M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Nous avons tous à cœur ici d’éviter la justice spectacle, cette justice qui pourrait presque, demain, faire revenir la loi du talion. À vouloir faire dans l’ultra-transparence, à vouloir laver plus blanc que blanc – on l’a vu en politique où l’on a joué ce jeu-là –, je vous le garantis, on ne satisfait jamais personne.
Oui, vous avez raison : nous avons besoin de transparence, de démocratisation. Permettez-moi d’ailleurs de vous faire remarquer que, bien que nous ne soyons pas en dictature, un certain nombre d’audiences ne font pas pour autant aujourd’hui l’objet d’une publicité. Je crois qu’il faut savoir raison garder dans les arguments échangés au sujet des différents amendements.
L’objectif de ces dispositions serait donc de mieux faire comprendre l’institution judiciaire dans sa diversité, de rendre accessible à une grande partie de nos concitoyens ce qui ne l’est pas aujourd’hui. Permettez-moi d’en douter – et je ne remets pas en cause votre volonté – : si le résultat final est une émission rébarbative, celle-ci ne sera pas plus regardée qu’un site internet sans aucun attrait… En réalité, nous sommes en train de nous faire plaisir, depuis quelques heures, à disserter sur des dispositions qui ne changeront rien à la confiance que nos concitoyens accordent à l’institution judiciaire.
L’alinéa 17, dont nous demandons la suppression, va plus loin encore dans cette dérive. Nous sommes dans le « toujours plus »…
Monsieur le garde des sceaux, vous pouvez hausser les épaules ! J’avoue que, ce que je vous dis maintenant, je ne l’aurais certainement pas dit il y a deux ans, mais parce que je fais de la politique, je vous le dis !
Il y a un an et demi, notre pays a été soumis à un confinement. Soudainement, on a vu sur des chaînes d’information en continu de grands professeurs de médecine s’affronter sur des questions sanitaires, sur les solutions de sortie de crise, sous le regard des Français incapables de comprendre les enjeux. On en voit aujourd’hui les conséquences.
Nous sommes favorables à la publicité d’un certain nombre d’audiences, mais on ne peut pas tout montrer. Tel est le sens de notre amendement.
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Merci, madame la sénatrice, de m’autoriser un petit lever d’épaules qui correspond à ma respiration. Merci de me laisser respirer…
Pour le reste, ne pensez-vous pas qu’il soit utile que les Français sachent comment fonctionne une instruction, qui est le juge d’instruction, à quoi sert le greffier, à quoi sert l’avocat aux côtés du mis en examen ? Pardonnez-moi, mais cette information se fait aujourd’hui de façon sauvage.
Au moins, avec le texte que nous proposons, tout cela sera réglementé. Il y aura des autorisations. Des précautions ont été prises ou ont été envisagées, vous le savez, par le Gouvernement, par l’Assemblée nationale et par votre commission des lois.
La logique est la même pour l’enquête. Certains de nos concitoyens sont demandeurs d’informations. Pourquoi tronqueriez-vous la procédure pénale ? Pourquoi réserverait-on les enregistrements aux seules audiences ?
Je souhaite que les caméras aillent partout : aux prud’hommes, chez le juge aux affaires familiales (JAF), aux audiences pénales, au tribunal de commerce… Le but est de montrer la justice à nos compatriotes qui ne la connaissent pas. Tel est le fondement de cet article.
Si vous préférez les émissions diffusées aujourd’hui et qui sont construites de façon un peu curieuse, sans aucune explication pédagogique associée, libre à vous ! Quant à moi, je pense qu’il faut expliquer, et c’est le but unique de cet article.
M. le président. L’amendement n° 202, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 18
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« III ter. – La cession des droits sur les images enregistrées emporte de droit transfert au cessionnaire des obligations et interdictions prévues par le présent article.
La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Cet amendement a pour objet d’imposer aux cessionnaires des images filmées d’une audience de respecter les règles fixées à l’article 1er de ce texte. En effet, il faut que les droits et interdictions que nous prévoyons dans le projet de loi perdurent en cas de cession de telles images. C’est une garantie supplémentaire permettant de ne pas dénaturer ce que nous mettons ici en place.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. Cet amendement tend à sécuriser le respect des conditions de diffusion en cas de cession des images. Cette nouvelle garantie nous paraît quelque peu surabondante compte tenu du cadre déjà défini à l’article 1er, et notamment de l’incrimination spécifique prévue à l’alinéa 18 en cas de non-respect des conditions légales de diffusion.
Pour autant, en la matière, trop de précautions ne nuit pas. L’avis de la commission est donc favorable sur cet amendement.
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour explication de vote.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le garde des sceaux, j’ai écouté avec attention ce que vous avez répondu à l’instant à l’intervention de Mme Cukierman et, avec tout le respect que j’ai pour vous, cette réponse me laisse pantoise !
Vous érigez la proposition que vous nous faites dans ce projet de loi en une sorte d’alpha et d’oméga de l’éducation… (M. le garde des sceaux le conteste.) Mais si !
Mme Éliane Assassi. Monsieur le garde des sceaux, je vous écoute tranquillement depuis le début de l’examen de ce texte…
Mme Éliane Assassi. Vous n’avez pas eu la courtoisie de répondre à l’intervention de Mme Cukierman en discussion générale. Vous nous ignorez ; vous faites comme si les élus du groupe CRCE n’existaient pas. (M. le garde des sceaux manifeste son exaspération.) Mais si ! Ne le contestez pas !
Mme Éliane Assassi. Et j’ai, moi, le droit de réagir à vos mouvements…
M. le président. Poursuivez, madame Assassi !
Mme Éliane Assassi. Nous ne sommes pas dans un prétoire, monsieur le garde des sceaux. Nous sommes au Sénat !
M. Laurent Burgoa. Bravo !
Mme Éliane Assassi. Nous examinons un projet de loi, qui soulève à nos yeux différentes questions – Mme Cukierman vous en a posé un certain nombre. Et il me semble normal que vous essayiez d’y répondre !
Regardez-moi, s’il vous plaît, plutôt que votre opposition de droite !
Mme Éliane Assassi. Soyez un peu respectueux de ce que nous représentons, même si pour vous nous ne représentons presque rien… Nous représentons quand même quelque chose !
Mme Cukierman vous a interpellé sur un sujet précis et vous la négligez, comme si ce que vous proposiez était l’alpha et l’oméga de la pédagogie sur ce qu’est la justice dans notre pays. Cela ne suffit pas !
Ce n’est pas la captation filmée des audiences qui va répondre à la question fondamentale que nous nous posons tous : comment rétablir la confiance entre la justice et nos concitoyens ?
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote sur l’article.
M. Jean-Pierre Sueur. Le débat qui a eu lieu sur cet article a contribué à convaincre le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain de ne pas le voter. En effet, trop d’incertitudes subsistent.
J’ai d’ailleurs relu avec beaucoup d’attention le rapport de notre commission, qui indique en page 25 : « La position de la commission : mieux encadrer une initiative qui reste très incertaine quant à sa mise en œuvre. »
Un peu plus loin, il est écrit : « Il est vrai qu’à ce jour l’impact de ces tournages, s’ils devaient se généraliser, n’est pas connu. »
Et encore : « Les rapporteurs ont exprimé leurs doutes sur l’objectif réel et l’opérabilité d’un dispositif conçu avant toute chose pour être un instrument de communication du ministère de la justice, tout en reposant sur l’intervention de producteurs et diffuseurs tiers pour éviter d’avoir à faire supporter par le budget du ministère les frais de tournage et de diffusion. »
Je continue de citer le rapport : « L’article 1er ne semble avoir fait l’objet d’aucune concertation avec les professionnels. »
Chacun sent bien à la lecture de ces extraits que, malgré la bonne volonté des rapporteurs et même en prenant en compte ce qui peut relever, pour la justice, d’un objectif pédagogique ou de meilleure communication, il n’y a pas d’enthousiasme.
En outre, les incertitudes sont nombreuses. On aurait d’ailleurs pu imaginer que ce dispositif fût expérimental, ce qui n’est pas le cas.
Je ne reprendrai pas, par ailleurs, les arguments de Mme de La Gontrie – elle les a présentés avec beaucoup de clarté – sur les problèmes qui se posent lorsque l’on filme, dans le cabinet du juge, une instruction en cours.
Par conséquent, nous pensons que cette question n’est pas mûre et que l’on s’engagerait, en votant ce texte, sur une voie qui n’est pas du tout sûre. J’ajoute, monsieur le garde des sceaux, que les chaînes de télévision continueront de toute façon de diffuser des fictions – il y va tout simplement de leur liberté de création.
M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet, pour explication de vote sur l’article.
M. Gérard Longuet. Je partage les doutes de Jean-Pierre Sueur et de Cécile Cukierman et deux observations me conduisent, par respect pour le travail de la commission, à m’abstenir sur cet article.
Nous devons tout d’abord avoir en tête que le numérique est doté d’une mémoire permanente, alors que les situations judiciaires sont – heureusement – effacées par la prescription, qui exprime en général la réinsertion du coupable, voire sa sérénité retrouvée. Or, quand on filme, on le fait pour l’éternité. Ce décalage me pose un véritable problème. Quel usage sera fait des images d’une instruction s’agissant d’un délit disparu, quelle qu’ait été, d’ailleurs, la décision finale du tribunal dans le dossier en question ?
Ensuite, M. le garde des Sceaux a évoqué le développement des « enquêtes vérité » – la télévision nous en abreuve de plus en plus. Mais la France dispose d’un service public dont, me semble-t-il, la vocation est différente, qui revendique qualité, indépendance à l’égard du succès immédiat, vérité, rigueur et intelligence. Pourquoi ne pas confier à ce service public la possibilité non pas de filmer une instruction réelle, où des êtres humains jouent leur vie, mais d’en restituer la substance avec d’excellents acteurs et professionnels, conseillés, le cas échéant, par d’excellents magistrats et avocats ?
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Monsieur le sénateur Longuet, je vous réponds : personne, ou pas grand monde, ne regardera un programme tel que celui que vous envisagez. Il y a plus de gens, voyez-vous, dans les salles d’audience qu’au théâtre – c’est ainsi ! L’attraction, en la matière, est inéluctable : l’émission Faites entrer l’accusé, diffusée sur le service public, attire par exemple un nombre considérable de téléspectateurs.
Cela dit, il existe des émissions diffusées sur le service public qui sont de qualité discutable et d’autres qui, diffusées sur des chaînes privées, sont de bonne qualité. Pour ce qui me concerne – je l’ai dit –, je veux du pédagogique.
Or je pense que l’intérêt pour l’affaire est l’un des vecteurs de l’attraction des téléspectateurs pour l’une ou l’autre de ces émissions. Je crois d’ailleurs me souvenir que c’est France Inter – mais je peux me tromper – qui avait songé, il y a longtemps, à reconstituer un dossier en le faisant jouer par des acteurs. Cela n’a pas marché – ça a fait flop ! –, parce que les gens ont envie de vérité, pour des tas de raisons différentes.
Ce qui m’intéresse, en tout cas, c’est la pédagogie qu’on peut tirer de ce genre de programmes.
Enfin, et pour répondre à l’interpellation qui m’a été faite tout à l’heure (M. le garde des sceaux désigne la gauche de l’hémicycle.), je suis bien sûr convaincu que cette disposition ne constitue pas l’alpha et l’oméga de l’apprentissage de la procédure. Il y a là simplement une façon attractive, me semble-t-il, d’avancer vers une connaissance plus approfondie de nos procédures judiciaires, qu’elles soient civiles, pénales ou encore commerciales.
M. le président. Je mets aux voix l’article 1er, modifié.
(L’article 1er est adopté.)
Article additionnel après l’article 1er
M. le président. L’amendement n° 119, présenté par M. Bourgi, Mme de La Gontrie, MM. Durain et Kanner, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Leconte, Marie, Sueur et Antiste, Mme Artigalas, MM. Assouline et J. Bigot, Mmes Blatrix Contat et Bonnefoy, M. Bouad, Mme Briquet, M. Cardon, Mmes Carlotti, Conconne et Conway-Mouret, MM. Cozic, Dagbert, Devinaz et Éblé, Mme Espagnac, M. Féraud, Mme Féret, M. Fichet, Mme M. Filleul, MM. Gillé, Houllegatte et Jacquin, Mme Jasmin, MM. Jeansannetas, P. Joly et Jomier, Mmes G. Jourda, Le Houerou et Lepage, M. Lozach, Mme Lubin, MM. Lurel, Magner et Mérillou, Mme Meunier, M. Michau, Mme Monier, MM. Montaugé et Pla, Mmes Poumirol et Préville, MM. Raynal et Redon-Sarrazy, Mme S. Robert, M. Roger, Mme Rossignol, MM. Stanzione, Temal, Tissot, Todeschini, M. Vallet et Vallini, Mme Van Heghe, M. Vaugrenard et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article 706-52 du code de procédure pénale est ainsi modifié :
1° Au premier alinéa, les mots : « d’un mineur victime » sont remplacés par les mots : « d’une victime » ;
2° À la fin du deuxième alinéa, les mots : » du mineur » sont remplacés par les mots : « de la victime ».
La parole est à M. Hussein Bourgi.
M. Hussein Bourgi. Cet amendement vise à étendre l’enregistrement de l’audition, au cours d’une enquête, à toutes les victimes de délits et de crimes sexuels, quel que soit leur âge.
Actuellement, cette disposition n’est prévue que pour les victimes mineures. Nous proposons d’élargir cette possibilité à l’ensemble des victimes de violences sexuelles, que ces victimes soient mineures ou majeures.
L’adoption de cet amendement permettrait d’éviter à une victime majeure d’avoir à relater à plusieurs reprises les violences sexuelles qu’elle a subies, lui épargnant l’effet traumatique d’une telle répétition.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. L’obligation d’enregistrer l’audition répond à des préoccupations qui sont aujourd’hui propres aux mineurs. Il s’agit notamment de s’assurer que l’enquêteur n’a pas suggéré, volontairement ou involontairement, une réponse à un enfant, qui en tant que tel est particulièrement vulnérable.
Élargir cette disposition aux majeurs nous paraît difficile à mettre en œuvre : beaucoup de commissariats ne sont pas équipés et les procédures d’enquête s’en trouveraient alourdies.
La commission demande donc le retrait de cet amendement ; à défaut, l’avis serait défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 119.
(L’amendement n’est pas adopté.)
TITRE II
DISPOSITIONS AMÉLIORANT LE DÉROULEMENT DES PROCÉDURES PÉNALES
Chapitre Ier
Dispositions renforçant les garanties judiciaires au cours de l’enquête et de l’instruction
Section 1
Dispositions renforçant le respect du contradictoire et des droits de la défense
Article 2
I. – Le chapitre II du titre II du livre Ier du code de procédure pénale est ainsi modifié :
1° Après l’article 75-2, il est inséré un article 75-3 ainsi rédigé :
« Art. 75-3. – La durée d’une enquête préliminaire ne peut excéder deux ans à compter du premier acte de l’enquête, y compris si celui-ci est intervenu dans le cadre d’une enquête de flagrance.
« L’enquête préliminaire peut toutefois être prolongée une fois pour une durée maximale d’un an à l’expiration du délai mentionné au premier alinéa, sur autorisation écrite et motivée du procureur de la République, qui est versée au dossier de la procédure.
« Les enquêteurs clôturent leurs opérations et transmettent les éléments de la procédure au procureur de la République en application de l’article 19 avant l’expiration du délai de deux ans ou, en cas de prolongation, du délai de trois ans, afin de permettre à ce dernier soit de mettre en mouvement l’action publique, le cas échéant en ouvrant une information judiciaire, soit de mettre en œuvre une procédure alternative aux poursuites, soit de classer sans suite la procédure. Tout acte d’enquête intervenant après l’expiration de ces délais est nul, sauf s’il concerne une personne qui n’a été mise en cause au cours de la procédure, au sens de l’article 75-2, que depuis moins de deux ans ou, en cas de prolongation, de trois ans.
« Lorsque l’enquête porte sur des crimes ou délits mentionnés aux articles 706-73 et 706-73-1 ou relevant de la compétence du procureur de la République antiterroriste, les délais de deux ans et d’un an prévus au présent article sont portés respectivement à trois ans et à deux ans. Ces délais sont également portés à trois ans et à deux ans lorsque l’enquête porte sur des délits mentionnés aux articles 1741 et 1743 du code général des impôts, aux articles 433-1, 433-2 et 435-1 à 435-10 du code pénal, ainsi que sur le blanchiment de ces délits.
« Pour la computation des délais prévus au présent article, il n’est pas tenu compte, lorsque l’enquête a donné lieu à une décision de classement sans suite puis a repris ultérieurement sur décision du procureur de la République, de la durée pendant laquelle l’enquête a été suspendue. Il n’est pas non plus tenu compte, en cas de demande d’entraide judiciaire, de la durée qui s’écoule entre la signature de la demande par le parquet émetteur et la réception par ce même parquet des pièces d’exécution. Lorsqu’il est procédé au regroupement de plusieurs enquêtes dans le cadre d’une même procédure, il est tenu compte, pour la computation des délais prévus au présent article, de la date de commencement de l’enquête la plus ancienne. » ;
2° L’article 77-2 est ainsi rédigé :
« Art. 77-2. – I. – À tout moment de l’enquête préliminaire, le procureur de la République peut, lorsqu’il estime que cette décision ne risque pas de porter atteinte à l’efficacité des investigations, indiquer à la personne mise en cause, à la victime ou à leurs avocats qu’une copie de tout ou partie du dossier de la procédure est mise à la disposition de leurs avocats, ou d’elles-mêmes si elles ne sont pas assistées par un avocat, et qu’elles ont la possibilité de formuler toutes observations qui leur paraîtraient utiles.
« Ces observations peuvent notamment porter sur la régularité de la procédure, sur la qualification des faits pouvant être retenue, sur le caractère éventuellement insuffisant de l’enquête, sur la nécessité de procéder à de nouveaux actes qui seraient nécessaires à la manifestation de la vérité et sur les modalités d’engagement éventuel des poursuites ou le recours éventuel à la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité.
« II. – Sans préjudice du I, toute personne à l’encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction punie d’une peine privative de liberté peut demander au procureur de la République, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ou par déclaration au greffe contre récépissé, de prendre connaissance du dossier de la procédure afin de formuler ses observations lorsqu’au moins l’une des conditions suivantes est remplie :
« 1° Si la personne a été interrogée dans le cadre d’une audition libre ou d’une garde à vue qui s’est tenue il y a plus d’un an ;
« 2° S’il a été procédé à une perquisition chez la personne il y a plus d’un an ;
« 3° S’il a été porté atteinte à la présomption d’innocence de la personne par un moyen de communication au public. Le présent 3° n’est pas applicable lorsque les révélations émanent de la personne elle-même ou de son avocat, directement ou indirectement, ou que l’enquête porte sur des faits relevant des articles 706-73 et 706-73-1 ou relevant de la compétence du procureur de la République antiterroriste.
« Lorsqu’une telle demande lui a été présentée et qu’il estime qu’il existe à l’encontre de la personne une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction punie d’une peine privative de liberté, le procureur de la République avise cette personne ou son avocat de la mise à la disposition de son avocat, ou d’elle-même si elle n’est pas assistée par un avocat, d’une copie de la procédure et de la possibilité de formuler les observations prévues au I du présent article, selon les formes mentionnées au premier alinéa du présent II.
« Par dérogation au cinquième alinéa du présent II et pour une durée maximale de six mois à compter de la réception de la demande, le procureur de la République peut refuser à cette personne la communication de tout ou partie de la procédure si l’enquête est toujours en cours et si cette communication risque de porter atteinte à l’efficacité des investigations. Il statue dans un délai d’un mois à compter de la réception de la demande, par une décision motivée versée au dossier. À défaut, le silence vaut refus de communication. La personne à l’origine de la demande peut contester un refus devant le procureur général, qui statue également dans un délai d’un mois à compter de sa saisine, par une décision motivée versée au dossier. Lorsque l’enquête porte sur des crimes ou délits mentionnés aux articles 706-73 et 706-73-1 ou relevant de la compétence du procureur de la République antiterroriste, le délai de six mois prévu au présent alinéa est porté à un an.
« Dans la période d’un mois qui suit la réception de la demande, le procureur de la République ne peut prendre aucune décision de poursuites hors l’ouverture d’une information, l’application de l’article 393 ou le recours à la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité prévue aux articles 495-7 à 495-13.
« Le procureur de la République peut décider de ne pas mettre à la disposition de la personne certaines pièces de la procédure au regard des risques de pression sur les victimes, les autres personnes mises en cause, leurs avocats, les témoins, les enquêteurs, les experts ou toute autre personne concourant à la procédure.
« III. – Lorsqu’une enquête préliminaire fait l’objet d’une demande de communication dans les conditions prévues au II, la victime, si elle a porté plainte, est avisée par le procureur de la République qu’elle dispose des droits prévus au I dans les mêmes conditions que la personne à l’origine de la demande.
« III bis. – Les observations formulées en application du présent article sont versées au dossier de la procédure. Le procureur de la République apprécie les suites à apporter à ces observations. Il en informe les personnes concernées. S’il refuse de procéder à un acte demandé, sa décision peut être contestée devant le procureur général.
« IV. – Lorsqu’une période de deux ans s’est écoulée après l’un des actes mentionnés aux 1° et 2° du II, l’enquête préliminaire ne peut se poursuivre à l’égard des personnes ayant fait l’objet de l’un de ces actes et à l’encontre desquelles il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elles ont commis ou tenté de commettre une infraction sans que le procureur de la République fasse application du I à leur profit ainsi qu’à celui du plaignant. » ;
3° À la première phrase de l’article 77-3, la référence : « premier alinéa du I » est remplacée par la référence : « II ».
II (nouveau). – L’article 696-114 du code de procédure pénale est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsqu’il poursuit les investigations après l’expiration des délais d’enquête prévus à l’article 75-3, le procureur européen délégué est également tenu de procéder conformément aux dispositions applicables à l’instruction. »
M. le président. Je suis saisi de cinq amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 160 rectifié, présenté par MM. Benarroche et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme Taillé-Polian, est ainsi libellé :
Alinéas 2 à 7
Supprimer ces alinéas.
La parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. Sous couvert de rendre la justice plus rapide, le Gouvernement a choisi, dans cet article, une solution qui ressemble en fait au lit de Procuste !
Il est vrai que certains délais sont parfois trop longs, mais une règle unique, rigide, qui aurait pour conséquence de rendre encore plus difficiles les enquêtes complexes, ne nous paraît pas pour autant souhaitable. Souhaitons-nous vraiment que des enquêtes préliminaires en matière criminelle, par exemple sur certains cas d’homicides, soient closes alors même que leur complexité demande du temps ?
Comme cela a été rappelé, la majorité des enquêtes préliminaires – entre 70 % et 85 % d’entre elles – dure moins de six mois. Je me permets aussi de rappeler qu’en 2020 seules 3,2 % des enquêtes préliminaires sont allées au-delà des trois ans.
Je le redis, cette recherche d’une plus grande efficacité nous paraît plutôt relever de l’affichage. Prétendre que les enquêtes préliminaires s’éternisent au motif que les magistrats instructeurs manqueraient d’une volonté d’accélérer la manifestation de la vérité ne nous paraît pas refléter de la réalité. Fixer pour objectif la rapidité dans la résolution des affaires, plutôt que la résolution elle-même, nous paraît même assez dangereux.
C’est pourquoi nous demandons, par cet amendement, la suppression des alinéas de cet article qui concernent la durée de l’enquête préliminaire : nous souhaitons en rester au cadre législatif actuel.