Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Tissot. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit également.)
M. Jean-Claude Tissot. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, tout d’abord, je tiens à remercier les auteurs de cette proposition de loi : ils nous permettent, une nouvelle fois, de débattre et d’échanger sur les difficultés que rencontrent les collectivités territoriales pour faire face à l’explosion de leurs factures énergétiques.
Cette crise énergétique, sur laquelle nous pourrions revenir à l’occasion de chacun de nos débats, a des causes multiples et n’est pas seulement une conséquence de la guerre en Ukraine. Elle illustre aussi l’échec du marché européen de l’énergie, où la course aux profits a trop longtemps remplacé l’idée de souveraineté énergétique et de défense de l’intérêt général.
La période difficile que nous traversons, que ce soit pour les ménages, les entreprises ou les collectivités, est également symbolique des erreurs du modèle énergétique français, une multitude de choix ayant été faits trop tardivement pour des enjeux de long terme.
N’oublions pas que le retard de la France en matière de développement des énergies renouvelables va nous coûter plusieurs centaines de millions d’euros, faute d’avoir atteint les objectifs contraignants de l’Union européenne.
À cet égard, les divergences entre les États membres de l’Union européenne retardent fortement la prise des décisions sur les enjeux stratégiques pour le marché de l’énergie, qu’il s’agisse du plafonnement du prix du gaz, des achats en commun ou du découplage entre le prix de l’électricité et celui du gaz.
Dès lors, madame la ministre, les collectivités territoriales, garantes du bon fonctionnement de leur territoire et de leurs services publics, se trouvent acculées par des factures dont l’augmentation varie entre 30 % et 300 % pour le gaz et l’électricité. Ces hausses pourraient même représenter pour certaines communes jusqu’à plusieurs millions d’euros supplémentaires par rapport à leur budget prévisionnel annuel.
La seule solution dont disposent les collectivités, particulièrement les communes, est de restreindre ou de limiter les équipements et les services publics locaux. Mes chers collègues, nous avons tous malheureusement connaissance de communes qui font le choix de fermer des locaux municipaux pour faire face à leurs dépenses énergétiques.
Des conséquences directes sont aussi à craindre sur le traitement de l’eau et la gestion des déchets, qui sont des missions de service public particulièrement énergivores, mais indispensables à la vie en collectivité.
Il paraît inconcevable que les collectivités territoriales et leurs habitants subissent de manière aussi importante les conséquences des erreurs stratégiques de l’État et du Gouvernement.
Madame la ministre, vous nous répondrez très certainement, comme vous l’avez déjà fait dans votre propos liminaire, que le Gouvernement a pris toute sa part pour alléger les difficultés que rencontrent les collectivités dans ce contexte inflationniste, et nous ne vous donnerons pas totalement tort.
Malheureusement, ces mesures sont souvent trop limitées, notamment du fait des critères conditionnant le bénéficie du bouclier tarifaire. En outre, très logiquement, leur arrêt est programmé à court terme, ce qui empêche les collectivités d’avoir une bonne visibilité budgétaire.
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui répond à une logique de long terme, en permettant l’accès aux tarifs réglementés de vente d’électricité et de gaz dans les périodes de crise, mais aussi lors des retours à la normale.
Afin de répondre aux préoccupations des collectivités, nous avons collectivement obtenu, lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2023, malgré les fortes réserves du Gouvernement, un élargissement du filet de sécurité aux collectivités, même si nous l’aurions souhaité plus ambitieux.
L’amortisseur électricité, qui entrera en vigueur au 1er janvier 2023 pour les collectivités non éligibles au TRVE, est une bonne nouvelle, même si les seuils et les montants couverts auraient pu être plus larges, notamment pour les premiers mois de l’hiver 2023.
Toutefois, les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain pensent que les tarifs réglementés de vente peuvent apporter une réponse plus concrète et plus durable aux collectivités territoriales, en permettant un retour à la finalité première des TRV : la protection des usagers, de tous les usagers.
Nous partageons le point de vue présenté dans l’exposé des motifs de cette proposition de loi : la réglementation des tarifs symbolise parfaitement la nécessité d’une intervention publique dans le secteur hautement stratégique qu’est l’énergie, ainsi que l’indispensable engagement de l’État pour préserver les collectivités territoriales.
Ainsi, lors de l’examen de ce texte, nous soutiendrons l’élargissement du bouclier tarifaire à l’ensemble des collectivités territoriales, par l’accès à un tarif réglementé de vente de l’électricité qui soit décorrélé des prix du marché.
Comme cela a été dit précédemment, cette mesure permettra aux collectivités de faire face à l’urgence de la crise énergétique en accédant au bouclier tarifaire le temps de son application. Elle constituera également une réponse de long terme, afin que les collectivités n’aient plus à subir la volatilité extrême des prix du marché de l’énergie.
L’article 2 du texte prévoit une mesure de bon sens : le rétablissement des tarifs réglementés de vente de gaz.
Dans le contexte actuel, nous le savons tous, il est inconcevable que les collectivités territoriales ne puissent plus conclure de nouveaux contrats aux tarifs réglementés de vente de gaz et que l’extinction définitive des TRVG, prévue le 30 juin 2023, s’applique aux collectivités dont le contrat est toujours en cours.
Bien sûr, lors de l’examen de cette proposition de loi par la commission des affaires économiques, nous avons parfaitement entendu les remarques de M. le rapporteur sur l’incompatibilité de ce texte avec le droit européen.
Toutefois, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain soutiendra cette proposition de loi. Nous considérons en effet qu’elle peut permettre de lancer un appel et d’instaurer un nouveau rapport de force lors des négociations européennes sur la question de l’énergie.
En effet, il est indispensable que l’énergie soit considérée comme un bien de première nécessité, un bien commun, dont l’organisation ne peut être laissée au seul marché. Pour cela, l’énergie doit être reconnue comme un service public ou, pour utiliser le langage de la Commission européenne, un service d’intérêt économique général, qui suppose une maîtrise publique de la politique tarifaire.
Mes chers collègues, vous l’aurez compris, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain soutiendra cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE. – M. Daniel Salmon applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, certes, la pandémie de covid-19 et la situation géopolitique ont accru la crise énergétique et aggravé la flambée des prix de l’énergie. Mais celles-ci étaient présentes bien avant, car ses causes sont structurelles : la libéralisation, la dérégulation du marché européen aboutissent à des hausses régulières et fortes des prix, en particulier de l’électricité, et nous conduisent aujourd’hui dans une impasse totale.
Accrochés à leurs dogmes, ni les institutions européennes ni les dirigeants français n’ont voulu écouter les arguments de ceux qui contestaient cette logique et anticipaient ses dégâts. Ils font mine aujourd’hui de découvrir ce qui pourtant était prévisible !
Avec la dérégulation du marché européen et la mise en cause du monopole public a été décidée l’extinction progressive des tarifs réglementés, dont nous subissons les graves conséquences : les collectivités territoriales affrontent aujourd’hui des hausses du prix de l’électricité et du gaz allant de 30 % à 300 %.
Cette crise explose de surcroît au pire moment pour nos collectivités territoriales, puisque leurs marges de manœuvre budgétaires, leur autonomie fiscale et leur capacité à maîtriser leurs recettes n’ont jamais été aussi faibles. Le sens de cette proposition de loi est donc de leur donner des soutiens pérennes que ni le bouclier tarifaire, ni l’amortisseur électricité, ni le filet de sécurité ne peuvent leur garantir.
Mes chers collègues, on ne peut pas présenter des intentions comme louables et, ensuite, faire un plaidoyer d’impuissance !
Selon notre rapporteur, cette proposition de loi ne serait pas conforme au droit européen. Mais ceux qui nous disent aujourd’hui que l’on ne peut rien faire sont ceux-là mêmes qui, hier, nous promettaient que la dérégulation ferait baisser les prix grâce à la concurrence. Ce sont ceux, aussi, qui ont refusé d’écouter le vote de notre peuple, qui se méfiait de la concurrence libre et non faussée dans les services publics. Et ils nous disent aujourd’hui que l’on ne peut rien faire !
Justement, on a vu avec la crise sanitaire que de nombreuses règles – même européennes –, que l’on croyait intangibles pouvaient être remises en cause et adaptées.
C’est bien ce que nous proposons de faire aujourd’hui. La crise énergétique justifie pleinement des dérogations : il est possible d’obtenir des bifurcations dans les choix européens.
Vous nous dites que c’est impossible. (M. le rapporteur le dément.) Mais pourquoi l’Espagne et le Portugal obtiennent-ils des dérogations ? Parce qu’ils sont déterminés et qu’ils trouvent des arguments ! Voyez aussi les 200 milliards d’euros d’aides publiques que l’Allemagne octroie à ses entreprises.
M. Fabien Gay. C’est vrai !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Croyez-vous que les Allemands ont hésité à ne pas se conformer aux règles européennes ?
En Pologne, le groupe PKN Orlen a depuis peu le monopole, oui le monopole, de l’approvisionnement en gaz, en électricité et en pétrole ! Cela ne semble pas poser de problème avec les règles européennes de la concurrence. Personne n’a rien dit, parce que, face à la crise énergétique, chaque pays doit faire prévaloir à la fois l’intérêt général et une vision d’avenir pour l’Europe. C’est ce que nous vous proposons aujourd’hui au travers de ce texte.
Vous dites que le coût est élevé. Certes, mais ce sera toujours moins que les 50 milliards d’euros que vous avez déjà trouvés pour faire face à la crise énergétique !
Surtout, que laisse prévoir ce système de colmatage budgétaire au jour le jour ? Comme les prix de l’énergie vont certainement continuer à augmenter, nous allons devoir accumuler par pelletées des sommes budgétaires au coup par coup, sans avoir essayé d’introduire un système maîtrisé, ce qui est justement le principe des tarifs réglementés.
Vous conviendrez enfin, monsieur le rapporteur, qu’il est peu crédible de prétendre que le groupe CRCE serait défavorable à l’avenir d’EDF et voudrait fragiliser cette entreprise… (Marques d’impatience sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. Il faut conclure, ma chère collègue.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Au contraire, nous avons mobilisé toute notre énergie en sa faveur.
Aussi, mes chers collègues, nous vous invitons aujourd’hui à soutenir EDF et les collectivités territoriales en adoptant cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Moga. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Jean-Pierre Moga. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, chauffage des écoles, fermeture des piscines, appels à la sobriété énergétique : nos collectivités territoriales sont aujourd’hui en première ligne dans la crise et elles subissent de plein fouet les conséquences de l’explosion de la facture d’énergie. Je salue donc l’initiative de nos collègues du groupe CRCE, ainsi que le travail de notre rapporteur.
Il est primordial de mettre en lumière les difficultés qu’éprouvent nos collectivités pour accéder à l’énergie à un prix compétitif. Nous partageons tous, je crois, les constats dressés par les auteurs de cette proposition de loi. En effet, depuis le printemps 2022 et le déclenchement de la guerre en Ukraine, les prix de marché du gaz et de l’électricité connaissent une hausse record et atteignent des niveaux inédits, ce qui pénalise directement l’ensemble des collectivités territoriales.
L’onde de choc provoquée par la crise internationale, amplifiée par notre dépendance au gaz russe, a touché les particuliers, les acteurs économiques et associatifs, ainsi que nos collectivités territoriales. Entrés de plain-pied dans cette « économie d’externalités » que décrivait récemment Jean Pisani-Ferry, nous ne pouvons rester muets.
Si d’importants dispositifs d’aide ont été mis en place par l’État, à l’image du récent amortisseur électricité, le compte n’y est pas totalement.
Mes chers collègues, nos collectivités territoriales tirent la langue : l’augmentation des prix va de 30 % à 300 % pour l’électricité comme pour le gaz ! Une telle explosion de la facture n’est tout simplement pas tenable pour des finances locales souvent fragiles, parfois exsangues. Les élus locaux sont démunis.
Dans cette crise énergétique, notre soutien à nos collectivités doit être total, et l’État doit prendre ses responsabilités pour les accompagner face aux répercussions néfastes de ce choc exogène.
Si nous partageons donc le diagnostic établi, nous ne souscrivons pas aux propositions que les auteurs de ce texte formulent. En effet, l’extension de l’éligibilité au tarif réglementé de vente de l’électricité à l’ensemble des collectivités territoriales et à leurs groupements, ainsi que le maintien du tarif réglementé de vente du gaz pour les mêmes acteurs, est un non-sens du point de vue du droit de l’Union européenne, vu la jurisprudence constante de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE).
À l’heure où la réalisation d’une Union européenne de l’énergie est plus que jamais nécessaire pour assurer notre souveraineté énergétique et garantir la sécurité de notre approvisionnement en énergie, il serait inopportun d’aller à rebours de ce projet.
Pour diminuer la facture énergétique, il nous semble plus pertinent d’agir à l’échelle européenne, en faveur de la mise en œuvre des réformes structurelles figurant à l’agenda de la Commission européenne et des États membres.
Le découplage des prix de l’électricité et du gaz doit ainsi être notre priorité. Actuellement, le prix de l’électricité est aligné sur celui du gaz, ce qui conduit à gonfler artificiellement le prix de l’électricité produite par d’autres sources d’énergie, notamment le nucléaire et les énergies renouvelables. Cela ne peut plus durer.
La finalisation du mécanisme de plafonnement du prix du gaz à l’échelle européenne, s’appuyant notamment sur la bourse TTF (Title Transfer Facility), est une autre perspective que nous devons explorer rapidement, afin de contrôler l’envolée des prix.
C’est en agissant collectivement, avec l’ensemble de nos partenaires européens, que nous réussirons à aider nos collectivités.
Par ailleurs, cette proposition de loi se heurte à une série d’obstacles constitutionnels. Par exemple, EDF est le seul fournisseur à pouvoir proposer le TRVE. Quid des fournisseurs alternatifs et de l’effectivité du principe de libre concurrence ? Celui-ci est consacré par le juge constitutionnel…
De plus, le calcul des tarifs réglementés prend en compte l’ensemble des coûts des fournisseurs. La hausse des coûts de production et d’acheminement de l’énergie serait donc répercutée directement sur le tarif proposé : méfions-nous, mes chers collègues, des miroirs aux alouettes !
Je salue donc la proposition, formulée en commission par notre collègue Franck Montaugé et le groupe SER, de déposer une proposition de résolution européenne visant à alerter le Gouvernement sur l’urgence d’agir au niveau européen pour réformer le marché de l’électricité et du gaz.
C’est pour ces raisons que la majorité de mes collègues du groupe UC et moi-même, sans idéologie ni dogmatisme et en nous méfiant des remèdes miracles, ne voterons pas en faveur de cette proposition de loi.
Mme Catherine MacGregor, directrice générale d’Engie, entendue hier à l’Assemblée nationale par la commission d’enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d’indépendance énergétique de la France, a déclaré : « La souveraineté énergétique doit aussi être pensée à l’échelle européenne. »
Nous devons être pragmatiques et trouver une réponse adaptée et efficace aux défis posés par la hausse de la facture énergétique, afin d’accompagner nos collectivités territoriales.
Mme la présidente. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Jean-Pierre Moga. Telle est l’ampleur du défi qui nous attend ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Fabien Genet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Fabien Genet. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes assis sur une bombe – une bombe énergétique.
Cette bombe est prête à exploser, emportant les marges de fonctionnement et d’investissement de nos collectivités locales et des pans entiers de nos économies locales, notamment dans l’industrie électro-intensive ou dépendante du gaz. Je pense par exemple à la faïencerie de Digoin, obligée de fermer ses portes après deux siècles d’histoire, faute d’avoir pu maintenir son approvisionnement en énergie. Je pense aussi à nos artisans boulangers, bouchers, pâtissiers, saisis d’effroi à la vue des tarifs de l’énergie pour 2023.
Dans un tel contexte, je remercie le groupe auquel je suis rattaché, le groupe Les Républicains, de m’offrir la liberté de vous exprimer ce que j’ai sur le cœur et de dire publiquement, au-delà des nuances politiques ou idéologiques, le mérite que je reconnais à cette proposition de loi déposée par notre collègue Fabien Gay.
Ce texte vise à protéger les collectivités territoriales de la hausse des prix de l’énergie. Il a d’abord le mérite d’ouvrir le débat sur les tarifs réglementés. Depuis plusieurs semaines, des questions me semblent devoir être posées sur leur fonctionnement.
Je m’interroge, par exemple, sur le passage des tarifs de marché aux tarifs réglementés pour les éligibles, et sur la définition même des éligibles : les seuils de 2 millions d’euros et 10 ETP seront-ils desserrés, voire supprimés ? Je m’interroge aussi sur le seuil de 36 kilovoltampères, qui ne figure pas dans la directive européenne et semble le fruit d’une surtransposition à la française. Nous devrions l’assouplir, pour le bien de nos boulangers ! (Sourires.)
Le PLF pour 2023 me semblait être le vecteur idoine pour apporter les changements nécessaires. Malheureusement, mes amendements ont été foudroyés par l’article 34 de la LOLF. Redéposés sur la présente proposition de loi, les voilà frappés par l’article 40 de la Constitution ! Le droit d’amendement est parfois un véritable combat, à défaut d’être une lutte finale… (Exclamations sur les travées du groupe CRCE.)
Mme Cécile Cukierman. C’est vrai !
M. Fabien Genet. Cette proposition de loi, en tout cas, a le mérite de poser une question qui est dans nombre de têtes, en particulier chez les élus locaux.
Pourquoi cette inégalité, cette iniquité, pour ne pas dire cette injustice, entre les collectivités qui bénéficient des tarifs réglementés et du bouclier tarifaire et celles qui sont livrées aux lois de la jungle, celles du marché de l’énergie ?
Je remercie M. le rapporteur, Laurent Somon, de son travail. C’est à lui, sensible tout comme nous au sort des collectivités, que revenait la lourde tâche de nous rappeler la réalité, derrière l’espoir que peut faire naître ce texte. Il nous a livré une analyse aussi poussée qu’attentionnée du sujet. Il a bien décrit le cadre juridique de ces tarifs réglementés, soumis au contrôle intraitable de la jurisprudence européenne et du Conseil d’État.
Voter ce texte, ce serait sans nul doute se mettre en contradiction avec le droit européen actuel. Cela exposerait les collectivités territoriales à des contentieux, que pourraient engager par exemple des fournisseurs d’énergie, comme cela s’est déjà vu.
Ce risque réel de contentieux, individuel ou collectif, dissuadera un certain nombre d’entre nous de voter ce texte, dont nous saluons pourtant l’objectif et reconnaissons qu’il rétablirait de l’égalité entre nos collectivités.
Pour autant, le débat ne saurait s’arrêter là, madame la ministre, et c’est donc vers vous que nous nous tournons. Il y a urgence pour clarifier rapidement les mesures de soutien.
Le Sénat a joué tout son rôle en formulant des propositions pour améliorer le soutien aux collectivités. Au-delà de l’amortisseur électricité, qui pourrait faire baisser de 25 % les factures énergétiques, quel filet de sécurité allez-vous retenir dans le texte final ? L’accès sera-t-il le même pour tous, ou y aura-t-il une discrimination à l’entrée ? Quelle sera l’année de référence, 2021 ou 2022 ? Quel sera le montant de l’aide ? Bref, s’agira-t-il d’un filet, d’un faux-filet ou d’une nasse, dans laquelle les collectivités territoriales se trouveraient bloquées ? (Sourires.)
Allez-vous retenir notre proposition de quatrième étage, avec un fonds de sauvegarde de l’énergie pour les situations les plus désespérées ?
Il faut également clarifier les mesures de soutien pour les TPE et les PME. La ministre Agnès Pannier-Runacher nous affirmait récemment que les entreprises auraient droit à la fois à l’amortisseur et aux aides de guichet, mais le Gouvernement dit désormais le contraire…
Au fond, quelle est la position du Gouvernement sur le marché de l’énergie ? Puisque le droit européen nous contraint, le Gouvernement a-t-il la volonté de changer ce droit pour nous permettre de préserver les tarifs réglementés et d’étendre leur application ?
En particulier, maintiendra-t-il les tarifs réglementés du gaz pour les particuliers cet été ? La France va-t-elle vraiment se battre pour obtenir le découplage des prix de l’électricité du marché du gaz ? Finalement, ne faut-il pas changer notre logiciel et revenir au bon sens ? Un système électrique, c’est un réseau et des centrales de production. Et il ne saurait y avoir de concurrence possible sur les réseaux, ni sur les centrales de production.
L’enjeu est plutôt d’obtenir un équilibre parfait entre la consommation et la production, ce qui est indispensable pour ne pas aller au blackout, et la libre concurrence n’est pas forcément la meilleure solution pour y parvenir. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
Revenir sur les dogmes européens semble donc difficile, mais la crise énergétique rebat les cartes. « Il y a toujours un rêve qui veille », pour citer Louis Aragon. Prenons donc cette proposition de loi comme un rêve éveillé, qu’il nous appartiendra de réaliser ensemble dans les mois qui viennent ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et CRCE.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion des articles de la proposition de loi initiale.
proposition de loi visant à protéger les collectivités territoriales de la hausse des prix de l’énergie en leur permettant de bénéficier des tarifs réglementés de vente de l’énergie
Article 1er
Le code de l’énergie est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa de l’article L. 337-6 est ainsi rédigé :
« Les tarifs réglementés de vente d’électricité sont définis en fonction des caractéristiques intrinsèques du mix de production français et des coûts liés à ces productions, des importations et exportations, des coûts d’acheminement de l’électricité et des coûts de commercialisation ainsi que d’une rémunération normale de l’activité de fourniture. » ;
2° Au premier alinéa du I de l’article L. 337-7, après le mot : « demande, », sont insérés les mots : « aux collectivités territoriales, à leurs groupements et à leurs établissements publics et, ».
Mme la présidente. La parole est à Mme Denise Saint-Pé, sur l’article.
Mme Denise Saint-Pé. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, lors du débat sur la politique énergétique de la France tenu au Sénat le 12 octobre dernier, j’avais déjà fait part de mon intérêt quant à l’éventualité d’un rétablissement des TRV pour l’électricité et le gaz, car je les considère comme pertinents pour nos collectivités territoriales, vu la hausse du prix de l’électricité et du gaz sur les marchés. En effet, alors que la transition écologique met déjà celles-ci aux prises avec un mur d’investissement colossal, il est nécessaire de faire en sorte que leur capacité d’investissement ne soit pas obérée par leurs dépenses énergétiques.
Je suis évidemment consciente des efforts déjà fournis par le Gouvernement pour venir en aide à nos collectivités par le biais du bouclier tarifaire et de l’amortisseur électricité. Le Sénat est allé encore plus loin en votant un filet de sécurité à la fois élargi et simplifié dans le PLF pour 2023, ce qui était indispensable.
Cependant, ces mesures vont avoir un coût considérable pour nos finances publiques et ne peuvent donc être pérennes. La solution du retour aux tarifs réglementés de vente m’apparaît donc appropriée pour prendre le relais sur le moyen terme.
Je comprends bien sûr que la constitutionnalité de cette proposition de loi, ou sa conformité au droit de l’Union européenne, puissent être remises en question.
Pour ma part, je crois que l’énergie est non pas une marchandise comme les autres, mais un bien public de première nécessité. C’est pourquoi je voterai ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Céline Brulin, sur l’article.
Mme Céline Brulin. Vous avez énuméré, madame la ministre, les dispositifs mis en place par le Gouvernement pour aider les collectivités à faire face à la crise énergétique et à trouver les sommes colossales qu’elles sont obligées de dépenser.
Revenons à la réalité ! Dans un département comme la Seine-Maritime, aujourd’hui, le filet de sécurité ne concerne que 99 communes sur 708. Croire que les dispositifs mis en place par le Gouvernement, certes améliorés par le Sénat, seraient de nature à faire face au mur financier auquel nos collectivités territoriales sont confrontées, est une erreur.
Certains d’entre vous, mes chers collègues, expliquent par ailleurs qu’un retour aux tarifs réglementés de vente ne serait pas bon pour les collectivités. Pourquoi, alors, toutes les communes de France adoptent-elles en ce moment, sous l’impulsion de l’Association des maires de France, des motions qui, précisément, demandent ce retour aux tarifs réglementés de vente ?