Mme la présidente. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge.
Mme Raymonde Poncet Monge. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, exigence ancienne des personnes en situation de handicap et des associations, la déconjugalisation de l’allocation aux adultes handicapés marquerait une étape essentielle de l’individualisation de cette prestation.
Pour bien en comprendre le sens, il faut replacer cette allocation au sein d’un ensemble plus vaste et cohérent assurant à la personne en situation de handicap sa place au sein d’une société solidaire, émancipatrice et inclusive.
La question de la garantie de ressources spécifique à la situation de handicap se pose pour autant que la loi de 2005 s’applique avec ampleur. Or, actuellement, la situation de handicap est encore aggravée par la non-adaptation de l’environnement et la baisse des objectifs d’accessibilité au sens large – le bâti, l’école inclusive, l’entreprise, etc. –, facteurs d’inégalités et de discriminations.
L’AAH ne saurait donc compenser la lenteur d’application de la loi de 2005, qui confine les personnes dans un schéma de précarité et d’exclusion – pourtant, rien n’est inscrit, sur ce champ, dans le plan de relance. Elle ne saurait non plus pallier l’insuffisance des actions spécifiques d’accompagnement vers l’emploi de la personne en situation de handicap.
Il faut donc tout faire pour réduire les répercussions du handicap et ouvrir des perspectives aux personnes concernées – c’est un préalable à la question du revenu.
L’AAH est attachée à l’adulte et liée à la période de l’activité. Il s’agit alors de garantir un complément de ressources dû à la part non réductible à un moment donné de la difficulté spécifique à exercer une activité et d’en retirer un revenu minimal en complément d’autres ressources personnelles. Ce complément, comme les revenus de l’activité des personnes dites « valides », doit bien être pensé comme propre à la personne en situation de handicap.
La personne se voit garantir in fine un niveau de revenu d’existence assurant une relative autonomie financière. C’est une allocation individualisée et non universelle, puisque conditionnée à sa situation, actant une situation de restriction à l’emploi qualifiée de durable, ce qui implique d’en défendre la permanence, quels que soient les choix de vie.
Ce revenu doit rester attaché à la personne pour lui assurer une sécurité financière pérenne et lui permettre, en cas de vie maritale, de participer aux revenus du ménage à hauteur de sa situation et de ne pas être à la charge d’une autre personne physique.
Car, à l’inverse de la solidarité nationale, qui rétablit l’égalité des citoyens par son action, la solidarité familiale maintient dans ce cas la dépendance et l’asymétrie, génère au mieux de la dette symbolique, quelquefois un sentiment d’indignité, et crée un espace propice aux violences physiques ou psychologiques sur la personne, notamment la femme, déjà vulnérable du fait de son handicap.
Le mouvement vers l’individualisation de cette allocation devra d’ailleurs se poursuivre par la défamiliarisation, car il s’agit d’asseoir un droit durable et sécurisé.
Concernant le recul de l’âge ouvrant droit à la prestation de compensation du handicap, deux systèmes de compensation des incapacités et de la perte d’autonomie coexistent actuellement : l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) dès 60 ans et la PCH pour les adultes et les enfants jusqu’à 20 ans – il faudrait d’ailleurs abaisser ce seuil à 18 ans.
L’inégalité de traitement en défaveur de l’APA explique la demande de recul à 65 ans de l’accès à la PCH que nous soutenons en attente de la convergence vers une prestation unique d’autonomie répondant aux besoins de compensation de la perte d’autonomie, et ce quels que soient l’âge et la cause de sa survenue. Une telle mesure participerait du changement de regard sur le handicap et l’âge et favoriserait le « faire ensemble société ».
Les écologistes réfléchissent à la question du revenu universel d’existence et l’individualisation de l’AAH préfigure une avancée concrète vers la promotion de l’autonomie de l’individu dans une société solidaire, comme le recul du seuil d’âge pour la PCH fait reculer la discrimination par l’âge.
Comme souvent, en adoptant des lois pour les personnes en situation de handicap ou de vulnérabilité, c’est la société tout entière qui avance. En conséquence, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST et sur des travées du groupe SER. – Mme Nassimah Dindar applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Xavier Iacovelli.
M. Xavier Iacovelli. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, avant d’entamer mon propos, permettez-moi de saluer la plateforme de pétition du Sénat : une pétition ainsi déposée, qui a recueilli plus de 100 000 signatures, nous amène aujourd’hui à examiner ce texte.
Nous débattons d’un sujet majeur, celui de l’accompagnement des personnes en situation de handicap vers l’autonomie. Tendre vers une société plus inclusive est une priorité absolue. Les 51 milliards d’euros qui y sont consacrés chaque année, soit 2,2 % du PIB, le démontrent.
L’allocation aux adultes handicapés représente à elle seule 11 milliards d’euros en 2020. La France, à ce titre, fait figure d’exception, puisque très peu de pays au monde sont dotés d’un système de prestation du même type.
Je veux également souligner l’action du Gouvernement en la matière, qui se traduit notamment par l’augmentation de 100 euros par mois de l’AAH pour 1,2 million de bénéficiaires, ce qui représente une augmentation de pouvoir d’achat de près de 12 % – ce n’était pas arrivé depuis près de onze ans.
Le texte que nous examinons propose, dans sa version transmise à notre assemblée, de supprimer la prise en compte des revenus du conjoint dans le calcul de l’allocation aux adultes handicapés, ainsi que la majoration de son plafonnement, et de reporter la barrière d’âge de 60 ans pour solliciter le bénéfice de la prestation de compensation du handicap.
En supprimant initialement la notion de plafond et en enlevant les ressources du partenaire, l’adoption de la proposition de loi aurait entraîné 20 milliards d’euros de dépenses nouvelles.
Sur la proposition de son rapporteur, la commission a réintégré la notion de plafond, abaissant ce coût à 560 millions d’euros.
Afin d’éviter que cette proposition de loi ne crée des foyers défavorisés, il conviendrait d’aligner le plafond pour une personne isolée sur celui d’un couple, ce qui représenterait en réalité une dépense totale de plus de 2 milliards d’euros.
Il s’agit d’une dépense conséquente, compte tenu de la situation économique actuelle et des efforts consentis par la Nation pour protéger nos concitoyens et les secteurs les plus impactés par la crise sanitaire.
Le mécanisme transitoire défini à l’article 3 bis fait suite à un amendement du rapporteur jugé, de manière assez surprenante, je dois l’avouer, recevable financièrement malgré un coût de plusieurs centaines de millions d’euros. Ce mécanisme créerait une inégalité entre des allocataires qui continueraient à bénéficier de l’AAH et d’autres qui, postérieurement à l’entrée en vigueur de la proposition de loi, n’y seraient plus éligibles, alors même que leur situation serait identique. Une telle mesure nous semble aller à l’encontre de nos règles constitutionnelles, notamment l’égalité des droits.
Plus largement encore, bien que nous partagions l’objectif de mieux accompagner et soutenir les personnes en situation de handicap, les mesures prévues par cette proposition de loi comportent un certain nombre de difficultés.
Ainsi, l’AAH vise à assurer des conditions de vie dignes aux personnes en situation de handicap dont les ressources sont les plus faibles. Elle est donc conçue comme un minimum social pour permettre à nos concitoyens d’avoir un revenu décent pour vivre, en complément d’autres sources de revenus éventuelles.
À cet égard, la fixation d’un montant plus élevé pour l’AAH que pour le RSA socle ainsi que les abattements fiscaux correspondent bien à la prise en compte de la spécificité du handicap, et non à une logique de compensation.
Or la proposition de loi opère de fait un changement de cap sur la nature même de l’AAH et remet plus généralement en cause l’un des piliers de notre politique familiale.
Rappelons que la solidarité nationale, qui s’appuie sur la solidarité conjugale, n’est pas une spécificité de l’AAH, mais concerne tous les minima sociaux en vertu des obligations entre époux.
Ainsi, l’AAH repose sur les principes d’équité et de partage des charges entre les membres du foyer, contrairement aux prestations universelles.
Avec la déconjugalisation de l’AAH, nous risquons d’ouvrir la brèche pour d’autres minima sociaux et de modifier profondément notre solidarité familiale. Que deviendraient le quotient familial ou les demi-parts ? Quid du RSA ? À cet égard, rappelons que le coût d’individualisation totale du RSA avait été estimé à près de 9 milliards d’euros en 2016.
Déconjugaliser l’AAH aggraverait les inégalités sociales, puisque la réforme compterait, en l’état, des perdants parmi les ménages les plus modestes et des gagnants parmi les ménages les plus aisés. Si cette proposition de loi se veut un étendard pour le soutien aux personnes dans les situations les plus difficiles, la réalité n’est pas si claire.
Je prendrai deux exemples pour illustrer ce propos.
Tout d’abord, un allocataire qui travaille et est payé à hauteur de 0,5 SMIC et dont le conjoint est lui-même rémunéré à hauteur de 2 SMIC bénéficierait d’un gain net allant de 320 à 720 euros.
A contrario, l’individualisation totale de la prestation serait défavorable pour les couples dont l’allocataire AAH est aujourd’hui le seul à percevoir un revenu d’activité – le manque à gagner pourrait aller jusqu’à 550 euros pour un allocataire au SMIC.
Au total, ce sont 44 000 bénéficiaires qui travaillent et sont en couple avec un conjoint dont les revenus sont modestes ou inexistants, qui verraient leur allocation diminuer. Le fait de travailler défavoriserait donc certains bénéficiaires, à l’inverse de la mission initiale de l’AAH.
Enfin, l’article 4 de la proposition de loi prévoit de relever l’âge maximum pour bénéficier de la prestation de compensation du handicap de 60 ans à au moins 65 ans. Mes chers collègues, ce dispositif n’est pas anodin pour les finances de nos départements : l’État ne compensant qu’à hauteur de 30 % à 40 % les dépenses liées à cette prestation, une telle mesure, bien qu’intéressante sur le fond, nécessite une concertation et une coconstruction avec les départements, ce qui dépasse largement le cadre contraint d’une proposition de loi.
Cet âge limite ajouterait même un poids administratif pour les départements par le basculement des bénéficiaires de l’APA vers la PCH et une complexité pour les usagers et leurs aidants, comme cela a été rappelé par la direction générale de la cohésion sociale.
C’est pourquoi nous avons déposé un amendement pour privilégier une réévaluation de cet âge tous les cinq ans, par décret, en tenant compte des évolutions démographiques et des besoins de nos concitoyens en situation de handicap et après concertation avec les départements – cette concertation est nécessaire, je le répète. Le gestionnaire resterait ainsi au cœur du processus visant à modifier l’âge limite.
Soutenir les personnes en situation de handicap et leur apporter les moyens de parvenir à l’autonomie sont des points centraux qui ne doivent toutefois pas remettre en cause l’un des piliers de notre politique familiale. Cela ne doit pas non plus créer de nouvelles inégalités ni exclure les départements du pouvoir décisionnaire, en alourdissant leurs charges financières.
Pour toutes les raisons que je viens d’invoquer, la majorité du groupe RDPI votera, en responsabilité, contre ce texte.
Mme la présidente. La parole est à Mme Maryse Carrère. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme Maryse Carrère. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, l’examen de la proposition de loi portant diverses mesures de justice sociale tient particulièrement à cœur au groupe RDSE, et ce pour plusieurs raisons. Je remercie d’ailleurs la commission des affaires sociales de s’être saisie de ce sujet.
Cette proposition de loi est d’abord la preuve de la possibilité pour nous, parlementaires, de travailler ensemble à des solutions de bon sens, plus justes et qui changent considérablement le quotidien de nos concitoyens.
Son examen est également la reconnaissance du travail parlementaire et de son utilité, chose rare dans une période où le règlement des assemblées et les législations par ordonnances tendent à privilégier l’initiative gouvernementale.
Elle nous permet de traiter de la question de l’autonomie et de la dépendance, phénomènes qui peuvent frapper chacun de nous à tout âge.
Je souhaite aussi saluer la présence en tribune de ma collègue bigourdane Jeanine Dubié ; son travail et son engagement de long terme sur les questions de justice sociale nous permettent aujourd’hui d’examiner cette proposition de loi portée par son groupe à l’Assemblée nationale et je l’en remercie.
À l’heure de la crise sociale, économique et sanitaire que nous connaissons, il n’y a jamais trop de justice sociale, jamais trop de redistribution, car les premiers frappés sont toujours les mêmes : les plus fragiles d’entre nous. C’est toujours à eux que nous demandons le plus d’efforts. Ce sont ceux qui sont le plus souvent pointés du doigt ou sur qui nous faisons reposer les maux d’une société malade de manière chronique.
À ce titre, je regrette que le Gouvernement n’ait pas donné un avis favorable à ce texte, préférant renvoyer ce débat à une future loi Grand Âge et autonomie.
Cette proposition de loi, telle qu’adoptée par nos collègues de l’Assemblée nationale, vient d’abord désolidariser les revenus du conjoint dans le calcul de l’AAH.
Les articles 2 et 3 viennent ainsi répondre à une inégalité qui frappe les bénéficiaires de l’AAH selon leur situation maritale, prévoyant une plus faible indemnité pour les bénéficiaires selon qu’ils sont mariés, conjoints, concubins ou pacsés.
L’objectif est clair : mettre fin au lien de dépendance financière entre le bénéficiaire de l’AAH et son conjoint et réaffirmer un principe fondamental, celui de la primauté de la solidarité nationale sur la solidarité familiale.
Il s’agit bien ici de rappeler que l’AAH est non pas un minimum social, mais bel et bien une prestation à affectation spéciale, comme cela a été rappelé lors de la Conférence nationale du handicap, le 11 février 2020, le Président de la République ayant annoncé ne pas vouloir l’inclure dans le futur revenu universel d’activité.
Les amendements adoptés en commission, qui permettent, d’une part, de rétablir le plafonnement en supprimant les revenus du conjoint de l’assiette et, d’autre part, de prendre en compte les 44 000 perdants de la déconjugalisation de l’AAH, ont tout notre soutien.
Si cette prestation vient aussi assurer un revenu aux personnes ne pouvant travailler du fait de leur handicap ou d’une maladie chronique, la PCH est d’une tout autre nature. Elle permet de financer différentes aides humaines, techniques ou encore relatives au cadre de vie afin de compenser une perte d’autonomie.
La persistance des limites d’âge, c’est-à-dire 60 ans pour l’âge avant lequel doit être survenu le handicap, et de 75 ans pour que la prestation puisse être demandée, venait limiter l’octroi de cette aide pourtant nécessaire. Ces limites étaient devenues un non-sens. À une période où l’on vit mieux et plus longtemps, le fait de lier le handicap à la vieillesse perd de plus en plus sa justification.
La proposition de loi initiale mettait également en exergue la question du reste à charge des résidents en Ehpad, encore bien trop élevé pour nombre de familles. Si le maintien à domicile est aujourd’hui privilégié, j’espère que nous aurons très vite l’occasion, madame la secrétaire d’État, de débattre de ces sujets, et que vous pourrez nous apporter des réponses sur le calendrier du projet de loi Grand Âge et autonomie, que nous guettons avec impatience.
En attendant les contours de ce texte, le groupe RDSE votera cette proposition de loi. Elle représente une avancée sociale pour de nombreux Français frappés par la perte d’autonomie et la dépendance, qui bénéficieront de la solidarité nationale pleine et entière. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – Mmes Nassimah Dindar et Élisabeth Doineau applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, notre groupe se félicite de pouvoir de nouveau débattre sur l’individualisation de l’allocation aux adultes handicapés.
En effet, notre groupe avait porté, en 2018, une proposition de loi visant à ne plus tenir compte des revenus du conjoint dans le calcul de l’AAH. Cette proposition reprenait la revendication des associations de personnes en situation de handicap visant à mettre fin à l’injustice vécue par les couples qui perdent le bénéfice de l’AAH ou voient leur montant diminuer en cas de mariage.
Ce que l’on a appelé « le prix de l’amour » n’est pas acceptable, car il rend des personnes dépendantes économiquement de leur conjoint. Cette dépendance économique est d’autant plus grave s’agissant des femmes en situation de handicap, qui sont plus souvent victimes de violences conjugales.
C’est d’ailleurs le sens du rapport de la Défenseure des droits sur l’AAH : « Les personnes handicapées doivent pouvoir être indépendantes financièrement : il faut donc exclure les ressources du conjoint pour l’attribution des allocations accordées au titre du handicap. »
Permettez-moi de faire un bref rappel historique et de saluer notre collègue députée communiste, Marie-George Buffet, qui a déposé cette proposition en, mars 2018, avec un soutien allant des députés de la France insoumise jusqu’au groupe Les Républicains, en passant par l’UDI, le Modem le PS et certains députés LREM.
Ce soutien a malheureusement été brisé par la droite sénatoriale lorsqu’elle a rejeté notre proposition de suppression de la prise en compte des revenus du conjoint dans la base de calcul de l’allocation aux adultes handicapés, en prétextant la nécessité d’une refonte globale des aides pour la compensation du handicap.
La proposition de loi du groupe Libertés et Territoires adoptée en décembre 2019 pour supprimer la prise en compte des revenus du conjoint dans le calcul de l’AAH étant restée lettre morte au Sénat, il aura fallu la mobilisation de milliers de personnes pour remettre l’ouvrage sur le métier.
Ainsi, la pétition de Mme Véronique Marie-Bernadette Tixier, déposée sur le site internet du Sénat, a reçu le soutien de plus de 100 000 personnes. C’est d’autant plus remarquable que les autres pétitions du site du Sénat plafonnent généralement autour de 200 signatures. C’est bien le signe d’un soutien large et profond en faveur de ce sujet.
Je voudrais saluer le changement de position de la droite sénatoriale, qui soutient désormais le principe de l’individualisation de l’AAH. Il s’agit d’une avancée importante pour les familles et les associations. Nous espérons désormais que le consensus politique autour de ce principe fera changer le Gouvernement d’attitude.
L’objectif de l’individualisation des revenus n’est pas une question d’économies ou de cohérence du système d’allocations familiales. Il s’agit plutôt d’envoyer un message fort aux personnes en situation de handicap pour leur montrer que l’on se soucie de leurs conditions d’existence et de leur dignité.
Le Gouvernement refusait l’individualisation en invoquant le nombre trop important de perdants avec le changement de mode de calcul. La suppression des revenus du conjoint dans le calcul de l’AAH va pourtant bénéficier à 196 000 ménages, soit 67 % de l’ensemble des couples bénéficiaires de cette allocation.
Il est dommage que, sur la réforme de l’assurance chômage, le Gouvernement ne suive pas le même raisonnement, alors que le nombre de perdants est estimé autour de 1 million.
Pourtant des solutions existent, comme celle que propose le rapporteur Philippe Mouiller, avec un mécanisme transitoire sur dix ans, qui permet aux couples qui le souhaiteraient de maintenir le système actuel en prenant en compte les revenus du conjoint.
Notre seul regret est que la majorité sénatoriale n’ait pas proposé en 2018 ce mécanisme transitoire pour éviter de faire perdre 3 ans aux nombreuses personnes en situation de handicap.
C’est désormais au Gouvernement de prendre ses responsabilités en adoptant les mesures qui s’imposent : individualiser l’AAH ; revaloriser le montant des prestations et supprimer les barrières d’âge de la PCH.
À moyen terme, nous refusons le transfert de l’AAH vers la cinquième branche de la Sécurité sociale, car nous estimons qu’elle doit être intégrée au régime général de l’assurance maladie au titre de revenu de remplacement, à l’instar de la pension d’invalidité.
En attendant, le groupe CRCE votera en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER.)
Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Henno. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Olivier Henno. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, dans son dernier essai, devenu célèbre, Indignez-vous !, Stéphane Hessel écrit à propos de notre solidarité nationale : « Il nous appartient de veiller tous ensemble à ce que notre société reste une société dont nous soyons fiers. » Je trouvais cette citation fort à propos pour introduire notre échange sur cette proposition de loi portant diverses mesures de justice sociale. Elle nous rappelle l’importance de revisiter notre système de protection sociale à la française en travaillant au quotidien à son amélioration et à sa modernisation.
Cette proposition contient deux mesures symboliques très fortes : déconjugalisation de l’AAH et relèvement de 60 ans à 65 ans de la barrière d’âge pour solliciter la PCH.
Avant mon arrivée dans cette Haute Assemblée, j’ai été pendant plusieurs années vice-président du conseil départemental du Nord, en charge de l’insertion. J’ai aussi mené pendant plusieurs mois une mission d’information et d’évaluation de la maison départementale des personnes handicapées du Nord. Ayant ainsi travaillé au quotidien sur nos politiques en faveur de l’insertion des personnes handicapées, je sais l’attente de nos concitoyens les plus fragiles et les plus vulnérables à l’égard des dispositions en débat aujourd’hui. Le succès de la pétition en ligne sur le site du Sénat en témoigne. À ce sujet, je veux d’ailleurs, au nom du groupe UC, saluer cette initiative du président Larcher.
Mes chers collègues, lors de notre débat sur la loi de bioéthique, nous nous sommes arrêtés sur ce principe de vulnérabilité. C’est l’honneur de nos sociétés humanistes d’être attentives aux plus vulnérables d’entre nous. Aussi, notre groupe souhaite saluer non seulement le travail de notre rapporteur, Philippe Mouiller, sur ce texte, mais, plus largement, son engagement au service de cette noble cause de l’autonomie – j’y insiste – des personnes handicapées.
Nous voterons ce texte, car les intentions portées par notre rapporteur nous semblent empreintes d’une légitimité solide, mais nous voulons aussi parallèlement aborder les questions de portée plus générale ou les débats qui sont ouverts par ce vote à venir.
Il existe une puissante revendication d’autonomie financière individuelle dans nos sociétés. Cette demande d’individualisation des prestations sociales trouve son inspiration initiale dans les pays d’Europe du Nord, de culture scandinave. Cette revendication ne date pas d’hier. Elle est inspirée par Beveridge et le principe d’universalité. Il n’est pas surprenant que nous abordions ce débat très intéressant par l’AAH, car cette allocation est une prestation d’assistance particulière qui se situe, comme Laurent Vachey l’a précisé dans son rapport, à mi-chemin entre un revenu minimum catégoriel et une prestation compensant l’éloignement de l’emploi, versée comme un substitut de salaire.
Loin d’être anodine, la déconjugalisation de l’AAH pose la question de l’individualisation ou de la familiarisation de notre système de protection sociale. Ce débat ne concerne pas que l’AAH, tant s’en faut. Il porte aussi sur les aides sociales versées aux jeunes, par exemple. Pour notre part, nous sommes favorables à l’individualisation dans le cas visé par la proposition de loi que nous examinons ce jour, mais cela ne veut pas dire que nous sommes pour l’individualisation de toutes nos prestations sociales.
À ce jour, notre système de protection sociale repose sur la contributivité et non pas sur l’individualisation des cotisations et des prestations. C’est sur ces principes que notre modèle social s’est construit à la Libération. Comprenons-nous bien, il ne s’agit pas de nier cette évolution plus individualiste, qui traverse tous les milieux sociaux et vient se croiser avec les expériences familiales de conjugalité, de rupture des individus. Elle vaut pour la population dans son ensemble et donc aussi, évidemment, pour les couples dont au moins l’une des personnes est en situation de handicap. C’est le rôle du législateur d’entendre et de comprendre cette évolution.
Je souhaiterais par ailleurs évoquer plus précisément une situation qui nous tient particulièrement à cœur, celle des femmes en situation de handicap. Au lendemain de la journée consacrée aux droits des femmes – j’en profite pour saluer Annick Billon, présidente de la délégation du Sénat aux droits des femmes –, force est de constater qu’il existe une aspiration à l’indépendance financière individuelle propre aux plus jeunes générations de femmes. C’est par parfaitement légitime. Cette aspiration est particulièrement importante, car elle peut permettre à une femme en situation de handicap d’échapper à son conjoint violent ou de faire face à des difficultés d’insertion sociale.
J’ai été particulièrement marqué par un chiffre que j’ai lu dans le rapport de notre collègue Philippe Mouiller : d’après l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne, 34 % des femmes handicapées ont subi des violences physiques ou sexuelles de la part de leur partenaire, contre 19 % – un chiffre déjà considérable – des femmes qui ne sont pas en situation de handicap. C’est une situation insupportable. Ces chiffres effrayants, bouleversants, nous interrogent d’ailleurs, mes chers collègues, sur notre condition masculine.
Bien sûr, nous n’y mettrons pas fin en déconjugalisant le calcul de l’AAH, mais, si cela permet déjà à quelques femmes de prendre leur indépendance, il s’agit d’une victoire.
Je le répète, notre groupe est favorable à cette proposition de loi, mais nous souhaitons interpeller cette assemblée sur d’éventuels risques d’effets en cascade et les prévenir. Nous voulons aussi réaffirmer notre attachement à la solidarité familiale et donc mettre en garde contre les risques qu’engendrerait une défamiliarisation généralisée de notre système de protection sociale. Nous ne le voulons pas !
Enfin, j’aborderai la question, peu évoquée jusque-là, de la dépense publique et de la dette publique. Je le réaffirme avec gravité et une grande clarté : l’argent public dans notre pays ne provient pas d’un robinet que nous pouvons ouvrir sans compter et sans en mesurer clairement l’impact à long terme. Selon une étude de la Direction de la recherche, des études, des évaluations et des statistiques, la mesure votée par l’Assemblée nationale aurait, en l’état, un coût de 20 milliards d’euros pour nos dépenses publiques. Par parenthèse, je trouve problématique que nos collègues députés aient voté un texte sans en mesurer précisément l’impact financier. Ce constat vaut d’ailleurs pour beaucoup de proposition de loi ou de projets de loi.
Le Gouvernement a annoncé la semaine dernière que le déficit public devrait être de 10 % du PIB en 2021. Ce sont plusieurs dizaines de milliards d’euros de dettes que nous allons transmettre aux générations futures. Si nous voulons éviter de sacrifier celles-ci, nous devons prendre en compte cette question de la dette publique et veiller au niveau de dépenses.
Je tiens donc à saluer d’autant plus fermement la décision de modification de l’article 3, lequel encadre le principe de plafond du cumul de la prestation avec les ressources personnelles du bénéficiaire, décision que nous devons à l’esprit de responsabilité de notre rapporteur, qui a réussi à circonscrire cette déconjugalisation de l’AAH.
Le groupe Union Centriste se félicite enfin du report de 60 ans à 65 ans de la barrière d’âge au-delà de laquelle il n’est, sauf exception, plus possible de solliciter la PCH.
Cette proposition de loi arrivant quelques mois après la création de la cinquième branche nous aura permis d’échanger sur la situation de nos compatriotes les plus fragiles qui vivent une situation de handicap. Je pense que nous devrons saisir à l’avenir l’occasion offerte par cette nouvelle branche pour mener un véritable travail de fond d’évaluation de nos politiques à destination des publics porteurs de handicap, en abordant aussi courageusement la question de leur financement.
Nos collectivités, notamment les départements, font un travail formidable sur ces questions. Cependant, ils ne disposent pas toujours des moyens financiers et des libertés nécessaires pour agir. Donnons-nous rapidement l’ambition de travailler avec eux à la mise en place d’un nouveau cap pour nos politiques en faveur du handicap.
Le groupe Union Centriste votera en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe UC – MM. Pascal Allizard et Yves Bouloux applaudissent également.)