M. le président. L’amendement n° 106 rectifié, présenté par M. J.B. Blanc, Mmes Bonfanti-Dossat et V. Boyer, MM. Brisson, Cambon, Charon et Chasseing, Mme Joseph, MM. B. Fournier, Genet, Gremillet, Lefèvre et Longuet, Mme M. Mercier et MM. Mouiller, Sautarel et Somon, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 3
Remplacer les mots :
deux ans
par les mots :
un an
II. – Alinéa 4
Rédiger ainsi cet alinéa :
« L’enquête peut toutefois se prolonger des délais de recours éventuels lorsque le suspect ou le plaignant éventuel auront exercé des recours contre un refus de demande d’acte ou le suspect une demande de nullité d’un acte. À l’issue de ce délai, faute pour le procureur de la République de classer sans suite ou de prendre une décision de renvoi devant une juridiction de jugement ou une mesure alternative aux poursuites, une information judiciaire est ouverte. » ;
III. – Alinéas 5 à 7
Supprimer ces alinéas.
La parole est à M. Jean-Baptiste Blanc.
M. Jean-Baptiste Blanc. La durée de deux ans, qu’il serait possible de prolonger d’un an, est de toute évidence trop longue et, dans la pratique, peu opérante, puisque la plupart des enquêtes durent moins de deux ans.
En outre, aucune sanction n’est prévue en cas de non-respect du délai, ce qui rend illusoire un tel encadrement.
C’est pourquoi nous proposons que l’enquête soit limitée à une durée d’un an, prolongée le cas échéant des délais de recours. À l’issue de ce délai, une information judiciaire serait automatiquement ouverte. Cette proposition nous apparaît plus réaliste et plus efficace.
M. le président. L’amendement n° 226, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 6, seconde phrase
Rédiger ainsi cette phrase :
Il en est de même si l’enquête porte sur des infractions mentionnées aux articles 435-1 à 435-10 du code pénal ou sur les délits de recel ou de blanchiment de ces infractions.
La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Cet amendement a pour objet de limiter l’application des délais de trois et deux ans aux enquêtes sur les faits de corruption internationale et de blanchiment ou de recel de ces infractions, à l’exclusion des enquêtes concernant des faits de fraude fiscale ou de corruption non internationales, également visées par la rédaction de votre commission.
Celle-ci a prévu que l’élargissement des délais à trois et deux ans s’appliquerait lorsque l’enquête porte sur des délits de fraude fiscale et de corruption, ainsi que sur le blanchiment de ces délits. Cette extension me paraît excessive. Comme l’a indiqué le parquet national financier (PNF), qui exerce ses attributions près le tribunal judiciaire de Paris, le délai total de trois ans prévu en droit commun ne paraît pas adapté en matière d’enquête portant sur des faits de corruption commis par des agents étrangers.
Je vous donne lecture de la lettre de M. Jean-François Bohnert, procureur de la République financier, dont je vous ai parlé lors de mon audition par la commission : « Si le principe d’une limitation dans le temps de la durée des enquêtes préliminaires, y compris dans le domaine économique et financier, m’apparaît de nature à améliorer l’efficacité de l’action de la justice et à accroître la sécurité juridique des personnes mises en cause, la question peut toutefois se poser de l’extension des exceptions prévues à l’heure actuelle dans la petite loi au seul domaine de la lutte contre la corruption internationale, compte tenu des spécificités propres à la conduite de l’action publique en ce domaine et de sa particulière sensibilité politique. »
Si l’on fait une succession d’exceptions, alors la règle est obsolète. Il faut limiter les exceptions. Aujourd’hui, les enquêtes préliminaires ne sont enserrées dans aucun délai. Pour autant, quand une enquête préliminaire ne sera pas terminée dans les délais nouveaux que vous fixerez, alors on basculera automatiquement vers une information judiciaire qui donnera cette fois à l’intéressé le droit d’avoir immédiatement accès au dossier et d’être défendu par un avocat.
Ce n’est donc pas parce qu’une enquête préliminaire ne s’inscrirait pas dans les délais qui seront imposés par la loi que cette enquête finirait dans je ne sais quel tiroir ou je ne sais quelle poubelle. Il est extrêmement important de le dire : nulle impunité au terme de ce délai s’il n’est pas respecté ! L’enquête continuera sous une autre forme, en l’occurrence l’instruction.
Je pense qu’il ne faut pas multiplier les exceptions ; nous risquons de nous y perdre et de faire perdre à ce texte l’esprit qui est le sien. Cet esprit consiste à prolonger ce qui a déjà été décidé dans d’autres domaines : l’instruction et la détention provisoire ont été enserrées dans des délais ; la réforme du code de la justice pénale des mineurs a également fixé un certain nombre de délais, pour ce qui concerne en particulier l’instruction. Et voilà que la chronologie de l’enquête préliminaire serait à la discrétion, si j’ose dire, des officiers de police judiciaire, sous le contrôle du parquet ?
Fixer un délai est aussi une façon, pour le parquet, de mieux contrôler l’enquête préliminaire et d’exercer une autorité plus vigilante – disons-le ainsi – sur les officiers de police judiciaire.
Je trouve scandaleux que dans notre pays des enquêtes préliminaires vieilles de quatre ans et demi ou de cinq ans ne soient toujours pas closes, ce qui entraîne – je l’ai dit – des « feuilletonnages » médiatiques insupportables, où peut crever la réputation d’un homme sans même qu’il puisse avoir accès à son dossier. Il faut mettre un terme à cela ! Tel est le sens de cet article ; attention à ne pas le dénaturer !
M. le président. L’amendement n° 161 rectifié, présenté par MM. Benarroche et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme Taillé-Polian, est ainsi libellé :
Alinéa 6
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Ces délais sont également portés à trois ans et à deux ans lorsque l’enquête porte sur des crimes et délits mentionnés aux articles L. 173-3, L. 216-1 et L. 216-6 du code de l’environnement et sur les délits de pollution de l’air, de l’eau et des sols.
La parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. Je remercie M. le garde des sceaux pour son plaidoyer, que j’ai trouvé excellent. Je comprends très bien la volonté de limiter les délais des enquêtes préliminaires et de permettre la transformation de ces enquêtes en instructions à l’expiration de ceux-ci. Cela permettrait aux justiciables mis en cause d’accéder au dossier et de s’exprimer, ce qu’ils ne peuvent pas faire dans le cadre d’une enquête préliminaire.
Je comprends tout cela, mais les faits sont têtus et je les répète : aujourd’hui, 3,2 % des affaires seulement durent plus de trois ans.
M. Guy Benarroche. En outre, dans le projet de loi qui nous est soumis, il n’existe aucune garantie concernant la transformation des enquêtes préliminaires, à l’issue des délais que nous allons fixer, en quelque chose de plus acceptable.
L’amendement n° 160 rectifié que j’ai présenté tout à l’heure prévoyait, à défaut de solution plus satisfaisante, que pour ces 3,2 % de dossiers on n’impose pas systématiquement un délai.
L’amendement n° 161 rectifié, de repli par rapport au précédent, vient compléter le dispositif proposé. Vous venez de plaider de manière très probante, monsieur le garde des sceaux, contre toute exception supplémentaire ; nous en proposons une malgré tout. Chacun sait en effet que, dans les affaires portant sur des atteintes environnementales ou liées à des pollutions, il est extrêmement difficile de réunir des preuves et de cerner les responsabilités dans des délais contraints : cela peut prendre énormément de temps.
C’est pourquoi, à défaut de supprimer complètement l’instauration de délais pour les enquêtes préliminaires, nous défendons une exception visant à allonger les délais prévus pour les crimes et délits environnementaux.
M. le président. L’amendement n° 6 rectifié, présenté par Mmes N. Goulet et Bonfanti-Dossat, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 6
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Ces délais sont également portés à trois ans lorsque l’enquête porte sur des délits et crimes mentionnés aux articles 222-22 à 222-22-2 et aux articles 222-23 à 222-26 et 225-4-1 du code pénal.
La parole est à Mme Christine Bonfanti-Dossat.
Mme Christine Bonfanti-Dossat. Les articles visés par cet amendement concernent le viol, les agressions sexuelles et le trafic d’êtres humains. Le combat contre ces crimes et délits est une cause nationale. Les enquêtes peuvent parfois concerner des personnes étrangères, comme c’est le cas dans les trafics d’êtres humains.
De récentes affaires, notamment sur des prédateurs sexuels dans le secteur de la mode, ont mis en lumière des failles dans les dispositifs de protection des victimes.
C’est pourquoi il est important de conserver, en la matière, des délais d’enquête suffisamment longs.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. M. Benarroche a proposé, en présentant l’amendement n° 160 rectifié, d’en rester à la situation actuelle, c’est-à-dire à des enquêtes préliminaires sans limite de temps.
Je dois dire que, sur ce point, notre commission partage l’analyse de M. le garde des sceaux : des enquêtes préliminaires qui n’en finissent pas ne sont souhaitables pour personne, ni pour la justice ni pour le bon fonctionnement de la société. Si j’étais un peu excessif, je dirais qu’une enquête préliminaire qui durerait trop longtemps résulterait soit d’une inertie anormale soit d’une forme de pathologie technique.
L’avis de la commission est donc défavorable sur cet amendement. Une précision : dans son objet, il est fait référence au fait que cette réforme ne concernerait en réalité que 3,2 % des enquêtes préliminaires. Je dois dire que notre commission ne partage pas cette appréciation. M. le garde des sceaux va me dire que ce chiffre est issu de tableaux du ministère de l’intérieur ; nous les avons bien sûr regardés, mais ils s’assortissent de multiples astérisques, si bien qu’ils doivent être interprétés avec beaucoup de prudence. Par exemple, ils amalgament des enquêtes dites techniques avec les enquêtes judiciaires. Je serais donc beaucoup plus prudent que les auteurs de cet amendement sur l’interprétation de ces tableaux.
Ce que nous savons concrètement, c’est ce que nous disent les parquets : 100 000 procédures en instance depuis plus de trois ans à Nanterre, 80 000 à Marseille, 40 000 à Nice. Le volume des enquêtes anciennes en attente peut donc être important. J’ajoute que, dans les nombreux parquets qui ne disposent pas d’un bureau dit d’ordre, on ne connaît même pas ce chiffre.
C’est pourquoi je vous propose, en la matière, de ne pas nous déterminer par rapport à un volume d’enquêtes, puisque nous aurions du mal à le déterminer précisément, mais par rapport à la pertinence du texte défendu par M. le garde des sceaux.
L’amendement n° 106 rectifié présenté par notre collègue Jean-Baptiste Blanc s’inscrit en quelque sorte dans une logique inverse à celle de M. Benarroche : au lieu de rallonger les délais, on les raccourcit. Vous proposez en effet, mon cher collègue, de limiter l’enquête préliminaire à un an. Nous n’y sommes pas favorables. Chacun souhaiterait que, dans un monde idéal, nous puissions respecter un tel délai, mais la réalité est nettement différente.
Pour que les enquêtes aboutissent, a fortiori dans un délai d’un an, il faut des enquêteurs judiciaires. Or une grande pénurie règne en ce domaine dans notre pays. Les chiffres sont connus : le ministre de l’intérieur s’est exprimé cet été, indiquant qu’il manquait au moins 5 000 postes. Pour diverses raisons, notamment la complexité de la procédure pénale – ce texte le montre clairement –, les policiers ne sont plus attirés par ce type de fonction.
J’ajoute que les réponses qui sont avancées par le ministère de l’intérieur pour tenter de fournir à M. le garde des sceaux les enquêteurs judiciaires dont il souhaite légitimement pouvoir disposer sont plutôt de nature à nous inquiéter, puisqu’elles tendent à reproduire des phénomènes que nous avons déjà connus dans le passé : il s’agit, grosso modo, de « sortir » rapidement des enquêteurs judiciaires. Ainsi, dès cette année, l’oral du concours a été supprimé, ce qui veut dire qu’on recrute des enquêteurs judiciaires, dont, je le rappelle, les responsabilités sont importantes, sans avoir pu tester leur personnalité, leur manière d’être.
Monsieur le garde des sceaux, vous avez souligné, dans votre intervention en discussion générale, votre action commune avec le ministre de l’intérieur en faveur d’une amélioration de la formation des enquêteurs judiciaires ; nous pensons que ce qui est en train de se faire va exactement dans le sens contraire.
M. le président. Monsieur le rapporteur, si vous utilisez deux minutes et demie pour donner l’avis de la commission sur chaque amendement, nous ne respecterons pas nous-mêmes nos délais…
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. L’amendement n° 226 présenté par M. le garde des sceaux pose la question du champ d’application de cette mesure. Le Gouvernement ne prévoit aucune autre exception que le terrorisme et la criminalité organisée ; il ne souhaite pas que le délai de deux ans, ou de trois en cas de prolongation, s’applique en quelque matière que ce soit, à l’exception, nous dit-il, des enquêtes portant sur des faits de corruption commis par des agents étrangers.
La commission, qui entend le message du Gouvernement sur la nécessité de réduire le champ de la dérogation, propose que celle-ci porte non pas sur l’ensemble du secteur économique et financier ou sur la totalité du champ d’action du PNF, mais sur la fraude fiscale, la corruption et le blanchiment de capitaux, c’est-à-dire ce que nous considérons comme le noyau dur de la délinquance financière.
Pour être rapide, monsieur le président, je n’ajouterai que quelques arguments à ceux que j’ai déjà avancés lorsque j’ai donné l’avis de la commission sur l’amendement de M. Blanc.
Tout d’abord, il s’agit de dossiers complexes : on ne traite pas d’affaires de corruption, de blanchiment de capitaux ou de fraude fiscale dans un délai de deux ans.
Ensuite, pour pouvoir traiter de tels dossiers dans un délai court, alors même que ceux-ci requièrent souvent d’accomplir des actes à l’étranger, ce qui prend du temps – chacun l’imagine –, il faut des enquêteurs spécialisés. Hier soir, un ancien procureur nous a indiqué qu’à son départ du parquet de Paris 577 enquêtes pour fraude fiscale grave étaient pendantes et que pour les traiter les enquêteurs étaient au nombre de trois ! Si nous limitons le délai à deux ans, même prolongé éventuellement à trois ans, il ne sera pas possible de traiter ces dossiers, si bien qu’on ne pourra s’occuper, à l’évidence, que d’une petite partie de ce qui est le noyau dur de la délinquance financière, sujet pourtant ô combien important du point de vue de nos valeurs démocratiques.
Quant à la petite part d’exception qu’accepterait M. le garde des sceaux – la corruption internationale –, je pose la question : comment expliquerons-nous à nos concitoyens que l’on traitera différemment la corruption commise par des agents étrangers et celle qui est commise en France, à titre interne ? Cela me semble totalement injustifiable et inexplicable.
Pour ce qui est de l’amendement n° 6 rectifié, je veux rassurer Mmes Bonfanti-Dossat et Goulet sur la question des enquêtes relatives aux agressions sexuelles, aux viols et à la traite d’êtres humains. Dans ce genre de dossiers, en cas de comparution immédiate, la justice dispose de tous les éléments et l’enquête ne dure pas. Il en est de même dans les autres cas : le dossier part à l’instruction et la question du délai ne se pose pas non plus.
Quant à la question des crimes et délits environnementaux soulevée par M. Benarroche, de tels dossiers font toujours l’objet, en pratique, d’une étude administrative préalable. Ils peuvent donc être traités rapidement. Sur des sujets difficiles, type Lubrizol, je ne crois pas qu’il y ait matière à de longues enquêtes préliminaires : bien entendu, on va à l’instruction.
Voilà les raisons pour lesquelles la commission des lois émet un avis défavorable sur ces cinq amendements.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Tout d’abord, permettez-moi de rappeler que le viol est un crime ; à ce titre, l’instruction est obligatoire.
Pour ce qui concerne par ailleurs les atteintes à l’environnement, un pôle spécialisé a été créé dans chaque cour d’appel ; je ne vois donc pas l’intérêt de laisser ces enquêtes aux services de police.
Pour le reste, je ne suis pas d’accord du tout avec ce qui vient d’être dit, et je vous explique rapidement pourquoi.
Dans l’économie générale du code de procédure pénale, les procédures complexes, pardon de le dire, relèvent de l’instruction et non pas de l’enquête.
M. Gérard Longuet. Absolument ! À charge et à décharge !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Oui, à charge et à décharge ! J’y insiste, les affaires complexes vont traditionnellement à l’instruction.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Si le parquet le décide !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Le développement des enquêtes longues, c’est une corruption du système – je suis désolé de le dire ainsi.
Je veux rappeler aussi qu’une commission de travail sur le sujet a réuni des avocats, des policiers, des gendarmes, des magistrats du parquet et du siège. Les délais ont été expertisés en tenant compte du volume des enquêtes qui n’étaient pas terminées après un certain temps. Les chiffres me paraissent indiscutables ; ils viennent d’ailleurs du ministère de l’intérieur.
Je veux vous dire encore que, s’il est un spécialiste des affaires financières, c’est bien le patron du parquet national financier, que nous avons consulté. Il a écrit à mes services, le 28 juin 2021, une lettre que je viens de porter à votre connaissance et que j’avais déjà évoquée.
Sans en relire l’intégralité, je précise qu’y sont dites deux choses. Tout d’abord, il est certain que la limitation va améliorer l’efficacité de l’action de la justice, sachant que l’on connaît tous des affaires qui s’étirent sur quatre ans et demi ou cinq ans. Le patron du PNF ajoute qu’à ses yeux l’exception doit être la corruption internationale. Pourquoi la corruption internationale ? Parce qu’il faut aller à l’étranger, ce qui, naturellement, ralentit les investigations.
Monsieur le rapporteur, vous vous inquiétez de la différence de traitement entre la corruption nationale et la corruption internationale. Mais, à l’évidence, le caractère international complexifie considérablement les choses, ce que tout le monde peut entendre.
Enfin, mesdames, messieurs les sénateurs, quand il n’y a pas de délai – c’est un grand classique –, les procédures s’accumulent, car il n’y a pas de couperet.
C’est d’ailleurs une des difficultés que nous avons rencontrées avec le code de la justice pénale des mineurs – mais elle est en train de se résorber. On constatait une inflation du nombre de procédures qui, en l’absence de délai, restaient pendantes ; un stock considérable finissait par s’accumuler. C’est logique : il n’y a aucune incitation à aller plus vite que la musique, puisqu’il n’y a pas de musique !
Selon moi, j’y insiste, au regard des droits humains, cette enquête préliminaire qui devient une enquête éternelle est insupportable. C’est la raison pour laquelle j’ai présenté l’amendement n° 226 et émets un avis défavorable sur les amendements nos 160 rectifié, 106 rectifié, 161 rectifié et 6 rectifié. Si l’on fait de l’exception une règle, plus rien n’a de sens !
M. le président. La parole est à Mme Dominique Vérien, pour explication de vote.
Mme Dominique Vérien. Monsieur le ministre, dès lors que l’affaire revêt une dimension internationale, avez-vous dit, cela prend plus de temps. Or il n’y a pas une enquête de fraude fiscale ou une enquête économique et financière qui n’ait son compte à l’étranger. Et, effectivement, il faut du temps, beaucoup de temps, pour que les enquêteurs obtiennent des retours.
Mme Dominique Vérien. Aussi, que se passe-t-il dans la réalité ? L’enquêteur qui commence ses investigations se rend compte qu’il faut qu’il adresse des demandes en Suisse, au Luxembourg, que sais-je. Comme il sait qu’il doit attendre quelques mois avant d’obtenir des réponses, dans l’intervalle il embraie sur d’autres enquêtes, sachant qu’en règle générale il est tout seul – et encore, quand il existe – pour plusieurs dossiers. En effet, il n’y a pas que le parquet national financier à Paris ; des enquêtes économiques et financières sont menées partout en France, y compris dans des ressorts qui ont relativement peu d’enquêteurs. Je peux citer Rennes ou, évidemment, Auxerre, dans l’Yonne.
Tant qu’il mène d’autres enquêtes, la première est mise de côté ; il s’y remet quand les réponses arrivent de l’étranger, mais a déjà perdu six à huit mois. Comme vous le dites, dès qu’on a affaire à l’étranger, cela prend beaucoup de temps ; or, aujourd’hui, les dossiers économiques et financiers sont systématiquement liés à l’étranger.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. S’il y a une date butoir, comme le souhaite le garde des sceaux, il n’y aura pas de miracle. Que se passera-t-il pour les enquêtes qui seront toujours en cours à la fameuse date butoir ?
Première solution : les parquets classent sans suite (M. le garde des sceaux s’agace.), et toute une série de dossiers à problèmes échappent au tamis.
Deuxième solution : les affaires sont envoyées devant les juridictions, où l’on retrouve des dossiers qui ne sont « ni faits ni à faire », si vous me permettez l’expression.
Troisième solution : une instruction est ouverte – telle est probablement la voie qui sera privilégiée. Or, vous le savez tous, les cabinets d’instruction sont plutôt chargés ; on ne fait donc qu’augmenter les difficultés.
M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet, pour explication de vote.
M. Gérard Longuet. Cette passion pour l’enquête préliminaire m’étonne, parce qu’il s’agit d’une enquête exclusivement à charge, réalisée dans le secret absolu, sans qu’à aucun moment la personne susceptible d’être renvoyée un jour à l’instruction ait la possibilité de s’exprimer. (M. le garde des sceaux opine.)
Je pense profondément que l’enquête préliminaire a été créée parce que le parquet a la lourde responsabilité de décider de transférer ou non devant un juge d’instruction. Or il doit le faire à partir d’éléments qui laissent à penser qu’il y a matière à ouvrir une instruction – en présence de tels éléments, il faut accepter d’ouvrir.
Monsieur le rapporteur, cher Philippe Bonnecarrère, étant avocat, vous connaissez la justice : l’instruction en France est à charge et à décharge, et elle est transparente. Certes, cela la rend longue et compliquée, mais il faut accepter de considérer également le point de vue de l’individu ou de l’entreprise, quel que soit le délit qui est susceptible de lui être reproché. Il faut qu’il ou elle ait le droit de se défendre dès le départ ; cela permet sans aucun doute de gagner du temps, car des explications sont apportées, ce qui est strictement impossible dans l’enquête préliminaire.
C’est la raison pour laquelle j’incite mes collègues à accepter l’idée que l’enquête préliminaire est un recours qui est offert au parquet, mais pas une solution pour défendre une justice équitable, laquelle est rendue au moment de l’instruction.
M. le président. L’amendement n° 162 rectifié, présenté par MM. Benarroche et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme Taillé-Polian, est ainsi libellé :
I. – Après l’alinéa 8
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Art 77-2. – I. – Dans le cadre d’une convocation en vue d’une audition libre ou d’une garde à vue, le dossier, expurgé des éléments risquant de porter atteinte à l’efficacité des investigations, est mis à la disposition du suspect et de son avocat.
II. – Alinéa 9, au début
Supprimer les mentions :
Art. 77-2. – I. –
La parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. Les auteurs de cet amendement souhaitent renforcer les droits de la défense et le respect du contradictoire dans l’enquête préliminaire en donnant l’accès au dossier au suspect et à son avocat dès le stade de la garde à vue.
L’étude d’impact du projet de loi souligne, à ce sujet, que, dans la plupart des pays européens, « parmi les droits les plus fréquemment conférés à la personne au cours de l’enquête figurent le droit d’accès au dossier, le plus souvent au cours de la garde à vue, et le droit de demander des actes d’enquête ou de participer à des actes d’enquête et d’être informé de ses droits. »
Cet amendement s’inscrit dans la lignée de la position de notre groupe : une justice plus efficace ne doit pas se faire au détriment des droits des justiciables. Le Gouvernement souhaitant raccourcir les délais de l’enquête préliminaire en alléguant l’amélioration parallèle des droits de la défense, en matière d’accès au dossier notamment, il ne trouvera, à notre avis, rien à redire à cet amendement, qui s’appuie d’ailleurs sur des travaux du Conseil national des barreaux (CNB), lequel préconise un accès au dossier dès le stade de la garde à vue ou dès l’audition libre.
Cet accès se fera bien sûr sans compromettre l’enquête, après que le dossier aura été expurgé de certains éléments dont la présence aurait altéré l’efficacité et la continuité de celle-ci.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?