PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
M. le président. La séance est reprise.
Nous poursuivons les prises de parole sur l’article 7.
La parole est à M. Pierre Ouzoulias.
M. Pierre Ouzoulias. Cette réforme emporte des conséquences budgétaires importantes, ainsi que le président Retailleau nous l’a dit avec justesse. Monsieur le ministre, vous devez la vérité aux Français à ce sujet : quels seront ses effets sur les comptes de l’État ? Le Président de la République avait reconnu lui-même que l’un des objets de la réforme était de trouver de nouvelles marges en la matière. Plusieurs économistes ont ainsi considéré que la hausse de recettes qui en découlerait pour l’État attendrait 0,6 point de PIB dans dix ans.
Les Français forment une nation très politique. Ils ont compris l’objet de votre projet : instaurer un nouvel impôt, qui va leur coûter deux années de vie.
Chers collègues de la majorité sénatoriale, vous serez associés à cet impôt sur la vie, payé par les seuls salariés. Les Français ont manifesté en masse aujourd’hui pour vous dire qu’ils n’en veulent pas.
Monsieur le ministre, il est temps de retirer cet article ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – Mme Marie-Arlette Carlotti applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, sur l’article.
Mme Esther Benbassa. Monsieur le ministre, votre obstination ne fait que redoubler la colère des Français, qui ont été des millions aujourd’hui à dire encore une fois non à votre réforme des retraites. La mobilisation dans la rue est massive et déterminée, celle des esprits l’est tout autant.
Au-delà du recul de l’âge de départ à 64 ans, c’est l’attitude du Président de la République et de son gouvernement qui pose un véritable problème : les Français ne vous ont pas élus pour faire cela, mais vous agissez comme si c’était le cas.
Nous sommes désolés que le débat tant promis aux Français n’ait finalement pas eu lieu. Combien d’amendements défendus par l’opposition au Sénat ont-ils été adoptés ? Quasiment aucun. Est-ce cela, « rester ouvert aux propositions du Sénat et trouver un chemin ensemble », ainsi que le préconisait Mme Borne ?
Monsieur Dussopt, vous revendiquez une « réforme de gauche ». Êtes-vous sérieux ? Ce texte dévoile au contraire au grand jour votre identité politique : vous êtes de droite, dévoué au capital privé et au modèle ultralibéral.
S’il est vrai que l’espérance de vie n’a cessé de s’accroître pour les Français, les inégalités sociales face à la mort demeurent également. À 65 ans, 31 % des plus pauvres sont déjà décédés, contre seulement 7 % des plus riches. Ces chiffres sont effroyables.
Un tiers des Français les plus modestes passeront leur vie entière à travailler et ne trouveront un répit que dans la mort. Est-ce là votre conception de la justice sociale ?
Vous ne faites que creuser davantage les inégalités de toutes sortes, sous couvert de rééquilibrage du financement du système de retraite. Retirez cette réforme, le peuple vous le demande ! Faites-le avant que la violence ne prenne le dessus et que les jeunes ne descendent massivement dans la rue ! (Mmes Laurence Cohen et Marie-Arlette Carlotti ainsi que M. Daniel Breuiller applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Olivier Cadic, sur l’article. (M. Alain Duffourg applaudit.)
M. Olivier Cadic. Mes chers collègues, comme vous le savez, je représente les Français établis hors de France. Au Royaume-Uni, où je réside, l’âge légal de départ à la retraite est de 66 ans ; en Suisse, de 65 ans, en Belgique également, mais il sera porté à 66 ans en 2027, puis à 70 en 2030. Il atteint déjà 67 ans en Allemagne et en Italie, ainsi qu’au Danemark, où il sera toutefois reculé à 69 ans en 2035.
Il y a tout juste un an, lors de la campagne présidentielle, Emmanuel Macron avait indiqué que l’âge légal de départ à la retraite serait fixé à 65 ans. Afin de prendre en compte les incompréhensions, et dans une volonté de recherche de consensus, le Gouvernement a décidé de le porter de 62 à 64 ans, et non plus à 65 ans. C’est cela qui est prévu à l’article 7. La France aura ainsi toujours l’âge de départ à la retraite le moins élevé.
Beaucoup de nos compatriotes à l’étranger sont sidérés par les manifestations et les protestations auxquelles nous assistons. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe CRCE.) La plupart d’entre eux vivent dans des pays où, si l’on ne travaille pas, on ne mange pas. À l’étranger, la France est vue comme le pays qui fait le plus dans le domaine social. C’est un choix de société, me direz-vous.
Plusieurs sénateurs des groupes CRCE, SER et GEST. Oui !
M. Olivier Cadic. Il n’apparaît pas pour autant que les Français soient les plus heureux du monde, si j’en crois les propos que certains de nos collègues tiennent depuis quatre jours dans cet hémicycle.
M. Thomas Dossus. À cause de qui ?
M. Olivier Cadic. Au Sénat, afin de consolider le régime de retraite, nous avons régulièrement voté pour passer l’âge légal à 65 ans ; le Gouvernement a raison d’aller dans cette direction, il n’est pas le seul à penser ainsi : on vit plus longtemps, on travaille plus longtemps. Je tiens à remercier les Français qui comprennent que cet effort partagé est nécessaire. (Applaudissements sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing, sur l’article.
M. Daniel Chasseing. Si nous voulons conserver l’équilibre de nos comptes sociaux ainsi que notre régime de retraite, sans diminuer les pensions ni augmenter les cotisations, et protéger la sécurité sociale, sans pour autant faire peser la dette sur les générations futures, nous devons proposer des solutions.
Ce texte en contient deux : l’augmentation plus rapide que prévu de la durée de cotisation et le report de l’âge. À elles deux, elles emportent un gain de 17 milliards d’euros.
La première s’appuie sur la loi du 20 janvier 2014 garantissant l’avenir et la justice du système de retraites, dite loi Touraine, votée durant le mandat du président Hollande, qui a imposé 43 ans de cotisation pour une retraite complète, soit 172 trimestres, en 2035. Ce projet de loi diminue de sept ans ce délai en fixant cette date à 2027, sans rien changer d’autre.
Ainsi, une personne née en 1963 et qui a commencé à travailler à 21 ans en 1984 pourra partir à la retraite en 2027, après 43 annuités. Elle aura alors bien 64 ans.
La seconde est le report de l’âge de 62 à 64 ans. D’aucuns nous demandent si la loi Touraine n’aurait pas suffi, avec ses 43 ans de cotisation. Dans ce cas, plusieurs profils ne seraient toutefois pas concernés : actifs, hyperactifs, fonctionnaires, etc.
S’agissant des seniors, le Gouvernement doit appliquer sans faute ce qui est prévu dans ce projet de loi, complété par les propositions de la commission : les mesures relatives à la pénibilité, avec un compte professionnel de prévention amélioré, celles qui concernent les carrières longues, la retraite à 1 200 euros, ou encore l’amélioration des retraites des femmes. L’emploi des seniors doit en outre être prioritaire, comme le préconise d’ailleurs la commission, avec le CDI seniors, la retraite progressive et les aides aux entreprises.
Monsieur le ministre, au vu de la mobilisation des syndicats, il me semble qu’une loi sur le travail aurait été utile avant ce projet, en concertation avec les partenaires sociaux. Il convient maintenant de trouver une solution pour renouer un contact efficace. (Mme Colette Mélot applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé, sur l’article.
M. Franck Montaugé. Monsieur le ministre, nous sommes parvenus à l’acmé de ce texte régressif, dont nos débats depuis jeudi ont démontré qu’il était injuste, injustifié, injustifiable et stigmatisant pour certaines corporations.
On nous présente comme l’alpha et l’oméga de la politique de la France une prolongation de deux ans de vie au travail ; à ce moment de l’histoire de notre Nation, on attend pourtant du chef de l’État qu’il rassemble et soude les composantes du peuple français. Celles-ci sont toutes appelées à faire vivre les idéaux de la République et à contribuer au bien commun dans un monde ouvert et complexe.
Pourquoi ce nouvel assujettissement de très nombreux Français, souvent usés ou déjà cassés par une longue vie de travail ? D’abord parce qu’il faut leur faire payer l’amortissement des centaines de milliards d’euros du « quoi qu’il en coûte » et l’état calamiteux des comptes publics, qui se sont dégradés considérablement depuis 2017. Nous n’avons pas assez insisté sur ce point depuis jeudi.
Les menaces mondiales sont multiples : stagflation, changement climatique, inégalités, crise de l’énergie, conséquences de l’intelligence artificielle sur le travail, recompositions géopolitiques dans lesquelles la France compte pour trop peu, etc. Certains observateurs avisés affirment qu’elles doivent être considérées en priorité pour construire les politiques publiques de demain, mais vous avez choisi d’hystériser notre vie publique.
Le travail est un facteur majeur de souveraineté nationale et de socialisation pour tous les Français, dans l’équité et l’égalité entre les hommes et les femmes. Il doit le rester, tout en évoluant par le dialogue social et par l’écoute des corps intermédiaires. Vous êtes sourds à ces exigences, dont la prise en compte déterminera pourtant la place de la France dans le monde et le bonheur des Français. Ceux-ci ont droit au repos, au terme d’une vie de labeur, à 62 ans.
Retirez cette réforme ! (Mme Marie-Arlette Carlotti applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Corinne Féret, sur l’article.
Mme Corinne Féret. Je ne comprends pas le silence de mes collègues de la majorité présidentielle, qui, depuis jeudi, ne sont pas intervenus une seule fois pour défendre votre texte.
M. Alain Richard. Mais si !
M. Jean-Baptiste Lemoyne. C’est faux !
Mme Corinne Féret. Permettez-moi de m’interroger.
Cet article 7 contient la mesure la plus dure, le cœur du réacteur de la réforme : le report de 62 à 64 ans de l’âge légal de départ à la retraite, soit deux années de plus pour tout le monde.
Les mobilisations massives et pacifiques qui ont eu lieu partout en France aujourd’hui sont l’expression d’un rejet des 64 ans par l’immense majorité de la population et du monde du travail. Vous ne voulez pourtant ni le voir ni l’entendre. Il s’agit, à mon sens, d’une faute démocratique extrêmement grave.
Vous savez que votre réforme est injuste et brutale, que ceux qui travaillent à temps partiel, notamment les femmes, les salariés précaires ou qui ont des emplois pénibles, vont particulièrement en pâtir. Le nombre de seniors inscrits au chômage ou au RSA va augmenter. Bien plus, si les gens travaillent plus longtemps, le nombre d’arrêts maladie et le risque d’accidents du travail vont s’accroître dans certains métiers.
À la veille du 8 mars, Journée internationale des droits des femmes, l’égalité professionnelle devrait être une exigence de justice sociale et un vecteur de financement de notre système de protection sociale. Il faudrait donc s’attaquer réellement aux inégalités entre les femmes et les hommes. Vous ne le faites pas.
Vos approximations – c’est peu de le dire ! – autour de la pension minimale à 1 200 euros ne trompent plus personne. Plus de la moitié des femmes partent avec une pension de retraite inférieure à 1 000 euros et ne bénéficieront pas de la revalorisation de 100 euros.
Quant aux carrières longues, c’est à ne plus rien y comprendre ! Vos petites concessions à la droite – des mesurettes ! – ne dupent personne. Vous aviez promis d’aménager le dispositif permettant un départ anticipé : sur ce point non plus, les choses ne sont pas claires.
En vous appuyant sur cet article 7, vous prétendez mener une réforme budgétaire permettant de sauver notre système de retraite par répartition ; c’est faux ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Laurence Cohen applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, sur l’article.
M. Jean-Pierre Sueur. Laurent Berger avait prévenu, il y a déjà de très nombreux mois : non à une réforme paramétrique. La même toise, la même norme, le même chiffre pour tout le monde, ce n’est pas acceptable, quand on connaît la diversité des situations.
Cela a été dit encore et encore : il y a tellement de métiers difficiles et pénibles dans beaucoup de domaines, dans la construction, par exemple, mais aussi dans le secteur social.
J’ai eu l’occasion de rencontrer les aides à domicile, qui doivent parfois se rendre dans cinq foyers différents dans la journée, en supportant les temps de transport, auxquels s’ajoute le soin aux personnes. Il s’agit là d’êtres humains qui sont très fatigués et qui ne sauraient exercer ce métier jusqu’à 64 ans.
Il était possible de prendre en compte la diversité des situations et de négocier autre chose, mais vous avez absolument voulu tout unifier à 64 ans. Vous avez ainsi suscité la colère dont nous avons encore été témoins aujourd’hui.
Les organisations syndicales demandent à être reçues par le Président de la République. C’est la moindre des choses. Je forme le vœu qu’elles obtiennent une réponse et que cesse ce climat de diversion tout à fait incompréhensible, qui pourrait encore augmenter la colère et le désarroi. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur des travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à Mme Frédérique Espagnac, sur l’article.
Mme Frédérique Espagnac. Malgré l’opposition de l’ensemble des organisations syndicales, malgré celle de plus de huit Français sur dix, malgré les millions de grévistes qui ont marché dans tout le pays, vous vous obstinez à mener cette réforme injuste et à vouloir décaler à 64 ans l’âge légal de départ à la retraite.
Pourtant, une autre réforme était possible. Lorsque nous avons voté la loi Touraine en 2014, nous avons étalé dans le temps sur vingt ans, jusqu’en 2035, l’effort demandé et, surtout, nous l’avons réparti entre les retraités, les employeurs et les salariés. L’urgence est maintenant d’introduire plus de justice dans notre système de retraite.
Le décalage à 64 ans va toucher ceux qui ont commencé à travailler le plus tôt et ceux qui sont les plus précaires. Il va augmenter le nombre de personnes ne se trouvant ni en emploi ni à la retraite, qui atteint déjà 1,5 million.
La Drees a chiffré à près de 4 milliards d’euros l’impact des réformes sur les prestations annexes. Invalidité, minima sociaux, vous vous livrez à un véritable jeu de bonneteau, alors que certaines personnes devront encore travailler 44 ans, soit un an de plus que les 43 annuités requises. C’est la double peine.
La véritable nécessité est de résoudre les inégalités face à l’espérance de vie. Il subsiste aujourd’hui treize ans d’écart entre l’espérance de vie des 5 % de Français les plus riches et celle des 5 % les plus pauvres. Il est également impératif de résoudre les inégalités de pension entre les femmes et les hommes.
Il aurait fallu augmenter le taux d’emploi des plus de 55 ans grâce à la formation continue, à un dispositif spécialisé dans l’accompagnement au retour à l’emploi et à la retraite progressive. Ainsi, le régime aurait été équilibré à l’horizon 2032.
Il aurait fallu revenir sur les exonérations de cotisations pour les salariés qui perçoivent plus de 2,5 Smic, afin de dégager 2 milliards d’euros par an. Le COR, dans son scénario le plus pessimiste, indique qu’il aurait suffi d’augmenter en 2028 les cotisations de 14 euros au niveau du Smic et de 28 euros au niveau des salaires médians pour assurer l’équilibre du système de retraite.
Enfin, il aurait fallu récupérer tout ou partie de la CSG affectée à la Cades, en allongeant le rythme de remboursement au-delà de 2033 ou en en sortant la dette due au covid-19, afin de récupérer 9 milliards d’euros par an.
Choisissez donc la voie du progrès social et non la régression.
M. le président. Il faut conclure !
Mme Frédérique Espagnac. Entendez le message des Français qui ont manifesté aujourd’hui dans les rues du pays.
Retirez cette réforme ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Jacques Fernique applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, sur l’article.
M. Jean-Yves Leconte. Messieurs les ministres, mes chers collègues de la majorité sénatoriale, si vous permettez le vote de cet article 7, vous vous attaquerez à la capacité de la Nation à avoir confiance dans son avenir, à la justice sociale et à la République.
Vous attaquerez la capacité de la Nation à avoir confiance dans son avenir, car cela fait maintenant plus de trente ans que l’on explique aux Français que leurs retraites ne sont pas finançables et qu’on lance des réformes comportant toujours les mêmes solutions, qui ne fonctionnent pas.
Nous vous affirmons pourtant que le système est aujourd’hui finançable, que le poids des pensions dans le PIB reste constant – il a même vocation à baisser, ce qui pourrait être inquiétant pour ce qui concerne leur montant.
Vous attaquerez la justice sociale, car ce sont les plus fragiles, ceux qui, demain, paieront vos dettes, qui partiront plus tard, avec des pensions plus faibles, et qui vivront dans une précarité parfois terrible.
Enfin, messieurs les ministres, vous attaquerez la République. Si vous êtes au banc du Gouvernement aujourd’hui, c’est parce que la gauche a considéré qu’Emmanuel Macron devait être élu pour éviter que Mme Le Pen ne le soit et, avec elle, le populisme, le nationalisme, la remise en cause de l’État de droit et le repli sur soi. Ne trahissez pas ce mandat ! Voilà ce que vous dit le peuple, ce que vous disent les 4 millions de Français qui étaient aujourd’hui dans les rues. Vous aviez mandat pour défendre la République, mais vous l’attaquez.
Vive la République, vive la retraite à 62 ans ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. Alain Milon, sur l’article.
M. Alain Milon. Madame Rossignol, vous avez prétendu que nous n’avions pas auditionné les syndicats ; c’est faux. Vous savez très bien que la commission des affaires sociales a auditionné l’ensemble des syndicats de salariés. Tout le monde était présent, à gauche comme à droite. En revanche, quand nous avons également auditionné les syndicats patronaux, la droite était toujours là, mais la gauche est partie !
Mme Cathy Apourceau-Poly. C’était insupportable !
M. Alain Milon. Seule Mme Raymonde Poncet Monge est restée. (Mme la présidente de la commission des affaires sociales témoigne sa gratitude à Mme Raymonde Poncet Monge. – Marques d’ironie sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.) La tolérance exige pourtant que l’on écoute tout le monde.
Ensuite, je me suis souvenu d’une phrase de Spinoza : « Ni rire, ni pleurer, ni haïr, mais comprendre. » J’essaie de comprendre la loi du 20 janvier 2014 garantissant l’avenir et la justice du système de retraites.
Ce texte avait été déposé à l’Assemblée nationale le 18 septembre 2013, transmis au Sénat le 15 octobre 2013. La rapporteure en était notre collègue Christiane Demontès. Nous avions disposé de sept jours pour l’examiner : les 28, 29, 30 et 31 octobre ainsi que les 4 et 5 novembre, une période contrainte, coincée entre l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale et celui du projet de loi de finances.
Cette loi a mis en place les 43 annuités pour l’ensemble de la population. L’âge moyen d’entrée dans le travail en France est de 22 ans et 7 mois. Or nos concitoyens qui commencent à travailler à cet âge ne bénéficient pas de l’intégralité de leurs trimestres de cotisation. Quand ils prennent leur retraite, ils subissent une proratisation au regard du nombre de trimestres qu’ils ont cotisés ainsi qu’une décote. Vous fabriquez en réalité des retraités pauvres.
Pour autant, 64 ans n’est pas non plus l’âge idéal à associer aux 43 ans issus de la loi dite Touraine : il aurait fallu choisir 65 ans.
Les propositions de la commission des affaires sociales…
M. le président. Il faut conclure !
M. Alain Milon. … sur la pénibilité, sur les femmes, sur l’accessibilité, sur le handicap et sur l’invalidité apparaissent, en revanche, comme des mesures qui visent à adoucir les rigueurs de la loi Touraine. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mmes Sylvie Vermeillet et Colette Mélot applaudissent également.)
Rappel au règlement
Mme Laurence Rossignol. Je suis mise en cause une deuxième fois pour mes propos. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) Bien sûr, la commission a reçu les syndicats, c’était encore le cas le 16 février.
J’ai toutefois parlé de recevoir l’intersyndicale ; tous ceux qui ont un peu d’expérience des mouvements sociaux savent qu’une intersyndicale n’est pas comparable à la somme des syndicats reçus un par un, les uns à côté des autres.
La revendication de l’intersyndicale est d’ailleurs d’être reçue par le Gouvernement.
M. Alain Milon. Nous avons reçu les syndicats ensemble !
M. le président. La parole est à Mme Émilienne Poumirol, sur l’article.
Mme Émilienne Poumirol. « Nous vivons plus longtemps, nous devons donc travailler plus longtemps », telle est la litanie que vous nous répétez depuis le début de ce débat. C’est la seule logique qui semble animer votre projet, alors que vous avez en réalité préparé une réforme budgétaire pour combler les déficits liés aux cadeaux que vous avez faits aux riches.
Pourtant, la réalité démographique est loin d’être aussi simple et votre réponse ne devrait pas être aussi simpliste : il faut différencier l’espérance de vie de l’espérance de vie en bonne santé, laquelle varie selon la classe sociale d’origine et l’emploi occupé.
C’est bien la qualité de vie à la retraite qui compte. Or les chiffres sont là : les 5 % d’hommes les plus riches ont une espérance de vie de 84 ans, contre 71,7 ans pour les 5 % les plus pauvres, soit un écart de 13 ans, dont le Gouvernement ne semble pas prendre la mesure. Pour les femmes, l’écart est de 8,3 ans.
En France, les plus pauvres passent sept années de moins à la retraite que les plus aisés. Avec votre réforme, ils perdront encore deux ans. Il s’agit là d’un inacceptable impôt sur la vie.
Votre justification démographique n’est pas conforme à la réalité, elle est dogmatique. Notre système de retraite souffre d’un problème de recettes, nous n’avons eu de cesse de vous le répéter et de vous faire des propositions pour le résoudre. Vous les avez aveuglément refusées.
Cette réforme est inutile et injuste. Nous ne voulons pas de cet impôt sur la vie qui pénalisera les plus défavorisés ayant exercé les métiers les plus pénibles.
Retirez cette réforme ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.)
M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, sur l’article.
Mme Laurence Rossignol. Nous sommes entrés aujourd’hui dans une nouvelle phase du mouvement social et de la confrontation autour de cette réforme des retraites.
Jusqu’à présent nous débattions d’un sujet social : la réforme des retraites ; à partir d’aujourd’hui, nous avons un sujet démocratique. Selon le ministère de l’intérieur, la première manifestation avait rassemblé 1,12 million de personnes ; selon la même source, il y en avait aujourd’hui 1,28 million.
Vous avez eu beau menacer le pays des dix plaies d’Égypte et parier que les problèmes de pouvoir d’achat des Français les empêcheraient de se mettre en grève ; ceux-ci ont été encore plus nombreux aujourd’hui.
La question, maintenant, monsieur le ministre, est la suivante : qu’allez-vous faire ? Au-delà des votes de cette assemblée, qu’allez-vous faire du mouvement social ? Sur quoi jouez-vous ? Sur le pourrissement ? Sur la « giletjaunisation » ?
M. Michel Dagbert. Oh !
Mme Laurence Rossignol. Sur le fait que des gens soient tellement désespérés de ne pas être entendus qu’ils en viennent à s’exprimer par la violence, alors que le mouvement était démocratique et sympathique au départ ? Pariez-vous sur l’épuisement ? (Marques d’agacement croissantes sur les travées du groupe Les Républicains.)
Monsieur le ministre, votre réforme va coûter deux ans de vie aux Français ; elle risque de coûter des années à la démocratie et au pacte républicain. Voilà ce que nous essayons de vous faire comprendre.
Nous connaissons nos divergences quant à l’allongement de l’âge de la retraite, mais jamais celles-ci ne se sont exprimées ici alors qu’entre 1,5 million et 3 millions de personnes étaient dans la rue. Jamais les Français ne se sont autant impliqués dans ce débat.
Aujourd’hui, la balle est dans votre camp. Où est passé le discours du Président de la République après le deuxième tour de la présidentielle ? Il remerciait alors ceux-là mêmes qui sont aujourd’hui dans la rue d’avoir voté pour lui.
Alors que le Front national et l’extrême droite sont en embuscade, alors que la radicalité menace de tous les côtés, qu’allez-vous faire de notre pays, monsieur le ministre ? (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
M. le président. La parole est à M. Rachid Temal, sur l’article.
M. Rachid Temal. J’ai lu l’interview de M. le ministre publiée ce week-end dans laquelle il disait être un homme de gauche et mener une réforme de gauche. Pourtant, au vu de ce qu’il propose et de ce que son texte est en train de devenir au Sénat, j’ai le sentiment qu’il est dans l’erreur.
Monsieur le ministre, vous êtes en train d’être dévoré par la droite. Je comprends que mes collègues de droite prennent très peu la parole : leur camp en a rêvé ! Ce que la droite n’a pas pu, pas su ou pas voulu faire, même durant les mandats de MM. Sarkozy et Chirac, vous le lui offrez sur un plateau.
La réalité est simple : vous avez beaucoup donné aux entreprises ; maintenant, il faut financer tout cela et l’addition doit donc être payée par tous les Français.
En outre, vous n’avez plus de majorité pour tenir. Nous voyons bien ce qui dessine dans ce débat : après la capitalisation, après le CDI seniors, viendront d’autres mesures…
M. René-Paul Savary, rapporteur. Nous l’espérons, en effet !
M. Rachid Temal. … qui vont détricoter notre pacte social.
Comme vous serez obligé de vous allier à la droite pour faire passer votre texte à l’Assemblée nationale, vous céderez. Monsieur le ministre, avec cette réforme, vous aurez été l’homme de gauche qui a offert la victoire la plus complète à la droite, contre le mouvement social et contre les Français.
Nous pratiquons ici la démocratie parlementaire, mais la démocratie sociale existe également ; les syndicats participent à la vie sociale de notre pays, c’est même inscrit dans la Constitution.
Je vous demande donc de vous faire l’écho des Français dans la rue. Votre rôle, dans les prochaines heures, pourrait ainsi être de proposer au Président de la République de recevoir l’intersyndicale. Alors, la pression baissera peut-être et nous pourrons poursuivre nos travaux pour aboutir, non pas à votre texte, mais à une réforme juste. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit également.)