M. le président. La parole est à M. Thomas Dossus, sur l’article.
M. Thomas Dossus. Nous arrivons au débat sur l’article 7 au soir d’une journée historique, qui a donné lieu à l’une des plus grandes mobilisations sociales dans notre pays depuis cinquante ans. Dans tous les territoires, dans toutes les villes, quelle que soit leur taille, les Français vous ont hurlé leur rejet de cette réforme.
Nous sommes dans une situation de blocage démocratique. Il y a quelques mois, pourtant, la Première ministre Élisabeth Borne était venue, ici, au Sénat, pour nous présenter son discours de politique générale. Elle affirmait alors qu’elle consulterait plus encore les corps intermédiaires, les forces vives de notre pays, les Français de chaque territoire et que, plus que jamais, elle mènerait chaque réforme en lien étroit avec les organisations syndicales.
Six mois plus tard, Mme Borne présentait ce projet de loi. Par le mépris affiché, elle a contribué à la constitution d’une intersyndicale historique et d’un mouvement social exemplaire, massif, déterminé et – pour l’instant – pacifique.
Les seuls alliés qu’a trouvés Mme Borne sont dans cette assemblée : il s’agit du groupe Les Républicains, qui, fidèle à ses idéaux réactionnaires (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) et complice du tour de force démocratique, a servi de bouée de sauvetage au Gouvernement.
M. Philippe Pemezec. Démagogie !
M. Thomas Dossus. Depuis quatre jours, la quasi-totalité de la majorité sénatoriale observe le silence. Certains collègues ont passé ces quatre jours assis dans un fauteuil, se contentant de lever la main en suivant les consignes de vote du Gouvernement. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Vous devez pourtant des explications aux Français. Expliquez-leur pourquoi ils devront trimer deux ans de plus, quand, depuis trois jours, vous épargnez les plus favorisés, les superprofiteurs de crise, les bénéficiaires de rentes et les détenteurs de capital.
Ici, dans la chambre des territoires, je vous le demande : entendez les millions de voix qui sont élevées dans toutes les villes, dans tous les villages de tous nos territoires, et renoncez à cette réforme brutale et tellement injuste ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mme Marie-Arlette Carlotti et M. David Assouline applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Michelle Gréaume, sur l’article.
Mme Michelle Gréaume. Votre gouvernement vient de briser le plafond de verre, monsieur le ministre. Vous avez oublié que vous n’avez pas été élu en majorité pour votre programme, vous avez oublié que vous avez bénéficié en partie du report républicain. Ce n’est pas la même chose !
Malgré tout, vous n’écoutez pas le peuple qui crie haut et fort qu’il ne veut pas de cette réforme.
Et vous, mes chers collègues de la majorité sénatoriale, expliquez donc aux salariés pourquoi vous n’avez pas voulu voter les différentes propositions de financement que nous vous avons soumises !
Elle est belle, la démocratie ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) Même le référendum a été refusé ! Pour vous, la seule solution est de reculer l’âge de départ à la retraite.
Vous estimez que des efforts doivent être faits. Mais pourquoi seraient-ils consentis uniquement par les salariés ? Pourquoi ne pas associer le grand patronat ou les plus aisés ?
Est-ce ainsi que vous remerciez ceux qui produisent et qui font tourner l’économie de notre pays ?
Selon le journal Le Monde, des enquêtes réalisées par la direction ministérielle et qui ont été présentées au COR en janvier 2022 confirment les dommages collatéraux qu’entraînera cette réforme.
Le décalage de l’âge de 62 à 64 ans se traduira par une hausse de 84 000 bénéficiaires des allocations chômage, dont 60 000 âgés de 62 et 63 ans.
On observera de plus un basculement vers les minima sociaux, à raison de 30 000 bénéficiaires supplémentaires du RSA et de 30 000 bénéficiaires supplémentaires de l’allocation de solidarité spécifique, réservée aux personnes ayant épuisé leurs droits au chômage.
Telle est la réforme que vous proposez, une réforme qui appauvrira la France. Retirez cette réforme, monsieur le ministre, car, croyez-moi, le conflit social va se durcir ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – M. Mickaël Vallet et Mme Marie-Arlette Carlotti applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Claude Raynal, sur l’article.
M. Claude Raynal. Avec l’article 7, qui opère le recul de l’âge légal de la retraite de 62 à 64 ans, nous en venons au seul point qui unit la droite macroniste à la droite sénatoriale. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Olivier Rietmann lève les bras au ciel.)
Si nous en sommes là, mes chers collègues, c’est parce que cette mesure, présentée à quatre reprises dans le cadre de précédents PLFSS, était la seule condition de l’accord.
Depuis vendredi, mes chers collègues, vous nous amusez avec un index seniors inutile et non contraignant.
Vous nous amusez avec un contrat senior tout aussi inutile et qui emportera un véritable effet d’aubaine pour les entreprises.
Vous nous amusez en présentant un tableau d’équilibre de la réforme pour le moins peu crédible.
Au fond, depuis vendredi, vous ouvrez la voie à la réforme qui vient. Certains parlent d’une forme de retour au système par points, d’autres évoquent l’introduction d’une capitalisation collective.
En tout état de cause, on commence à entendre la petite musique – je suis sûr que vous l’entendez comme moi – selon laquelle, à l’issue des travaux parlementaires, l’atteinte de l’équilibre financier en 2030, qui supposait 17 milliards d’euros d’économie, serait désormais incertaine.
Bref, on commence à nous susurrer que, cette réforme étant inutile, il faudrait commencer à travailler sur la suite.
Tout cela m’amène à vous suggérer, chers collègues LR, de ne plus déposer d’amendement sur les retraites à l’avenir. (Sourires et applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
M. le président. La parole est à M. Patrice Joly, sur l’article.
M. Patrice Joly. Je souhaite souligner les inégalités territoriales supplémentaires qu’emportera ce projet de loi, en particulier le report de l’âge de la retraite de deux ans.
Les métiers exercés dans les territoires ruraux présentent fréquemment des caractères particuliers de pénibilité, qui usent ceux qui les occupent. Dans ces territoires, le poids de certains secteurs est nettement plus élevé que la moyenne nationale. C’est le cas de l’agriculture, de la sylviculture, de la transformation du bois, du bâtiment, des travaux publics, des métiers de l’industrie, notamment métallurgique – les territoires ruraux sont des territoires d’industrie de longue date –, mais aussi, du fait de la part élevée de personnes âgées au sein de ces territoires, des métiers de service à la personne – aide ménagère, aide-soignant, infirmier.
Les écarts d’espérance de vie entre territoires sont importants, et ce au détriment des territoires ruraux : deux ans en moyenne, et jusqu’à quatre ans, en particulier dans le département que je représente.
Les raisons en sont multiples : plus faible niveau de revenu, accès difficile aux professionnels de santé ou aux établissements de soins – la fermeture inacceptable de la maternité d’Autun est d’ailleurs contestée par les élus et la population du fait des risques auxquels elle exposera les mères et les nourrissons –, surreprésentation des métiers pénibles.
À cela s’ajoutent les différences de répartition des catégories sociales, rappelées à l’instant par notre collègue Émilienne Poumirol. Or aucune politique publique n’est mise en œuvre de manière suffisamment résolue pour remédier aux inégalités existantes.
Monsieur le ministre, n’ajoutez pas de l’injustice à l’injustice. Retirez à la fois cet article et ce projet de loi ! (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à Mme Angèle Préville, sur l’article.
Mme Angèle Préville. Monsieur le ministre, nous, les femmes, allons subir une régression de nos droits sans précédent à cause de votre réforme des retraites.
Nos droits, nous les avons acquis difficilement, et nous ne voyons pas le bout du chemin vers une légitime égalité. C’est à se demander combien de milliers d’années il nous faudra pour aboutir, enfin, à l’égalité salariale, combien de temps il nous faudra quémander justice. C’est d’une tristesse absolue.
Or vous nous enlevez le peu que nous avions. Vous supprimez sans vraiment le dire les trimestres légitimement acquis par les mères, et ce n’est qu’au détour de vos incantations à la pédagogie, sous prétexte de mieux faire comprendre votre projet, qu’enfin le lièvre a été levé.
Maintenant, nous le savons : les femmes sont perdantes. Elles sont, et c’est scandaleux, les grandes perdantes de votre projet de loi. Comment avez-vous osé laisser croire le contraire ?
Je ne prendrai qu’un exemple concret de cette injustice envers les femmes : celui d’une femme née après 1967, ayant commencé sa carrière à 21 ans, travaillant dans le privé et mère d’un enfant. Avant la réforme, elle pouvait prendre sa retraite à 62 ans à taux plein et bénéficier d’une surcote de 10 % en travaillant jusqu’à 64 ans. Avec la réforme, elle doit obligatoirement prendre sa retraite, non pas à 62, mais à 64 ans, et elle ne bénéficie que de 5 % de surcote. La preuve est faite : telle est la réalité !
Je citerai également une AESH (accompagnante d’élèves en situation de handicap) travaillant dans mon département, qui devra travailler jusqu’à 67 ans pour avoir 500 euros de retraite : « On a des trous dans nos carrières. On a des métiers précaires et mal payés, et notre statut n’est pas reconnu. » Comme plus de 3 millions de Français, elle était dans la rue aujourd’hui.
Le mauvais coup que vous faites aux femmes ne m’inspire qu’un mot : impardonnable ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées des groupes CRCE et GEST.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Jomier, sur l’article.
M. Bernard Jomier. Un certain nombre de chefs d’État, confrontés à des mouvements d’opinion parfois bien moins forts que celui qui s’exprime actuellement, ont su prendre la bonne décision et retirer un projet de loi.
Ce fut le cas – cela ne m’a pas fait plaisir – de François Mitterrand en 1984. (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.) Il est ensuite resté onze ans à l’Élysée. Sa vie politique ne s’est pas arrêtée, et il n’a pas été condamné à l’inaction pour autant.
Ce fut également le cas de Jacques Chirac, qui n’a pas plus été condamné à l’inaction.
Il y a une sagesse à écouter le peuple. À ceux qui ressassent des slogans éculés selon lesquels ce n’est pas la rue qui gouverne et qui fait la loi, je réponds que la démocratie parlementaire ne s’affaiblit pas quand elle écoute le peuple. Elle se renforce au contraire, parce qu’en écoutant le peuple elle montre qu’elle a un lien direct avec lui.
Et lorsque ce dialogue, ce lien n’existent pas, ce sont les extrêmes qui en profitent.
Ce qui est en train de se passer dans notre pays m’inquiète. Je comprends que vous soyez attachés à cette réforme que vous avez toujours portée, mes chers collègues de la majorité sénatoriale. Je sais les valeurs et le message que vous voulez porter politiquement.
Mais interrogez-vous : alors que la rue comme les enquêtes d’opinion montrent combien le mouvement est puissant dans toute la France, y compris dans les petites villes, ce lien que vous avez avec le peuple est menacé.
Je crois qu’il est temps de faire prévaloir des intérêts qui dépassent ce simple texte. Il n’est pas honteux de renoncer pour remettre l’ouvrage sur le métier dans de meilleures conditions. C’est même la garantie que la société entière accepte une réforme.
Notre pays est déjà assez fragile. Il a besoin d’être rassemblé. Cessez donc de le diviser.
Retirez ce texte ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées des groupes CRCE et GEST.)
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Daniel Salmon, sur l’article.
M. Daniel Salmon. Malgré l’opposition historique qui s’est manifestée ce mardi 7 mars, malgré l’opposition de l’ensemble des organisations syndicales et de plus de huit Français sur dix, vous vous obstinez à vouloir aller au bout de cette réforme injuste.
L’article 7, par le rehaussement de l’âge légal de départ à la retraite et l’accélération de la hausse de la durée de cotisation, impose une double peine à ceux qui ont commencé à travailler tôt ou qui ont eu des carrières hachées ou pénibles.
Cet article est au cœur des injustices qu’emporte ce projet de loi. Il prévoit une mesure brutale et disproportionnée au regard des prévisions de déficit du système de retraite.
Ce report de l’âge légal, qui nous est présenté comme un horizon indépassable, découle pourtant d’un choix idéologique promu par la droite en dépit de l’opposition d’une majorité de nos concitoyens.
En vérité, le système de retraite n’est pas structurellement en danger. Il n’y a pas de menace de déficit insurmontable.
Dans son rapport, le COR juge qu’il n’y a pas de dynamique non contrôlée des dépenses de retraites. Il évoque une « trajectoire maîtrisée » jusqu’en 2070. Mais sans doute voyez-vous plus loin, vous qui n’avez pas vu venir le réchauffement climatique !
Vous souhaitez rééquilibrer financièrement un système de retraite que vous jugez à la dérive. Soit ! Nous avons indiqué de nombreuses pistes : taxer davantage les pensions de retraite les plus élevées, augmenter le taux d’emploi des seniors et donner à chacun une garantie d’emploi dans des métiers utiles à la société.
En tout état de cause, n’imposez pas cette réforme contre l’avis de toutes les organisations syndicales et contre la grande majorité des Françaises et des Français.
En poursuivant dans cette voie, vous causeriez un tort considérable à notre pays.
Retirez cette réforme tant qu’il en est encore temps ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à M. Guy Benarroche, sur l’article.
M. Guy Benarroche. I had a dream. (Sourires.) J’ai fait un rêve : celui d’une vraie loi Travail, une loi du XXIe siècle, qui tienne compte des énormes modifications de l’organisation du travail qui sont à l’œuvre au sein de notre société.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Elle arrivera au printemps !
M. Guy Benarroche. Une loi qui vise non pas seulement à abonder les profits des grands capitaux, mais qui fasse ruisseler les gains de productivité permis par la mécanisation et la robotisation sur les travailleuses et les travailleurs.
J’ai rêvé d’un gouvernement qui gouverne, monsieur le ministre, qui prévoie, qui coélabore avec les citoyens, avec les travailleurs, avec les parlementaires, avec les syndicats.
Au lieu de cela, cette loi de calcul comptable de fin de siècle est bâtie sur des présupposés qui ne se vérifient plus aujourd’hui dans nos sociétés industrielles.
Au lieu de cela, le Gouvernement s’apprête, main dans la main avec la majorité de droite et centriste du Sénat, à porter atteinte au droit à la retraite de millions de nos concitoyens et à notre système de retraite par répartition.
Contrairement aux annonces de l’exécutif, ce projet de loi ne permettra ni d’équilibrer financièrement le système – vous commencez à le dire –, ni de préserver le système par répartition – des amendements visant à introduire une dose de capitalisation ont d’ailleurs été déposés –, ni de garantir une retraite minimale de 1 200 euros par mois – il vous a fallu l’avouer, monsieur le ministre.
En reportant de deux ans l’âge d’ouverture des droits à la retraite, le but de cet article n’est ni plus ni moins que de faire peser l’équilibre du système de retraite sur le dos des travailleuses et des travailleurs plutôt que sur le capital.
Ne parvenant pas à défendre son projet, le Gouvernement a choisi, par le recours à un PLFRSS, de museler et de tronquer le débat.
M. le président. Il faut conclure !
M. Guy Benarroche. Après les alertes du Conseil d’État – dans un avis resté fantôme – ainsi que du président du Conseil constitutionnel, le groupe écologiste demande le retrait de ce projet de loi et l’ouverture de véritables négociations avec l’intersyndicale. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à M. Éric Kerrouche, sur l’article.
M. Éric Kerrouche. Monsieur le ministre, ce soir, nous tous, sur les travées de gauche, nous faisons l’écho de ceux qui, cet après-midi, se sont réunis par centaines de milliers, par millions.
Cette réforme aura certes révélé l’opposition, au sein de cette assemblée, d’un bloc de gauche et d’un seul bloc de droite.
Pour autant – nous n’avons eu de cesse de le répéter –, rien ne va dans cette réforme : le montant à rembourser a été fixé unilatéralement, et le critère le plus injuste – celui des 64 ans – a été choisi sur le fondement d’études d’impact lacunaires, sans prise en compte des conséquences sur le chômage et les seniors, sans compter les contre-vérités qui ont été assenées, comme celle d’une pension minimale de 1 200 euros.
Les Français – ils vous l’ont dit haut et fort – ne veulent pas de cette réforme. En plus d’être injustifiée, car le problème tient, non pas au déficit, mais au manque de recettes, celle-ci fait des perdants : les femmes, les plus faibles, ceux dont la carrière est hachée.
Monsieur le ministre, comme moi et comme d’autres dans cet hémicycle, vous êtes ce qu’on appelle un transfuge de classe. Votre trajectoire est tout à fait particulière, puisque vous avez des origines modestes et que comme moi, je crois, vous avez été boursier.
Que s’est-il passé, monsieur le ministre ? À quel moment avez-vous oublié d’où vous venez ? (Protestations indignées sur les travées des groupes RDPI et Les Républicains.)
M. Xavier Iacovelli. Fait personnel !
M. Éric Kerrouche. Comment pouvez-vous brutaliser ceux que vous avez connus et qui vous regardent ?
M. Olivier Paccaud. Monopole des leçons de morale !
M. Éric Kerrouche. Que vous est-il arrivé ? Réveillez-vous, monsieur le ministre, et souvenez-vous de celui que vous avez été ! (Mêmes mouvements.)
M. le président. La parole est à Mme Annie Le Houerou, sur l’article.
Mme Annie Le Houerou. L’intérêt de reporter l’âge légal à 64 ans est limité au regard des coûts cachés qu’emporte cette mesure.
Le président de la Fédération nationale de la mutualité française estime, par exemple, que les coûts liés à l’invalidité augmenteront de 8 milliards d’euros.
Le report de l’âge légal risque également d’ouvrir et de renforcer la trappe à pauvreté pour les seniors qui ne sont ni en emploi ni à la retraite.
Il n’est pourtant absolument pas démontré que les seniors coûteront globalement moins cher à la société s’ils restent plus longtemps sur le marché du travail.
Les jeunes retraités de ma région Bretagne jouent un rôle essentiel au sein des associations caritatives, culturelles, sportives ou dans la vie municipale. Nombreux sont ceux qui se lèvent à six heures du matin pour préparer les colis des Restos du Cœur ou pour récupérer le pain invendu dans les boulangeries.
Certains Français préfèrent prendre leur retraite et travailler bénévolement pour une cause en laquelle ils croient et dont ils mesurent concrètement l’intérêt plutôt que de continuer à travailler.
Ils pallient les défaillances du service public auprès des jeunes, pour l’accompagnement aux devoirs, auprès des familles pauvres, des étrangers délaissés ou de nos aînés isolés. Ils interviennent dans les Ehpad pour soutenir le personnel qui n’en peut plus.
Non seulement vous n’avez pas tenu compte des coûts cachés, monsieur le ministre, mais vous n’avez pas évalué non plus la richesse cachée qui est produite par ces jeunes retraités.
Cette réforme des retraites ne risque-t-elle pas de provoquer l’écroulement de tout un pan économique de la société, non pris en compte bien qu’il produise des richesses cachées ?
Inquiets de votre réforme, monsieur le ministre, ces retraités étaient dans la rue aujourd’hui pour défendre les droits de leurs enfants. Ils vous demandent le retrait de l’article 7 et du projet de loi lui-même ! (Applaudissements sur des travées du groupe SER. – Mme Laurence Cohen applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Serge Mérillou, sur l’article.
M. Serge Mérillou. Le report de deux ans de l’âge légal de départ à la retraite constitue une mesure antisociale et une grande injustice.
En frappant aveuglément, avec une brutalité inouïe, toutes celles et tous ceux qui ont travaillé toute leur vie, toutes celles et tous ceux qui se sont levés tôt, vous attaquez l’idée même du progrès et de la justice sociale, monsieur le ministre.
Vous imposez à toutes et à tous un impôt de deux ans sur la vie en bonne santé, sur ce temps libre qui échoit à chacune et à chacun après une vie de labeur.
Au nom d’un pseudo-pragmatisme gestionnaire, qui ne saurait dissimuler une certaine soumission à la cupidité des actionnaires, vous sacrifier l’humain pour rassurer les marchés en imposant votre dogme libéral.
Vos arguments sont fallacieux, monsieur le ministre. Le COR l’a démontré, les études et les contre-projets l’attestent. Vous vous arc-boutez pourtant sur une mesure profondément injuste et antisociale au nom d’une urgence imaginaire qui menacerait le système par répartition. Ce n’est pas faute, sur nos travées, d’avoir été force de proposition pour imaginer ensemble notre avenir.
En dépit de vos coups de menton et de votre tsunami de communication, vous qui occupez jusqu’à n’en plus finir les plateaux de télévision, des millions de Français vous disent non.
Ils ne sont pas dupes. Vous baptisez « progrès » des reculs sociaux. Vous qualifiez de « juste » un impôt sur la vie. À force de fascination pour les cabinets de conseil, je crains que vous n’ayez perdu le sens du réel.
Vous ne mesurez plus le coût humain de vos arbitrages. Vos statistiques n’intègrent ni la désespérance ni la colère de ceux qui ne se sentent plus entendus. (Applaudissements sur des travées du groupe SER. – Mmes Laurence Cohen et Raymonde Poncet Monge applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. David Assouline, sur l’article.
M. David Assouline. Pour comprendre ce qui se passe aujourd’hui et qui semble incompréhensible pour certains dans cet hémicycle, il faut revenir un peu en arrière, à ce moment de tétanisation qu’a été la crise du covid-19.
Dans cette situation inédite, le pays a tenu grâce à ses premiers de corvée : les infirmières, les aides-soignants, les salariés de la grande distribution et tous ceux qui ont continué à faire tourner le pays.
Nous avons alors cru à un moment de grâce : à droite comme à gauche, tout le monde avait une admiration et une reconnaissance inouïes pour ces personnes. Souvenez-vous, mes chers collègues, nous les applaudissions en nous disant que rien ne pourrait être comme avant.
Le niveau des salaires, puis l’inflation et les angoisses liées à la crise climatique ont eu raison de tout cela, si bien que désormais, pour eux, c’est comme avant, mais en pire.
Aujourd’hui, on les remercie en leur prenant les deux plus belles années de leur retraite, alors qu’ils font les métiers les plus pénibles, qu’ils se lèvent tôt le matin et qu’ils ont tenu le pays pendant le covid-19.
Mme Chantal Deseyne. Éléments de langage !
M. David Assouline. Pour mesurer l’ampleur du mouvement social qui s’est exprimé dans la rue, il faut prendre en compte tout cela, monsieur le ministre. Car vous ajoutez la goutte d’eau qui peut faire déborder le vase. (Marques d’impatience sur les travées du groupe Les Républicains.) Ce mouvement est trop profond pour s’arrêter là.
M. le président. Je vous prie de respecter votre temps de parole.
La parole est à M. Jean-Luc Fichet, sur l’article.
M. Jean-Luc Fichet. Il y a gène. Le mutisme de l’autre côté de l’hémicycle rend cette gêne palpable.
Il y a plusieurs formes de silence. J’en retiendrai trois.
On peut se taire parce qu’on n’a rien à dire, parce qu’on ne croit pas à ce qu’on a à dire ou parce qu’on pourrait donner raison à ses contradicteurs. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Même sur les réseaux sociaux, ce projet de loi, censé apaiser les gens et les faire rêver à une retraite agréable, ne fait pas recette. C’est le service minimum. Du reste, les commentaires laissés à ceux qui se risquent à y aborder le sujet sont impitoyables.
Les propos d’une parlementaire Renaissance de mon département, relayés en première page d’un grand quotidien, illustrent cet état de fait : « Je vote parce que je ne peux pas faire autrement. » Tout est dit !
Mme Françoise Gatel. Cette parlementaire fait ce qu’elle veut !
M. Jean-Luc Fichet. Dans quelque temps, il faudra évaluer en quoi l’avenir des Français aura été amélioré au travers de ce projet de loi.
Il y a une échéance qui permettra de le faire : les élections sénatoriales. Les maires sont en effet sensibles aux difficultés de leurs administrés, dont ils sont proches et avec lesquels ils échangent. C’est pourquoi je ne doute pas qu’à l’occasion des sénatoriales ils le feront savoir à tous les candidats de la droite qui auront imposé aux Français de travailler deux ans de plus et ils les confronteront à l’ineptie de ce projet de loi. (Mmes Marie-Arlette Carlotti et Annie Le Houerou ainsi que M. Christian Redon-Sarrazy applaudissent.)
M. le président. La parole est à Mme Monique Lubin, sur l’article.
Mme Monique Lubin. La donne est simple : le cadre budgétaire européen impose aux États membres une pression permanente pour que ceux-ci réduisent leur déficit public et leur dette. Les retraites, poste important de la dépense publique, constituent à ce titre une cible privilégiée.
Vous avez donc choisi de « taper » les retraites. Comme vous voulez faire des économies immédiatement, il vous faut organiser un moindre versement de pension et des rentrées de cotisations plus importantes, ce qui implique d’empêcher les Français qui doivent faire valoir leur droit à la retraite dans les deux ans à venir de le faire, y compris ceux qui travaillent déjà depuis plus de quarante ans parce qu’ils ont commencé à travailler jeunes et qui exercent souvent les métiers les plus difficiles.
Ces Français ont parfaitement compris, mais vous, vous ne comprenez pas.
Des millions de Français descendent dans la rue, font grève, se privent de salaire, et le Président de la République regarde ailleurs.
Le porte-parole du Gouvernement a annoncé – déclaration ridicule s’il en est – la fin du monde si les Français persistaient à manifester leur colère. Mais ce ne sont pas ces Français qui menacent notre pays : c’est l’entêtement de votre gouvernement, son mépris qui blesse les Français. Or il n’y a rien de bon à attendre d’un peuple blessé.
En tout état de cause, je constate que les ministres et les éminents représentants de leur majorité au Sénat se moquent du tiers comme du quart de ce que j’ai à dire, occupés qu’ils sont à discuter et à rire. (Applaudissements sur des travées des groupes SER et GEST.)