M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue !
Mme Raymonde Poncet Monge. Celles-ci passent en moyenne huit ans et demi sans emploi ni retraite avant 50 ans.
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, sur l’article.
Mme Esther Benbassa. Vous nous présentez cette réforme comme un projet porteur de justice sociale et de progrès. Nous ne sommes pas dupes de votre hypocrisie : vous faites passer pour une avancée sociale le simple maintien de la retraite anticipée à 55 ans pour les personnes en situation de handicap, et nous devrions nous en satisfaire.
Ces personnes connaissent des difficultés durant leur scolarité, puis dans le monde du travail, en raison de leurs limitations et l’environnement urbain est inadapté à leur mode de vie. On ne peut donc que déplorer, une fois de plus, que le Gouvernement ne les intègre pas davantage dans sa politique de réformes sociales.
Pourtant, 19 % des Français en situation de handicap se trouvent sous le seuil de pauvreté, contre 13 % de la population générale. D’après un rapport de l’inspection générale des affaires sociales (Igas) en date du 16 décembre 2022, les retraités déclarés inaptes vivent en moyenne quatre à six ans de moins que les autres.
Pour résumer, les personnes en situation de handicap trouvent difficilement du travail, sont plus précaires que le reste de la population, qui les exclut, vivent moins longtemps et dans de moins bonnes conditions. Quoi qu’il arrive, les travailleurs handicapés sont perdants et vous échouez à leur garantir une vie et une retraite dignes.
Votre texte révèle, sur ce sujet en particulier, un manque d’ambition criant, qui ne tranche pas avec l’ensemble de votre politique. La solidarité, l’inclusion et l’intégration sont des mots slogans que vous ne comptez jamais mettre en pratique.
M. le président. La parole est à M. Alain Joyandet, sur l’article.
M. Alain Joyandet. L’article 8 est très important pour le groupe Les Républicains : nous entendons nous en saisir pour inscrire dans le texte une avancée substantielle pour les femmes, notamment pour les mères de famille. (Murmures sur les travées du groupe SER.)
Monsieur le ministre, les quelque vingt sénateurs qui ont signé mon amendement sur la question des 43 annuités ont besoin d’explications précises. Certains d’entre nous ne comprennent rien aux carrières longues.
M. Alain Joyandet. Nous avons déposé un amendement pour simplifier les choses. Nous avons voté l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans ; reste donc la question des 43 annuités. Nous demandons que ce chiffre soit défini comme la durée maximale de cotisation : qui a cotisé 43 ans peut partir à la retraite.
Si nous votons une telle évolution, combien de personnes en plus seront concernées par rapport au texte initial, et pour quel montant ? Nous sommes responsables : pour amender le texte, il nous faut connaître le coût des mesures que nous votons. En l’espèce, des chiffres circulent en tous sens, de la part de la commission comme du Gouvernement, mais nous ne disposons toujours pas de cette information.
Enfin, je tiens à dire à nos collègues de gauche que nous avons retiré cet amendement, parce que nous ne souhaitions pas prendre le risque de les voir déposer cinq cents sous-amendements au dernier moment. (Exclamations sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
Mme Sophie Primas. Vous nous bâillonnez !
Mme Cathy Apourceau-Poly. Arrêtez cela, enfin !
M. Alain Joyandet. Eh oui ! Vous êtes en train de faire obstacle à un débat démocratique sur un sujet qui nous intéresse tous. Vous nous empêchez d’amender le texte !
M. Éric Kerrouche. N’importe quoi !
M. Alain Joyandet. Vous vous livrez à un exercice de simulation, tel un avant-centre, durant un match de football, qui se couche dans les dix-huit mètres pour obtenir un penalty.
Monsieur Kanner, vous vous êtes occupé de sport au Gouvernement, cette image devrait vous parler : cela s’appelle de la simulation ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.) Si l’arbitre ne s’en aperçoit pas, il siffle un penalty. En revanche, s’il s’en aperçoit, il donne un avertissement.
M. le président. Votre temps de parole est épuisé, mon cher collègue.
M. Alain Joyandet. Je souhaite que nos concitoyens ouvrent les yeux : je ne peux pas amender le texte en raison de votre obstruction. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Philippe Mouiller. Dès que nous parlons, on nous inflige un rappel au règlement !
M. Patrick Kanner. On me souffle qu’il n’y a pas penalty lorsque l’on est hors-jeu. C’est une belle expression ! (Sourires sur les travées du groupe SER.)
Mes chers collègues, continuons à travailler avec un peu de sang-froid. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Sophie Primas. C’est cela !
M. Philippe Pemezec. Cinéma !
M. Patrick Kanner. Je vous le dis très tranquillement : vous ne pouvez pas reprocher à votre opposition de faire simplement son travail d’opposition. (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.)
MM. Max Brisson et Philippe Pemezec. Obstruction !
M. Patrick Kanner. Étant majoritaires, vous disposez d’outils du règlement,…
Mme Sophie Primas. Et vous, vous n’en disposez pas ?
M. Patrick Kanner. … dont l’application a été décidée hier en conférence des présidents, à l’instar des alinéas 10 et 16 de l’article 42. Ceux-ci s’ajoutent à l’article 38, que vous utilisez déjà sporadiquement. De plus, vous déplacez des amendements, comme ce fut le cas avec celui de M. Retailleau.
Nous pourrions vous imposer à chaque fois un rappel au règlement pour vous enjoindre de respecter votre opposition, comme nous vous respectons, afin que nous gagnions du temps pour le débat. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST. – Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Michelle Meunier, sur l’article.
Mme Michelle Meunier. Monsieur le ministre, mes chers collègues, nous vous le disons depuis presque une semaine maintenant : cette réforme est financière et le report de l’âge légal de départ emporte des conséquences sociales graves.
Mme Dominique Estrosi Sassone. Il a été voté.
Mme Michelle Meunier. Les rustines que vous nous proposez à l’article 8 sont des leurres qui ne tromperont pas les millions de Français mobilisés contre ce texte, non plus que leurs représentants.
Je souhaite relayer ici les vives inquiétudes du secteur du handicap. Alors que cet article prétend atténuer les injustices, il risque au contraire d’aggraver les inégalités d’accès au départ anticipé pour les personnes en situation de handicap ou d’incapacité.
Les travailleurs les plus vulnérables sont pénalisés : titulaires d’une pension d’invalidité, personnes inaptes au travail, bénéficiaires de l’allocation aux adultes handicapés (AAH), travailleurs handicapés, travailleurs en incapacité permanente à la suite d’un accident de travail ou d’une maladie professionnelle, mais aussi fonctionnaires handicapés.
Vous prétendez assouplir pour eux les conditions d’accès à la retraite anticipée en abaissant le taux d’incapacité nécessaire à 50 % et en remplaçant la condition de trimestres validés par celle de trimestres cotisés.
La durée de cotisation reste toutefois trop longue pour les personnes aux carrières hachées et à la fatigabilité élevée ; la substitution des trimestres validés par les trimestres cotisés aura pour effet de compliquer l’accès au dispositif. Nous regrettons ici que la majorité sénatoriale ait déclaré irrecevables de nombreux amendements visant à corriger le tir en la matière.
M. le président. Il faut conclure !
Mme Michelle Meunier. La fixation de l’âge de départ anticipé aggravera donc la situation. (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly, sur l’article.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Après l’épisode antidémocratique que nous venons tous de traverser, nous nous plongeons dans l’examen de l’article 8. Le débat interne aux Républicains au sujet de l’adaptation des règles de départ anticipé pour les carrières longues conduira-t-il les droites à accepter une discussion plus large avec nous ?
Présenté comme la caution sociale de cette réforme, cet article prolonge un statu quo injuste pour les bénéficiaires du dispositif carrières longues. Vos diversions ne trompent personne : à terme, vous décalez d’un an l’âge de départ à la retraite pour ceux qui ont commencé à travailler à 18 ans.
Après avoir mené la guerre aux régimes pionniers, vous vous apprêtez à maintenir les seuls régimes spéciaux injustes : en imposant une durée de cotisation majorée d’un an, à 44 annuités, vous réservez un traitement spécial à ceux qui ont commencé à 14 ans, 16 ans et 18 ans.
Levons le doute : ce que vous présentez comme des droits nouveaux constituent en réalité de grands reculs sociaux.
De plus, ces mesures concernent très peu de personnes. Si, en 2004, 126 000 personnes partaient à la retraite avant 60 ans après une carrière longue, ce dispositif ne comptait plus que 238 bénéficiaires en 2021. Votre réforme n’y changera rien.
Vous ne reconduisez ces mesures que parce que celles-ci s’inscrivent dans une dynamique d’extinction du dispositif carrières longues. Selon une projection de la Cnav, le nombre de bénéficiaires d’une retraite anticipée pour ce motif sera divisé par deux dans vingt ans, en particulier en raison des carrières hachées des femmes et des jeunes.
La droite sénatoriale aura-t-elle le courage de protéger les carrières longues en supprimant les mesures d’âge pour les travailleurs ayant commencé à cotiser avant 21 ans ?
M. le président. La parole est à M. Michel Canévet, sur l’article.
M. Michel Canévet. Le groupe Union Centriste est satisfait que l’on puisse enfin aborder la cessation progressive ou anticipée de l’activité, l’usure professionnelle ou encore l’ensemble des mécanismes de solidarité, qui sont autant de sujets essentiels. Mes chers collègues, nous avons failli ne pas y parvenir,…
M. Thomas Dossus. Non !
M. Michel Canévet. … alors même qu’il s’agit des questions qui font véritablement débat dans ce texte.
Cette succession d’amendements issus du même groupe et ayant le même objet, à savoir la suppression de l’article, n’a aucun sens. Elle nous prive de notre capacité de débattre des vrais sujets de préoccupation de l’ensemble des Français.
Le temps passé à présenter de manière redondante ces amendements identiques sera autant de temps en moins pour que nous, membres du groupe Union Centriste, puissions exprimer notre vision de la société et des retraites. Nous subissons cela depuis le début de cette discussion.
Nous espérons donc que les oppositions se rendent compte que nous devons débattre du fond, plutôt que de nous en remettre à des artifices de procédure qui empêchent la discussion. Que nos collègues se ressaisissent et que nous nous exprimions enfin ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDPI et Les Républicains.)
Rappels au règlement
M. Claude Raynal. Ce rappel au règlement se fonde sur l’article 33 du règlement, à la suite de la prise de parole de M. Joyandet, qui nous mettait en cause. Si vous me permettez, j’y inclurai une réponse à M. Canévet.
M. Michel Canévet. Je vous en prie.
M. Claude Raynal. Monsieur Joyandet, si vous avez été contraint de retirer votre amendement, cela n’a rien à voir avec nous, c’est parce qu’il y a eu – je le dis sans ambages – un accord entre la majorité sénatoriale et le Gouvernement.
M. Roger Karoutchi. Cela ne vous regarde pas et ce n’est pas le sujet !
M. Claude Raynal. Selon ses termes, certains amendements sont acceptés préalablement, d’autres ne le sont pas. Le vôtre ne l’a pas été par vos amis, mon cher collègue.
Mme Sophie Primas. Ce n’est pas vrai !
M. Claude Raynal. Je vous prie de ne pas nous en faire porter la responsabilité ! (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Ensuite, comme M. Canévet après vous, vous avancez que nous entrons dans une séquence de présentation de je ne sais combien d’amendements identiques de suppression. Permettez-moi de vous rappeler les termes de l’article 40 de la Constitution. La différence entre vous et nous, c’est que vous avez négocié avec le Gouvernement – à juste titre, je ne le conteste pas.
Mme Sophie Primas. Vous pouvez aussi le faire.
M. Claude Raynal. Résultat : tout ce que vous devez faire passer est couvert par l’intention du Gouvernement, ce qui vous autorise à défendre des amendements qui, à défaut, seraient déclarés irrecevables au titre de l’article 40. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Michel Canévet. Qui donc manie l’article 40, monsieur Raynal ?
M. Claude Raynal. Comme nous n’avons pas cette possibilité, nous sommes contraints d’en passer par des amendements de suppression. Monsieur Canévet, vous connaissez cela par cœur, mais vous jouez un jeu dangereux. (Protestations sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. Martin Lévrier. Oh !
M. Max Brisson. C’est l’hôpital qui se moque de la majorité !
M. Claude Raynal. Eh oui ! Monsieur Canévet, votre volonté d’avoir recours une nouvelle fois à l’article 38 est une fumisterie : nous sommes obligés d’en passer par ces amendements afin de pouvoir avancer nos propres propositions. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
M. Roger Karoutchi. Pas cinquante fois le même amendement, tout de même !
M. le président. La parole est à M. Alain Joyandet, pour un rappel au règlement.
M. Alain Joyandet. Je me réfère au même article du règlement que notre collègue, qui m’a mis en cause.
Monsieur Raynal, ce que vous dites est faux. J’ai retiré cet amendement à la lumière de l’expérience d’hier soir. Vous avez en effet déposé cinq cents sous-amendements sur l’amendement de notre collègue centriste, qui a donc été contraint de le retirer.
Nous n’avons aucun problème à débattre du fond de cet amendement sur les 43 ans et j’aurais été satisfait que nous en discutions ensemble. J’attends d’ailleurs des réponses très précises de M. le ministre à ce sujet.
M. Vincent Éblé. Vous êtes d’accord pour en parler à condition que nous n’exprimions pas de divergence !
M. Alain Joyandet. J’ai voté les 64 ans ; à mon sens, les 43 ans de cotisation en sont la compensation. Les réponses précises du ministre conditionneront à ce titre mon vote final sur l’ensemble du texte. C’est dire si cette question est importante.
Mon cher collègue, les jeux que vous imaginez n’ont pas de réalité. Vous traversez un moment compliqué et vous commencez à retirer vos sous-amendements, parce qu’il est de plus en plus difficile de justifier votre stratégie.
Vous espérez que nos concitoyens ne comprennent pas ce qui se passe.
M. Éric Kerrouche. Ils ont très bien compris !
M. Alain Joyandet. Vous les prenez pour des zozos (Exclamations sur les travées du groupe SER.) en essayant de leur faire croire que c’est nous qui faisons de l’obstruction,…
M. Éric Kerrouche. En effet, c’est vous qui faites de l’obstruction !
M. Max Brisson. Gardez vos nerfs !
M. Alain Joyandet. … mais ils commencent à s’en rendre compte. Cela devient insupportable et c’est pour cela que vous retirez vos sous-amendements.
Ne prenez pas les Français pour des zozos ! Respectez la grande institution qu’est le Sénat.
J’ai été élu benjamin de cette maison en 1995,… (Exclamations ironiques sur les travées des groupes SER et CRCE.)
M. Vincent Éblé. Il est donc temps d’arrêter !
M. Alain Joyandet. … et je n’ai jamais vu une opposition se comporter comme cela. C’est détestable ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – Protestations sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)
M. le président. La parole est à Mme Céline Brulin, pour un rappel au règlement.
Mme Céline Brulin. Mon rappel au règlement se fonde sur le même article.
Je tiens à féliciter notre collègue pour cette illustration parfaite de ce qu’est une carrière longue, notamment sur ces travées ! (Rires et applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER.) Il faut bien mettre un peu d’humour dans nos débats…
Je vous rassure, mes chers collègues, nous voterons chaque amélioration du texte, quelle que soit la travée d’où elle provient. Si d’aventure nous devions sous-amender des amendements, cela ne serait que pour parfaire encore les améliorations que vous proposeriez, ainsi que vous aurez l’occasion de le constater au cours de l’examen de cet article.
Le problème est bien le suivant : le retrait de cet amendement est le fruit d’un accord avec le Gouvernement…
M. Alain Joyandet. Pas du tout !
M. Michel Canévet. Arrêtez !
Mme Céline Brulin. … parce que celui-ci préfère négocier avec une poignée de membres des Républicains plutôt qu’avec une intersyndicale unie et solide.
Mme Sophie Primas. Une poignée ? Quel mépris !
Mme Céline Brulin. Vous ne ferez croire le contraire à personne ou alors annoncez à tout le monde que vous renoncez à améliorer la situation des Français au motif que vous ne pourriez pas le faire ici !
Plus d’une cinquantaine de membres de la droite et du centre ont refusé hier de voter l’article 7 ; ils étaient encore trois de plus dans ce cas ce matin. Je veux féliciter ces collègues (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.) qui ont pris cette position malgré les nombreuses pressions dont ils ont sans doute fait l’objet. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Martin Lévrier. Ils n’ont pas besoin de vous !
Mme Sophie Primas. C’est terriblement méprisant.
M. Roger Karoutchi. Qu’est-ce que c’est que ça ?
M. Max Brisson. C’est honteux !
M. Philippe Mouiller. Ce n’est pas un rappel au règlement !
M. Michel Canévet. Arrêtez !
M. le président. Ma chère collègue, restez-en au règlement.
Mme Céline Brulin. Les fissures et les lézardes commencent à apparaître, elles vont s’amplifier ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST. – Protestations sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
Article 8 (suite)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. René-Paul Savary, rapporteur. Revenons au fond du problème pour apporter un peu de sérénité.
Je tiens à vous présenter la philosophie de la commission des affaires sociales s’agissant des dispositifs contenus dans ce texte.
Vous l’avez constaté à l’article 2, quand nous avons entendu davantage prendre en compte l’employabilité des seniors dans le texte initial : cette réforme s’appliquant à tout le monde, nous avons fait des propositions pour les seniors au chômage comme pour ceux qui étaient en emploi. Il s’agissait pour nous de répartir l’effort collectif sur le plus grand nombre de personnes possible, non pour pénaliser quiconque, mais pour éviter de concentrer les efforts sur certains profils.
En matière de pénibilité, vous remarquerez à l’article 9 que nous avons diversifié les dispositions : il nous fallait, selon les âges de départ anticipé, tenir compte de la pénibilité ou des risques, pour ceux qui y sont exposés, de l’inaptitude – un facteur indépendant du monde du travail – ou de l’invalidité.
Dès lors, il nous appartient de prendre des dispositions pour les retraites anticipées. Pour autant, cela signifie que nous accordons aux personnes concernées une retraite plus longue que celle des autres, alors que la durée moyenne de retraite est un peu supérieure à vingt ans, en rapport avec l’usure au travail.
Notre objectif a donc toujours été de prêter attention au fait que cette retraite plus longue devait correspondre à l’espérance de vie plus courte des personnes concernées.
À ce titre, le dispositif doit être non pas le plus juste – nous n’y parviendrons pas –, mais le moins injuste possible.
Pour ce qui concerne les mères de famille, nous appliquons la même stratégie : alors que nous demandons à tout le monde de travailler plus, il nous faut prendre en considération leurs difficultés pour parvenir à améliorer leurs pensions. C’est pourquoi nous avons privilégié un dispositif de surcote plutôt qu’un âge d’ouverture avancée des droits.
La logique adoptée par la commission vise ainsi à s’appliquer au plus grand nombre de personnes possible.
Il en va de même s’agissant des régimes spéciaux : notre objectif est que ceux qui souffrent d’une usure professionnelle et d’une espérance de vie plus courte, qu’ils relèvent ou non d’un régime spécial, bénéficient d’une retraite plus longue. Il s’agit donc pour nous avant tout de prendre en compte la pénibilité plutôt que les raisons historiques de telle ou telle situation.
C’est cela, un raisonnement du XXe siècle, par opposition à celui qui vient directement du XIXe siècle, quand on accordait une retraite anticipée comme un droit social, en compensation d’un salaire moindre. Nous ne réfléchissons plus ainsi et les Français doivent être convaincus que les différents dispositifs de cette réforme sont aussi peu inégalitaires que possible.
Il me semble important de rappeler tout cela au moment où nous abordons l’examen de l’article 8. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Olivier Dussopt, ministre. Je souhaite tout d’abord corriger certains propos.
Madame Poncet Monge, vous avez indiqué que l’invalidité et l’incapacité de travail étaient les premières causes de départ anticipé. Ce n’est pas exact.
Chaque année, sur les 42 % d’assurés qui prennent leur retraite avant l’âge légal « général », 22 % partent au titre d’un départ anticipé pour carrière longue et seulement 15 %, soit environ 100 000 personnes par an, le font pour des raisons liées à un état d’incapacité ou d’invalidité.
Nous aborderons ce sujet – le rapporteur l’a indiqué – dans le cadre de l’examen de l’article 9, car, comme j’ai eu l’occasion de le dire au début de nos travaux en séance publique ainsi qu’en commission, je ne me satisfais pas, ni humainement ni intellectuellement, qu’un assuré sur sept, peu ou prou, parte de manière anticipée pour des problèmes de santé.
L’enjeu est d’avancer en matière de prévention de la pénibilité. Il est en effet bien plus pertinent et satisfaisant de permettre, par la prévention, à un maximum d’assurés d’aller jusqu’à l’âge légal – quoi que l’on pense de cet âge – plutôt que de compenser des difficultés de santé par un départ anticipé de deux ans.
Je préfère que les assurés partent au bon âge et en bonne santé plutôt que de manière anticipée et en mauvaise santé. C’est tout l’enjeu de la prévention.
Vous avez indiqué, madame la sénatrice, que la portée de ce dispositif avait vocation à se restreindre. Si nous ne faisons rien et que nous nous en tenons au dispositif « carrières longues » – j’y reviendrai pour répondre à M. Joyandet –, celui-ci concernera en effet de moins en moins d’assurés. La raison en est simple : l’âge moyen d’entrée dans la vie active tendant à augmenter, le nombre de personnes ayant cotisé des trimestres suffisamment tôt pour bénéficier d’un dispositif « carrières longues » a mécaniquement vocation à baisser.
Le dispositif que nous vous proposerons d’adopter, qui prévoit une nouvelle borne d’âge, permet de contrecarrer une telle trajectoire.
La seconde inexactitude que je souhaite corriger porte sur la prise en compte du handicap, évoquée par Mmes Benbassa et Meunier.
Il n’y a pas de dégradation de la borne d’âge de départ anticipé des travailleurs handicapés, puisque nous maintenons purement et simplement celle-ci à 55 ans.
Vous avez par ailleurs indiqué, madame Meunier, que les critères de départ anticipé pourraient être plus restrictifs. Or c’est précisément l’inverse qui est prévu.
Actuellement, un assuré né en 1972 qui souhaite partir à 55 ans doit remplir une double condition : avoir cotisé 118 trimestres et en avoir validé 20 de plus, soit 138.
Alors que ces deux conditions sont aujourd’hui cumulatives, nous faisons de la durée de cotisation de 118 trimestres une condition exclusive de départ anticipé. Par conséquent, des assurés ayant cotisé 118 trimestres n’auront plus à se soucier de ces 20 trimestres supplémentaires, et le départ anticipé des travailleurs en situation de handicap s’en trouvera facilité.
Nous simplifions également – sans préjudice de ce que j’ai indiqué concernant la prévention – la procédure de départ anticipé pour incapacité, puisque le départ des travailleurs dont le taux d’incapacité est supérieur à 20 % sera automatique, alors qu’il est aujourd’hui conditionné à un avis médical. Nous considérons en effet que, dès lors qu’un avis médical a conduit à fixer le taux d’incapacité à plus de 20 %, un avis médical supplémentaire n’est pas nécessaire.
J’en viens à deux autres points – pardonnez-moi d’être un peu long, monsieur le président, mais cela me permettra d’aller plus vite lorsque nous aborderons les très nombreux amendements et sous-amendements déposés à cet article.
Le sénateur Joyandet m’a interpellé au sujet du dispositif « carrières longues », qui intéresse nombre de parlementaires, députés et sénateurs.
Le dispositif actuel, qui a été créé en 2003, autorise des assurés à partir de manière anticipée dès lors qu’ils remplissent trois conditions cumulatives et impératives.
La première condition est d’avoir cotisé pendant 5 trimestres avant la borne d’âge telle qu’elle est définie par la loi.
Les salariés qui ont cotisé 5 trimestres avant 16 ans – en réalité, en fonction de leur date de naissance, certains ne doivent avoir cotisé que 4 trimestres, mais, dans la suite de mon propos, je dirai 5 pour simplifier – peuvent prendre leur retraite de manière anticipée à partir de 58 ans.
Ceux qui ont cotisé 5 trimestres avant 20 ans peuvent bénéficier d’un départ anticipé de deux ans par rapport à l’âge légal, soit 60 ans aujourd’hui et 62 ans demain.
La deuxième condition est d’avoir atteint l’âge d’ouverture des droits spécifiques fixé en relation avec chacune des bornes d’âge.
La troisième condition est d’avoir cotisé le nombre de trimestres requis, et pas seulement de les avoir validés.
En l’état actuel du droit, la durée de cotisation des personnes ayant commencé à travailler avant 16 ans est égale à celle qui est exigée de tous les assurés plus 8 trimestres, soit 2 ans. Elle est donc de 44 ans à l’heure actuelle ; elle passerait à 45 ans avec la réforme, mais nous allons modifier cette mesure et la réduire.
Celles et ceux qui ont commencé à travailler avant 20 ans doivent avoir cotisé 5 trimestres avant 20 ans, ils doivent avoir atteint l’âge de 60 ans et avoir cotisé pendant 42 années complètes. Après la réforme, ils devront avoir 62 ans et avoir cotisé pendant 43 années.
Le nombre d’années cotisées est bien souvent cause de déception pour les assurés. Prenons le cas d’un travailleur qui fait valoir son droit à un départ anticipé, parce qu’il a atteint 60 ans et cotisé 5 trimestres avant 20 ans : il doit démontrer qu’il a cotisé 168 trimestres. Toutefois, s’il a fait son service militaire, les 4 trimestres qui sont validés à ce titre ne sont pas cotisés ; par conséquent, ils ne comptent pas. Il en va de même pour une femme ayant commencé à travailler avant 20 ans qui, une fois devenue mère, prend, comme c’est son droit, un congé parental : durant celui-ci, les trimestres continuent d’être validés, mais ils ne sont pas cotisés. Nous changerons également cela.
En l’état actuel du droit, pour ceux qui ont commencé à travailler avant 20 ans, le dispositif de départ anticipé – je reviendrai sur ce que nous proposons de changer, ainsi que sur les coûts, comme cela m’a été demandé –, s’il se traduit par une bonification théorique de 2 ans, ne permet de bénéficier que d’une bonification effective de 9 mois au regard des trois conditions cumulatives que j’ai citées.
Ce dispositif est donc bien souvent une machine à déception – j’en viens à votre question dans un instant, monsieur Joyandet, mais ces éléments relatifs à la construction du dispositif participent de la réponse que je vais vous donner concernant les coûts.
Par ce projet de loi, nous proposons d’apporter deux modifications à ce dispositif.
La première est la création d’une nouvelle borne d’âge à 18 ans, qui permettra à ceux qui ont cotisé 5 trimestres avant 18 ans de bénéficier d’un départ anticipé, non pas de 2 ans, mais de 4 ans.
La seconde est la création, que le Gouvernement a proposée à l’Assemblée nationale, mais qu’il soutiendra par voie d’amendement dans cet hémicycle, d’une autre borne d’âge, qui permettra à ceux qui ont cotisé 5 trimestres avant 21 ans de bénéficier d’une bonification de 1 an.
Il me paraît en effet – mais nous en débattrons – que l’on peut considérer qu’une personne qui a cotisé 5 trimestres avant 21 ans a commencé à travailler tôt.
Monsieur Joyandet, vous m’avez posé des questions relatives au coût des dispositions que vous proposiez d’introduire par l’amendement que vous avez été amené à retirer pour les raisons que vous avez évoquées.
Comme je l’ai indiqué à l’Assemblée nationale, la suppression de la troisième condition de départ anticipé, soit le fait d’avoir cotisé 43 années complètes, étant entendu que les deux premières conditions cumulatives – l’atteinte de l’âge spécifique d’ouverture des droits et les 5 trimestres cotisés avant la borne d’âge – seraient maintenues, coûterait entre 300 et 350 millions d’euros.
Par ailleurs, l’ouverture des droits à la retraite anticipée à tout assuré ayant travaillé ne serait-ce qu’un jour avant ses 21 ans et qui satisferait à la seule condition d’avoir cotisé pendant 43 années coûterait entre 7 et 10 milliards d’euros. Vous conviendrez que c’est inabordable.
S’il s’agit enfin de garantir à tout assuré qui a commencé à travailler avant 21 ans et qui remplit la condition relative au nombre de trimestres cotisés avant une borne d’âge définie, et ce, indépendamment de tout âge spécifique d’ouverture des droits, le coût serait de l’ordre de 1,7 milliard d’euros.
Comme vous pouvez le constater, monsieur le sénateur, ces montants élevés contreviennent à l’objectif d’équilibre du système que nous pouvons partager.
Je terminerai par quelques mots sur les carrières longues et sur l’amendement n° 2127 rectifié de M. Savary.
En ce qui concerne les carrières longues, vous avez suggéré, monsieur le sénateur Alain Joyandet, que les 43 années de cotisation constituent un plafond au-delà duquel aucun assuré ne serait obligé de continuer à travailler.
Je ne peux que m’opposer à une telle proposition, qui contrevient aux principes mêmes qui fondent notre système de retraite depuis sa création et en vertu desquels les deux conditions cumulatives pour prendre sa retraite sont l’atteinte de l’âge légal d’ouverture des droits – dont je répète, comme je l’ai indiqué lors de l’examen de l’article 7, qu’il constitue une protection contre les machines à décote que sont les systèmes fondés uniquement sur la durée de cotisation – et la durée de cotisation.
Or, dans le système tel qu’il est conçu, la durée de cotisation est considérée, non pas comme un plafond, mais comme un plancher.