Mme Valérie Boyer. L’amendement que j’ai l’honneur de vous présenter a été rédigé par notre collègue Alexandra Borchio Fontimp et signé par de nombreux collègues. Il devrait recevoir votre assentiment puisqu’il traite de la guerre, qui nous anime et qui doit s’amplifier, contre le totalitarisme islamique.
À cet égard, la France est l’une des premières cibles au monde, puisqu’elle est l’héritière des Lumières et de la civilisation judéo-chrétienne et qu’elle est porteuse d’une laïcité exigeante. Elle a aussi toujours exprimé avec courage dans le monde son combat pour les libertés.
Tous ces facteurs nourrissent la haine des islamistes contre la France et les menaces de nombreux pays étrangers, qui font peser un risque énorme sur notre pays. De ce fait, certaines personnes sont de véritables bombes humaines sur notre sol.
Il est paradoxal que nous menions une guerre à l’extérieur pour défendre nos libertés et que nous refusions de la mener sur le territoire national. Pour combattre l’islamisme radical, nous n’employons parfois que des outils faibles, lorsque nous ne faisons pas preuve de naïveté.
Ces outils n’étant pas à la hauteur de la menace que nous connaissons, nous devons les renforcer dans ce texte.
L’article 43 du projet de loi prévoyait initialement d’interdire à une personne condamnée pour terrorisme de diriger ou d’administrer une association cultuelle, pendant une durée de dix ans à compter de la date à laquelle la condamnation est devenue définitive. Après le travail de notre commission, cette interdiction a été élargie aux associations dites « mixtes » et aux associations accueillant des enfants.
Cet amendement vise donc à englober les mineurs – et non pas seulement les enfants – dans ce dispositif. En effet, nous sommes tous d’accord pour dire qu’il faut protéger nos enfants, mais aussi nos adolescents, des intentions malveillantes de personnes condamnées pour des infractions en lien avec le terrorisme.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Mme Borchio Fontimp propose d’étendre l’interdiction de diriger ou d’administrer une association accueillant exclusivement des mineurs. Cet amendement est tout à fait pertinent.
L’avis est donc favorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre. Nous comprenons la philosophie de cet amendement. Mais, tout d’abord, les mots « des enfants » paraissent plus précis. Ensuite, l’amendement pose deux problèmes, qui pourront être résolus en commission mixte paritaire.
Premièrement, une association exclusivement composée de mineurs, c’est extrêmement rare ; il y a en général des adultes et des mineurs.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. On parle d’associations « accueillant » des mineurs !
M. Gérald Darmanin, ministre. Du coup, la disposition ne s’appliquerait pas aux associations regroupant des adultes et des enfants : cela pose un problème d’égalité. Il faudra y réfléchir en commission mixte paritaire.
Deuxièmement, il n’y a pas de catégorie juridique correspondant aux associations accueillant des mineurs ou des enfants. On pourrait certes en créer une, pourquoi pas ? Mais il faudra remédier à cette fragilité juridique, là encore, en commission mixte paritaire.
Néanmoins, je ne suis pas opposé au principe posé dans cet amendement. On pourrait ainsi imaginer de prévoir une protection pour les publics fragiles, comme les personnes sous curatelle ou celles qui sont particulièrement exposées à subir une emprise psychologique quelconque. Le juge constitutionnel doit pouvoir considérer que sont protégées globalement toutes les personnes susceptibles d’être sous influence.
Je m’en remets à la sagesse du Sénat.
Mme la présidente. L’amendement n° 143 rectifié, présenté par Mme N. Delattre, MM. Artano, Bilhac et Cabanel, Mme M. Carrère, MM. Fialaire, Gold, Guérini et Guiol, Mme Pantel, MM. Requier et Roux et Mme Guillotin, est ainsi libellé :
Alinéa 2, première phrase
Après le mot :
durée
insérer les mots :
au moins égale au quantum de peine de la condamnation aux infractions mentionnées et d’un minimum
La parole est à Mme Nathalie Delattre.
Mme Nathalie Delattre. Cet amendement vise à prolonger l’interdiction de diriger des associations cultuelles visant les personnes condamnées pour des faits de terrorisme ou d’apologie du terrorisme pour une durée égale à la peine d’emprisonnement, sans être inférieure à dix ans.
En effet, les faits mentionnés sont de nature suffisamment grave, à l’encontre de la sécurité de la population et de la Nation, pour que l’interdiction de diriger une association cultuelle soit aussi longue que la peine d’emprisonnement, surtout en cas de libération anticipée.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Favorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. L’amendement n° 144 rectifié, présenté par Mme N. Delattre, MM. Artano, Bilhac et Cabanel, Mme M. Carrère, MM. Fialaire, Guérini et Guiol, Mme Pantel, MM. Requier, Roux, Corbisez et Gold et Mme Guillotin, est ainsi libellé :
Alinéa 2, première phrase
Remplacer le mot :
dix
par le mot :
quinze
La parole est à Mme Nathalie Delattre.
Mme Nathalie Delattre. Je retire cet amendement, madame la présidente.
Mme la présidente. L’amendement n° 144 rectifié est retiré.
L’amendement n° 366 n’est pas soutenu.
L’amendement n° 505, présenté par M. Ravier, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
« Le statut de réfugié peut être refusé ou retiré à tout étranger condamné, même à la peine de mort, pour participation à une organisation terroriste, telle que reconnue par le Conseil de l’Union européenne, dans un État tiers figurant sur la liste, fixée par décret en Conseil d’État, des États dont la France reconnaît les législations et juridictions pénales au vu de l’application du droit dans le cadre d’un régime démocratique et des circonstances politiques générales. »
La parole est à M. Stéphane Ravier.
M. Stéphane Ravier. En lisant attentivement l’article 43 bis, j’ai eu le plaisir de constater que j’avais été entendu. Il y a quelques mois, dans ce même hémicycle, j’avais en effet proposé un amendement visant à refuser l’asile aux personnes condamnées pour terrorisme dans leur pays. On m’avait rétorqué que cela ne servait à rien et que c’était déjà prévu.
Je me félicite que vous ayez entendu raison et que vous rejoigniez mes positions. Cet article va dans le bon sens, mais il ne va pas assez loin. Je vous propose donc de l’améliorer quelque peu.
L’article 43 bis prévoit que l’asile soit refusé aux personnes condamnées pour apologie du terrorisme dans leur pays d’origine. Nous n’avons pas à accueillir sur notre sol ceux qui défendent les terroristes, c’est évident. Mais je ne comprends pas pourquoi vous n’étendez pas ce dispositif à ceux qui ont effectivement participé à une entreprise terroriste.
Je le redis, même s’ils sont condamnés à mort dans leur pays, nous n’avons pas à les recevoir chez nous. La France est une terre d’asile, mais pas une terre d’asile de fous !
Nos chers collègues de gauche vont comme d’habitude s’émouvoir, eux qui n’aiment rien tant que la défense de l’indéfendable, jusqu’à vouloir sauver la vie de ceux qui veulent nous assassiner.
J’ai ce défaut – celui-là au moins, celui-là aussi – : cent terroristes condamnés à mort ne m’empêcheront pas de dormir ; mais pas un jour ne passe sans que je pense aux centaines de victimes de l’islamisme en France. Je préfère un terroriste bien mort à l’étranger à un terroriste bien vivant sur notre sol.
Vous allez me dire que ce sont les valeurs que je piétine, que je bafoue les traditions d’asile. Eh bien, tant pis ! Dans ce cas précis, tant pis pour eux, car ces valeurs et cette tradition, appliquées à ces gens-là, tuent des Français.
L’assassin de Samuel Paty était connu pour ses liens avec les terroristes tchétchènes. Et pourtant, la République l’a laissé vivre parmi nous au nom des valeurs. Votre aveuglement idéologique se paie au prix fort, au prix du sang français : depuis neuf ans, les attaques terroristes se succèdent à un rythme effréné, une tous les deux mois.
Je refuse, quant à moi, que les terroristes les plus dangereux soient accueillis chez nous, même s’ils risquent la peine de mort. Ils ont pris leurs responsabilités, qu’ils les assument jusqu’au bout, y compris au bout d’une corde si la loi du pays dans lequel ils ont commis leur abomination le prévoit !
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Cet amendement est satisfait par le droit en vigueur, puisque l’article L. 711-6 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda) prévoit que le statut de réfugié est retiré à tout étranger condamné, même à l’étranger et quelle que soit la peine, pour un acte de terrorisme, dès lors que sa présence constitue une menace grave pour la société française.
Je demande le retrait de l’amendement ; à défaut, l’avis sera défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 43, modifié.
(L’article 43 est adopté.)
Articles additionnels après l’article 43
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.
L’amendement n° 161 rectifié bis est présenté par Mme V. Boyer, MM. Le Rudulier et Boré, Mme Goy-Chavent, MM. Bascher, de Legge et Meurant, Mme Joseph, MM. B. Fournier, Charon, Longuet et Bouchet, Mme Drexler, MM. Genet, Savary et H. Leroy, Mmes Bourrat et de Cidrac, MM. Segouin et Tabarot et Mme Berthet.
L’amendement n° 415 rectifié bis est présenté par Mme Havet et les membres du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Après l’article 43
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après le 5° de l’article L. 133-6 du code de l’action sociale et des familles, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« …° Au titre II du livre IV du même code ; ».
La parole est à Mme Valérie Boyer, pour présenter l’amendement n° 161 rectifié bis
Mme Valérie Boyer. Actuellement, et depuis la fin du proto-État islamique, Daech, la menace sur la France est totalement endogène. L’entrisme est de rigueur. Le djihad s’attaque à tous les territoires de notre Nation, à toutes les institutions – services publics, associations, entreprises… – et à tous les domaines, qu’il s’agisse de l’économie, de l’enseignement ou du sport ; nous en avons déjà parlé dans cet hémicycle.
Afin de protéger d’abord les plus fragiles, c’est-à-dire les mineurs et les jeunes adultes, il apparaît évident d’éloigner les personnes condamnées pour des actes de terrorisme. Le présent amendement vise donc à écarter les auteurs de tels actes de toute fonction en lien avec la direction ou l’exercice d’activités dans le champ du code de l’action sociale et des familles.
Il convient de faire de l’interdiction le principe et de sa non-application l’exception. C’est pourquoi le juge pourra toujours décider de ne pas appliquer l’interdiction après décision spécialement motivée.
Mme la présidente. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi, pour présenter l’amendement n° 415 rectifié bis.
M. Thani Mohamed Soilihi. Cet amendement de Mme Havet, cosigné par l’ensemble des membres de notre groupe, est défendu.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Il nous paraît légitime d’étendre cette interdiction aux personnes condamnées pour terrorisme.
L’avis est donc favorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 161 rectifié bis et 415 rectifié bis.
(Les amendements sont adoptés.)
Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 43.
L’amendement n° 245 rectifié bis, présenté par M. Mizzon, Mmes Thomas et Belrhiti, MM. Duffourg, Masson, Canevet, Delahaye, Kern et Cuypers, Mme Saint-Pé, MM. J.M. Arnaud et Moga, Mme Herzog, MM. Bouchet et Le Nay, Mmes Bonfanti-Dossat et Gatel et M. Détraigne, est ainsi libellé :
Après l’article 43
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article 721-1-1 du code de procédure pénale est ainsi modifié :
1° A la première phrase, les mots : « , à l’exclusion de celles définies aux articles 421-2-5 à 421-2-5-2 du même code, » sont supprimés et la référence : « à l’article 721 » est remplacée par les références : « aux articles 721 et 721-1 » ;
2° La seconde phrase est supprimée.
La parole est à M. Pierre Cuypers.
M. Pierre Cuypers. Cet amendement a pour objet de supprimer toute possibilité de réduction et d’aménagement de peine au profit des individus condamnés pour terrorisme ou pour apologie de celui-ci.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Les infractions relatives à l’apologie, en ce qu’elles touchent à la liberté d’expression, font l’objet d’un contrôle vigilant du Conseil constitutionnel. La suppression totale des réductions de peine pour leurs auteurs serait sans doute disproportionnée.
La prorogation de certaines dispositions de la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, dite loi SILT, serait, quoi qu’il en soit, une meilleure occasion d’en discuter. C’est pour cette raison que l’amendement a été rejeté lors de l’examen de la proposition de loi Sécurité globale.
Je demande le retrait de l’amendement ; à défaut, l’avis sera défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Pierre Cuypers. Je retire cet amendement, madame la présidente.
Mme la présidente. L’amendement n° 245 rectifié bis est retiré.
Article 43 bis (nouveau)
L’article L. 711-6 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Le statut de réfugié peut également être refusé ou il peut être mis fin à ce statut lorsque la personne concernée a été condamnée en dernier ressort en France, dans un État membre de l’Union européenne ou dans un État tiers figurant sur la liste, fixée par décret en Conseil d’État, des États dont la France reconnaît les législations et juridictions pénales au vu de l’application du droit dans le cadre d’un régime démocratique et des circonstances politiques générales pour apologie du terrorisme, et que sa présence constitue une menace grave pour la société française. »
Mme la présidente. L’amendement n° 671, présenté par Mmes Eustache-Brinio et Vérien, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :
Alinéa 1
Remplacer la référence :
L. 711-6
par la référence
L. 511-7
La parole est à Mme la rapporteure.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 43 bis, modifié.
(L’article 43 bis est adopté.)
Article 44
Le chapitre VII du titre II du livre II du code de la sécurité intérieure est ainsi modifié :
1° Au début, il est ajouté un article L. 227-1 A ainsi rédigé :
« Art. L. 227-1 A. – I. – Le représentant de l’État dans le département ou, à Paris, le préfet de police peut prononcer la fermeture temporaire des lieux de culte dans lesquels les propos qui sont tenus, les idées ou théories qui sont diffusées ou les activités qui se déroulent provoquent à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes.
« Cette fermeture, dont la durée doit être proportionnée aux circonstances qui l’ont motivée et qui ne peut excéder trois mois, est prononcée par arrêté motivé et est précédée d’une procédure contradictoire dans les conditions prévues au chapitre II du titre II du livre Ier du code des relations entre le public et l’administration.
« II. – Peuvent également faire l’objet d’une mesure de fermeture selon les modalités prévues au second alinéa du I des locaux gérés, exploités ou financés, directement ou indirectement, par une personne physique ou morale gestionnaire du lieu de culte dont la fermeture est prononcée sur le fondement du même I, qui accueillent habituellement des réunions publiques et dont il existe des raisons sérieuses de penser qu’ils seraient utilisés pour faire échec à l’exécution de cette mesure. La fermeture de ces locaux prend fin à l’expiration de la mesure de fermeture du lieu de culte.
« III. – L’arrêté de fermeture est assorti d’un délai d’exécution, qui ne peut être inférieur à quarante-huit heures, à l’expiration duquel la mesure peut faire l’objet d’une exécution d’office. Toutefois, si une personne y ayant un intérêt a saisi le tribunal administratif, dans ce délai, d’une demande présentée sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, la mesure ne peut être exécutée d’office avant que le juge des référés ait informé les parties de la tenue ou non d’une audience publique en application du deuxième alinéa de l’article L. 522-1 du même code ou, si les parties ont été informées d’une telle audience, avant que le juge ait statué sur la demande. » ;
2° (nouveau) À l’article L. 227-2, les mots : « d’un lieu de culte prise en application » sont remplacés par les mots : « prise en application de l’article L. 227-1 A ou ».
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Gérald Darmanin, ministre. Je souhaite présenter de façon globale cet article très important du projet de loi, ainsi que les amendements du Gouvernement.
Le ministre de l’intérieur ne peut fermer un lieu de culte qu’à deux conditions.
L’une relève des règles relatives aux établissements recevant du public (ERP) et à l’urbanisme – par exemple, une porte ferme mal, il y a un risque d’incendie, etc. Nous nous mettons alors d’accord avec le maire pour que le site n’ouvre pas, ou pour qu’il soit fermé, pour non-conformité avec le droit de l’urbanisme. Cela n’a donc rien à voir une raison de fond.
Telles sont, pour l’essentiel, les dispositions que nous utilisons aujourd’hui. Mais j’ai déjà eu l’occasion de dire qu’un jour viendra – il est même déjà arrivé – où les ennemis de la République sauront lire le code de l’urbanisme…
L’autre condition a pour fondement la loi SILT : on ferme un lieu de culte parce qu’il est directement lié à un attentat terroriste qui a eu lieu. Cette mesure s’applique dans des conditions extrêmement sévères, parce que la liberté de culte, au sens constitutionnel du terme, est très fortement protégée dans notre pays.
Dans l’exemple de la mosquée de Pantin, où plusieurs faits étaient reprochés au dirigeant de l’association cultuelle, et prouvés : il avait relayé la vidéo appelant à l’« assassinat » de Samuel Paty. Le juge administratif a considéré que les arguments invoqués par le ministère de l’intérieur pour fermer ce lieu de culte étaient justes. Ayant observé que le lieu de culte musulman le plus proche se situait à 12 kilomètres de cette mosquée, le juge en a conclu que la décision était proportionnée, car les fidèles pouvaient exercer leur culte pas très loin.
Autrement dit, si le lieu de culte le plus proche avait été beaucoup plus distant, cette décision aurait sans doute été annulée par le juge administratif, et ce en dépit du lien constaté avec l’attentat terroriste.
Aujourd’hui, une troisième condition nous permet de fermer un lieu de culte : les règles sanitaires actuelles. Je ne la développerai pas, car nous espérons tous que cette situation ne perdurera pas.
Je n’ai donc pas les moyens – pas plus qu’aucun ministre de l’intérieur avant moi et qu’aucun autre à l’avenir, sauf si cet article 44 était adopté – de prendre la décision de fermer des lieux de culte, de façon temporaire, le temps de « faire le ménage » parmi des responsables de ces lieux qui auraient prononcé certaines paroles ou commis certains actes. Je rappelle que, même en cas de terrorisme, la fermeture est toujours temporaire, jamais définitive.
Ainsi, je ne peux pas fermer un lieu de culte parce que l’un de ses responsables aurait dit, par exemple, qu’il faut exterminer les juifs, que les chrétiens sont des mécréants, que les femmes ne sont pas les égales des hommes, que l’on se transforme en porc quand on écoute de la musique, toutes joyeusetés que l’on peut entendre et qui sont profondément contraires aux valeurs de la République.
Nous pouvons certes poursuivre ces personnes, judiciairement parlant, mais, j’y insiste, nous ne pouvons pas fermer le lieu de culte, quand bien même seraient impliqués le président de l’association, le ministre du culte ou une personne ayant un grand ascendant sur les fidèles.
L’article 44, mesdames, messieurs les sénateurs, est très important, parce qu’il vise à donner une arme contre un séparatisme qui est en lien direct, non pas avec un attentat terroriste, mais avec cette atmosphère contraire à la République et à la France que nous essayons de combattre.
Cet article dispose en effet que de tels propos, qui provoquent à la haine, à la violence et incitent à la sédition, justifient la fermeture du lieu de culte.
L’article 44 est extrêmement important, je le répète, car il permettra de répondre à ces manchettes de journaux qui demandent pourquoi on ne ferme pas les cent lieux de culte séparatistes qui existent. Le commun des mortels doit également se poser cette question… Or, si on ne les ferme pas, c’est parce que la loi ne permet pas au ministère de l’intérieur de les fermer !
J’ai eu l’occasion de recevoir du courrier de la part de M. Ravier, mais aussi de nombreux parlementaires, qui me demandent la même chose : « Tels faits sont prouvés et établis, telle association a tenu tels propos, on y accède sur internet ; pourquoi ne fermez-vous pas ce lieu de culte ? »
Je le répète, en l’absence d’attentat terroriste, et si les règles relatives aux ERP sont respectées, je ne peux procéder à ces fermetures.
L’article 44 vise donc à lutter contre le séparatisme et contre tous ceux qui prônent la haine contre la République.
Il est équilibré. Le Conseil d’État et le juge constitutionnel vont en effet soupeser au trébuchet ce qui relève, d’une part, de la sécurité publique, de l’ordre public, de l’intérêt supérieur de la Nation, et, d’autre part, de la liberté fondamentale qu’est la liberté de culte.
J’ai déjà eu l’occasion de dire que le juge, malgré les attentats terroristes et la véracité des propos, retracés dans les notes de renseignement qui lui sont fournies et qui ne font l’objet d’aucune contestation, examinait ces éléments attentivement, en les mettant en balance avec l’importance de la liberté de culte, quitte à annuler telle ou telle décision administrative.
Cet article est assez révolutionnaire, puisque c’est la première fois que la République se dote de tels moyens ; même en 1905, cela n’avait pas été le cas.
Encore une fois, il s’agit d’une pesée au trébuchet : toute disposition too much, comme on dit en patois nordiste – n’est-ce pas, madame la présidente Létard ? (Sourires.) –, justifierait la censure dudit article, ce qui serait un drame pour la République. En effet, dans ce cas, nous ne pourrions recourir à aucune disposition équivalente, et ce serait une victoire pour ceux qui n’aiment pas la République.
Je suis en désaccord avec la commission sur deux sujets, même si, philosophiquement, nous sommes d’accord sur le fond.
Premier point de désaccord : nous souhaitons rétablir une disposition très importante qui a été censurée – le mot est trop dur… –, ou plutôt retirée par la commission. Cette disposition prévoyait comme motif d’interruption de l’activité d’un lieu de culte l’encouragement à la haine ou à la violence ainsi que leur justification.
La commission a décidé que le ministre de l’intérieur ne pourrait pas invoquer ce motif. Je suis assez surpris ! En effet, un tel fondement nous permettrait d’intervenir dans des situations non pas de séparatisme absolu, mais de grande violence, lorsque ces propos sont prononcés dans un lieu de culte, qui plus est à un moment particulier. Nous souhaitons donc le rétablissement de ce motif.
Deuxième point de désaccord : la commission a souhaité prévoir un délai de trois mois pour la fermeture du lieu de culte. Or nous pensons très sincèrement, pour avoir consulté de nombreuses fois le Conseil d’État, qu’un tel délai sera censuré par le Conseil constitutionnel comme étant exorbitant du droit commun. Voilà pourquoi nous avions proposé un délai de deux mois.
À titre personnel, madame la rapporteure, j’aurais pu proposer un délai d’un ou deux ans ; cela ne m’aurait pas dérangé. Mais il faut savoir raison garder : la fermeture pour motif lié au terrorisme est de six mois. Un délai de deux mois nous paraît donc raisonnable. Pour tout vous dire, l’administration m’avait proposé un délai de quinze jours dans la première mouture du texte…
Je le répète, le délai de deux mois sera sans doute validé par le Conseil constitutionnel parce qu’il est proportionné.
Si nous constatons, au bout de deux mois, que le dirigeant concerné est toujours là, que ses propos se trouvent toujours sur internet et qu’il les réitère, alors la fermeture peut être renouvelée par une décision motivée de l’administration, laquelle pourra être annulée par le juge administratif pour excès de pouvoir.
Je précise, par avance, que je m’opposerai aux amendements qui sont trop en deçà de l’article 44, comme celui de Mme Benbassa ou ceux de M. Sueur, comme à ceux qui vont trop au-delà, comme celui de M. Retailleau ou celui de M. Ravier.
Nous sommes à un point d’équilibre. Nous devons, à la fois, donner des motifs très solides pour procéder au titre de l’article 44 à la fermeture de ces lieux de culte, et nous en tenir au délai de deux mois. On peut en effet toujours se faire plaisir dans ce débat, mais si l’article est censuré par le Conseil constitutionnel, alors nous ne disposerons plus de cette arme administrative.
Pardonnez-moi d’avoir été un peu long, madame la présidente. Il est dommage que cet article soit examiné à vingt-trois heures vingt-sept, car il est sans doute l’un des plus centraux du texte.