M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. Cet amendement a passionné l’Assemblée nationale, qui ne l’a cependant pas retenu. Vous savez que les droits de la défense sont garantis au cours de la garde à vue, puisque l’avocat est présent et que la personne suspectée est informée de la qualification et de la date de l’infraction qu’elle est soupçonnée d’avoir commise. Surtout, elle est informée de son droit de garder le silence.
Demander dès cet instant la mise à disposition du dossier expurgé de certains éléments suppose que les enquêteurs décident de ce qu’ils laissent dans le dossier et de ce qu’ils n’y mettent pas. Quid, par ailleurs, du temps de la consultation et de celui du débat entre l’avocat et les parties ?
Nous avons le sentiment que la disposition proposée, loin d’être absolument indispensable, serait plutôt de nature à perturber l’équilibre qui a déjà été trouvé en cette matière.
Avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 212 rectifié, présenté par MM. Mohamed Soilihi, Richard, Haye, Bargeton, Buis et Dennemont, Mmes Duranton et Evrard, MM. Gattolin et Hassani, Mme Havet, MM. Iacovelli, Kulimoetoke, Lévrier, Marchand, Patient et Patriat, Mme Phinera-Horth, MM. Rambaud et Rohfritsch, Mme Schillinger, M. Théophile et les membres du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, est ainsi libellé :
Alinéas 11, 15, 21
Après le mot :
commettre
insérer les mots :
, en tant qu’auteur ou complice,
La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.
M. Thani Mohamed Soilihi. Il s’agit d’un amendement de précision et de cohérence avec ce qui a été adopté en commission en matière de secret professionnel de la défense.
Il vise à bien préciser dans le texte que les dispositions relatives à l’ouverture de l’enquête préliminaire au contradictoire s’appliquent que l’intéressé soit soupçonné d’avoir commis une infraction en tant qu’auteur ou en tant que complice.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. Nous souhaiterions connaître l’avis du Gouvernement. Selon nous, la précision apportée ne s’impose pas, puisque le traitement est le même, sur le plan de la répression, qu’il s’agisse de l’auteur principal ou du complice.
Abstraction faite de son caractère pédagogique, nous ne voyons pas très bien l’intérêt de l’amendement, mais peut-être avons-nous mal appréhendé sa portée.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 70, présenté par Mmes Cukierman, Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Alinéas 12 et 13
Remplacer les mots :
d’un an
par les mots :
de six mois
La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Nous reprenons une préconisation du Conseil national des barreaux. Il s’agit de renforcer les droits de la défense et le respect du contradictoire dans l’enquête préliminaire en donnant l’accès au dossier au suspect et à son avocat dès le stade de la garde à vue ou de l’audition libre. Au regard du droit à un procès équitable, le droit d’accès au dossier pour le citoyen mis en cause dans le cas d’une enquête préliminaire apparaît en effet indispensable.
L’étude d’impact du projet de loi souligne d’ailleurs, à cet égard, que, dans la plupart des pays européens, « parmi les droits les plus fréquemment conférés à la personne au cours de l’enquête figurent le droit d’accès au dossier, le plus souvent au cours de la garde à vue, et le droit de demander des actes d’enquête ou de participer à des actes d’enquête et d’être informé de ses droits ».
Le suspect et son avocat, avant la garde à vue ou l’audition libre, devraient donc pouvoir avoir accès au dossier de l’enquête, expurgé, bien évidemment, des éléments devant rester secrets dans l’attente de la fin de l’investigation en cours et ne pouvant être connus que des enquêteurs, et ce afin que le suspect puisse avoir la meilleure connaissance possible, à ce stade de l’enquête, des charges et indices qui pèsent sur lui.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. Cet amendement, sur lequel j’émettrai un avis défavorable, est une forme de réponse, madame Assassi, à l’intervention de notre collègue M. Longuet.
M. le garde des sceaux et moi-même n’avons pas évoqué l’autre point de réforme de cet article 2, qui est l’ouverture au contradictoire. Monsieur le ministre, vous avez évoqué l’hypothèse d’une enquête préliminaire qui durerait très longtemps, sans possibilité de se défendre. Non ! Il y a tout un pan de la réforme présentée que nous avons accepté sans présenter aucun amendement, à savoir l’ouverture au contradictoire, qui intervient au bout d’un an. Nous pensons qu’il y a là un bon équilibre, si je puis dire, entre les positions qui ont été exprimées. En revanche, ouvrir au contradictoire dès le délai de six mois écoulé aurait été excessif.
Pour être tout à fait transparent à l’égard de notre assemblée, je précise que nous avons, après beaucoup d’hésitations, laissé en l’état la rédaction de l’Assemblée nationale concernant l’ouverture au contradictoire à partir du moment où une information fuite dans la presse.
Ce sujet nous a beaucoup tracassés, si vous me permettez cette formule. En effet, cette disposition ne revient-elle pas à offrir au puissant la possibilité du contradictoire dès lors qu’il lui sera facile de faire circuler l’information dans la presse ? Ou met-on fin par là, au contraire, aux risques de « feuilletonnage » ? Nous avons retenu cette seconde hypothèse, renonçant à amender la disposition proposée – je donne cette explication en réponse à l’intervention de M. Longuet davantage qu’à celle de Mme Assassi.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Je suis totalement défavorable à cet amendement : le délai d’un an me paraît le bon. Six mois, c’est trop tôt !
Se pose une autre question : comment les policiers expurgeront-ils du dossier ce qui, pour mener à bien l’investigation, doit demeurer de la connaissance exclusive de la police ? Comment fait-on le tri ? Quel dossier donne-t-on à la personne mise en cause ?
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Ce n’est pas le sujet de l’amendement !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. J’ajoute qu’un certain nombre d’éléments susceptibles d’apparaître dans le dossier peuvent ne rien représenter à l’instant t mais devenir par la suite des éléments à charge, voire des éléments de preuve. Faire le distinguo est infiniment compliqué… On parle de décharger les officiers de police judiciaire d’un travail harassant ; les libérer de cette charge permettra peut-être d’aller encore un peu plus vite dans les enquêtes préliminaires. Vous l’aurez compris, cette mesure n’a pas beaucoup de sens selon moi.
Mme Éliane Assassi. Mon amendement ne porte que sur le délai de six mois…
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Oui, sur le délai de six mois, mais aussi sur la communication du dossier expurgé d’un certain nombre d’éléments. Mais lesquels ? Comment ? Sous le contrôle de qui ? Il y a là davantage de problèmes, me semble-t-il, que de solutions.
M. le président. Je mets aux voix l’article 2, modifié.
(L’article 2 est adopté.)
Article 3
Le code de procédure pénale est ainsi modifié :
1° Le III de l’article préliminaire est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Le respect du secret professionnel de la défense et du conseil, prévu à l’article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, est garanti au cours de la procédure pénale dans les conditions prévues par le présent code. Le secret professionnel du conseil n’est pas opposable aux mesures d’enquête et d’instruction relatives aux infractions mentionnées aux articles 1741 et 1743 du code général des impôts, aux articles 433-1, 433-2 et 435-1 à 435-10 du code pénal, ainsi qu’au blanchiment de ces délits. » ;
2° L’article 56-1 est ainsi modifié :
aa) À la première phrase du premier alinéa, après le mot : « prise », sont insérés les mots : « par le juge des libertés et de la détention saisi » et, à la fin, les mots : « et l’objet de celle-ci » sont remplacés par les mots : « , l’objet de celle-ci et sa proportionnalité au regard de la nature et de la gravité des faits » ;
ab) À la fin de la deuxième phrase du même premier alinéa, les mots : « dès le début de la perquisition à la connaissance du bâtonnier ou de son délégué par le magistrat » sont remplacés par les mots : « à la connaissance du bâtonnier ou de son délégué dès le début de la perquisition par le magistrat effectuant celle-ci » ;
a) Avant la dernière phrase du même premier alinéa, est insérée une phrase ainsi rédigée : « Lorsque la perquisition est justifiée par la mise en cause de l’avocat, elle ne peut être autorisée que s’il existe contre celui-ci des raisons plausibles de le soupçonner d’avoir commis ou tenté de commettre, en tant qu’auteur ou complice, l’infraction qui fait l’objet de la procédure ou une infraction connexe au sens de l’article 203. » ;
a bis) Le deuxième alinéa est complété par les mots : « et à ce qu’aucun document relevant de l’exercice des droits de la défense et couvert par le secret professionnel de la défense et du conseil, prévu à l’article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, ne soit saisi et placé sous scellé » ;
b) À la fin du quatrième alinéa, les mots : « non susceptible de recours » sont supprimés ;
c) Après le septième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« La décision du juge des libertés et de la détention peut faire l’objet d’un recours suspensif dans un délai de vingt-quatre heures, formé par le procureur de la République, l’avocat ou le bâtonnier ou son délégué devant le président de la chambre de l’instruction. Celui-ci statue dans les cinq jours suivant sa saisine, selon la procédure prévue au cinquième alinéa du présent article. » ;
2° bis Après le même article 56-1, il est inséré un article 56-1-1 ainsi rédigé :
« Art. 56-1-1. – Lorsque, à l’occasion d’une perquisition dans un lieu autre que ceux mentionnés à l’article 56-1, la personne chez qui il est procédé à ces opérations estime qu’il est découvert un document mentionné au deuxième alinéa du même article 56-1, elle peut s’opposer à la saisie de ce document. Le document doit alors être placé sous scellé fermé et faire l’objet d’un procès-verbal distinct de celui prévu à l’article 57. Ce procès-verbal ainsi que le document placé sous scellé fermé sont transmis sans délai au juge des libertés et de la détention, avec l’original ou une copie du dossier de la procédure. Les quatrième à huitième alinéas de l’article 56-1 sont alors applicables. » ;
2° ter (Supprimé)
3° Après l’article 60-1, il est inséré un article 60-1-1 ainsi rédigé :
« Art. 60-1-1. – Lorsque les réquisitions prévues à l’article 60-1 portent sur des données de connexion émises par un avocat et liées à l’utilisation d’un réseau ou d’un service de communications électroniques, qu’il s’agisse de données de trafic ou de données de localisation, elles ne peuvent être faites que sur ordonnance motivée du juge des libertés et de la détention, saisi à cette fin par le procureur de la République.
« Cette ordonnance fait état des raisons plausibles de soupçonner que l’avocat a commis ou tenté de commettre, en tant qu’auteur ou complice, l’infraction qui fait l’objet de la procédure ou une infraction connexe au sens de l’article 203 ainsi que de la proportionnalité de la mesure au regard de la nature et de la gravité des faits.
« Le bâtonnier de l’ordre des avocats en est avisé.
« Les formalités prévues au présent article sont prescrites à peine de nullité. » ;
4° À la fin du troisième alinéa de l’article 77-1-1, les mots : « est également applicable » sont remplacés par les mots : « et l’article 60-1-1 sont également applicables » ;
5° L’article 99-3 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque les réquisitions portent sur des données mentionnées à l’article 60-1-1 et émises par un avocat, elles ne peuvent être faites que sur ordonnance motivée du juge des libertés et de la détention, saisi à cette fin par le juge d’instruction, et les trois derniers alinéas du même article 60-1-1 sont applicables. » ;
6° L’article 100 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Aucune interception ne peut porter sur une ligne dépendant du cabinet d’un avocat ou de son domicile, sauf s’il existe contre l’avocat des raisons plausibles de le soupçonner d’avoir commis ou tenté de commettre, en tant qu’auteur ou complice, l’infraction qui fait l’objet de la procédure ou une infraction connexe au sens de l’article 203 et à la condition que la mesure soit proportionnée au regard de la nature et de la gravité des faits. La décision est alors prise par ordonnance motivée du juge des libertés et de la détention, saisi à cette fin par ordonnance motivée du juge d’instruction, prise après avis du procureur de la République. » ;
6° bis Le troisième alinéa de l’article 100-5 est complété par les mots : « et couvertes par le secret professionnel de la défense et du conseil, prévu à l’article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques » ;
7° Au premier alinéa de l’article 706-95, les références : « par les articles 100, deuxième alinéa, » est remplacée par la référence : « aux deuxième et dernier alinéas de l’article 100 ainsi qu’aux articles ».
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. J’ai demandé à intervenir sur l’article afin de présenter un cadre sur la base duquel je répondrai à chacun à l’occasion du débat d’amendements.
Le secret professionnel des avocats est-il aujourd’hui un secret professionnel absolu, illimité, indivisible, pour reprendre la formule du CNB ? Oui, mes chers collègues, si l’on parle de la relation entre l’avocat et son client, ou entre l’avocat et les tiers.
En revanche, ce secret professionnel n’est pas absolu lorsqu’il se confronte avec l’autorité régalienne, avec le pouvoir judiciaire, dans un cadre assez simple où deux principes constitutionnels s’entrecroisent.
Le premier, c’est celui qui sanctuarise les droits de la défense ou, plus largement, la défense des libertés en général. Le secret professionnel de l’avocat est absolu dans ces domaines. C’est incontestable et il s’agit d’un objectif à caractère constitutionnel.
Le second, c’est l’objectif également constitutionnel de préservation de l’ordre public ou de prévention des infractions, en vertu duquel il n’y a pas de secret professionnel opposable dans le domaine de l’activité de conseil des avocats.
Ces deux sujets sont bien distincts. Je vous donnerai les références jurisprudentielles, monsieur Longuet, du Conseil constitutionnel, de la Cour de cassation, de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) et de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). Et c’est justement parce que la Cour de cassation a pris une position différente sur le sujet à la fin de l’année dernière, avec l’arrêt Au vieux campeur, que le CMB a souhaité l’introduction de cet article 3 et a été moteur en cette affaire.
J’ajoute qu’il n’y a pas de secret professionnel illimité dans notre pays. Même le secret professionnel du médecin, qui touche à l’intime, connaît de nombreuses exceptions : les déclarations de violence…
M. le président. Il faut conclure, monsieur le rapporteur.
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. Je poursuivrai mon propos en répondant à nos collègues lors de la discussion des amendements.
M. Gérard Longuet. Nous vous écoutons avec attention.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. C’est important, monsieur le président !
M. le président. Poursuivez, monsieur le rapporteur !
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. Je donnerai quelques exemples tout à l’heure du caractère déterminant – je dis bien « déterminant » – de la faculté offerte aux services d’enquête ou aux services judiciaires d’agir en cette matière sans se voir opposer, là où il s’agit de conseil, le secret professionnel. J’évoquerai les engagements internationaux de notre pays en cette matière, parce qu’il y en a, et attirerai votre attention, mes chers collègues, sur un problème constitutionnel qui pourrait conduire, à vouloir trop demander, à l’annulation de l’ensemble du dispositif.
Voilà le cadre général que je souhaitais présenter au début de la discussion de cet article 3.
M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.
L’amendement n° 107 rectifié quater est présenté par MM. J.B. Blanc, Babary et Belin, Mme V. Boyer, MM. Brisson, Cambon, Charon, Chasseing et Chauvet, Mme Chauvin, M. D. Laurent, Mme Estrosi Sassone, MM. Favreau, Mouiller, B. Fournier, Genet et Gremillet, Mmes Guidez et Loisier, MM. Longuet, Milon, Ravier, Saury, Sautarel et Tabarot et Mme Bonfanti-Dossat.
L’amendement n° 149 est présenté par MM. Parigi, Benarroche, Dantec, Dossus, Fernique, Gontard et Labbé, Mmes de Marco et Poncet Monge, M. Salmon et Mme Taillé-Polian.
L’amendement n° 189 rectifié quater est présenté par MM. Bonhomme, J.P. Vogel et Burgoa, Mmes de Cidrac et Micouleau, MM. Calvet et Bouchet, Mme Deseyne, MM. Le Rudulier, Courtial, de Nicolaÿ, Joyandet, Pointereau, Chatillon et Sol, Mme Ventalon, MM. Darnaud, Sido et Frassa et Mmes Schalck et Joseph.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 3, seconde phrase
Supprimer cette phrase.
La parole est à M. Jean-Baptiste Blanc, pour présenter l’amendement n° 107 rectifié quater.
M. Jean-Baptiste Blanc. Monsieur le garde des sceaux, ce texte est totalement inacceptable, et la position de M. le rapporteur l’est aussi.
Quelque 70 000 avocats de France sont vent debout, ce soir, contre cette disposition. Il faut à tout le moins entendre cette colère, me semble-t-il. S’ils sont vent debout, c’est parce que nous touchons là au secret professionnel, qui est au cœur de leur métier : c’est son ciment, son ADN, sa colonne vertébrale. Je ne suis pas d’accord avec vous, monsieur le rapporteur : c’est incessible ; c’est insécable ; c’est inaliénable ; c’est indivisible ; c’est intouchable ; c’est sacré. C’est comme ça !
C’est l’article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 qui en dispose ; on l’apprend nécessairement quand on s’apprête à passer un oral de déontologie. Toucher à cela, c’est toucher au cœur des avocats ; accepter cette faille, c’est ne rien comprendre à ce métier. Au-delà des seuls avocats, la question soulevée est essentielle dans une démocratie. Osons les grands mots : en l’espèce, ils sont appropriés.
De quoi s’agit-il ? De ce fameux article de la loi de 1971 qui dispose que l’avocat, qu’il agisse dans ses fonctions de conseil ou d’assistance, bénéficie de ce secret. Ce secret s’entend comme un tout : il couvre toutes les matières du droit, dans tous les domaines d’activité de l’avocat, que l’on parle de consultation, de correspondance, d’entretien ou de défense.
J’invite vraiment la Haute Assemblée à se pencher sur ce texte, qui est très important et potentiellement grave pour cette profession. Si l’on veut vraiment rétablir la confiance dans la justice, commençons par la rétablir envers les avocats.
M. le président. La parole est à M. Guy Benarroche, pour présenter l’amendement n° 149.
M. Guy Benarroche. Cet amendement a été déposé par notre collègue Paulu Santu Parigi.
Nous entendons, comme notre collègue Jean-Baptiste Blanc, supprimer la mention qui vise à écorner le principe même du secret professionnel de l’avocat en matière de conseil dans le cadre des enquêtes pour la répression des délits de fraude fiscale, de corruption, de trafic d’influence et de blanchiment de ces délits.
L’introduction de cet alinéa en commission des lois induit une confusion délétère et dangereuse, nous semble-t-il, entre, d’une part, les pièces d’un justiciable, qui ne sont pas couvertes par le secret professionnel de l’avocat et sont donc de facto saisissables dans le cadre des enquêtes pénales si cela est utile à la manifestation de la vérité, et, d’autre part, les consultations d’avocat, les correspondances entre avocat et client, ainsi que les factures adressées par l’avocat au client, qui sont couvertes par le secret et ne doivent en aucun cas pouvoir être saisies, sauf si elles recèlent la preuve de la participation de l’avocat à une infraction pénale.
En outre, véritable sanctuaire pour l’exercice même de la profession d’avocat, le secret professionnel repose sur la garantie de deux droits fondamentaux : le droit de se confier à un avocat sans crainte que ces confidences soient un jour utilisées contre son consentement et servent de fondement à une incrimination, corollaire du droit de ne pas s’auto-incriminer ; le droit de recueillir les consultations juridiques d’un avocat en toute matière sans crainte de voir un jour ces consultations utilisées contre soi.
Plus largement, en portant atteinte à l’indivisibilité du secret professionnel des avocats, c’est la légitimité même de l’État de droit que l’on affaiblit, en ce que celle-ci repose, entre autres, sur le respect par les autorités publiques du secret professionnel de l’avocat en toute matière.
Enfin, et surtout, si le présent projet de loi affiche pour ambition de rétablir la confiance, aujourd’hui dégradée, de nos concitoyens dans la justice, cette disposition va à rebours de l’esprit du texte en sapant précisément la confiance qu’ils peuvent avoir envers les avocats et la justice.
Pour toutes ces raisons, et afin de ne pas créer un précédent irréversible et dommageable à plus d’un titre, il convient de supprimer cette disposition.
M. le président. La parole est à Mme Elsa Schalck, pour présenter l’amendement n° 189 rectifié quater.
Mme Elsa Schalck. Cet amendement vise également à rétablir la rédaction adoptée par l’Assemblée nationale, qui réaffirme l’indivisibilité du secret professionnel de l’avocat, garantie essentielle de notre État de droit. Il s’agit d’une garantie des droits fondamentaux, à la fois pour le client et pour l’avocat, qui est d’ailleurs protégée par le droit européen, en matière tant de défense que de conseil.
Qui dit secret professionnel dit confidentialité, secret de l’échange entre un avocat et son client. Plus qu’un droit opposable du client, le secret professionnel est la base de la relation de confiance entre l’avocat et son client. Cette sécurité de l’échange est la condition sine qua non d’un conseil éclairé et de qualité, et donc d’une meilleure application de la règle de droit dans la société.
La confiance est au cœur du secret professionnel. Elle est indispensable au bon fonctionnement de notre système judiciaire. Elle est d’ailleurs au fondement de ce texte, puisqu’il est justement question de restaurer la confiance dans l’institution judiciaire.
Je ne peux que saluer les dispositions de ce projet de loi qui renforcent la protection du secret professionnel de l’avocat. Il est pertinent que celui-ci soit étendu aux activités de conseil, afin de couvrir tout le champ de la relation entre l’avocat et son client.
À rebours des arguments qui ont été invoqués, je pense qu’il est vraiment difficile de concevoir que des limites puissent être apportées au secret à raison de la nature des infractions lorsque l’avocat n’a pas participé à la commission des infractions poursuivies. Rappelons un point qui fait consensus : le secret professionnel est d’ores et déjà inopposable dans le cas où l’avocat est soupçonné de participer à la commission d’une infraction.
Aussi, je crains que l’adoption de l’amendement de la commission n’ait pour effet de limiter le secret professionnel de l’avocat, ce qui ne peut se faire qu’au préjudice du justiciable et de la force de notre État de droit. Le secret professionnel de l’avocat doit être indivisible ; il doit même être renforcé et étendu à toutes les activités professionnelles, tant de défense que de conseil.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. Personne ne discute le secret professionnel des avocats pour la défense des libertés. Vous avez invoqué l’État de droit, mes chers collègues. Si, effectivement, comme vous le pensez, monsieur Blanc, la loi de 1971 doit être interprétée comme accordant à l’avocat un secret professionnel absolu et indivisible, nous n’avions pas besoin de nous réunir ce soir : si la situation est telle que vous la décrivez, nul besoin de légiférer.
Madame Schalck, si la CEDH ou la CJUE, voire les deux, avaient tranché dans le sens que vous indiquez, au regard de la primauté du droit européen, il n’y aurait pas matière à se réunir, car le droit français aurait été mis en conformité. (M. Mathieu Darnaud s’exclame.)
Mais la situation, aujourd’hui, n’est pas celle que vous avez décrite. Je passe très vite là-dessus : Cour de cassation, 24 novembre 2020, le secret professionnel est limité aux droits-libertés ; CEDH, 6 décembre 2012, CJUE, 18 mai 1982, ces deux décisions traitant très vite la question à propos du droit de la concurrence ; et le Conseil constitutionnel a eu à trancher, décidant, le 24 juillet 2015, qu’aucune disposition constitutionnelle ne consacrait un droit au secret des échanges et correspondances des avocats en dehors des droits de la défense.
Autrement dit – c’est le premier point sur lequel je voudrais insister –, le texte de la commission des lois ne réduit pas le secret professionnel des avocats ! Au contraire, il l’étend, certes pas de manière illimitée, mais il l’étend. Si vous dites le contraire, encore une fois, c’est qu’il n’y a pas besoin de légiférer – et pourquoi y aurait-il un article 3 ?