Mme la présidente. L’amendement n° 339 rectifié, présenté par Mme Benbassa, M. Benarroche, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme Taillé-Polian, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. L’article 44 dispose, au sein du code de la sécurité intérieure, que le préfet pourra prononcer la fermeture administrative temporaire des lieux de culte dans lesquels des propos haineux sont tenus. Un tel dispositif existe déjà depuis la loi SILT de 2017, et il est inscrit au livre II du code de la sécurité intérieure, à l’article L. 227-1 dudit code.

L’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure prévoit également la dissolution des groupements, lorsque des propos constituant une provocation à la haine, à la violence, ou une provocation à la commission d’actes de terrorisme sont proférés.

Dès lors, l’introduction de ces nouvelles dispositions dans le code de la sécurité intérieure semble redondante. Cette nouvelle incrimination contribue en effet à rendre la loi pénale, encore une fois, peu lisible et peu accessible, puisque l’ensemble des dispositions sont déjà prévues dans notre arsenal pénal.

En outre, les notions d’idées ou de théories qui seraient diffusées dans ces lieux sont trop floues et n’offrent pas une sécurité juridique suffisante aux personnes qui seraient visées par cette infraction.

Par conséquent, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires demande la suppression de cet article.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Je crois que les explications de M. le ministre sont suffisamment claires : nous n’avons aujourd’hui pas d’outils pour fermer, pour d’autres motifs que ceux qu’il a évoqués, les lieux qui propagent la haine de la France et qui remettent en cause chaque jour l’unité de notre pays.

Chacun doit prendre ses responsabilités ; pour notre part, c’est ce que nous avons fait. Supprimer l’article 44 nous semble assez irresponsable.

L’avis est donc défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Gérald Darmanin, ministre. Madame Benbassa, quand vous dites que tout est dans le code pénal, vous n’avez pas raison ! Le code pénal permet de poursuivre des personnes, alors qu’il est question ici de police administrative, de fermeture de lieux de culte. Nous ne créons pas des délits pour le plaisir !

La distinction est importante. Personne ne comprend pourquoi on laisse prospérer des discours dans certains lieux sans qu’il y ait une réponse de la République. J’insiste, ne confondons pas police administrative et code pénal.

L’avis est défavorable.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 339 rectifié.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme la présidente. L’amendement n° 655, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

I. – Alinéas 1 et 2

Remplacer ces alinéas par un alinéa ainsi rédigés :

Le titre V de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État est complété par un article 36-3 ainsi rédigé :

II. – Alinéa 3

Remplacer la référence :

Art. L. 227-1 A.

par la référence :

Art. 36-3.

III. – Alinéa 7

Rédiger ainsi cet alinéa :

« IV. – La violation d’une mesure de fermeture d’un lieu de culte ou d’un lieu en dépendant prise en application du présent article est punie de six mois d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende. »

La parole est à M. le ministre.

M. Gérald Darmanin, ministre. Disons, pour aller plus vite, qu’il s’agit d’un amendement rédactionnel.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Le Gouvernement souhaite intégrer la nouvelle mesure de fermeture dans la loi de 1905, alors que nous avons préféré qu’elle le soit dans le code de la sécurité intérieure. C’est ce qui nous différencie, monsieur le ministre.

Il nous a en effet semblé plus cohérent de rapprocher cette mesure de celle qui figure dans la loi SILT, laquelle prévoit la possibilité de fermer de manière administrative les lieux de culte, mais cette fois aux fins de prévenir le terrorisme.

Il est plus logique d’inscrire la nouvelle disposition, d’une part, à côté de l’autre mesure de fermeture existant dans notre législation et, d’autre part, au sein du code de la sécurité intérieure, dans la partie relative à la lutte contre les atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation.

L’avis est donc défavorable sur votre amendement.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Gérald Darmanin, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie de m’excuser, je suis fatigué, n’ayant pas beaucoup dormi la nuit dernière. Je n’avais pas le texte sous les yeux, mais il s’agissait bien de l’amendement relatif aux motifs et non pas seulement à son emplacement dans un code plutôt que dans un autre.

Madame la rapporteure, nous souhaitons rétablir dans le texte de la commission, après : « provoquent à la haine ou à la violence », les mots suivants : « ou tendent à justifier ou encourager cette haine ou cette violence »…

Mme la présidente. Monsieur le ministre, nous examinons l’amendement n° 655, et non l’amendement n° 656.

M. Gérald Darmanin, ministre. Je suis démasqué ! (Sourires.) Je suis vraiment fatigué, je confesse mon erreur…

Je vais donc m’en tenir à ma première présentation de l’amendement n° 655, en espérant que le Parlement me fera confiance !

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 655.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme la présidente. L’amendement n° 430 rectifié, présenté par M. Sueur, Mmes Harribey et de La Gontrie, M. Assouline, Mmes S. Robert, Monier et Meunier, MM. Marie et Magner, Mme Lepage, MM. Féraud, Leconte, Lozach, Kerrouche, Kanner, Bourgi, Durain, Redon-Sarrazy, Antiste et J. Bigot, Mmes Bonnefoy, Briquet, Conconne et Conway-Mouret, M. P. Joly, Mme Jasmin, MM. Gillé, Raynal, Mérillou, Lurel, Temal, Tissot, Jacquin, Montaugé et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Alinéa 3

Après le mot :

peut

insérer les mots :

, après saisine et avis du juge,

La parole est à M. Jean-Yves Leconte.

M. Jean-Yves Leconte. Je regrette que l’amendement précédent du Gouvernement n’ait pas été adopté. En effet, la République, c’est aussi une question de symboles et de narratif. Or nous ne pouvons pas comparer la loi de 1905 et le code de la sécurité intérieure.

Il est important d’intégrer les dispositions relatives à ce qui ne peut être fait dans les lieux de culte dans la loi de 1905, et non dans le code de la sécurité intérieure. C’est la raison pour laquelle notre groupe a voté l’amendement n° 655.

L’article 44 vise à créer une nouvelle procédure administrative de fermeture, sur l’initiative du préfet, des lieux de culte dans lesquels sont tenus des propos ou sont diffusées des idées ou théories incitant à la haine. Nous soutenons cette disposition, mais nous estimons qu’il est important de prévoir des garanties, car elle porte un coup à la liberté de culte.

L’amendement n° 430 rectifié tend donc à apporter des garanties complémentaires et à assurer l’efficience du dispositif. Nous proposons de faire intervenir le juge en amont de la procédure afin de garantir la robustesse et la crédibilité de celle-ci.

De la même manière, nous considérons qu’il faut séparer ce qui relève de la loi SILT de ce qui relève de la loi de 1905. L’alinéa 3, qui est inspiré de la loi SILT, vise « les idées ou théories » : cette disposition n’est pas suffisamment claire. Le nouvel article du code de la sécurité intérieure qui résultera de l’adoption de l’article 44 doit reposer sur des éléments concrets et aisément démontrables : ne doivent être visés que des messages véhiculés de manière active, c’est-à-dire des propos tenus ou diffusés, et des activités effectives organisées au sein de lieux de culte. On ne doit pas simplement tenir compte des « idées ou théories », des concepts qui, d’une part, ne correspondent à aucune réalité juridique identifiée et, d’autre part, sont sujets à des interprétations hautement subjectives pour caractériser leur existence ou non.

Le dispositif mérite donc d’être précisé pour en supprimer certains éléments trop subjectifs. Tel est l’objet de l’amendement n° 458 rectifié.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission sur l’amendement n° 430 rectifié ?

Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Vous proposez, mon cher collègue, que la fermeture des lieux de culte ne puisse intervenir qu’après avis et saisine du juge : c’est contraire à la notion même de mesure de police administrative.

L’article prévoit par ailleurs toutes les garanties nécessaires en matière de voies de recours et d’intervention du juge dans son alinéa 6.

La commission a donc émis un avis défavorable sur cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Gérald Darmanin, ministre. Il s’agit d’une question de principe relative à la séparation des pouvoirs, monsieur le sénateur. Le pouvoir exécutif a un pouvoir d’appréciation de ses décisions : il ne doit pas soumettre systématiquement son action administrative à l’avis du juge, sinon il n’y a plus de pouvoir exécutif. Ne tombons pas dans le contrôle préalable systématique !

Ce qui est certain, c’est qu’un recours pour excès de pouvoir contre une décision est toujours possible, y compris en référé sous 48 heures. Chacun peut faire condamner l’administration devant le juge administratif, mais pas au préalable. Ce serait contraire à ce qui fait notre droit public et constitue le pouvoir exécutif.

On peut comprendre votre interrogation, car il s’agit ici d’encadrer une liberté fondamentale. Mais, je le redis, un recours en référé sous 48 heures est possible, tout comme un recours pour excès de pouvoir. À coup sûr, le juge sera très sourcilleux sur les décisions prises par l’administration, mais je ne crois pas qu’il soit nécessaire de retirer au pouvoir exécutif ses moyens de police administrative.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.

M. Jean-Yves Leconte. Cette explication de vote vaudra deuxième défense de l’amendement n° 458 rectifié.

Je vais retirer l’amendement n° 430 rectifié, car j’entends l’argument de M. le ministre. Mais cela renforce notre amendement n° 458 rectifié qui tend à exiger des critères objectifs, afin qu’il ne soit pas donné au pouvoir administratif une capacité trop subjective de décider de la fermeture de lieux de culte.

Compte tenu de la gravité de l’acte administratif qui peut être pris sans contrôle préalable du juge, il est important que les choses soient clairement encadrées.

Mme la présidente. L’amendement n° 430 rectifié est retiré.

L’amendement n° 458 rectifié, présenté par M. Sueur, Mmes Harribey et de La Gontrie, M. Assouline, Mmes S. Robert, Monier et Meunier, MM. Marie et Magner, Mme Lepage, MM. Féraud, Leconte, Lozach, Kerrouche, Kanner, Bourgi, Durain, Redon-Sarrazy, Antiste et J. Bigot, Mmes Bonnefoy, Briquet et Conconne, M. P. Joly, Mme Jasmin, MM. Gillé, Raynal, Mérillou, Lurel, Temal et Tissot, Mme Conway-Mouret, MM. Jacquin, Montaugé et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Alinéa 3

Remplacer les mots :

les idées ou théories qui

par le mot :

ou

Cet amendement a déjà été défendu.

Quel est l’avis de la commission ?

Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Mon cher collègue, vos deux amendements sont totalement différents ! Vous avez retiré l’amendement n° 430 rectifié. Avec l’amendement n° 458 rectifié, vous proposez de supprimer la possibilité de fermer un lieu de culte sur la base des idées ou théories qui y sont diffusées.

Notre argumentaire ne vous satisfera pas, mais nous avons émis un avis défavorable, parce que les idées et les théories peuvent aussi être divulguées ou diffusées sur des tracts ou des affiches. Il faut donc se doter de tous les outils possibles.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Gérald Darmanin, ministre. Monsieur le sénateur, j’entends que la défense de votre amendement repose sur le fait que les idées et les théories sont des mots assez vagues et qu’une décision exorbitante du droit commun telle que la fermeture d’un lieu de culte doit reposer sur des critères objectifs.

Mais les idées et les théories sont des notions objectives, qui font d’ailleurs depuis longtemps partie de notre droit. Je vous renvoie à deux articles du code de la sécurité intérieure qui y figurent depuis deux quinquennats. Il s’agit des articles L. 212-1 et L. 227-1, qui évoquent très clairement ces termes d’idées et théories. Nous ne faisons que reprendre exactement ces termes.

Je ne crois pas, monsieur le sénateur, qu’il s’agisse là de notions qui pourraient prêter à interprétation. Il existe de longue date une jurisprudence à leur sujet, et le législateur a depuis longtemps décidé que les idées et les théories étaient aussi importantes et graves que les actes qui pourraient être commis. Cela me paraît d’ailleurs normal s’agissant de la lutte contre une idéologie. Quel sens aurait un texte de loi qui viserait une idéologie sans attaquer les idées exprimées ? Il s’agit de lutter non pas contre les consciences, mais contre l’expression de certaines idées.

L’avis est donc défavorable.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.

M. Jean-Yves Leconte. Monsieur le ministre, je comprends votre rhétorique, mais je ne la partage pas. Lorsque la diffusion d’idées et de théories menace la sécurité et l’ordre publics, alors j’approuve l’urgence d’une fermeture administrative.

En revanche, lorsque les idées et théories, même si nous ne les partageons pas, ne font pas peser un risque immédiat sur la sécurité, mais plutôt sur les esprits, alors c’est politiquement, par le débat, qu’il faut les combattre, et non par une interdiction qui évoluera vers autre chose.

Ici, il s’agit non pas de sécurité intérieure, mais de police des cultes. On vise ce qui se passe dans les lieux de culte, ce qui n’est pas la même chose. C’est bien d’ailleurs pour cette raison que vous avez présenté un amendement qui visait à retirer ces dispositions du code de la sécurité intérieure.

Il n’est pas question de menace sur la sécurité intérieure. C’est peut-être une menace sur la manière de faire Nation, mais nous ne la combattrons que par la conviction, et non par la contrainte et l’interdiction. C’est la raison pour laquelle il est important, parce que c’est une menace non pas pour la sécurité, mais pour notre manière de vivre ensemble, de faire en sorte que la fermeture d’un lieu de culte repose sur des éléments avérés, et pas simplement sur des idées et des théories : j’insiste, celles-ci doivent être combattues par la conviction et non par la contrainte.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Sueur. Je souhaite intervenir sur cet amendement après l’excellente démonstration de Jean-Yves Leconte.

Monsieur le ministre, aucune idée ne peut se propager sans être incarnée par des mots.

Quel sens y a-t-il à sanctionner des idées ou des théories ? Cela n’est pas possible ! On a le droit d’avoir des idées qui sont dans notre for intérieur et même dans notre inconscient. Pour Jacques Lacan, l’inconscient est structuré comme un langage et, selon Michel Foucault, les mots sont des choses.

Considérer que des idées peuvent être sanctionnées pose donc un véritable problème théorique. Je ne connais pas d’idée qui ne soit pas formulée : condamnons donc les formulations, sanctionnons les messages, les paroles, les écrits ! Mais les idées, laissons-les vivre ou combattons-les, et faisons-le avec des mots ! Les idées sont incarnées, et je ne vois pas comment on pourrait sanctionner une substance appelée idée qui serait dépourvue de tout langage…

Si vous trouvez une idée qui se manifeste sans aucun vocabulaire, lexique, syntaxe et langage, je serai très intéressé de la connaître, d’autant que vous ne pourriez même pas en parler !

L’amendement que nous défendons est donc totalement évident. Sinon vous devez répondre à l’argumentation que je viens de développer, ce qui ne sera pas facile.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Gérald Darmanin, ministre. Monsieur le sénateur, je crois que vous commettez une erreur d’interprétation, puisque le texte de loi vise bien la diffusion des idées. Il ne s’agit pas d’entrer dans le for intérieur des individus pour y trouver des idées qui ne seraient pas formulées, ce qui reviendrait – je l’entends bien – à exercer une police des esprits. Mais ce qui n’existe pas, c’est ce que vous dénoncez.

Aux termes de l’article 44 du projet de loi, « le représentant de l’État dans le département ou, à Paris, le préfet de police peut prononcer la fermeture temporaire des lieux de culte dans lesquels les propos qui sont tenus, les idées ou théories qui sont diffusées »…

M. Jean-Pierre Sueur. Il suffit de faire référence aux propos ! Les idées et les théories sont des propos !

M. Gérald Darmanin, ministre. Pour être diffusées, il faut bien qu’elles soient matérialisées par un écrit ou par une parole !

Je poursuis : « ou les activités qui se déroulent provoquent à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes. » Il s’agit bien d’idées diffusées, verbalisées, écrites. J’insiste, il n’est en aucun cas question de faire la police à l’intérieur des esprits.

Ensuite, selon votre argumentation, les idées ne se combattraient que politiquement. Mais avec ce genre de réflexion, on n’aurait pas condamné l’antisémitisme ! Il est évident que nous acceptons que certaines idées n’entrent pas dans le champ de la liberté d’expression. Même si le débat peut être important, et il l’a toujours été, le législateur puis le juge constitutionnel ont considéré qu’il y avait des limites à la liberté d’expression.

Je suis très étonné par votre argument, monsieur le sénateur… Leconte – notez que je ne vous ai pas appelé camarade… « C’est un joli nom, camarade », comme disait le chanteur…

M. Jean-Pierre Sueur. Il manquait Jean Ferrat !

M. Gérald Darmanin, ministre. On a cité Brassens et Ferrat, on arrivera bien à Brel d’ici à minuit !

M. Pierre Ouzoulias. On terminera par Léo Ferré ! (Sourires.)

M. Gérald Darmanin, ministre. Plus sérieusement : ce qui est important, c’est la teneur des propos. Évidemment, il existe toujours un champ d’interprétation. Si l’on s’en tenait à votre amendement, un ministre du culte ou une personne qui prend la parole dans un lieu de culte pourrait demander : « Les juifs sont-ils des hommes comme les autres ? » Ce propos n’a pas de lien direct avec une incitation à la haine, mais est-il tolérable dans notre République ?

« Les femmes sont-elles les égales des hommes ? » On peut considérer, là encore, que cette question est un sujet de discussion ou alors qu’elle est profondément contraire aux principes de notre République.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. C’est trop facile !

M. Gérald Darmanin, ministre. « Les chrétiens sont des mécréants et il faut les condamner. » En général, quand la police interroge les individus ayant tenu ce type de propos, ils répondent qu’il s’agit de condamnation morale… Ceux qui combattent la République s’adaptent grâce aux subtilités du langage. Ne soyons pas naïfs, comme nous y invitaient précédemment certains sénateurs.

La rédaction du Gouvernement prévoit une fermeture limitée des lieux de culte, dont – je suis d’accord avec vous, monsieur le sénateur – le juge doit décider si elle est disproportionnée ou contraire à la liberté de culte et si l’administration a tort quand elle présentera ses justifications. Car, à coup sûr, un recours sera systématiquement déposé.

La rédaction prévue par le Gouvernement garantit à la fois le nécessaire exercice du culte, la liberté d’expression et le respect des limites de l’ordre public. Monsieur Sueur, nous visons bien des idées et théories qui sont diffusées, et nous combattons une idéologie et pas de petits propos. Monsieur Leconte, notre rédaction nous paraît mieux à même de combattre ces idées séparatistes.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 458 rectifié.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme la présidente. L’amendement n° 656, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Alinéa 3

Compléter cet alinéa par les mots :

ou tendent à justifier ou encourager cette haine ou cette violence

La parole est à M. le ministre.

M. Gérald Darmanin, ministre. Nous avons une légère différence d’appréciation avec la commission, puisque l’amendement du Gouvernement vise à rétablir à l’alinéa 3 les mots « ou tendent à justifier ou encourager cette haine ou cette violence ».

La jurisprudence, notamment celle du Conseil d’État, a eu l’occasion à plusieurs reprises de se prononcer sur cette expression, que la commission a voulu supprimer du texte de l’article après les mots « provoquent à la haine ou à la violence ». Dans sa décision du 30 juillet 2014, Association « Envie de rêver », le Conseil d’État a validé la rédaction sur la justification et l’encouragement à la haine ou à la violence, qui figure dans notre droit, notamment à l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure. Le Conseil constitutionnel, dans la décision QPC n° 2017-695 – je le précise puisque nos travaux seront lus par le juge constitutionnel –, a quant à lui validé des garanties procédurales destinées à assurer le caractère proportionné de la mesure prise.

Madame la rapporteure, dans son avis du 7 décembre 2020 sur le projet de loi, le Conseil d’État n’a pas remis en cause les dispositions évoquées. Notre rédaction est plus large que la vôtre. Sur ce point, si je suis sensible à l’idée que le Sénat soit attentif aux libertés publiques, comme l’est d’ailleurs le ministre chargé des libertés publiques, il conviendrait sans doute d’être plus ferme, mais je sais que vous l’êtes, dans les possibilités d’intervention accordées au ministère de l’intérieur.

Par trois fois, le juge de l’administration a considéré que cette rédaction était justifiée. Je vous invite à donner un avis favorable à l’amendement du Gouvernement pour montrer la fermeté de l’État.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Nous avons effectivement une différence d’appréciation, monsieur le ministre.

Vous souhaitez revenir à votre rédaction sur les motifs justifiant la fermeture d’un lieu de culte. La commission a non pas supprimé, comme vous l’avez dit précédemment de manière excessive – nous sommes tous fatigués, mais je voudrais rassurer mes collègues –, mais rédigé différemment l’alinéa. Nous avons précisé les raisons pouvant conduire à la fermeture des lieux de culte : il s’agirait uniquement « des propos qui sont tenus, des idées ou théories qui sont diffusées et des activités qui s’y déroulent » lorsque ceux-ci « provoquent à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes ».

Les autres critères proposés – la justification de la haine ou de la violence ou l’encouragement à celles-ci –, que le Gouvernement souhaite désormais rétablir, ne nous semblent pas suffisamment précis et sont inclus dans le critère précédent. Je le répète, nous avons une différence d’appréciation, mais nous pouvons discuter de tout.

Voici l’alinéa 3 tel qu’il est rédigé après l’examen par la commission des lois : « Le représentant de l’État dans le département ou, à Paris, le préfet de police peut prononcer la fermeture temporaire des lieux de culte dans lesquels les propos qui sont tenus, les idées ou théories qui sont diffusées ou les activités qui se déroulent provoquent à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes. »

Il ne nous semble pas que nous ayons fragilisé le texte, monsieur le ministre. C’est la raison pour laquelle nous émettons un avis défavorable sur votre amendement.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 656.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme la présidente. L’amendement n° 367 n’est pas soutenu.

Mes chers collègues, nous avons examiné 111 amendements au cours de la journée ; il en reste 42.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

Article 44 (début)
Dossier législatif : projet de loi confortant le respect des principes de la République
Discussion générale