M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Marc Fesneau, ministre. Monsieur le sénateur Salmon, tout d’abord, je m’inquiète un peu, car vous vous faites, à travers cette motion, le gardien vigilant de l’agenda gouvernemental. Vous vous érigez en effet en défenseur du travail gouvernemental. Je le prends comme un moment de grâce, même si je ne suis pas sûr que cela dure. D’ailleurs, la suite de votre propos m’a prouvé que cela ne pouvait pas durer ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mais vous avez raison de saluer la façon dont la concertation a été menée pour faire en sorte que nous ayons, avec les professionnels, les collectivités et les responsables agricoles un dialogue qui me paraît fructueux.
Ensuite, vous remettez en cause – de manière un peu paradoxale, mais on peut être à contre-emploi – le fait que nous ayons ouvert un questionnaire. Je vous indique qu’il y a eu 40 000 réponses. Je n’ai d’ailleurs pas prétendu qu’il s’agissait d’un dispositif de participation citoyenne. Même si j’ai été ministre délégué chargé des relations avec le Parlement et de la participation citoyenne, je n’ai jamais prétendu qu’il s’agissait en l’occurrence d’un exercice de participation citoyenne. J’avais simplement besoin, à travers ce questionnaire, dans un dialogue direct, de sentir un certain nombre de choses, sans prétendre que cela avait une vocation académique. Cela n’empêche pas d’ailleurs que nous travaillons aussi avec les jeunes sur cette question.
Vous avez mille fois raison de dire que la définition de la politique agricole constitue une décision structurante pour notre société. C’est d’ailleurs là-dessus que nous travaillons. Pour autant, cela doit-il empêcher le Sénat de se saisir d’un certain nombre de sujets ? Je ne le crois pas.
Par définition, une loi d’orientation a vocation à embrasser un champ plus large que celui de la compétitivité, qui est le fil rouge de la présente proposition de loi. La mention dans le texte d’une urgence sur un horizon de cinq ans n’est pas incompatible avec la volonté qui est la nôtre de nous projeter sur une période de trente ans ou quarante ans.
En outre, et je tenais à le souligner, il n’y a pas, d’un côté, les défenseurs de l’environnement et de la santé et, de l’autre, les défenseurs de je ne sais quels intérêts. Nous sommes tous défenseurs de l’intérêt général. Il y a sur toutes ces travées, ministre de l’agriculture compris, des gens qui pensent à l’intérêt général ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP. – Mme Nathalie Delattre applaudit également.) Ils ont, eux aussi, des familles, des amis, des préoccupations et des inquiétudes concernant l’environnement. Ne nous drapons pas dans des postures, les uns contre les autres. Dans ce genre de débat, je trouve que cela est, au fond, à la fois caricatural et assez désagréable. Nous aussi, nous défendons à la fois l’agriculture et la nécessité des transitions. C’est en tout cas ce que j’essaie de faire et ce que je crois que vous essayez tous de faire.
On est toujours pris en contradiction avec soi-même. Je vais vous donner un exemple. Vous avez été de ceux qui ont demandé de remettre en cause l’avis de l’Anses sur la grippe aviaire. Vous disiez qu’il n’était pas normal d’imposer ainsi des mesures de confinement beaucoup trop lourdes – alors que c’était la demande de l’Anses – et vous demandiez, dans une logique économique, en lien avec un certain nombre de gens et de syndicats, la sortie du confinement pour les élevages dits autarciques. Cela ne vous posait pas de problèmes ! Ce n’était pas une question !
Il était normal que vous vous interrogiez ainsi sur les difficultés que cette mesure contre la grippe aviaire pouvait entraîner d’un point de vue économique. Mais quand une telle question est soulevée par vous, dans ce sens, elle ne vous pose pas de difficultés. Or je pense que nous parlons ici du même sujet.
Personne ne remet en cause les prérogatives de l’Anses, pas plus ici qu’ailleurs. En revanche, tout le monde peut se dire, comme l’a très bien dit Mme la rapporteure, qu’un équilibre est à trouver, sur certains sujets, entre la dimension économique et les nécessités et contingences environnementales et de santé publique. Or c’est ce que vous nous aviez demandé, par exemple, sur la grippe aviaire.
La phosphine est un sujet que je connais bien pour en avoir débattu publiquement. Nous nous trouvons tout de même dans une situation où des personnes, de l’autre côté de la Méditerranée, attendent nos céréales pour se nourrir. Ce ne sont pas de petits sujets, monsieur Salmon ! (M. Daniel Salmon proteste.)
Il ne suffit pas de claquer des doigts et de dire qu’il faut interdire ces produits, sans se soucier de ce qui arrive à des populations qui sont soumises à une contrainte de sécurité alimentaire et qui réclament. Donner des leçons me paraît un peu risqué (Mme le rapporteur acquiesce.). Croiser les bras tout en regardant les gens manquer d’alimentation, c’est ce que vous proposez, et que je ne proposerai jamais, car le problème de la sécurité alimentaire est devant nous.
Par ailleurs, et au risque de me mettre à dos l’ensemble du Sénat, je voudrais aussi évoquer les accords de libre-échange. Voilà vingt-cinq ans que l’on se félicitait de voir que la France exportait, sur tous les registres. Il ne faut pas avoir peur de l’exportation, l’important est d’être compétitif.
Vous parlez d’accords qui n’existent même pas encore, comme celui avec le Mercosur. Or la compétition ne se noue pas avec des pays extérieurs à l’Union européenne. La perte de compétitivité française date de vingt-cinq ans ou trente ans, et elle s’est faite par rapport à nos voisins européens, par exemple sur les fruits et légumes ou sur la viande bovine.
N’allons donc pas chercher des boucs émissaires à l’extérieur de l’Union européenne ou désigner les accords de libre-échange comme la cause de tous nos maux.
Je souhaite mentionner deux éléments complémentaires. Je ne pense pas vous apprendre grand-chose, mais je crois que l’agriculture biologique aussi aura besoin d’eau.
M. Laurent Duplomb. Toutes les agricultures ont besoin d’eau !
M. Marc Fesneau, ministre. Caricaturer les agricultures en pensant qu’aucun maraîcher bio n’a manqué d’eau en 2022,…
M. Daniel Salmon. Je n’ai jamais dit cela !
M. Joël Labbé. Et ça, ce n’est pas caricatural ?
M. Marc Fesneau, ministre. Nous aurons besoin d’eau. Ne caricaturons pas l’accès à l’eau et le besoin en eau, parce que nous avons envie de voir évoluer l’agriculture. Le maraîcher a besoin d’eau. Nous avons donc besoin de nous poser tranquillement la question de l’accès à l’eau.
Et l’interdiction ne produit pas la solution. Je l’ai vécu de façon un peu compliquée – lorsque vous êtes ministre, vous n’aimez pas avoir à affronter ce type de situation – s’agissant des néonicotinoïdes. J’ai entendu des gens, y compris parmi vos amis politiques, dire sur tous les plateaux de télévision qu’ils avaient une solution. Résultat des courses : j’espère que l’épisode de jaunisse ne viendra pas totalement mettre à mal la filière betterave.
M. François Bonhomme. Il faut le dire à Mme Pompili !
M. Marc Fesneau, ministre. Ce n’est pas parce que l’on ânonne qu’il existe des solutions qu’il en existe vraiment. Ce n’est pas parce que l’on pose une interdiction qu’il y a des solutions.
Nous avons besoin de nous mettre dans la transition, car, le jour où nous n’aurons plus de betterave ni de sucre en France, savons-nous où nous irons les chercher ? Dans l’accord avec le Mercosur, sur lequel vous tapez tant. Ce n’est pas très cohérent. Or nous avons besoin, collectivement, de cohérence. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Tissot, pour explication de vote.
M. Jean-Claude Tissot. La soirée sera longue, monsieur le ministre !
M. Jean-Claude Tissot. Moi non plus, mais je vous trouve bien vif après seulement dix minutes de débat. Les rôles sont distribués, et le débat va être intéressant.
En cohérence avec le propos que j’ai tenu en commission, et avec celui que je vais tenir tout à l’heure dans le cadre de la discussion générale, nous voterons cette motion tendant à opposer la question préalable. (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.) Nous partageons pleinement les remarques de notre collègue Daniel Salmon. Cette proposition de loi, qui réécrit allégrement notre politique agricole, ne respecte pas, à notre sens, la concertation effectuée dans le cadre de la loi d’orientation et d’avenir agricoles.
De nombreuses mesures du texte auront des conséquences importantes, que ce soit sur les pratiques agricoles, le droit du travail ou l’environnement. Elles auraient mérité, au minimum, une concertation plus large et une association des autres commissions sénatoriales ; je pense notamment à la commission des affaires sociales et à la commission des finances.
Soulignons également les nombreuses incompatibilités du texte avec le droit européen, pourtant souvent brandi – là aussi, nous sommes dans la caricature – comme argument par la majorité sénatoriale pour défaire les textes de l’opposition, qui sont parfaitement listés dans l’exposé des motifs de cette motion tendant à opposer la question préalable.
La présente proposition de loi va donc à contresens, à notre avis, autant dans sa forme que sur le fond. C’est pourquoi cette motion tendant à opposer la question préalable nous paraît pleinement justifiée, et nous la soutiendrons. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 10, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet de la proposition de loi.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 283 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 338 |
Pour l’adoption | 86 |
Contre | 252 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Discussion générale (suite)
M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Jean-Claude Requier. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – MM. Franck Menonville et Pierre Louault applaudissent également.)
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’interviens ici en lieu et place de mon collègue Henri Cabanel qui a été victime d’un accident de tracteur et ne peut donc pas être présent. L’agriculture est un métier nécessaire, utile, mais aussi dangereux. Nous lui souhaitons un bon rétablissement. J’espère qu’il sera là mardi prochain pour les explications de vote et le vote sur l’ensemble.
Notre modèle agricole arrive à bout de souffle. Ce constat aussi simple que préoccupant doit nous pousser à rechercher et explorer les solutions les plus à même d’inverser la courbe de son déclin, quelles que soient nos convictions.
Nous devons penser l’agriculture de demain autrement qu’à travers le prisme de la critique stérile. Il nous faut réfléchir aux enjeux que sont l’orientation, la transmission, l’installation, la modernisation et la dynamisation de la ferme France, dans un contexte inflationniste et alors que les transitions écologique et climatique bousculent les pratiques agricoles et celles des consommateurs.
Rappelons que la France, aujourd’hui cinquième exportateur mondial, était sur la deuxième marche du podium jusqu’en 2006. Son excédent commercial, en retrait, n’est plus tiré que par l’effet prix de ses exportations, vins et spiritueux en tête, et non par les volumes. Nous étions autrefois le grenier de l’Europe ; nous sommes aujourd’hui réduits à en être, tout au plus, la cave.
Si nos politiques publiques successives se sont démarquées par la défense d’un modèle conciliant performances économique et écologique, elles se sont traduites par la production de produits haut de gamme, peu rémunérateurs pour les agriculteurs, à destination d’une clientèle de niche à fort pouvoir d’achat. Et les consommateurs les plus modestes ont été contraints de se tourner vers des denrées importées, produites dans des conditions environnementales et sociales non satisfaisantes ou peu transparentes.
Je rappelle que lorsqu’un Français dépense 100 euros en alimentation, seulement 6,90 euros vont dans la poche du producteur. Le partage de la valeur devrait être essentiel et dicter nos actions dans les relations commerciales entre le monde agricole, les industries agroalimentaires et la grande distribution. Or, ces dix dernières années, nous avons emprunté le chemin inverse et détruit cette valeur sous couvert de la recherche du prix le plus bas. À ce jeu-là, je rappelle que ce ne sont ni les producteurs ni les consommateurs qui ressortent gagnants, mais les intermédiaires.
Alors que nous faisons face au défi du renouvellement des générations, notre modèle agricole n’attirera pas plus de jeunes et nouveaux exploitants si nous continuons de ne pas rémunérer les professionnels du secteur à leur juste valeur, d’étouffer l’innovation et de nous enfermer dans un carcan de normes soumis notamment à de multiples surtranspositions.
Néanmoins, il est fondamental que nous avancions selon un triptyque indissociable unissant l’économie, la santé et l’environnement, aucun de ces éléments ne pouvant être sacrifié au profit de l’un ou de l’autre.
Si la compétitivité de la ferme France est handicapée par des normes élevées, en matière environnementale et sanitaire notamment, il ne faut pas, au nom d’une productivité renouvelée, abandonner nos acquis, qui font du modèle agricole français le plus vertueux du monde. Pour autant, tout est une question d’équilibre.
À cet égard, soyons attentifs aux accords de libre-échange fragilisant notre agriculture. Je rappelle que le groupe RDSE a présenté au Sénat une proposition de résolution dénonçant l’accord de libre-échange avec le Mercosur, qui contenait les germes d’une déstabilisation du marché européen de viande bovine et, par ricochet, d’une fragilisation des territoires ruraux.
En attendant, aujourd’hui encore, nous devons trouver des rustines, car la grande loi d’orientation agricole n’est pas encore au rendez-vous, monsieur le ministre.
Le texte d’aujourd’hui a le mérite d’enrichir le débat sur le choc de compétitivité en faveur de la ferme France. Le groupe RDSE souhaiterait améliorer certaines des dispositions envisagées.
Nous aimerions notamment que la proposition de loi contienne des mesures traitant d’une transition globale et systématique des exploitations agricoles, dans laquelle l’atténuation et l’adaptation au changement climatique seront le fil conducteur des nouvelles démarches agricoles.
En ce sens, nous proposerons, en premier lieu, la réalisation d’un diagnostic de vulnérabilité de l’exploitation agricole et d’un plan de transformation de cette dernière et, en deuxième lieu, la réalisation d’un diagnostic de réduction de l’impact carbone et de performance agronomique des sols incluant les réductions d’émissions de gaz à effet de serre telles que définies dans le cadre du label bas-carbone. Nous souhaitons également que les paiements pour services environnementaux se démocratisent au sein des exploitations agricoles afin de faire de la restauration et du maintien des écosystèmes une source supplémentaire de revenus, et non pas une contrainte supplémentaire.
Je rappelle que le groupe RDSE s’est toujours positionné dans le débat pour une agriculture durable, innovante et rémunératrice, car soucieuse d’une meilleure reconnaissance de ses exploitants.
Dans cette perspective, le groupe sera attentif à l’examen de chacun des articles du texte, mais émet préalablement un avis globalement favorable sur cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. Daniel Chasseing applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Gremillet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Daniel Gremillet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord saluer Laurent Duplomb, Pierre Louault et Serge Mérillou, qui nous permettent tous les trois d’apporter notre pierre à cette discussion tellement ambitieuse qu’est une loi d’orientation, quand nous savons que l’agriculture française fonctionne encore globalement sur les fondements de lois d’orientation des années 1960.
Mon propos n’est pas de dire que ces lois ne sont plus d’actualité. Il est de dire que le monde a changé et qu’il y a des attentes nouvelles auxquelles il est essentiel d’apporter une contribution. La présente proposition de loi y participe. Je voudrais remercier notre rapporteur de son travail, qui vient compléter celui des trois dépositaires et autres cosignataires du texte.
Je voudrais prendre quelques exemples concrets. Je commencerai par l’article 2, dont l’objet est, tout simplement, de donner des perspectives, tous les cinq ans. C’est ce dont souffre la France depuis de nombreuses années : le manque de feuilles de route et de perspectives. Monsieur le ministre, je partage votre propos : une loi d’orientation s’inscrit dans le long terme, et nécessite d’introduire des rendez-vous, filière par filière. Fixer ainsi des rendez-vous tous les cinq ans sur la compétitivité et le positionnement de la ferme France est essentiel.
L’autre exemple que je voudrais prendre est celui de l’article 4. Je le dis d’autant plus que j’avais été rapporteur en 2015 de la proposition de loi de Jean-Claude Lenoir en faveur de la compétitivité de l’agriculture et de la filière agroalimentaire. Nous avions déjà, en 2015, ici, au Sénat, évoqué l’idée d’un livret d’épargne populaire.
L’agriculture n’est pas seulement l’affaire des paysans. L’article 4 de la proposition de loi a pour objet d’appliquer à l’agriculture ce que nous sommes en train de réussir à faire pour la forêt. Des reboisements s’effectuent en effet à la faveur de moyens mobilisés par des particuliers, conjointement aux collectivités et à l’État. Là, c’est la même chose ! L’idée est de faire participer les Françaises et les Français aux choix stratégiques de leur alimentation. Cela me paraît très important : rendre les Françaises et les Français acteurs de la politique agroalimentaire de notre pays.
L’article 6 marque un rendez-vous important, monsieur le ministre. Nous avons réformé récemment le principe des calamités agricoles auquel nous avons substitué un dispositif assurantiel. Or le secteur assurantiel accorde une place plus importante que par le passé à la contribution des agriculteurs à la gestion du risque.
Si l’on veut réussir le dossier des calamités agricoles, si l’on veut réussir à bien suivre les aléas qui font qu’en agriculture les années ne se ressemblent pas, il est absolument stratégique de modifier le plafond de la déduction pour l’épargne de précaution. C’est une nécessité si l’on veut réussir la démarche que vous avez lancée et à laquelle le Sénat a contribué concernant la réforme de la gestion des risques.
L’article 10 nous fait vraiment plaisir, car nous avions déjà évoqué la question de l’information des consommateurs en 2015. Monsieur le ministre, la France interdit aux paysans français de faire des cultures d’organismes génétiquement modifiés (OGM). L’Europe l’interdit également. Or, tous les jours, les consommateurs français et européens mangent des OGM. Une honnêteté et une transparence de l’étiquetage sont nécessaires pour l’information des consommateurs. L’article 10 du texte repositionne notre responsabilité par rapport à la production et à la consommation.
J’en viens aux articles 19 et 20, que j’avais évoqués en commission. Je suis choqué par les propos qui ont été tenus tout à l’heure. L’agriculture peut au contraire être une forme de solution pour celles et ceux qui sont au bord du marché de l’emploi. Nous en avons besoin. Ces personnes peuvent retrouver des perspectives, l’étincelle dans le cœur qui leur donne envie de se relancer dans la vie professionnelle.
Mme Sophie Primas, rapporteur. Très bien !
M. Daniel Gremillet. Nous savons tous que les fils et filles d’agriculteurs ne sont pas capables de reprendre l’ensemble des fermes qui se libèrent. Nous avons plus que jamais besoin d’ouvrir le monde agricole. Si nous voulons réussir notre indépendance alimentaire, nous avons plus que jamais besoin de permettre à des femmes et des hommes de se lancer dans l’agriculture : soit par le biais du salariat, soit – pourquoi pas, monsieur le ministre ? – par le biais de la transmission et de l’installation des jeunes. J’avais défendu cette idée lorsque je faisais partie des Jeunes agriculteurs.
Pour toutes ces raisons, le groupe Les Républicains soutient cette proposition de loi et votera en sa faveur. Nous avons besoin de fixer un cap, et de donner envie. Notre avis sur ce texte est donc favorable. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP.)
M. le président. La parole est à M. Franck Menonville. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Franck Menonville. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme l’a dit Christiane Lambert, ancienne présidente de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), lors du dernier salon de l’agriculture, notre agriculture dévisse.
En effet, depuis dix ans, notre balance commerciale ne cesse de se dégrader. Nous sommes l’un des seuls grands pays agricoles à voir ses parts de marché reculer depuis 2000. Nos capacités productives s’effritent. Certaines filières s’affaiblissent dangereusement.
Notre solde commercial a chuté, passant de 12 milliards d’euros en 2011 à 8 milliards d’euros en 2021. En matière d’exportations, nous sommes passés en vingt ans de la deuxième place à la cinquième place, alors que nos importations explosent : nous importons 2,2 fois plus qu’en 2000. Près de 50 % de ce que nous consommons aujourd’hui est issu des importations, principalement intra-européennes.
La compétitivité de notre agriculture décline dangereusement. Il était urgent de réagir ; c’est toute l’ambition de ce texte, que notre groupe soutient pleinement.
Cette proposition de loi vise à réduire les contraintes qui pèsent sur notre agriculture et nos agriculteurs, à encourager l’innovation et à accompagner les transitions.
En effet, depuis vingt ans, nous privilégions les injonctions sociétales et environnementales sans intégrer la dimension de la compétitivité et de la performance. C’est une erreur de vouloir opposer investissement, innovation, santé publique et performance. Il faut, au contraire, combiner ces objectifs.
Cette proposition de loi est dense et technique. Je veux à cet égard saluer le travail de ses auteurs et de notre rapporteure Sophie Primas, qui a su l’enrichir et la compléter.
Je voudrais maintenant m’attarder sur plusieurs mécanismes du texte.
L’article 13 complète les missions de l’Anses, qui sera chargée d’établir, dans ses avis, une balance des bénéfices et des risques. Or, de fait, cette agence n’a, à ce stade, ni les moyens ni les compétences nécessaires pour exercer cette nouvelle mission. C’est pourquoi, comme Mme la rapporteure, j’ai déposé en commission un amendement tendant à octroyer au ministre de l’agriculture un droit de veto en la matière, amendement qui a été adopté. Cela permettra de suspendre une décision de l’Anses si la souveraineté alimentaire est en péril ou si aucune solution alternative n’est possible. Nous devons tirer les leçons de nos erreurs et éviter de répéter des précédents qui ont lourdement fragilisé des filières entières.
L’article 9 est un autre des points majeurs du texte. Le stockage du carbone est un enjeu essentiel. L’agriculture que nous bâtissons doit être porteuse de solutions permettant de lutter contre le réchauffement climatique ; le stockage du carbone en est une.
L’article 12 vise, quant à lui, à lutter contre les surtranspositions de normes européennes, en fixant un principe de non-surtransposition. Le Conseil d’État sera chargé d’identifier dans ses avis les surtranspositions, qui sont souvent source de distorsions de concurrence et fragilisent nos filières. Elles contribuent également à réduire l’attrait du métier et à exaspérer nos agriculteurs, qui croulent sous les injonctions contradictoires et sous des directives mal comprises et souvent déconnectées des réalités quotidiennes de leur métier. Il faut absolument redonner du sens !
Enfin, l’investissement est crucial. À ce titre, deux dispositifs sont proposés : le crédit d’impôt et le livret Agri. Il est impératif de soutenir l’investissement dans nos outils de transformation et, plus généralement, dans le secteur agroalimentaire pour restaurer notre force exportatrice et maintenir notre puissance agricole.
Nous devons à tout prix allier performance, innovation et durabilité des produits. Aucun de ces objectifs n’est à sacrifier ; il faut au contraire les combiner. Telle doit être l’agriculture d’aujourd’hui et de demain. La productivité n’est pas incompatible avec les objectifs environnementaux !
Faute de temps, je ne pourrai pas m’attarder sur la séparation du conseil et de la vente, séparation sur laquelle le texte revient. C’est une mesure que j’ai toujours jugée contre-productive et source de complexité et de désorganisation. Il est préférable, à mon sens, de renforcer l’exigence et la qualité du conseil pour nos agriculteurs.
Pour conclure, monsieur le ministre, je formule le vœu que ce travail transpartisan, qui vient à point nommé, devienne un élément constitutif de votre futur projet de loi d’orientation et d’avenir agricoles, dont nous soutenons l’initiative.
Laurent Duplomb l’a bien dit : n’ayons pas peur ! (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)