M. Gérard Longuet. Je vous répondrai tout à l’heure.

M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. Par ailleurs, il n’y a pas d’exemple d’un secret illimité ou absolu, je le répète, y compris pour ce qui est d’éléments qui touchent à l’intime, comme c’est le cas avec le secret professionnel des médecins. Je pourrais vous faire la liste des dérogations qui existent. Concernant les avocats, il s’agit de concilier les deux principes constitutionnels que sont les droits de la défense et la prévention des infractions et des atteintes à l’ordre public. Concernant les médecins, c’est la balance avec les règles de salubrité publique qui est en jeu.

Mais le sujet qui nous occupe a-t-il trait simplement aux principes ? Se situe-t-il uniquement au niveau des idées ? Je ne voudrais pas avoir à citer des dossiers précis, mais entendez malgré tout, mes chers collègues, au-delà des 70 000 avocats, dont je connais bien, comme vous, la pensée et l’action, que notre société compte également des juges d’instruction, des enquêteurs, des associations luttant contre la pauvreté ou la corruption, etc., qui suivent eux aussi nos travaux.

L’extension du secret professionnel à l’activité de conseil représente-t-elle, ou non, une difficulté ? La réponse est clairement : oui.

Si vous donnez au secret professionnel une extension illimitée – quand, je le rappelle, nous proposons simplement de l’étendre –, vous ne permettez pas à notre société de lutter correctement contre la corruption ou la fraude fiscale.

Je prendrai deux exemples, en essayant de raisonner de manière théorique, sans entrer dans des comparaisons qui pourraient nous conduire à évoquer des situations particulières.

Prenons l’exemple d’un cas de corruption, nationale ou internationale, reposant sur le versement de rétrocommissions. Ce cas implique forcément l’intervention d’une ou de plusieurs sociétés offshore – c’est du moins ce que me disent les spécialistes, et le mauvais avocat de province de droit privé ne connaît pas ces éléments.

Mon raisonnement ne consiste pas à dire que ladite société offshore aura été montée par un avocat, mais il y aura forcément, à un moment donné, parmi toutes les opérations et mouvements bancaires qui conduiront à la création de cette société, intervention d’un avocat. Je ne dis pas du tout que l’avocat sera intervenu comme auteur ; il aura néanmoins visé certains éléments, ne serait-ce que dans le cadre d’un compte rendu de réunion ou du secrétariat de la société.

Deuxième exemple : la pratique qui est probablement la plus courante en matière de fraude fiscale consiste à faire remonter l’argent, dans les comptabilités des sociétés internationales, vers les pays où le niveau d’imposition est le plus faible. Pour obtenir ce résultat – je n’ai pas besoin de vous faire un dessin –, on survalorise les opérations réalisées dans un pays donné afin d’accroître les bénéfices dans un autre. De toute évidence, un tel montage donne lieu à des instructions – à un cabinet d’expertise comptable ou d’audit, je ne sais –, à des discussions, à des procès-verbaux de réunion, autant d’opérations qui, à un certain stade, exigent une rédaction juridique, sans pour autant que l’avocat impliqué dans cette rédaction ne soit l’auteur des actes.

En résumé, pour les spécialistes de l’enquête en matière de corruption, de fraude fiscale et de blanchiment, il n’existe pas de dossier où n’intervienne pas, à un moment ou un autre, un conseil juridique répondant aux besoins de l’entreprise. Si, donc, vous prévoyez pour les avocats un secret professionnel indivisible, sachez simplement que les enquêtes en matière de fraude fiscale ou de corruption ne pourront plus être conduites dans des conditions que les enquêteurs considèrent comme nécessaires à l’exercice de leur métier.

Je conclurai en vous rappelant que notre pays a pris de très nombreux engagements internationaux sur le sujet et, au cas où vous ne voudriez entendre aucun des arguments que j’ai exposés, je me permets d’en ajouter un dernier…

Vous admettrez du moins, mes chers collègues, que l’activité de conseil est une activité concurrentielle pour les avocats. C’est la partie – accessoire – du métier d’avocat où les avocats sont en concurrence avec les notaires, les huissiers de justice, les experts-comptables, etc. Si demain vous décidez d’attribuer à la profession d’avocat, et à elle seule, un secret professionnel indivisible et absolu, comment justifierez-vous de l’égalité devant la loi ? Il y a là un risque d’inconstitutionnalité évident.

Pour toutes ces raisons, l’avis de la commission est défavorable sur ces trois amendements identiques.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Parmi vos arguments, monsieur le rapporteur, il en est un qui m’impressionne : le dernier. En revanche, dans les deux exemples que vous fournissez, l’avocat a tout de même un peu trempé la main…

M. Laurent Duplomb. … dans le pot de confiture !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. … dans le pot de confiture… En effet, s’il crée une société offshore dans un but précis, et qu’il est suspecté à ce titre, nous avons expressément prévu qu’il puisse faire l’objet d’une perquisition.

M. Mathieu Darnaud. Bien sûr !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Il n’est pas question de consacrer l’impunité de l’avocat ! Celui-ci est un justiciable comme un autre, à ceci près qu’il est dépositaire d’un secret, ce qui le place un peu à part. Mais, naturellement, si on le suspecte de fraude, il n’y a absolument aucune raison de ne pas aller enquêter chez lui.

Vous mesurez déjà, monsieur le rapporteur, ma perplexité : un de vos arguments me paraît excellent – pardon d’exprimer ainsi mon opinion – mais l’autre, pour être tout à fait courtois, n’emporte pas ma conviction – c’est le moins que je puisse dire.

Mais quand on a dit ça, on n’a encore rien dit, et il faut progresser un peu.

Je ferai d’abord observer aux avocats présents dans cet hémicycle – la flamme avec laquelle certains amendements ont été défendus me laisse augurer qu’il y a parmi nous des avocats-sénateurs – que nous avons renforcé le secret de la défense. Je tiens tout de même à le souligner. Je sais bien qu’un morceau avalé n’a pas de saveur ; reste qu’un tel renforcement figure bel et bien dans le présent texte.

La difficulté qui subsiste concerne donc l’activité de conseil, pour laquelle il existe deux façons de concevoir les choses : soit on considère que le secret est absolu, soit on établit un certain nombre d’exceptions – je me place, bien sûr, dans l’hypothèse où l’avocat n’est pas suspecté d’avoir commis une fraude, auquel cas il est, et c’est tout à fait logique, logé à la même enseigne que tous les autres.

À cet égard, j’ai entendu ces temps derniers des propos assez troublants et singuliers.

Certains parmi les « lobbyistes », si j’ose dire, ont prétendu qu’il suffirait qu’un fraudeur adressant à tous ses associés un courrier en destine une copie à l’avocat, avec la mention « copie à l’avocat », pour qu’il puisse se prévaloir du secret professionnel sur cet écrit.

M. Gérard Longuet. Plaisanterie !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. C’est effectivement une plaisanterie. Les mêmes diraient-ils que le courrier qu’un avocat ayant tué quelqu’un enverrait à tous les membres de sa famille et dans lequel il regretterait formellement son crime serait couvert par le secret professionnel ? Celui qui pense ainsi est un doux plaisantin ! Arrêtons donc avec ce genre d’affirmations : cela n’est pas possible !

À ce stade de mon intervention, j’ai progressé un peu, mais je ne suis toujours pas au terme de mon raisonnement.

Il est vrai que la conduite d’une enquête est toujours plus facile en l’absence de garantie pour le justiciable. D’ailleurs – veuillez m’excuser, mesdames, messieurs les sénateurs, d’être caricatural, mais j’ai lu des choses qui le sont franchement –, il y avait bien plus d’aveux à l’époque où la torture était autorisée ! On est mille fois plus efficace en s’affranchissant de toutes les règles et il ne fait pas de doute que, si l’on perquisitionnait aujourd’hui tous les cabinets d’avocats, on trouverait beaucoup plus d’affaires, car les gens viennent y déposer leurs secrets, en matière tant pénale que civile.

Il y a encore une autre difficulté, tenant à la coexistence du texte de 1971 et d’une jurisprudence de la Cour de cassation, qui est discutée et, peut-être, discutable. Voilà où nous en sommes !

Maintenant,…

M. Laurent Duplomb. Que fait-on ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. … en matière de protection du secret professionnel – secret de la défense, secret du conseil –, il faut aussi prendre en considération ce que vous venez de dire, monsieur le rapporteur, quant à la concurrence dans le secteur du conseil.

Parce que j’entends cet argument, et par cohérence avec l’avis que j’ai exprimé à l’Assemblée nationale, je m’en remets donc à la sagesse du Sénat. Mon souhait le plus sincère est que, dans le cadre de la navette parlementaire, on puisse enfin trouver, sur cette question, le meilleur des compromis.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Pourquoi attendre ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Vous ne croyez pas à la commission mixte paritaire, madame la sénatrice ?

M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet, pour explication de vote.

M. Gérard Longuet. Je vais soutenir ces amendements. J’ai écouté avec beaucoup d’attention l’intervention de notre rapporteur, qui est un homme convaincu et de bonne foi. Depuis la loi de 1971, le monde a changé. La mondialisation de l’économie, la rapidité des échanges d’informations et des flux internationaux, la multiplication des déplacements donnent incontestablement à l’ordre économique international des capacités d’intervention qui sont extraordinaires et, en apparence, difficiles à contrôler. Mais il ne s’est pas rien passé entre 1971 et 2021.

Dans les années 2000, plusieurs directives européennes ont été publiées en matière de lutte contre le blanchiment, la corruption et le financement du terrorisme. Nous, parlementaires, connaissons bien celle de 2006 : en tant que « personnes politiquement exposées », nous devons rendre publiquement des comptes sur pratiquement toutes nos affaires personnelles.

Il en va de même des avocats, monsieur le rapporteur. Ceux-ci ont l’obligation absolue, dans le cadre de la lutte contre le blanchiment et de cette directive de 2006, d’apporter un certain nombre d’informations. En cas de doute, il existe une organisation professionnelle – que vous connaissez parfaitement – qui a vocation à intervenir.

Je rappelle que les avocats prêtent serment, ce qui a une valeur symbolique extraordinairement forte – peu de métiers sont concernés par une telle prestation de serment, signifiant que l’on accepte une charge particulière, celle du secret du client. La contrepartie, c’est naturellement le respect du droit et de la directive de 2006, l’obligation de signalement et celle de ne pas se faire le complice d’un délit de blanchiment.

C’est la raison pour laquelle la loi de 1971, qui ne prévoyait rien sur ce point, a été complétée par la transposition de la directive de 2006 dans notre droit français…

M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.

M. Gérard Longuet. Je serai relayé – j’en suis persuadé – par certains de mes collègues ; ne prenez pas les avocats pour des complices de la malversation ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour explication de vote.

Mme Éliane Assassi. Les auteurs de ces amendements ont le mérite de poser d’emblée le cœur de ce qu’est la problématique de l’article 3.

D’un côté, les avocats, par la voix du Conseil national des barreaux et de syndicats tels que le Syndicat des avocats de France, le SAF, s’expriment en faveur du texte initial du Gouvernement ; de l’autre, des magistrats, des associations et organisations diverses, des lanceurs d’alerte sont favorables à la réécriture de cet article 3 proposée par nos rapporteurs, et particulièrement par M. Bonnecarrère.

Pour ma part, j’oserai dire que les arguments des uns et des autres peuvent s’entendre et qu’il ne serait pas responsable, aujourd’hui, de les opposer.

Il ne faut pas, en effet, se tromper de débat. L’enjeu du débat, c’est la lutte contre la fraude fiscale et contre les infractions liées à la corruption, lutte qui, selon nous, mérite d’autres mesures plus contraignantes que la suppression du secret professionnel pour les activités de conseil.

Gardons-nous, en la matière, de toute vision simpliste ! Chacune et chacun sait ici le combat qui est le nôtre. Éric Bocquet, en particulier, porte de manière régulière dans le débat public la question de l’évasion et de la fraude fiscales.

J’ose aussi espérer que personne ici n’ignore que les banques et autres structures liées à la finance accompagnent des entreprises et des particuliers afin que ceux-ci échappent à l’impôt. Ce n’est pas nouveau ! Mais si beaucoup s’en indignent, peu s’attaquent résolument à ces pratiques aujourd’hui. C’est effectivement à toute une chaîne qu’il faudrait s’attaquer : clients, cabinets d’audit et de conseil, banques, intermédiaires financiers.

M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue.

Mme Éliane Assassi. D’autres ont largement occupé le débat, monsieur le président.

M. le président. Ils sont rapporteurs ou ministre !

Mme Éliane Assassi. La tendance est à supprimer encore et encore du temps de parole, je le sais… Mais il est des débats de nature politique qui sont très importants, monsieur le président ; c’est le cas de celui-ci.

M. Jean-Pierre Sueur. Tout à fait !

Mme Éliane Assassi. En la matière, donc, il faut une volonté politique. Or, à l’heure actuelle, il n’y a pas de réelle volonté politique, dans notre pays, pour s’attaquer à la fraude fiscale. Et je ne crois pas que les mesures proposées ce soir y remédieront.

M. le président. La parole est à M. Alain Richard, pour explication de vote.

M. Alain Richard. Je voudrais souligner que, sur le sujet du secret professionnel en matière de conseil, l’écart entre les différentes positions est de toute façon « balisé » par la supervision du Conseil constitutionnel. En effet, si nous commettions l’imprudence d’affirmer dans la loi l’expression d’un secret professionnel sans limite en faveur des avocats pour ce qui est des activités non liées à la défense, le Conseil constitutionnel nous rappellerait qu’une telle loi n’a pas fait une balance équilibrée entre le principe des droits de la défense, d’un côté, et, de l’autre, l’impératif de valeur constitutionnelle de recherche des infractions.

Je crois donc qu’il nous faut rester détendus. Il vaut mieux que nous écrivions nous-mêmes, de la façon la plus soigneuse possible, la délimitation de ce secret professionnel en matière de conseil, plutôt que de devoir appliquer ensuite une rédaction hasardeuse corrigée par une simple réserve du Conseil constitutionnel qui surviendrait à la fin de l’opération.

M. le président. La parole est à M. Stéphane Le Rudulier, pour explication de vote.

M. Stéphane Le Rudulier. Monsieur le rapporteur, je pense que vous avez juridiquement raison,…

M. Alain Richard. … mais… (Sourires.)

M. Stéphane Le Rudulier. … mais philosophiquement et politiquement tort !

Je me contenterai de citer une formule employée par Émile Auguste Garçon, que tout le monde doit connaître dans cet hémicycle : « Le bon fonctionnement de la société veut que le malade trouve un médecin, le plaideur un défenseur, le catholique un confesseur, mais ni le médecin, ni l’avocat, ni le prêtre ne pourraient accomplir leur mission si les confidences qui leur sont faites n’étaient assurées d’un secret inviolable. »

Je me mets à la place d’un homme, d’une femme, d’une entreprise qui ne peut pas s’exprimer en toute liberté auprès de son avocat, par écrit ou oralement, par crainte que cette parole puisse être retournée contre lui ou elle dans le cadre d’une procédure quelconque. Forcément, le réflexe, dans un tel cas, est de se taire. Qu’advient-il si, par ce silence, faute de connaître la réalité de la situation, l’avocat est empêché de conseiller ou de défendre correctement ?

Voilà pourquoi il faut faire très attention, sur un plan philosophique, lorsqu’on touche au caractère indivisible et absolu du secret professionnel de l’avocat.

M. le président. La parole est à Mme Dominique Vérien, pour explication de vote.

Mme Dominique Vérien. N’appartenant pas à la profession, je me suis demandé pourquoi il y aurait deux façons de considérer l’action de l’avocat.

Premièrement, la défense : lorsqu’un avocat est appelé à défendre un client – par exemple, dans un cas de possible malversation –, il doit pouvoir le faire au mieux, et il semble normal, de ce point de vue, que personne ne puisse savoir ce qui s’est dit entre l’un et l’autre. C’est le droit de la défense, et c’est la position de la Cour de cassation.

Mais, pour ce qui est cette fois de sa mission de conseil, comme vous l’indiquiez, monsieur le ministre, l’avocat ne doit pas mettre les doigts dans le pot de confiture. Cela signifie qu’il doit donner un conseil tout à fait légal, et il n’y a aucune raison d’imposer le secret sur un conseil tout à fait légal.

Voilà pourquoi on ne saurait juger de la même façon de la défense et du conseil.

Voilà pourquoi, aussi, comme la Cour de cassation l’a très clairement indiqué, si l’on n’a pas le droit de toucher aux documents liés à la défense, cette interdiction ne concerne pas les documents liés à l’activité de conseil, ce qui justifie d’ailleurs que d’autres professions que celle d’avocat, non soumises au secret professionnel, puissent intervenir en ce domaine.

M. le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Je voudrais dire aux auteurs de l’amendement n° 107 rectifié quater que la commission des lois n’est pas opposante au secret professionnel de l’avocat. L’objet de votre amendement met en cause, très clairement, les travaux menés par les rapporteurs et la commission. Les auteurs de l’amendement n° 189 rectifié quater, qui appartient à la même liasse d’amendements identiques, ont eu la précaution, eux, de ne pas procéder à une telle mise en cause.

Cela dit, je ne suis pas d’accord avec notre collègue Jean-Baptiste Blanc lorsqu’il affirme que le secret de l’avocat est absolu depuis 1971. Telle n’est pas la vérité !

Preuve en est, la chambre commerciale et la chambre criminelle de la Cour de cassation n’ont pas appréhendé de manière univoque l’étendue du secret professionnel de l’avocat. Ces deux chambres opèrent en effet une distinction entre l’acte de défendre dans une procédure, où le secret est absolu et s’applique y compris aux conversations et aux courriers échangés, et l’activité de conseil, hors procédure, pour laquelle elles émettent une réserve.

Telles sont, mes chers collègues, les règles qui prévalent, au moment où nous parlons, dans le droit positif.

L’évolution ne tient qu’à la volonté de nos collègues députés, en première lecture à l’Assemblée nationale, d’élargir le secret professionnel, sans limitation, au conseil juridique. Dès lors, ce secret professionnel deviendrait absolu, si toutefois le projet de loi était voté dans les mêmes termes par les deux assemblées – nous n’en sommes pas là !

Sans revenir sur les explications données par Philippe Bonnecarrère, permettez-moi d’insister sur le fait que la commission des lois n’a pas porté atteinte au secret professionnel de l’avocat ; elle l’a élargi, comme souhaité, d’ailleurs, par les députés, mais en le limitant pour les infractions les plus graves. Après échanges et discussions – en tant que président de la commission, je suis totalement solidaire de nos rapporteurs –, nous avons estimé qu’il fallait impérativement, pour des motifs d’ordre public, ne pas conférer au secret professionnel un caractère absolu.

Le dernier argument, celui qui doit porter et, en tout cas, vous amener à la réflexion, mes chers collègues, est le suivant : procéder ainsi reviendrait à créer une distorsion profonde avec les autres professions – professions du chiffre, notaires, huissiers, etc. –,…

M. Gérard Longuet. Les responsabilités ne sont pas les mêmes !

M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. … qui, demain, viendront à leur tour solliciter auprès du Parlement un secret professionnel absolu. Sauf qu’un tel secret est avant tout lié au rôle des avocats !

Cette question est difficile, nous en sommes bien conscients. J’ai lu dans la presse que le président du Conseil national des barreaux accusait les sénateurs de lui avoir « planté un couteau dans le dos ». J’aurais préféré qu’il décroche son téléphone et m’appelle !

M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. Il l’a fait, d’ailleurs, mais ensuite est venue sa déclaration. Nous sommes ici dans une assemblée où chacun se respecte, même si nous avons – et c’est normal : c’est la vie – des opinions différentes, divergentes. J’attends autre chose d’une institution représentative, à laquelle j’ai d’ailleurs appartenu : plutôt que de tenir ce type de propos, je préférerais qu’elle jette un regard précis sur les arguments développés par la commission des lois. (MM. Ludovic Haye et Alain Richard applaudissent.)

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 107 rectifié quater, 149 et 189 rectifié quater.

J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Union Centriste.

Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, et que le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 177 :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 220
Pour l’adoption 59
Contre 161

Le Sénat n’a pas adopté.

L’amendement n° 1 rectifié bis, présenté par Mmes Bonfanti-Dossat et Gosselin, M. Bascher, Mme Belrhiti, MM. Burgoa, Brisson, Calvet, Bonhomme, Belin, Bouchet et Gremillet, Mme Delmont-Koropoulis, M. Milon, Mmes Joseph et Lherbier et M. H. Leroy, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 11

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

« Les éléments de preuve éventuellement collectés lors d’une surveillance des communications téléphoniques ou électroniques ne peuvent servir que dans le cadre de l’enquête pour laquelle cette surveillance a été ordonnée. » ;

La parole est à Mme Christine Bonfanti-Dossat.

Mme Christine Bonfanti-Dossat. En l’état, l’article 3 ne permet pas d’empêcher certaines dérives qui ont été observées au cours d’affaires récentes, et que, monsieur le garde des sceaux, vous avez d’ailleurs régulièrement dénoncées, à juste titre, lorsque vous étiez encore avocat.

Par cet amendement, je vous propose que les éléments collectés lors d’une surveillance téléphonique ou électronique ne puissent être utilisés à d’autres fins que celles pour lesquelles le juge des libertés et de la détention a autorisé cette surveillance.

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, il s’agit de renforcer le secret professionnel entre le client et son avocat, sans lequel les droits de la défense ne peuvent être correctement assurés. Lorsqu’un client échange avec son avocat, comme avec son médecin, d’ailleurs, il lui confie ce qu’il a de plus cher : son honneur, sa santé, sa liberté, sa dignité. Si nous voulons garantir à tout citoyen l’absence d’ingérence des pouvoirs publics dans sa défense, nous devons préciser plus avant les contours du secret professionnel.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. Ma chère collègue, tel qu’il est actuellement rédigé, l’article 3 accorde déjà aux avocats de nouvelles garanties procédurales tout à fait substantielles, pour ce qui concerne en particulier les liaisons téléphoniques.

Je rappelle que les mises sur écoute et les réquisitions portant sur les données de connexion devront désormais être autorisées par le juge des libertés et de la détention, et ce uniquement s’il y a des raisons plausibles de soupçonner que l’avocat a commis ou tenté de commettre une infraction. Ces dispositions paraissent a priori répondre à l’hypothèse que vous évoquez.

Sans revenir lourdement sur les débats un peu tendus – il faut le reconnaître – qui nous ont précédemment occupés, je tiens à souligner, mes chers collègues, que le présent texte emporte de nombreuses évolutions importantes pour la profession d’avocat. Cet article en contient plusieurs et toutes n’ont pas fait débat – je pense notamment aux conditions de perquisition.

En présentant cet amendement, vous me conduisez à insister sur les garanties relatives aux réquisitions portant sur les données de connexion des avocats. Au-delà de l’extension du secret professionnel, d’autres dispositions seront examinées dans la suite de la discussion : je pense par exemple aux mesures qui ont trait à la force exécutoire de l’acte d’avocat.

Avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Même avis, pour les mêmes raisons.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 1 rectifié bis.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. L’amendement n° 145, présenté par M. Bourgi, Mme de La Gontrie, MM. Durain et Kanner, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Leconte, Marie, Sueur et Antiste, Mme Artigalas, MM. Assouline et J. Bigot, Mmes Blatrix Contat et Bonnefoy, M. Bouad, Mme Briquet, M. Cardon, Mmes Carlotti, Conconne et Conway-Mouret, MM. Cozic, Dagbert, Devinaz et Éblé, Mme Espagnac, M. Féraud, Mme Féret, M. Fichet, Mme M. Filleul, MM. Gillé, Houllegatte et Jacquin, Mme Jasmin, MM. Jeansannetas, P. Joly et Jomier, Mmes G. Jourda, Le Houerou et Lepage, M. Lozach, Mme Lubin, MM. Lurel, Magner et Mérillou, Mme Meunier, M. Michau, Mme Monier, MM. Montaugé et Pla, Mmes Poumirol et Préville, MM. Raynal et Redon-Sarrazy, Mme S. Robert, M. Roger, Mme Rossignol, MM. Stanzione, Temal, Tissot, Todeschini, M. Vallet et Vallini, Mme Van Heghe, M. Vaugrenard et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 13

Insérer cinq alinéas ainsi rédigés :

…° L’article 56-2 est ainsi modifié :

a) À la première phrase du deuxième alinéa, les mots : « du magistrat » sont remplacés par les mots : « du juge des libertés et de la détention saisi par le magistrat » ;

b) À la fin du septième alinéa, les mots : « non susceptibles de recours » sont supprimés ;

c) Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :

« La décision du juge des libertés et de la détention peut faire l’objet d’un recours suspensif dans un délai de vingt-quatre heures formé par le procureur de la République, le journaliste ou l’entreprise, devant le premier président de la cour d’appel. Celle-ci statue dans les cinq jours ouvrables suivant sa saisine, selon la procédure prévue au cinquième alinéa. » ;

La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie.