du service, lorsqu’elle est justifiée par un motif d’intérêt général et ».
Mme le président. Je suis saisie de trois amendements identiques.
L’amendement n° 21 est présenté par M. Assouline, Mme S. Robert, MM. Kanner, Antiste, Chantrel, Lozach et Magner, Mme Monier, M. Stanzione, Mme Van Heghe et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
L’amendement n° 74 est présenté par M. Bargeton.
L’amendement n° 95 est présenté par Mme de Marco, MM. Dossus, Benarroche, Breuiller, Dantec, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. David Assouline, pour présenter l’amendement n° 21.
M. David Assouline. Je l’ai dit en commission, c’est l’un des articles qui m’ont le plus déçu dans cette proposition de loi.
Le Sénat, dans l’histoire des débats sur l’audiovisuel public, s’est parfois distingué en votant des avancées, y compris grâce à des consensus transpartisans.
C’est ainsi que nous avions discuté de la pratique des reventes spéculatives de fréquence consistant à obtenir une fréquence avec un projet, à la faire fructifier, à la revendre beaucoup plus cher et à réaliser une plus-value importante. Pour éviter ces reventes spéculatives, nous avions décidé de passer à cinq ans le délai de revente fixé à l’époque à deux ans et demi. J’avais proposé un amendement, soutenu par Catherine Morin-Desailly. Nous avions mené ce combat ensemble et nous avons réussi.
Or, maintenant, vous souhaitez réduire à deux ans la période minimale durant laquelle un titulaire d’autorisation d’émettre en TNT ne peut revendre le service pour lequel l’autorisation lui a été attribuée par l’Arcom. Vous revenez donc sur une mesure unanimement considérée comme une avancée du Sénat.
Encore une fois, je ne comprends pas. Tout cela n’a rien à voir avec la défense du service public et de la holding, qui est pourtant l’objectif affiché de cette loi. Voilà encore un cadeau manifeste en faveur du privé. Les facultés sont multiples – je ne les développerai pas ici – puisqu’il n’y a plus aucune règle pour encadrer et réduire les possibilités de reventes spéculatives. Recevoir une chaîne de la TNT, c’est un privilège qui implique des devoirs : ce n’est pas pour faire du pognon !
Mme le président. La parole est à M. Julien Bargeton, pour présenter l’amendement n° 74.
M. Julien Bargeton. Les fréquences audiovisuelles appartiennent au domaine public de l’État. Les éditeurs de services n’en sont pas propriétaires et ne peuvent les céder. Contrairement au secteur des télécoms, l’usage de ces fréquences de diffusion est accordé à titre gratuit. Il s’agit là d’un élément de principe important.
Dès lors, il n’est pas concevable que les opérateurs qui sont titulaires de telles fréquences puissent en tirer profit en cas de vente d’une chaîne de télévision.
C’est la raison pour laquelle le législateur a souhaité lutter contre la spéculation liée à la « revente de fréquences » en prohibant, notamment, la cession d’une chaîne de télévision dans les cinq premières années de son autorisation par l’Arcom.
Je n’évoquerai pas l’affaire ayant défrayé la chronique et impliquant une personnalité assez célèbre, qui avait valu cet encadrement voulu notamment par le Sénat.
En atténuant substantiellement la portée d’une telle prohibition, l’assouplissement prévu à l’article 12 de la proposition de loi remet en cause cet objectif d’intérêt général. (Mme Sylvie Robert et M. David Assouline acquiescent.) Je le dis avec d’autant plus de gravité que les autorisations de nombreuses chaînes arrivent à échéance en 2025 et que l’Arcom devra en délivrer de nouvelles à cette date.
M. David Assouline. Bien sûr !
M. Julien Bargeton. C’est donc non seulement tout à fait contestable sur le fond, mais aussi particulièrement peu opportun au regard de la période qui s’ouvre.
C’est pourquoi je vous invite collectivement à supprimer cet article 12.
Mme le président. La parole est à Mme Monique de Marco, pour présenter l’amendement n° 95.
Mme Monique de Marco. J’irai dans le même sens que mes collègues. Cet article 12 m’amène à m’interroger : que fait-il dans cette proposition de loi relative à la réforme de l’audiovisuel public et à la souveraineté audiovisuelle ?
À mon sens, il n’a qu’un seul objectif : adapter la loi à des situations particulières et permettre d’accélérer, par exemple, le calendrier de vente de M6, voire sa fusion avec TF1. Ce genre de disposition affaiblit la valeur de la loi et la confiance des citoyens dans le législateur.
Bien sûr, nous nous y opposons et nous souhaitons supprimer cet article 12.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur. L’adoption de ces amendements de suppression aurait pour conséquence de « vitrifier » le secteur des médias privés jusqu’en 2032 en rendant impossible toute évolution du contrôle du capital des chaînes.
Une telle disposition aurait aussi pour effet d’interdire à de nouveaux investisseurs de long terme de pouvoir concourir au développement des médias français au moment où ces derniers doivent engager des investissements considérables pour relever les défis du numérique.
La commission a donc émis un avis défavorable.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Rima Abdul-Malak, ministre. Depuis les premières opérations de revente des chaînes de la TNT en 2011, le Gouvernement et le Parlement, significativement la Haute Assemblée, n’ont eu de cesse de lutter contre ce type d’opérations.
L’Arcom doit délivrer quatorze nouvelles autorisations de TNT en 2025. Indiquer aux nouveaux opérateurs qu’ils pourront revendre presque immédiatement leurs chaînes après leur autorisation serait quand même un très mauvais signal pour la TNT.
Je suis donc favorable à ces trois amendements de suppression.
Mme le président. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.
M. David Assouline. Pour ajouter aux arguments et entrer dans le concret de ce qui pourrait se produire, je veux indiquer que le patron de Canal+, interrogé lors d’une audition, m’a répondu qu’au moment du renouvellement il pourrait se séparer de chaînes de la TNT. Et s’il le faisait juste après avoir obtenu l’autorisation, puisqu’il ne serait plus tenu d’attendre cinq ans ?
Est-ce que vous imaginez la spéculation à laquelle cela pourrait donner lieu ? Est-ce que vous imaginez ce que cela impliquerait concrètement ? Je n’accuse évidemment pas le rapporteur d’avoir eu ce cas en tête – il ne s’agit d’ailleurs pas d’un cas d’école.
En tout état de cause, il n’y a pas de « vitrification » jusqu’en 2032 – j’ignore pourquoi vous avez mentionné cette date, monsieur le rapporteur. Vous souhaitez ramener le délai, qui est aujourd’hui de cinq ans, à seulement deux ans, c’est-à-dire quasiment à rien.
J’estime au contraire qu’une autorisation engage son titulaire, et qu’un délai de cinq ans est nécessaire pour la faire fructifier.
Alors qu’ils ont soutenu, à l’époque, cette exigence de base qui n’est ni de droite ni de gauche, mes collègues des groupes Les Républicains et Union Centriste s’apprêtent à défaire – peut-être est-ce par manque de mémoire ? – ce que cette assemblée a fait, sans qu’aucun changement de situation le justifie. Au contraire, le monde des médias est aujourd’hui beaucoup plus sauvage qu’avant.
Mme le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Permettez-moi, mes chers collègues, de rappeler quelques éléments de contexte pour resituer ce débat. Celui-ci, du reste, illustre bien nos divergences quant aux asymétries de concurrence qu’emporte notre législation et à l’affaiblissement des acteurs qui peut en résulter.
M. le sénateur Bargeton soulignait l’origine de la disposition que cet article modifie : si celle-ci se justifiait lors de son instauration pour remédier au phénomène de spéculation qui était observé – je l’ai évoqué avec Catherine Morin-Desailly –, depuis lors, le contexte a changé.
M. David Assouline. Non !
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. Si ! La situation financière des chaînes est telle qu’elles ne sont plus dans une perspective d’eldorado financier. Malheureusement, les acteurs qui investissent aujourd’hui ne peuvent plus espérer dégager une plus-value importante dans quelques mois ou quelques années.
Il y a quelques mois, lorsque M6 a essayé de vendre de manière quelque peu précipitée pour contourner cette règle, ce sont non pas des spéculateurs, mais des groupes de médias qui se sont portés acquéreurs.
Si d’autres chaînes sont en situation d’être cédées, l’exemple de M6 est significatif, car la règle s’applique, non pas au groupe, mais chaîne par chaîne : si nous ne modifions pas celle-ci, M6 ne pourra pas être vendue avant 2032. Pourquoi maintenir un propriétaire dans l’obligation de détenir une chaîne jusqu’à cette date, alors que l’on sait qu’il souhaite vendre ? Quelle est la justification économique d’une telle disposition ?
Le président de l’Arcom, Roch-Olivier Maistre, auditionné par M. le rapporteur, nous a pour sa part demandé d’aller plus loin, en supprimant complètement la règle et en réformant le système de taxation des plus-values.
Mme le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 21, 74 et 95.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Mme le président. L’amendement n° 80, présenté par M. Bargeton, est ainsi libellé :
Après l’article 12
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l’article 95 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, il est inséré un article 95-… ainsi rédigé :
« Art. 95-…. I. – Les services de communication audiovisuelle, les services de média audiovisuels à la demande et les services de partage de plateforme de contenus vidéo et/ou audio qui font appel à la publicité pour se financer ainsi que les annonceurs et agences média qui négocient et achètent des espaces publicitaires doivent, lorsqu’ils utilisent, de manière directe ou indirecte, des données d’audiences comparées entre services, recourir à des mesures d’audience réalisées par un ou des tiers qui, cumulativement :
« - ne fournissent eux-mêmes aucun service de communication audiovisuelle, de média audiovisuel à la demande ou de partage de plateformes de contenus vidéo et/ou audio ;
« - ne sont pas eux-mêmes des acheteurs réguliers et significatifs de publicité, pour leur compte ou le compte de tiers ;
« - assurent une concertation large des différents utilisateurs des mesures d’audience pour les élaborer ou les faire évoluer ;
« - assurent une transparence sur les méthodes employées et les soumettent régulièrement à des audits d’experts indépendants dont les conclusions principales sont rendues publiques.
« L’autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique vérifie que les tiers qui réalisent les mesures d’audience respectent les principes du présent article. Les conditions et modalités de ce contrôle sont définies par décret. »
La parole est à M. Julien Bargeton.