Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Leconte. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
M. Jean-Yves Leconte. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, ce texte a pour objet d’appliquer un certain nombre de contraintes, appelées « mesures de sûreté », à des personnes qui viennent de purger des peines privatives de liberté pour des actes de terrorisme et qui présentent une dangerosité particulière à l’issue de l’exécution de leur peine. Cette dangerosité est définie comme un risque de récidive, adhésion persistante à une idéologie ou à des thèses incitant à la commission d’actes terroristes.
Ces mesures de contrainte seraient imposées par la juridiction régionale de la rétention de sûreté de Paris. Initialement, il était prévu de confier cette tâche au tribunal d’application des peines. Cependant, à la suite de remarques du Conseil d’État, pour éviter la confusion avec les peines, ce choix a été modifié pour se calquer au maximum sur la rétention de sûreté, qui s’applique en particulier aux délinquants sexuels, alors même que la manière d’évaluer les risques n’a rien à voir. C’est pourquoi nous craignons que cela n’entraîne beaucoup de confusion.
La rapporteure a essayé d’améliorer un texte qui a fait l’objet d’un avis long et plus que mitigé du Conseil d’État. Elle a tenté de se faufiler entre nos engagements constitutionnels et conventionnels, et d’éviter que ces mesures de sûreté ne se confondent avec une nouvelle peine.
Faut-il vraiment aller dans ce sens ? La question se pose avec une acuité particulière depuis qu’à l’été 2016 le Parlement a voté l’impossibilité d’aménager les peines pour certains condamnés pour terrorisme, ce qui entraîne obligatoirement des sorties sèches, non préparées et potentiellement dangereuses.
Mes chers collègues, le rôle de la justice pénale est d’établir des faits et de prononcer des peines. Si, demain, nous attendons d’elle qu’elle se prononce non plus sur des actes, mais sur le risque que représente une personne, elle n’est plus la justice : elle deviendrait une sorte d’organisation de la société déresponsabilisant les gens, où la culpabilité s’estomperait devant la dangerosité.
Acceptons-nous cette évolution ? Acceptons-nous une peine après la peine, alors que les personnes visées n’ont pas vu ces mesures de contrainte prononcées par le tribunal qui a statué sur leur peine ? Bien entendu, le problème est réel, mais, face à 52 détenus sortant après exécution de la peine en 2020, 62 en 2021 et 50 en 2022, faut-il un nouveau texte de loi…
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Oui !
M. Jean-Yves Leconte. … confus ou des moyens de surveillance et d’évaluation de la dangerosité ?
Malheureusement, au regard des effets de la prison sur la radicalisation, le risque ne touche pas que ceux qui sortent de prison après avoir été condamnés pour un acte terroriste.
La responsabilité politique n’est pas de dire pour rassurer : « La loi vous protège. » C’est d’avoir une politique et des moyens pour permettre la prévention des actes terroristes. De ce point de vue, le bracelet électronique est une privation de liberté, mais n’est pas une mesure de sûreté : il suffit de voir ce qu’il s’est hélas ! passé à Saint-Étienne-du-Rouvray.
Attentatoire à nos principes, ce texte est aussi dangereux pour notre sécurité.
D’abord, il y a un total manque de proportionnalité entre la dangerosité évaluée des personnes et les mesures pouvant être prises. Les Micas s’appliquent à un spectre beaucoup plus large et sont plus fortes ; qui plus est, elles sont prononcées par l’exécutif. Les mesures prévues sont prononcées par un juge, s’appliquent à des individus qui pourraient a priori être plus dangereux et sont moins contraignantes. En outre, il est très fortement probable que l’autorité administrative ne pourra pas aller au-delà des mesures judiciaires.
Par conséquent, avec ce texte, on construit une disproportionnalité entre la dangerosité qui existe et les mesures de surveillance et de contraintes qui peuvent être prises.
Ensuite, quid du respect du contradictoire ? Si les services de renseignement établissent la dangerosité telle qu’elle est définie et qu’il faut verser les sources et les éléments au dossier, croyez-vous vraiment que ces éléments d’information et les sources dévoilées à tous ne constitueraient pas un danger pour l’efficacité de nos services de renseignement ? (M. le garde des sceaux fait un signe de dénégation.) Sans contradictoire, comment rendre la justice ? Le contradictoire, c’est une exigence, mais, dans cette matière, s’il est systématique, il met en danger l’action de nos services de renseignement, ce qui pose problème.
Enfin, il y a une confusion des rôles. En effet, l’exposé de la dangerosité pourrait engendrer une judiciarisation. En revanche, s’il s’agit uniquement de protéger, cela relève de la responsabilité de l’exécutif, et non de celle de l’autorité judiciaire. Celle-ci dispose déjà de services de renseignements et d’un arsenal de mesures de police – la loi SILT a été évoquée.
Si, face aux mêmes dangers et à la même situation, l’autorité administrative et l’autorité judiciaire peuvent toutes deux prendre des mesures, aucune ne sera vraiment responsable. L’exigence de la responsabilité que nous avons aujourd’hui nous conduit à faire en sorte que la responsabilité de l’exécutif et celle de l’autorité judiciaire soient claires et distinctes et à exiger les moyens qu’il faut pour suivre et évaluer la dangerosité.
Le Conseil d’État a formulé une même remarque dans son avis, de façon un peu plus diplomatique que je ne viens de le faire, soulignant « la complexité qui peut nuire à l’efficacité de l’action de l’État prise dans ses fonctions administratives et judiciaires ». Reste que c’est au cœur du problème.
Rassurer la population n’a rien à voir avec assurer la sécurité. Assurer la sécurité, c’est définir précisément les responsabilités de chacun.
Mme la présidente. Il faut conclure, mon cher collègue : vous avez largement dépassé votre temps de parole.
M. Jean-Yves Leconte. Monsieur le garde des sceaux, ce texte heurte tous nos principes fondamentaux.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. On a compris !
M. Jean-Yves Leconte. Il n’est pas efficace pour assurer notre sécurité.
L’homme ou la femme, aussi mauvais soient-ils, ont toujours droit à la défense. Or il s’agit là non pas d’une personne, mais d’un mauvais projet de loi : il n’a pas besoin d’un défenseur commis d’office. Le groupe socialiste et républicain votera contre, parce qu’il est inquiet des conséquences de son adoption sur notre société et sur son efficacité. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
Mme la présidente. La parole est à M. Yvon Collin. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Yvon Collin. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, depuis 2015, il a plusieurs fois été question dans cet hémicycle de la prise en charge des auteurs d’infractions terroristes à l’issue de leur peine. C’est un sujet suffisamment complexe pour qu’on lui consacre un examen tout à fait particulier. En cela, la proposition de loi des députés La République En Marche est bienvenue.
Dans les trois années à venir, environ 150 personnes condamnées pour des faits de terrorisme retrouveront leur liberté, après avoir purgé leur peine, alors que la menace persiste dans notre pays. Ce ne sont évidemment pas les terroristes de 2015 qui n’ont pas encore été jugés : le procès de l’attentat de Charlie Hebdo se tiendra, je crois, entre les mois de septembre et novembre prochains. Toutefois, il est facile de comprendre le frémissement que peut provoquer cette nouvelle dans la conscience collective encore endeuillée par de nouvelles attaques au couteau à Romans-sur-Isère.
L’intention limpide des auteurs de cette proposition de loi en découle. Il s’agit de s’assurer de maintenir hors d’état de nuire ces individus, dont les actes passés sont de nature à laisser penser qu’ils nourrissent une hostilité puissante contre la société qu’ils s’apprêtent à rejoindre dès leur libération. Afin d’éviter toute récidive, nos collègues députés proposent de créer un nouveau régime de mesures de sûreté propre au terrorisme.
Ce n’est pas la première fois que le Parlement doit se prononcer sur la question des sorties de prison d’individus violents, dont on craint qu’ils ne récidivent. Comme le mettait en garde Robert Badinter, ici même, au moment de l’examen de la loi relative à la rétention de sûreté : « L’homme dangereux va remplacer l’homme coupable devant notre justice. »
M. Jean-Pierre Sueur. Très bien !
M. Yvon Collin. Sur la rétention de sûreté, on se souvient également de l’argument des pénalistes : créer une « peine après la peine » risque d’affaiblir le sens de la peine.
En 2005, le groupe RDSE s’était pourtant prononcé en faveur de la rétention de sûreté, considérant qu’il s’agissait d’un pis-aller, faute de moyens adaptés à la prise en charge de personnes psychiquement dangereuses. De la même manière, il est aujourd’hui en majorité favorable à ce texte, afin de protéger la population faute d’autres moyens.
Monsieur le garde des sceaux, nos deux réserves concernent, d’une part, la durée des mesures de sûreté initiales susceptibles d’être ordonnées, afin de trouver un meilleur équilibre entre prévention de la récidive et préservation des libertés, d’autre part, la définition de la particulière dangerosité, qui ne convient pas aux magistrats qui seront chargés d’appliquer ce texte. En effet, un grand nombre d’entre eux restent par essence opposés au maintien d’une forme de contrainte à l’issue de la peine. Nous partageons leurs inquiétudes face à la multiplication tous azimuts des instruments judiciaires et administratifs de lutte contre le terrorisme, dans un contexte de moyens de fonctionnements dégradés pour la justice. Les modifications intervenues en commission des lois sur l’initiative de Mme la rapporteure – et il faut l’en remercier – permettent déjà quelques clarifications entre les différents régimes.
Toutes les modifications introduites depuis 2015 ne doivent pas nous laisser croire à la possibilité d’un « risque zéro ». De ce point de vue, le cas des personnes radicalisées en prison, mais non condamnées pour des actes de terrorisme, ne constitue-t-il pas un trou dans la raquette ? Faut-il rappeler que celles-ci ne pourront pas se voir appliquer les mesures de sûreté prévues par cette proposition de loi ?
Toutefois, notre position générale a été confortée par le fait que la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme est entre-temps venue préciser le cadre de conventionnalité des mesures de sûreté susceptibles d’être ainsi prises. Le 4 décembre 2018, elle a ainsi validé le placement en détention d’un individu condamné pour meurtre à caractère sexuel, en raison de la nécessité et dans l’optique de traiter le trouble mental.
Monsieur le garde des sceaux, comment étendre cette jurisprudence appliquée aux personnes atteintes de troubles psychiatriques aux personnes adhérant à une idéologie terroriste ? Je pose la question. Il faudrait pour cela comprendre le phénomène de radicalisation, qui reste aujourd’hui très opaque. Nous ne disposons en réalité que de peu d’informations sur les profils des personnes concernées. Les investigations conduites après 2015 ont ainsi mis au jour la perméabilité des milieux du crime en bande organisée et du terrorisme, auxquels s’ajoutent quelques illuminés et quelques déséquilibrés.
De ces trois catégories, les « idéologues » du terrorisme sont sans doute les plus imprévisibles et les plus difficiles à combattre sur le terrain du droit. Face à eux, l’arme la plus puissante reste peut-être d’approfondir toujours davantage notre démocratie et de faire de la justice sociale une réalité, tout en rappelant que, dans notre pays, les individus sont jugés selon les règles de l’État de droit, c’est-à-dire établies par eux et pour eux. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Arnaud de Belenet.
M. Arnaud de Belenet. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, 143 personnes condamnées pour des actes de terrorisme sortiront des prisons françaises d’ici à 2022, dont 31 dès cette année, vient de nous dire le garde des sceaux.
Permettez-moi de citer un autre chiffre : d’après le Centre d’analyse du terrorisme, le taux de récidive des djihadistes varie entre 39 % et 100 %, donnée factuelle sur laquelle il est possible de s’appuyer.
Ce double constat conduit le législateur à s’interroger sur les moyens juridiques qu’il convient de mettre en œuvre.
D’une part, cette question est un enjeu majeur de sécurité publique, comme l’ont souligné les professionnels que nous avons auditionnés et qui expriment des craintes réelles, et non pas théoriques, sur la situation des personnes détenues appelées à sortir d’ici à trois ans.
D’autre part, il résulte des travaux des deux assemblées une incomplétude et une inadaptation des dispositifs de suivi et de surveillance en vigueur.
Le président de notre commission des lois, Philippe Bas, en amont de nos collègues du groupe La République En Marche à l’Assemblée nationale, avait déposé une proposition de loi, dont l’objectif était le même que le texte que nous examinons aujourd’hui.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. C’est élégant de le rappeler !
M. Arnaud de Belenet. Il faut rendre à Philippe Bas ce qui appartient à Philippe Bas ! (Sourires.)
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. J’y suis très sensible, merci.
M. Arnaud de Belenet. Le dépôt de la présente proposition de loi est donc bien dû à une réalité alarmante et vise à faire face à un enjeu clair : apporter une réponse à un manque.
Les lacunes ont déjà été mentionnées, je ne m’y attarderai pas. Elles tiennent notamment à l’inapplicabilité du suivi socio-judiciaire aux personnes condamnées pour des faits commis avant 2016. Elles tiennent également à l’inadéquation de la surveillance judiciaire, les personnes condamnées pour des actes terroristes ayant été exclues en 2016 des dispositifs de réduction de peine dans le cadre de laquelle s’applique cette surveillance.
D’un point de vue administratif, les mesures individuelles de contrôle et de surveillance paraissent pour leur part insuffisantes parce que leur durée est limitée à douze mois et parce qu’elles n’offrent pas d’accompagnement à la réinsertion.
Pour ce qui concerne la réinsertion, le travail a été fait. Il s’agit là d’ailleurs d’un volet essentiel du texte. Quant à la durée des mesures, une prorogation est tentante, mais une période de vingt-quatre mois pourrait poser un problème de constitutionnalité.
La présente proposition de loi permet donc de répondre utilement à ce vide paradoxal et préoccupant.
À l’article 1er est créée une nouvelle mesure de sûreté, qui donne la faculté au juge, dans le respect du contradictoire, d’imposer des obligations en matière de surveillance et de suivi aux condamnés pour terrorisme présentant, à l’issue de leur peine, une particulière dangerosité.
Ce texte renforce utilement, dans son article 2 adopté conforme par notre commission des lois, la mise en œuvre du suivi socio-judiciaire en visant l’automaticité du prononcé de ce dernier.
Il prévoit enfin, après l’adoption d’amendements en ce sens par la commission, l’inscription bienvenue de certaines obligations résultant de la mesure de sûreté au fichier des personnes recherchées, ainsi que l’application du dispositif dans les territoires ultramarins.
Monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le présent texte, cela a été dit, nous place effectivement sur une ligne de crête en matière de libertés publiques.
L’utilité du dispositif ne saurait éluder la nécessité de s’assurer du respect des principes fondamentaux de notre droit, notamment en matière pénale.
Certains sur ces travées ont exprimé la crainte que les obligations de la mesure de sûreté ne se révèlent être des peines après la peine, contrevenant par là même au principe du non bis in idem.
Non seulement le Conseil d’État affirme, dans son avis, que les mesures visées par la proposition de loi « ont exclusivement la nature de mesures de sûreté », non seulement le Conseil constitutionnel n’exclut pas, par principe, la possibilité pour le législateur de créer des mesures de sûreté, mais les rapporteures à l’Assemblée nationale et au Sénat se sont justement employées à renforcer les garanties du dispositif et sa nécessaire rigueur.
Je pense aux modifications, introduites à l’Assemblée nationale, par exemple sur la réduction de la durée maximale globale de la mesure de sûreté, à la suite des observations du Conseil d’État. Ces modifications, que notre commission a conservées, renforcent l’assise juridique du dispositif.
Je pense également aux garanties introduites en matière de placement sous surveillance électronique mobile, à savoir le consentement de la personne et la réduction de la fréquence de l’obligation de pointage.
Pour la majorité à l’Assemblée nationale, l’enjeu était bien – nous aurons l’occasion d’y revenir lors des débats entre les deux chambres – de concilier le caractère opérationnel avec la sécurité juridique du dispositif.
Notre rapporteure, Jacqueline Eustache-Brinio, que je salue pour son travail, a également procédé à des clarifications bienvenues sur l’articulation de la mesure de sûreté instituée avec les autres dispositifs de suivi et de surveillance en vigueur. Elle nous a indiqué vouloir veiller à l’indispensable proportionnalité de la mesure de sûreté et à sa constitutionnalité. Nous y reviendrons certainement.
Finalement, et les éléments que je viens de mentionner l’illustrent bien, un double objectif a guidé les travaux des deux assemblées : l’opérationnalité et la constitutionnalité de la mesure de sûreté instituée. Ces points continueront, je le pense, à éclairer les échanges entre les deux chambres jusqu’à la réunion de la commission mixte paritaire, qui, je l’espère, sera conclusive, afin de répondre à l’enjeu de protection de la société, dans le respect de notre État de droit.
Bien évidemment, le groupe La République En Marche votera ce texte.
Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Ravier.
M. Stéphane Ravier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, quand on entend le mot « terrorisme », on pense immédiatement au terrorisme islamiste qui ensanglante notre pays depuis de nombreuses années, mais il n’est pas le seul.
Je consacrerai une partie du temps de parole qui m’est accordé à apporter, par un instant de silence, mon soutien à la famille d’Axelle Dorier, cette jolie jeune femme, aide-soignante de 23 ans, qui est tout le portrait de ma propre fille.
Axelle, martyre, victime d’un terrorisme du quotidien qui ne dit pas son nom, commis par la racaille, cette racaille qui tue les nôtres partout en France, dans le silence de la bien-pensance, l’indifférence de la classe politique et le mépris des officines médiatiques. (M. Stéphane Ravier observe un bref moment de silence.)
Que l’on donne les noms, monsieur le ministre, que l’on donne les noms et que la justice frappe, qu’elle frappe fort !
Depuis la loi de 2008, le mécanisme de rétention de sûreté n’a jamais été mis en œuvre dans une affaire de terrorisme. Depuis l’attentat de Charlie Hebdo en 2015, votre angélisme a coûté à notre pays plus de 250 vies.
Il y a quatre ans, le 14 juillet à Nice, 86 personnes étaient assassinées par un terroriste tunisien.
Quelques jours plus tard, c’était le père Hamel qui était à son tour assassiné en son église par un djihadiste de 19 ans, Adel Kermiche. Cet assassinat est la preuve éclatante et tragique de l’échec d’une vision idéologique et laxiste de la justice, qui s’est obstinée à voir un jeune garçon perdu, là où son CV indiquait qu’elle avait affaire à un assassin endoctriné et déterminé.
Ces leçons du passé écrites à l’encre du sang des innocents n’ont pas empêché Mme Belloubet d’anticiper la libération de 74 détenus radicalisés, 74 foyers susceptibles de relancer l’épidémie de barbarie.
En France, mère des arts, des armes et des lois, fille aînée de l’Église, l’islamisme est comme un poison dans l’eau !
Pour preuve, on apprend que 153 condamnés pour actes de terrorisme vont retrouver la liberté dans notre pays cette année.
Le constat est clair : les mesures de sûreté à l’issue des peines sont insuffisantes et inadaptées.
Face à ces barbares, il faut être impitoyable ! Pour qu’un mécanisme de sûreté soit effectif et efficace, il faut refuser, sans aucune exception, le retour des djihadistes condamnés à l’étranger ; rétablir la perpétuité réelle ; déchoir de leur nationalité française les binationaux ; expulser les étrangers et instaurer un tracking numérique et un suivi des terroristes, avec ou sans leur consentement.
Pour ma part, je ne me plaindrais pas, mes chers collègues, si le GIGN, le RAID, ou la BRI nous débarrassaient rapidement et définitivement de ceux qui auront commis l’irréparable !
Aux antipodes de ces mesures de bon sens, vous avez rappelé, monsieur le ministre, vouloir rapatrier en France les djihadistes ayant fait allégeance à l’État islamique et ayant été condamnés à mort en Irak ou en Syrie. Au fond, vous êtes resté dans votre robe d’avocat, honoré de défendre Abdelkader Merah. (Protestations indignées sur diverses travées.)
Mme Nathalie Goulet. C’est petit !
M. Stéphane Ravier. « Le Président sera celui de la menace permanente sur les Français » avait annoncé le candidat Emmanuel Macron en avril 2017. Voilà un engagement qu’il aura tenu ! Il rejetait le projet d’inventer un programme de lutte contre le terrorisme dans la nuit. Plus de trois ans ont passé, la nuit n’est assurément pas terminée, et le sang français continue de couler.
Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – Mme Nathalie Goulet applaudit également.)
Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je ne ménagerai aucun effet de surprise, je vous dis d’emblée que l’ensemble des membres de mon groupe est opposé à ce texte, en raison non seulement des mesures précises qu’il vise à instaurer, mais également, et surtout, de la vision de notre société dont il est porteur. Notre rôle de législateur devrait aussi consister, je pense, à prendre le recul nécessaire sur les lois que nous élaborons et sur leur cohérence globale.
Or, ces dernières années, l’inflation des mesures pénales est plus que notable, je peux en témoigner. Aux états d’urgence sécuritaire successifs, qui ne sont pas seulement propres au champ du terrorisme d’ailleurs, succèdent aujourd’hui des mesures spécifiques pour encadrer la remise en liberté d’auteurs d’infractions terroristes ayant purgé leur peine.
Après avoir décidé en 2016 de priver ces condamnés de toute possibilité d’aménagement de peine, on se retrouve face à la problématique de leur sortie « sèche ».
La question qui se pose à présent est la suivante : qu’allons-nous faire de ces individus, avec qui toutes les mesures carcérales ont échoué ? Après les quartiers d’évaluation de la radicalisation, puis les quartiers de prise en charge de la radicalisation, sur lesquels nous demandons un rapport au Gouvernement par voie d’amendement, nous créons de nouveaux espaces carcéraux pour évaluer, de nouveau, ces condamnés, afin de décider si ceux-ci présentent ou non un caractère dangereux pour la sécurité de nos concitoyens.
Que les choses soient claires : mon objectif ne diffère en rien du vôtre – protéger nos concitoyens contre tout nouvel acte barbare est fondamental –, à ceci près qu’il s’accompagne d’une d’inquiétude : compte tenu du nombre de dispositifs d’exception au droit commun qui se sont accumulés au fil des années, je me demande vers où nous avançons et, surtout, jusqu’où nous irons.
Que nous est-il proposé aujourd’hui ?
Ne sachant que faire de ces individus, mais souhaitant tout de même apaiser toute peur, légitime ou non, nous les maintenons dans une forme de peine après la peine, en restreignant leur liberté sur le fondement non pas des actes qu’ils ont commis, mais de ceux qu’on suppose qu’ils pourraient commettre.
Initialement, hormis la mesure de prise en charge sanitaire, sociale, éducative ou psychologique, le texte ne prévoyait que des mesures de contrôle dont l’intérêt en termes de réinsertion était quasi nul. Force est de reconnaître que la commission des lois a enrichi le texte sur ce point.
Pour notre part, nous avons toujours été opposés, et nous continuons de l’être, aux mesures de sûreté en général, considérant qu’un individu ayant purgé sa peine est quitte, libre de trouver sa voie de réinsertion dans notre société.
Créées en 2008, sous Nicolas Sarkozy, les mesures de sûreté étaient au départ destinées aux condamnés en fin de peine jugés dangereux pour des motifs psychiatriques.
Lors de l’adoption de la rétention de sûreté, mon groupe avait déjà alerté sur les risques de dérive vers une justice prédictive, sous couvert de prévention.
Au même moment – je le citerai à mon tour –, le sénateur Robert Badinter dénonçait de son côté « une période sombre pour notre justice » (M. le garde des sceaux marque son assentiment), insistant sur « le brouillard » dans lequel cette « détention pour dangerosité, hors toute commission d’infraction » allait plonger la justice, dont les fondements étaient atteints.
Aujourd’hui, en évoquant avec force la récidive probable, n’envoie-t-on pas aux condamnés qui ont purgé leur peine le signal qu’ils seront suspectés à vie et, en quelque sorte, rejetés de la République ?
Il faudrait réaliser une vaste étude sur les risques réels de récidive des personnes condamnées pour actes de terrorisme en France. La Belgique en a effectué une, qui a été publiée cette année : elle révèle que le taux de récidive de ces détenus est très faible comparé à celui des détenus dits « classiques », ces taux s’établissant respectivement à 3 % et 50 %.
Aussi, dans la mesure où la spécificité des crimes et délits terroristes reste à démontrer en termes de passage à l’acte et de réitération, n’aurait-il pas été plus efficace de maintenir ces condamnés dans le droit commun et de leur permettre d’accéder aux aménagements de peine ? Comprenons-nous bien : je parle d’aménagements préparés, adaptés à leur personnalité et individualisés, sachant que tout manquement pourrait être rapidement repéré ou sanctionné. De tels aménagements ne seraient-ils pas plus à même de prévenir la récidive que des mesures de pur contrôle et de stigmatisation ? Je m’interroge.
En outre, nous pensons que cette proposition de loi révèle l’échec du temps pénitentiaire et qu’elle ne répond pas aux véritables et nombreuses questions qui se posent.
Autant que faire se peut, comment prévenir les actes de terrorisme ? De quels moyens doivent disposer nos services de renseignement, par exemple ?
Comment réinsérer dans notre société des individus condamnés pour de tels faits ? Ce n’est sûrement pas en les obligeant pendant plusieurs années à se rendre jusqu’à trois fois par semaine dans un commissariat pour justifier leur présence, obstacle évident à la reprise d’une vie active et socialisante. C’est pourtant l’une des obligations que tend à mettre en œuvre cette proposition de loi, obligation dont nous proposerons la suppression.
Quels moyens sont octroyés aux services pénitentiaires pour assurer le suivi des personnes condamnées ? Quelles sont les modalités de ce suivi ?
De nombreux rapports ont été faits sur la question du traitement de la radicalisation, notamment sur l’initiative de parlementaires. Chaque fois, ils ont retenu l’attention de la Chancellerie, mais jamais – jamais ! – aucune recommandation ne s’est traduite par la mise en œuvre de mesures idoines. Cette fois encore, aucune recommandation n’est reprise dans cette proposition de loi. Je pose la question : pourquoi ?
Monsieur le garde des sceaux, lors de la première séance de questions d’actualité à laquelle vous assistiez dans nos murs, vous évoquiez la difficile préservation de l’équilibre entre liberté et sûreté dans le cadre des mesures postpénales. Selon vous, les mesures qui nous sont aujourd’hui proposées permettront-elles de parvenir à un équilibre satisfaisant ?
« La punition n’a jamais constitué un moyen de dissuasion et n’apporte qu’un mince réconfort à une victime déjà morte » explique l’un des personnages dans l’introduction de Minority report de Philip K. Dick.
De la fiction à la réalité, le pas est presque franchi avec les dispositions que prévoit ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – MM. Jean-Yves Leconte et Jean-Pierre Sueur applaudissent également.)