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Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire
M. le président. Mes chers collègues, je suis heureux de saluer la présence, dans notre tribune d’honneur, d’une délégation de l’Assemblée de la République portugaise, conduite par son président, M. Augusto Santos Silva, et composée de membres du groupe d’amitié Portugal-France, présidé par Mme Emilia Cerqueira. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que M. le ministre se lèvent.)
La délégation, qui vient de s’entretenir avec le président du Sénat, est accompagnée par notre collègue Louis-Jean de Nicolaÿ, président du groupe d’amitié France-Portugal du Sénat.
La mission de nos homologues portugais porte en particulier sur nos relations économiques, culturelles et scientifiques. Elle fait suite à l’accueil, à Lisbonne, la semaine dernière, d’une délégation du groupe d’amitié France-Portugal.
La France et le Portugal, qui entretiennent des relations historiques étroites et denses, se sont encore rapprochés au sein de l’Union européenne.
Quelques mois après la clôture de la saison culturelle portugaise en France, et un an avant la commémoration du cinquantenaire de la Révolution des œillets, qui a rétabli la démocratie au Portugal, nous espérons que votre visite a pu contribuer à consolider encore nos liens parlementaires.
En votre nom à tous, mes chers collègues, permettez-moi d’adresser un salut solennel et amical à la délégation conduite par le président de l’Assemblée de la République du Portugal ! (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que M. le ministre applaudissent longuement.)
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Ferme France
Suite de la discussion d’une proposition de loi dans le texte de la commission
M. le président. Nous reprenons la discussion de la proposition de loi pour un choc de compétitivité en faveur de la ferme France, présentée par MM. Laurent Duplomb, Pierre Louault, Serge Mérillou et plusieurs de leurs collègues.
Discussion générale (suite)
M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Joël Labbé. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – M. Joël Bigot applaudit également.)
M. Joël Labbé. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voilà donc amenés, quelques mois avant les débats sur le projet de loi d’orientation et d’avenir agricoles, à discuter d’une pré-loi d’orientation, ou de la version qu’en a rédigée la majorité sénatoriale.
C’est bien de cela qu’il s’agit : le texte qui nous est soumis exprime des orientations claires pour notre agriculture. Pour notre part, nous ne pensons pas que ces orientations freineront la chute du nombre de paysans, limiteront l’endettement des agriculteurs ou empêcheront l’effondrement de la biodiversité, la pollution de l’eau et l’épuisement des sols. C’est à nos yeux une fuite en avant !
Je voudrais insister à cette tribune sur quelques reculs majeurs contenus dans le texte.
Son article 1er subordonne l’ensemble des politiques publiques agricoles à la compétitivité-prix, sacrifiant de fait les enjeux sociaux, environnementaux et sanitaires.
À l’article 8, on autorise largement l’épandage de pesticides par drone, sans prendre en compte les risques de dérives relevés par l’Anses.
M. Laurent Duplomb. C’est mieux qu’avec des pulvérisateurs !
M. Joël Labbé. Nous dénonçons les reculs sur les trop rares avancées de la loi Égalim. Nous voterons donc contre l’article 11, qui revient en arrière sur la qualité alimentaire en restauration collective. Il avait été décidé dans cette loi qu’y seraient proposés au moins 20 % de produits bio et 50 % de produits durables et locaux. Aujourd’hui, on est pourtant loin du compte. On se devrait donc, dans un tel texte – il le faudra bien en tout cas dans le prochain projet de loi d’orientation, qui doit être un projet d’avenir –, de soutenir cette approche avec force, ce qui suppose de donner des moyens aux territoires.
Nous sommes aussi particulièrement atterrés par l’article 12, qui subordonne la possibilité de mieux protéger l’environnement et la santé à l’absence de distorsion de concurrence européenne.
Nous dénonçons également l’article 13, qui soumet les retraits de pesticides jugés dangereux à une balance bénéfices-risques axée sur l’économie et remet en cause le rôle et l’indépendance de l’Anses,…
Mme Sophie Primas, rapporteur. C’est faux !
M. Joël Labbé. … indépendance reconnue depuis 2014.
Encore une fois, il s’agit d’acter, non sans cynisme, la supériorité des intérêts économiques de court terme, et de compliquer, voire d’entraver tout progrès dans la protection de nos concitoyens et de l’environnement.
M. Joël Labbé. Les mesures sur l’eau sont tout aussi problématiques, notamment l’article 15, qui promeut le stockage et l’irrigation sans aucune réflexion sur leur encadrement à l’heure du réchauffement climatique.
Nous avons aussi à redire sur le volet social du texte, que nous jugeons plutôt antisocial. Rappelons que les cotisations sont non pas des charges, mais des outils de protection sociale !
Nous serons particulièrement attentifs, sur tous ces points, à la position que prendra le Gouvernement. Nous souhaitons que le processus de concertation en cours ne soit pas entravé.
Dans quelque temps, ce type de débat me manquera. À chaque fois, j’ai voulu dire tout ce qui me tenait à cœur, non pas avec des bannières ou quoi que ce soit d’autre, mais avec des convictions !
M. Laurent Duplomb. Nous aussi !
M. Joël Labbé. Oui, comme vous, mon cher collègue. Alors, allons-y !
Le rapport publié en 2013 par l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) sur les effets des pesticides sur la santé humaine m’avait frappé. Qu’en est-il sorti ? On a reconnu la maladie de Parkinson et le cancer de la prostate comme maladies professionnelles chez les agriculteurs.
Le rapport de la Cour des comptes sur le soutien à l’agriculture biologique a, quant à lui, relevé que celle-ci est très insuffisamment aidée. Enfin, le rapport de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae), Agriculture européenne sans pesticides chimiques en 2050, montre que des politiques cohérentes et articulées permettraient de sortir de l’usage de ces molécules chimiques.
Ce matin encore, un article du journal Le Monde nous alertait, sans rien inventer, sur la chute des populations d’oiseaux : elle atteint 60 % en quarante ans sur le continent européen. C’est dire s’il y a vraiment des soucis !
À l’occasion de ce qui est très probablement – je suis prudent ! – ma dernière intervention dans une discussion générale, je dois vous exprimer mon dépit et mes regrets sur tous ces sujets.
Monsieur le ministre, vous avez argué tout à l’heure que l’agriculture biologique utilise, elle aussi, de l’eau… Encore heureux ! Mais c’est une question de quantité. L’agriculture biologique n’est pas industrielle ; j’insiste sur ce point. Je tiens à la défendre comme une véritable agriculture d’avenir. Or, dans ce texte, il n’y a pas un mot, pas une seule pensée pour l’agriculture biologique ! (Protestations au banc des commissions.) On nous dira qu’il faut arrêter d’opposer les agriculteurs…
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue !
M. Joël Labbé. Mais heureusement qu’il y a encore des gens qui la défendent ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées du groupe SER. – M. Fabien Gay applaudit également.)
Mme Sophie Primas, rapporteur. Nous aussi, nous la défendons !
M. le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme Patricia Schillinger. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui est largement issue des recommandations du rapport d’information de la commission des affaires économiques sur la compétitivité de la ferme France.
Les discussions que nous avons eues autour des conclusions de ce rapport nous ont permis de cheminer et de convenir, en commission, qu’il ne fallait ni opposer des modèles les uns aux autres ni condamner en bloc la stratégie de montée en gamme.
Si la compétitivité de notre modèle agricole ne peut pas reposer uniquement sur le haut de gamme, ne miser que sur les volumes sans tenir compte des externalités négatives que cette approche comporte ferait passer notre agriculture à côté des grands enjeux qui s’imposent non seulement à elle, mais aussi à toutes celles de la planète.
En plus d’assurer la souveraineté alimentaire, notre agriculture doit répondre à une exigence croissante de qualité et s’orienter vers des pratiques plus durables, respectueuses de l’environnement et du climat.
Face à la concurrence internationale croissante, de nombreux producteurs français ont ainsi fait le choix du bio ou d’une activité sous signe de qualité, synonyme de valeur ajoutée, de prix plus rémunérateurs et de conquêtes de nouveaux marchés.
La France fait ainsi, en Europe, figure de leader en matière de bio. Lorsque nous réussissons, soyons-en fiers, persévérons et maximisons notre avantage comparatif !
Les évolutions des pratiques et des exigences sociétales sont partagées par de jeunes agriculteurs, déjà installés ou en devenir, qui souhaitent être acteurs de la transition. Leur réussite sera la nôtre, car, d’ici à dix ans, un tiers des agriculteurs seront en âge de partir à la retraite.
Le renouvellement des générations est donc une priorité ; c’est même le principal défi de notre agriculture, car sans agriculteurs, il n’y aura pas de ferme France.
Le dérèglement climatique et les évolutions démographiques nous imposent d’évoluer en profondeur, de nous adapter et d’anticiper.
C’est pourquoi, depuis six ans, nous sommes aux côtés du Gouvernement pour que les transitions nécessaires s’engagent rapidement, de manière pragmatique et efficace. Les concertations nationales et locales pour le pacte et la loi d’orientation et d’avenir agricoles préfigurent un débat riche pour notre agriculture et une loi structurante pour son avenir.
Aujourd’hui, c’est de la compétitivité de notre agriculture que nous débattons : lutter contre la concurrence déloyale, rééquilibrer la fiscalité agricole, favoriser l’innovation et les investissements… Tout cela, nous y souscrivons.
Cependant, en examinant le texte qui nous est soumis, nous notons que, si nous partageons de tels objectifs, nous avons en revanche des réserves sur certaines mesures qui semblent parfois en contradiction avec ceux-ci.
Ainsi, alors que la bureaucratie et la surabondance des normes sont des freins à la compétitivité de notre agriculture, la mise en place d’un haut-commissaire à la compétitivité et d’un plan quinquennal de compétitivité peut étonner.
Il faut toutefois reconnaître et saluer la qualité du travail fourni par Mme la rapporteure, car certaines modifications apportées au texte en commission constituent des évolutions positives.
Je tiens en particulier à insister sur celles apportées à l’article 8, ainsi que sur l’expérimentation de la pulvérisation par aéronefs téléguidés. Tout en tenant compte des observations de l’Anses, on lève ainsi les freins à l’innovation qui entravaient le développement de toute une filière. Le recours à des drones permettra en effet de réduire significativement l’utilisation de produits phytosanitaires.
Le groupe RDPI a cependant déposé deux amendements visant à supprimer des mesures qui feront, sans aucun doute, l’objet de nouvelles discussions lors de l’examen du projet de loi d’orientation et d’avenir agricoles : d’une part, à l’article 15, la présomption d’intérêt général majeur des ouvrages visant à prélever et stocker l’eau à des fins agricoles ; d’autre part, à l’article 18, l’abrogation de deux avancées significatives de la loi Égalim : la séparation de la vente et du conseil et l’interdiction des remises, rabais et ristournes sur les produits phytopharmaceutiques.
L’article 15 porte sur un sujet sensible qui fait débat dans l’ensemble de la société. La solution préconisée, en plus de susciter des crispations, affaiblirait la concertation locale que l’article 16 vise pourtant à renforcer au sein des projets territoriaux de gestion de l’eau (PTGE).
Le revirement opéré à l’article 18, quant à lui, nécessiterait que l’on prenne le temps d’en évaluer l’impact en termes de recours aux produits phytopharmaceutiques.
Enfin, les mesures proposées de maîtrise des charges sociales et des charges de production, si elles nous paraissent pertinentes, semblent davantage relever du projet de loi sur le travail que nous examinerons cet été ou du projet de loi de finances.
Mes chers collègues, le chemin parcouru depuis la parution du rapport d’information qui a inspiré ce texte semble préfigurer de potentiels consensus sur le projet de loi d’orientation agricole ; il est important de le souligner sans masquer les désaccords qui subsistent.
Pour ces raisons, et sous réserve des débats que nous aurons sur ce texte, les membres du groupe RDPI auront pleine liberté de vote. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme le rapporteur applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Tissot. (M. Joël Bigot applaudit.)
M. Jean-Claude Tissot. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous y voilà : alors que les concertations sur le projet de loi d’orientation et d’avenir agricoles viennent à peine de se conclure, la majorité sénatoriale nous propose, avec ce texte, un premier round pour définir notre future politique agricole.
Nous commençons à être habitués à ce jeu politique entre la droite sénatoriale et le Gouvernement, un jeu où les propositions de loi sénatoriales servent à influencer les futurs projets de loi, avec un terrain d’entente : toujours plus à droite, toujours plus libéral ! (Mme Nicole Bonnefoy applaudit.)
Nous aurions pu espérer que l’agriculture, qui est au cœur de l’histoire de notre pays, échappe à ces nouveaux calculs politiques et à cette volonté incontrôlée de tout déréglementer, de tout déconstruire dans des logiques purement économiques.
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui s’inscrit pourtant dans cette trajectoire.
Vous l’aurez compris par cette courte introduction, mes chers collègues, mon groupe s’opposera avec vigueur à la très grande majorité des dispositions du texte.
Avant de revenir de manière plus détaillée sur les principaux aspects qui justifient notre opposition, je souhaite aborder le débat idéologique, voire philosophique, qui sous-tend le rapport qui a inspiré ce texte, débat qui justifie notre opposition. Je veux parler de la fameuse opposition entre modèles agricoles, mon cher collègue Laurent Duplomb…
M. Laurent Duplomb. Oui, vous l’entretenez sans cesse !
M. Jean-Claude Tissot. Nous ne pouvons pas nier qu’il existe – cette proposition de loi le prouve une nouvelle fois – deux visions de l’agriculture, avec leurs spécificités et leurs valeurs.
Toutefois, mes chers collègues – je pense que mon expérience, ayant exercé le métier d’agriculteur, me permet de le dire –, les différences entre ces deux visions ne peuvent pas se résumer à la simple opposition entre un « bon modèle », fondé sur la raison, qui servirait à nourrir les hommes, et un « modèle de l’utopie » défendu par les écologistes, bobos et autres décroissants… Non, mes chers collègues, ces deux modèles ont une même vocation : nourrir les hommes ! Et tous deux, s’ils sont adaptés à leur territoire, peuvent être compétitifs et pérennes.
Mais la principale différence entre ces deux visions est que le modèle de l’agroécologie et de l’agriculture biologique a élargi son approche, en essayant d’aboutir à un système qui respecte autant le producteur que l’environnement.
Et je pense très sincèrement, monsieur le ministre, que c’est le rôle des pouvoirs publics et du législateur d’apporter un soutien de long terme à un modèle qui tente d’allier santé humaine et préservation de l’environnement. (Mme Nicole Bonnefoy applaudit.)
Pour en revenir à la question de la compétitivité, France Stratégie, institution autonome placée auprès de la Première ministre, a publié en 2020 une étude sur la rentabilité des exploitations agricoles en fonction de leur modèle.
Après de nombreuses études de terrain, les deux auteurs de ce rapport en sont venus à la conclusion suivante : « Les exploitations agroécologiques présentent en général des résultats économiques à moyen terme supérieurs à ceux d’exploitations conventionnelles. »
Mes chers collègues, il me semble donc totalement aberrant de considérer que l’agriculture française souffrirait actuellement des choix faits en 2014, lors de l’ouverture à ce nouveau modèle.
Pour revenir sur les divergences de fond, je souhaiterais à présent aborder l’ensemble des articles fiscaux de cette proposition de loi.
En effet, pour les auteurs du texte, la question de la compétitivité semble se résumer à deux termes : crédit d’impôt et exonération.
Au sein de mon groupe, comme nous l’exprimons lors de l’examen de chaque projet de loi de finances, nous croyons à un impôt qui soit juste et redistributeur, portant uniquement sur les personnes qui peuvent le payer.
Toutefois, nous n’avons pas de difficulté à aborder la potentielle question du « trop d’impôt », de celui qui peut mettre en difficulté des concitoyens ou des entreprises.
Cela dit, il me semble quand même qu’il y a un problème dans les dispositions fiscales que vous proposez : elles ne semblent conçues que pour les plus favorisés, pour ceux qui réalisent déjà des bénéfices importants, et elles n’aideront aucunement les agriculteurs en difficulté.
Mme Sophie Primas, rapporteur. C’est l’inverse !
M. Jean-Claude Tissot. Il me semble, sauf erreur de ma part, que proposer une augmentation du plafond pluriannuel de la déduction pour épargne de précaution (DEP), pour le fixer à 200 000 euros, avec une déduction maximale par exercice amenée à près de 60 000 euros, c’est surtout proposer une disposition pour les exploitants agricoles qui ont la chance de faire des bénéfices et de pouvoir mettre des sommes importantes de côté.
À cela, on peut ajouter le crédit d’impôt pour la mécanisation figurant à l’article 5, que Mme la rapporteure a heureusement plafonné à 20 000 euros – nous avons déposé un amendement tendant à descendre encore ce plafond, mais il a reçu de la commission un avis défavorable ; c’est dommage ! –, la création d’une déduction fiscale pour favoriser la contractualisation, à l’article 7 ou encore l’augmentation des seuils d’exonération de l’impôt sur le revenu agricole prévue à l’article 24.
Alors que nous devrions réfléchir à des aides pour les agriculteurs les plus en difficulté, cette volonté de permettre aux plus favorisés de contourner l’impôt est inquiétante pour notre pacte républicain.
Je souhaite faire part de mon profond étonnement quant à la teneur de l’ensemble des articles qui réécrivent allégrement le droit du travail.
Alors que ce texte est centré sur la question agricole, ses auteurs ont choisi d’introduire la notion de « secteurs prioritaires en tension » au sein des missions de Pôle emploi, ou encore de créer une exonération inédite, au sein du dispositif dit de bonus-malus, pour les contrats courts.
Monsieur le ministre, il serait peut-être pertinent que votre collègue Olivier Dussopt, ministre du travail, soit présent à vos côtés pour nous présenter la position du Gouvernement sur l’ensemble de ces points, d’autant que les mesures proposées sont loin d’être anodines et mériteraient a minima une étude d’impact.
Il me semble quand même important de rappeler que ce secteur bénéficie déjà d’un dispositif particulier, que je soutiens dans chaque projet de loi de finances, à savoir le dispositif travailleurs occasionnels-demandeurs d’emploi, qui offre une exonération de cotisations aux employeurs du secteur agricole.
M. Laurent Duplomb. Nous le pérennisons !
M. Jean-Claude Tissot. En cohérence avec nos positions antérieures, nous soutiendrons cette pérennisation.
C’est la raison pour laquelle, au sein de mon groupe, nous sommes profondément surpris par la philosophie des articles 19 et 20 : l’idée latente d’envoyer les personnes éloignées de l’emploi « aux champs » relève d’une vision bien particulière du travail !
C’est d’autant plus étrange que ces propositions ignorent les conditions de travail déjà difficiles rencontrées par de nombreux saisonniers, mais aussi les difficultés qu’ont les exploitants agricoles à offrir des locaux adaptés pour recevoir convenablement une telle main-d’œuvre.
Pour ces raisons, nous nous opposerons à l’ensemble des articles qui reviennent sur les droits des travailleurs.
Enfin, et il s’agit certainement du point le plus inquiétant de cette proposition de loi, de nombreux articles prévoient des retours en arrière inconcevables sur les enjeux environnementaux.
Alors même que le président du Sénat vient de mettre en demeure l’un des principaux lobbies des pesticides, Phyteis, pour avoir fourni des informations erronées aux parlementaires, vous faites le choix, mes chers collègues, de rouvrir la porte à un certain nombre de pratiques et de revenir sur des acquis pourtant difficilement obtenus.
Avec la réautorisation de l’épandage aérien des produits phytopharmaceutiques,…
Mme Sophie Primas, rapporteur. Un épandage par drone, pour plus de précision !
M. Jean-Claude Tissot. … on revient de manière incompréhensible sur les conclusions du rapport d’information Pesticides : vers le risque zéro, rédigé par notre collègue Nicole Bonnefoy et adopté à l’unanimité !
La réautorisation des promotions sur les pesticides et la suppression de la séparation du conseil et de la vente pour ces mêmes produits représentent également un retour en arrière sur une disposition acquise ici même, avec difficulté, lors de l’examen de la loi Égalim.
Je rappelle simplement qu’en 2018 les rapporteurs de ce texte, Anne-Catherine Loisier et notre ancien collègue Michel Raison, avaient défendu le maintien de la séparation du conseil et de la vente prévu dans le texte gouvernemental. Cinq ans plus tard seulement, vous faites le choix de les déjuger et de revenir sur ce maigre acquis.
Mme Sophie Primas, rapporteur. Ça ne marche pas !
M. Jean-Claude Tissot. L’article 13 de cette proposition de loi est certainement le plus problématique.
Alors que l’Anses est une agence d’expertise scientifique et indépendante, vous choisissez de lui donner un rôle politique, en incluant dans ses missions la réalisation d’« une balance détaillée des bénéfices et des risques sanitaires, environnementaux et économiques de la décision envisagée ».
Et de surcroît, madame la rapporteure, vous avez décidé de donner au ministre de l’agriculture la possibilité de suspendre certaines décisions de l’Anses, et même de prendre une décision relative à une autorisation de mise sur le marché.
M. Laurent Duplomb. Ça existait avant !
M. Jean-Claude Tissot. Très sincèrement, mes chers collègues, comment pouvez-vous avoir une telle vision de cette agence indépendante, indispensable pour évaluer scientifiquement un produit phytosanitaire ? Comment pouvez-vous, en tant que parlementaires, souhaiter concentrer autant de pouvoirs dans les mains du ministre ? (Mme Nicole Bonnefoy applaudit. – Protestations au banc des commissions.)
J’aurais aussi pu évoquer les délais de grâce pour les pesticides interdits, mais nous aurons l’occasion d’y revenir au cours des débats.
Enfin, concernant l’eau, la majorité sénatoriale fait le choix de jeter de l’huile sur le feu, en créant un motif d’intérêt général majeur dont absolument personne n’est capable de nous donner de définition précise, et en réduisant les contentieux, dans une triste vision du rôle joué par la justice.
Mes chers collègues, vous l’aurez compris, au sein du groupe socialiste du Sénat, nous nous opposerons fermement à cette proposition de loi,…
M. Laurent Duplomb. Pas tous !
M. Jean-Claude Tissot. … et nous proposerons logiquement la suppression d’une grande partie de ses articles.
Ce premier round est donc particulièrement peu engageant. Mais nous saurons défendre un autre modèle agricole, compétitif, pérenne et respectueux de l’agriculteur, du consommateur et de l’environnement ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST. – M. Pascal Savoldelli applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Fabien Gay. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – M. Joël Bigot applaudit également.)
M. Fabien Gay. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, s’il y a bien une conviction que notre groupe partage avec les auteurs de ce texte, c’est celle que notre modèle agricole doit être transformé en profondeur. Pour le reste, nous ne partageons ni la vision de l’agriculture développée dans cette proposition de loi ni les solutions qui y sont mises en avant. Ce sont donc bien deux visions qui s’opposent.
Aborder le sujet de l’agriculture, c’est se plonger dans un système complexe, placé au cœur de l’économie mondialisée, et qui mêle plusieurs questions essentielles : celle, d’abord, des ressources naturelles, de l’eau, de l’air, de la Terre, qui nous nourrit et dont nous devons prendre soin, car nous n’en avons qu’une ; celle, également centrale, du travail et de la rémunération des femmes et des hommes qui nous permettent de nous nourrir et qui éprouvent chaque jour les conséquences d’un changement climatique qui s’accélère ; celle, enfin, du droit à une alimentation saine et de qualité pour toutes et tous.
L’enjeu est de taille. Nous sommes désormais forcés de constater qu’une alimentation à deux vitesses s’est mise en place dans notre pays, propulsée par une inflation alimentaire sans précédent et par les échecs de décennies entières passées à favoriser les traités de libre-échange plutôt qu’à encourager et à accompagner une agriculture locale, bio et paysanne.
Les phénomènes d’agrandissement et de spécialisation, qui entraînent des accaparements fonciers et qui conduisent à une disparition des paysans, sont ignorés et passés sous silence.
La compétitivité par les prix reste le prisme de réflexion, mandat après mandat, gouvernement après gouvernement, sans reconnaître les spécificités de l’agriculture ni l’absolue nécessité d’une exception agricole.
Les traités de libre-échange restent la logique de la politique agricole française, sans cesse guidée par le moins-disant social et environnemental, sans parler de la PAC, dont il faut revoir les priorités et les critères.
Ces raisonnements nous conduisent sur une pente dangereuse, celle du renoncement, mais aussi, parfois, du dénigrement de l’administration et des agents publics, en particulier de l’Anses, dont vous nous avez dit, monsieur le ministre, qu’elle n’avait pas « vocation à décider de tout, tout le temps, en dehors du champ européen et sans jamais penser aux conséquences pour nos filières ».
Vous avez raison, monsieur le ministre : on peut parfois concilier intérêts économiques et intérêts sociaux ; mais, souvent, privilégier les intérêts économiques de court terme va à l’encontre de la défense de l’intérêt général, de la santé et de l’environnement.
Non, nous n’avons pas le temps de faire une pause environnementale de cinq ans, n’en déplaise au Président de la République, ni sur la qualité de l’air, ni sur la qualité des sols, ni sur la qualité de l’eau.
Sur ce dernier point, nous allons d’aberration en aberration. Nous le voyons bien sur la question des retenues d’eau : déclarer systématiquement, sans distinction, qu’elles relèvent de l’intérêt public majeur reviendrait à autoriser toutes les mégabassines !
L’eau doit être considérée comme un bien commun, et sa gestion doit reposer sur le triptyque : préservation, partage, juste répartition. Parce qu’elle est une ressource indispensable à la vie, la réalisation de tels ouvrages doit se faire à partir de critères de faisabilité, de pertinence scientifique et d’objectifs d’utilité publique.
Les projets de territoires pour la gestion de l’eau ont vocation non pas à donner blanc-seing à toutes les mégabassines, mais bien à interroger l’ensemble des possibilités sur un territoire pour optimiser, répartir et préserver la ressource en eau.
Dernier point, et non des moindres, la question de l’emploi et du travail agricole.
Le milieu perd des actifs et peine à renouveler les départs à la retraite. C’est toute une politique de l’emploi qu’il faut revoir pour lutter contre des conditions de travail dégradées et contre des dispositifs fiscaux qui encouragent le recours aux contrats courts et saisonniers.
Plutôt que de précariser le travail agricole, il faut renforcer son attractivité et garantir des conditions de travail dignes aux hommes et aux femmes qui nous permettent de nous nourrir, en France et partout dans le monde.
C’est tout un système mondial qu’il faut repenser : un système dans lequel des multinationales toujours plus avides de profit épuisent les terres des pays en voie de développement, exploitent les populations locales, condamnent la biodiversité et, avec elle, toute l’humanité ; un système dans lequel le capitalisme règne en maître sur des marchés mondiaux ; un système dans lequel les agricultures vivrières et les petites structures n’ont pas leur place…
Aux traités de libre-échange et à la compétition mondiale, il faut opposer les coopérations entre pays, inverser les logiques à l’œuvre dans ce capitalisme dévastateur pour l’humain et pour la planète.
La rémunération du travail paysan, la réduction du réchauffement climatique, l’accès à une alimentation de qualité pour toutes et tous, la préservation de la biodiversité sont les seules conditions, incompatibles avec les lois du profit, d’une sécurité alimentaire française et mondiale. ((Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et GEST, ainsi que sur des travées groupe SER.)