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Rappel au règlement
Mme le président. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour un rappel au règlement.
M. Jean Louis Masson. Madame la présidente, je tiens à faire une mise au point en tant que délégué de la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.
Je rappelle que la loi organique et le règlement du Sénat prévoient que, lors des scrutins publics, chaque sénateur ne peut disposer que d’une procuration et d’une seule. Or le Sénat a mis en place un système de vote électronique qui ne respecte ni la loi organique, ni l’esprit de l’article 27 de la Constitution, ni son propre règlement dans la mesure où un sénateur peut voter pour plus de cent ou de cent cinquante de ses collègues.
C’est là l’origine du problème que nous avons rencontré comme sénateurs non inscrits, car nous ne sommes que trois.
Je l’ai déjà relevé il y a quelques années : ce système qui viole délibérément les obligations de la loi organique est indigne du Sénat. Nous sommes là pour voter la loi et a priori pour la respecter. Or nous ne la respectons pas, personne ne peut prétendre le contraire !
Tous les textes indiquent que les procurations au Parlement doivent fonctionner ainsi. C’est d’ailleurs maintenant le cas à l’Assemblée nationale : chaque votant ne dispose que d’une procuration et ne peut pas voter pour l’ensemble des membres de son groupe, et tout se passe bien.
Nous avons été victimes de ce système. C’est la raison pour laquelle j’ai été contraint de faire une mise au point ce matin et Mme Herzog vient d’en présenter une également.
Je souhaite très vivement que le Sénat se décide à sortir de cet entre-soi dans lequel on s’entend entre copains et où, l’air de rien, on fait mine de ne pas voir que certains collègues votent pour cent autres sénateurs. Ce n’est pas normal et ce n’est pas digne d’une assemblée parlementaire !
Mme le président. Acte vous est donné de ce rappel au règlement, mon cher collègue.
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Candidatures à des commissions
Mme le président. J’informe le Sénat que des candidatures pour siéger au sein de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, de la commission des finances et de la commission des affaires européennes ont été publiées. Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
Mes chers collègues, l’ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures quarante, est reprise à quatorze heures trente-cinq, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
M. le président. La séance est reprise.
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Allocution de M. le président du Sénat
M. le président. Monsieur le ministre, mes chers collègues, je crois nécessaire, alors que le processus d’élaboration des lois suscite de nombreuses questions, de rappeler solennellement quelques-uns des principes de notre République.
La Constitution du 4 octobre 1958 dispose, à l’article 24, que « le Parlement vote la loi », à l’article 44, que « les membres du Parlement […] ont le droit d’amendement » et, à l’article 45, que « tout projet ou proposition de loi est examiné successivement dans les deux Assemblées […] en vue de l’adoption d’un texte identique ». Le pouvoir législatif appartient donc au Parlement et à lui seul. (Applaudissements nourris sur toutes les travées, à l’exception de celles du groupe RDPI.)
Aucune commission, aucun comité d’experts dépourvu de légitimité démocratique n’est habilité à réécrire un texte de loi en cours de navette. C’est le rôle du seul Parlement d’amender les textes de loi qui lui sont soumis, par l’exercice du droit d’amendement, lequel appartient à chacun d’entre vous, comme parlementaire.
Mme Éliane Assassi. Bien !
M. le président. Le Parlement est composé de deux assemblées qui détiennent exactement les mêmes prérogatives dans l’initiative et l’élaboration de la loi, l’Assemblée nationale ne pouvant statuer définitivement qu’après échec éventuel de la commission mixte paritaire et une nouvelle lecture dans chaque assemblée.
Je dois donc rappeler aux groupes de la majorité de l’Assemblée nationale que la proposition de loi dont ils souhaitent travailler à la réécriture partielle a été transmise au Sénat depuis le mardi 24 novembre dernier, après que les députés l’ont adoptée. Il revient donc au Sénat, et à lui seul, de l’examiner et de réécrire, si cela se révélait nécessaire, une ou plusieurs de ses dispositions.
Après l’examen du texte par le Sénat, il reviendra alors au Gouvernement de convoquer une commission mixte paritaire ou de décider la poursuite de la navette parlementaire en prévoyant une deuxième lecture dans chaque assemblée, ce qui ne me paraît jamais inutile, s’agissant de textes complexes. (M. Jean-Pierre Sueur applaudit.)
Tout cela s’appelle le bicamérisme ! (Applaudissements nourris sur toutes les travées, à l’exception de celles du groupe RDPI.)
La situation démontre une fois de plus qu’avoir deux chambres est un atout, dans une démocratie.
M. Fabien Gay. Bien sûr !
M. le président. C’est d’autant plus heureux qu’il existe au Sénat une longue tradition d’équilibre entre la protection de nos concitoyens et le respect des libertés publiques.
L’urgence est donc de revenir, dans les mots et dans les faits, à un fonctionnement normal de nos institutions et de respecter, tout simplement, les procédures constitutionnelles.
Voilà ce que je voulais dire solennellement en ce début de séance. (Bravo ! sur les travées du groupe Les Républicains. – Applaudissements nourris sur toutes les travées, à l’exception de celles du groupe RDPI. – Mmes et MM. les sénateurs du groupe Les Républicains, puis des groupes UC, RDSE, INDEP, SER et CRCE se lèvent et les applaudissements se prolongent.)
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Loi de finances pour 2021
Suite de la discussion d’un projet de loi
M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi de finances, adopté par l’Assemblée nationale, pour 2021 (projet n° 137, rapport n° 138, avis nos 139 à 144).
Nous poursuivons l’examen, au sein de la seconde partie du projet de loi de finances, des différentes missions.
SECONDE PARTIE (suite)
MOYENS DES POLITIQUES PUBLIQUES ET DISPOSITIONS SPÉCIALES
Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales
Compte d’affectation spéciale : développement agricole et rural
M. le président. Le Sénat va examiner les crédits de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » et du compte d’affectation spéciale « Développement agricole et rural ».
Je remercie Mme Valérie Létard de prendre ma place pour présider la suite de la séance.
(Mme Valérie Létard remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE Mme Valérie Létard
vice-présidente
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Vincent Segouin, rapporteur spécial de la commission des finances. Monsieur le ministre, j’ai apprécié de vous entendre dire qu’il revenait aux politiques de définir le budget, et non l’inverse. Cependant, je ne vous cache pas ma déception de n’être pas parvenu à distinguer de ligne claire à la lecture de votre budget. Je ne désespère toutefois pas de nos échanges à ce sujet tout au long de l’après-midi.
Monsieur le ministre, la « ferme France » va mal, je ne vous apprends rien. On constate une baisse générale de la production et des volumes, une baisse significative de la valeur ainsi qu’une baisse des effectifs, tant chez les exploitants que chez les salariés.
Sans les aides de la politique agricole commune (PAC) et de l’État, un agriculteur sur deux n’aurait pas de revenus. On peut donc s’interroger sur la logique et sur la pérennité du système. Les revenus des exploitants agricoles sont trop faibles pour le risque qu’ils prennent et le capital qu’ils investissent.
De plus, en dehors des problèmes de fonctionnement, ces faibles revenus emportent des conséquences sur la vitalité des exploitations à long terme, dans la mesure où leur reprise est rendue de plus en plus compliquée. Les enfants des agriculteurs, qui reprenaient traditionnellement l’exploitation familiale, sont aujourd’hui réticents à le faire, parce que ces entreprises manquent de perspectives réelles.
Comment en sommes-nous arrivés là ? Comme chaque année, nous perdons des parts de marché à l’international ; quand nous observons notre balance commerciale, nous constatons qu’elle était excédentaire de 12,5 milliards d’euros en 2011, qu’elle est passée à 6,4 milliards d’euros en 2017 et que ses perspectives pour 2023 sont quasi nulles.
À l’analyse de ces résultats, le Trésor conclut que la perte de compétitivité en est la principale cause. Celle-ci est liée à trois motifs essentiels : d’abord, le coût de la main-d’œuvre, point sur lequel vous avez répondu en remettant en place la procédure travailleurs occasionnels-demandeurs d’emploi (TO-DE) ; ensuite, les charges de production, comme l’alimentation animale, les produits phytosanitaires ou l’augmentation des prix de l’énergie ; enfin, la folie des surtranspositions – j’y insiste ! –, qui vise à supprimer des techniques ou à imposer des normes toujours plus contraignantes, sans calcul d’impact sur les revenus de nos exploitants comme de nos transformateurs.
Comme vous, monsieur le ministre, je ne comprends pas que l’on oppose des modèles différents. Je suis convaincu que la qualité a un prix et que les filières AOP, pour appellation d’origine protégée, ou bio ont aussi leur place. Ces dernières ne pourront toutefois pas satisfaire tous les consommateurs, nous en sommes conscients.
Imposer toujours plus de contraintes à notre agriculture conventionnelle sans augmenter les prix de vente, en raison de la pression des cours mondiaux ou de contrats de type Mercosur, condamnera nos agriculteurs. Les consommateurs sont-ils pour autant prêts à payer plus cher et à perdre du pouvoir d’achat ? Je n’en suis pas certain. L’agriculture conventionnelle a donc toute sa place et je reste persuadé qu’elle est beaucoup plus qualitative que celle que l’on importe et que l’on ne contrôle pas.
Monsieur le ministre, j’attends que vous apportiez des réponses précises à ces questions et que vous indiquiez de véritables orientations.
Revenons au budget, qui est, je le rappelle, financé par l’Union européenne et par la France. Alors que vous êtes en pleine négociation sur la PAC, vous nous avez indiqué vouloir suivre la période passée, mais je vous rappelle que nous avons supporté des corrections européennes considérables, nous avons fait subir aux agriculteurs des retards de paiement de leurs subventions, nous avons été obligés de transférer des fonds vers le Fonds européen agricole pour le développement rural, ou Feader, en les prenant sur le premier pilier.
Nous n’avons pas traité le problème de l’installation. Nous demeurons sans réponse structurée à la question très grave des aléas de toutes sortes qui insécurisent nos agriculteurs. Pendant ce temps, nous avons élevé nos exigences environnementales sans nous en donner les moyens. Tout cela se trouve au cœur de notre discussion budgétaire et nous aurons l’occasion d’y revenir.
Les agriculteurs sont satisfaits du retour à des paiements à meilleure date, ce dont nous vous donnons acte. Toutefois, je dois confesser n’être pas tout à fait sûr que les conditions dans lesquelles ont été engagés des crédits au cours de la période allant de juin 2019 à juin 2020, avec des engagements massifs, nous garantissent contre de futures déconvenues.
Nous avons parlé des corrections financières européennes, j’ai aussi en tête les désengagements considérables d’autorisations d’engagement intervenues ces dernières années.
Pour le reste, nous l’avons dit, votre budget pour 2021 n’est pas innovant : moins d’indemnités compensatoires de handicaps naturels (ICHN), moins de plans de compétitivité et d’adaptation des exploitations agricoles (PCAE), moins de soutiens à l’installation, moins de mesures agroenvironnementales et climatiques (MAEC), moins d’aides au bio dans le programme 149 et toujours une budgétisation pour aléas qui suscite la perplexité et diminue d’année en année. Ainsi, 300 millions d’euros étaient prévus en 2018, contre 190 millions d’euros en 2020, avec des risques d’aléas qui augmentent pourtant chaque année.
Monsieur le ministre, les propos que vous avez tenus lors de la récente réunion avec les parlementaires sur la politique agricole commune rejoignent largement le diagnostic que nous établissons sur le défaut de cohérence entre les objectifs agricoles et les outils prévus pour les atteindre. Je confesse là encore en avoir été surpris, même inquiet, non seulement parce qu’ils étaient presque un aveu d’échec, mais surtout parce qu’ils en ont annoncé le renouvellement à l’avenir.
Monsieur le ministre, vous nous avez indiqué être satisfait de la nouvelle PAC, dans son aspect tant budgétaire que réglementaire. Le succès budgétaire est tout de même très relatif, puisque, hors plan de relance européen, les dotations du Feader sont vouées à baisser.
C’est très préoccupant au regard d’un objectif combiné de souveraineté alimentaire et de transition agroécologique.
Certaines estimations font état d’une perte de production liée à la future PAC pouvant atteindre des niveaux très significatifs. Moins de production en perspective et moins d’aides : l’équation sera très difficile à résoudre !
Certes, sur le verdissement de la PAC en tant qu’objectif commun, vous avez estimé avoir obtenu des garanties. Pourtant, dans le même temps, des transferts entre piliers seront mobilisables par certains de nos partenaires européens, souvent peu enclins à pratiquer une agriculture compatible avec l’environnement. Nous risquons donc de voir se réaliser le scénario d’une politique agricole de moins en moins commune.
Monsieur le ministre, vous m’avez surtout surpris quand vous avez évoqué la création de valeur comme issue indépassable d’une politique agricole soutenable. En même temps, vous avez condamné l’attitude consistant à exiger des agriculteurs une réorientation de 30 % de leur production du fait de la transition agroécologique. N’y a-t-il pas dans le projet annuel de performances un objectif de sortie du glyphosate en 2023 et n’y a-t-il pas dans la future PAC des eco-schemes ?
Vous avez affirmé que le budget ne devait pas contraindre la politique et que l’instrument ne devait pas prévaloir sur l’objectif. Nous pouvons partager ce point de vue. C’est la raison pour laquelle, ayant estimé que votre projet de budget ne servait pas des objectifs qu’il vous faudra préciser, la commission des finances propose au Sénat le rejet des crédits de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales », comme ceux du compte d’affectation spéciale « Développement agricole et rural » (Casdar). (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Patrice Joly, rapporteur spécial de la commission des finances. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nos productions agricole et forestière, ainsi que nos entreprises de pêche ne se sortent pas d’une crise, plus ou moins larvée, qui dure depuis des années et que l’année en cours portera sans doute à son comble.
En effet, la plupart des secteurs sont touchés. Comment, en tant qu’élu d’un territoire d’élevage, ne pas témoigner, à titre d’illustration, des situations dramatiques de l’élevage bovin allaitant, qui nécessitent des interventions urgentes, mais aussi des accompagnements de plus long terme, pour donner des perspectives aux exploitants ?
Les différentes lois de finances, initiale et rectificatives, applicables en 2020 n’ont pas apporté de réponses convaincantes à cette situation et le projet de budget pour 2021 dédié à la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » et au compte d’affectation spéciale « Développement agricole et rural » n’ouvrent pas de perspectives significatives – quand elles n’en ferment pas !
Le plan de relance derrière lequel le Gouvernement tend à s’abriter est une opération à un coup qui prétend pourtant porter une modification durable de nos capacités agricoles orientée vers la souveraineté alimentaire et une agriculture plus écologique. Il ne s’appuie sur aucune évaluation de son efficacité au long cours.
D’un point de vue budgétaire, des engagements conjoncturels ne peuvent fonder une transformation de l’agriculture vers des modes de production structurellement différents répondant aux enjeux écologiques et sociaux, tout en assurant un modèle économique viable qui garantisse aux agriculteurs un revenu décent. Cela demande du temps et des soutiens opiniâtres.
Monsieur le ministre, vous avez évoqué une agriculture créatrice de valeur et, en même temps, moins dépendante du marché. Vous êtes allé jusqu’à regretter que certains veuillent imposer des contraintes environnementales aux exploitants et vous vous réjouissez d’avoir imposé 20 % au moins de contenu environnemental au premier pilier de la PAC. Reconnaissez-le : il est difficile de vous suivre !
Nous avons besoin d’objectifs clairs nécessitant de faire des choix clairs et lisibles, donnant le cap à tous les agriculteurs et à toutes les agricultures, permettant aux exploitants de se lancer dans les adaptations nécessaires de leurs systèmes de production.
En l’état, les interventions publiques sont absolument indispensables à une très grande majorité d’exploitations qui font la production agricole française et le visage de notre pays, ne serait-ce que pour la survie de notre agriculture.
Ne métropolisez pas l’agriculture française, monsieur le ministre !
Le volet forestier de la mission illustre un manque de visibilité des politiques auxquelles concourent nombre de crédits de la mission. Ceux-ci représentent à peine 15 % des concours publics de votre budget et passent de plus en plus par des dépenses fiscales très inégalement profitables pour les forestiers. Ces inégalités liées à une forme d’incitations financières, nous pouvons également les constater pour l’agriculture. Tout cela devrait donner lieu à une évaluation sérieuse.
Pour en revenir à la forêt, alors que l’actuel contrat d’objectifs et de performance de l’ONF, l’Office national des forêts, arrive à peine à son terme, vous avez décidé de réduire le plafond d’emplois de l’établissement. Contre votre avis, l’Assemblée nationale en a décidé autrement.
L’attitude du Gouvernement me paraît peu cohérente avec la volonté affichée d’agir pour la forêt. On ne peut que regretter le décalage permanent entre les discours et les actes, que l’on retrouve également dans votre politique agricole.
Je sais bien que l’ONF rencontre des problèmes. Son résultat économique, sensible à l’évolution du prix du bois, qu’il ne maîtrise pas, n’est pas bon et son endettement ne cesse de croître, mais le Gouvernement préfère souvent cette issue à une prise en charge responsable des déséquilibres financiers courants.
Monsieur le ministre, l’ONF subit des handicaps sérieux. Il doit supporter un taux de contribution employeur au titre des retraites de ses salariés, sans les aménagements qui profitent à d’autres organismes à vocation industrielle et commerciale, comme Orange.
Ses productions environnementales, qui « ne créent pas de valeur », pour reprendre une formule que vous affectionnez, ne sont pas valorisées « financièrement ». Pourtant, elles sont plus que précieuses. Je pense notamment à la captation du carbone ou à la biodiversité. Vous ne pouvez pas ne pas savoir, monsieur le ministre, que la valeur du bois ne représente pas la moitié de la valeur sociétale de la forêt. Les études le démontrent les unes après les autres. Les coupes de bois ne sont pas seules à contribuer à notre stratégie bas-carbone !
Il convient donc d’être très attentif au devenir de l’ONF. À ce propos, qu’en est-il du projet de filialisation que nous avons découvert incidemment dans la presse ?
La forêt française est détenue à 75 % par des propriétaires privés, qui méritent aussi d’être aidés. Le Centre national de la propriété forestière (CNPF) doit jouer un rôle. Ses moyens doivent donc être préservés.
Le programme 206, « Sécurité et qualité sanitaires de l’alimentation », connaît une progression de ses crédits. Elle répond essentiellement à des évolutions subies par les conséquences du Brexit, auxquelles le Gouvernement a souhaité répondre en créant des emplois souvent non pourvus, qui soulignent, par contraste, la faiblesse des moyens de contrôle des importations hors Union européenne.
De même, nous le voyons bien, les crédits dédiés aux indemnisations des sinistres sanitaires ou de ceux qui sont liés à la sécheresse constituent moins une anticipation des sinistres à venir que la prise en compte d’indemnisations de dommages déjà actés.
Pour le reste, les réflexions et réorganisations de notre appareil de maîtrise des risques sanitaires semblent abandonnées, tandis que des points noirs subsistent : déserts vétérinaires en formation, abattoirs publics à l’agonie, restructurations de laboratoires difficiles.
Le plan Écophyto peut bien être « + », il ne produit pas d’effets probants. Un projet de budget s’apprécie non pas seulement à l’aune des moyens budgétaires, mais également en fonction des performances. Or ces dernières ne sont pas bonnes.
Le Gouvernement a beaucoup communiqué sur la réduction des autorisations de mises sur le marché de produits comprenant du glyphosate. Reste que l’indicateur que vous invoquez ne dit rien du nombre de doses employées. Sur ce sujet, une grande confusion règne.
L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail paraît éprouver des difficultés majeures pour dérouler son programme. Elle a en effet dû enregistrer la défection de l’Institut Pasteur, pourtant choisi comme lauréat de l’appel à projets pour approfondir les études de toxicité.
De votre côté, monsieur le ministre, vous avez déclaré être hésitant sur les suites à donner à l’engagement de campagne d’une sortie du glyphosate. Quoi qu’il en soit, l’objectif demeure à l’horizon 2023 dans votre projet de budget, mais les moyens n’y sont pas. Ils y sont d’autant moins que vous déshabillez le Casdar de 10 millions d’euros, alors que le solde du compte vous permettrait de l’abonder plus significativement.
Dans le contexte actuel, alors que les exploitations doivent trouver les voies de leur adaptation, moins de moyens pour la recherche et sa diffusion, et pour la formation, c’est navrant ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE. – M. le ministre s’indigne.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur pour avis. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Laurent Duplomb, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, à voir ce budget sans grande nouveauté, un rapporteur sérieux pourrait penser que tout va bien ! (Sourires.) C’est d’autant plus vrai que ce budget comporte plusieurs points satisfaisants, conformes à ce que le Sénat défend depuis longtemps, à savoir un maintien du dispositif TO-DE pour deux années supplémentaires – nous l’avions sauvé voilà deux ans et nous nous battons pour sa pérennisation –, une stabilisation du budget des chambres d’agriculture, que nous avons arrachée in extremis l’année dernière, vous permettant, monsieur le ministre, de mieux déployer votre politique aujourd’hui, et, surtout, la mise en place d’un volet agricole de 1,2 milliard d’euros dans le plan de relance, pour couvrir des dépenses d’investissement essentielles, que nous avons défendu au sein de la cellule de crise covid du Sénat.
Nous nous réjouissons que vous souteniez enfin les aides aux investissements favorables à la réduction d’intrants, au bien-être animal et à la réduction des risques liés aux aléas climatiques. Depuis deux ans, le Sénat réclamait ces mesures, tandis que le Gouvernement s’y opposait.
Toutefois, ce budget comporte trois vices, qui sautent aux yeux et ont failli nous aveugler, un peu comme la lettre volée a failli aveugler le détective Auguste Dupin d’Edgar Allan Poe. (Sourires.)
Le premier vice concerne les aides de crise liées au confinement. Elles ont été promises au mois de mai dernier. Pourtant, aucune aide nationale n’a été versée à ce stade. Seules les aides européennes pour la distillation de crise de la viticulture ont été versées. Depuis le début de la crise au mois de mars dernier, les producteurs n’ont encore rien reçu. Est-ce ainsi que vous pensez répondre à l’urgence ?
De plus, le ministère n’a pas encore organisé, nous semble-t-il, la réponse aux effets du second confinement. Or des aides sont attendues, car les mêmes causes produisent les mêmes effets. J’espère que vous ne serez pas en retard à ce nouveau rendez-vous, monsieur le ministre.
Le deuxième vice concerne la sincérité du budget. Par exemple, vous promettez 7 millions d’euros pour la recherche sur le glyphosate et 7 millions d’euros pour la recherche sur les betteraves. Où sont-ils dans ce budget ? Nous ne pouvons accepter cette absence de clarté à l’égard du Parlement, ce qui nous a amenés en partie à proposer le rejet de votre budget.
Monsieur le ministre, nous souhaitons vous aider en vous proposant, par un amendement déposé par la commission des affaires économiques, d’inscrire dès aujourd’hui cette mesure, tout en réglant au passage le problème du Casdar.
Le troisième vice, c’est justement le Casdar ! Par un tour de passe-passe budgétaire, vous vous apprêtez à spolier les cotisations des agriculteurs destinées à financer une recherche qui leur revient. Vous prônez la recherche de solutions à tout-va pour accélérer les transitions et, dans le même temps, votre première action est de réduire de 10 millions d’euros le budget dédié à cette même recherche. Étonnant !
Telles sont les raisons pour lesquelles la commission des affaires économiques a émis un avis défavorable sur les crédits de la mission et du Casdar. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme le rapporteur pour avis. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Françoise Férat, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je rejoins l’analyse de Laurent Duplomb et souhaite, en complément, vous faire part d’autres facteurs d’inquiétude liés au changement climatique et à la sécurité sanitaire. Ce sont des facteurs de risque que le budget que vous proposez ne prend pas suffisamment en compte, monsieur le ministre, ce qu’il faut regretter.
Nous constatons, chaque année, sur l’ensemble du territoire français que la nature et la fréquence des aléas climatiques et sanitaires augmentent. J’en veux pour preuve les sécheresses à répétition connues depuis 2016 ou, plus spécifiquement cette année, les impacts très forts sur les rendements de l’épidémie de jaunisse sur les betteraves.
Pourtant, chaque année, nous constatons que la provision pour aléa est sous-dotée. Cette année, par exemple, l’État avait prévu une provision de 175 millions d’euros. Il en dépensera finalement 230 millions d’euros, pour compenser les effets de la sécheresse de 2019 et payer les apurements communautaires.
Compte tenu des événements que nous avons connus cette année, il est certain que les 15 millions d’euros supplémentaires prévus dans le budget ne suffiront pas à financer les indemnisations liées à la sécheresse de cet été et à la jaunisse, ainsi que les aides de crise à payer aux filières en difficulté en raison du confinement. Là encore, monsieur le ministre, vous nous demandez de signer pour un budget bien peu sincère.
J’ajoute à ces craintes les risques importants liés, cette année, aux épidémies. Je pense à l’influenza aviaire, trois cas ayant été découverts la semaine dernière en France, ou à la tuberculose bovine, dont le nombre de foyers a considérablement augmenté ces dernières années. Je pense également aux risques liés à la peste porcine africaine ou à l’exposition des élevages de visons à la covid-l9. Quelles actions comptez-vous mener sur tous ces points ? Il faut agir vite et fort en matière de prévention, de sensibilisation, de biosécurité.
À défaut d’actions vigoureuses, les filières sont exposées au risque que la France perde son statut indemne, ce qui bloquerait les exportations vers de nombreux pays.
Tous ces dangers épidémiques font peser des risques forts sur le budget. Pour mémoire, le coût budgétaire de l’épisode H5N8 de 2017 a été estimé à plus de 64 millions d’euros pour le seul programme 206. Selon moi, ces risques ne sont pas suffisamment pris en compte dans le budget présenté. À défaut d’une action résolue de vos services sur le sujet, je crains que nous n’ayons à le regretter très rapidement.
C’est pourquoi je rejoins mon collègue en émettant un avis défavorable sur ce budget. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.)