Mme la présidente. La parole est à Mme Michelle Meunier. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Michelle Meunier. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous débattons ce jour de la proposition de loi portant diverses mesures de justice sociale, dont le texte transmis par l’Assemblée nationale porte principalement sur la déconjugalisation de l’allocation aux adultes handicapés.
Derrière ce jargon, il faut comprendre qu’il s’agit d’exclure des ressources d’une personne en situation de handicap les ressources de son conjoint pour le calcul du montant de l’AAH. C’est une réelle mesure d’indépendance financière, de conquête d’autonomie, des termes porteurs de sens chez les personnes dont l’état de santé limite les pleines capacités à vivre en société.
Pour les parlementaires que nous sommes, la question du calcul du montant de l’allocation en fonction des revenus de la seule personne en situation de handicap, et non pas des revenus du foyer, n’est pas nouvelle. Nos collègues des groupes de gauche à l’Assemblée nationale avaient cosigné la proposition de loi déposée par Marie-George Buffet en décembre 2017. Les mêmes, au printemps 2018, rejoints par une poignée de Marcheurs et de Marcheuses, avaient déposé le même texte et proposé la création d’une commission spéciale, ce qui avait été refusé par Mme Bourguignon, alors présidente de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale.
Dans la foulée, Laurence Cohen et nos collègues communistes du Sénat avaient déposé une proposition de loi, examinée par la Haute Assemblée à l’automne 2018.
Il s’agit donc d’une revendication de longue date, portée par le secteur associatif du handicap, et notamment par l’APF France Handicap et son mouvement « Ni pauvre, ni soumis ». Une revendication rendue d’autant plus sensible au début du quinquennat, quand la majorité LREM se targuait d’augmenter le montant de l’AAH, se refusant à voir les limites de son mode de calcul.
En commission, ici même, en octobre 2018, notre collègue du groupe LREM, Michel Amiel, assumait ainsi la position du Gouvernement : pour lui, l’augmentation de l’AAH ne visait qu’à « aider les personnes handicapées seules, qui sont les plus précaires ». Quant à la majorité sénatoriale, menée par notre rapporteur, elle tenait à ce que, « dès lors qu’il s’agit d’une prestation en espèces, le foyer serve de base fiscale ».
Au groupe socialiste, en revanche, nous avions dénoncé le tour de passe-passe du Gouvernement, qui reprenait d’une main, en baissant le plafond de ressources et en fusionnant la majoration « vie autonome » et le complément de ressources, ce qu’il donnait de l’autre en augmentant le montant de l’AAH.
Nous avions alors soutenu cette déconjugalisation, en vain.
Que s’est-il passé en deux ans pour que nous nous apprêtions à vivre ce tournant ? D’abord, il y a eu quelques fissures dans le bloc monolithique En Marche ! et le camouflet infligé au Gouvernement par l’Assemblée nationale en février 2020. Ensuite s’est manifestée une force citoyenne remarquable, incarnée notamment par Mme Tixier, à l’origine d’une pétition en ligne qui a mis le Sénat au pied du mur. En effet, contre toute attente, avouons-le, la pétition publiée sur le site du Sénat pour inscrire ce texte à notre ordre du jour a recueilli rapidement des dizaines de milliers de signatures. Cet engouement traduit l’indignation qui s’est propagée dans la société française depuis l’automne, bien au-delà des sphères militantes du handicap.
Nos concitoyennes et nos concitoyens nous ont adressé un message fort, qu’il convient d’entendre : non, il n’est pas juste qu’une personne en situation de handicap doive choisir entre son statut conjugal et ses ressources ; il n’est pas juste qu’étant dans l’incapacité d’assurer ses revenus par le travail elle doive dépendre de ceux de son conjoint ou de sa conjointe pour percevoir une allocation.
Comme lors de l’audition de Mme Tixier par la commission des affaires sociales, je veux souligner la détermination de celles et ceux qui ont contribué au succès de la pétition : elles ne savaient pas que c’était impossible, alors elles l’ont fait ! Non seulement nous examinons cette proposition de loi, mais il me semble que nous allons parvenir à une réelle avancée parlementaire.
Le groupe SER apportera son soutien au texte issu de la commission. L’article 3, modifié par le rapporteur Philippe Mouiller, a pour objet de supprimer la prise en compte des revenus du conjoint dans le périmètre des ressources de la personne sollicitant l’AAH. En complément, le dispositif transitoire de dix ans permettant de continuer à bénéficier du mode de calcul actuel, s’il est favorable, a pour effet de repousser l’entrée en application d’une déconjugalisation qui faisait craindre 44 000 foyers perdants. Ce temps de transition devra être consacré à la mise en place de correctifs neutralisant ces effets négatifs. Nous souhaitons amender le texte en ce sens.
Comme mon collègue Olivier Henno, je voudrais, au lendemain de la Journée internationale des droits des femmes, synonyme de lutte, souligner cette dimension égalitaire de la déconjugalisation, qui va permettre l’émancipation des femmes en situation de handicap. En effet, le mode de calcul actuel de l’AAH enferme les femmes porteuses de handicap dans une double dépendance : celle du handicap et celle, économique, à l’égard des ressources du conjoint.
Le cadre actuel soumet ces femmes et les expose, plus longtemps et plus durement encore que les compagnes valides, aux violences subies dans le cadre conjugal. Les enfants, covictimes des violences intrafamiliales, sont aussi concernés. Il était donc essentiel de faciliter la reprise d’autonomie des femmes en situation de handicap, beaucoup plus exposées que les femmes valides aux violences au sein du foyer – les femmes autistes le sont de deux à six fois plus.
Nous devons à la regrettée Maudy Piot une connaissance fine des phénomènes de violences qui concernent spécifiquement ces femmes, à l’intersection de la domination patriarcale et de la domination du monde des valides.
Nous pouvons compter sur les travaux et revendications de celles qui ont repris le flambeau de l’association Femmes pour le dire, femmes pour agir pour refuser le statu quo. Tout ou presque est à inventer, à mettre en place, à financer, madame la secrétaire d’État : des places de mise à l’abri d’urgence accessibles aux personnes à mobilité réduite ; des services d’accompagnement accessibles aux personnes malentendantes, etc.
Pour appuyer cette reprise d’autonomie, les socialistes proposeront que l’AAH soit versée directement sur un compte bancaire établi au nom de l’allocataire plutôt que sur un compte joint.
Pour revenir sur les propos du rapporteur, je dirai que la question qui nous est posée au travers du mode de calcul de cette allocation met en lumière le caractère ambigu de la prestation, entre minimum social et prestation de revenus visant à compenser la quasi-impossibilité de subvenir à ses besoins grâce aux fruits de son travail.
À une époque où s’impose de plus en plus le sujet du revenu universel, n’oublions pas que le montant de l’AAH laisse encore un quart de ses allocataires sous le seuil de pauvreté.
En parallèle, la compensation du handicap est l’autre chantier à ouvrir : comment mieux prendre en charge les dépenses induites par l’absence d’autonomie, le besoin d’équipements techniques et d’accompagnement humain ?
À l’automne dernier, lors de l’examen de la loi de financement de la sécurité sociale, les socialistes avaient relayé l’exigence d’avancer vers une prestation de compensation universelle de la perte d’autonomie, une prestation attendue par les personnes en situation de handicap comme par le secteur médico-social, et sous-tendue par le périmètre de la cinquième branche.
Avec la fin de non-recevoir opposée par le Gouvernement, nous avions compris qu’il était urgent de ne rien faire, d’attendre, au printemps 2021, la discussion parlementaire de la loi Grand Âge et autonomie, promise comme le tournant social du quinquennat, et dorénavant reportée à l’issue de la crise sanitaire.
Pour toutes ces raisons, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous voterons cette proposition de loi, en attendant la prochaine étape. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Raymonde Poncet Monge applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Laurent Burgoa. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Laurent Burgoa. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, attaché à toujours plus de proximité, notre hémicycle se dotait en janvier 2020 d’une plateforme de pétitions citoyennes voulue par le président Larcher. En janvier dernier, pour la première fois, une pétition hébergée sur cette plateforme dépassait les 100 000 signatures, preuve, s’il en fallait, que la prise en compte du revenu d’un conjoint dans le calcul de l’AAH fait naître un fort sentiment d’injustice.
Cette forte mobilisation donne corps aux centaines de courriers que nous avons pu recevoir en ce sens. Le Sénat s’est toujours beaucoup investi dans l’accompagnement des différents handicaps, souvent sous l’impulsion de notre collègue Philippe Mouiller, dont je souhaite ici saluer le travail.
Le 13 février 2020, c’est contre l’avis du Gouvernement, et avec une minorité de députés En Marche ! présents dans l’hémicycle, que ce texte a pu être adopté à l’Assemblée nationale.
Quel est l’objet de ce débat ?
Il peut s’agir d’un débat budgétaire : revoir ce dispositif de près de 12 milliards d’euros est délicat, alors qu’il nous est difficile d’en évaluer avec exactitude les conséquences, notamment en l’absence de ce que nous appelons une étude d’impact.
Il peut aussi être question de terminologie, au sens où l’AAH fait aujourd’hui partie des minima sociaux. À ce titre, son calcul prend en compte le revenu du conjoint, comme pour tout minimum.
En fait, ce débat est surtout profondément humain, car cette allocation n’est pas un minimum social comme les autres. Il s’agit de permettre à nos concitoyens porteurs de longue date ou nouvellement porteurs d’un handicap de pouvoir s’émanciper et de pleinement s’épanouir au sein de notre société, malgré un accès bien plus difficile à l’emploi.
Aujourd’hui, ce mode de calcul grève, de fait, les revenus de couples dont un des membres serait en situation de handicap. Il place ce dernier sous une forme de tutelle financière de son conjoint et nombreux sont ceux qui ont le sentiment terrible de devenir une charge. N’est-ce pas là l’exact inverse de la vocation de cette allocation ?
Certains pourront me dire qu’en cas de séparation, après tout, l’AAH sera recalculée. Permettez-moi, par anticipation, de leur répondre. D’abord, cette régulation prendra du temps et cette situation mettra sans nul doute ces personnes dans une position très délicate, pour ne pas dire impossible. Ensuite, les statistiques des régimes matrimoniaux le démontrent, un nombre toujours plus important de couples préfèrent désormais gérer leurs revenus séparément. Aussi, je trouve particulièrement dérangeant que nos concitoyens en situation de handicap soient découragés de fonder un foyer : afin de ne pas voir leur AAH s’amoindrir, certains renonceraient à s’unir, leurs enfants étant alors moins protégés des aléas de la vie.
Vous l’aurez compris, je souhaite, comme la commission, déconjugaliser le mode de calcul de cette allocation, et le faire avec méthode. Les évaluations qui ont pu nous être communiquées par la Drees doivent attirer notre attention. En l’état, le texte transmis par l’Assemblée ferait pas moins de 44 000 ménages perdants et, plus grave encore, les gains espérés se concentreraient sur les ménages relativement plus aisés.
Pour ces ménages qui seraient perdants, la commission propose de mettre en place un régime transitoire de dix ans, ce qui me semble judicieux.
Un autre apport de la commission est, selon moi, important. Un plafond de cumul entre les ressources personnelles des bénéficiaires et le montant de la prestation permet d’orienter ce système de solidarité vers ceux qui en ont le plus besoin.
Enfin, bien sûr, je me réjouis du report à 65 ans de la barrière d’âge pour solliciter le bénéfice de la PCH. C’est une nécessité au vu de l’allongement de la durée de vie.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, c’est avec ces nouvelles garanties que je voterai en faveur de ce texte, tout comme mon groupe. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Yves Bouloux. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Yves Bouloux. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, cette proposition de loi, déposée en septembre 2019, a été adoptée par l’Assemblée nationale, contre l’avis du Gouvernement, en février 2020.
Si, près d’un an plus tard, l’opportunité nous est donnée de procéder à son examen, c’est grâce à la plateforme de dépôt de pétitions en ligne mise en place par le Sénat en janvier 2020. Tout citoyen peut désormais solliciter l’inscription à l’ordre du jour de notre assemblée d’une proposition de loi. Les pétitions qui recueillent plus de 100 000 signatures en six mois sont transmises à la conférence des présidents. Ainsi, la démocratie participative peut, sans s’y substituer, enrichir la démocratie représentative. Je remercie donc le président Larcher et le bureau du Sénat d’avoir su ainsi moderniser le droit de pétition.
Venons-en au texte.
Favoriser la justice sociale, telle est l’ambition de la proposition de loi que plus de 108 000 citoyens ont souhaité que nous examinions.
Créée en 1975, l’allocation aux adultes handicapés est la deuxième prestation de solidarité en France, avec quelque 1,2 million de bénéficiaires, pour 11 milliards d’euros. Elle est versée aux personnes âgées de 20 ans et plus qui justifient d’un taux d’incapacité supérieur à 50 %. Son montant varie en fonction des revenus du conjoint et de la composition du foyer.
Les articles 2 et 3 de ce texte ont pour objet de supprimer la prise en compte des revenus du conjoint dans le calcul de cette allocation, ainsi que dans son plafonnement.
Ils répondent à une forte attente des personnes handicapées. Se déclarer en couple, c’est bien souvent perdre son allocation. À la dépendance physique s’ajoute alors la dépendance financière. Seuls 22 % des allocataires se déclarent en couple.
Pour justifier votre opposition à ce texte, madame la secrétaire d’État, vous avez évoqué la qualification de « minimum social » de cette allocation, qui impliquerait que la solidarité familiale prime la solidarité nationale. Raisonner de la sorte, c’est oublier le caractère particulier de l’AAH : contrairement aux autres minima sociaux, ses bénéficiaires n’ont souvent aucune perspective de retour à l’emploi. Dès lors, il ne s’agit pas d’une aide temporaire, mais d’une aide pérenne qui vise à compenser une certaine incapacité de travailler. C’est pourquoi son montant est plus élevé que celui du RSA.
Preuve de son caractère compensatoire, l’AAH a été retirée des discussions sur le revenu universel d’activité.
Ne plus tenir compte du revenu du conjoint dans le calcul de l’AAH, c’est donner de l’autonomie aux personnes handicapées, les autoriser à s’émanciper. Dans une société si peu adaptée au handicap, on ne peut qu’y être favorable.
Je salue le travail de la commission des affaires sociales et de son rapporteur, Philippe Mouiller, qui ont prévu un dispositif transitoire pour les perdants de cette réforme.
En effet, ne plus tenir compte des revenus familiaux, c’est également ne plus tenir compte des personnes à charge. À cet égard, il est pour le moins singulier que les administrations des ministères sociaux n’aient pas été en capacité de fournir d’éléments chiffrés permettant d’évaluer les conséquences de ces dispositions.
Le texte repousse enfin de 60 à 65 ans l’âge limite permettant de bénéficier de la prestation de compensation du handicap. Cette mesure de bon sens reprend les recommandations de l’inspection générale des affaires sociales.
Le Président de la République a fait du handicap une priorité du quinquennat, mais depuis maintenant quatre ans, si quelques mesures ont bien été prises, aucun projet d’ampleur ne nous a été soumis.
Alors qu’un million de bénéficiaires de l’AAH vivent avec 819 euros par mois, le temps n’est plus à la revalorisation, mais bien à la réforme.
Bien que ce texte soit insatisfaisant, puisqu’il y aura des perdants, le groupe Les Républicains le votera, car il constitue un premier pas vers l’individualisation et l’autonomie de la personne handicapée. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Marc Laménie. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Marc Laménie. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je serai le dernier orateur de cette discussion générale. Beaucoup de témoignages ont donc déjà été parfaitement fournis et soutenus par tous nos collègues qui se sont exprimés avant moi, mais je voudrais à mon tour souligner certains aspects de cette proposition de loi portant diverses mesures de justice sociale.
Rappelons d’abord que ce texte, adopté par l’Assemblée nationale, vise à supprimer la prise en compte des revenus du conjoint dans le calcul de l’allocation aux adultes handicapés. Vous avez rappelé, madame la secrétaire d’État, certaines dates, dont celle de la création de l’AAH, en 1975.
Nous examinons le présent texte dans un contexte très compliqué par la crise sanitaire actuelle ; le sujet est donc particulièrement sensible et réellement d’actualité.
Cette proposition de loi a été inscrite à l’ordre du jour du Sénat à la suite du succès d’une pétition déposée sur la plateforme e-pétitions selon une procédure expérimentale ouverte à tous par le président du Sénat, Gérard Larcher, depuis janvier 2020, et ce avant même que le nombre de ses signataires n’atteigne le seuil de 100 000 personnes.
Il me faut rappeler quelques chiffres, même si le volet humain est naturellement prioritaire. Les deux rapporteurs spéciaux de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » pour notre commission des finances, Arnaud Bazin et Éric Bocquet, nous le rappellent chaque année, tout particulièrement à l’occasion de l’examen de la loi de finances pour 2021. Les crédits de paiement de cette mission s’élèvent à 26,1 milliards d’euros, parmi lesquels 12,4 milliards d’euros sont consacrés au programme 304, « Inclusion sociale et protection des personnes », qui comprend la prime d’activité, et 12,5 milliards d’euros au programme 157, « Handicap et dépendance », dont relève l’AAH ; enfin, 1,2 milliard d’euros vont au programme 124, « Conduite et soutien des politiques sanitaires et sociales », et plus de 41 millions d’euros au programme 137, « Égalité entre les femmes et les hommes ». Un certain nombre de nos collègues ont insisté sur le sujet de société malheureusement très important que représentent les violences faites aux femmes.
Le partenariat entre État et départements en la matière doit être consolidé ; cela est rappelé dans le rapport de notre collègue Cécile Cukierman, fait au nom de la mission d’information « Quel rôle, quelle place et quelles compétences des départements dans les nouvelles régions fusionnées, aujourd’hui et demain ? », présidée par Arnaud Bazin.
Il convient de raisonner sur des bases équitables et de lever les points de tension qui subsistent entre l’État et les départements. Ainsi, dans mon département des Ardennes, on connaît des problèmes autour du RSA et de la compensation financière de la PCH prévue par la loi du 11 février 2005, qui visait à compenser les besoins de l’autonomie en lien avec les départements : la PCH représente un coût de 2,6 milliards d’euros.
Enfin, au budget de l’État s’ajoute le budget de la sécurité sociale, comme Philippe Mouiller l’a largement expliqué : l’autonomie et la dépendance sont à cet égard une branche qu’il convient de définir clairement.
Au vu de ces éléments, notre groupe soutiendra cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi portant diverses mesures de justice sociale
Article 1er
(Suppression maintenue)
Article 2
(Non modifié)
À la première phase du dernier alinéa de l’article L. 821-1 du code de la sécurité sociale, les mots : « est marié ou vit maritalement ou est lié par un pacte civil de solidarité et » sont supprimés.
Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Jomier, sur l’article.
M. Bernard Jomier. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je voulais dire quelques mots au moment où nous entamons l’examen des articles portant déconjugalisation du calcul de l’AAH.
Madame la secrétaire d’État, votre situation n’est pas des plus confortables, puisque vous venez discuter avec nous d’une proposition de loi qui a été adoptée par l’Assemblée nationale contre l’avis du Gouvernement. Nous nous souvenons des conditions de cette adoption, quelques jours après une polémique sur le vote de la majorité contre le prolongement du congé lié à la perte d’un enfant ; celle-ci ne voulait plus passer pour insensible aux questions d’humanité.
Aujourd’hui, vous êtes favorable au maintien de la conjugalisation de l’AAH. Ce n’est pas l’avis des associations et des collectifs de personnes en situation de handicap ; ce n’est pas non plus l’avis de vos grands partenaires que sont la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie et le Comité national consultatif des personnes handicapées (CNCPH).
Vous avancez l’idée selon laquelle 44 000 bénéficiaires de cette allocation seraient perdants. Nous voudrions savoir comment ce chiffre a été calculé : malgré un effort considérable pour centraliser les données liées au handicap, nombre d’entre elles restent aujourd’hui éclatées, à l’image des chiffres du chômage des personnes en situation de handicap, dont nous ne disposons que trop peu souvent.
M. le rapporteur vous a bien rappelé qu’un mécanisme de droit d’option suffirait à enrayer les effets négatifs de ce texte. Contrairement à ce que j’ai entendu, ce ne serait ni complexe ni discriminatoire.
En première lecture à l’Assemblée nationale, vous avanciez des arguments d’ordre idéologique, au sens tout à fait positif de ce terme, et humain : l’importance de la solidarité nationale et l’investissement sur l’emploi plutôt que l’aide sociale. Depuis lors, une année a passé, une crise sanitaire et un changement de gouvernement sont passés par là.
Aujourd’hui, nous entendons également des arguments de nature budgétaire. Certes, les personnes en situation de handicap bénéficient d’abattement, mais vous savez comme nous que tout est plus cher quand on est en situation de handicap : les études, les déplacements, la vie quotidienne, l’équipement informatique, ou encore l’immobilier. L’émancipation par le droit commun ne se limite pas au travail et à la scolarisation : c’est aussi de pouvoir vivre décemment.
Alors, madame la secrétaire d’État, lors de la Conférence nationale du handicap, en février 2020, le Président de la République a déclaré : « Ce que nous poursuivons n’est pas de ne pas s’occuper ou de moins s’occuper de ces Françaises et de ces Français, au contraire. » En voici l’occasion ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Cathy Apourceau-Poly applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Chasseing, sur l’article.
M. Daniel Chasseing. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les articles 2 et 3 affirment la solidarité nationale par rapport à la solidarité familiale en supprimant la prise en compte des revenus du conjoint pour l’obtention de l’AAH à taux plein.
Je voudrais rappeler que cette allocation a été créée en 1975 par le gouvernement de Jacques Chirac ; elle bénéficie à 1,2 million de personnes, pour un coût de 11 milliards d’euros. La prise en compte des revenus du conjoint peut entraîner, comme cela a été expliqué, une diminution importante des revenus, jusqu’à la suppression de cette allocation. C’est l’expression de la solidarité familiale, qui peut entraîner une relation de dépendance financière vis-à-vis du conjoint, ce qui est source de violence, même si celle-ci n’est pas toujours financière.
Les études réalisées montrent aussi que les modifications apportées par cette proposition de loi, dans sa version originale, peuvent créer des perdants : Mme la secrétaire d’État a affirmé que 44 000 couples en pâtiraient, voire 125 000 en cas de suppression de la majoration de plafond pour enfant à charge. Ces ménages subissent un réel préjudice.
Je voudrais donc rendre hommage à notre commission des affaires sociales et à son rapporteur, qui ont rééquilibré ce texte. Le retrait du calcul des revenus du conjoint du calcul va coûter entre 560 millions et 2 milliards d’euros, selon les projections. Je rejoins Olivier Henno : on ne pourra pas individualiser l’ensemble des prestations, du fait de la nécessité de contrôler les dettes publiques.
Il convient aussi de proposer une transition pour les bénéficiaires de l’AAH qui pourraient perdre des revenus du fait d’une déconjugalisation des prestations. Surtout, à l’article 3, la commission a rétabli le plafonnement du cumul des prestations de l’AAH avec les ressources personnelles du bénéficiaire, puisque sa suppression coûtait 20 milliards d’euros.
Je rends donc hommage à notre rapporteur Philippe Mouiller, dont le travail a produit ce texte équilibré.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 2.
(L’article 2 est adopté.)
Article 3
Le premier alinéa de l’article L. 821-3 du code de la sécurité sociale est ainsi modifié :
1° Les mots : « et, s’il y a lieu, de son conjoint, concubin ou partenaire d’un pacte civil de solidarité » sont supprimés ;
2° Les mots : « est marié, concubin ou partenaire d’un pacte civil de solidarité et » sont supprimés.
Mme la présidente. La parole est à M. Mickaël Vallet, sur l’article.
M. Mickaël Vallet. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je souhaite m’exprimer sur l’amendement que j’ai déposé afin de compléter l’article 3 de cette proposition de loi. J’entends ainsi combler une faille de ce texte, dont je soutiens par ailleurs le principe général.
Si cette proposition de loi est adoptée, elle mettra fin à une inégalité qui voyait le bénéficiaire de l’AAH dépendre des revenus de son époux pour le calcul du montant de cette allocation pendant le mariage ; c’est bien ainsi.
Néanmoins, on ne peut pas raisonner en considérant simplement l’avant, le pendant, et l’après-mariage. Il existe un autre temps encore, celui de la transition entre la séparation de fait d’époux toujours mariés en droit, mais engagés dans une procédure de divorce, et l’obtention d’un jugement de divorce définitif.
Concrètement, de quoi est-il question ? Un couple marié décide de se séparer. L’un des deux conjoints est bénéficiaire de l’AAH et a moins de revenus que l’autre ; il s’agit presque toujours, évidemment, de l’épouse. Chacun prend un logement distinct ; ils passent devant le juge pour obtenir une ordonnance de non-conciliation, situation aujourd’hui on ne peut plus fréquente.
Parmi les mesures à la disposition du juge en cas de disparité de revenus entre époux figure la pension de secours, filet de sécurité indispensable et très utilisé. Cette pension permet au conjoint percevant un moindre revenu de ne pas être dépendant des revenus de son époux pour traverser la période transitoire jusqu’au divorce dans les moins mauvaises conditions possible.
Le juge se trouve pourtant privé de la possibilité pratique d’accorder à l’épouse bénéficiaire de l’AAH la pension de secours à laquelle elle a droit, car cette pension entre dans le calcul de l’AAH, ce qui est assez ubuesque du point de vue de l’usager. L’épouse bénéficiaire de l’AAH qui divorce doit donc quasiment choisir entre demander une pension de secours et conserver son AAH, alors que cette pension et cette allocation ne remplissent pas les mêmes fonctions et sont toutes les deux indispensables.
L’adoption de l’amendement n° 4 permettrait à la proposition de loi de produire ses pleins effets pendant toute la durée du mariage. Cela permettrait à une bénéficiaire de l’AAH de ne pas dépendre de son époux dans la période allant de l’ordonnance de non-conciliation au divorce définitif, alors que cette période et les injustices qui peuvent en découler peuvent durer des années. Nous pouvons mettre fin à cette inégalité ; cet amendement le permet. Je vous remercie par avance.