PRÉSIDENCE DE M. Vincent Delahaye
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
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Responsabilité pénale et sécurité intérieure
Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption d’un projet de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure (projet n° 849 [2020-2021], texte de la commission n° 47, rapport n° 46).
Dans la suite de l’examen du texte de la commission, nous en sommes parvenus aux articles précédemment réservés.
projet de loi relatif à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure
TITRE Ier (précédemment réservé)
DISPOSITIONS LIMITANT L’IRRESPONSABILITÉ PÉNALE EN CAS DE TROUBLE MENTAL RÉSULTANT D’UNE INTOXICATION VOLONTAIRE AUX SUBSTANCES PSYCHOACTIVES
Article additionnel avant l’article 1er (précédemment réservé)
M. le président. L’amendement n° 7, présenté par M. Sueur, Mme de La Gontrie, MM. Kanner, Durain et Bourgi, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Leconte, Marie, Jacquin et Antiste, Mme Conconne et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Avant l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article 122-1 du code pénal est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Le discernement est la conscience de l’acte commis, de ses conséquences et la capacité à en apprécier la nature et la portée. »
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Tout d’abord, nous sommes heureux de saluer M. le garde des sceaux, ainsi que M. le président de la commission des lois, de retour de leur périple vers Poitiers. Nous avons regretté hier que vous fussiez absents durant la discussion générale portant sur ce grave sujet de l’irresponsabilité pénale.
Je rappelle à M. le garde des sceaux qu’il s’agit d’une semaine gouvernementale et que le Gouvernement était donc maître de l’ordre du jour. Le Sénat n’aurait pas pu s’opposer à ce que les choses eussent été organisées de telle manière qu’il n’y ait pas concomitance entre ce débat important et l’annonce d’États généraux dont vous voyez bien, monsieur le président, qu’ils prennent place dans une période particulière. Je ne suis pas certain qu’il soit très logique de les tenir en fin de mandat, en période électorale, alors que tant de choses ont déjà été décidées et votées, tant de lois présentées, discutées et promulguées.
Cela, vous l’avez souvent entendu dire longuement, monsieur le garde des sceaux, et je ne doute pas qu’en votre for intérieur, vous y pensez constamment.
Il me reste peu de temps, en raison du funeste nouveau règlement ; il s’agit ici de la reprise d’un amendement définissant le discernement que nous avions présenté lors de l’examen d’une proposition de loi de Mme Goulet en mai dernier. Il a donc déjà été défendu.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Comme ce fut le cas lors de son précédent examen, mon cher collègue, l’avis de la commission est défavorable. La question du discernement est, certes, importante, mais ne pose pas de difficulté particulière. Il n’est donc pas utile d’insérer dans la loi la définition d’une notion que tout le monde connaît et maîtrise parfaitement.
L’avis reste donc défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Pierre Sueur. Il y a pire !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. … je vais d’abord présenter au Sénat, que j’avais prévenu, toutes mes excuses.
Il n’est pas anormal que le garde des sceaux ait été aux côtés du Président de la République pour l’annonce des États généraux de la justice. Avec moi se trouvait d’ailleurs Mme Guigou ; l’une d’entre vous a évoqué hier une « campagne électorale », mais il ne me semble pas que celle-ci fasse campagne pour le Président de la République, qui, au demeurant, n’est pas candidat.
M. le président de la commission des lois du Sénat ainsi que Mme Dominique Vérien étaient également présents, et j’ai la faiblesse de penser qu’eux non plus ne sont pas venus pour cette raison. Il y avait, enfin, un certain nombre d’autres parlementaires.
Nous nous trouvons dans un étau, monsieur le sénateur : si le Président de la République ne travaille plus, on dit qu’il est en campagne ; mais s’il travaille jusqu’au dernier quart d’heure, on le dit aussi. Il est compliqué d’en sortir !
Ces États généraux de la justice sont extrêmement importants. Dans un premier temps, nous avons souhaité restaurer la justice, avec un budget exceptionnel, et mettre en œuvre un certain nombre de mesures que vous connaissez, car celles-ci ont notamment été débattues ici ; dans un deuxième temps, il nous faut moderniser la justice, c’est pourquoi nous avons choisi le Futuroscope et non les grottes de Lascaux.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Vous êtes un vrai comique !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Madame la sénatrice, hier, vous avez cru devoir affirmer que j’étais en campagne aux côtés du Président de la République.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Vous n’allez tout de même pas vous justifier deux fois !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Il y a quelques jours, je vous ai vue aux côtés de Mme Hidalgo, ceintes toutes les deux de votre écharpe tricolore, et il me semble que vous annonciez la création de la police municipale.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Ce n’est pas du tout cela !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Laissez-moi terminer ! Il ne m’est pas venu une seconde à l’esprit que vous étiez en campagne. J’ai estimé que vous défendiez votre territoire. D’ailleurs, si vous aviez été en campagne à ses côtés, Mme Hidalgo ne serait plus à 4 % !
Ce sont là des polémiques stériles.
M. Jean-Pierre Sueur. Que vous alimentez !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Pas du tout ! Je vous ai expliqué qu’il était bien normal que le garde des sceaux soit aux côtés du Président de la République pour les États généraux de la justice.
Je suis ravi de constater que je vous ai manqué, et je souhaite indiquer à la représentation nationale, mais elle le sait déjà, que nous allons seulement commencer à évoquer les articles que je porte.
Monsieur le sénateur Sueur, vous avez, en effet, déjà présenté cet amendement, lequel a déjà été rejeté par votre assemblée le 25 mai dernier. À mon sens, il est totalement inopérant et le Gouvernement, représenté ici par ma personne, y est défavorable.
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour explication de vote.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, je n’entends pas polémiquer sur une éventuelle campagne électorale, mais simplement rappeler ce que j’ai dit hier. Les États généraux de la justice n’ont pas été inscrits ce week-end à votre agenda et à celui du Président de la République. Il aurait donc fallu prévoir un autre moment pour l’examen de ce texte.
De plus, votre absence hier s’est doublée de celle de M. le ministre de l’intérieur. Sans revenir sur les qualités de M. le ministre délégué chargé des relations avec le Parlement et de la participation citoyenne, qui ne sont pas en cause ici, la conjonction de ces deux absences, qui ont des raisons différentes, posait problème. J’ai la naïveté de croire que les initiatives qui les ont justifiées ne se sont pas imposées sur les agendas la veille pour le lendemain.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie, pour explication de vote.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Je rassure mes collègues, je n’ai pas l’intention de polémiquer avec le garde des sceaux.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Je ne souhaite évoquer que l’amendement en discussion.
M. Alain Richard. Tant mieux !
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Je remercie mon collègue Alain Richard de saluer ainsi mon propos.
La définition du discernement est très importante, au point que nous l’avons inscrite dans la loi lorsque nous avons débattu du code de la justice pénale des mineurs.
Cette notion est en effet définie par la jurisprudence, mais elle n’est pas inscrite dans le code. Notre rapporteure Muriel Jourda a balayé cet argument d’un revers de main, mais il me semble que c’est à tort. En droit pénal, il est important que nous sachions de quoi nous parlons, c’est l’objet de cette définition : « Le discernement est la conscience de l’acte commis, de ses conséquences et la capacité à en apprécier la nature et la portée. »
Une telle définition évite les interprétations jurisprudentielles excessives, elle est donc très utile. Tel est le sens de cet amendement que nous serions heureux de vous voir voter, comme ce fut le cas dans le code pénal des mineurs.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 7.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Article 1er (précédemment réservé)
Après le premier alinéa de l’article 706-120 du code de procédure pénale, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque le juge d’instruction au moment du règlement de son information estime que l’abolition temporaire du discernement de la personne mise en examen résulte au moins partiellement de son fait, il renvoie devant la juridiction de jugement compétente qui statuera, avant l’examen au fond, sur l’application du même article 122-1 et, le cas échéant, sur la culpabilité. »
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° 37 est présenté par Mmes Assassi, Cukierman et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
L’amendement n° 71 est présenté par M. Benarroche, Mme M. Vogel, M. Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme Taillé-Polian.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Éliane Assassi, pour présenter l’amendement n° 37.
Mme Éliane Assassi. Vouloir responsabiliser les malades mentaux, c’est faire peu de cas de ce qu’est un malade mental : lorsque son discernement est aboli, il n’en a pas conscience, comme il n’en a pas conscience quand il consomme de la drogue ou de l’alcool.
En cas d’abolition, on est en présence d’un individu qui a perdu ses facultés, peu importe pourquoi, car quand il agit, il n’est pas apte à comprendre ce qui se passe. Que cela soit temporaire ne change rien au problème.
Si l’article 122-1 du code pénal est resté intact, comme le recommandait le rapport Raimbourg-Houillon, il n’en reste pas moins que le dispositif proposé aujourd’hui vient soutenir, de manière peut-être plus présentable, l’idée selon laquelle un individu dont le discernement a été aboli n’est pas forcément irresponsable pénalement.
Par l’intermédiaire d’un mécanisme de « fait fautif », il s’agit de créer un nouvel état entre altération et abolition du discernement appelé « abolition temporaire » du discernement. On en vient à fragmenter l’état de conscience ou d’inconscience, ce qui n’a pas de sens.
Légiférer ainsi serait oublier que les comportements de prise de drogues ou d’alcool ne sont pas nécessairement fautifs, mais qu’ils peuvent être non la cause de l’abolition du discernement, mais sa conséquence. Aussi, la notion d’abolition temporaire choisie pour prendre en compte ces situations n’est pas satisfaisante à nos yeux.
En outre, ce dispositif a un second objectif tout aussi critiquable : l’instauration d’un véritable procès dans les cas précités. Quelle est, pourtant, la pertinence d’un procès de l’aliéné ? Quel est le sens d’une audience pensée pour un délinquant rationnel, lorsque c’est un fou qui est jugé ? Cela est symptomatique de la mise en œuvre d’une politique pénale compassionnelle à l’égard des victimes et de la promotion de lois de circonstance visant à satisfaire l’opinion publique.
M. le président. La parole est à M. Guy Benarroche, pour présenter l’amendement n° 71.
M. Guy Benarroche. J’ai développé très largement notre avis sur ce sujet en présentant la motion, hier, et c’est le même que celui que vient de défendre Mme Assassi.
Il est vrai que la rédaction du Gouvernement nous semblait excessivement dangereuse, car elle conduisait incontestablement à fragiliser l’élément intentionnel de l’infraction, qui est un principe fondamental du droit pénal, tout en ne répondant pas à l’objectif visé.
Nous nous demandons encore sur quelles études ou sur quelle concertation le Gouvernement s’est appuyé pour écarter l’irresponsabilité dans le cas où l’abolition du discernement était due à une prise volontaire de substances psychoactives.
Je partage donc la démonstration qui vient d’être développée et nous saluons le fait que la rédaction de la commission ait écarté cette possibilité, conformément aux travaux que nous avons déjà menés au printemps dernier.
Le texte qui nous est présenté aujourd’hui nous semble préférable à celui du Gouvernement ; toutefois, cette réécriture ne correspond pas non plus à la position de notre groupe.
Pour nous, le renvoi possible devant le juge de fond ne répond qu’à la demande de procès des victimes ; nous la comprenons bien et nous entendons que le besoin d’un procès doit être pris en considération. L’audience en chambre d’instruction, collégiale, publique et contradictoire, qui se concentre sur la question de la responsabilité pénale du mis en cause en permettant la présence des victimes et des avocats des parties civiles, nous semble être aujourd’hui une bonne piste, qui reste à améliorer.
Nous demandons donc la suppression de cet article 1er.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Madame Assassi, je partage votre opinion : le droit pénal ne doit pas être compassionnel ; avec ses instances, il est le droit de la société et de l’ordre public. C’est bien ainsi qu’il faut le considérer.
Pour autant, afin que la société s’en saisisse, encore faut-il qu’elle le comprenne. La solution choisie par la commission, qui n’est pas celle du Gouvernement – nous y reviendrons –, est de permettre la tenue d’un procès public, qui n’aura d’ailleurs pas nécessairement pour objet de prononcer la responsabilité pénale de la personne dont on a des raisons de croire qu’elle était en état d’abolition du discernement.
Il paraît de bonne justice que ce procès public puisse avoir effectivement lieu ; cette solution à l’avantage de ne pas modifier les cas d’irresponsabilité pénale et de ne pas toucher à ce droit, dont on sait qu’il est extrêmement délicat. Nous avons eu l’occasion de nous en expliquer hier, durant la discussion générale.
La solution adoptée par la commission l’avait déjà été par le Sénat au mois de mai dernier, sur le rapport de notre collègue Nathalie Goulet. Vous comprendrez donc que notre avis soit défavorable sur ces amendements de suppression.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Le Gouvernement a déposé un amendement pour rétablir l’article 1er dans sa rédaction adoptée par l’Assemblée nationale ; dans ces conditions, je suis évidemment opposé à ces amendements de suppression.
Madame Assassi, vous avez évoqué hier un « mépris » du Gouvernement. Vous avez le droit de dire cela, mais cela ne correspond pas à la réalité. Il me semble que mon attitude au Sénat, l’ouverture dont je fais preuve depuis que je suis ministre de la justice, la passion avec laquelle je me consacre aux débats devrait vous interdire de juger que je ferais preuve de mépris – ce mot est bien excessif –, mais vous êtes naturellement libre de le faire.
J’ai expliqué pour quelle raison j’étais absent hier, j’ai présenté mes excuses, qui étaient évidemment sincères. À l’impossible, nul n’est tenu et je n’ai pas le don d’ubiquité. Pour le reste, madame, il n’y a aucun mépris de ma part et il ne me semble pas que vous ayez pu en ressentir lors de mes interventions, même si nos échanges sont parfois vifs, comme c’est le cas dans un pays de liberté, où la vivacité est indispensable au débat démocratique.
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour explication de vote.
Mme Éliane Assassi. Je ne souhaite pas entrer dans une polémique avec vous à ce sujet, monsieur le garde des sceaux, car je ne m’adressais pas à vous, hier. Si nous devions recenser tous les comportements sinon méprisants, au moins anachroniques du Gouvernement à l’endroit du Sénat, la liste serait longue. Mon sentiment à cet égard semble être partagé sur toutes les travées de notre assemblée, mais mon propos n’était pas dirigé contre vous.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 37 et 71.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 86, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
Après l’article 122-1 du code pénal, sont insérés des articles 122-1-1 et 122-1-2 ainsi rédigés :
« Art. 122-1-1. – Le premier alinéa de l’article 122-1 n’est pas applicable si l’abolition du discernement de la personne ou du contrôle de ses actes au moment de la commission d’un crime ou d’un délit résulte de ce que, dans un temps très voisin de l’action, la personne a volontairement consommé des substances psychoactives dans le dessein de commettre l’infraction ou une infraction de même nature ou d’en faciliter la commission.
« Art. 122-1-2. – La diminution de peine prévue au second alinéa de l’article 122-1 n’est pas applicable en cas d’altération temporaire du discernement de la personne ou du contrôle de ses actes au moment de la commission d’un crime ou d’un délit lorsque cette altération résulte d’une consommation volontaire, de façon illicite ou manifestement excessive, de substances psychoactives. »
La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Je pourrais appeler cet amendement « l’amendement Captagon ».
Un homme responsable consomme des produits stupéfiants exclusivement dans le but de commettre ultérieurement un crime. Après la commission de ce crime, des experts disent de lui qu’il n’est pas responsable, qu’il n’a pas de discernement.
Nous estimons, quant à nous, que la prise volontaire de produits stupéfiants dans le but de se donner du courage est un acte qui s’assimile au crime lui-même. C’est la raison pour laquelle nous souhaitons qu’il soit pénalisé. Naturellement, il faut pour cela que l’intéressé ait recouvré ensuite son discernement, parce que l’on ne juge pas les fous.
Qu’il me soit permis de dire que je conteste, avec la plus farouche énergie, les reproches qui nous sont faits quant à ce texte, d’abord parce que des États étrangers, comme l’Espagne, connaissent cette disposition, ensuite parce que celle-ci est conforme aux principes fondamentaux de notre droit et respecte l’exigence d’un élément moral. À ce titre, je vous rappelle qu’elle a été validée par le Conseil d’État.
Voilà pour ce qu’il en est de cet article 1er, dont je souhaite naturellement qu’il soit rétabli et adopté tel qu’il l’a été par l’Assemblée nationale.
Encore une fois, quelqu’un de responsable prend des produits stupéfiants pour commettre un attentat terroriste – on connaît cet exemple en Europe –, il perd la raison à cause de cette consommation de produits stupéfiants, mais son intention n’était pas de se faire plaisir, d’accompagner un moment festif, mais bien de commettre un crime.
Nous estimons que s’il était dans un état de conscience lorsqu’il a consommé, car il faut naturellement qu’il soit considéré comme responsable de cette infraction de consommation de produits stupéfiants, alors il doit être condamné comme l’auteur du crime.
Le Sénat a proposé en remplacement une disposition qui me paraît fort contestable. Vous souhaitez en effet imposer à un juge d’instruction, qui estime que le discernement d’une personne était aboli, de la renvoyer tout de même devant la juridiction de jugement, dans le cas où l’abolition résulterait du fait même de la personne.
Quelqu’un prend des produits stupéfiants, commet un crime et est jugé irresponsable. Nous proposons – c’est notre article 2 – qu’il soit jugé pour la consommation de produits stupéfiants quand celle-ci a les conséquences délétères que nous avons vues dans un certain nombre de dossiers ; la commission souhaite, quant à elle, que si la perte de discernement résulte de la consommation de produits psychotropes, l’affaire soit renvoyée devant la cour d’assises, sans laisser le soin au juge ou à la chambre de l’instruction d’examiner cette question.
Ce qui me semble contestable, dans cette proposition, c’est qu’elle conduit à priver le juge d’une certaine liberté, alors que, selon un grand principe, le juge, en toute matière, civile comme pénale, n’est pas tenu par les conclusions d’un expert et peut ne pas se ranger à ses conclusions. Nous entendons lui laisser cette liberté.
Ensuite, j’ai assisté, dans ma carrière d’avocat, à une audience de la chambre de l’instruction telle qu’elle existe. Laissez-moi vous dire que si vous placez dans le box quelqu’un qui a la lippe pendante et qui est incapable de comprendre ce qui se passe, vous ne donnez pas de la justice une image extraordinaire, tant s’en faut. Mettre un tel homme dans une situation où il peut être vu par tout le monde, avec une espèce de curiosité parfois malsaine, ne serait pas à l’honneur de notre justice.
Cette audience de la chambre de l’instruction ne répond certes pas à toutes les exigences, en particulier aux yeux des victimes, mais peut-on pour autant exposer dans un box un homme dont on sait qu’il a perdu son discernement ? Madame la rapporteure, alors que nous sommes à peu près d’accord sur le reste de ce texte, il me semble que vous franchissez ici une ligne rouge que nous n’avons pas voulu franchir.
Nous proposons que cet homme soit jugé sur le volet consommation de produits stupéfiants ; c’est bien normal : on ne peut pas s’exonérer totalement d’une responsabilité quand on a commis une infraction, en l’espèce, la consommation de produits stupéfiants.
J’ajoute, madame la rapporteure, que, en l’état de notre législation, on ne peut pas envisager qu’un procureur de la République renvoie l’intéressé devant la juridiction correctionnelle pour une consommation de stupéfiants, alors que la peine maximale encourue est de un an de prison. Ce serait indécent. Dans cette hypothèse, les procureurs laissent tomber. C’est bien cela qu’il nous fallait rectifier.
On ne saurait toutefois le faire en prenant le risque de renvoyer un fou en audience de jugement au motif que sa folie aurait des causes exogènes. On peut, en revanche, le juger pour cette extranéité qu’est la consommation de produits stupéfiants et pas pour le reste, car c’est évidemment impossible. Cela n’est, en outre, envisageable qu’à la condition que l’intéressé soit en mesure de comprendre un certain nombre de choses.
Pour avoir assisté à une audience de cette nature, il n’y a aucune raison, à mon sens, de se livrer à plus d’exhibition ; nous ne franchissons pas cette ligne, nous ne jugeons pas les fous, mais l’on peut les juger pour la période où ils ne l’étaient pas et où, en toute connaissance de cause – ce sont les éléments constitutifs de l’infraction –, ils ont consommé des produits stupéfiants.
M. le président. L’amendement n° 8, présenté par M. Sueur, Mme de La Gontrie, MM. Kanner, Durain et Bourgi, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Leconte, Marie, Jacquin et Antiste, Mme Conconne et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
Le chapitre II du titre II du livre Ier du code pénal est complété par un article 122-… ainsi rédigé :
« Art. 122-…. – Est pénalement responsable la personne qui a volontairement provoqué une perte de discernement aux fins de commettre l’infraction, notamment par la consommation de boissons alcooliques, de drogues toxiques, de stupéfiants, de substances psychotropes ou de substances ayant des effets similaires. »
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Cet amendement se justifie par son dispositif même.
Nous l’avons déjà présenté en mai dernier, lors de l’examen de la proposition de loi de Mme Goulet et de M. Sol. Quelle fut alors votre réaction, monsieur le garde des sceaux ? Vous m’avez demandé de le retirer, je n’ai jamais compris pourquoi. J’avais dans l’idée que, comme cet amendement est très proche du vôtre, vous vouliez en quelque sorte attendre votre texte pour qu’il y fût inséré par vous-même. Remarquez qu’il aurait pu tout à fait être adopté au mois de mai.
Nous considérons que cet amendement répond à la nécessité de prendre en compte cette situation dans laquelle une personne décide de provoquer en elle-même une perte de discernement dans le dessein d’accomplir un acte criminel.
Nous le présentons pour mémoire, nous le voterons, mais s’il n’était pas adopté, nous voterions le vôtre.
Voyez : le Parlement peut avoir des idées justes, parfois même un peu avant que celles-ci ne surgissent sur l’initiative du Gouvernement.
Mes propos ne valent toutefois que pour le premier alinéa de votre amendement, nous ne sommes pas sûrs de la pertinence du second.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Vous pouvez être parfois d’accord avec M. le garde des sceaux, mon cher collègue, mais la commission ne l’est pas.
J’avoue éprouver quelques difficultés à suivre le raisonnement qui nous est présenté. De quoi parlons-nous ? Il s’agit d’une situation dans laquelle un individu absorbe, à dessein, des substances psychoactives et va ensuite commettre l’infraction qu’il avait prévu de commettre et en préparation de laquelle il avait absorbé ces substances.
La proposition qui vous est faite par le Gouvernement consiste à considérer que, dans ce cas, il n’est pas irresponsable pénalement, même s’il était en état d’abolition du discernement. Je vois mal, d’ailleurs, quelle est la liberté du juge, puisque le texte du Gouvernement nous dit que l’intéressé n’est pas irresponsable pénalement.
Le Sénat propose que, si le juge d’instruction pense que cette personne était en état d’abolition ou d’atténuation du discernement, il ne prenne pas lui-même la décision, mais renvoie le dossier devant le juge du fond afin que celui-ci apprécie la réalité de ce discernement.
Aujourd’hui, dans l’état actuel du droit, il n’est pas impossible d’être condamné dans la situation qui a été décrite par M. le garde des sceaux.
Loin d’enlever de la liberté au juge, il me semble à l’inverse que la rédaction de la commission, qui correspond à ce qui a été voté par le Sénat au mois de mai dernier, permet au juge du fond de trancher la réalité de cette abolition ou atténuation de discernement.
Si, comme nous le dit M. le garde des sceaux, à l’audience, cette personne était encore en état d’abolition du discernement, « la lippe pendante », selon ses propos, elle ne serait pas jugée, parce que l’on n’a jamais jugé des gens dans cet état.
Il me semble donc que la solution préconisée par la commission est celle qui préserve à la fois la liberté du juge de trancher et la possibilité de condamner une personne qui, à dessein, a pris des substances psychoactives pour commettre une infraction.
L’avis est donc évidemment défavorable sur ces deux amendements.