Mme la présidente. Sur les articles du texte élaboré par la commission mixte paritaire, je ne suis saisie d’aucun amendement.
Quelqu’un demande-t-il la parole sur l’un de ces articles ?…
Le vote est réservé.
Vote sur l’ensemble
Mme la présidente. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, je donne la parole à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote.
Mme Laurence Rossignol. Madame la ministre, monsieur le garde des sceaux, nous nous réjouissons de vous rencontrer, dans cet hémicycle, à l’occasion de notre dernière lecture de cette proposition de loi. Vous verrez l’un et l’autre combien la lutte contre les violences faites aux femmes dépend de l’étroite collaboration de vos deux ministères, auxquels on pourrait encore ajouter le ministère de l’intérieur, encore que je ne regrette pas l’absence au banc du Gouvernement du détenteur de ce portefeuille.
Je tenais à vous rassurer, monsieur le garde des sceaux : vous avez salué « madame la rapporteure avec un “e” ». C’est fait : lors de vos prochaines interventions dans cet hémicycle, vous pourrez vous contenter de dire : « madame la rapporteure ». (Exclamations d’agacement sur les travées du groupe Les Républicains.)
Je sais bien que nous autres féministes sommes très excessives, mais nous n’exigeons pas des gardes des sceaux qu’ils parlent en écriture inclusive ! Nous saluons néanmoins cet effort, dont je tiens à vous libérer pour l’avenir. Il n’y a pas de quoi monter au créneau, mes chers collègues de l’autre côté de l’hémicycle !
Nous n’en avons pas fini avec les textes consacrés aux violences faites aux femmes. En effet, celui-ci ne va pas jusqu’au bout. Il est encore largement soumis à ce qui a été la doctrine de la Chancellerie et de nombreux experts, la doctrine selon laquelle un mari violent peut aussi être un bon père. Ce texte ne rompt pas avec cette approche. À l’en croire, un mari violent n’est pas forcément un mauvais père ; même s’il l’est, il faudrait privilégier les liens entre le père et l’enfant et ne pas les couper, car ils seraient trop importants.
À ce propos, monsieur le garde des sceaux, je voudrais attirer votre attention sur un point. Vous vous êtes beaucoup exprimé au sujet de la justice pénale, mais la justice civile importe également. Les violences contre les femmes s’y nouent, en particulier dans le cabinet du juge aux affaires familiales. Nous prenons insuffisamment en compte cet aspect aujourd’hui, alors qu’il n’y a pas de lutte efficace contre les violences faites aux femmes qui ne s’appuie, d’abord, sur une profonde évolution de la justice civile et familiale, et qui ne s’attaque à cette fameuse obsession du maintien du lien entre le père et l’enfant, en toutes circonstances. Encore cet après-midi, j’ai eu à examiner le dossier d’un enfant dont les parents sont séparés et dont le père est radicalisé : l’enfant est toujours obligé de se plier au droit de visite et d’hébergement du père, malgré la toxicité et la dangerosité de celui-ci, tout cela parce qu’il est le père !
C’est donc aussi sur cette évolution de la justice civile que nous vous attendons, madame la ministre, monsieur le garde des sceaux. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR et sur des travées du groupe CRCE.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Nathalie Goulet. On a beaucoup évoqué, au cours de ce débat, les différents programmes qui sont en rapport avec ce sujet. À ce propos, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, je voudrais vous faire observer qu’il existe, au sein de la cuisine parlementaire, un outil qui pourrait s’avérer très utile dans la lutte contre les violences faites aux femmes : je veux parler des documents de politique transversale.
En effet, ce sujet concerne plusieurs ministères : évidemment les vôtres, mais aussi l’éducation nationale, l’intérieur et encore beaucoup d’autres entités d’État. Ce document permet de disposer, au moment de l’examen du budget, d’une vision complète des fonds et des missions destinés à un sujet donné. Il existe 22 documents de politique transversale, consacrés à l’action extérieure, au changement climatique, aux outre-mer, à l’aide au développement, ou encore, évidemment, à la prévention de la radicalisation et de la délinquance.
Si un tel document budgétaire consacré à la lutte contre les violences faites aux femmes n’est pas déjà en préparation pour le prochain projet de loi de finances, j’y déposerai un amendement à cette fin. En effet, il serait très utile pour cette cause que nous en ayons une vision globale, compte tenu du nombre de ministères impliqués. Un document de politique transversale serait un outil très important pour les spécialistes de la matière et tous ceux qui s’y intéressent.
Voilà pourquoi je tenais à faire cette observation, tout en vous confirmant que l’ensemble de mon groupe soutiendra le présent texte.
Mme la présidente. La parole est à Mme Nassimah Dindar, pour explication de vote.
Mme Nassimah Dindar. Vous aurez compris, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, que l’ensemble des sénateurs et des sénatrices qui composent la délégation sénatoriale aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes approuvent ce texte, mais le jugent insuffisant. Nous avons véritablement besoin d’une grande loi-cadre pour lutter contre les violences faites aux femmes et toutes les violences intrafamiliales.
Je voudrais revenir sur un seul sujet : la mise en place des dispositions législatives relatives à l’éviction du conjoint violent. Il faut, sur tous les territoires, avoir une politique cohérente qui permette le départ du conjoint violent du domicile conjugal. Sur les territoires insulaires comme le mien, la demande est très forte sur le marché du logement : on relève plus de 28 000 demandes de logement social en attente à La Réunion. Or nous obligeons encore les femmes victimes de violence à quitter, avec leurs enfants, le domicile conjugal, en raison du manque de cohérence entre les différents acteurs publics, entre les services de la préfecture et ceux du conseil départemental, dont les travailleurs sociaux demandent que soient impérativement trouvées des places en urgence.
Un travail sur ce point est donc extrêmement nécessaire et urgent, de manière que les enfants et, a fortiori, les femmes victimes de violences ne subissent pas cette double peine. Même d’un point de vue financier, cela coûtera bien moins cher à la collectivité que de loger pour trois mois, comme le font les services départementaux, ces femmes et ces enfants, qui doivent parfois changer d’école.
Je rappellerai à ce sujet que quand, dans nos territoires ultramarins, survient un uxoricide, c’est-à-dire quand un homme tue sa femme, les membres de sa famille qui veulent quitter l’île ne se voient pas offrir d’accompagnement jusqu’au territoire hexagonal. J’ai eu affaire à de tels cas. J’estime qu’il s’agit d’une injustice très profonde, tout comme celle que subissent les femmes qui veulent quitter un territoire ultramarin pour ne pas subir la violence d’un conjoint qui, souvent, n’accepte pas une décision de justice.
C’est pourquoi il faut de la cohérence entre territoires et entre partenaires. Je fermerai le ban en affirmant à mon tour l’impérieuse nécessité d’une grande loi-cadre pour garantir cette cohérence ; c’est bien la demande de notre délégation, dont je salue la présidente, ainsi que Mme la rapporteure de cette proposition de loi, pour le travail accompli. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Dominique Vérien, pour explication de vote.
Mme Dominique Vérien. Je tiens à saluer à mon tour Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, qui ne pouvait assister à notre séance d’aujourd’hui.
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Arnell, pour explication de vote.
M. Guillaume Arnell. Pour ma part, je veux saluer le travail de ma collègue Françoise Laborde, que j’ai dû remplacer au pied levé, d’où le fait d’avoir dépassé mon temps de parole – je m’en excuse une nouvelle fois.
Je veux également exprimer mon accord avec les propos de Mme Dindar quant aux spécificités des outre-mer en la matière. Souvent, quand on rencontre des phénomènes de violence, il n’y a pas de solution alternative au départ, du fait de l’exiguïté de ces territoires : on demande trop souvent à la femme de partir, alors qu’il serait plus juste de faire partir le conjoint violent.
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?…
Conformément à l’article 42, alinéa 12, du règlement, je mets aux voix, dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, l’ensemble de la proposition de loi visant à protéger les victimes de violences conjugales.
(La proposition de loi est définitivement adoptée à l’unanimité.) – (Applaudissements.)
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Madame la présidente, je me réjouis que vous ayez pu présider nos débats sur ce texte, dont je sais qu’il vous tient particulièrement à cœur.
Je me réjouis de ce vote unanime du Sénat. Je l’espérais, non seulement en raison de l’importance des enjeux dont nous avons traité au fil de notre examen de cette proposition de loi, mais aussi parce que l’apport du Sénat à ce texte a été considérable. Nous le devons à chacune et à chacun d’entre vous : je veux saluer l’implication de tous, en particulier celle des membres de la délégation aux droits des femmes et de la commission des lois, et plus largement celle des membres de chacun de nos groupes politiques qui se sont impliqués pour relever ces défis.
Je voudrais aussi avoir un mot de remerciement, que je veux chaleureux, à l’égard de notre rapporteur. En effet, au cours des dernières années, Marie Mercier s’est beaucoup investie sur les questions relatives aux violences sexuelles sur mineurs et aux violences faites aux femmes. Elle y a fait montre de toute l’humanité que nous lui connaissons, qui est enracinée dans son exercice médical antérieur, mais aussi inspirée par des convictions profondes et sincères.
Quand on traite de questions si sensibles et délicates, la tentation est très grande de vouloir se donner bonne conscience. L’enjeu est tout de même de réussir à convertir l’émotion et les bonnes intentions en bonnes lois, sans oublier, d’ailleurs, que la loi ne peut régler tous les problèmes de société et que leur accumulation n’est pas une réponse pertinente à tous les fléaux qui affectent la vie sociale comme la vie familiale.
Il a été rappelé à quel point la prévention, l’éducation, l’accompagnement social et l’accueil des victimes sont des éléments importants ; aucun d’entre eux ne relève de la loi. En revanche, les questions que nous avons traitées au cours de nos délibérations sur cette proposition de loi et sur la loi visant à agir contre les violences au sein de la famille ont permis de poser des règles que nous jugeons pertinentes parce qu’elles sont applicables.
La loi est un outil qu’il ne faut pas galvauder ; Marie Mercier y a été constamment attentive. Nous n’avons adopté ici que des règles que les pouvoirs publics et les magistrats auront les moyens de faire respecter. C’est un bon travail législatif ; il me tenait à cœur de le saluer ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et Les Indépendants.)
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Mesures de sûreté contre les auteurs d’infractions terroristes à l’issue de leur peine
Adoption en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, instaurant des mesures de sûreté à l’encontre des auteurs d’infractions terroristes à l’issue de leur peine (proposition n° 544, texte de la commission n° 631, rapport n° 630).
Candidatures à une éventuelle commission mixte paritaire
Mme la présidente. J’informe le Sénat que des candidatures pour siéger au sein de l’éventuelle commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de cette proposition de loi ont été publiées.
Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
La parole est à M. le président de la commission.
M. Philippe Bas, président de la commission. Je sollicite une suspension de séance de cinq minutes, madame la présidente.
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures cinq, est reprise à dix-sept heures dix.)
Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi que vous examinez porte sur un sujet très sensible. À travers elle, on s’efforce de répondre à la problématique des personnes condamnées pour des actes de terrorisme, dont certains présentent toujours une situation de dangerosité en fin de peine. Sur ces questions, monsieur le président de la commission, comme vous le savez, j’ai évolué.
Permettez-moi d’abord de rappeler quelques données factuelles. En France, 260 personnes sont actuellement détenues après une condamnation pour une infraction terroriste en lien avec la mouvance islamiste. Certaines d’entre elles purgent des peines correctionnelles de plusieurs années – principalement entre sept et dix ans – qui ont été prononcées, pour beaucoup d’entre elles, après 2012.
Outre ces détenus condamnés, 252 personnes sont en détention provisoire après avoir été mises en examen pour des actes de terrorisme. Elles seront jugées dans les mois ou années à venir : 49 procès terroristes se dérouleront d’ici à 2021.
Parmi les condamnés, 31 seront libérés en 2020, 62 en 2021 et 50 en 2022, après avoir exécuté leur peine.
Les lois du 3 juin et du 21 juillet 2016 ont supprimé les crédits de réduction de peine pour les terroristes et restreint leur accès à la libération conditionnelle, mais ces dispositions ont sans doute repoussé la difficulté, voire l’ont renforcée, puisque ces mêmes détenus vont prochainement quitter la détention en « sortie sèche », selon l’expression convenue.
Je souhaitais faire ce bref rappel, car il résume le défi qui est le nôtre : apporter une réponse pénale au terrorisme.
Bâti depuis 1986, notre dispositif judiciaire de réponse à la menace terroriste est équilibré. Il repose sur un dispositif centralisé avec des aménagements procéduraux. Ce cadre a encore été complété l’an dernier avec la création d’un parquet autonome spécialisé, le parquet national antiterroriste (PNAT).
Dans son œuvre normative, le législateur a toujours cherché à articuler la spécificité qu’impose une criminalité complexe, dont la finalité est l’effondrement de notre modèle sociétal et de nos valeurs démocratiques.
Mesdames, messieurs les sénateurs, c’est en ayant à l’esprit cet impérieux besoin d’équilibre que vous devrez aborder ces débats.
Un travail important est réalisé dans nos établissements pénitentiaires afin de prévenir la radicalisation des détenus et de freiner tout prosélytisme délétère. Plusieurs rapports en ont rendu compte. Je pense au rapport d’information des députés Diard et Poulliat sur les services publics face à la radicalisation, qui comprend des propositions destinées à renforcer le suivi des personnes radicalisées, comme au rapport de la contrôleure générale des lieux de privation de liberté sur la prise en charge pénitentiaire des personnes radicalisées et le respect des droits fondamentaux.
La remise en liberté de détenus condamnés, potentiellement toujours radicalisés en dépit du travail réalisé, appelle cependant une réponse.
Nous devons tout mettre en œuvre pour garantir la sûreté de nos concitoyens. Cette majorité s’y est déjà attachée. Ainsi, le dispositif de la loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, dite loi SILT, a ouvert la possibilité de soumettre ces personnes à une mesure individuelle de contrôle administratif et de surveillance (Micas). Cependant, limitée à un an, la durée de ces mesures administratives peut paraître aujourd’hui insuffisante.
Pour autant, soumettre des personnes ayant purgé leur peine à un nouveau régime judiciaire restrictif de liberté appelle à la vigilance. (Marques d’approbation sur les travées des groupes SOCR et CRCE.)
Il faut se garder de l’illusion d’une justice prédictive, chimère qui est la négation de l’idée même de justice et de réhabilitation.
M. Jean-Pierre Sueur. Absolument !
Mme Éliane Assassi. Tout à fait !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Nous devons veiller à ce que les mesures que nous élaborons n’enferment pas davantage les condamnés dans leur misanthropie au lieu de permettre leur réinsertion, laquelle doit rester notre objectif principal.
Le travail de l’Assemblée nationale, puis de votre commission des lois, s’appuyant sur un avis très étayé du Conseil d’État, a permis de dégager une solution d’équilibre.
L’article 1er de la proposition de loi introduit dans le code de procédure pénale un dispositif permettant au juge judiciaire d’imposer des mesures de sûreté aux personnes condamnées pour des faits de terrorisme ayant purgé leur peine d’emprisonnement.
Les mesures de sûreté doivent respecter le principe résultant de l’article IX de la Déclaration de 1789, selon lequel la liberté ne saurait être entravée par une rigueur qui ne soit nécessaire. En effet, le législateur doit concilier, d’une part, la prévention des atteintes à l’ordre public, d’autre part, l’exercice des libertés constitutionnellement garanties.
À cet égard, il convient d’être vigilant sur le caractère adapté, nécessaire et proportionné du dispositif. Nous sommes sur une ligne de crête : prendre des mesures qui permettent d’assurer la protection des Français, sans adopter celles qui ne seraient pas strictement nécessaires.
Je le redis, mesdames, messieurs les sénateurs, le texte que vous vous apprêtez à voter est un texte d’équilibre. J’invite par conséquent votre assemblée à la prudence sur tout durcissement du texte voté par l’Assemblée nationale, alors que le Conseil d’État a appelé notre attention sur ce point.
Sur les garanties attachées à la nouvelle mesure, je tiens à rappeler les éléments suivants.
Premièrement, le concept de dangerosité n’est pas étranger à notre droit. Les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance, déclarées conformes à la Constitution, reposent sur ce concept.
Deuxièmement, le nouveau dispositif constitue une mesure restrictive de liberté et non privative de liberté, s’appliquant à des personnes condamnées définitivement.
Troisièmement, le placement sous surveillance électronique mobile de la personne est soumis à son consentement.
M. Jean-Pierre Sueur. Absolument !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Quatrièmement, l’évaluation de la dangerosité des condamnés susceptibles de faire l’objet de ces nouvelles mesures de sûreté sera réalisée par la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté, qui saura prendre en charge ce sujet complexe qu’est la dangerosité, grâce à l’ensemble des compétences de chacun de ses membres et leur spécialisation dans l’appréciation de la dangerosité d’une personne.
Cinquièmement, enfin, c’est l’autorité judiciaire et elle seule qui sera compétente afin de prononcer, le cas échéant, de telles mesures de sûreté et d’assurer leur suivi tout au long de leur durée. Cette décision interviendra à l’issue d’un débat contradictoire et un appel des parties sera toujours possible.
Pour l’avenir, il serait essentiel de réaliser une évaluation des dispositifs de prévention de la récidive terroriste dans leur ensemble. La complexité actuelle peut en effet nuire à l’efficacité de l’action de l’État.
Il est nécessaire de proposer une remise à plat des dispositifs existants, afin que l’empilement actuel retrouve une cohérence et une lisibilité d’ensemble.
Mme Éliane Assassi. D’accord !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. C’est au prix d’une telle évaluation que l’action de l’État trouvera sa pleine efficacité, son sens et sa cohérence. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
Mme Éliane Assassi. Encore d’accord !
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le Sénat est appelé aujourd’hui à examiner une proposition de loi instaurant des mesures de sûreté à l’encontre des auteurs d’infractions terroristes à l’issue de leur peine, déposée par Mme Yaël Braun-Pivet et adoptée par l’Assemblée nationale le 23 juin dernier.
Ce texte a pour ambition d’apporter une réponse à l’enjeu majeur que représente, pour la sécurité de notre pays, la libération de plus de 150 terroristes d’ici à la fin de l’année 2022. Il crée, à cet effet, une nouvelle mesure de sûreté.
Sur le fond, notre commission des lois ne pouvait qu’accueillir favorablement ce texte, qui répond à un constat qu’elle avait elle-même dressé au mois de février dernier, à l’occasion du bilan de la loi SILT. Une proposition de loi similaire à celle que nous examinons aujourd’hui a d’ailleurs été déposée par Philippe Bas et Marc-Philippe Daubresse, dès le début du mois de mars dernier. Je me réjouis donc que le Gouvernement ait pris l’initiative d’inscrire le sujet à l’ordre du jour de notre assemblée.
La proposition de loi a pour principal objet de créer une nouvelle mesure de sûreté, dédiée à la prise en charge des condamnés terroristes qui sortent de détention. Elle prévoit également de faire du suivi socio-judiciaire une peine complémentaire obligatoire.
Ce texte vient combler un vide juridique dénoncé par de nombreux acteurs de terrain. Le législateur a considérablement renforcé l’arsenal antiterroriste au cours des dernières années, mais il s’est concentré sur la répression et le régime des peines, sans anticiper la question du suivi à l’issue de l’exécution de la peine.
Nous sommes donc dans une situation paradoxale et peu satisfaisante : les individus condamnés pour des faits de terrorisme sont aujourd’hui les plus suivis en détention, mais les moins accompagnés au moment de leur libération. Bien entendu, il ne s’agit pas de dire que rien n’existe. Pour autant, les outils tant judiciaires qu’administratifs se révèlent incomplets et inadaptés à l’enjeu.
C’est pourquoi la commission a approuvé le principe de la mesure de sûreté créée par la proposition de loi. Toutefois, je sais que la mesure suscite des craintes, notamment sur sa constitutionnalité, y compris au sein de cet hémicycle.
À cet égard, je tiens à insister sur un point : la mesure créée ne constitue en aucun cas une « peine après la peine ». Il s’agit d’une mesure de sûreté, au sens de la jurisprudence définie par le Conseil constitutionnel. Elle a pour objet non pas de sanctionner, mais bien de prévenir la récidive et la commission de nouveaux actes de terrorisme. Elle se fonde non sur la culpabilité de la personne, mais sur sa dangerosité évaluée à l’issue de sa période de détention.
N’oublions pas que, en 2008, le Conseil constitutionnel a admis l’existence de mesures de même nature et validé la rétention et la surveillance de sûreté.
Cela étant, il est de notre responsabilité de trouver le point équilibre entre sécurité et liberté. La commission des lois s’est efforcée d’y travailler la semaine dernière. Il s’agit d’un exercice difficile, mais je crois que nous y sommes parvenus.
Nous avons apporté une série de garanties pour assurer la constitutionnalité de la mesure.
Nous avons tout d’abord encadré le champ d’application de la mesure, en la limitant aux personnes condamnées aux peines les plus lourdes, supérieures à cinq ans d’emprisonnement. Il s’agit de répondre à une exigence constitutionnelle, à l’instar de ce qui est prévu pour la rétention et la surveillance de sûreté.
Dans le même état d’esprit, nous avons précisé l’articulation de la mesure créée avec les dispositifs existants. Il s’agissait non seulement de garantir que la mesure ne soit prononcée que lorsqu’elle est strictement nécessaire et adaptée pour suivre ces profils, mais aussi de veiller à une articulation fluide avec les mesures administratives, notamment les Micas.
Enfin, nous avons apporté plusieurs ajustements à la procédure, même si le texte de l’Assemblée nationale était déjà équilibré sur ce point et garantissait le respect des droits de la défense.
Notre principale modification porte sur le contenu des réquisitions du procureur antiterroriste. Il nous est apparu indispensable que ces réquisitions s’appuient sur des éléments non seulement circonstanciés, mais également actuels, pour assurer la stricte nécessité et la proportionnalité de la mesure demandée.
Je suis bien consciente que ces changements peuvent sembler restreindre les possibilités de surveillance. Nous avons toutefois intérêt à ce que la mesure soit solide. En cas d’inconstitutionnalité en effet, c’est tout le dispositif qui serait fragilisé, ce qu’aucun d’entre nous ne souhaite.
Parallèlement à ce souci d’équilibre, la commission a cherché à s’assurer du caractère opérationnel de la mesure. Il m’a été indiqué que le texte adopté par l’Assemblée nationale suscitait quelques interrogations, notamment sur son caractère inapplicable.
Pour surmonter ces difficultés, nous avons adopté quatre modifications.
La première porte sur le champ d’application de la mesure, qu’il était essentiel de réviser. Dans le texte de l’Assemblée nationale, le critère de dangerosité était apprécié par deux éléments : d’une part, le risque très élevé de récidive ; d’autre part, « l’adhésion persistante à une entreprise tendant à troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur ». Ce dernier critère était à notre sens trop restrictif : il se rapprochait de la définition de l’infraction d’association de malfaiteurs terroriste, ce qui rendait la mesure quasiment inapplicable. En d’autres termes, si ce critère était rempli, alors il aurait été possible d’engager une nouvelle procédure judiciaire à l’encontre de la personne.
Nous avons donc atténué légèrement cette définition, en visant l’adhésion persistante à une idéologie ou à des thèses incitant à la commission d’actes de terrorisme, plutôt que l’adhésion à une entreprise terroriste.
La deuxième modification principale concerne la durée de la mesure. Les députés ont prévu une durée d’un an, renouvelable dans la limite de cinq ans, voire de dix ans en cas de condamnation pour crime ou délit grave. Cette durée d’un an est jugée peu opérationnelle par les acteurs judiciaires : elle imposerait d’engager la procédure de renouvellement moins d’un mois après le prononcé de la mesure.
J’ai donc proposé à la commission de porter cette durée à deux ans, comme le prévoyait la proposition de loi de Philippe Bas et de Marc-Philippe Daubresse. J’ajoute que la personne conservera à tout moment la possibilité de demander la mainlevée de la mesure, ce qui me paraît garantir un équilibre satisfaisant.
La troisième modification a trait à l’obligation de placement sous surveillance électronique mobile (PSEM), car la rédaction adoptée par l’Assemblée nationale la rendait peu opérationnelle.
En effet, contrairement à une idée reçue, le bracelet électronique n’est pas un dispositif utilisé pour suivre en permanence et en temps réel une personne. Il ne sert qu’à s’assurer du respect d’une autre mesure limitant la liberté d’aller et de venir, par exemple une interdiction de paraître dans certains lieux.
L’ensemble des acteurs que nous avons entendus ont été unanimes sur ce point : tel qu’il était rédigé, le placement sous surveillance électronique mobile était inapplicable. C’est pourquoi la commission a associé le PSEM aux autres obligations de surveillance et prévu que ce placement soit prononcé pour contrôler le respect des autres obligations, en particulier l’interdiction de paraître, l’interdiction de fréquenter certaines personnes, etc.
Nous avons en revanche jugé nécessaire de supprimer la possibilité de cumuler le placement sous surveillance électronique mobile et le pointage, qui pourrait être jugée disproportionnée par le Conseil constitutionnel.
Enfin, la commission a renforcé le contenu de la mesure créée.
Elle a, d’une part, renforcé le volet « surveillance » de la mesure, en insérant deux obligations complémentaires : l’interdiction de se livrer à l’activité au cours de laquelle l’infraction a été commise et l’interdiction de détenir ou de porter une arme.
Elle a, d’autre part, renforcé le volet d’accompagnement à la réinsertion, qui était quasiment absent du texte adopté par les députés. Sur ce volet, il a été prévu un suivi par les services pénitentiaires d’insertion et de probation, parallèlement au suivi qui sera opéré par le juge de l’application des peines.
La commission a également introduit une nouvelle obligation d’exercer une activité professionnelle ou de suivre une formation. Nous avons répondu, sur ce point, à une demande forte des acteurs de terrain. N’oublions pas que l’intérêt d’une mesure judiciaire, par rapport à une mesure administrative, est bien de prévenir la récidive, non seulement par des mesures de surveillance, mais également par des mesures d’assistance. Je suis particulièrement attachée à ces apports qui, je le crois, sont nécessaires si nous souhaitons gérer efficacement ces profils.
Pour garantir l’efficacité de l’ensemble de ces obligations et faciliter leur contrôle, la commission des lois a également introduit un article 1er bis prévoyant l’inscription des obligations de la mesure de sûreté au fichier des personnes recherchées.
Face au défi du terrorisme, le Sénat a toujours fait preuve de responsabilité. Dès 2014, il a pris l’initiative de plusieurs évolutions législatives, qui ont permis de renforcer considérablement notre arsenal pénal antiterroriste, dans le strict respect des libertés individuelles.
C’est ce même esprit qui doit aujourd’hui nous guider et nous amener à approuver collectivement ce texte.
Doter les pouvoirs publics de nouveaux moyens adaptés à la prise en charge des terroristes sortant de détention est une priorité pour la sécurité des Français. C’est ce que je vous propose de faire aujourd’hui. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et LaREM.)