Mme la présidente. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.
M. Jean Louis Masson. Madame le ministre chargé des collectivités territoriales, étant aussi grande que deux fois la Belgique, la région Grand Est ne permet aucune gestion de proximité. De plus, elle étouffe l’ancienne région d’Alsace, dont l’identité est très forte.
M. André Reichardt. Oui !
M. Jean Louis Masson. Tous les sondages montrent qu’une écrasante majorité des Alsaciens souhaite sortir du Grand Est.
M. André Reichardt. Tout à fait !
M. Jean Louis Masson. Malheureusement, les membres de l’exécutif régional s’accrochent à leurs prébendes et prétendent le contraire.
M. François Bonhomme. Ce n’est pas gentil !
M. Jean Louis Masson. Le sujet du Grand Est sera inévitablement évoqué lors de l’examen du prochain projet de loi de différenciation annoncé pour le début de l’année 2024.
Auparavant, il faut cependant clarifier la situation pour couper court aux controverses politiciennes. Un référendum préalable – j’insiste sur ce mot – et non a posteriori est donc indispensable pour connaître l’avis des Alsaciens de manière démocratique et incontestable.
Sans vous demander de vous prononcer sur l’opportunité d’un redécoupage de la région Grand Est, je vous pose donc, madame le ministre, la question suivante : acceptez-vous le principe de l’organisation d’un tel référendum ?
Mme Véronique Guillotin. Non !
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Monsieur le sénateur Masson, la question du statut de l’Alsace au sein de la région Grand Est a fait l’objet, depuis la création de cette dernière, de débats locaux et nationaux que nous avons tous entendus.
Comme vous le savez, les deux départements du Haut-Rhin et du Bas-Rhin ont fusionné le 1er janvier 2021, donnant naissance à la Communauté européenne d’Alsace (CEA). Cette évolution institutionnelle, qui a été accompagnée par le Gouvernement et le législateur, a apporté une réponse consensuelle aux demandes des citoyens et des élus alsaciens. Elle a permis d’adapter l’organisation des collectivités alsaciennes aux besoins spécifiques de leur territoire, en dotant la CEA de compétences supplémentaires justifiées par les enjeux particuliers auxquels cette collectivité fait face, notamment en matière de coopération transfrontalière.
Une organisation différenciée existe donc déjà en Alsace ; je crois qu’il est important que nous lui donnions le temps de produire ses effets.
Du point de vue juridique, notons ensemble que le législateur a prévu que la modification des limites territoriales d’une région ne peut intervenir que par le biais de la loi, soit sur l’initiative du Gouvernement, après consultation du conseil régional et des conseils départementaux concernés, soit à la demande de ces conseils.
Je crois, monsieur le sénateur, que le Gouvernement a déjà largement démontré sa volonté de permettre aux collectivités territoriales d’adapter leur organisation. Il a ainsi notamment voulu faciliter, dans le cadre de la loi 3DS, la création de collectivités territoriales uniques regroupant la région et ses départements. Ce principe d’adaptation est essentiel à nos yeux, car il permet aux collectivités de mieux répondre aux enjeux auxquels elles font face.
J’estime donc que nous devons d’abord pleinement investir les possibilités que nous offre déjà la loi. (M. Ludovic Haye ainsi que Mmes Patricia Schillinger et Véronique Guillotin applaudissent.)
M. André Reichardt. C’est décevant !
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour la réplique.
M. Jean Louis Masson. Madame le ministre, je suis quand même un peu surpris que vous puissiez dire que tous les Alsaciens sont contents ! Si tel est le cas, pourquoi donc ne voulez-vous pas organiser un référendum ? Votre réponse, madame le ministre, c’est n’importe quoi ! (Rires sur des travées du groupe Les Républicains.)
En réalité, tout le monde est mécontent en Alsace, et tout le monde l’est également dans les autres départements du Grand Est, car nous sommes victimes d’une région tentaculaire.
Alors, si tout était comme vous le dites, madame le ministre, et que tout le monde était content en Alsace, vous ne prendriez aucun risque à organiser un référendum pour demander l’avis des gens. Pourquoi en avez-vous peur ?
Vous n’exprimez donc pas votre point de vue réel quand vous dites que tout va bien : c’est un mensonge ! À chaque consultation par sondage, on constate que les Alsaciens sont mécontents et qu’il se trouve également en Lorraine et en Champagne-Ardenne une majorité désireuse de remettre en cause la taille de la région Grand Est.
Alors, madame le ministre, laissez-moi vous dire une chose : le Gouvernement fait ce qu’il veut, mais il faut quand même arrêter de mentir ! (MM. Alain Duffourg et Sébastien Meurant applaudissent.)
Mme la présidente. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.
Notre prochaine séance de questions au Gouvernement aura lieu le mercredi 14 décembre, à quinze heures.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures vingt-cinq, est reprise à seize heures trente-cinq.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
3
Mise au point au sujet de votes
Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Delcros.
M. Bernard Delcros. Madame la présidente, lors des scrutins nos 81, 82 et 84, je souhaitais voter contre, et non pour.
Mme la présidente. Acte vous est donné de cette mise au point, mon cher collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique des scrutins concernés.
4
Communication relative à une commission mixte paritaire
Mme la présidente. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de finances pour 2023 n’est pas parvenue à l’adoption d’un texte commun.
5
Candidatures à une commission mixte paritaire
Mme la présidente. J’informe le Sénat que des candidatures pour siéger au sein de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027 ont été publiées.
Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
6
Hausse des prix de l’énergie pour les collectivités territoriales
Rejet d’une proposition de loi
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, de la proposition de loi visant à protéger les collectivités territoriales de la hausse des prix de l’énergie en leur permettant de bénéficier des tarifs réglementés de vente de l’énergie, présentée par M. Fabien Gay, Mmes Céline Brulin, Cécile Cukierman et plusieurs de leurs collègues (proposition n° 66, résultat des travaux de la commission n° 161, rapport n° 160).
Dans la discussion générale, la parole est M. Fabien Gay, auteur de la proposition de loi.
M. Fabien Gay, auteur de la proposition de loi. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, il y a le texte, qui réclame le retour aux tarifs réglementés du gaz et de l’électricité, et il y a le contexte. Permettez-moi de commencer par ce dernier.
En tant que groupe minoritaire et d’opposition, nous disposons d’une ou de deux niches parlementaires par an. Il nous faut donc évidemment bien choisir nos textes. Pour cela, deux solutions s’offrent à nous.
Nous pouvons, parce que notre projet politique est à l’opposé de celui de la majorité sénatoriale, choisir de déposer un texte pour combattre politiquement celle-ci et marquer des points. Nous l’avons déjà fait dans cet hémicycle en débattant de la renationalisation des concessions autoroutières, de l’interdiction de toute coupure d’énergie tout au long de l’année ou d’un pôle public du médicament.
Ce faisant, il arrive parfois qu’une position minoritaire devienne majoritaire. L’idée d’inscrire l’interruption volontaire de grossesse (IVG) dans la Constitution, par exemple, continue de faire son chemin, et un texte en ce sens a même été adopté par l’Assemblée nationale.
De même, une proposition de loi tendant à la création d’une délégation parlementaire aux droits de l’enfant sera débattue de nouveau demain au Sénat ; nous nous en réjouissons et espérons qu’elle sera adoptée.
La seconde option consiste à trouver une position qui rassemble, l’idée ayant fait son chemin dans la société ou dans notre hémicycle. Saluons, par exemple, la revalorisation des retraites agricoles, proposée par mon ami André Chassaigne.
Je me réjouis également que nous soyons parvenus à nous mettre d’accord, que ce soit, sous l’impulsion de ma collègue Cécile Cukierman, lorsque les aides personnelles au logement (APL) avaient été rabotées de 5 euros par le ministre Julien Denormandie, ou encore pour que nous puissions avoir voix au chapitre sur l’accord économique et commercial global (Ceta).
Je dois vous dire, mes chers collègues, que nous pensions que cette proposition de loi, qui vise à revenir à des tarifs réglementés du gaz et de l’électricité pour toutes les collectivités, entrerait dans la seconde catégorie.
En effet, la situation est extrêmement grave pour nos collectivités. Nous connaissons tous les raisons de la situation actuelle : la guerre en Ukraine, l’arrêt d’une partie de nos centrales nucléaires – nous en avons parlé lors de la séance de questions d’actualité au Gouvernement –, qui a fait de nous, alors que nous étions des exportateurs nets, des importateurs nets d’électricité et, bien sûr, la dérégulation du marché.
Nous aurons d’ailleurs à débattre de la question du marché européen de l’électricité. Sur ce sujet aussi, je vois que même les ministres bougent. Pendant des années, vous nous avez ri au nez lorsque nous disions qu’il ne fonctionnait pas. Désormais, même le ministre de l’économie et des finances dit qu’il faut découpler les prix du gaz et de l’électricité – tant mieux !
Il faudra tout de même un jour nous expliquer comment un marché sans stock peut s’organiser. Car le principe d’un marché libre, c’est une production qui rencontre une demande. Or il n’y a actuellement pas de stock d’électricité. Nous subissons donc une pure spéculation, qui nous affecte, nous et nos collectivités.
Toutes nos collectivités font face à ce problème, quels que soient leur couleur politique, leurs choix budgétaires ou leur taille. Et comme, ici, il n’y a que des sénateurs et sénatrices de terrain, vous avez dans vos circonscriptions les mêmes discussions que les sénateurs et sénatrices communistes dans les leurs.
Dans mon département de la Seine-Saint-Denis, si vous demandez aux élus les augmentations de leur budget, le maire de Noisy-le-Sec vous répondra : « +800 000 euros », celui de Neuilly-sur-Marne : « +1 million d’euros » et le président de département : « +30 millions d’euros » !
Comme vous le voyez, j’ai pris tout l’arc républicain politique de la Seine-Saint-Denis. Et dans chaque département, c’est la même chose !
Certes, nos collectivités sont inventives. Mais les problèmes qu’elles rencontrent sont particulièrement difficiles à surmonter : l’inflation touche non seulement l’énergie, mais aussi les matières premières. Les personnes qui gèrent des collectivités ou des cantines scolaires voient bien les difficultés à boucler les budgets.
Or, il faut le dire, les prix de l’électricité, comme ceux du gaz, ne redescendront pas. La crise est durable.
Ainsi, nos collectivités sont face à un dilemme : soit elles augmentent les impôts, ce qui, nous en conviendrons toutes et tous, est impossible ; soit elles s’endettent pour financer un budget de fonctionnement, ce qui est ingérable ; soit elles ferment des services publics, ce qui est évidemment impensable. Il est donc demandé à nos maires de bricoler.
Faut-il baisser le chauffage dans les écoles ou les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) ? Je vous laisse vous en charger. Faut-il ne pas chauffer les piscines en plein hiver ? Je ne connais personne qui ait envie de se baigner dans une eau à 12 degrés… Faut-il demander aux usagers des bibliothèques de garder leurs manteaux pour aller consulter un livre, sous peine de les voir en ressortir comme des pingouins ? (Rires.) Ce n’est évidemment pas sérieux.
Il faut donc innover pour répondre à la crise. Vous l’avez fait, madame la ministre, avec plusieurs dispositifs. Mais je mets quiconque au défi d’expliquer le dernier en date.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Vous, vous auriez fait mieux, bien sûr ! (Sourires sur les travées du groupe RDPI.)
M. Fabien Gay. Le dernier en date, déjà bricolé trois fois en un mois et demi, impose trois critères. Or personne ne remplit les trois !
Mes chers collègues, n’hésitez pas à demander à vos préfets de vous l’expliquer, je vous assure que vous passerez un bon moment ! (Sourires sur les travées du groupe CRCE.)
En revanche, nos collectivités, elles, doivent gérer. Alors, parfois, il faut inventer, mais, d’autres fois, lorsque l’on ne peut plus mettre de rustines sur une jambe de bois, il faut se tourner vers le passé.
Je ne dis pas qu’il faille faire preuve de dogmatisme, en vertu d’un quelconque attachement philosophique. Pour notre part, vous savez que nous sommes attachés à la nationalisation des entreprises énergétiques : c’est Marcel Paul, ministre communiste, qui a nationalisé EDF et GDF et qui a inventé les tarifs réglementés de vente d’électricité (TRVE), esquissant la promesse que chacun aurait accès à l’énergie, où qu’il soit, à un prix raisonnable.
Toutefois, ce n’est pas par attachement que nous défendons les tarifs réglementés. C’est parce qu’ils sont l’outil le plus efficace que nous connaissions ! Nous sommes donc surpris, aujourd’hui, que la majorité refuse d’y revenir, et je vous assure, madame la ministre, que s’agissant de la fin des tarifs réglementés du gaz pour tous, vous nous trouverez sur votre chemin.
Prévue au 30 juin 2023, cette suppression des tarifs réglementés du gaz pour tous les usagers sera infernale pour 5 millions de foyers. J’espère donc que, au moins sur cette question, nous parviendrons à nous rassembler.
Par ailleurs, si je remercie M. le rapporteur de la discussion franche que nous avons eue en commission, je reviendrai sur les quatre arguments qu’il y a développés.
Son premier argument est que les TRVE coûteraient très cher : 50 milliards d’euros, nous a-t-il dit. Or, par la suite, une étude indépendante du Sénat a montré que cela coûterait seulement 3,5 milliards d’euros. Je le répète, 3,5 milliards d’euros pour le retour des tarifs réglementés du gaz et de l’électricité pour toutes les collectivités…
Mes chers collègues, le bouclier tarifaire, le filet de sécurité, le relèvement de 20 térawattheures de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (Arenh) et l’indemnisation des acteurs alternatifs auront coûté quelque 43 milliards d’euros en un an.
Voici l’alternative : 43 milliards d’euros donnés aux acteurs alternatifs, en une année, contre 3,5 milliards d’euros si nous votons cette proposition de loi. Franchement, c’est le choix entre le privé ou le public, entre le racket organisé et la gabegie, d’une part, et l’efficacité, d’autre part.
Ensuite, M. le rapporteur argue que, si toutes les collectivités devaient rompre leurs contrats, elles auraient des contentieux. Or nous n’avons jamais prôné cela ! Celles qui ont un marché n’ont qu’à y rester. Nous ouvrons simplement l’accès aux tarifs réglementés à celles qui se retrouvent face à des factures ayant gonflé de 30 % en moyenne et atteignant même parfois 300 %.
Que l’on s’entende bien : nous ne demandons à personne de rompre son contrat. Nous n’obligeons personne à revenir aux TRVE ; nous ouvrons cette possibilité pour les collectivités dont les contrats arrivent à terme.
Le troisième argument de M. le rapporteur consiste à dire que nous serions contraints par le droit européen. Permettez-moi de vous rappeler qu’il existe des dérogations ! D’ailleurs, les tarifs réglementés s’appliquent d’ores et déjà aux collectivités de moins de 10 équivalents temps plein (ETP) ou de moins de 2 millions d’euros de chiffre d’affaires. C’est donc possible !
Je vous rappelle également que l’Espagne et le Portugal ont obtenu une dérogation, car il est écrit dans le droit européen que des entraves à la réalisation d’un marché concurrentiel sont possibles lorsqu’elles répondent à un objectif d’intérêt économique général, lorsqu’elles garantissent la cohésion territoriale ou lorsqu’elles permettent le maintien d’un prix raisonnable. Nous estimons que nous nous trouvons dans cette situation.
Enfin, le dernier argument de M. le rapporteur est que bien des choses auraient été faites lors du vote du budget… Ici, il n’y a ni sot ni naïf : nous savons très bien que le texte du budget que nous avons voté hier repartira à l’Assemblée nationale et que la Première ministre déclenchera pour la huitième fois l’article 49.3 de la Constitution. Il ne restera rien de ce que nous avons adopté !
Mme Cécile Cukierman. Très bien !
M. Fabien Gay. Tant mieux si je me trompe, mais, en attendant que le PLF revienne au Sénat, je vous propose d’adopter cette proposition de loi pour ouvrir cette possibilité aux collectivités, pour le cas où rien ne subsisterait de nos dispositions dans le budget. Et comme la niche du groupe communiste à l’Assemblée nationale est programmée au mois de mai prochain, nous aurons le temps de faire le point sur ces dispositions d’ici là. Nous aurons tout loisir, si cela ne fonctionne pas, de corriger le tir.
En revanche, si nous ne votons pas le texte aujourd’hui et si le Gouvernement ne retient rien de nos échanges budgétaires, alors nous n’aurons plus la possibilité de venir en aide aux collectivités cette année.
Madame la ministre, mes chers collègues, j’espère que vous aurez été convaincus par mes arguments. Si tel n’était pas le cas, permettez-moi, en conclusion, de citer quelqu’un…
« Il faudra sans doute aller plus loin. Le groupe Les Républicains vous prie de revenir sur la suppression des tarifs réglementés, qui doit avoir lieu le 30 juin prochain. Un véritable bouclier ne doit pas consister simplement en un déversement d’argent public sur les ménages ou dans l’économie. Il y a des décisions à prendre. Or je n’ai pas entendu une seule intervention sur ces tarifs réglementés, alors que c’est fondamental. »
Ces paroles très sages ne sont ni de Jaurès ni de moi-même. Elles sont du brillant président Retailleau, le 12 octobre dernier. (Rires.)
Aussi, chers collègues de la majorité sénatoriale, si vous n’êtes pas convaincus par les arguments du groupe communiste, respectez au moins la parole du président Retailleau ! (Nouveaux rires et applaudissements.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Laurent Somon, rapporteur de la commission des affaires économiques. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi a le mérite d’aborder deux sujets de très grande importance : la hausse des prix de l’électricité et du gaz et la protection des collectivités territoriales.
L’objectif, louable, est une plus grande régulation des marchés de l’électricité et du gaz. Mais si notre commission partage le diagnostic établi, elle ne peut se rallier aux solutions proposées.
En effet, ces solutions sont, comme l’a d’ailleurs dit M. Gay, contraires au droit de l’Union européenne. Ce qu’il a omis de dire, c’est qu’elles seraient également coûteuses pour le groupe EDF et porteuses d’effets de bord pour les acteurs locaux, dont les collectivités territoriales.
C’est la raison pour laquelle notre commission a très largement rejeté la proposition de loi lors de sa réunion du 30 novembre dernier.
Ce texte vise à élargir les tarifs réglementés de vente de l’électricité (TRVE) et à proroger les tarifs réglementés de vente du gaz (TRVG) – un objectif louable, je le redis.
Je rappelle toutefois que, depuis la loi Énergie-climat de 2019, les TRV sont limités aux collectivités dont la puissance souscrite est inférieure à 36 kilovoltampères, dont le nombre d’agents ne dépasse pas 10 équivalents temps plein et dont les recettes annuelles sont plafonnées à 2 millions d’euros.
De plus, en application de cette même loi, les TRVG ont été supprimés le 1er décembre 2020 pour les clients professionnels consommant moins de 30 000 kilowattheures par an, et ils le seront également, pour les clients résidentiels et les propriétaires ou copropriétaires d’immeubles dont la consommation est inférieure à ce seuil, le 1er juillet 2023.
Les évolutions proposées sont ainsi problématiques à plusieurs titres.
Tout d’abord, elles ne tiennent pas compte des dispositifs de soutien tarifaires, budgétaires et fiscaux que nous venons d’adopter dans le cadre de l’examen des lois de finances, initiale et rectificative, pour 2022 et 2023.
Je rappelle que sont prévus, pour les collectivités, un blocage des TRVG à leur niveau d’octobre 2021, majoré de 15 %, du 1er janvier au 30 juin 2023 ; une compensation des TRVE à leur niveau de décembre 2022, majoré de 15 %, du 1er février au 31 décembre 2023 ; un amortisseur électricité pour les collectivités non éligibles aux TRVE ; un filet de sécurité selon les recettes et les coûts des collectivités ; enfin, une baisse de la taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité (TICFE) au minimum européen.
De plus, un prix de référence du gaz a été adopté, pour servir de base, en lieu et place des TRVG, dès juillet prochain, à l’application des nouveaux dispositifs de soutien.
Le coût de ces mesures a été évalué à 45 milliards d’euros au total, dont 20 milliards d’euros nets. Il s’ajoute au relèvement du plafond de l’Arenh, de 100 à 120 térawattheures, qui a coûté, ne l’oublions pas, 10 milliards d’euros au groupe EDF.
De surcroît, les évolutions proposées ne respectent pas le droit de l’Union européenne, ce qui exposerait bien sûr les collectivités à un risque juridique et financier.
M. François Bonhomme. C’est ennuyeux ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Laurent Somon, rapporteur. En effet, la directive du 5 juin 2019 réserve les TRVE aux clients résidentiels et aux microentreprises, auxquels sont assimilées les collectivités qui ne dépassent pas 10 agents et 2 millions d’euros de recettes. Elle prévoit également une méthode non discriminatoire et une notification dans un délai d’un mois.
De son côté, la directive du 13 juillet 2009 requiert la poursuite d’un intérêt économique général, ainsi que des critères de proportionnalité, de temporalité et de non-discrimination.
Dans un arrêt du 6 novembre 2019, le Conseil d’État a rappelé la nécessité de restreindre les TRVE aux consommateurs domestiques et petits professionnels, ainsi que de respecter – c’est très important – une méthode d’empilement des coûts.
Or il avait déjà considéré, dans un arrêt du 19 juillet 2017, que les TRVG ne remplissent pas l’objectif d’intérêt général et n’assurent ni la garantie des prix, car ils doivent couvrir les coûts des fournisseurs, ni la cohérence territoriale, car le gaz est substituable, son prix peu harmonisé et sa desserte peu étendue, ni, enfin, la sécurité d’approvisionnement, qui n’entre pas dans les missions des fournisseurs.
Ce cadre européen a été modifié par le règlement du 6 octobre 2022, qui autorise désormais à appliquer les TRVE aux PME ne dépassant pas 250 employés et réalisant de 46 millions d’euros à 50 millions d’euros de recettes. Une indemnisation des fournisseurs et un réexamen des mesures sont toutefois nécessaires.
S’agissant des TRVG, seule est autorisée l’institution d’une contribution de solidarité ; les tarifs réglementés ne le sont pas. Ainsi, cette proposition de loi est directement contraire au cadre européen.
Pour les TRVE, elle ne respecte aucun critère d’éligibilité et ne prévoit ni indemnisation ni notification. De plus, elle supprimerait l’Arenh qui, s’il doit à terme être réformé, garantit la conformité du marché national de l’électricité au cadre juridique européen.
S’agissant des TRVG, aucune base législative ou jurisprudentielle ne les autorise, d’autant qu’ils seraient non seulement maintenus, mais aussi élargis.
Par ailleurs, les évolutions proposées ne répondent pas aux besoins des collectivités.
Tout d’abord, les TRVE et les TRVG ne protègent pas, en tant que tels, les collectivités des hausses des prix, car leur niveau doit couvrir l’ensemble des coûts des fournisseurs – c’est le fameux mode de calcul par empilement.
M. Pierre Laurent. Ce ne sera pas 45 milliards d’euros !
M. Laurent Somon, rapporteur. Ce sont plutôt les dispositifs tarifaires, budgétaires et fiscaux liés à ces tarifs, qui viennent d’être adoptés par le Sénat, qui assurent cette fonction protectrice.
En outre, pour un grand nombre de collectivités ayant souscrit des offres de marchés, souvent via des groupements d’achat de leurs syndicats d’énergie, une résiliation anticipée de ces offres les obligerait à indemniser leurs fournisseurs, ce qui les fragiliserait contractuellement et les pénaliserait financièrement.
Plus largement, appliquer aux collectivités des tarifs réglementés contraires au cadre européen les exposerait de fait à un risque de contentieux et de remboursement.
Ne reproduisons pas les erreurs du passé. Nous nous souvenons tous ici – certains plus que d’autres – des contentieux sur la contribution au service public de l’électricité (CSPE) ou sur le relèvement du plafond de l’Arenh !
M. Fabien Gay. Il ne faut pas nous dire cela à nous !
M. Laurent Somon, rapporteur. Au reste, la vingtaine d’organismes que nous avons sollicités, collectivités comprises, nous l’a bien rappelé.
Enfin, les évolutions proposées sont de nature à déstabiliser les fournisseurs d’énergie.
M. Fabien Gay. Ben voyons !
M. Laurent Somon, rapporteur. Pour l’électricité, le groupe EDF serait contraint d’acquérir des volumes non anticipés, dans des proportions importantes et des délais serrés, sur les marchés de l’électricité ou auprès de concurrents. Compte tenu des prix de l’électricité, cela exposerait de fait la société à un risque financier très élevé. (Protestations sur les travées du groupe CRCE.)
Pour le gaz, le groupe Engie devrait se réorganiser, à six mois de l’extinction des TRVG, ces tarifs ayant cessé pour les nouveaux contrats en 2019 et les clients professionnels en 2020.
Selon les travaux de notre commission, le coût d’une application des TRVE et TRVG aux communes serait a minima de 2,5 milliards d’euros pour 2023. Dans les deux cas, les fournisseurs alternatifs seraient évincés au profit des fournisseurs historiques, au mépris du principe constitutionnel de libre concurrence.