Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Tout à fait !
M. Gérald Darmanin, ministre. Monsieur Sueur, je n’imaginais pas que l’on en arriverait à ce niveau de contrainte politique.
J’en tire toutes les conclusions, et si vous voulez me faire dire qu’il s’agit d’un amendement visant à empêcher de faire du communautarisme, je le concède bien volontiers.
Quand un élu de la République, qui, en tant que maire, est agent de l’État, je le rappelle, n’écoute pas les services de renseignement lorsqu’ils l’avertissent qu’il va financer une ingérence étrangère sur le sol de la République, ou, pis, de l’islam politique, je pense en effet qu’il est sage que le Gouvernement prenne ses responsabilités.
Je vous propose donc cette disposition, et j’espère bien que le Parlement la votera, conformément à l’esprit patriotique qui doit tous, je le pense, nous rassembler. Monsieur Sueur, il ne s’agit pas ici de politique, ou alors c’est de la Politique avec un grand P.
M. Jean-Pierre Sueur. J’ai bien fait de vous inciter à dire cela, monsieur le ministre ! Maintenant, c’est explicite.
M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.
M. Pierre Ouzoulias. Monsieur le ministre, disons les choses très clairement : les élus communistes à la mairie de Strasbourg ont voté contre cette subvention à l’association Millî Görüs, parce que nous considérons qu’elle est le faux-nez en France du gouvernement Erdogan, qui vise l’implantation d’une politique néo-ottomane, nationaliste et fasciste.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Bravo !
M. Pierre Ouzoulias. Vous le savez bien, notre groupe vous a saisi à plusieurs reprises pour dénoncer les agissements de la Turquie contre la communauté arménienne, contre la communauté kurde, etc. Sur ce point, nous sommes intransigeants ; nous le sommes en France, mais aussi à l’étranger. Le Président de la République s’est d’ailleurs interrogé pour savoir si la Turquie devait encore être considérée comme un de nos alliés au sein de l’OTAN. À un moment, il faudra tirer tout cela au clair.
Je termine sur un point juridique. J’ai proposé hier, sur une mesure d’une légèreté absolue, de modifier le droit local d’Alsace-Moselle. On m’a répondu que c’était un tabou, quelque chose qu’il ne fallait absolument pas toucher. Nous voterons bien entendu l’amendement du Gouvernement, mais je remarque que, en l’espèce, vous touchez au droit local d’Alsace-Moselle.
Monsieur le ministre, il faudra bien que, un jour, en conscience, tous ensemble, nous menions une analyse complète de ce droit local, analyse qui ne soit pas réservée uniquement aux élus d’Alsace-Moselle, même si, bien évidemment, ces derniers ont un point de vue déterminant à cet égard.
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. Je voterai moi aussi cet amendement. Finalement, ce texte constitue une bonne occasion de régler en partie un problème. Il faut s’en réjouir.
Je voudrais aborder la question des renseignements et de la transparence. Il m’a été répondu par les rapporteures, à la faveur d’un amendement que j’avais présenté, que l’information circulait entre les préfets et les maires.
Monsieur le ministre, permettez-moi de vous rappeler une affaire assez pathétique qui s’est déroulée à Rouen, où la mairie a loué une salle à une association très peu recommandable, à savoir l’Union des musulmans de Rouen, affiliée aux Frères musulmans, qui tenait un séminaire pour les parents et les enfants, avec un orateur tout à fait ciblé par vos services.
Lorsque j’en ai été informée, j’ai tout d’abord prévenu le préfet, lequel n’était pas au courant, puis j’ai saisi la mairie, qui, apparemment, n’était pas non plus au courant, mais qui avait tout de même accordé une salle. Plus on prévoira d’informations préalables, plus on mettra de contraintes, mieux ce sera.
Le grand rabbin de France, lors de son audition, nous a dit en substance : plus il y aura de contrôles, plus la République sera forte et plus nous serons tranquilles. Je fais mienne cette déclaration.
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour explication de vote.
Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, puisque l’on a parlé de l’attribution de ces 2,5 millions d’euros à Millî Görüs pour la mosquée Eyyûb Sultan, je voudrais apporter quelques éléments au débat.
Cette association a plusieurs fois été en relation avec les services de l’État par le passé. Elle a obtenu des contrats et des subventions, comme l’a indiqué la préfecture du Bas-Rhin. Cela a été confirmé par le journal Libération. (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.)
En mai 2020, la préfecture lui a accordé une subvention de 2 500 euros au titre de la solidarité aux actions associatives lors du premier confinement. Par ailleurs, dans le cadre d’un partenariat institutionnel, une convention pour lutter contre l’insécurité routière dans les quartiers prioritaires strasbourgeois a été signée en 2020 entre cette association et l’État.
En 2019, selon Le Canard enchaîné, l’État a versé une subvention de 22 400 euros à Millî Görüs, a priori pour la construction de la mosquée.
Il ne sert donc à rien de dire maintenant qu’on n’était pas au courant ! Un maire ne dispose évidemment pas des mêmes sources de renseignement qu’un préfet. En l’occurrence, il revenait donc à la préfète de tenir les élus au courant de ces questions, si elle souhaitait que la maire actuelle ne fasse pas ce que son prédécesseur a lui-même fait, à savoir verser de l’argent.
On a fait de cette affaire toute une histoire parce que la mode est à l’« écolo-bashing », en espérant ainsi affaiblir les écologistes. Vous feriez mieux d’examiner les choses de près et de ne pas lancer de rumeurs ou engager de polémiques de ce genre, comme vous l’avez fait.
D’ailleurs, j’ai vu une photo, sur laquelle le Président de la République, Emmanuel Macron, pose avec les membres du CFCM, dont M. Sarikir, qui en est toujours, me semble-t-il, le secrétaire général. La maire de Strasbourg n’avait donc pas de raison de se méfier de ce personnage.
Je le répète : il faut cesser de répandre ce type de rumeurs – elles ne servent personne. Après tout, les services de renseignement n’auront désormais qu’à avertir les maires et leur dire à qui attribuer ou non des subventions ! Les mairies, vous le savez, ne disposent pas de ce genre de services…
M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie, pour explication de vote.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Je pense que nous sommes tous d’accord pour dire que cet amendement trouve son origine dans l’actualité. Chacun appréciera cela à sa manière, mais il est vrai, monsieur le ministre, que vous avez utilisé la presse et les réseaux sociaux de manière assez virulente, ce qui a pu laisser penser, peut-être à tort, à une exploitation politique.
Cet amendement est important et nous avons besoin d’informations sur le dispositif que vous proposez pour déterminer notre vote.
Tout d’abord, quelle est son utilité pratique, dans la mesure où la préfète a d’ores et déjà engagé une procédure à l’encontre de la décision en question ? Concrètement, en quoi l’État est-il aujourd’hui démuni dans ce type de situation ?
Ensuite, je n’ai pas trouvé de réponse claire sur la conformité de votre proposition avec le principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales. Ce n’est sans doute pas un obstacle, puisque seule une information est prévue, non une autorisation, mais cette démarche me gêne quand même. Ne s’agit-il pas d’une forme de contrôle de légalité a priori ? Si c’est le cas, qu’est-ce qui justifie votre proposition ?
Enfin, quelle sera la sanction en cas de non-respect ?
Nous avons besoin d’éclaircissements sur l’ensemble du dispositif que vous proposez afin que vous ne soyez pas suspecté de vouloir contrôler a priori les délibérations des collectivités territoriales. Je rappelle que les actes des collectivités ne font aujourd’hui l’objet que d’un contrôle a posteriori.
Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain prendra position en fonction des informations que vous nous apporterez et indépendamment des arguments qui ont être avancés par les uns et les autres, que ce soit sur la nature de l’association concernée ou sur l’ancienneté du projet en question – j’ai d’ailleurs cru comprendre que beaucoup d’acteurs strasbourgeois y ont été associés au fil du temps.
En tout cas, faisons œuvre utile ! Dans cet objectif, je vous remercie par avance de vos réponses, monsieur le ministre.
M. le président. La parole est à M. André Reichardt, pour explication de vote.
M. André Reichardt. Comme vous le savez maintenant, je suis un sénateur alsacien ! (Sourires.) Cet amendement ne me dérange pas le moins du monde et je vais le voter, car je ne vois pas en quoi il ferait obstacle ou porterait atteinte, mon cher collègue Pierre Ouzoulias, au droit local alsacien-mosellan. (M. Pierre Ouzoulias proteste.) Il me semble pourtant que c’est ce que vous avez dit tout à l’heure à l’endroit de M. le ministre.
M. Pierre Ouzoulias. J’ai dit qu’il modifiait le droit local !
M. André Reichardt. Pour moi, « modifier » ou « porter atteinte » revient au même dans la mesure où je suis favorable au maintien du droit local en l’état, pour de multiples raisons que je vous expliquerai un jour. Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire, il forme un tout indivisible.
En tout cas, je vais vous expliquer pourquoi, à mon sens, cet amendement ne porte pas atteinte au droit local.
Que les choses soient claires : quoi qu’on dise dans la presse, ce n’est pas le Concordat qui a permis au maire ou au conseil municipal de Strasbourg de prendre cette décision. C’est le fait que la loi de 1905 ne s’applique pas en Alsace-Moselle. C’est pour cette raison qu’une collectivité territoriale d’Alsace ou de Moselle a le droit de subventionner un édifice cultuel. Il s’agit là naturellement seulement d’une possibilité, il n’y a pas de droit de tirage.
Une telle décision doit évidemment tenir compte de l’intérêt général et celui-ci commandait en l’occurrence au conseil municipal de s’interroger à tout le moins sur l’opportunité d’attribuer une subvention à ce projet, surtout pour un montant aussi élevé – c’est d’ailleurs ce que, personnellement, je conteste.
Cela dit, demander aux collectivités locales qui veulent garantir un emprunt destiné à financer la construction d’un édifice cultuel ou passer un bail emphytéotique, dont l’objet est l’affectation à une association cultuelle d’un édifice du culte, d’en informer le représentant de l’État, comme tend à le prévoir cet amendement, ne me choque pas du tout. Il ne s’agit aucunement d’une atteinte portée au droit local ou à la libre administration des collectivités territoriales.
M. le président. La parole est à M. Philippe Dallier, pour explication de vote.
M. Philippe Dallier. Mes chers collègues, ne soyons pas naïfs ! Je sais que personne ici ne l’est et chacun sait la pression qui s’exerce parfois sur les élus locaux. Et en la matière, il y a ceux qui résistent, ceux qui ont des difficultés et ceux qui flirtent avec la ligne rouge…
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Il y en a partout…
M. Philippe Dallier. Je n’incriminerai personne ! À partir de là, tout ce qui va dans le sens d’un meilleur contrôle, d’une meilleure coordination avec les services de l’État, est intéressant.
Mme de La Gontrie évoquait la question du contrôle : doit-il avoir lieu a priori ou a posteriori ? Je ne sais pas si la question se pose ainsi, ni même en termes de libre administration des collectivités locales, mais franchement, je suis totalement favorable aux dispositions qui permettent un contrôle en amont du respect des règles. Cela ne me choque absolument pas !
Vous savez, quand on sait ce qui se passe parfois sur le terrain dans un département comme le mien, la Seine-Saint-Denis, on préfère que des dispositifs soient mis en place pour s’assurer en amont que les règles sont bien respectées par tout le monde. En fait, de tels dispositifs peuvent éviter aux élus de se trouver dans des situations très inconfortables lorsqu’ils doivent décider d’attribuer une subvention importante à des gens qu’ils ne connaissent pas forcément très bien.
L’amendement du Gouvernement ne me gêne donc pas et je vais le voter.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet, pour explication de vote.
M. Gérard Longuet. Je voterai moi aussi l’amendement du Gouvernement, et ce pour une raison extrêmement pratique : les collectivités locales ont besoin d’être informées.
Il se trouve que la religion musulmane est très décentralisée, pour des raisons traditionnelles inhérentes à sa pratique. C’est d’ailleurs en partie la raison de son succès, de sa force et de sa pénétration dans des pays très divers. L’islam n’est pas simplement arabe : il est aussi malais, indonésien, etc. Il s’adapte et prospère en petites communautés, dont certaines, en particulier en France, sont liées à des organisations internationales ou à des États étrangers, ce que les collectivités locales ne peuvent évidemment pas savoir.
Les collectivités ne disposent pas de ces informations et ne peuvent pas toujours identifier qui soutient concrètement telle ou telle communauté. Prévoir l’information de l’État, qui, lui, a le devoir de tenir à jour ce type d’information, est une façon de protéger les élus quand ils doivent prendre de telles décisions.
Comme André Reichardt et Philippe Dallier, je considère que cet amendement est une sécurité pour les collectivités locales. C’est pourquoi je le voterai de bon cœur.
M. le président. La parole est à Mme Valérie Boyer, pour explication de vote.
Mme Valérie Boyer. Je voterai bien évidemment cet amendement, pour toutes les raisons qui viennent d’être invoquées. Nous devons absolument protéger les maires lorsqu’ils sont confrontés à des demandes très insistantes, notamment de la part de certaines associations.
J’ajoute que voter des mesures sous le coup de l’actualité ne pose aucun problème, surtout lorsque celle-ci nous taraude ou nous bouscule. Parfois, l’actualité nous oblige même à agir.
C’est le cas aujourd’hui à double titre : il y a d’abord la question de l’attribution d’une subvention à l’association Millî Görüs par la mairie de Strasbourg, mais aussi la manière absolument scandaleuse dont Mme Ursula von der Leyen a été reçue mardi à Ankara. Cet événement, ce camouflet, révèle combien il est difficile pour les Européens de se faire respecter par certains pays, en particulier par le régime qui soutient justement la mosquée dont nous parlons. Ce qui est arrivé à Mme von der Leyen est absolument scandaleux et indigne dans le cadre de relations diplomatiques, sachant en outre que le pays dont nous parlons continue, malheureusement, de bénéficier de subventions extrêmement importantes de la part de l’Union européenne.
Cette actualité nous oblige à réagir et à dire stop à cet entrisme politique, culturel et religieux et à ces manifestations agressives. C’est la raison pour laquelle je voterai cet amendement, qui permet de répondre au besoin de protection des élus, en particulier des maires.
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.
M. Pascal Savoldelli. Je reprendrai les propos qu’a tenus Pierre Ouzoulias, car ils posent les termes d’un débat de fond. Accordez-nous au moins le fait que nous sommes pleinement cohérents : nous défendons avec force le respect de la loi de 1905, son utilité et sa modernité.
Or cet amendement pose en fait une question fondamentale : allons-nous institutionnaliser, voire généraliser, le droit local d’Alsace-Moselle, qui permet le financement des cultes ?
Abordons cette question avec franchise ! Nous ne voterons pas dans le même sens, ce n’est pas grave, l’essentiel est de faire preuve d’honnêteté intellectuelle – ce que tout le monde fait ici et j’apprécie les réponses de chacun, y compris celles du Gouvernement – et prendre position : peut-il y avoir, sur le territoire de la République, un droit local permettant le financement des cultes ? Voilà la question !
Sur les élus, Philippe Dallier, sachez qu’il m’arrive d’incriminer leur comportement, qu’ils soient de gauche ou de droite.
M. Philippe Dallier. Je suis d’accord.
M. Pascal Savoldelli. Je ne laisse pas tout passer, quelle que soit, je le répète, leur étiquette politique. Certains comportements sont délictueux, illégaux et nous condamnons de telles pratiques politiques. Nous ne nous laissons pas fourvoyer !
Le groupe communiste républicain citoyen et écologiste votera cet amendement pour une raison de principe : nous ne sommes pas favorables à un droit local permettant de financer un culte, quel qu’il soit, et nous sommes opposés à tout financement public à destination cultuelle, où que ce soit sur le territoire de la République.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Gérald Darmanin, ministre. Avant de répondre à Mme de La Gontrie, je dirai quelques mots en réponse à Mme Benbassa.
Je ne crois pas, madame Benbassa, que votre manière de défendre la mairie de Strasbourg était la bonne, parce que vous avez tout de même proféré trois contre-vérités.
Vous avez d’abord fait semblant de confondre financement de la construction d’un lieu de culte et aide de l’État pour assurer la vidéoprotection des lieux de culte. Il est vrai que le fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD) permet d’attribuer des subventions pour financer la vidéoprotection des lieux de culte. Il faut savoir que 70 % de cette enveloppe est consacrée à la protection des écoles et lieux cultuels juifs en raison des grandes menaces qui pèsent sur eux. Il ne s’agit en aucun cas du financement direct d’un lieu de culte.
Vous semblez aussi avoir oublié un événement récent, madame la sénatrice : Millî Görüs a refusé de signer la charte des principes pour l’islam de France qui affirme la nécessité de respecter les valeurs de la République – l’égalité entre les femmes et les hommes, le droit de changer de religion, etc. En ce qui nous concerne, nous en avons tiré les conséquences !
Par ailleurs, vous évoquez une photo sur laquelle figurent ensemble le Président de la République et le responsable de Millî Görüs. Franchement, je ne vous ferai pas l’injure de vous expliquer qu’on ne peut évidemment pas mettre dans le même panier toutes les personnes figurant sur une même photo, a fortiori lorsqu’il s’agit de responsables politiques, lesquels sont régulièrement photographiés aux côtés de toutes sortes de personnes lors de manifestations. (Mme Esther Benbassa et M. Jacques Fernique protestent.) Je ne pratique pas ce type de politique ; ne le faites pas pour le Président de la République.
En outre, comme cela a été dit, il est évident que chacun devrait être, si ce n’est scandalisé, du moins particulièrement interrogatif sur le positionnement de la Turquie.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Seulement interrogatif ?
M. Gérald Darmanin, ministre. Je rappelle que ce pays vient de se retirer de manière unilatérale de la convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, qui avait pourtant été signée à Istanbul.
Il ne faut pas réécrire l’histoire. Tout le monde sait, je le répète, que l’association Millî Görüs n’a pas voulu signer la charte des principes pour l’islam de France. Le Président de la République et d’autres fédérations musulmanes se sont exprimés sur ce sujet ; je l’ai fait moi-même. Il faut donc en tirer les conséquences.
Madame la sénatrice, vous avez avancé une autre contre-vérité flagrante : il est absolument faux de dire que la maire de Strasbourg n’a pas été informée directement. Je l’ai fait personnellement ! Les présidents de la Collectivité européenne d’Alsace et de la région Grand Est, qui ne sont pas des soutiens ostensibles du Gouvernement, ont témoigné que je l’avais informée. Par deux fois, la préfète a indiqué qu’elle en avait directement parlé avec la maire de Strasbourg.
Quand bien même ces témoignages seraient faux, quand bien même n’aurions-nous pas prévenu la maire de Strasbourg, le complexe en construction dans le quartier de la Meinau n’est pas seulement un lieu de culte, il comprend aussi un centre socioculturel et éducatif, des restaurants, un lieu de scolarisation… Et il se situe à 200 mètres du siège du parti politique Saadet qui est, pour ceux qui ne le savent pas, encore plus dur que l’AKP !
M. Dallier a été gentil en parlant de naïveté, mais il n’y a pas pire sourd que celui qui ne veut pas entendre.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Exactement !
M. Gérald Darmanin, ministre. Franchement ! Madame Benbassa, vous parlez d’écolo-bashing, mais nul besoin de faire de l’écolo-bashing, quand la réalité se suffit à elle-même !
Mme Esther Benbassa. Vous en faites pourtant !
M. Gérald Darmanin, ministre. La défense de la maire de Strasbourg est fort mauvaise et elle ferait mieux de revenir sur cette décision, comme le lui demande la quasi-unanimité des forces politiques, que ce soient les socialistes, les communistes, la droite républicaine ou la majorité présidentielle.
Je constate par ailleurs, de façon très étonnante, qu’à peu près au même moment, on a bien du mal à se mettre d’accord sur la définition de l’antisémitisme !
J’en reviens aux questions, importantes, de Mme la sénatrice de La Gontrie. Vous voulez savoir si, sous prétexte de l’intérêt public, nous ne cédons pas à la tyrannie de l’instant – pourquoi pas, d’ailleurs ? – et si la mesure que nous proposons n’est pas contraire à l’article 72 de la Constitution.
Je rappelle tout d’abord que, selon l’article 72 de la Constitution, les collectivités s’administrent librement dans les conditions prévues par la loi – on oublie souvent de citer cette partie de phrase…
À ces deux questions, la réponse est non.
En ce qui concerne le premier point, sachez que j’avais dans un premier temps envisagé d’insérer dans ce projet de loi une disposition ôtant aux maires le pouvoir de délivrer un permis de construire, lorsqu’il s’agit d’un édifice cultuel. Nous aurions pu prévoir que le préfet délivre lui-même le permis ou qu’un avis conforme de sa part soit nécessaire. Je m’appuyais sur les arguments développés par le sénateur Dallier sur les pressions que subissent les maires. Il existe sur notre territoire des particularités politiques que je ne veux pas ignorer et il s’agissait de soutenir le courage des uns et des autres.
M. Philippe Dallier. Le Sénat a adopté un amendement allant dans ce sens.
M. Gérald Darmanin, ministre. Oui, mais dans votre amendement, le préfet donne simplement un avis.
Trois arguments m’ont fait, à regret, changer d’avis.
Le premier est un argument de fond : il n’existe pas de spécialisation du droit de l’urbanisme par type de bâtiment. Par conséquent, on peut penser que le Conseil constitutionnel aurait censuré une telle disposition. C’est un argument de droit et il n’aurait pas été raisonnable – on peut le regretter – de détricoter le droit de l’urbanisme au travers de ce texte. Il sera néanmoins intéressant d’approfondir cette question.
Le second argument est que l’Association des maires de France n’y était pas favorable. J’ai rencontré ses représentants, que ce soit François Baroin ou André Laignel. J’ai bien travaillé avec eux lors de la préparation de ce texte et nous avons finalement considéré qu’un avis simple du préfet permettrait déjà aux élus de partager leurs difficultés, sans pour autant remettre en cause le pouvoir du maire en matière d’urbanisme. Il est vrai que le maire doit pouvoir répondre devant sa population de ce type de décision. Je n’étais pas totalement convaincu par cet argument, mais ayant été maire moi-même, je ne le trouve pas non plus malavisé.
Troisième argument, on ne sait pas toujours que le bâtiment qui fait l’objet du permis de construire sera destiné à l’exercice d’un culte – sa destination peut changer à un moment ou à un autre. Nous aurions donc pu tromper les Français en prenant la disposition que j’envisageais.
Vous le voyez, j’avais pensé à insérer une disposition qui, comme dans une voiture d’auto-école, permettait de reprendre la main… Avec cet amendement, nous ne cédons donc pas à la tyrannie de l’instant, même si ce qui s’est passé à Strasbourg m’a beaucoup incité à vous proposer une mesure.
Ce qui est certain, c’est que le droit en vigueur ne nous permet pas de garantir à coup sûr l’intérêt général, qu’il soit local ou national. La préfète de Strasbourg a déféré la délibération du conseil municipal, lorsque celle-ci lui a été transmise au titre du contrôle de légalité. Nous verrons bien ce que dira le tribunal administratif, mais je me fais peu d’illusions, sauf à considérer que celui-ci prenne en compte des arguments patriotiques, ce qui peut évidemment arriver dans certaines situations où la question de l’intérêt général est très prégnante.
Je constate d’ailleurs que cet acte fait naître bien des discussions. Mme la maire dit même maintenant qu’il s’agit non pas d’une subvention, mais d’une autorisation éventuelle de subvention…
Cet amendement ne tend pas à prévoir un contrôle a priori. Il vise simplement à ce que la commune ou le département informe au préalable le préfet s’il souhaite garantir un emprunt ou conclure un bail emphytéotique destiné à un édifice cultuel.
Monsieur Savoldelli, j’entends votre position sur le fait que l’État ou les collectivités locales ne doivent pas aider les cultes et je la respecte, mais cela ne date pas d’hier ! D’ailleurs, certains baux emphytéotiques vont arriver à échéance dans quelques années, dans dix ou quinze ans peut-être, et nous devrons nous poser la question de leur prolongation éventuelle.
En tout cas, la procédure que nous proposons ne concerne pas, au fond, les collectivités locales, madame de La Gontrie. Nous ne prévoyons pas de réformer la décision de la collectivité, mais le préfet pourra, le cas échéant, retirer la qualité cultuelle à l’association en question. C’est pour cette raison que je m’interrogeais sur la compréhension de l’article 27 du projet de loi par le sénateur Jean-Pierre Sueur.
Je le répète, il ne s’agit pas d’actionner le droit des collectivités locales, même s’il est évidemment toujours possible de déférer une délibération devant le tribunal administratif – c’est une autre procédure –, il s’agit d’agir sur la qualité de l’association à s’inscrire dans le cadre de la loi de 1905. Si un maire qui envisage de signer un bail emphytéotique ou de garantir un emprunt doit le signaler au préfet, celui-ci pourra regarder la situation et utiliser les renseignements dont il dispose pour, éventuellement, retirer à l’association sa qualité cultuelle. L’association pourra alors saisir le juge pour contester cette décision.
Cette procédure empêchera une collectivité de signer un bail à vocation cultuelle avec une association n’ayant pas cette vocation. Pour autant, elle n’empêchera pas la collectivité de prendre telle ou telle décision ; c’est la qualité cultuelle de l’association qui se voit éventuellement remise en cause.
Il ne s’agit donc pas d’un contrôle a priori de la légalité d’un acte d’une collectivité locale.
C’est un amendement important qui permet certes de répondre à l’actualité, mais surtout, comme l’ont dit les sénateurs Longuet, Dallier et Boyer, non pas de donner aux collectivités une sorte de blanc-seing, mais de leur offrir un accompagnement clair et précis de la part de l’État. Il s’agit de faire travailler ensemble les élus et le préfet et, si l’une des parties ne fait pas son travail, ce sera sans doute l’État !