Sommaire

Présidence de M. Philippe Dallier

Secrétaires :

M. Yves Daudigny, Mme Patricia Schillinger.

1. Procès-verbal

2. Règles sanitaires

3. Questions orales

utilisation du cuivre et mise en œuvre par les viticulteurs des « zones de non-traitement »

Question n° 1127 de Mme Anne-Catherine Loisier. – M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation ; Mme Anne-Catherine Loisier.

enseignement de la chasse dans les lycées agricoles

Question n° 1258 de Mme Laurence Rossignol. – M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation ; Mme Laurence Rossignol.

lutte contre les déserts médicaux en seine-maritime

Question n° 1129 de Mme Céline Brulin. – Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie ; Mme Céline Brulin.

fraude sociale

Question n° 1231 de Mme Nathalie Goulet. – Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie ; Mme Nathalie Goulet.

avenir du centre médico-psychologique de l’enfant et de l’adolescent à château-gontier-sur-mayenne

Question n° 1238 de M. Guillaume Chevrollier. – Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie ; M. Guillaume Chevrollier.

déserts médicaux en haute-garonne et nécessité de création de maisons de santé

Question n° 1241 de Mme Catherine Deroche, en remplacement de Mme Brigitte Micouleau. – Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie.

prise en charge des lymphœdèmes post-cancer

Question n° 1246 de Mme Catherine Deroche. – Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie ; Mme Catherine Deroche.

élargissement de la prime « grand âge »

Question n° 1257 de M. Olivier Cigolotti. – Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie ; M. Olivier Cigolotti.

lisibilité par les personnes malvoyantes des dates de péremption figurant sur les boîtes de médicaments

Question n° 1160 de M. Pascal Martin. – Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie ; M. Pascal Martin.

organisation de l’état en guyane face aux crises sanitaires

Question n° 1244 de M. Georges Patient. – Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie ; M. Georges Patient.

point de situation du dispositif « 400 médecins »

Question n° 1204 de M. Patrice Joly. – Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie ; M. Patrice Joly.

installations temporaires à vocation économique

Question n° 1168 de Mme Catherine Morin-Desailly. – Mme Nadia Hai, ministre déléguée auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargée de la ville ; Mme Catherine Morin-Desailly.

redéfinition des espaces ruraux

Question n° 1233 de M. Louis-Jean de Nicolaÿ. – Mme Nadia Hai, ministre déléguée auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargée de la ville ; M. Louis-Jean de Nicolaÿ.

application du droit local aux communes des départements du haut-rhin, du bas-rhin et de la moselle

Question n° 1240 de M. René Danesi. – Mme Nadia Hai, ministre déléguée auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargée de la ville.

assouplissement de la loi littoral pour les constructions agricoles

Question n° 1243 de Mme Agnès Canayer. – Mme Nadia Hai, ministre déléguée auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargée de la ville ; Mme Agnès Canayer.

inclusion numérique

Question n° 1228 de M. Jean-Marie Mizzon. – Mme Nadia Hai, ministre déléguée auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargée de la ville ; M. Jean-Marie Mizzon.

montant différencié de la dotation globale de fonctionnement par habitant

Question n° 1239 de M. Olivier Paccaud. – Mme Nadia Hai, ministre déléguée auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargée de la ville ; M. Olivier Paccaud.

conséquences du brexit sur les retraites et les contributions sociales des français résidant au royaume-uni

Question n° 1140 de Mme Hélène Conway-Mouret. – M. Franck Riester, ministre délégué auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé du commerce extérieur et de l’attractivité ; Mme Hélène Conway-Mouret.

brexit et saisonniers britanniques

Question n° 1256 de Mme Martine Berthet. – M. Franck Riester, ministre délégué auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé du commerce extérieur et de l’attractivité ; Mme Martine Berthet.

hausse du coût de la vie en guadeloupe et dans les outre-mer

Question n° 1216 de M. Dominique Théophile. – M Sébastien Lecornu, ministre des outre-mer ; M. Dominique Théophile.

situation des fonctionnaires d’état affectés à mayotte

Question n° 1259 de M. Thani Mohamed Soilihi. – M Sébastien Lecornu, ministre des outre-mer ; M. Thani Mohamed Soilihi.

accompagnement des élus locaux face aux dépôts sauvages d’ordures

Question n° 1057 de Mme Cathy Apourceau-Poly. – Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement ; Mme Cathy Apourceau-Poly.

projet de transformation de la gare du nord à paris

Question n° 1109 de M. Pierre Laurent. – Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement ; M. Pierre Laurent.

taxe additionnelle pour la gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations

Question n° 1152 de M. Dany Wattebled. – Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement ; M. Dany Wattebled.

soutien aux initiatives publiques locales en faveur des jeunes en formation professionnelle

Question n° 808 de Mme Nadia Sollogoub. – Mme Brigitte Klinkert, ministre déléguée auprès de la ministre du travail, de l’emploi et de l’insertion, chargée de l’insertion ; Mme Nadia Sollogoub.

réglementation du marché du livre d’occasion

Question n° 1164 de M. Frédéric Marchand. – Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture ; M. Frédéric Marchand.

accès aux appels d’offres des conservatoires publics pour les entreprises françaises

Question n° 1242 de M. Pierre Louault. – Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture ; M. Pierre Louault.

prestation de fidélisation et de reconnaissance des pompiers volontaires

Question n° 1142 de M. Éric Gold. – Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté ; M. Éric Gold.

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE Mme Catherine Troendlé

4. Communication relative à une commission mixte paritaire

5. Rappel des règles sanitaires

6. Homologation de peines d’emprisonnement prévues en Nouvelle-Calédonie. – Adoption définitive en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission

Discussion générale

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice

M. Jacques Bigot, rapporteur de la commission des lois

M. Jérôme Bignon

Mme Dominique Vérien

M. François Bonhomme

M. Yvon Collin

M. Thani Mohamed Soilihi

Mme Esther Benbassa

M. Jean-Pierre Sueur

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

Clôture de la discussion générale.

Articles 1er, 2, 3 et 4 – Adoption.

Vote sur l’ensemble

Adoption définitive de la proposition dans le texte de la commission.

Suspension et reprise de la séance

7. Protection des victimes de violences conjugales. – Adoption définitive des conclusions d’une commission mixte paritaire sur une proposition de loi

Discussion générale :

Mme Marie Mercier, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice

Mme Elisabeth Moreno, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l’égalité des chances

Mme Dominique Vérien

Mme Marie-Pierre de la Gontrie

M. Guillaume Arnell

M. Thani Mohamed Soilihi

Mme Esther Benbassa

M. Dany Wattebled

Mme Chantal Deseyne

M. François Bonhomme

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

Clôture de la discussion générale.

Texte élaboré par la commission mixte paritaire

Vote sur l’ensemble

Mme Laurence Rossignol

Mme Nathalie Goulet

Mme Nassimah Dindar

Mme Dominique Vérien

M. Guillaume Arnell

Adoption définitive de la proposition de loi dans le texte de la commission mixte paritaire.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois

8. Mesures de sûreté contre les auteurs d’infractions terroristes à l’issue de leur peine. – Adoption en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Candidatures à une éventuelle commission mixte paritaire

Suspension et reprise de la séance

Discussion générale

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice

Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure de la commission des lois

M. Jean-Yves Leconte

M. Yvon Collin

M. Arnaud de Belenet

M. Stéphane Ravier

Mme Éliane Assassi

M. Dany Wattebled

Mme Nathalie Goulet

M. Pascal Allizard

Mme Marie-Pierre de la Gontrie

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

Clôture de la discussion générale.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois

Article 1er

Amendement n° 3 rectifié bis de Mme Maryse Carrère. – Retrait.

Amendement n° 1 de Mme Éliane Assassi. – Rejet.

Amendement n° 4 rectifié bis de Mme Maryse Carrère. – Rejet.

Adoption de l’article.

Article additionnel après l’article 1er

Amendement n° 2 de Mme Éliane Assassi. – Rejet.

Articles 1er bis (nouveau) et 2 – Adoption.

Article 3 (nouveau)

Amendement n° 5 de la commission. – Adoption de l’amendement rédigeant l’article.

Vote sur l’ensemble

M. Jean-Pierre Sueur

M. Arnaud de Belenet

Adoption de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.

9. Ordre du jour

Nomination de membres d’une éventuelle commission mixte paritaire

compte rendu intégral

Présidence de M. Philippe Dallier

vice-président

Secrétaires :

M. Yves Daudigny,

Mme Patricia Schillinger.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Règles sanitaires

M. le président. Comme M. le président du Sénat et MM. les questeurs en ont informé l’ensemble des sénateurs hier, je vous indique que le port du masque est désormais obligatoire dans l’ensemble des salles de réunion et des circulations du Sénat à compter d’aujourd’hui.

Il vous est donc demandé, à partir de ce jour, de bien vouloir porter un masque dans l’hémicycle.

3

Questions orales

M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions orales.

utilisation du cuivre et mise en œuvre par les viticulteurs des « zones de non-traitement »

M. le président. La parole est à Mme Anne-Catherine Loisier, auteure de la question n° 1127, adressée à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation.

Mme Anne-Catherine Loisier. Monsieur le ministre, l’arrêté du 27 décembre 2019 relatif aux mesures de protection des personnes lors de l’utilisation de produits phytosanitaires prescrit le respect d’une distance de sécurité de dix mètres à partir des limites de propriété des riverains pour l’usage de la majorité des produits aujourd’hui utilisés pour lutter contre les maladies cryptogamiques de la vigne et de l’arboriculture.

Le respect de la nouvelle réglementation va entraîner une réelle impasse technique pour lutter contre le fameux mildiou – l’une des principales maladies cryptogamiques de la vigne, très présente en zone septentrionale – dans la future zone de sécurité des dix mètres.

L’absence de traitement contre cette maladie récurrente entraînerait une perte de récolte importante sur plus de 1 000 hectares en Bourgogne, par exemple. Cela représente des difficultés supplémentaires pour les professionnels de la viticulture, déjà fortement mis à mal par les taxes Trump, les effets du confinement et la chute de la consommation.

À terme, cette décision pourrait conduire à l’arrachage de plusieurs centaines d’hectares de vignes qui se transformeraient en friches, avant d’être vraisemblablement urbanisés, les limites de l’espace viticole se trouvant de nouveau repoussées.

Cette situation, monsieur le ministre, mettra en difficulté l’ensemble des viticulteurs, quel que soit leur mode de production, y compris les « bio ».

Afin de sortir de cette impasse, certains viticulteurs proposent d’autoriser l’utilisation du cuivre, produit homologué en agriculture biologique, jusqu’à la limite de propriété des riverains pour une période transitoire de quatre ans au minimum, soit jusqu’au 31 décembre 2023. Ce délai est nécessaire pour permettre à la recherche de trouver des alternatives, aujourd’hui inexistantes, en matière de produits de biocontrôle.

Monsieur le ministre, je souhaiterais connaître votre avis sur cette proposition.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Julien Denormandie, ministre de lagriculture et de lalimentation. Madame la sénatrice Anne-Catherine Loisier, vous m’interrogez sur l’utilisation du cuivre dans le cadre de la mise en œuvre par les viticulteurs des zones de non-traitement, les ZNT.

Vous le savez, l’évaluation des risques associés à l’utilisation des produits phytopharmaceutiques intègre la prise en compte de distances de sécurité à l’égard des riverains, conformément à la réglementation européenne et à la loi française. Ainsi, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) doit préciser, lors de l’autorisation de mise sur le marché (AMM) d’un produit, les distances à respecter lors de l’épandage. Cette méthode d’évaluation étant récente, elle n’a encore été utilisée que pour une faible proportion des produits autorisés.

L’arrêté du 27 décembre 2019 fixe une distance de sécurité réglementaire pour tous les produits dont l’autorisation de mise sur le marché ne précise pas une telle distance, conformément à la décision du Conseil d’État et aux recommandations de l’Anses sur ce sujet. Je rappelle que ces distances peuvent être modulées et complétées dans le cadre des chartes départementales.

Comme vous l’avez souligné, madame la sénatrice, les produits de biocontrôle, les produits à faible risque et les substances de base sont exemptés de ces distances. Ainsi, les produits phytopharmaceutiques à base de cuivre, autorisés en agriculture biologique, peuvent être aujourd’hui utilisés sans distance de sécurité réglementaire. L’approbation européenne du cuivre a d’ailleurs été renouvelée en décembre 2018.

Les AMM des produits à base de cuivre doivent être réexaminées par l’Anses selon les nouvelles conditions fixées par la Commission européenne. L’épandage de ces produits devra bien sûr respecter les distances qui figureront dans les futures AMM. En France, cet exercice devrait s’achever en 2021. Pour l’heure, nous n’avons pas encore de visibilité sur les conclusions à venir de l’Anses, qui est une autorité indépendante.

M. le président. La parole est à Mme Anne-Catherine Loisier, pour la réplique.

Mme Anne-Catherine Loisier. Merci de votre réponse, monsieur le ministre.

Les viticulteurs sont pleins de bonne volonté pour évoluer vers de meilleures pratiques. Il est important que vous puissiez les accompagner, en tenant compte de la réalité et de l’absence de solutions alternatives, y compris en matière de pulvérisation. Les modes de culture des vignes ne sont pas partout identiques en France. En Bourgogne, les rangs sont beaucoup plus serrés, les vignes sont plus basses et la densité est beaucoup plus importante. De ce fait, les matériels de pulvérisation utilisés aujourd’hui ne sont pas adaptés au modèle bourguignon. J’en appelle à votre compréhension !

enseignement de la chasse dans les lycées agricoles

M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, auteure de la question n° 1258, transmise à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation.

Mme Laurence Rossignol. Monsieur le ministre, ma question concerne l’enseignement de la chasse dans les lycées agricoles – sujet que vous découvrez probablement, tant il n’est pas de grande notoriété.

Plusieurs établissements privés ont mis en place des options « chasse ». Cette idée peut paraître intéressante, mais encore faut-il que le contenu de ces options soit quelque peu défini, qu’il comporte un véritable enseignement de la biodiversité et qu’il réponde à une demande citoyenne de plus en plus forte concernant les différentes pratiques de chasse. S’il ne s’agit que d’apprendre aux élèves comment tuer le gibier dans les battues après des lâchers, ce n’est pas très intéressant. De telles pratiques posent aujourd’hui d’énormes problèmes : les agriculteurs se plaignent de la prolifération des sangliers et les chasseurs n’arrivent pas à tenir les plans de chasse, alors qu’ils ont, tout le monde le sait, largement contribué à l’augmentation de la population des sangliers.

De fait, la chasse n’est pas une activité anodine : elle conduit à manier des armes et peut comporter une charge de violence non négligeable si elle n’est pas bien encadrée. Or il semble que le contenu de ces enseignements dispensés dans les lycées agricoles ne soit pas totalement conforme à l’idée que nous pourrions, vous et moi, nous en faire.

Votre ministère a-t-il l’intention de s’intéresser à ce dossier, pour faire en sorte que le contenu des enseignements agricoles option « chasse » favorise le développement d’une chasse respectueuse de la biodiversité et, surtout, d’une rupture avec les chasses dites « traditionnelles » – chasse à la glu, chasse à courre… –, jugées aujourd’hui inutilement brutales et contraires à la législation sur la sensibilité animale ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Julien Denormandie, ministre de lagriculture et de lalimentation. Madame la sénatrice Laurence Rossignol, je précise que le ministère dont j’ai la charge ne propose aucune option « chasse » au titre des diplômes qu’il délivre.

En revanche, il existe un certificat de spécialisation « technicien cynégétique » ; il s’agit de former des spécialistes capables de gérer des populations de gibiers, des habitats d’espèces animales sauvages et la mise en place de schémas d’exploitation raisonnée conformes aux objectifs de développement durable de nos territoires et de nos cultures.

Certains établissements de l’enseignement agricole, dans le cadre des enseignements optionnels ou facultatifs, proposent un enseignement dit « de pratique professionnelle ». Ces enseignements sont utiles pour aider les élèves à appréhender au mieux les dégâts faunistiques, comme ceux que causent les sangliers.

Une autonomie est laissée aux équipes enseignantes pour définir le contenu de cet enseignement, qui doit venir en complément des référentiels de formation et répondre aux attentes des élèves accueillis dans les établissements. Cet enseignement est instruit par l’autorité académique, autorité compétente pour ouvrir un enseignement optionnel.

Les équipes éducatives des établissements concernés ont choisi comme enseignement facultatif celui qui est dénommé « pratique professionnelle cynégétique », en complément du baccalauréat professionnel spécialité « gestion des milieux naturels et de la faune ». Les objectifs sont le suivi des populations, la participation à la gestion durable des milieux, la création de partenariats avec les acteurs des territoires. Il ne s’agit en aucun cas d’un certificat visant à développer telle ou telle pratique cynégétique, quelle qu’elle soit.

La direction générale de l’enseignement et de la recherche va modifier la note de service du 18 juin 2019 relative aux enseignements facultatifs dans les établissements d’enseignement agricole, incluant des préconisations spécifiques pour les pratiques professionnelles en lien avec le bien-être animal.

Par ailleurs, une note sera adressée par la sous-direction des politiques de formation et d’éducation aux directions de mon ministère afin que des consignes de vigilance soient données aux responsables en région de la validation des ouvertures des enseignements optionnels en lien avec la thématique cynégétique.

M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour la réplique.

Mme Laurence Rossignol. Merci de cette réponse précise, monsieur le ministre.

Je prends note du fait que votre ministère a été saisi de ce sujet et que vous travaillez à mieux encadrer ces enseignements.

Par ailleurs, il se dit qu’un secrétariat d’État au bien-être animal pourrait être créé dans la journée. Voilà un beau dossier à lui confier ! Nous devons faire évoluer le rapport à la chasse, les pratiques de la chasse et la cohabitation entre les différents usagers de la nature, chasseurs et non-chasseurs.

lutte contre les déserts médicaux en seine-maritime

M. le président. La parole est à Mme Céline Brulin, auteure de la question n° 1129, adressée à M. le ministre des solidarités et de la santé.

Mme Céline Brulin. La désertification médicale est endémique en Seine-Maritime. Les responsables des collectivités locales s’arrachent les cheveux pour conserver ou installer des médecins, tandis que nos concitoyens renoncent à certains soins, faute de généralistes ou de spécialistes.

Pour remédier à ce problème récurrent, le Gouvernement a annoncé la fin du numerus clausus, ce qui est une très bonne chose. Malheureusement, rien ne change sur le terrain : aucune place supplémentaire en faculté de médecine en 2020 pour l’université de Rouen, et seulement trois en 2021. Je crains que cela ne permette pas d’enrayer la désertification médicale…

Le Gouvernement a aussi prévu le recrutement de 400 médecins salariés. Combien sont destinés à la Seine-Maritime et qui décidera de leur installation ?

De plus en plus de collectivités locales doivent faire appel à des médecins possédant des diplômes étrangers pour améliorer la situation, mais des maires m’ont alertée sur leurs difficultés à faire reconnaître la certification de ces médecins, et le décret qui vient d’être publié, après des mois d’attente, ne rassure pas !

Dans ce contexte, il me semble nécessaire que l’Agence régionale de santé (ARS) de Normandie apporte un soutien particulier et « sur mesure » aux élus locaux cherchant à installer des médecins.

Il me semble également indispensable que le réseau d’hôpitaux de proximité soit conforté. On ne peut en effet exiger de la médecine de ville qu’elle renonce à l’exercice isolé et développe les regroupements de praticiens et, dans le même temps, affaiblir les hôpitaux de proximité, dont le rôle est essentiel en matière de démographie médicale et d’accès aux soins.

À cet égard, madame la ministre, pouvez-vous nous rassurer sur le devenir du centre hospitalier intercommunal Caux-Vallée de Seine, qui craint une absorption par le groupe hospitalier du Havre ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de lautonomie. Madame la sénatrice Brulin, je partage votre inquiétude quant à la désertification médicale. Élue d’une circonscription rurale, c’est un combat que je mène de manière permanente.

La Normandie fait en effet partie des régions de France métropolitaine où la densité médicale est particulièrement faible, avec de grands contrastes selon les territoires. Face à cette situation, plusieurs réponses sont apportées pour renforcer l’accès aux soins et venir en appui aux territoires qui manquent de professionnels.

Il s’agit tout d’abord de miser sur la formation des futurs professionnels médicaux pour leur permettre de rester dans la région. Le numerus clausus, comme vous l’avez souligné, sera supprimé à la prochaine rentrée universitaire, afin de former plus de médecins. En Normandie, le nombre d’internes en médecine qui entrent en formation à l’université de Rouen s’est accru de 13 % entre 2013 et 2019.

Par ailleurs, l’ARS, les centres hospitaliers universitaires (CHU) de Caen et de Rouen et les universités de la région soutiennent fortement les dispositifs de post-internat pour faciliter l’insertion professionnelle des jeunes médecins en Seine-Maritime.

Chaque année, soixante-dix postes d’assistant sont financés par l’ARS, à hauteur de 6 millions d’euros, pour permettre un exercice à temps partagé entre le centre hospitalier universitaire et les hôpitaux périphériques dans les territoires.

En Seine-Maritime, près de 300 jeunes médecins sont passés par ce dispositif depuis dix ans. En moyenne, 75 % d’entre eux font ensuite le choix d’exercer dans la région.

Les doyens des facultés de médecine mettent également en œuvre une démarche, baptisée « territoires universitaires de santé », visant à identifier et à reconnaître, dans les centres hospitaliers, des praticiens hospitaliers qui se verront confier des missions universitaires.

Il s’agit ensuite de proposer aux jeunes professionnels des conditions d’exercice qui répondent à leurs aspirations. Les jeunes médecins, dans leur très grande majorité, ne veulent plus d’exercice isolé. Ils veulent aussi pouvoir bénéficier, le cas échéant, d’un exercice mixte, en ville et à l’hôpital.

Dans ce cadre, la Normandie a particulièrement développé les maisons de santé pluridisciplinaires : on en dénombre trente-trois en Seine-Maritime, et cinq supplémentaires sont en projet.

C’est dans ce même esprit que le Gouvernement a mis en place le dispositif des « 400 médecins généralistes », qui partageront leur temps entre un hôpital et des consultations dans une zone sous-dense ou exerceront à titre salarié dans un centre de santé. En Seine-Maritime, dix projets sont engagés.

Enfin, vous connaissez les incitations financières qui ont été mises en place au fil des ans. Grâce au nouveau zonage défini par l’ARS, 27 % des Seinomarins vivent dans une zone éligible aux aides à l’installation et au maintien des médecins, hors quartiers prioritaires de la politique de la ville, soit une augmentation de dix-neuf points par rapport au précédent zonage.

Vos préoccupations sont légitimes. Je les partage et je vous confirme que le Gouvernement et l’ARS seront particulièrement vigilants.

M. le président. La parole est à Mme Céline Brulin, pour la réplique.

Mme Céline Brulin. Je vous remercie de votre réponse, madame la ministre, notamment en ce qui concerne les dix projets d’installation de médecin dans le cadre du dispositif des « 400 médecins généralistes ».

En revanche, je ne suis pas complètement satisfaite de votre réponse sur le numerus clausus. Sachant qu’il faut une dizaine d’années pour former un médecin, il est nécessaire d’ouvrir des places très rapidement.

Les ARS ont été beaucoup décriées durant la crise du covid-19. Pour devenir véritablement utiles à nos concitoyens et aux élus locaux, elles doivent s’efforcer d’apporter un soutien « sur mesure » à l’élaboration de projets de territoire. Aujourd’hui, elles sont un peu trop technocratiques à mon goût.

Enfin, vous ne m’avez répondu sur le devenir du centre hospitalier intercommunal Caux-Vallée de Seine, qui doit demeurer un hôpital de proximité. Peut-être le ferez-vous par écrit.

fraude sociale

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, auteur de la question n° 1231, adressée à M. le ministre des solidarités et de la santé.

Mme Nathalie Goulet. Madame la ministre, ma collègue députée Carole Grandjean et moi-même avons rendu l’année dernière, à la demande du Premier ministre, un rapport sur la fraude aux prestations sociales.

Au cours de nos travaux, nous avons exhumé un rapport conjoint de l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) et de l’inspection générale des services (IGS) selon lequel 7 335 000 cartes Vitale actives en trop étaient en circulation. Nous avons refait des calculs et sommes arrivées à la conclusion qu’il existait 5 200 000 cartes actives en trop à la fin de 2019. S’exprimant sous serment devant la commission d’enquête de l’Assemblée nationale, Mme Lignot-Leloup, alors directrice de la sécurité sociale, a indiqué qu’il y avait un peu plus de 2,5 millions de cartes Vitale en trop. Tout cela ne donne pas une impression de grande transparence, sachant que nous parlons bien de cartes actives, c’est-à-dire entraînant des paiements.

Il s’agit d’une question importante au regard de notre situation budgétaire. Les chiffres étant contradictoires, nous en venons, madame la ministre, à vous demander un décompte exact du nombre de cartes Vitale actives par tranche d’âge. Si les textes prévoient qu’un enfant de 12 ans peut avoir une carte Vitale, je connais assez peu d’enfants de cet âge détenant une carte active, sinon, peut-être, des enfants de parents divorcés. Qu’en est-il exactement pour la tranche d’âge des 12-16 ans ? Nous n’arrivons pas, y compris en interrogeant le GIE Sesam-Vitale, qui fait un très bon travail par ailleurs, à obtenir une réponse, d’où cette question orale. Madame la ministre, j’espère que vous pourrez nous donner des chiffres exacts par tranche d’âge, ce qui ne me semble pas techniquement impossible.

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de lautonomie. Madame la sénatrice, je connais votre investissement, ainsi que celui de la députée Carole Grandjean, sur ce sujet.

Vous interrogez le Gouvernement sur le nombre exact de cartes Vitale actives. Tous régimes confondus, 58,4 millions de cartes Vitale actives étaient comptabilisées au 1er janvier 2020. Le nombre de cartes Vitale surnuméraires, c’est-à-dire l’excédent de cartes par rapport au nombre d’assurés sociaux devant en détenir une – à partir de 16 ans de façon systématique ou, sur demande des parents, à partir de 12 ans – s’établissait à 609 000 fin 2019.

Un plan d’action a été défini pour résorber ces cartes surnuméraires. L’année 2019 avait déjà vu une réduction de l’excédent de cartes actives. Ainsi, 1,6 million de cartes ont été sorties du parc actif. À la fin du mois de mai, il restait 347 664 cartes surnuméraires, sur les 609 000 du début d’année. D’ici à fin octobre, ce nombre devrait encore baisser des deux tiers.

Le dispositif Vitale est complexe, et de nombreuses actions ont été menées, depuis son origine, pour maîtriser le parc de cartes. Chaque régime mène sa propre gestion, en coordination avec les autres régimes et avec l’appui du GIE Sesam-Vitale.

Au-delà de la gestion des cartes, il convient de rappeler que de nouveaux outils ont été mis en place pour sécuriser la gestion des droits.

Outre les mises à jour périodiquement faites sur les cartes, l’assurance maladie a déployé un outil d’interrogation en temps réel des droits. Il s’agit d’un point essentiel, car l’enjeu clé pour la maîtrise du risque réside bien dans la gestion des droits.

En 2019, 240 400 professionnels de santé étaient utilisateurs et 213,2 millions de consultations des droits ont été faites.

Vous évoquez une comparaison du nombre de cartes actives avec les chiffres de l’Insee qui dénombre la population présente sur le territoire. Nous comprenons tout à fait l’utilité de chercher à comparer les données. Toutefois, cette comparaison pose difficulté, car la logique de constitution et de gestion de ces bases est très sensiblement différente, comme les données recueillies. Le rapprochement entre les données de l’Insee, constituées sur une base partiellement statistique, et celles de l’assurance maladie, qui recense des personnes systématiquement identifiées et enregistrées à des fins de gestion, soulève plusieurs difficultés.

Hors recensement, l’Insee opère chaque année une mesure par échantillonnage et procède à une extrapolation de l’évolution de la population. Une telle approche induit mécaniquement une première marge d’erreur. En outre, certaines populations – résidents frontaliers travaillant en France, retraités français vivant à l’étranger… – sont appréciées différemment.

Vous avez souhaité, en posant votre question, obtenir des chiffres assez détaillés. Les services du ministère sont en train de consolider les données. Elles pourront vous être communiquées très rapidement, au moins pour les principaux régimes.

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour la réplique.

Mme Nathalie Goulet. C’est un bel effort, madame la ministre, mais la méthode que vous décriez est celle qui a été utilisée par l’Insee, la direction de la sécurité sociale, l’assurance retraite et l’assurance maladie dans un compte rendu du 5 septembre 2019 venu contrer les chiffres que nous avions trouvés. Pour nous contrer, la méthode est bonne ; pour apporter des explications, elle ne l’est plus…

Vous n’avez pas répondu à ma question. Je vous rappelle que la dernière loi de financement de la sécurité sociale prévoyait un meilleur contrôle des données, ce qui n’a pas été fait. Faute de coordination entre l’assurance maladie et le service des étrangers, notamment en ce qui concerne les autorisations de maintien sur le territoire, des personnes en situation irrégulière continuent de détenir une carte Vitale active. Tout cela ne peut pas continuer, madame la ministre. J’attends des réponses écrites.

avenir du centre médico-psychologique de l’enfant et de l’adolescent à château-gontier-sur-mayenne

M. le président. La parole est à M. Guillaume Chevrollier, auteur de la question n° 1238, adressée à M. le ministre des solidarités et de la santé.

M. Guillaume Chevrollier. En plein confinement, l’effectif médical du service de pédopsychiatrie a conduit le centre hospitalier de Laval à fermer de manière provisoire le centre de consultation médico-psychologique (CMP) de Château-Gontier-sur-Mayenne.

Cette décision a provoqué incompréhension et colère chez les familles d’enfants et d’adolescents qui ont besoin d’une prise en charge et d’un suivi régulier.

Grâce à un mouvement solidaire local, à une mobilisation massive des élus locaux, des maires, des familles de patients et des professionnels de santé, les consultations au CMP de Château-Gontier vont pouvoir reprendre à la rentrée. C’est une première bonne nouvelle et une victoire.

Cependant, les CMP d’Evron, d’Ernée et de Mayenne demandent aussi un engagement de votre part, madame la ministre, sur le maintien de leur activité en pédopsychiatrie. Ils ont besoin d’être rassurés. Par le passé, les CMP décentralisés de Craon et de Pré-en-Pail ont fermé.

Or ces établissements sont nécessaires, même vitaux, surtout en cette période de crise sanitaire post-confinement. Nous allons vers des situations graves si les enfants ne bénéficient pas de soins ou d’un suivi « psy » qui leur permettent de trouver une place dans notre monde. Pour leur bien-être et leur stabilité, il faut pérenniser l’accompagnement.

Depuis cinq ans, les activités de pédopsychiatrie en Mayenne sont en difficulté, du fait de la diminution des effectifs médicaux, avec quatre équivalents temps plein (ETP) pourvus sur neuf théoriques pour cinq sites différents, dix structures et une file active d’environ 2 000 enfants par an. Cette situation en Mayenne est représentative d’un problème de démographie médicale majeur et pose, plus globalement, celui de la prise en charge de la santé mentale.

Les grosses structures dont dépendent les CMP ferment des postes et des unités, ce qui fait baisser le nombre de médecins psychiatres. Ces derniers sont alors responsables de plusieurs pôles. Leur charge de travail et de responsabilité augmente en permanence. Ils finissent nécessairement par craquer. C’est surtout le cas dans les territoires ruraux.

Madame la ministre, la psychiatrie publique est au bord de l’implosion et les patients sont encore stigmatisés du fait de leur pathologie. Il est nécessaire de les soutenir et de mettre en place des dispositifs et une réflexion sur le parcours des patients en pédopsychiatrie.

Madame la ministre, comptez-vous insuffler un changement structurel et organiser l’offre de soins en santé mentale autour du patient et dans les territoires ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de lautonomie. Monsieur le sénateur Chevrollier, je vous remercie de votre question et comprends votre préoccupation. Lorsque je présidais la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, j’avais diligenté quelques rapports sur l’aide sociale à l’enfance et sur la psychiatrie. La pédopsychiatrie est une préoccupation majeure pour moi, y compris à titre personnel.

L’intersecteur de pédopsychiatrie du centre hospitalier de Laval, qui couvre l’ensemble du département mayennais, a en effet vu son nombre de médecins pédopsychiatres décliner au fil des années. À la suite du départ de praticiens, seuls 3,2 ETP étaient pourvus en juin 2020, sur les 9,6 budgétés.

Depuis le confinement, l’équipe du centre médico-psychologique a été regroupée au centre hospitalier de Laval, au pôle de psychiatrie, accessible par téléphone. À la sortie de la période de confinement, faute de disponibilité médicale suffisante, le centre hospitalier de Laval a décidé de fermer provisoirement le centre médico-psychologique de Château-Gontier à compter du 1er juin, avec reprise de certaines consultations à Laval, afin de garantir, a minima, l’activité dans cette ville, dans l’attente de renforts médicaux.

Cette situation montre la grande fragilité de la pédopsychiatrie mayennaise, qui doit faire face à des besoins croissants d’hospitalisation et de consultation, mais qui a su tisser des liens étroits avec tous ses partenaires.

Devant cette situation particulièrement difficile, aggravée ces derniers mois, et qui menace la pérennité de la pédopsychiatrie lavalloise, l’agence régionale de santé des Pays de la Loire a élaboré en juin, en lien étroit avec les acteurs concernés, un plan d’action portant sur la création d’un poste de praticien hospitalier partagé entre le Cesame, centre hospitalier spécialisé de Maine-et-Loire, et le centre hospitalier de Laval, sur une aide médicale ponctuelle d’urgence au CMP de Château-Gontier pour en permettre la réouverture, sur l’appui de l’université d’Angers pour des postes d’interne et sur une analyse hémirégionale de la pédopsychiatrie à partir de septembre, concernant le Maine-et-Loire, la Mayenne et la Sarthe.

Dans l’immédiat, grâce à la mobilisation des acteurs locaux, on a pu obtenir qu’un médecin du CHU d’Angers se rende à partir de septembre prochain au centre médico-psychologique de Château-Gontier une fois par semaine, ce qui représente un doublement de la présence médicale par rapport à l’existant.

Par la suite, ce médecin serait susceptible de prendre le poste partagé entre le Cesame et le centre hospitalier de Laval, une fois que ledit poste aura été publié. Outre son activité au CMP, il aura pour mission de créer un hôpital de jour sur ce secteur, et ainsi de renforcer l’offre. Une fois le recrutement de ce médecin entériné, nous pourrons annoncer une date de réouverture du CMP.

M. le président. La parole est à M. Guillaume Chevrollier, pour la réplique.

M. Guillaume Chevrollier. Madame la ministre, je vous remercie de cette réponse. Pour le CMP de Château-Gontier, nous sommes rassurés. Mais il reste ceux d’Évron, d’Ernée et de Mayenne.

Les élus, les familles et les professionnels de santé restent pleinement mobilisés. Nous comptons sur l’engagement du Gouvernement et regrettons le manque d’anticipation en la matière.

Le manque d’attractivité des métiers du secteur de la psychiatrie est un autre problème. Leur revalorisation est indispensable, et j’espère qu’elle fera l’objet d’annonces dans le cadre du Ségur de la santé !

déserts médicaux en haute-garonne et nécessité de création de maisons de santé

M. le président. La parole est à Mme Catherine Deroche, en remplacement de Mme Brigitte Micouleau, auteure de la question n° 1241, adressée à M. le ministre des solidarités et de la santé.

Mme Catherine Deroche. Madame la ministre, les zones sous-denses en médecins se multiplient. Cette situation est particulièrement sensible dans le département de la Haute-Garonne, y compris dans la métropole de Toulouse.

Selon une enquête de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques, la Drees, parue le 14 février dernier, le désert médical n’en finit pas de s’étendre en France. Le nombre d’habitants vivant dans une zone sous-dotée en médecins généralistes est passé de 2,5 millions en 2015 à 3,8 millions en 2018, et la Haute-Garonne n’échappe pas à cette réalité préoccupante.

Les difficultés d’accès aux soins touchent de plus en plus de personnes ; les déserts médicaux s’étendent et vont continuer à croître, touchant les zones rurales comme certaines zones urbaines.

À l’échelle nationale, 18 % de la population serait concernée, du fait de l’absence d’installation de jeunes médecins et de la désaffection pour l’installation libérale, sans oublier les aspirations à une réduction d’activité. Cette situation entraîne la mise en danger sanitaire de la population, notamment la plus fragile, et une précarité sanitaire qui se développe de façon alarmante.

La mesure symbolique, contenue dans la loi du 24 juillet 2019 relative à l’organisation et à la transformation du système de santé, de suppression du numerus clausus devrait certes permettre d’endiguer la pénurie de médecins, mais cette suppression ne sera effective qu’à la rentrée universitaire 2020. En outre, bien que l’objectif affiché d’augmenter d’environ 20 % le nombre de médecins formés soit louable, il faudra attendre une décennie pour que ses effets se fassent sentir.

Une partie de la réponse pour faire face rapidement à la baisse de la démographie médicale et éviter une rupture d’équité territoriale réside dans la création de maisons de santé, regroupant soignants et professionnels de santé, proposant un exercice collectif et coordonné de la médecine.

Le nombre de ces maisons de santé est largement insuffisant. Leur développement souffre d’un manque cruel de financement. Devant une telle situation d’urgence, quelles actions efficaces peut-on entreprendre immédiatement pour faciliter leur déploiement ? Quelles solutions le ministère des solidarités et de la santé peut-il apporter pour pallier l’insuffisance des politiques publiques, conduisant à des inégalités territoriales en matière d’accès aux soins ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de lautonomie. Madame la sénatrice, l’accès aux soins est un sujet de préoccupation majeur. Nous comprenons l’inquiétude légitime des citoyens, des élus et des professionnels de santé lorsqu’un médecin part à la retraite ou quitte son cabinet.

Cette situation est le résultat de plusieurs facteurs. Elle procède de mauvaises orientations – de 1991 à 2000, moins de 4 000 médecins ont été formés chaque année – et de problèmes d’anticipation : le vieillissement de la population et l’augmentation des maladies chroniques n’ont pas été suffisamment pris en compte, de même que l’évolution des pratiques des professionnels et des conditions d’exercice.

Aujourd’hui, le département de la Haute-Garonne présente une densité médicale supérieure à la moyenne régionale et nationale, mais ce taux cache des disparités, y compris dans la métropole toulousaine, qui est confrontée à une forte désertification médicale, accentuée par une rapide croissance démographique.

Devant ces difficultés, l’ARS, le conseil départemental de l’Ordre des médecins, la caisse primaire d’assurance maladie et l’union régionale des professionnels de santé, l’URPS, ont engagé un travail partenarial à l’échelle du département et de la ville de Toulouse, plus spécifiquement en faveur des quartiers, avec l’appui de la ville de Toulouse et de son bailleur social.

Les constats qui en découlent confortent la nécessité, pour l’ARS, de poursuivre et de renforcer l’accompagnement des structures d’exercice coordonné par diverses mesures.

Tout d’abord, l’accompagnement dans l’exercice coordonné des professionnels de santé doit permettre de renforcer le maillage du territoire en maisons de santé pluridisciplinaires. En tout, vingt-quatre de ces maisons ont été ouvertes dans le département, dont neuf à Toulouse, cinq maisons dont le projet a été validé sont en attente d’ouverture et huit projets sont en cours d’élaboration.

Ensuite, le fonds d’investissement régional de l’ARS assure un accompagnement financier de l’ensemble des projets, à hauteur de 50 000 euros. S’y ajoute un financement pérenne de l’assurance maladie : vingt-trois maisons de santé pluridisciplinaires bénéficient de l’accord conventionnel interprofessionnel, l’ACI, pour des montants annuels allant de 25 000 euros à près de 100 000 euros.

Enfin, plusieurs projets de communautés professionnelles territoriales de santé, ou CPTS, sont en cours et bénéficient d’un accompagnement. L’ARS a conventionné avec les URPS pour les accompagner. L’ARS d’Occitanie accorde une enveloppe de 30 000 euros pour financer l’ingénierie, et l’assurance maladie doit elle aussi assumer une part du financement, via l’ACI, après validation du projet de santé.

Pour réussir, nous aurons besoin des élus à nos côtés ; en réunissant tous les acteurs, je suis convaincue que nous trouverons des solutions adaptées à chacun des territoires !

prise en charge des lymphœdèmes post-cancer

M. le président. La parole est à Mme Catherine Deroche, auteure de la question n° 1246, adressée à M. le ministre des solidarités et de la santé.

Mme Catherine Deroche. Ma question a pour objet ces séquelles de traitement du cancer que sont les lymphœdèmes.

Après un cancer du sein avec curage axillaire, une femme sur cinq présente un lymphœdème du membre supérieur, et les lymphœdèmes du membre inférieur après cancer pelvien – cancer de la prostate chez l’homme ou cancer gynécologique chez la femme – touchent un patient sur quatre.

Ces séquelles deviennent une maladie chronique. Elles ne se guérissent pas, mais elles exigent un véritable traitement. D’ailleurs, ce dernier fait l’objet d’un consensus tant national qu’international. Il consiste à réduire le volume du membre concerné, de façon à améliorer la qualité de vie du patient et à éviter les complications infectieuses, qui, pour ce type de pathologies, sont très fréquentes.

Au cours des premières semaines, l’on appose des bandes à allongement court ; vient ensuite un traitement d’entretien au long cours, avec des compressions élastiques. Mais les bandes à allongement court ne sont pas prises en charge par l’assurance maladie et les compressions élastiques ne le sont que partiellement. Certains patients aux revenus modestes renoncent donc à ces soins ou ne renouvellent pas les bandages assez souvent. C’est ce que nous a signalé le docteur Vigne, chef du service de lymphologie de la fondation Cognacq-Jay, que le groupe cancer, que je préside, a entendu au mois de mars dernier.

Ma question est simple : va-t-on améliorer la prise en charge de ces traitements ? Les pathologies dont il s’agit peuvent entraîner des handicaps très lourds. Tous les exemples que M. Vigne a cités lors de son audition en apportaient la preuve flagrante !

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de lautonomie. Madame la sénatrice Catherine Deroche, vous interrogez le ministre des solidarités et de la santé au sujet de la prise en charge des lymphœdèmes post-cancer.

Vous l’avez rappelé, le lymphœdème secondaire auquel vous faites référence est une dégradation du système lymphatique : il survient lorsqu’un système lymphatique auparavant normal est endommagé.

Les lymphœdèmes peuvent avoir une cause chirurgicale, infectieuse, chimiothérapeutique, tumorale ou encore iatrogène. Ils sont donc susceptibles d’apparaître consécutivement à un traitement du cancer, et plus particulièrement à la suite du curage des ganglions sous l’aisselle, dans le cas du cancer du sein.

L’incidence du lymphœdème secondaire post-cancer est insuffisamment connue, mais la Haute Autorité de santé, la HAS, estime qu’après cancer du sein celle-ci varierait selon le type de traitement : le risque serait moins élevé chez les femmes qui subissent une biopsie des ganglions sentinelles que chez celles qui subissent un évidement des ganglions axillaires. Ainsi, la fréquence de survenue de cette pathologie est estimée actuellement entre 15 % et 28 % après curage axillaire classique et entre 2,5 % et 6,9 % après utilisation de la technique du ganglion sentinelle.

La prise en charge du lymphœdème est complexe. Ses deux principaux objectifs sont de traiter la cause spécifique du lymphœdème, par des soins adaptés, et de traiter le lymphœdème lui-même pour atténuer ses conséquences sur la qualité de vie des patients.

Le premier objectif a fait l’objet, pour le cancer du sein, d’une note de cadrage de la HAS en juillet 2012. On l’atteint principalement grâce à des compressions par bandages, par le port de manchons, par un drainage lymphatique manuel ou encore par des interventions chirurgicales utilisant différentes techniques pour restaurer une circulation normale de la lymphe. Dans le cadre de la prise en charge au titre des affections de longue durée, ces actes sont remboursés à 100 % par l’assurance maladie.

Quant au second objectif – l’amélioration de la qualité de vie des patients –, il passe par des conseils pratiques de vie au quotidien ainsi que par un bilan et un suivi d’activité physique, psychologique et diététique.

À ce titre, le parcours de soins global après le traitement d’un cancer, créé par l’article 59 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020, dont les textes réglementaires sont en cours de finalisation, vise à améliorer la prise en charge des patients après le cancer sur l’ensemble du territoire en organisant la mise en place et la réalisation de bilans d’activité physique, psychologique et diététique, ainsi que des consultations de suivi psychologique et diététique.

M. le président. La parole est à Mme Catherine Deroche, pour la réplique.

Mme Catherine Deroche. Madame la ministre, les drainages lymphatiques, effectués par exemple par des kinésithérapeutes, sont effectivement remboursés. Mais, comme l’a souligné le docteur Vigne, tous les patients ne bénéficient pas de la technique du ganglion sentinelle, dont vous dites qu’elle pourrait réduire les risques de lymphœdème. (Mme la ministre déléguée le concède.)

Certains patients se retrouvent avec des membres supérieurs ou inférieurs énormes et cette pathologie est extrêmement invalidante. Elle entraîne des conséquences à la fois sanitaires, sociales, professionnelles et personnelles. Or, pour les intéressés, les traitements par compression sont mal pris en charge.

Vous avez rappelé les dispositions votées au titre de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 ; je regrette d’ailleurs que les décrets d’application ne soient toujours pas pris : il est temps que ce suivi global des patients traités pour un cancer soit mis en œuvre.

J’y insiste, ces bandes doivent être remboursées, car les personnes modestes renoncent à les utiliser !

élargissement de la prime « grand âge »

M. le président. La parole est à M. Olivier Cigolotti, auteur de la question n° 1257, adressée à M. le ministre des solidarités et de la santé.

M. Olivier Cigolotti. Ma question porte sur l’attribution de la prime « grand âge ».

Le décret n° 2020-66 du 30 janvier dernier a instauré une prime « grand âge », versée aux agents titulaires, stagiaires et contractuels relevant des grades d’aide-soignant dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, ou Ehpad, sous statut public.

Cette prime mensuelle de 118 euros bruts, financée par l’assurance maladie, est destinée à reconnaître l’engagement des professionnels exerçant auprès des personnes âgées et à valoriser les compétences nécessaires à la prise en charge de celles-ci.

Le décret réserve cette prime aux agents des établissements sous statut public, excluant de fait les aides-soignants employés par les Ehpad privés à but non lucratif. Mon département, la Haute-Loire, compte 22 établissements de ce type, sur un total de 48 Ehpad.

Cette mesure crée donc une forte inégalité entre les professionnels des Ehpad du secteur public et ceux du secteur privé à but non lucratif, alors même qu’ils exercent les mêmes missions, dans des conditions particulièrement difficiles.

Le recrutement de personnel dans les Ehpad n’est déjà pas aisé, et l’on constate une diminution des effectifs dans les instituts de formation : cette prime sélective ne fera qu’accentuer le déficit en personnel compétent dans les établissements du secteur privé.

Le Gouvernement a-t-il l’intention de remédier à cette inégalité de traitement ? Envisage-t-il de généraliser la prime « grand âge » à l’ensemble des aides-soignants qui interviennent dans les Ehpad, quel que soit le statut de l’établissement qui les emploie ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de lautonomie. Monsieur le sénateur Olivier Cigolotti, je vous remercie d’appeler l’attention sur cette prime « grand âge », destinée à reconnaître l’engagement des professionnels concernés auprès de nos aînés.

Le secteur de l’aide à domicile est lui aussi en souffrance.

M. Olivier Cigolotti. C’est vrai !

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée. Je militerai pour que cette prime lui soit étendue, même si cette décision dépend aussi des départements.

L’accompagnement que les professionnels apportent aux personnes âgées suppose bel et bien des compétences spécifiques, qui justifient une meilleure reconnaissance financière des corps d’aides-soignants exerçant auprès des personnes âgées.

Comme vous le constatez, le décret du 30 janvier dernier traduit cet objectif pour la fonction publique hospitalière.

Dans le secteur privé, une telle revalorisation, si elle est encouragée, doit préalablement faire l’objet de négociations collectives entre les organisations représentatives des employeurs et les salariés. Les pouvoirs publics n’ont pas compétence pour se substituer aux partenaires sociaux dans ces négociations. L’État accompagne néanmoins la dynamique de celles-ci en fixant chaque année un taux de progression de la masse salariale du secteur social et médico-social privé à but non lucratif.

Ainsi, pour l’année 2020, le Gouvernement a souhaité soutenir ce secteur en offrant aux acteurs les marges financières nécessaires pour instaurer une prime comparable à celle mise en place dans le secteur public. À cette fin, il a fixé un taux d’évolution de la masse salariale de 1,25 % pour l’ensemble des conventions collectives de la branche de l’action sanitaire, sociale et médico-sociale privée à but non lucratif, et un taux différencié de 2,7 % pour la branche de l’aide à domicile.

Cela représente un effort de plus de 310 millions d’euros en faveur des rémunérations du secteur social et médico-social, tous financements confondus.

Le taux retenu ouvre aux acteurs du secteur privé non lucratif la possibilité de conclure des accords collectifs permettant d’instaurer une prime « grand âge », à l’instar de celle existant désormais dans la fonction publique.

M. le président. La parole est à M. Olivier Cigolotti, pour la réplique.

M. Olivier Cigolotti. Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse ; je ne doute pas de votre engagement en la matière.

Dans la mesure où les règles tarifaires sont les mêmes dans les Ehpad publics et dans les Ehpad privés, il n’y a pas de raison que cette prime ne puisse pas être transposée aux établissements du secteur à but non lucratif. On ne travaille pas moins ou différemment dans les établissements privés. Malheureusement, cette disparité rend encore plus difficile un recrutement déjà complexe et renforce les inégalités dans nos territoires !

lisibilité par les personnes malvoyantes des dates de péremption figurant sur les boîtes de médicaments

M. le président. La parole est à M. Pascal Martin, auteur de la question n° 1160, transmise à M. le ministre des solidarités et de la santé.

M. Pascal Martin. Madame la ministre, j’appelle votre attention sur le manque de lisibilité, pour les personnes malvoyantes, des dates de péremption figurant sur les boîtes de médicaments.

Ces dates sont déjà difficilement repérables pour une personne disposant d’une bonne vue ; elles le sont encore davantage pour les personnes malvoyantes. Pour cette catégorie de consommateurs, la taille des lettres est très insuffisante. Elle est susceptible de les induire en erreur et de les exposer à un risque réel pour leur santé.

La directive 2001/83/CE du Parlement européen, transposée à l’article R. 5121-138 du code de la santé publique, énumère limitativement les mentions devant figurer sur l’emballage extérieur des médicaments de manière à être plus facilement lisibles. Certaines mentions doivent également être indiquées en braille.

Cette question a déjà fait l’objet de multiples recommandations de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, l’ANSM. Mais, par définition, ces préconisations n’entraînent aucune obligation de mise en conformité pour les fabricants.

Je vous demande de bien vouloir me préciser la position du Gouvernement. Il convient d’obliger les entreprises destinataires de ces recommandations à les respecter, notamment en mentionnant sur les boîtes de médicaments des dates de péremption lisibles pour les personnes malvoyantes. Cette question a déjà été posée à plusieurs reprises, mais les pouvoirs publics n’ont apporté aucune réponse concrète !

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de lautonomie. Monsieur le sénateur Pascal Martin, je vous remercie de cette question, qui traduit effectivement la préoccupation de nombreuses personnes malvoyantes.

Vous l’avez rappelé, l’étiquetage du conditionnement des médicaments est encadré par une directive européenne transposée en droit national. L’article R. 5121-138 du code de la santé publique énumère ainsi les mentions devant obligatoirement figurer sur l’emballage extérieur du médicament, dont la date de péremption en clair, inscrite de manière à être facilement lisible, clairement compréhensible et indélébile.

Au terme d’une large concertation avec les différentes parties prenantes, l’ANSM a élaboré, à l’intention des industriels, une recommandation portant sur l’étiquetage des conditionnements de médicaments sous forme orale solide. Elle insiste sur la nécessité de porter une attention particulière au choix de la police et de sa taille, afin de garantir la bonne lisibilité de l’ensemble des mentions et d’en faciliter la lecture, notamment par les personnes présentant des troubles de la vision et les sujets âgés.

D’une manière générale, il faudrait utiliser la plus grande taille de police permise par le conditionnement. Quant à la date de péremption, il est recommandé qu’elle soit écrite dans un format standard : deux chiffres pour le jour, s’il existe, deux chiffres ou au moins trois lettres pour le mois et quatre chiffres pour l’année.

Enfin, la date de péremption doit également être mentionnée sur le conditionnement primaire des médicaments, c’est-à-dire le conditionnement avec lequel le médicament se trouve en contact direct. À cet égard, l’article R. 5121-138 du code de la santé publique prévoit que le nom et le dosage du médicament sont inscrits en braille sur le conditionnement extérieur ou, à défaut, sur le conditionnement primaire.

Au surplus, dans sa décision du 7 mai 2008 prise en application de cette disposition, l’ANSM indique que, lorsqu’un espace suffisant est disponible, d’autres informations pertinentes peuvent être mentionnées en braille, dont la date de péremption.

Le sujet de la lisibilité des informations disponibles est donc bien identifié. Une réflexion pourra et devra se poursuivre à ce titre avec le ministère chargé des personnes handicapées.

M. le président. La parole est à M. Pascal Martin, pour la réplique.

M. Pascal Martin. Madame la ministre, vous nous rappelez la réglementation en vigueur, en application d’une directive européenne, mais le problème est qu’il s’agit de simples recommandations. (Mme la ministre déléguée le concède.) Au nom des très nombreuses associations de malvoyants, je souhaiterais que l’on passe à une obligation très claire et précise, pour les fabricants, d’apposer sur les boîtes de médicaments les informations en question de manière lisible par les malvoyants.

organisation de l’état en guyane face aux crises sanitaires

M. le président. La parole est à M. Georges Patient, auteur de la question n° 1244, transmise à M. le ministre des solidarités et de la santé.

M. Georges Patient. Madame la ministre, la gestion chaotique de l’épidémie de covid-19 a été un révélateur de plus des grandes faiblesses de l’organisation sanitaire en Guyane. Si nous demeurons le seul territoire français encore gravement touché, avec, aujourd’hui, plus de 6 700 personnes infectées, près de 150 patients hospitalisés, dont 34 en réanimation, et surtout 38 décès, ce n’est pas le fait d’un simple hasard : c’est parce que les mesures prises pour anticiper et préparer la phase que connaît aujourd’hui la Guyane se sont révélées inadaptées et insuffisantes. Une fois de plus, il a fallu réagir dans l’urgence, avec les insuffisances de l’urgence !

Les Guyanais sont excédés. Ils ne supportent plus d’être discriminés, d’être considérés comme des citoyens de seconde zone en matière de santé, ce bien primordial, ce droit pour tous. Un mot d’ordre de grève générale est d’ailleurs lancé pour ce jour même.

Le temps est plus que venu de doter la Guyane d’un système de santé opérant, qui soit à même de faire face durablement à tous les enjeux sanitaires du territoire.

La Guyane est située à plus de 8 000 kilomètres de l’Hexagone, à plus de 2 000 kilomètres des Antilles françaises, et certaines de ses zones intérieures sont très éloignées des centres hospitaliers : il faut impérativement une organisation propre, adaptée à ces réalités !

La conférence régionale de la santé et de l’autonomie, la CRSA, de Guyane a déposé une contribution en ce sens au Ségur de la santé. Elle porte notamment sur la création d’un CHU, réclamée depuis plus de vingt ans, et le redimensionnement des centres délocalisés de prévention et de soins de Saint-Georges-de-l’Oyapock et de Maripasoula en hôpitaux de proximité.

Les élus, les syndicats, les collectifs citoyens et les organisations professionnelles : tous ont relayé ces demandes en remettant une motion au Premier ministre lors de son récent déplacement en Guyane. Le ministre de la santé l’y accompagnait. Je sais qu’il doit présenter aujourd’hui même le second volet des mesures du Ségur de la santé, qui porte précisément sur l’organisation du système de santé.

Vous l’aurez compris : la réponse du Gouvernement est vivement attendue !

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de lautonomie. Monsieur le sénateur Georges Patient, votre question traduit la légitime inquiétude de votre territoire ; vous le savez, le Gouvernement est très attentif à cette situation.

Vous l’avez rappelé, le Premier ministre, le ministre des outre-mer et le ministre de la santé se sont rendus mi-juillet en Guyane pour faire le point sur la situation sur place.

L’ensemble des mesures prises depuis plusieurs semaines jouent un rôle important dans la relative stabilisation de la situation épidémique en Guyane.

Face à un important afflux de patients et au risque de saturation des capacités de prise en charge réanimatoire, une stratégie de réponse a été mise en place en Guyane. Elle repose sur quatre types de mesures et a pour objectif de maintenir la qualité des soins.

Premièrement, l’envoi de matériels – respirateurs, appareils de monitorage, pousse-seringues électriques, etc. – et de consommables permettra d’armer des lits de réanimation, ou encore de répondre à un risque de pénurie de dispositifs médicaux nécessaires à la prise en charge des patients.

Deuxièmement, l’envoi de médicaments nécessaires à la prise en charge de ces patients – hypnotiques, myorelaxants, etc. – permettra de répondre aux tensions d’approvisionnement.

Troisièmement, le renforcement en professionnels de santé permettra d’atténuer et de mieux répartir la charge de travail qui pèse sur les professionnels, qui, vous l’avez rappelé, sont mis à rude épreuve, d’armer des lits supplémentaires et d’assurer les relèves.

Quatrièmement et enfin, l’évacuation sanitaire de patients permettra d’éviter l’engorgement de services risquant d’être saturés et d’accueillir de nouveaux patients.

Depuis plusieurs semaines, les établissements de santé de Guyane prennent de nombreuses mesures pour renforcer les capacités hospitalières et faire face au covid-19, notamment dans les services de médecine et de réanimation : réorganisation des services, augmentation du temps de travail, déprogrammations, etc.

Dans une logique de solidarité nationale, un appel à mobilisation a été lancé par le centre de crise sanitaire le 20 juin dernier, afin d’identifier des volontaires susceptibles de rejoindre les rangs de la réserve sanitaire pour être déployés en renfort sur le territoire guyanais. Le Gouvernement, sachez-le, est pleinement engagé, et nous ferons face à l’épidémie ensemble !

M. le président. La parole est à M. Georges Patient, pour la réplique.

M. Georges Patient. Madame la ministre, je salue les mesures d’urgence qui ont pu être prises, mais on sait très bien ce qui se passe quand on agit dans l’urgence. Ce que nous voulons, en Guyane, ce sont des solutions durables : la création d’un CHU et le renfort de médecins cubains, eu égard à la désertification médicale de notre territoire !

point de situation du dispositif « 400 médecins »

M. le président. La parole est à M. Patrice Joly, auteur de la question n° 1204, transmise à M. le ministre des solidarités et de la santé.

M. Patrice Joly. Le plan Ma santé 2022 prévoyait le recrutement de 400 médecins généralistes dans les territoires fragiles, afin de pallier le manque de praticiens dans les zones dites « sous-denses ».

Le maire de Château-Chinon et moi-même avions interrogé à ce sujet la ministre de la santé. En avril 2019, elle nous a indiqué que Château-Chinon avait été retenue pour bénéficier de ce dispositif de recrutement de médecins généralistes. En 2015, cette sous-préfecture est restée quelque temps sans aucun médecin libéral, situation particulièrement préoccupante.

Sans nouvelle du suivi de ce dossier au bout d’un an, nous avons saisi le directeur général du groupement hospitalier de territoire, le GHT. Il nous a répondu que, faute de candidatures de médecins, pour lesquels de tels postes seraient financièrement peu attractifs, l’annonce de la ministre de la santé n’avait qu’assez peu de chances de se concrétiser…

Dès lors, s’agissait-il d’un simple coup de communication ou d’une annonce sans lendemain ? Les besoins dans nos territoires sont criants. Sur les 400 médecins annoncés, combien exercent effectivement sur le terrain, deux ans après l’annonce, qu’ils aient été recrutés par un établissement hospitalier ou qu’ils exercent à titre libéral ?

J’appelle également votre attention sur la situation du pôle de santé de Cosne-sur-Loire. La clinique qui existait à côté de l’établissement hospitalier a déposé le bilan à la suite d’une fermeture administrative pour non-conformité aux normes sanitaires. Elle est fermée depuis près d’un an et, pour les 200 000 habitants de ce territoire, les services médicaux font cruellement défaut, qu’il s’agisse des urgences ou de l’imagerie médicale. Le temps passe, les conditions d’une reprise deviennent de plus en plus difficiles et l’inquiétude va croissant. Quelles initiatives l’État compte-t-il prendre pour remédier à cette situation ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de lautonomie. Monsieur le sénateur Patrice Joly, vous l’avez rappelé, le défi démographique que nous avons à relever aujourd’hui est grand.

Le nombre de médecins généralistes et de spécialistes en accès direct exerçant en libéral est en baisse régulière depuis 2010, et cette baisse est susceptible de se poursuivre jusqu’en 2025. Je suis, comme vous, très engagée sur ce sujet de la désertification médicale, et j’ai suffisamment milité pour faire changer l’état d’esprit des jeunes étudiants, y compris directement en faculté de médecine, pour savoir qu’il n’y a là aucune évidence et que les solutions doivent relever, sur les territoires, d’un travail de dentelle.

Nous avons pris dès 2017 des dispositions pour proposer un panel de solutions adaptables à chaque contexte local, car la réponse aux difficultés démographiques ne saurait être unique. Parmi ces solutions figurent l’exercice coordonné sous toutes ses formes, dont on sait qu’il représente un fort levier d’attractivité, ou encore la télémédecine, qui permet d’abolir les distances – on en a vu l’efficacité pendant le confinement.

Le déploiement de 400 postes de médecin généraliste en exercice partagé entre une structure hospitalière et une structure ambulatoire ou le salariat dans un centre de santé ou un établissement de santé fait effectivement partie des leviers supplémentaires annoncés dans le cadre de la stratégie Ma santé 2022 pour donner un nouvel élan à cette démarche, qui a permis d’engager assez vite une nouvelle dynamique.

L’année 2019 a été celle du lancement de la mesure « 400 médecins ». En fin d’année, 110 postes avaient été pourvus ou étaient en passe de l’être, grâce à l’engagement des ARS et de leurs partenaires pour proposer des offres attractives.

Un nouveau bilan national sera fait très prochainement. D’ores et déjà, il s’avère que ce dispositif a permis de recruter vingt-trois médecins en Bourgogne-Franche-Comté, dont, plus particulièrement, deux au centre polyvalent de santé de Nevers.

Pour ce qui concerne le secteur de Château-Chinon, l’agence régionale de santé et les acteurs locaux sont mobilisés afin de redonner du temps médical au département ; ces efforts devraient aboutir dans les mois qui viennent.

Nous avons fait le choix de la confiance aux acteurs pour innover et mettre en place des solutions adaptées aux contextes locaux, et nous avons pu observer que cette stratégie était la meilleure : des dynamiques se sont nouées et des premiers progrès ont été enregistrés.

Je comprends bien sûr votre impatience, à double titre, mais certaines actions demandent un peu de temps pour produire pleinement leurs effets.

Concernant le cas de Cosne-sur-Loire, je vais m’enquérir du problème auprès du ministère afin que vous receviez une réponse écrite.

M. le président. La parole est à M. Patrice Joly, pour la réplique.

M. Patrice Joly. Nous souhaitons, sur nos territoires, que l’État soit proactif et s’inscrive dans des démarches de projets. Dans le cas de la clinique de Cosne-sur-Loire, il faut rechercher des repreneurs potentiels, accompagner le montage des modèles économiques et sanitaires. On ne peut pas se contenter de gérer des procédures sur le terrain – je pense en particulier à l’ARS.

installations temporaires à vocation économique

M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, auteure de la question n° 1168, adressée à Mme la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.

Mme Catherine Morin-Desailly. Madame la ministre, les dispositions de la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dite loi ÉLAN, étaient destinées à assouplir les restrictions imposées par la loi du 3 janvier 1986 relative à l’aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral.

L’article R. 121-5 du code de l’urbanisme autorise la réalisation d’aménagements légers dans les espaces remarquables ou caractéristiques du littoral et les milieux nécessaires au maintien des équilibres biologiques. Parmi ces aménagements figurent, entre autres, les équipements légers et démontables nécessaires à la préservation et à la restauration de ces milieux, les objets mobiliers destinés à l’accueil ou à l’information du public, ou encore la réfection des bâtiments existants et l’extension limitée des bâtiments et installations nécessaires à l’exercice d’activités économiques.

Ces dispositions sont certes bienvenues, mais elles ne laissent qu’une marge de manœuvre étroite aux élus locaux qui souhaiteraient stimuler l’attractivité de leur commune littorale. À titre d’exemple, les équipements légers et démontables destinés à la restauration sur place ou à emporter ne répondent pas aux critères fixés par l’article R. 121-5 du code de l’urbanisme. Les maires ne demandent rien d’autre que de pouvoir mettre en valeur les atouts de leur commune tout en préservant les caractéristiques patrimoniales et environnementales, ainsi que la biodiversité de leur littoral.

Ne pourrait-on donc, sous condition d’un respect strict de l’intégration paysagère et architecturale, voire de l’approbation de la commission départementale de la nature, des paysages et des sites, étendre la liste des autorisations prévues par l’article R. 121-5 du code de l’urbanisme aux installations temporaires à vocation économique ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Nadia Hai, ministre déléguée auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargée de la ville. Madame la sénatrice, vous appelez notre attention sur la liste des aménagements légers autorisés dans les espaces remarquables du littoral. Vous proposez d’étendre cette liste aux installations temporaires à vocation économique, pour répondre aux demandes des élus soucieux de l’attractivité de leur territoire.

Depuis plus de trois ans, nous sommes mobilisés auprès des élus locaux pour renforcer le dynamisme de leurs territoires ; nous ne pouvons donc que vous rejoindre sur ce point. Je citerai le programme Action cœur de ville et les opérations de revitalisation des territoires. Concernant spécifiquement les communes littorales, la loi ÉLAN a également permis de faciliter les projets des communes, s’agissant notamment de traiter la problématique des « dents creuses » dans les zones littorales, qui faisait débat depuis des années.

Les espaces remarquables du littoral sont parmi les plus sensibles. Ils sont à ce titre parmi les plus protégés et doivent continuer de faire partie de notre patrimoine le plus préservé.

Ce sujet mérite un traitement à part. C’est pourquoi la loi ÉLAN a récemment affirmé le caractère limitatif de ce qu’il est possible de faire dans ces espaces. À l’issue d’une concertation, une liste a ensuite été définie par décret, toutes les garanties permettant de protéger ces espaces y étant attachées. La protection des espaces remarquables doit rester un objectif majeur de la loi Littoral. C’est pourquoi il n’est pas envisagé d’étendre les possibilités de dérogation au principe d’inconstructibilité qui régit ces espaces à des équipements qui seraient destinés à de la restauration sur place ou à emporter. De telles activités peuvent facilement générer des stationnements, voire, dans certains cas, des dépôts sauvages de déchets, dans des milieux à préserver particulièrement sensibles.

Si, toutefois, certains projets respectant le caractère exceptionnel de ces espaces devaient se trouver empêchés, mes services sont disposés à étudier, en concertation avec la ministre de la transition écologique, ces difficultés et les exemples concrets que vous pourriez nous faire remonter.

M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, pour la réplique.

Mme Catherine Morin-Desailly. Madame la ministre, cette question se pose très concrètement dans mon département, la Seine-Maritime. Les élus locaux nous en ont saisis ; j’ai pu juger sur place et sur pièces du type de projets dont il est question. J’ai bien pris soin de vous dire qu’il conviendrait bien entendu d’être extrêmement respectueux de la qualité environnementale et patrimoniale des lieux, ainsi que de la biodiversité. C’est la présidente de la commission de la culture, qui a beaucoup travaillé à la loi relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine, qui vous parle ; elle est aussi la présidente suppléante de la commission régionale de l’architecture et du patrimoine !

Il me semble possible de procéder aux assouplissements que j’ai évoqués, en apportant toutes les garanties. Il y a suffisamment de commissions, dans notre pays, qui pourraient statuer pour autoriser, ou non, une installation temporaire. Faisons confiance, aussi, aux élus locaux ! Ils connaissent leur territoire.

redéfinition des espaces ruraux

M. le président. La parole est à M. Louis-Jean de Nicolaÿ, auteur de la question n° 1233, adressée à Mme la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.

M. Louis-Jean de Nicolaÿ. Madame la ministre, permettez-moi d’attirer votre attention sur l’importance d’associer les élus locaux et nationaux à la réflexion menée conjointement par l’Agence nationale de la cohésion des territoires et par l’Insee, en lien avec l’agenda rural, sur la redéfinition des espaces ruraux.

Le Gouvernement a en effet souhaité définir une « nouvelle géographie prioritaire » de la ruralité pour accompagner l’évolution des dispositifs visant à réduire les inégalités territoriales.

Le besoin de disposer d’une définition rénovée et positive des espaces ruraux est partagé, de même que celui d’une révision de certains zonages qui servent de base au soutien de l’État aux territoires, en particulier ruraux.

Alors que le Parlement, notamment le Sénat, a produit de nombreux travaux sur ces sujets, à l’instar du récent rapport d’information sur les zones de revitalisation rurale fait au nom de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable et de la commission des finances du Sénat, je m’étonne que votre ministère et l’Insee n’aient pas sollicité les parlementaires impliqués sur le sujet pour les associer à la réflexion.

Vous connaissez l’attachement des élus à leurs territoires, ainsi qu’aux dispositifs zonés, qui marquent le soutien de la Nation à leur égard. Aussi serait-il souhaitable que les décisions déterminantes pour l’évolution de ces zonages soient prises d’abord à un niveau politique, impliquant une large concertation des élus locaux et nationaux directement concernés.

Pouvez-vous me confirmer que les parlementaires impliqués sur ce sujet seront effectivement associés à ces travaux et réflexions ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Nadia Hai, ministre déléguée auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargée de la ville. Monsieur le sénateur, vous nous interrogez, d’une part, sur l’articulation entre la définition de la ruralité et l’évolution du zonage prioritaire, et, d’autre part, sur l’association des élus, locaux et nationaux, à ces réformes.

Conformément aux engagements pris dans le cadre de l’agenda rural, le Gouvernement a lancé conjointement deux exercices : un groupe de travail, piloté par l’Insee, est chargé de réfléchir à la définition statistique de la ruralité ; une mission inter-inspections, intégrant une large palette de compétences, doit proposer des pistes de réforme de la géographie prioritaire.

Les travaux de l’Insee sont en cours. Le groupe de travail qu’il pilote implique plusieurs ministères et services de l’État, mais aussi des associations d’élus, afin d’aborder la question de la ruralité d’une manière aussi complète que possible. Ses membres ont réfléchi à l’emploi de nouvelles méthodes pour définir le phénomène rural autrement que comme une négation de l’urbain.

Le ministère suit les propositions de ce groupe de travail de près, et accorde une grande importance à ce que les territoires, dans toute leur diversité, puissent être définis conformément à leurs caractéristiques. Mieux définir pour ne pas opposer, telle pourrait être, en la matière, notre ligne de conduite, qui a vocation à être partagée. Nous avons bien conscience que ces définitions ne sont pas seulement des catégories statistiques complexes, des catégories d’experts, mais produisent des effets dans la réalité. Elles cristallisent en effet une certaine vision de notre géographie et des territoires de notre pays. Nous veillerons donc à ce qu’un échange sur ce sujet puisse avoir lieu à un niveau politique.

Le zonage prioritaire, qui est un zonage réglementaire, se distingue du zonage statistique ou d’étude. Les deux notions ont néanmoins vocation à être abordées simultanément, pour garantir la cohérence de l’action publique.

Quant à la mission inter-inspections chargée de proposer des pistes d’évolution de la géographie prioritaire, elle vient de rendre son premier rapport.

Constatant le caractère complexe, sédimenté, insuffisamment ciblé peut-être de notre géographie prioritaire, il a été conclu à la nécessité de la réformer.

Le rapport de la mission inter-inspections, qui était chargée de nous proposer des scénarios, accorde une place de premier plan aux zones de revitalisation rurale, mais traite aussi des zones de restructuration de la défense, des « bassins urbains à dynamiser », ou encore des « bassins d’emploi à redynamiser ». Il se concentre spécifiquement sur l’efficacité des exonérations, fiscales ou sociales associées au classement dans ces zones prioritaires. Il esquisse trois grands scénarios d’évolution de ces exonérations : les rationaliser, déconcentrer leur attribution ou les supprimer et les transformer en crédits budgétaires gérés de manière décentralisée. Ces pistes se retrouvent d’ailleurs dans différents rapports parlementaires.

Sur la base de ce travail, nous ne manquerons pas d’engager des concertations avec les élus, nationaux et locaux, pour déterminer la stratégie à adopter ; une place sera également réservée aux parlementaires, et ces consultations se verront accorder un temps suffisant.

M. le président. La parole est à M. Louis-Jean de Nicolaÿ, pour la réplique.

M. Louis-Jean de Nicolaÿ. L’ensemble des parlementaires ont été saisis par l’Association des maires ruraux de France, qui les a invités à faire en sorte que le débat ne soit pas seulement, une fois de plus, un débat d’experts, de statisticiens : il faut veiller ce qu’il y ait vraiment un débat politique sur l’espace rural.

Il y a le périurbain, il y a l’espace rural, il y a les grandes villes ; tout cela nécessite une véritable concertation. Nous sommes toujours inquiets que les rapports soient présentés avant même que les parlementaires aient été saisis. J’espère que vous serez notre interprète auprès de Mme Gourault pour qu’une concertation soit organisée, avec la commission de l’aménagement du territoire et la commission des finances notamment, et que le travail qui a été fait par les sénateurs soit respecté.

application du droit local aux communes des départements du haut-rhin, du bas-rhin et de la moselle

M. le président. La parole est à M. René Danesi, auteur de la question n° 1240, adressée à Mme la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.

M. René Danesi. Madame le ministre, je souhaite attirer votre attention sur des dispositions qui appellent une clarification quant à leur application dans les départements d’Alsace et dans celui de la Moselle.

Il s’agit, en premier lieu, de deux dispositions contradictoires de la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite loi NOTRe, dispositions relatives aux seuils à partir desquels les communes sont tenues de se doter d’un règlement intérieur.

Avant cette loi, le droit local d’Alsace et de Moselle soumettait toutes les communes à l’obligation de se doter d’un règlement intérieur, mais l’article L. 2541-5 du code général des collectivités locales issu de la loi NOTRe a réservé cette obligation, en Alsace-Moselle, aux seules communes de 3 500 habitants et plus. Or l’article L 2121-8 du code général des collectivités territoriales, également introduit par la loi NOTRe, a fixé le seuil à 1 000 habitants à compter de l’actuel renouvellement des conseils municipaux. De prime abord, cette dernière disposition apparaît applicable en Alsace-Moselle, car l’article cité n’y prévoit pas sa non-application.

En attendant la nécessaire coordination législative entre ces deux dispositions, pouvez-vous me confirmer, madame le ministre, l’interprétation selon laquelle, en vertu de l’article L. 2541-5 du code général des collectivités territoriales, la règle spéciale prime sur la règle générale, de sorte que c’est bien le seuil de 3 500 habitants spécifique aux communes d’Alsace et de Moselle qui s’applique ?

En second lieu, j’aimerais que vous précisiez les modalités de convocation des conseillers municipaux à la séance du conseil municipal en Alsace-Moselle.

En effet, la loi du 27 décembre 2019 relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique dispose que la convocation des conseillers municipaux se fait par voie dématérialisée, aux termes de l’article L. 2121-10 du code général des collectivités locales. Mais l’application de cette disposition aux communes d’Alsace-Moselle est explicitement écartée par l’article L. 2541-1 du même code, et aucune disposition en la matière n’est prévue dans la partie du code consacrée au fonctionnement des communes de ces trois départements, ce qui semble inviter à privilégier la convocation écrite traditionnelle. Il semble donc prudent de continuer, en Alsace-Moselle, d’envoyer les convocations par courrier.

M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.

M. René Danesi. Pouvez-vous confirmer, madame le ministre, que mon interprétation de la façon dont ces textes doivent s’appliquer en Alsace-Moselle est la bonne ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Nadia Hai, ministre déléguée auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargée de la ville. Monsieur le sénateur, vous m’interrogez sur l’application de certaines dispositions du code général des collectivités territoriales relatives aux conseils municipaux des communes des départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, sachant que ces communes sont soumises à des règles de fonctionnement qui relèvent, pour certaines, du droit local.

Vous appelez notre attention, premièrement, sur les seuils à partir desquels les conseils municipaux sont tenus de se doter d’un règlement intérieur. Je ne rappellerai pas les modifications qui ont été apportées par la loi NOTRe – vous l’avez très bien fait dans votre question.

L’article L. 2121-8 du code général des collectivités territoriales prévoit l’obligation, à compter du renouvellement général de 2020, d’établir un règlement intérieur dans les six mois qui suivent l’installation du conseil municipal pour les communes de 1 000 habitants et plus. Cette obligation, comme vous l’avez souligné, ne s’imposait auparavant qu’aux communes de 3 500 habitants et plus.

Pour ce qui concerne les communes des départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, l’article L. 2541-5 du même code fixe quant à lui ce seuil à 3 500 habitants et plus. Il est exact que, avant la mise en application de la loi NOTRe, cet article imposait au conseil municipal de ces communes, quelle que soit leur taille, d’élaborer un règlement intérieur sans condition de délai.

Même si aucune disposition du code général des collectivités territoriales n’écarte l’application de l’article L. 2121-8 aux communes de ces départements, il est en droit une règle fondamentale selon laquelle les lois spéciales dérogent aux lois générales. L’adoption d’un règlement intérieur n’est donc pas obligatoire pour les communes de moins de 3 500 habitants situées dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle.

Vous appelez en outre mon attention sur l’application des modalités de convocation des conseils municipaux prévues à l’article L. 2121-10 du code général des collectivités territoriales dans les communes des départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle.

Cet article prévoit que la convocation au conseil municipal « est transmise de manière dématérialisée ou, si les conseillers municipaux en font la demande, adressée par écrit à leur domicile ou à une autre adresse ».

Ce dispositif introduit par la loi n° 2019-1461 du 27 décembre 2019 relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique vise en effet à ce que l’envoi dématérialisé des convocations devienne la norme, et l’envoi par courrier l’exception.

L’article L. 2541-1 du code général des collectivités territoriales écartant explicitement l’application de cet article dans les communes des départements que nous avons cités, l’envoi par courrier des convocations au conseil municipal dans les communes de ces départements reste la norme. Il sera toujours possible, via un prochain vecteur législatif, d’étendre cet envoi dématérialisé aux communes d’Alsace et de Moselle.

M. le président. À très longue question, très longue réponse ; j’invite chacun à respecter les deux minutes trente…

assouplissement de la loi littoral pour les constructions agricoles

M. le président. La parole est à Mme Agnès Canayer, auteur de la question n° 1243, adressée à Mme la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.

Mme Agnès Canayer. Ma question viendra en complément de celle de ma collègue Catherine Morin-Desailly, ce qui tend à prouver que le sujet de l’urbanisation du littoral dans notre département, la Seine-Maritime, est extrêmement prégnant.

L’urbanisation dans les communes littorales de ce département est une question sensible, complexe, qui nécessite la recherche d’un équilibre constant entre la préservation justifiée de l’environnement et une urbanisation maîtrisée.

Strictement encadrée, l’urbanisation dans les communes littorales a fait l’objet d’assouplissements, introduits par les dispositions de la loi du 23 novembre 2018, dite loi ÉLAN.

Or l’interprétation stricte de ces dispositions, sans prise en compte des spécificités locales ou de la réalité économique, suscite de nombreuses incompréhensions chez les élus locaux concernés, ceux de la Seine-Maritime notamment.

Deux sujets illustrent particulièrement ces difficultés.

D’une part, il est impossible, pour les exploitants agricoles, de construire des locaux pour mettre en commun leurs productions et faire de la vente directe, au motif que cette activité n’est pas considérée comme « nécessaire » à l’activité principale !

D’autre part, il est impossible, pour les maires, d’autoriser des constructions dans les « dents creuses » des hameaux, au motif que ceux-ci ne peuvent être considérés comme des « secteurs déjà urbanisés ». Or, dans le pays de Caux, les communes sont toutes constituées de nombreux hameaux, résultante du bocage normand. Ces hameaux sont d’ailleurs souvent beaucoup plus peuplés que le centre-bourg.

Si l’urbanisation des communes littorales doit se faire dans le respect de notre patrimoine naturel, elle doit aussi prendre en compte les particularités locales des bourgs normands et l’évolution des pratiques agricoles. Les maires des communes littorales, pourtant conscients des enjeux pour leur commune et de la nécessité d’en préserver la biodiversité, l’identité et le patrimoine, sont souvent peu consultés par les services de l’État s’agissant de l’application des dispositions sur leur territoire.

Ma question est simple : comment mieux prendre en compte l’avis des élus locaux pour, sans déroger aux règles d’urbanisme, tenir compte des spécificités locales dans l’urbanisation des communes littorales ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Nadia Hai, ministre déléguée auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargée de la ville. Madame la sénatrice, vous nous interrogez sur l’assouplissement de la loi Littoral pour les constructions agricoles. Pour répondre à la préoccupation de maintenir des activités agricoles en zone littorale, la loi Littoral a prévu une dérogation au principe de l’extension de l’urbanisation en continuité.

Avant la loi ÉLAN, cette dérogation était soumise à une double contrainte : la construction ou l’installation devait être liée aux activités agricoles ou forestières et être incompatible avec le voisinage des zones habitées.

Par ailleurs, les cultures marines n’entraient pas dans le champ d’application de cette dérogation, ce qui faisait obstacle au développement de cette activité.

Devant ce constat et afin de répondre aux besoins des communes littorales de maintenir et de développer les activités réellement agricoles traditionnelles de leur territoire, nous avons, avec la loi ÉLAN, assoupli cette dérogation à deux titres : d’une part, en supprimant la condition selon laquelle les constructions en cause doivent être incompatibles avec le voisinage des zones habitées ; d’autre part, en étendant le bénéfice de cette dérogation aux activités de culture marine, y compris dans les espaces proches du rivage.

Il s’agit là d’assouplissements importants. En contrepartie, la loi ÉLAN a circonscrit le bénéfice de cette dérogation aux constructions ou installations réellement nécessaires, et non à celles qui sont simplement liées aux activités agricoles ou forestières ou aux cultures marines. L’objectif est donc bien de favoriser les activités agricoles stricto sensu. Je rappelle d’ailleurs que, dans les communes non concernées par la loi Littoral, les dérogations à ces principes au profit des constructions simplement liées à l’activité agricole sont très ponctuelles. Il ne faudrait pas que nous soyons plus souples dans les zones littorales, alors que nous souhaitons les protéger davantage.

Nous sommes conscients des difficultés que la mise en œuvre de cette rédaction, comme celle de toute nouvelle réglementation, peut poser. Mes services sont disposés à étudier, en concertation avec ceux de mes collègues chargés de l’agriculture et de l’écologie, les difficultés et les exemples concrets que vous pourriez nous faire remonter.

M. le président. La parole est à Mme Agnès Canayer, pour la réplique.

Mme Agnès Canayer. L’objectif est en effet la préservation de l’environnement des communes littorales –nous sommes tous d’accord là-dessus. Mais il importe aujourd’hui de prendre en compte certaines spécificités et l’impossibilité, pour les agriculteurs, qui jouent un rôle important dans la protection de l’environnement et de notre littoral – les prés consacrés à l’élevage permettent par exemple de lutter contre le ruissellement –, de pratiquer des activités pourtant essentielles – le confinement l’a montré –, telles que la vente directe, au motif qu’elles n’entrent pas dans la catégorie des activités « nécessaires », malgré leur lien fort avec l’agriculture.

M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue.

Mme Agnès Canayer. Nous vous demandons donc, madame la ministre, de prendre en compte ces spécificités locales et l’avis des élus locaux.

inclusion numérique

M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Mizzon, auteur de la question n° 1228, transmise à Mme la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.

M. Jean-Marie Mizzon. La Haute Assemblée, qui a particulièrement à cœur la défense des territoires, vient de se saisir d’une question d’importance pour ces derniers : celle de l’inclusion numérique, décrétée urgence nationale et voulue pour l’ensemble du pays.

Le Sénat a constitué, le 13 mai dernier, une mission d’information, que j’ai l’honneur de présider, sur la lutte contre l’illectronisme, handicap invisible s’il en est et assez répandu en France à l’aube du XXIe siècle. De fait, selon les chiffres du syndicat de la presse sociale, 12 % des Français, c’est-à-dire près de 6 millions de personnes, ne « surfent » jamais sur la Toile, et 23 % de nos concitoyens déclarent se sentir « mal à l’aise avec le numérique ».

Contre toute attente, les personnes âgées ne sont pas les seules concernées par cet illectronisme numérique. Toutes les classes d’âge, tous les milieux sociaux et, surtout, toutes les régions, urbaines comme rurales, sont concernés.

Aussi, et parce que cette situation peut conduire nombre de Français à renoncer à leurs droits ou, pis encore, provoquer une exclusion sociale totalement inadmissible dans notre République, il convient de veiller à un juste équilibre dans les moyens mobilisés pour remédier à ce problème.

Pour l’heure, en attendant que l’accès de tous aux sites web et l’utilisation par tous d’internet deviennent une réalité, et parce que les services publics, de plus en plus dématérialisés, doivent demeurer accessibles par tous les moyens à tous les Français, en particulier dans les zones rurales et les petites villes, est-il prévu, madame la ministre, que l’indulgence prévale quant à certaines démarches administratives obligatoires ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Nadia Hai, ministre déléguée auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargée de la ville. Monsieur le sénateur, 14 millions de Français sont éloignés du numérique. Comme vous l’avez indiqué à juste titre, les personnes âgées sont loin d’être les seules concernées.

Pour ces Français, la fracture est d’abord territoriale : 50 % des non-internautes résident dans des communes de moins de 20 000 habitants. Les niveaux d’études et de revenus sont également des facteurs déterminants d’inégalité. Le confinement a mis en lumière l’urgence qu’il y a à agir.

En 2018, le Gouvernement a lancé une stratégie nationale pour un numérique inclusif, après une concertation avec les associations de collectivités territoriales et les grands opérateurs de service public. L’objectif est, premièrement, de consolider une offre de médiation numérique de proximité pour tous nos concitoyens, afin qu’ils puissent être accompagnés partout dans la réalisation de leurs démarches en ligne, et, deuxièmement, de permettre à chacun d’acquérir des compétences numériques de base utiles pour apprendre, échanger, trouver un nouveau travail.

L’inclusion numérique est désormais une priorité gouvernementale, au nom de l’égalité des territoires et des citoyens.

Deux dispositifs de la stratégie nationale pour un numérique inclusif concourent à apporter une solution au problème que vous soulevez.

L’une des solutions qui ont émergé est le pass numérique, qui permet de financer des ateliers de médiation numérique contribuant à l’autonomie des publics éloignés de l’outil numérique.

Après avoir mobilisé 10 millions d’euros en 2019, l’Agence nationale de la cohésion des territoires mobilisera 30 millions d’euros, avec le concours du plan d’investissement dans les compétences et celui des collectivités locales, pour favoriser le déploiement du pass numérique.

Autre dispositif sur lequel le Gouvernement travaille depuis plusieurs mois : le service numérique Aidants connect. Cette solution a été développée au sein de l’incubateur des territoires de la nouvelle Agence nationale de la cohésion des territoires.

Les aidants numériques ont besoin d’être sécurisés juridiquement dans l’accompagnement de publics en difficulté, notamment lorsqu’ils réalisent des démarches administratives en ligne pour le compte d’usagers. À cette fin, le dispositif Aidants connect permet à un aidant professionnel de réaliser, via une connexion sécurisée, des démarches administratives en ligne à la place d’une personne qui ne parvient pas à les faire seule. Ce service permettra notamment aux agents des 544 maisons France services, aux secrétaires de mairie ou aux agents publics d’accueil d’apporter une réponse et un suivi sécurisés aux personnes éloignées du numérique.

M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Mizzon, pour la réplique.

M. Jean-Marie Mizzon. Madame la ministre, vous dites que la lutte contre l’illectronisme est une priorité.

J’observe que les acteurs publics multiplient les documents de planification, que les schémas succèdent aux schémas, mais que sur le terrain, ma foi, nombre d’initiatives manquent singulièrement de coordination, de professionnalisme et d’ambitions.

Les acteurs se sentent délaissés. Il faudrait des moyens appropriés pour former 13 à 14 millions de personnes au numérique. Cela ne se fait certes pas d’un seul coup de baguette magique, mais il faut des moyens dédiés.

M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue !

M. Jean-Marie Mizzon. Or rien n’est fait en ce sens.

montant différencié de la dotation globale de fonctionnement par habitant

M. le président. La parole est à M. Olivier Paccaud, auteur de la question n° 1239, transmise à Mme la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.

M. Olivier Paccaud. « Liberté, égalité, fraternité », telle est la devise de la République, une et indivisible. Or, dans la réalité, cet idéal reste verbal et s’évanouit lors de la répartition des dotations de l’État entre les villes et les campagnes.

Ainsi, lorsqu’une commune de moins de 500 habitants bénéficie d’une dotation globale de fonctionnement, ou DGF, calculée sur une base personnelle de 64,46 euros, une ville dont la population dépasse 200 000 habitants reçoit 128,93 euros par personne. Est-ce juste ?

Cette différence, une véritable iniquité, est justifiée par vos services au nom des « charges de centralité » que doivent assumer les territoires plus peuplés, qui accueillent plus de services administratifs et commerciaux.

Certes, les ruraux viennent chercher à la ville les services qu’ils n’ont pas, ou surtout plus, chez eux. Mais n’oublions pas que la loi du nombre aboutit pratiquement toujours à des coûts moyens d’investissement bien inférieurs en zone urbaine.

Raccorder les 150 logements de l’immeuble d’un quartier au réseau d’assainissement d’une grande ville se révèle ainsi souvent moins onéreux qu’installer l’assainissement dans un hameau de 10 maisons. Cette problématique est d’ailleurs valable pour tous les réseaux : eau, électricité, téléphonie, fibre. Péréquation rime ainsi avec illusion en matière de soutien d’État aux territoires.

Si les habitants des campagnes sont égaux devant l’impôt avec les urbains, ils ne le sont pas en termes de retour fiscal et d’offre de services. Les ruraux sont donc de bons contribuables, mais des citoyens de seconde zone. Au pays de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, est-ce cohérent et acceptable ?

En respectant la logique de votre administration, ne faudrait-il pas que l’impôt sur le revenu varie en fonction du lieu de résidence, puisque les habitants en milieu rural utilisent bien moins de services publics de proximité, faute de disponibilité ?

Au nom de la solidarité nationale et de la justice territoriale, quand le Gouvernement révisera-t-il son algorithme, en apportant plus d’équité et de bon sens dans le calcul de la dotation globale de fonctionnement ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Nadia Hai, ministre déléguée auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargée de la ville. Monsieur le sénateur, vous m’interrogez sur la question de l’emploi d’un coefficient variant de 1 à 2 au sein de la dotation forfaitaire des communes.

La question consiste à déterminer comment rendre compte, objectivement, des charges supportées par une commune dans son attribution de DGF. L’analyse économétrique conclut que les charges croissent avec la population. C’est ce qui explique pourquoi, au sein de la dotation forfaitaire, le gain d’un habitant conduit à un gain de dotation forfaitaire variant de 64 euros à 129 euros.

Cet écart n’est pas apparu par hasard : il est fondé sur des travaux scientifiques conduits par des universitaires et plusieurs fois actualisés et confirmés. Le Gouvernement a publié un rapport détaillé sur la question l’année dernière, rappelant l’ensemble de ces analyses.

Pour vous en convaincre davantage, monsieur le sénateur, je vais prendre deux exemples, qui, j’en suis certaine, vous parleront.

Est-ce que l’on peut dire que, par habitant, le niveau des charges contraintes supportées par la commune de Compiègne, soit un peu plus de 41 000 habitants, est le même que celui de communes voisines de 500 ou de 1 000 habitants ? Objectivement, la réponse est non, car il n’est tout simplement pas imaginable de ne pas prendre en compte les coûts, réels et objectifs, induits par la démographie dans la répartition des concours financiers de l’État.

Par ailleurs, ce coefficient n’est qu’un critère parmi d’autres. Vous avez dû consulter la répartition de la DGF 2020 pour un certain nombre de communes de votre département de l’Oise. Vous avez dû constater que le niveau de la DGF totale ne varie pas du simple au double selon la population d’une commune, preuve que bien d’autres critères sont pris en compte et tendent à assurer, concrètement, une répartition équitable des concours de l’État. C’est le cas, par exemple, dans la dotation de solidarité rurale, la DSR.

Depuis 2017, le montant global de la DGF a été stabilisé, et la DSR a crû de 90 millions d’euros par an chaque année. De même, la dotation d’équipement des territoires ruraux, la DETR, a atteint depuis 2018 un niveau de plus de 1 milliard d’euros par an, soit un seuil jamais atteint par le passé.

Enfin, nous avons lancé l’agenda rural, issu d’un travail de terrain, et ses nombreuses mesures en faveur de la ruralité et des habitants comme de ses élus.

Au regard de ces éléments, vous voyez bien, monsieur le sénateur, que le Gouvernement ne se désintéresse pas du tout de la question de la ruralité.

M. le président. La parole est à M. Olivier Paccaud, pour la réplique.

M. Olivier Paccaud. Certes, le Gouvernement ne se désintéresse pas de la ruralité, j’en suis conscient. Néanmoins ce mode de calcul ne convient pas aux ruraux.

Il existe une véritable ségrégation – je pèse mes mots –, qui s’illustre par ce chiffre qui va de 1 à 2. Ce n’est pas la DSR qui le comblera, même si les maires qui bénéficient d’un peu de DETR ou DSR en sont satisfaits. Il convient de faire des calculs un peu plus justes !

conséquences du brexit sur les retraites et les contributions sociales des français résidant au royaume-uni

M. le président. La parole est à Mme Hélène Conway-Mouret, auteure de la question n° 1140, adressée à M. le ministre de l’Europe et des affaires étrangères.

Mme Hélène Conway-Mouret. Monsieur le ministre, depuis l’annonce du retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne, nos concitoyens vivant au Royaume-Uni s’inquiètent de la situation fiscale, alors que la période de transition durera encore jusqu’au 31 décembre 2020.

Lors de son audition au Sénat, Michel Barnier, chef de la Task Force pour la finalisation de l’accord, n’a rien caché des difficultés rencontrées pour arriver à un accord global avec le Royaume-Uni. Ma question a trait à la situation fiscale de nos compatriotes.

Au début de l’année 2020, lors d’un déplacement en Écosse, nos compatriotes ont abordé les sujets qui les préoccupent au cours d’une réunion publique. La question des retraites pour ceux qui cotisent au Royaume-Uni a été prégnante. Ils craignent, en effet, que leurs trimestres ne soient plus reconnus suivant l’accord négocié. Il me paraît important, alors que les négociations sont en cours, d’attirer votre attention et celle de notre négociateur sur ce point. Quelle est votre mobilisation ?

Au lendemain de la période de transition, les Français vivant au Royaume-Uni seront considérés comme résidant hors de l’espace économique européen. Seront-ils alors de nouveau assujettis au prélèvement de la contribution sociale généralisée, la CSG, et de la contribution pour le remboursement de la dette sociale, la CRDS ?

Hors Union européenne, nos compatriotes ne bénéficient toujours pas de cette exonération malgré les nombreuses oppositions à la mise en place de cette mesure injuste. Je pense, notamment, à une pétition lancée à la fin de 2018 par les conseillers consulaires.

Ces Français continuent d’être soumis à ces cotisations sans bénéficier d’aucune couverture sociale, de retraite ou de chômage. Il s’agit d’une discrimination et d’une véritable injustice au regard du principe d’égalité devant l’impôt.

Il est donc urgent dès maintenant de penser l’après-Brexit. Pouvez-vous nous rassurer sur l’engagement du ministère sur ces deux points ?

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Franck Riester, ministre délégué auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargé du commerce extérieur et de lattractivité. Madame la sénatrice Conway-Mouret, je vous remercie de cette question importante pour nos compatriotes résidant au Royaume-Uni. Vous pouvez d’ailleurs compter sur la mobilisation du ministère de l’Europe et des affaires étrangères pour les accompagner dans cette période chargée d’interrogations concernant le Brexit.

L’accord de retrait entre l’Union européenne et le Royaume-Uni assure un maintien des droits acquis par les assurés ayant exercé leur mobilité avant la fin de la période de transition – le 31 décembre 2020 –, en ce qui concerne la totalisation des périodes pour la retraite et l’exportation des pensions de retraite dans les deux sens. C’est-à-dire que, en vertu de l’accord de retrait, ces droits acquis avant la fin de la période de transition ne pourront être remis en cause.

En effet, les périodes d’activité des assurés français ayant travaillé au Royaume-Uni, réalisées avant la fin de la période de transition, seront prises en compte dans le cadre de l’ouverture et du calcul des droits à la retraite en France et au Royaume-Uni – même après la fin de la période de transition –, en application des règles de coordination de sécurité sociale des règlements européens qui continuent à s’appliquer.

Les retraites britanniques et françaises continueront également à être versées à l’assuré selon le principe de « l’exportabilité », comme le prévoient les règles de coordination de sécurité sociale des règlements européens.

Dès lors que l’assuré percevait déjà une pension avant la fin de la période de transition, celle-ci continuera à lui être versée dans son État de résidence. Ses soins de santé continueront à être pris en charge selon les règles de la coordination de sécurité sociale.

Ainsi, et même après la fin de la période de transition, la France continuera à exporter les pensions des retraités d’un régime français, quel que soit leur lieu de résidence.

S’agissant en revanche des personnes qui exercent leur mobilité entre le Royaume-Uni et la France après la période de transition, la situation demeure incertaine et dépendra de la négociation de la relation future entre l’Union européenne et le Royaume-Uni.

Vous le savez, des négociations sont en cours pour parvenir à un accord régissant cette relation après le 31 décembre 2020. Le mandat de négociation de l’Union européenne sur la relation future prévoit bien – c’est l’article 58 – que « le partenariat envisagé devrait traiter la question de la coordination en matière de sécurité sociale ». Les dispositions qui seront adoptées et les droits qui en découleront dépendront donc du résultat des négociations.

Nous devons nous préparer à la possibilité d’un no deal – il est important de l’avoir en tête – à l’issue de la période de transition. Dans cette hypothèse, le Gouvernement sera habilité à prendre par ordonnances des mesures nécessaires à la préservation de la situation des ressortissants britanniques résidant en France ou exerçant une activité, mais ces mesures seront soumises à une stricte réciprocité ; elles ne pourront donc être mises en œuvre que si les autorités britanniques assurent les mêmes droits aux ressortissants français au Royaume-Uni.

M. le président. La parole est à Mme Hélène Conway-Mouret, pour la réplique.

Mme Hélène Conway-Mouret. Il est en effet très important de clarifier la situation de Français qui sont très inquiets, mais aussi, bien sûr, celle de tous les résidents britanniques sur notre sol.

Je regrette néanmoins que vous n’ayez pas abordé la deuxième partie de ma question, qui concernait la CSG et la CRDS. Les ressortissants français au Royaume-Uni s’interrogent très légitimement : seront-ils de nouveau assujettis à ces cotisations ?

Malheureusement ou heureusement pour les Français résidant hors de France, la Cour de justice de l’Union européenne a rendu un jugement en 2015, qui condamne la France sur l’imposition de ces cotisations. Il serait utile que le Gouvernement clarifie également ce point.

brexit et saisonniers britanniques

M. le président. La parole est à Mme Martine Berthet, auteure de la question n° 1256, adressée à M. le ministre de l’Europe et des affaires étrangères.

Mme Martine Berthet. Le département de la Savoie est très dépendant du tourisme, hiver comme été. Les citoyens britanniques représentent une large part des touristes de nos stations ; de même pour les salariés de même provenance qui accompagnent ces voyageurs et renforcent les équipes en place pour un accueil adéquat.

Les tour-opérateurs qui organisent ces voyages en France sont aujourd’hui inquiets, car à l’issue de la période transitoire le 31 décembre 2020 le Royaume-Uni quittera l’Union européenne. Les contours de cette sortie restent encore flous.

Deux cas de figure se présentent à eux : soit les saisonniers britanniques sont recrutés par une entité française avec un contrat de droit français avant le 3 décembre 2020, et ils ne savent pas si après cette date le contrat, même antérieur, sera toujours valable et si les saisonniers auront besoin d’une autorisation de travail pour terminer la saison sur le territoire national ; soit, dans l’hypothèse où la qualité de travailleur détaché est validée, même postérieurement au 31 décembre 2020 entre nos deux pays, ils ne savent pas non plus s’il sera nécessaire d’obtenir une autorisation de travail pour terminer ce contrat.

Par ailleurs, monsieur le ministre, même si ce point ne vous concerne pas directement, je souhaite profiter de cette question orale pour alerter le Gouvernement sur le fait qu’Eurostar a annoncé que ses trains ne rejoindraient plus les destinations de montagnes du département comme ils le faisaient de Londres vers Moûtiers, Aime-la-Plagne ou Bourg-Saint-Maurice pour déverser les flots de touristes britanniques au pied des stations de montagne les plus renommées au monde.

Une telle décision aurait un impact considérable non seulement sur le tourisme, mais aussi sur le bilan carbone de ces déplacements, la seule possibilité restant alors l’acheminement par avion jusqu’à l’aéroport de Chambéry-Voglans, puis par bus.

Ces contraintes constituent des freins à l’essor économique, voire à la reprise économique et à l’emploi dans les territoires de montagne et de notre pays tout entier. En effet, elles risquent de décourager de nombreux touristes, des tour-opérateurs et des travailleurs britanniques.

Aussi, j’aimerais, monsieur le ministre, que le Gouvernement apporte par ses réponses une meilleure visibilité à l’ensemble des entreprises de l’économie touristique de montagne, à leurs saisonniers et aux élus.

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Franck Riester, ministre délégué auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargé du commerce extérieur et de lattractivité. Je suis conscient de l’importance de la clientèle britannique pour notre industrie touristique, en particulier en Savoie, et du rôle des saisonniers britanniques pour l’accueil de ces touristes.

C’est pourquoi nous sommes très attentifs aux conséquences du retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne sur la filière tourisme en Savoie, qu’il s’agisse des conditions d’emploi des saisonniers britanniques, des conditions de séjour des touristes britanniques ou de la connectivité ferroviaire.

Sur ce dernier volet, j’ai constaté comme vous qu’Eurostar avait décidé de ne pas assurer le service à destination des Alpes cet hiver.

Il faut rappeler que la crise du covid-19 a eu un impact particulièrement fort sur Eurostar du fait de sa nature d’opérateur transfrontalier. L’incertitude liée à l’évolution de la situation sanitaire ne leur permet pas non plus d’envisager un retour rapide de la demande.

C’est dans ce contexte difficile qu’Eurostar a prévu un plan d’économies drastique, ainsi qu’une réduction de sa flotte, donc de son plan de transport, en se concentrant sur les principaux itinéraires. Avec Jean-Yves Le Drian et Jean-Baptiste Djebbari, je serai vigilant pour qu’Eurostar travaille avec les élus, les associations et la SNCF sur la connectivité de la destination Savoie. C’est fondamental, comme vous l’avez très justement rappelé.

S’agissant des conditions de séjour des touristes britanniques en France, l’accord de retrait, entré en vigueur le 1er février dernier, garantit les droits liés au séjour des ressortissants britanniques. Pendant la période de transition, qui devrait en principe s’achever le 31 décembre, le voyageur britannique doit être muni d’un passeport ou d’une carte nationale d’identité en cours de validité. Aucun visa n’est nécessaire.

S’agissant des conditions d’emploi des travailleurs saisonniers britanniques, pendant la période de transition, la réglementation européenne relative au détachement des travailleurs reste applicable. La possibilité de poursuivre les détachements en cours à l’issue de la période de transition dépendra de la conclusion d’un nouvel accord portant sur la relation future, faute de quoi ils prendront fin au 31 décembre 2020.

En l’absence d’accord à l’issue de la période de transition, nous serons tenus d’appliquer les dispositions de droit commun régissant les conditions dans lesquelles des ressortissants de pays tiers peuvent entrer ou séjourner dans l’Union européenne en tant que travailleurs saisonniers. C’est la directive de 2014 relative aux ressortissants britanniques.

Comme vous, je regrette cette incertitude, mais elle n’est que le reflet de celle, plus générale, pesant sur nos relations futures avec le Royaume-Uni. Il faut continuer de se préparer aux conséquences d’un éventuel no deal à la fin de 2020, car ce scénario ne peut être exclu. Je rappelle d’ailleurs qu’il affecterait bien plus le Royaume-Uni que les pays de l’Union européenne.

Le travail de préparation s’intensifie au niveau national et à l’échelon européen. Nous ne manquerons pas de revenir vers vous pour vous indiquer où en sont les négociations.

M. le président. La parole est à Mme Martine Berthet, pour la réplique.

Mme Martine Berthet. Je vous remercie de vos réponses, monsieur le ministre. Je vous rappelle cependant l’urgence de la situation, puisque les contrats de travail devaient être conclus au mois de décembre et les recrutements se faire dès le mois de septembre.

hausse du coût de la vie en guadeloupe et dans les outre-mer

M. le président. La parole est à M. Dominique Théophile, auteur de la question n° 1216, transmise à M. le ministre des outre-mer.

M. Dominique Théophile. La crise sanitaire et économique que nous traversons participe, partout en France, à l’augmentation des prix à la consommation. C’est vrai dans l’Hexagone. C’est particulièrement visible dans les outre-mer. Cette situation est évidemment difficile à accepter pour nos compatriotes ultramarins.

Tout d’abord, parce que la pauvreté et le chômage y sont plus élevés qu’ailleurs. En Guadeloupe, pour ne prendre que cet exemple, un tiers de la population – c’est-à-dire près de 135 000 personnes – vit au-dessous du seuil de pauvreté.

Ensuite, parce que les écarts de prix constatés avec l’Hexagone sont particulièrement importants, en raison de l’éloignement, bien sûr, et des frais de transport que la distance provoque, en raison aussi d’un manque criant de concurrence dans le secteur de la grande distribution.

Le code de commerce autorise pourtant le Gouvernement, en Guadeloupe et dans certains territoires d’outre-mer, à réglementer, voire à encadrer, le prix de vente de produits de première nécessité et de consommation courante.

L’article L. 410-2 du même code autorise d’ailleurs le Gouvernement à arrêter « des mesures temporaires motivées par une situation de crise, par des circonstances exceptionnelles ou par une calamité publique ».

Ma question, monsieur le ministre, est la suivante : quelles mesures entendez-vous prendre dans les outre-mer pour contenir rapidement une hausse des prix aux effets potentiellement dévastateurs ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Sébastien Lecornu, ministre des outre-mer. Monsieur le sénateur Dominique Théophile, je vous remercie de cette question, qui, une fois de plus, marque votre engagement personnel pour la Guadeloupe, mais aussi pour tous les territoires d’outre-mer.

Le sujet de la lutte contre la vie chère en outre-mer est un sujet d’engagement constant de l’État, qui a profondément rénové, ces dix dernières années, le cadre juridique pour disposer d’outils efficaces : avec les lois de régulation économique outre-mer en 2012 et la programmation relative à l’égalité réelle outre-mer en 2017.

Parmi les mesures en place, on peut souligner les accords de modération des prix, ou « bouclier qualité-prix », renforcé en 2020 par la création de trois catégories de produits assorties chacune d’un prix maximal, notamment pour les produits alimentaires, les produits d’hygiène et les produits pour la petite enfance.

On peut également souligner la création des observatoires des prix, des marges et des revenus, dont les moyens ont été doublés en 2019 à 600 000 euros et reconduits pour 2020. Des référents « vie chère » ont également été nommés au sein des directions des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (Direccte), pour assister les observatoires en 2020.

Enfin, il faut relever la nomination d’un délégué interministériel à la concurrence outre-mer en décembre 2018.

Pour parfaire le cadre juridique, un pouvoir d’injonction structurelle de l’Autorité de la concurrence a été créé. Il s’agit d’une avancée très attendue.

Il ne serait pas juste de dire que la lutte contre la vie chère a été mise entre parenthèses pendant la crise sanitaire. Plusieurs enquêtes d’observation des prix des fruits et légumes ont été menées par les Direccte sur les marchés de gros et de détail pendant le confinement. Aucune tension inflationniste particulière n’a été constatée.

Différents décrets ont été pris, afin de réglementer les prix des masques et les gels hydroalcooliques en métropole, dans les départements-régions d’outre-mer, les DROM, les trois Saintes et à Wallis-et-Futuna. De plus, les produits nécessaires à la lutte contre la covid-19 ont fait l’objet d’une exonération d’octroi de mer sanitaire.

Enfin, l’enjeu de la lutte contre la vie chère en outre-mer aura toute sa place dans le cadre du plan de relance économique, cela va sans dire. En effet, si le renforcement des mesures de contrôle doit être poursuivi, il est également essentiel d’accompagner la concurrence dans ces marchés et l’arrivée ou le développement de nouveaux acteurs économiques.

Le plan de relance comprendra différentes mesures de financement des entreprises. Je veillerai personnellement, avec le ministre de l’économie, des finances et de la relance, à ce qu’elles renforcent la production locale et la concurrence, qui, parce qu’elles sont parfois défaillantes dans ces territoires, conduisent à des prix très élevés. Les outils d’intervention financiers de Bpifrance devront notamment avoir cet objectif. Je pense que le e-commerce nous offre, à cet égard, des occasions qu’il faut accompagner.

En tout cas, monsieur le sénateur, c’est un sujet auquel j’associerai étroitement les parlementaires.

M. le président. La parole est à M. Dominique Théophile, pour la réplique.

M. Dominique Théophile. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le ministre.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes : l’Autorité de la concurrence relevait ainsi en juillet 2019 que les prix à la consommation étaient en moyenne de 7 % à 12,5 % plus élevés dans les départements d’outre-mer, et supérieurs de 19 % à 38 % pour les seuls produits alimentaires.

L’urgence est donc double et l’action du Gouvernement indispensable, qu’il s’agisse de réguler les prix à la consommation des produits de première nécessité et de consommation courante ou de stimuler une concurrence en matière d’importations et de distribution des produits de grande consommation, qui fait aujourd’hui défaut et qui explique en partie les écarts de prix constatés.

Je sais tout ce qui a été mis en œuvre ces deux dernières années, mais il faut être très vigilant : il s’agit d’un domaine où il ne faut rien lâcher !

situation des fonctionnaires d’état affectés à mayotte

M. le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi, auteur de la question n° 1259, adressée à Mme la ministre de la transformation et de la fonction publiques.

M. Thani Mohamed Soilihi. Ma question a trait aux difficultés qui résultent de l’interprétation des textes régissant la situation des fonctionnaires de l’État et de certains magistrats de Mayotte.

L’article 2 du décret du 26 novembre 1996 prévoit qu’« une affectation à Mayotte ne peut être sollicitée qu’à l’issue d’une affectation de deux ans hors de cette collectivité ou d’un territoire d’outre-mer ».

L’article 4 du 27 juin 2014 portant application à Mayotte des dispositions relatives aux congés bonifiés pour les magistrats et fonctionnaires est venu abroger ce décret de 1996.

Ledit décret prévoit néanmoins, en son article 3, que « l’application des dispositions du décret – celui de 1996 – aux personnels – ceux qui sont affectés à Mayotte avant la date d’entrée en vigueur du présent décret – fait obstacle à l’application des dispositions du présent décret, pendant toute la durée de leur affectation dans le département de Mayotte durant laquelle ils sont régis par les dispositions du décret du 26 novembre 1996 précité ».

Cependant, ces dispositions continuent en pratique à être opposées à certains fonctionnaires affectés après la date d’entrée en vigueur du décret dans ce département.

Je vous demande donc de préciser l’interprétation des dispositions relatives à la mobilité des fonctionnaires de l’État à Mayotte.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Sébastien Lecornu, ministre des outre-mer. Monsieur le sénateur Thani Mohamed Soilihi, je vous prie, tout d’abord, de bien vouloir excuser l’absence de la ministre de la fonction et de la transformation publiques, qui m’a chargée de vous transmettre ses éléments de réponse. Mais c’est un sujet sur lequel mon ministère est également engagé.

Les modalités d’affectation des fonctionnaires et de certains magistrats en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française, à Wallis-et-Futuna et à Mayotte ont été détaillées dans deux décrets du 26 novembre 1996, qui, d’une part, limitaient les durées d’affectation dans ces territoires à deux ans, avec une possibilité de renouvellement, et, d’autre part, excluaient la possibilité d’une mutation d’un territoire à l’autre au terme de cette période, en considérant que ces quatre territoires avaient des régimes équivalents.

La départementalisation de Mayotte, vous l’avez rappelé, a été l’occasion, avec la parution d’un nouveau décret du 27 juin 2014 portant application à Mayotte des dispositions relatives aux congés bonifiés, pour les magistrats et fonctionnaires de revenir en partie sur ces contraintes. Ainsi, les affectations à Mayotte ne sont plus limitées dans le temps et sont donc désormais régies par le droit commun.

Toutefois, la disposition sur la possibilité d’une mutation directe entre Mayotte et les territoires de Nouvelle-Calédonie, de Polynésie française et de Wallis-et-Futuna n’a pas été supprimée au même moment.

Cette disposition avait un sens quand les quatre territoires obéissaient à des régimes équivalents et qu’il convenait de les considérer, notamment pour les modalités d’affectation, comme relevant d’un même périmètre.

Néanmoins, ce n’est plus cas aujourd’hui, si bien que cette restriction à la mobilité depuis Mayotte vers la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française et Wallis-et-Futuna, ne paraît aujourd’hui pas conforme à l’esprit du nouveau statut de Mayotte et peut être vue comme une rupture d’égalité. Afin d’y remédier, des instructions seront transmises dans les plus brefs délais aux ministères pour permettre sans attendre aux agents qui le souhaitent d’effectuer leur mobilité.

Il est par ailleurs également envisagé de modifier dès que possible, l’article 2 du décret de 1996, afin de supprimer les références à Mayotte. Pour ce faire, un décret en Conseil d’État devra être pris. C’est une bonne nouvelle, que je suis heureux de partager avec vous !

M. le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi, pour la réplique.

M. Thani Mohamed Soilihi. Nos territoires, en particulier mon département, souffrent d’un déficit d’attractivité. Mettons-nous un instant à la place d’un fonctionnaire d’État qui aimerait venir à Mayotte et qui se pose ces questions d’interprétation !

Monsieur le ministre, je vous remercie donc de ces précisions, qui permettront, je n’en doute pas, une meilleure fluidité des fonctionnaires d’État vers Mayotte.

accompagnement des élus locaux face aux dépôts sauvages d’ordures

M. le président. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly, auteure de la question n° 1057, adressée à Mme la ministre de la transition écologique.

Mme Cathy Apourceau-Poly. Les dépôts sauvages d’ordure empoisonnent littéralement nos communes. Par le fait de quelques-uns, des paysages sont défigurés. Le confinement a malheureusement aggravé cette situation.

Certes, il s’agit d’un problème ancien, qui se fonde avant tout sur l’incivisme de quelques personnes, mais ses implications sont lourdes de conséquences : entre 340 et 420 millions d’euros pour les collectivités, selon les chiffres de la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement, la Dreal, des Hauts-de-France, le coût moyen à la tonne de la gestion des dépôts sauvages est de 900 euros, contre 150 euros pour les déchets jetés normalement.

La charge de la verbalisation et de l’identification des dépôts incombe aux maires des communes concernées, mais, dans de nombreux cas, ceux-ci se disent dépassés par ces incivilités. Qui plus est, la question des déchets est souvent une compétence de l’agglomération, ce qui éloigne d’autant le problème de la solution.

Si les cadres légaux relatifs aux peines à appliquer sont clairs, de nombreux élus témoignent de leurs difficultés à les faire appliquer, car ils sont le plus souvent seuls face aux contrevenants quand ils sont identifiés. Le drame de Signes, commune dont le maire, Jean-Mathieu Michel, a été tué alors qu’il s’apprêtait à verbaliser le responsable d’un dépôt sauvage, est dans tous les esprits.

Madame la ministre, il est très urgent de trouver une solution à ces problèmes. J’aimerais connaître les moyens effectifs que l’État met à la disposition de tous les maires, en premier lieu en termes de prévention, mais également en termes d’appui à l’investigation et à l’application des textes réglementaires.

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement. Madame la sénatrice Apourceau-Poly, je vous prie de bien vouloir excuser l’absence de Mme Barbara Pompili, qui m’a chargée de vous répondre.

Le Gouvernement a fait de la lutte contre les dépôts sauvages l’une de ses priorités. La loi anti-gaspillage de février 2020 a permis de nombreuses avancées.

Tout d’abord, pour agir à la source, une filière à responsabilité élargie du producteur sera créée le 1er janvier 2022 pour les déchets du bâtiment, ce qui permettra de constituer un maillage efficace en points de reprise et une reprise gratuite pour les déchets triés.

Ensuite, pour financer le nettoyage des dépôts sauvages, les filières concernées prendront en charge une partie des coûts. Le projet de décret d’application de cette mesure fait actuellement l’objet d’une consultation du public. De plus, les amendes administratives payées par les auteurs de dépôts sauvages sont perçues par les collectivités, apportant ainsi un complément budgétaire en contrepartie de leur mobilisation contre ces dépôts.

Enfin, la loi renforce les sanctions pour les rendre dissuasives. Elle sera complétée par un renforcement de la contravention pénale sanctionnant les petits dépôts sauvages, qui passera de la troisième à la quatrième classe. Le projet de décret concerné a été discuté avec les parties prenantes dans le courant du mois de juin dernier et sera publié à la fin de l’été.

La loi prévoit également plusieurs mesures pour faciliter le travail au quotidien des élus.

L’accès au système d’immatriculation des véhicules et l’utilisation de la vidéosurveillance facilitent l’identification et la sanction de l’auteur du dépôt sauvage. Les moyens humains et financiers peuvent être mutualisés au niveau des groupements de collectivités.

Enfin, les agents de surveillance de la voie publique peuvent dès à présent sanctionner les dépôts sauvages. Un décret, qui sera présenté prochainement au Conseil national d’évaluation des normes, le CNEN, permettra d’habiliter d’autres agents choisis par les collectivités.

Le groupe de travail sur le sujet, lancé en 2018 et rassemblant l’administration, des élus locaux, des parlementaires et les autres parties prenantes, poursuit ses travaux pour continuer à identifier de nouvelles actions, comme la formation des agents des collectivités locales.

M. le président. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly, pour la réplique.

Mme Cathy Apourceau-Poly. Je vous remercie, madame la ministre, de votre réponse.

À la suite du drame de Signes, notre assemblée a lancé une consultation des maires pour savoir si ceux-ci avaient déjà été victimes d’agressions dans le cadre de leur action. Quelque 92 % des maires ayant répondu ont déclaré avoir déjà été pris à partie dans le cadre de leur mandat ; 45 % d’entre eux ont été victimes d’actes de malveillance en tentant de rétablir l’ordre.

Il faut donc aujourd’hui prendre de véritables mesures et aider concrètement les maires, qui ne sauraient rester seuls face à ces difficultés.

projet de transformation de la gare du nord à paris

M. le président. La parole est à M. Pierre Laurent, auteur de la question n° 1109, adressée à M. le ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports.

M. Pierre Laurent. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le préfet d’Île-de-France a délivré début juillet le permis de construire pour le très controversé projet « Gare du Nord 2024 ».

Très éloigné du projet d’amélioration des mobilités qu’appelle l’intense trafic de cette gare, ce projet est purement financier et anti-écologique. La SNCF et, surtout, son associé le groupe Auchan, qui détient 66 % du projet via sa filiale immobilière Ceetrus, cherchent à capter commercialement 200 millions d’usagers annuels en transformant en centre commercial plus de 20 000 mètres carrés de la nouvelle gare au détriment des usagers.

Ce projet sera un gâchis du même acabit que l’inutile et nuisible Charles-de-Gaulle Express, allant à l’encontre du rééquilibrage nécessaire des activités dans Paris et dans l’espace de la métropole du Grand Paris.

Les commissaires enquêteurs qui ont approuvé le projet reconnaissent eux-mêmes que l’insertion urbaine et le trafic banlieue – rien que cela ! – sont maltraités par le projet. De nombreux acteurs et élus – le Comité des habitants Gare du Nord-La Chapelle, la mairie de Paris, un collectif de 19 architectes et urbanistes de renom – estiment négatives les conséquences du projet, pour les usagers comme pour les riverains.

D’autres choix sont appelés, et sont possibles, pour faire de la gare du Nord un espace civilisé de mouvement et de rencontres. La Ville de Paris a annoncé qu’elle allait engager des recours contre ce projet d’un autre temps, en contradiction avec les exigences de la transition écologique.

Madame la ministre, le Gouvernement compte-t-il retirer ce projet pour ouvrir la voie à une remise à plat, ou va-t-il s’entêter ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement. Monsieur le sénateur Pierre Laurent, je vous prie de bien vouloir excuser l’absence de Jean-Baptiste Djebbari, qui m’a chargée de vous répondre.

Je commencerai par rappeler deux points. Tout d’abord, ce projet répond à un véritable besoin, identifié, d’amélioration du trafic dans cette gare aujourd’hui saturée. Ensuite, il a fait l’objet d’une large concertation, qui va se poursuivre.

La première phase de cette concertation préalable a été menée par SNCF Gares & Connexions en juin et juillet 2017, une seconde phase, toujours organisée par la société Gare du Nord 2024, ayant eu lieu du 1er mars au 18 avril 2019, avant le dépôt du dossier de demande de permis de construire.

Le Conseil de Paris, qui a été consulté en juillet 2019, a validé ce projet. Celui-ci a été par la suite soumis, pour la partie portant création de surfaces commerciales, à la Commission nationale d’aménagement commercial, la CNAC, qui a, elle aussi, rendu un avis favorable en octobre 2019.

L’enquête publique sur ce projet de transformation s’est tenue entre le 20 novembre 2019 et le 8 janvier 2020. Au terme de cette enquête, la commission d’enquête a rendu un avis favorable le 25 février 2020.

Dans les réponses aux questions de la commission d’enquête, les porteurs de projet ont pris 13 engagements visant à assurer la meilleure intégration possible de la gare rénovée dans le quartier, avec notamment la création d’un important parking à vélos, le lancement d’études pour améliorer l’accès à la gare par le nord et la prise en compte du réaménagement du parking souterrain pour pouvoir libérer le parvis de la gare des dépose-minute, tout cela afin de rendre ce projet écologiquement exemplaire.

Conformément aux recommandations de la commission d’enquête publique, les discussions se sont encore poursuivies ces dernières semaines avec la Ville de Paris, sous l’égide du préfet de la région d’Île-de-France.

Dans la dernière version du projet, les surfaces des activités commerciales ne constituent nullement une entrave au fonctionnement de la gare. Leur proportion se situe strictement dans la moyenne des autres gares parisiennes réaménagées récemment. Par ailleurs, les commerces contribuent au financement des investissements dans l’ensemble de la gare, au bénéfice du confort des voyageurs.

Prenant acte de l’avis favorable de la commission d’enquête et des engagements de la société d’économie mixte à opération unique, la Semop, le préfet de la région d’Île-de-France a délivré à la société Gare du Nord 2024 le permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale sur le projet de transformation de la gare du Nord.

La délivrance de ce permis de construire est une nouvelle étape pour l’aménagement de la gare du Nord. Elle permettra à celle-ci de se situer au niveau des autres grandes gares européennes en termes tant d’équipements, d’accessibilité et d’intermodalité que de capacité.

Le lancement des travaux aura donc lieu. Nous veillerons à ce que les riverains, les usagers, les commerçants et les élus restent étroitement associés au déroulement de ceux-ci, notamment au sein du comité des parties prenantes qui sera mis en place pour limiter les nuisances et les désagréments.

M. le président. La parole est à M. Pierre Laurent, pour la réplique.

M. Pierre Laurent. Madame la ministre, vous vous entêtez manifestement sur ce projet.

Vous me répondez « projet ferroviaire », quand ce projet est piloté par le groupe Auchan, qui n’a rien, à ma connaissance, d’un groupe ferroviaire… Il s’agit donc à l’évidence d’un projet dominé par les exigences commerciales.

Contrairement à ce que vous avez affirmé, si la Ville de Paris a bien émis un avis favorable sur un projet de rénovation, elle est hostile au projet actuel, et l’a réaffirmé. Les engagements pris par les élus, qu’ils soient nouveaux dans cette fonction ou bien qu’ils aient été réélus, sont clairs à ce sujet.

Si vous vous entêtez, vous allez voir surgir une contestation grandissante contre ce projet au cœur de Paris, alors que les urgences en matière de transport ferroviaire et de rénovation de la gare sont, elles, extrêmement importantes – mais ce n’est pas ce projet qui permettra d’y répondre !

taxe additionnelle pour la gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations

M. le président. La parole est à M. Dany Wattebled, auteur de la question n° 1152, adressée à M. le ministre de l’économie, des finances et de la relance.

M. Dany Wattebled. Madame la ministre, ma question porte sur la taxe additionnelle pour la gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations, dite « taxe Gemapi ».

L’article 16 de la loi de finances pour 2020 prévoit la suppression intégrale de la taxe d’habitation sur les résidences principales pour 80 % des ménages et une suppression progressive pour les 20 % restants.

À compter de janvier 2023, tous les contribuables anciennement assujettis à la taxe d’habitation au titre de leur résidence principale ne seront plus concernés par cette taxe.

Je vous rappelle que, actuellement, le troisième alinéa de l’article 1530 bis du code général des impôts prévoit une répartition de cette taxe entre toutes les personnes physiques ou morales assujetties aux taxes foncières sur les propriétés bâties et non bâties, à la taxe d’habitation et à la cotisation foncière des entreprises, la CFE.

En réponse à une question écrite posée par notre collègue Jean-Raymond Hugonet, le Gouvernement a indiqué le 14 mars 2019 prévoir des aménagements du calcul de la taxe Gemapi, notamment dans le cadre de la refonte de la fiscalité locale et du financement des collectivités locales.

Nous apprenons, par le biais d’une note d’information du ministère de la cohésion des territoires et des collectivités territoriales du 28 février 2020, qu’il est prévu que, à compter de 2023, la taxe Gemapi sera répartie entre les redevables des taxes foncières, de la CFE et de la taxe d’habitation sur les résidences secondaires, au prorata des recettes que chacune de ces taxes aura procurées l’année précédente. Cela signifie donc un alourdissement fiscal important de cette taxe vers les propriétaires et les entreprises.

Ce transfert semble favorable aux locataires et défavorable aux propriétaires bailleurs, puisque l’ensemble des locataires de leurs résidences principales se verront exonérés de cette taxe. Jusqu’alors, seuls les organismes HLM et leurs occupants en étaient exclus.

À cet alourdissement de la fiscalité pour les propriétaires bailleurs viendra s’ajouter la mise en œuvre du plafonnement des loyers dans les zones tendues. Aussi, un propriétaire appliquant le montant plafond subira obligatoirement une diminution de ses revenus locatifs.

Madame la ministre, quelles mesures le Gouvernement entend-il prendre afin de limiter les conséquences financières de cette répartition de la taxe Gemapi pour les propriétaires, notamment les propriétaires privés bailleurs, mais aussi pour les entreprises et les petits entrepreneurs individuels, qui ne doivent pas, dans ce contexte de crise, voir leurs charges alourdies, même à l’horizon de 2023 ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement. Monsieur le sénateur Wattebled, je vous prie de bien vouloir excuser l’absence d’Olivier Dussopt, qui m’a chargée de vous répondre.

Vous avez attiré son attention sur les conséquences de la suppression de la taxe d’habitation sur les résidences principales et sur la répartition de la taxe pour la gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations, dite « Gemapi ». Plus spécifiquement, vous souhaitez savoir si le Gouvernement envisage de limiter les conséquences financières de cette nouvelle répartition.

Comme vous le savez, la taxe Gemapi est une taxe facultative, additionnelle aux quatre taxes directes locales, perçue exclusivement au profit des établissements publics de coopération intercommunale, les EPCI, à fiscalité propre qui exercent cette compétence Gemapi.

Le produit de la taxe est arrêté annuellement par l’organe délibérant de l’EPCI qui l’a instituée et votée, dans la limite d’un plafond de 40 euros par habitant résidant sur le territoire de l’EPCI. Il ne peut dépasser le montant annuel prévisionnel des charges de fonctionnement et d’investissement résultant de l’exercice de la compétence Gemapi.

Ce produit est réparti entre toutes les personnes physiques ou morales assujetties aux taxes foncières, à la taxe d’habitation et à la cotisation foncière des entreprises, la CFE, proportionnellement aux recettes que chacune de ces taxes a procurées l’année précédente sur le territoire de l’EPCI à fiscalité propre qui l’instaure, aux communes membres de ce dernier et aux syndicats dont elles sont membres.

La suppression totale et définitive, par étapes, de la taxe d’habitation afférente à l’habitation principale conduit à une nouvelle répartition de la taxe Gemapi, qui portera à terme sur les redevables des taxes foncières, de la taxe d’habitation afférente aux résidences secondaires, ainsi qu’aux autres locaux meublés non affectés à l’habitation principale, et de la CFE.

Dans la mesure où la taxe Gemapi concourt, à titre principal, à la protection des propriétés bâties et non bâties, il n’apparaît pas illogique que cette taxe se concentre davantage sur les impôts des propriétaires.

En outre, l’institution de la taxe demeure facultative, l’organe délibérant pouvant décider de financer la compétence Gemapi par d’autres ressources, telles que les recettes non affectées du budget principal, par exemple.

Pour l’ensemble de ces raisons, le Gouvernement n’envisage pas de mesure spécifique relative à cette compensation.

M. le président. La parole est à M. Dany Wattebled, pour la réplique.

M. Dany Wattebled. Je vous remercie pour les EPCI !

soutien aux initiatives publiques locales en faveur des jeunes en formation professionnelle

M. le président. La parole est à Mme Nadia Sollogoub, auteur de la question n° 808, adressée à Mme la ministre du travail, de l’emploi et de l’insertion.

Mme Nadia Sollogoub. Je souhaitais attirer l’attention de Mme la ministre du travail sur les initiatives publiques locales destinées à faciliter la mise en œuvre de la formation professionnelle des jeunes.

En milieu rural éloigné des centres urbains, où se concentre l’essentiel des établissements d’enseignement professionnel, la faible mobilité des personnes concernées liée à la rareté de l’offre de transports collectifs et au coût d’obtention du permis de conduire, sans compter celui de l’acquisition d’un véhicule, aggrave la situation. Les quelques centres de formation des apprentis ou les lycées professionnels présents dans la ruralité manquent d’internats et de dessertes de transports et doivent redoubler d’ingéniosité pour faciliter l’accès à leur établissement.

En complément des aides à la personne – transports, hébergement et restauration – consenties par les conseils régionaux, les communes ou les intercommunalités interviennent souvent à leurs frais pour organiser les liaisons avec les gares routières et ferroviaires les plus proches, ou trouver des solutions d’hébergement de proximité. Ces interventions, « facultatives », mais animées de la volonté d’appuyer les établissements et d’offrir davantage de chances aux jeunes ruraux, mériteraient d’être évaluées et soutenues financièrement par l’État.

Le Gouvernement envisage-t-il de prendre en compte l’intérêt de ces initiatives publiques locales pour la mise en formation des jeunes et de les rendre éligibles à un soutien financier ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Brigitte Klinkert, ministre déléguée auprès de la ministre du travail, de lemploi et de linsertion, chargée de linsertion. Madame la sénatrice Nadia Sollogoub, je vous remercie de votre question.

Vous avez tout à fait raison, la question de la formation est essentielle lorsque l’on parle de l’insertion des jeunes.

Vous l’avez rappelé, les jeunes sans qualification ont le plus fort taux de chômage de la population française. Cependant, le Gouvernement n’a pas attendu la crise pour agir en faveur de leur formation. Je pense tout d’abord au Plan d’investissement dans les compétences, le PIC : 13,8 milliards d’euros sur le quinquennat pour former 1 million de jeunes et 1 million de demandeurs d’emploi, ce n’est pas rien !

Je pense aussi à l’apprentissage, qui a été réformé en 2018, afin de le rendre plus simple et lui redonner l’attractivité qu’il mérite pour les jeunes et les entreprises.

En 2019, nous avons constaté une augmentation sans précédent du nombre de contrats d’apprentissage, avec une croissance à deux chiffres, notamment dans le secteur du BTP : +13 % de contrats d’apprentissage.

Sur le permis de conduire, une aide a été mise en place dans le cadre de la réforme, et a permis l’utilisation du compte personnel de formation, le CPF, pour le financer. Nous savons à quel point c’est un élément clé de l’employabilité et de l’insertion.

La mise en place du service public de l’insertion et de l’emploi, le SPIE, est l’un de mes objectifs prioritaires. Je vais d’ailleurs me rendre prochainement dans les 14 départements expérimentateurs.

Ma méthode est celle d’une élue locale : aller sur le terrain et prendre en compte les spécificités de chaque territoire. C’est notamment dans ce cadre que des réponses seront apportées aux problématiques du logement et de la mobilité des jeunes que vous mentionnez.

Enfin, face à la crise, le Gouvernement a annoncé un plan pour l’emploi des jeunes. Il comportera un soutien à l’embauche à hauteur de 4 000 euros pour un contrat long ; un plan de relance de l’apprentissage, avec une prime de 5 000 euros pour les moins de 18 ans et de 8 000 euros pour les plus de 18 ans ; 300 000 contrats et parcours d’insertion pour les plus éloignés de l’emploi ; enfin, 100 000 services civiques supplémentaires, pour permettre aux jeunes de s’engager dans des missions utiles à la société.

Madame la sénatrice, le Gouvernement n’a qu’un objectif : pas un jeune sans solution en septembre ! Nous y veillerons, nous nous y engageons. La situation l’exige et nous serons à la hauteur.

M. le président. La parole est à Mme Nadia Sollogoub, pour la réplique.

Mme Nadia Sollogoub. Madame la ministre, si l’on s’adresse aux jeunes et à leurs familles, on comprend vite que les freins à l’apprentissage sont, outre la difficulté à trouver des stages et des maîtres d’apprentissage, des problèmes pratico-pratiques liés au transport et au logement.

Les aides financières sont une chose… Mais que faire d’un bon de transport lorsqu’il n’y a pas de transport public ?

Pour cette raison, certains maires – j’ai en tête l’exemple de la commune de Varzy, dans la Nièvre – veillent à mettre en place une navette communale pour emmener les jeunes à la gare le vendredi soir et les ramener le lundi matin, ce qui représente plusieurs dizaines de kilomètres et, bien entendu, une charge financière. D’autres recensent les chambres chez l’habitant ou ont des projets d’aménagement de bâtiments communaux pour y faire des studios destinés spécifiquement aux apprentis.

Néanmoins, ces élus ne sont pas soutenus financièrement pour ces projets. Ils mettent pourtant en place des services indispensables mais invisibles, semble-t-il, aux yeux de l’État.

À l’heure où nous venons de voter une aide exceptionnelle et conséquente pour l’apprentissage, et dans le cadre d’une réflexion globale pour soutenir celui-ci, il ne faudrait pas oublier les élus locaux, qui sont bien souvent le maillon final d’une chaîne dont chaque élément est indispensable.

réglementation du marché du livre d’occasion

M. le président. La parole est à M. Frédéric Marchand, auteur de la question n° 1164, adressée à Mme la ministre de la culture.

M. Frédéric Marchand. Madame la ministre, le marché du livre d’occasion, particulièrement celui de la bande dessinée, a pris une importance considérable ces dernières années. Le prix d’occasion des livres est régulièrement, sinon systématiquement, affiché à côté de leur prix neuf, ce qui est fortement incitatif pour les clients.

Ce nouveau marché de l’occasion enrichit tous les acteurs, à l’exception notable des auteurs et des éditeurs, lesquels sont pourtant les premiers concernés. Il ne s’agit plus d’un phénomène lié aux fêtes de fin d’année, à l’occasion desquelles une colossale quantité d’ouvrages à peine reçus en cadeaux sont sitôt proposés à la vente sur internet, via des plateformes détenues par des géants mondiaux.

Cette pratique pose des problèmes économiques et juridiques de grande ampleur. Hier marginal, le marché de l’occasion représente aujourd’hui plus de 42 % des ventes de livres. Ses acteurs, parmi lesquels Amazon, PriceMinister, la FNAC ou eBay, touchent des commissions sur chaque vente et sont soumis pour partie à la taxe sur la valeur ajoutée, la TVA.

En revanche, ceux qui ont créé et édité les livres vendus ne perçoivent aucun bénéfice de cette exploitation et voient même leur chiffre d’affaires amputé de recettes non négligeables.

En effet, une l’étude qualitative menée par l’institut GfK à l’occasion des Rencontres nationales de la librairie, en 2017, indiquait que 16 % des acheteurs de bandes dessinées et 25 % des acheteurs de livres, tous genres confondus, déclaraient acheter des ouvrages d’occasion. Ramené aux 4 milliards de chiffre d’affaires de l’édition, cela représente un manque à gagner de 800 millions à 1 milliard d’euros.

Dans le cas de la vente d’occasion, seuls le libraire, le site, le vendeur et, dans une moindre mesure, l’État touchent un pourcentage. Face au développement de la vente d’occasion, les créateurs, les auteurs et les éditeurs sont donc fortement pénalisés. Les premiers sont en effet privés d’une part non négligeable de leurs droits d’auteur et les seconds voient baisser significativement leurs ventes moyennes, ce qui rend leurs coûts de création de plus en plus difficiles à amortir et met en péril financier l’ensemble du secteur de l’édition.

C’est pourquoi il semble nécessaire de réglementer la vente de livres d’occasion. La majorité de ces ventes se faisant sur les grandes enseignes de vente en ligne, nous pourrions imaginer obtenir de leur part un déclaratif de ces ventes et, à travers un organisme collecteur, obtenir un reversement destiné aux auteurs et aux éditeurs.

Face à l’accroissement de la vente d’occasion, les créateurs, les auteurs et les éditeurs, vous le voyez, sont fortement pénalisés. Aussi, je vous remercie de bien vouloir m’indiquer quelles sont les pistes qui peuvent être mises en œuvre pour réglementer cette vente du livre d’occasion.

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture. Monsieur le sénateur Frédéric Marchand, je l’ai indiqué lors de ma prise de fonctions, je serai particulièrement attentive à la situation des auteurs au sein de la chaîne économique du livre, et cela me mobilisera au cours des mois à venir.

Vous me pardonnerez de ne pas être complètement d’accord avec le diagnostic que vous avez posé sur le marché du livre d’occasion. Selon les données du ministère de la culture relatives aux évolutions des pratiques d’achat, si ce dernier est en progression, il reste limité, puisqu’il représente moins de 8 % des sommes dépensées par les ménages pour leurs achats de livres en 2019.

En outre, si les opérateurs que vous citez occupent une place importante sur ce marché, un achat de livre d’occasion sur deux s’effectue directement de particulier à particulier, notamment dans les bourses aux livres scolaires, les marchés ou les brocantes, que je sais nombreuses dans votre département du Nord.

Les auteurs ne sont pas privés d’une partie de leurs droits d’auteur, dans la mesure où ils ont exercé leur droit exclusif de commercialiser les exemplaires de leurs œuvres, l’exercice de ce droit de distribution entraînant de facto son épuisement. Au-delà, la création d’un droit de suite des auteurs de livres n’est pas autorisée par les textes internationaux et européens.

Vous évoquez aussi l’idée d’un reversement de la part des grandes enseignes de la vente en ligne. Si je partage évidemment l’objectif sous-tendu par cette proposition, je crains que cela ne s’apparente à une nouvelle taxe, qui irait à rebours des arguments développés pour justifier le taux réduit de TVA sur le livre.

De plus, il ne pourrait pas être directement reversé sous forme de revenus aux auteurs, l’article 2 de la loi organique relative aux lois de finances ne permettant pas l’affectation d’impositions directement à un tiers, sauf en raison des missions de service public qui lui sont confiées.

D’autres solutions pour mieux rémunérer la création existent : le rapport de M. Bruno Racine remis au ministre de la culture en janvier 2020 explore un certain nombre de pistes sur lesquelles nous travaillons actuellement. Je m’engage à vous associer à ce travail et à vous informer de l’avancée de ces initiatives pour le marché du livre d’occasion.

Je partage donc vos préoccupations, monsieur le sénateur, même si je ne suis pas tout fait d’accord avec votre diagnostic.

M. le président. La parole est à M. Frédéric Marchand, pour la réplique.

M. Frédéric Marchand. Je vous remercie, madame la ministre.

Je souhaitais insister sur l’augmentation, voire l’explosion, des sites de vente d’occasion, la période du confinement ayant été propice à ce type de ventes. Il est donc nécessaire de porter un intérêt particulier aux auteurs, notamment ceux de bandes dessinées, parmi lesquels figure un grand auteur originaire du Nord – j’en profite pour vous le signaler… –, François Boucq.

accès aux appels d’offres des conservatoires publics pour les entreprises françaises

M. le président. La parole est à M. Pierre Louault, auteur de la question n° 1242, adressée à Mme la ministre de la culture.

M. Pierre Louault. Madame la ministre, je souhaite attirer votre attention sur une petite entreprise de Touraine, Bergerault Percussions, qui fabrique des instruments de musique, plus particulièrement de percussions.

Cette entreprise nous signale qu’un établissement public de coopération intercommunale, un EPCI, et non des moindres, le Grand Paris, a émis un appel d’offres citant explicitement des marques de fabrication étrangères et excluant, de fait, les entreprises artisanales françaises, qui ont pourtant une renommée internationale.

À la suite des sollicitations de Bergerault Percussions, cet EPCI a finalement modifié son appel d’offres en incluant de nouvelles marques, mais toujours sans citer les principales marques françaises. À l’heure où nous souhaitons favoriser et recentrer la production artisanale et industrielle en France, comment pouvons-nous accepter de tels agissements ?

Il paraît impensable que des entreprises inscrites au patrimoine vivant, qui s’impliquent pour développer le tissu économique de nos territoires et participent à l’excellence de notre rayonnement international soient de facto mises de côté.

Ce problème précis révèle une difficulté plus globale sur la commande publique et les appels d’offres qui ne mettent pas en place toutes les mesures possibles à l’attention des entreprises françaises, afin que celles-ci soient mieux prises en compte. Un appel d’offres devrait être très ouvert et, par exemple, ne citer que le type d’instrument de musique souhaité, sans indiquer une quelconque marque.

Madame la ministre, quelles actions concrètes comptez-vous mener pour que la commande publique donne toutes ses chances au tissu artisanal et industriel français, et pour bannir ce type d’appel d’offres ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture. Monsieur le sénateur Pierre Louault, vous avez raison, le soutien à la production artisanale et industrielle française, et en particulier aux entreprises du patrimoine vivant, est indispensable.

Nos territoires sont dotés de multiples établissements qui reposent sur des savoir-faire uniques, à l’image de l’entreprise d’instruments de musique et de percussions de votre département. Je veux ici saluer son travail, qui se poursuit depuis, je crois, près d’un siècle.

La question que vous soulevez, bien qu’elle soit relative à la commande d’instruments de musique, relève strictement des règles définies par le code de la commande publique, auxquelles sont soumis l’État, les collectivités territoriales et les EPCI pour leurs achats.

Des principes fondamentaux doivent être respectés : il en est ainsi de l’égalité de traitement qui prohibe toute pratique discriminatoire de nature à favoriser certains opérateurs, de la liberté d’accès qui permet à tout opérateur de se porter candidat, ou encore de la transparence des procédures. Si des illégalités ou des impropriétés ont été commises, il faudra remédier à ces manquements.

Je souhaite cependant rappeler que, si les conservatoires sont classés par l’État, à la demande des collectivités, ils relèvent de l’initiative de celles-ci et de leurs responsabilités pleines et entières. La plupart des conservatoires sont ainsi gérés en régie directe et le principe de libre administration des collectivités territoriales ne permet pas à l’État de s’immiscer dans le fonctionnement de ces établissements, donc dans leurs politiques d’acquisition instrumentale.

Pour ce qui concerne les évolutions à apporter à la commande publique – cela ne relève pas de mon ministère –, un travail important a été mené par Agnès Pannier-Runacher, au cours des derniers mois. Soyez-en assuré, je vais me mobiliser pour permettre au tissu artisanal et industriel français d’accéder à ces marchés.

J’adhère à l’objectif qui sous-tend votre question. Ces entreprises, telles que Bergerault Percussions, contribuent à l’attractivité de nos territoires, à laquelle vous savez que le Premier ministre est attaché, et font perdurer des savoir-faire souvent très anciens ; il est donc indispensable qu’elles puissent accéder aux marchés.

Monsieur le sénateur, je vous remercie d’avoir appelé mon attention sur ce sujet primordial.

M. le président. La parole est à M. Pierre Louault, pour la réplique.

M. Pierre Louault. Je vous remercie, madame la ministre ; nous comptons sur votre tempérament pour défendre les entreprises du patrimoine français !

Il serait tout de même dommage que ces fabricants soient reconnus par le théâtre Bolchoï de Moscou, l’Opéra de Sydney, l’Orchestre philharmonique de Berlin et la Scala de Milan mais soient oubliés par l’Opéra de Paris…

Mme Roselyne Bachelot, ministre. Ce serait dommage, en effet !

prestation de fidélisation et de reconnaissance des pompiers volontaires

M. le président. La parole est à M. Éric Gold, auteur de la question n° 1142, adressée à M. le ministre de l’intérieur.

M. Éric Gold. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, vous le savez, les sapeurs-pompiers volontaires ayant effectué plus de vingt ans de service ont droit, à partir de 55 ans, au versement d’une rente annuelle appelée « Prestation de fidélisation et de reconnaissance », ou PFR. Le montant de cette prestation varie en fonction du nombre d’années de service ; il est fixé chaque année par arrêté ministériel.

Pour tenter de contrer la baisse inquiétante du nombre de pompiers volontaires, une réforme de cette rente a été engagée par la loi du 27 décembre 2016 relative aux sapeurs-pompiers professionnels et aux sapeurs-pompiers volontaires. Depuis la mise en application de cette réforme, les pompiers éligibles perçoivent une part de la prestation de fidélisation et de reconnaissance pour leur service réalisé avant 2015 et une part de la nouvelle prestation pour leur exercice réalisé après cette date, s’il y a lieu.

Si cette réforme a suscité, pour certains, des droits supplémentaires, elle a également conduit à des dysfonctionnements liés à la clôture des comptes, à la fin 2015, de l’assureur CNP. En effet, depuis cette date, de nombreux bénéficiaires potentiels de la rente ont constaté la mise en attente de leur dossier et ont observé des erreurs dans leur nombre de points ou l’absence de prise en compte de leurs états de service postérieurs à décembre 2015.

D’après mes informations, dans le Puy-de-Dôme, 89 dossiers sont encore en attente, ce qui retarde, parfois de plusieurs années, le versement de sommes pourtant largement méritées par des pompiers volontaires qui ont donné de leur temps et de leur énergie pour la sécurité de tous.

Les volontaires représentent 80 % des sapeurs-pompiers en France et constituent le socle de notre modèle d’intervention en matière d’incendie et de secours d’urgence aux personnes. Pour ceux qui s’engagent pendant plus de vingt ans au service de leurs concitoyens, il est impératif de clore les dossiers en temps et en heure.

Madame la ministre, vos services ont-ils engagé, ou vont-ils le faire, des mesures pour lever les freins existants et garantir à tous ces anciens pompiers le versement de la rente qui leur est due ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de lintérieur, chargée de la citoyenneté. Tout d’abord, je vous remercie, monsieur le sénateur Gold, de mettre à l’ordre du jour cette question importante sur les difficultés rencontrées par certains sapeurs-pompiers. Je vais vous répondre avec le plus possible de détails.

La sécurité civile repose sur le modèle que vous avez rappelé, qui démontre, tant au quotidien qu’en temps de crise, la pertinence et la robustesse de cette organisation. Grâce à celle-ci et à la mobilisation des 240 000 sapeurs-pompiers professionnels et volontaires, les services d’incendie et de secours peuvent faire face aux besoins.

Au cours des dernières années, de nombreuses initiatives ont été engagées par l’État pour valoriser l’engagement des 198 400 sapeurs-pompiers volontaires, maillons essentiels, du point de vue opérationnel, de notre réponse ; cela passe notamment par l’amélioration continue du statut des sapeurs-pompiers volontaires et par une protection sociale renforcée et adaptée.

C’est dans cet esprit que la loi du 27 décembre 2016 précitée et le décret du 9 mai 2017 relatif aux différentes prestations de fin de service allouées aux sapeurs-pompiers volontaires ont créé la nouvelle prestation de fidélisation et de reconnaissance, la NPFR, qui se substitue, depuis janvier 2016, à la prestation de fidélisation et de reconnaissance, la PFR, instituée par la loi de modernisation de la sécurité civile de 2004.

Il s’est agi d’une avancée sociale majeure, dont la mise en œuvre, aujourd’hui achevée, donne entièrement satisfaction.

Les sapeurs-pompiers volontaires ayant cessé leur activité avant le 1er janvier 2016 continuent de bénéficier de l’ancien dispositif, qui était un régime de versement de prestations de fin de service par capitalisation.

Cet ancien régime, qui prévoyait l’acquisition de points en fonction de seuils d’ancienneté d’activité des sapeurs-pompiers volontaires, pose aujourd’hui des difficultés à certains anciens sapeurs-pompiers volontaires, notamment lorsque des anomalies existent dans leur déroulé de carrière ou dans le versement de leurs cotisations. En effet, le régime étant clôturé depuis le 1er janvier 2016, à la suite de la création de la NPFR, aucun nouveau droit ne peut être créé sur les dossiers existants.

Après une première phase de dialogue entre l’Association pour la PFR, chargée de ce régime, et CNP Assurances, gestionnaire du contrat, 282 dossiers en souffrance ont été régularisés en 2019.

Ce dialogue s’est poursuivi, afin d’apporter une solution aux dossiers non encore régularisés à ce jour et sur lesquels vous m’interrogez. C’est ainsi qu’une proposition juridiquement étayée a été approuvée lors de l’assemblée générale de l’Association pour la PFR du 22 janvier dernier. Cette solution a été jugée recevable par CNP Assurances ; les dossiers en souffrance devraient donc être régularisés au cours des prochaines semaines ou des prochains mois.

M. le président. La parole est à M. Éric Gold, pour la réplique.

M. Éric Gold. Je vous remercie de votre réponse et de votre compréhension, madame la ministre.

Pour des sapeurs-pompiers, qui ont donné beaucoup de temps à leur mission, il n’est pas acceptable, vous le comprenez bien, que le changement d’assureur entraîne de tels dysfonctionnements, chacun se renvoyant la balle, et que les dossiers en attente ne soient pas traités.

Je compte donc réellement sur vous pour faire avancer ces dossiers.

M. le président. Mes chers collègues, l’ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à douze heures cinq, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de Mme Catherine Troendlé.)

PRÉSIDENCE DE Mme Catherine Troendlé

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

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Communication relative à une commission mixte paritaire

Mme la présidente. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de finances rectificative pour 2020 est parvenue à l’adoption d’un texte commun.

5

Rappel des règles sanitaires

Mme la présidente. Monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, comme M. le président du Sénat et MM. les questeurs en ont informé, hier, l’ensemble des sénateurs, je vous indique que le port du masque est désormais obligatoire dans l’ensemble des salles de réunion et des espaces de circulation du Sénat, à compter d’aujourd’hui.

Ainsi, il vous est demandé de bien vouloir porter, à partir de ce jour, un masque dans l’hémicycle ; je constate d’ailleurs que vous le faites déjà.

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Dossier législatif : proposition de loi visant à homologuer des peines d'emprisonnement prévues en Nouvelle-Calédonie
Discussion générale (suite)

Homologation de peines d’emprisonnement prévues en Nouvelle-Calédonie

Adoption définitive en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à homologuer des peines d’emprisonnement prévues en Nouvelle-Calédonie (proposition n° 242, texte de la commission n° 599, rapport n° 598).

Discussion générale

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. le garde des sceaux.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à homologuer des peines d'emprisonnement prévues en Nouvelle-Calédonie
Article 1er

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi que vous examinez aujourd’hui a pour objet l’homologation des peines d’emprisonnement prévues en Nouvelle-Calédonie.

Sur le fondement de la Constitution, ce territoire dispose, comme la Polynésie française d’ailleurs, d’une autonomie lui permettant de créer des infractions pénales et d’assortir celles-ci de peines. En application des dispositions des articles 87 et 157 de la loi organique du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie, le Congrès et les assemblées de province de Nouvelle-Calédonie peuvent ainsi assortir de peines d’emprisonnement les infractions qu’ils créent, dans les matières relevant de leurs compétences.

Si cette autonomie est entière pour ce qui concerne, notamment, les peines d’amendes, les peines d’emprisonnement nécessitent quant à elles l’homologation préalable du Parlement. À défaut d’une telle homologation, ces peines ne peuvent être prononcées par les juridictions pénales. Les délais d’homologation sont parfois longs, faute d’un vecteur législatif ; cette proposition de loi permettra donc de rattraper le retard pris, depuis plusieurs années, en la matière.

L’homologation des peines d’emprisonnement est soumise à deux conditions.

En premier lieu, les peines instituées par la collectivité doivent respecter « la classification des délits » ; cela signifie que seules les peines d’emprisonnement prévues en matière délictuelle par la législation nationale peuvent être retenues. Cela implique que ces peines doivent respecter l’échelle des peines d’emprisonnement prévue par l’article 131-4 du code pénal, donc être de deux mois, de six mois, d’un an, de deux ans, de trois ans, de cinq ans, de sept ans ou de dix ans.

En second lieu, la collectivité ne peut prévoir une peine plus sévère que celle qui est prévue en métropole pour une infraction de même nature. En pratique, les peines prévues par les délibérations ou lois de pays sont, le plus souvent, identiques à celles qui sont prévues par les lois nationales, même si elles peuvent leur être inférieures.

La présente proposition de loi tient compte des deux exigences que je viens d’évoquer ; d’une part, elle respecte la classification des délits et, d’autre part, les peines n’excèdent pas le maximum prévu, pour les infractions de même nature, par les lois de la République.

Sur le fond, il s’agit de textes qui relèvent de la compétence des territoires et qui concernent, notamment, le droit social, le droit environnemental, le droit de l’urbanisme, le droit des assurances ou encore le droit du sport. Il est ainsi proposé d’homologuer des peines d’emprisonnement en répression de délits prévus à l’ancien code de la santé publique, applicable en Nouvelle-Calédonie ; 47 infractions sont concernées, telles que la fabrication ou la vente de médicaments falsifiés, à usage humain.

Ce texte concerne également les infractions au code agricole et pastoral de Nouvelle-Calédonie, notamment le délit d’exercice illégal de la médecine vétérinaire. Les délits prévus au code des assurances applicable en Nouvelle-Calédonie – je pense par exemple à la direction d’une société d’assurance malgré une interdiction ou une incapacité – sont également concernés.

Il s’agit par ailleurs d’infractions au code de l’urbanisme de la Nouvelle-Calédonie, comme l’exécution de travaux non autorisés par un permis de construire, ou au code de l’environnement de la province Sud, comme le délit d’obstacle aux fonctions d’un fonctionnaire ou agent habilité à exercer des missions de contrôle administratif dans le domaine de l’environnement.

Enfin, sont concernés les délits prévus par la délibération relative à l’amélioration de la qualité de l’air ambiant ; il s’agit du délit d’émission, par une entreprise, de substances polluantes constitutives d’une pollution atmosphérique, en violation d’une mise en demeure.

L’homologation des peines d’emprisonnement est nécessaire pour assurer, en Nouvelle-Calédonie, une répression équivalente à celle qui existe en métropole.

Prévoir que le juge pénal peut prononcer des peines d’emprisonnement dans ces matières ne signifie pas que ces peines seront systématiquement infligées en répression des infractions commises.

Néanmoins, l’homologation des peines d’emprisonnement permettra d’offrir au juge pénal de Nouvelle-Calédonie un panel plus étoffé et diversifié de peines, comme c’est le cas sur le reste du territoire national. En effet, dès lors qu’une peine d’emprisonnement est encourue, le juge peut prononcer non seulement celle-ci, mais également des peines autres que l’incarcération, comme le travail d’intérêt général, la peine de jours-amendes ou encore le stage de citoyenneté.

Enfin, d’une manière générale, le Gouvernement est favorable, au nom du principe d’égalité, à l’homologation des peines d’emprisonnement, qui permet que des agissements identiques ou similaires soient réprimés par des sanctions de même nature, sur toute l’étendue du territoire de la République.

Cette proposition de loi, qui permettra d’homologuer 82 peines, est, je le sais, très attendue sur ce territoire. Je suis d’ailleurs favorable au fait qu’une proposition de loi de ce type soit examinée annuellement par le Parlement.

Pour l’ensemble de ces raisons, le Gouvernement émet un avis favorable sur la présente proposition de loi.

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jacques Bigot, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, vous ne m’en voudrez pas, je l’espère, si je n’épuise pas mon temps de parole ; en effet, la commission des lois est sur la même longueur d’onde que vous, monsieur le garde des sceaux, et elle est favorable à l’adoption conforme de ce texte.

Ce vote permettra aux juridictions de Nouvelle-Calédonie de prononcer rapidement des peines d’emprisonnement dans des cas où elles ne peuvent pas le faire.

Par exemple, le harcèlement moral et le harcèlement sexuel, prévus au code du travail de Nouvelle-Calédonie et inspirés du droit français général, ne sont toujours pas assortis, et cela depuis plusieurs années, de la peine d’emprisonnement prévue dans le droit français général. On voit donc bien l’intérêt d’homologuer rapidement ces peines, en adoptant ce texte.

Cette proposition de loi, déposée par Philippe Dunoyer, député de Nouméa, ne fait, pour l’essentiel, que reprendre des textes que nous retrouvons dans le droit français général, d’où l’absence de difficultés dans l’examen de ce texte.

Je me permettrai d’ajouter deux conditions à celles que vous avez rappelées, monsieur le garde des sceaux.

D’une part, la loi organique prévoit effectivement que les assemblées de Nouvelle-Calédonie – le Congrès ou assemblées de province – peuvent adopter des délibérations assorties d’infraction, mais exclusivement dans leurs domaines de compétence. La première vérification à faire consiste donc à s’assurer que les peines prévues ressortissent aux domaines de compétence de la Nouvelle-Calédonie.

D’autre part, il existe une jurisprudence sur le principe constitutionnel de légalité des délits et des peines. Nous devons donc vérifier si la description de l’infraction est suffisamment claire pour justifier une peine d’emprisonnement. Si tel n’est pas le cas, l’homologation de celle-ci n’est pas possible. C’est d’ailleurs à ce titre que la commission des lois de l’Assemblée nationale n’a pas homologué une peine initialement prévue, parce que l’infraction correspondante lui avait paru trop peu précise et faisait référence à un arrêté qui n’était pas, lui-même, d’une clarté absolue.

Si vous me le permettez, mes chers collègues, je présenterai tout de même le texte en quelques mots, pour que vous compreniez de quoi il retourne.

L’article 1er, qui constituait initialement l’article unique de la proposition de loi, prévoit l’homologation de peines d’emprisonnement prévues à différents codes.

Il s’agit du code agricole et pastoral de Nouvelle-Calédonie, qui rejoint notre code rural. Sont également visées 4 infractions au code des assurances, correspondant à celles que nous connaissons dans notre propre code des assurances.

Il s’agit encore de 45 peines d’emprisonnement pour des infractions aux règles, identiques aux nôtres, de l’ancien code de la santé publique, toujours applicable en Nouvelle-Calédonie. Sont aussi concernées 4 peines pour les infractions au code du travail ; j’ai abordé les peines de harcèlement moral ou sexuel, mais il y en a d’autres, notamment relatives à la fraude.

Il s’agit par ailleurs d’un texte relatif à l’amélioration de la qualité de l’air ambiant, avec une définition de la pollution plus restrictive que la nôtre. On peut le regretter et trouver dommage de ne pas aller plus loin, mais nous n’avons pas à nous prononcer sur le fond du droit ; c’est la liberté de la Nouvelle-Calédonie. Nous n’avons qu’à homologuer la décision d’assortir ces infractions de peines d’emprisonnement : ce territoire a une parfaite liberté dans la définition des peines d’amende ou complémentaires.

Est également visé un texte relatif aux manifestations sportives, qui prévoit une sanction pénale pour non-souscription, par l’organisateur de la manifestation, d’une assurance. Ce texte présente encore une nuance par rapport à notre droit ; en effet, la Nouvelle-Calédonie va un peu plus loin, en obligeant l’organisateur d’une manifestation sportive à assurer également les participants et les personnes présentes, ce qui n’est pas le cas en France. Néanmoins, cela ne nous empêche pas d’accepter l’homologation.

Enfin, sont prévues des peines pour des infractions à une loi relative à l’efficacité énergétique, lorsque l’on fait obstacle aux fonctions exercées par les agents contrôleurs.

À cet article 1er, qui n’a posé aucune difficulté aux commissions des lois des deux chambres, se sont ajoutés trois articles, qui visent uniquement des délibérations de la province Sud. La Nouvelle-Calédonie compte en effet trois provinces, mais, notre collègue Dunoyer ayant demandé aux différentes assemblées si celles-ci avaient des textes nécessitant une homologation, seule la province Sud, celle de Nouméa, a répondu dans les délais impartis. Cela ne signifie toutefois pas qu’il ne faille pas être attentif aux autres provinces.

Cela clôt le sujet, mais, vous l’avez souligné, monsieur le garde des sceaux, il est important que ces homologations, par le Parlement, ne se fassent pas au détour d’un amendement à un texte de loi – cela s’est déjà produit –, ni au travers d’une proposition de loi d’un député de Nouvelle-Calédonie. Il faudrait effectivement prévoir un rendez-vous quasi annuel pour faire le point et examiner les demandes d’homologation de ces décisions.

Bien évidemment, mes chers collègues, je dis tout cela sous réserve de l’avenir de la Nouvelle-Calédonie au sein de la République. La question référendaire est plus intéressante sur le fond et suscitera sans doute plus de débats, mais ce n’est pas le sujet d’aujourd’hui.

Je vous propose, au nom de la commission des lois, d’adopter le texte dans sa version issue de l’Assemblée nationale, de sorte que puissent entrer en vigueur les peines pénales prévues en Nouvelle-Calédonie et conformes aux peines applicables dans le droit français général, ce qui répondrait à l’attente de nos collègues de ce territoire. (Applaudissements sur des travées du groupe UC. – M. Yvon Collin applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jérôme Bignon. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

M. Jérôme Bignon. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, collectivités d’outre-mer disposant d’une large autonomie interne, la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française ont la possibilité de créer des infractions pénales et de les assortir de sanctions.

Si elles sont pleinement compétentes en matière d’amendes et de peines complémentaires, ainsi que l’ont rappelé M. le ministre et M. le rapporteur, les lois statutaires soumettent toutefois les peines d’emprisonnement à une homologation du Parlement.

Comme le souligne l’exposé des motifs de la proposition de loi que nous examinons cette après-midi, « le plus souvent, l’homologation par le Parlement des peines créées par les assemblées délibérantes ultramarines est obtenue par voie d’amendement ou intégrée dans des projets de loi relatifs aux outre-mer. » En effet, les véhicules législatifs permettant au Parlement de se prononcer sont rares, ce qui a pour conséquence d’allonger les délais d’homologation.

Or, en l’absence d’homologation des peines d’emprisonnement, les juridictions pénales ne peuvent les prononcer, maintenant en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française « un régime de sanctions anormalement léger », dénoncé par les rapporteurs successifs appelés à examiner des dispositions en ce sens.

C’est pourquoi cette proposition de loi est la bienvenue. Elle doit permettre de rattraper le retard accumulé pour l’homologation des peines prévues par la Nouvelle-Calédonie.

Pour cette homologation, un quadruple contrôle doit être effectué. Il faut tout d’abord que les peines d’emprisonnement respectent les dispositions constitutionnelles en matière pénale, en particulier le principe de légalité des délits et des peines. Il faut ensuite que la peine de prison soit prévue dans un domaine de compétences propre de la collectivité. Il faut également que la peine d’emprisonnement n’excède pas le quantum prévu pour l’infraction de même nature applicable sur le reste du territoire de la République. Il faut enfin que les peines respectent le principe de la classification des délits.

Au-delà de ces contrôles de conformité au respect des normes organiques et constitutionnelles, le Parlement est libre d’apprécier l’opportunité même d’assortir les infractions en cause de la peine d’emprisonnement prévue par la Nouvelle-Calédonie.

La proposition de loi, dans sa version initiale, procède à un nombre particulièrement élevé d’homologations, concernant 59 peines d’emprisonnement, dont une quarantaine figurant dans l’ancien code de la santé publique applicable dans cette collectivité.

Chacune des dispositions a été vérifiée et passe l’épreuve des quatre contrôles, le Congrès de Nouvelle-Calédonie s’étant souvent inspiré des peines déjà en vigueur dans le reste du territoire de la République.

Je me réjouis que la commission des lois de l’Assemblée nationale ait enrichi le texte, en y insérant trois articles additionnels.

Le premier procède à l’homologation de peines d’emprisonnement spécifiquement prévues par la province Sud. Le deuxième tend à homologuer les peines d’emprisonnement prévues par la récente loi du pays du 14 janvier 2019 modifiant le livre IV de la partie législative de l’ancien code de la santé publique. Le dernier vise à homologuer une peine d’emprisonnement prévue par la loi du pays du 2 avril 2019 relative à la réglementation des établissements d’accueil petite enfance et périscolaire.

Plus d’un an s’est écoulé depuis l’examen, le 3 juillet 2019, de la proposition de loi par la commission des lois de l’Assemblée nationale, et voilà déjà six mois que les députés l’ont adoptée – c’était le 14 janvier 2020.

L’ordre du jour parlementaire très dense n’a pas permis d’aller au terme de la navette parlementaire dans un délai raisonnable. C’est ainsi que, depuis près de quatre ans, plusieurs peines sont en attente d’homologation. Je me félicite donc que la commission des lois du Sénat fait le choix d’un vote conforme, afin de ne pas retarder davantage l’entrée en vigueur de ces peines d’emprisonnement sur le territoire de la Nouvelle-Calédonie.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, l’homologation des peines d’emprisonnement prévues en Nouvelle-Calédonie ne soulève pas de difficultés. De manière générale, comme M. le rapporteur l’a très bien observé, les dispositions du droit néocalédonien sont souvent le décalque des dispositions applicables en métropole.

Le groupe Les Indépendants, au nom duquel je m’exprime, votera ainsi cette proposition de loi, qui constitue un texte important pour le droit calédonien. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Dominique Vérien. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Dominique Vérien. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui vise à homologuer, en vue de permettre leur entrée en vigueur, des peines d’emprisonnement prévues dans la réglementation de la Nouvelle-Calédonie.

Je tiens, à cette occasion, à saluer mon collègue sénateur centriste Gérard Poadja, dont nous connaissons l’engagement en faveur de son territoire et pour qui l’adoption, aujourd’hui, de cette proposition de loi est de première importance.

Je souhaite également remercier notre collègue député Philippe Dunoyer, auteur de ce texte, pour sa mobilisation en vue de combler un vide juridique important, en procédant à une actualisation de notre législation qui était nécessaire et attendue de longue date.

En effet, en Nouvelle-Calédonie, si le Congrès et les assemblées des trois provinces peuvent créer des infractions pénales dans les domaines de compétences qui leur sont propres et les assortir de sanctions, les peines d’emprisonnement prévues par ces infractions doivent faire l’objet d’une homologation par le Parlement national.

Le travail autour de cette proposition de loi a donc été de recenser l’ensemble des infractions, ainsi que les peines d’emprisonnement en attente d’homologation depuis maintenant plusieurs années. Si la proposition concernait initialement une cinquantaine de peines, ce sont aujourd’hui plus de 70 peines qui ont été introduites dans le texte que nous étudions aujourd’hui.

Cette proposition de loi d’homologation est un texte primordial pour la Nouvelle-Calédonie.

La Chancellerie s’est beaucoup impliquée dans ces travaux. Je tiens à la saluer ici, au nom de Gérard Poadja et de Philippe Dunoyer.

Cette proposition de loi est d’autant plus importante et attendue que les peines concernées ont, pour certaines d’entre elles, été créées en 2014, comme les peines relatives au harcèlement sexuel et moral au travail. Six ans plus tard, les juridictions de Nouvelle-Calédonie ne peuvent toujours pas les prononcer…

Cette proposition de loi est également d’autant plus importante et attendue que l’homologation concerne la répression de délits aussi importants que la vente de médicaments falsifiés, l’exercice illégal de la médecine vétérinaire, l’exécution de travaux sans permis de construire ou encore l’émission par une entreprise de substances polluantes dans l’air. Il y a donc urgence à procéder à l’homologation de ces peines, pour le bon fonctionnement de la justice en Nouvelle-Calédonie.

Je sais porter la voix de Gérard Poadja et des élus du Pacifique en général quand je déclare ici espérer que cette proposition de loi ouvre la voie à un examen plus régulier des demandes d’homologation de la Nouvelle-Calédonie, mais aussi de la Polynésie française. Jusqu’à présent, en effet, les conditions dans lesquelles le Parlement a procédé à des homologations – par voie d’amendement ou dans le cadre de projets de loi gouvernementaux sur les outre-mer – ont été fort peu satisfaisantes.

La présente proposition de loi constitue donc une très bonne initiative, mais son examen, qui a commencé depuis déjà quatorze mois, nous rappelle les risques qu’encourent ces démarches, notamment du fait des aléas de la navette.

Il faut donc en finir avec les textes de rattrapage. Il faut que le législateur intervienne régulièrement, afin de permettre le bon fonctionnement des territoires ultramarins, dans le respect de leurs statuts et de la diversité de leurs degrés d’autonomie. C’est une demande formulée de longue date par les parlementaires ultramarins. Sa satisfaction irait dans le sens d’une meilleure prise en considération des sujets propres à ces territoires et d’une meilleure administration de la justice sur place.

L’inscription de ce texte à l’ordre du jour constitue un signe positif, qui, je l’espère – et les élus du Pacifique l’espèrent également –, ouvrira la voie à l’institutionnalisation d’un rendez-vous régulier de ce type au Parlement.

L’ancienne garde des sceaux Nicole Belloubet s’y était déclarée favorable lors de l’examen de cette proposition de loi à l’Assemblée nationale. J’espère, monsieur le ministre, que vous suivrez vous aussi cet engagement. Soyez assuré que ces paroles ne sont pas tombées dans l’oreille de sourds, et que les élus de Nouvelle-Calédonie, mais aussi de Polynésie française seront très attentifs à leur concrétisation. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et RDSE. – M. Jérôme Bignon applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. François Bonhomme. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. François Bonhomme. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi qui nous est soumise aujourd’hui vise à homologuer, en vue de permettre leur entrée en vigueur, des peines d’emprisonnement prévues dans la réglementation de la Nouvelle-Calédonie.

Comme vous le savez, les collectivités du Pacifique, la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française, disposent d’une large autonomie, dans le cadre des articles 74 et 76 de la Constitution. Elles ont ainsi la possibilité de créer des infractions pénales et de les assortir de sanctions.

En Nouvelle-Calédonie, cette compétence est encadrée par la loi organique statutaire du 19 mars 1999. Le Congrès et les trois assemblées provinciales peuvent créer des infractions pénales dans les domaines de compétences qui leur sont propres et les assortir de sanctions.

Cette compétence est encadrée par une procédure spécifique, l’homologation par le Parlement des peines d’emprisonnement. Rappelons que, à défaut d’homologation, seules les peines d’amendes et les peines complémentaires prévues par la réglementation locale pourront être prononcées.

Régulièrement mise en œuvre depuis la fin des années 1970, l’homologation des peines d’emprisonnement adoptées en Nouvelle-Calédonie répond à une forte nécessité juridique.

Cette proposition de loi prévoit donc d’homologuer diverses peines d’emprisonnement créées par les institutions calédoniennes au cours des dernières années. Elle concernait initialement une cinquantaine de peines. L’Assemblée nationale a souhaité renforcer le texte, en ajoutant une vingtaine de peines supplémentaires.

Nous ne pouvons qu’appeler à un examen plus fréquent de ces homologations, qui paraissent indispensables pour que la justice puisse s’exercer normalement sur le territoire de la Nouvelle-Calédonie. Il est heureux que les institutions de notre Ve République permettent cette souplesse pour les territoires ultramarins. Il est important aussi d’en assurer le bon fonctionnement.

Afin de permettre un examen rapide, notre groupe votera ce texte adopté par l’Assemblée nationale de façon conforme.

Avant de terminer, je souhaite rappeler notre attachement à nos territoires ultramarins. Ceux-ci font pleinement partie de la France. Ils sont la France, dans leur diversité de paysages et de culture, rassemblés sous notre drapeau commun. N’oublions jamais ce que nous devons à ces territoires.

M. François Bonhomme. Si la France est notamment aujourd’hui le deuxième espace maritime mondial, derrière les États-Unis, c’est aussi grâce à ces territoires.

Nous avons la chance de disposer, avec eux, d’une richesse singulière, en particulier avec les zones économiques exclusives. Celles-ci regorgent notamment de ressources énergétiques, biologiques, animales et végétales exceptionnelles.

Nous devons protéger cette richesse commune. Je pense notamment aux récifs coralliens, aujourd’hui menacés, qui représentent plus de 58 000 kilomètres carrés de notre territoire, soit plus de 10 % des récifs mondiaux. Avec eux, c’est notre patrimoine naturel et notre avenir que nous devons protéger.

Chacun sait que ces territoires sont marqués par des difficultés économiques et sociales fortes et préoccupantes. Mais nous savons aussi que les investissements dans l’économie de la mer liée à ces zones économiques exclusives, tout comme une meilleure promotion des outre-mer sur le plan touristique et des réflexions sur leur insertion dans l’environnement, notamment avec les pays voisins, pourront, demain, permettre à nos territoires ultramarins de se développer et d’assurer leur avenir. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC et RDSE. – M. Thani Mohamed Soilihi applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Yvon Collin. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. Yvon Collin. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, voilà près de six ans que des personnes coupables d’infractions pénales n’ont toujours pas vu l’ombre d’un centre pénitentiaire. Harcèlement moral ou sexuel au travail, exercice illégal de la médecine ou encore vente et fabrication de médicaments falsifiés : en l’absence d’homologation, l’ensemble de ces infractions n’est puni que par des amendes et peines complémentaires.

En Nouvelle-Calédonie, le Congrès et les trois assemblées de province disposent du droit de légiférer en matière pénale. Conférée par les articles 74 et 76 de la Constitution, cette autonomie connaît cependant un certain nombre de limites : respect des dispositions constitutionnelles applicables en matière pénale, peines ne devant pas excéder le quantum prévu au niveau national pour les infractions de même nature…

Plus que tout, les peines privatives de liberté sont soumises à une homologation du Parlement français : depuis 2014, ce sont aujourd’hui plus de 70 peines qui ont été accumulées en salle d’attente.

Ce texte est de bon augure, car il permettra enfin de combler un vide juridique important en Nouvelle-Calédonie.

Néanmoins, monsieur le garde des sceaux, ce long délai doit impérativement être pris en considération par le Sénat, car, telle qu’elle existe aujourd’hui, la procédure d’homologation n’est pas satisfaisante. La réponse apportée aujourd’hui est ponctuelle ; nous demandons qu’elle devienne régulière. Pour permettre une bonne administration et une bonne exécution de la justice, elle devrait intervenir au moins une fois par an. La procédure doit donc être de toute urgence simplifiée.

On peut aussi s’interroger sur l’opportunité d’autres véhicules d’homologation, qui seraient plus souples et qui pourraient prendre le relais du Parlement. De plus, ce texte nous rappelle à quel point les sujets ultramarins ne sont pas assez prioritaires. Par ailleurs, qui est réellement en charge des questions de justice en outre-mer au Gouvernement : le garde des sceaux ou le ministre des outre-mer ? Il faudrait, à mon sens, rapidement clarifier l’ensemble de ces questions.

Cela dit, je tiens à saluer le contrôle vigilant du respect des principes constitutionnels de la part des parlementaires et je me réjouis que la commission des lois ait décidé d’accepter l’ensemble des peines proposées à l’homologation.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Merci !

M. Yvon Collin. Cela va réellement permettre au droit néocalédonien d’avancer rapidement et dans la bonne direction.

J’en profite pour ouvrir une parenthèse et féliciter la Nouvelle-Calédonie pour le report au 4 octobre prochain du référendum d’autodétermination. Afin de garantir une participation élevée de nos concitoyens, ce report constitue, à l’évidence, une bonne décision. Vraisemblablement, la terrible crise sanitaire à laquelle nous faisons face ne permettrait pas une expression large. On a pu, hélas, le mesurer sur le territoire métropolitain il n’y a pas si longtemps.

Je veux également saluer l’initiative « Outre-mer en commun », lancée par le Gouvernement et l’Agence française de développement, l’AFD, et dédiée au soutien des collectivités locales et des entreprises ultramarines.

Chiffré à 1 milliard d’euros, ce plan devrait foncièrement aider les économies ultramarines à relever la tête. Il permettra d’atténuer la baisse moyenne attendue de 5 % du PIB pour les économies d’outre-mer. Je me réjouis notamment du prêt amortissable de 240 millions d’euros accordé par l’AFD à la Nouvelle-Calédonie.

Néanmoins, dans une collectivité marquée par de profondes inégalités, ces aides pourraient se révéler encore insuffisantes, notamment pour les jeunes, alors que 36 % d’entre eux sont touchés par le chômage. Dans ces conditions, l’insertion sur le marché du travail pourrait se révéler catastrophique à la rentrée. Il faut de toute urgence appuyer la relance économique dans tous nos territoires.

Enfin, comme l’a très bien souligné le nouveau ministre, M. Lecornu, « les territoires d’outre-mer, ce n’est pas une affaire d’identité, c’est une affaire de cœur ». Par conséquent, pour en revenir au texte qui nous occupe aujourd’hui, j’espère de tout cœur que nous trouverons rapidement une solution afin de simplifier la procédure d’homologation en Nouvelle-Calédonie.

Je m’en remets au Gouvernement, monsieur le garde des sceaux. Nous avons toute confiance en vous ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – Mme Michèle Vullien applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.

M. Thani Mohamed Soilihi. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le texte que nous examinons aujourd’hui constitue un exemple fort de la diversité et de la richesse des statuts institutionnels ultramarins.

En effet, la Constitution confère à la Nouvelle-Calédonie une large autonomie. Comme la Polynésie française, ce territoire d’outre-mer du Pacifique a la possibilité de créer des infractions pénales dans les domaines de compétences qui leur sont propres et de les assortir de sanctions. Néanmoins, la mise en œuvre des peines d’emprisonnement requiert le recours à la procédure d’homologation par notre Parlement.

Composée de quatre articles, dont trois articles additionnels introduits à l’Assemblée nationale, cette proposition de loi soumet donc à notre homologation plus de 70 peines d’emprisonnement dans des domaines aussi variés que le droit social, le droit de l’environnement, celui des assurances ou encore celui du sport.

Ces peines, travaillées avec le concours de la Chancellerie, ont passé avec succès la procédure de vérification du respect des trois conditions cumulatives fixées par la loi organique du 19 mars 1999, qui encadre cette compétence.

Vous l’avez rappelé, monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, ces peines interviennent bien dans des domaines relevant du champ de compétences du Congrès et des trois assemblées provinciales. Leur quantum n’excède pas celui qui est prévu pour une infraction de même nature sur le reste du territoire. Enfin, elles respectent la classification des délits.

Avant de donner la position de mon groupe, qui, vous l’aurez compris, soutient la démarche entreprise par notre collègue député de Nouvelle-Calédonie, je souhaite insister sur le fait que, si la présente proposition représente la diversité de nos territoires d’outre-mer, elle est également le reflet des difficultés que ces territoires rencontrent trop souvent.

En raison de la rareté des véhicules législatifs les concernant, leur sort dépend souvent d’amendements présentés en marge d’autres textes, dont le lien avec l’objet principal est parfois ténu, ou de projets de loi relatifs aux outre-mer en général.

Le dispositif qui nous réunit aujourd’hui ne déroge pas à cette faiblesse, puisque l’homologation de peines la plus récente découle d’un amendement adopté à l’Assemblée nationale lors de l’examen de la loi d’actualisation du droit des outre-mer du 14 octobre 2015. D’autres peines d’emprisonnement sont en attente depuis 2014, faute d’avoir trouvé un texte dans lequel s’insérer…

C’est la raison pour laquelle je souscris évidemment à la demande de nos amis calédoniens d’instaurer un rendez-vous annuel, ou à tout le moins beaucoup plus régulier, pour l’homologation des dispositions pénales.

Afin de ne pas retarder davantage l’entrée en vigueur de ces peines d’emprisonnement sur le territoire calédonien, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée sur ce texte. Celui-ci a été voté à l’Assemblée nationale à l’unanimité. Dans le même esprit, la commission des lois du Sénat a fait le choix d’un vote conforme. J’en profite pour remercier notre rapporteur de la qualité de son travail et de cette délicate attention.

Je veux profiter du temps de parole qui m’est accordé pour évoquer l’état du centre pénitentiaire de Nouméa.

Dans le rapport pour avis sur les crédits de la mission « Outre-mer » inscrits au projet de loi de finances pour 2019, que j’avais choisi de consacrer à la situation des établissements pénitentiaires dans les outre-mer, j’avais souligné que, au centre pénitentiaire de Nouméa, seul établissement de Nouvelle-Calédonie, les conditions de détention, liées à la vétusté et à l’état de surpopulation, étaient régulièrement dénoncées.

À titre d’exemple, le quartier centre de détention de Nouméa, d’une densité de 138,5 % au 1er octobre 2018, est en surencombrement chronique. La situation a certes connu des améliorations récentes, inspirées des propositions du rapport de Mme Mireille Imbert-Quaretta, conseillère d’État missionnée par Christiane Taubira, alors ministre de la justice, mais force est de constater qu’elle est toujours insatisfaisante.

Pour conclure, le groupe LREM votera sans retenue cette proposition de loi fortement attendue en Nouvelle-Calédonie, qui permettra au juge pénal de ce territoire de disposer des mêmes outils de répression qu’au niveau national. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et RDSE. – M. Dany Wattebled applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’État français a longtemps joué un rôle important dans l’administration de ses territoires du Pacifique Sud.

Issue de la colonisation, cette gestion lointaine depuis Paris tend aujourd’hui à s’estomper. Guidée par le principe fondamental du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et par la nécessité de respecter les spécificités locales, le droit de bénéficier d’une large autonomie la France confère désormais à certains départements et territoires ultramarins, en vertu des articles 74 et 76 de la Constitution.

La Nouvelle-Calédonie s’est ainsi vu autoriser par la loi organique statutaire du 19 mars 1999 le droit à légiférer dans certains domaines restreints, notamment en matière de création d’infractions pénales.

Cependant, le principe a été posé que, lorsque le Congrès de Nouvelle-Calédonie crée une infraction pénale assortie d’une peine d’emprisonnement, celle-ci doit au préalable faire l’objet d’une homologation du Parlement français, faute de quoi elle ne peut être appliquée.

Cette intervention du législateur national est légitime et nécessaire pour deux raisons.

Tout d’abord, elle vise à vérifier que les conditions posées par la loi organique de 1999 sont bien remplies, à savoir que la durée d’emprisonnement édictée par le Congrès calédonien n’est pas supérieure à la durée maximale fixée par le droit positif français pour une infraction similaire.

Ensuite, elle permet à l’État d’exercer ses prérogatives en matière de justice pénale et de protection des libertés individuelles.

Suivant cette procédure, le texte qui nous réunit aujourd’hui vise à faire homologuer par le Parlement français 59 peines d’emprisonnement qui ont été votées par le Congrès de Nouvelle-Calédonie et ses trois assemblées provinciales. Ces peines d’emprisonnement portent sur des sujets divers : il s’agit de sanctions relatives au harcèlement sexuel et moral au travail ou ayant trait aux domaines de la santé, des assurances et de l’environnement.

Mes chers collègues, nous nous félicitons que l’Assemblée nationale et le Sénat aient accepté d’inscrire cette proposition de loi à l’ordre du jour. Il y a en effet urgence à agir. Parmi les peines que nous homologuerons aujourd’hui, certaines ont été créées en 2014. Cela veut dire que, six longues années plus tard, les juridictions calédoniennes ne sont toujours pas en droit de les prononcer, faute de validation par le Parlement français…

Comment expliquer que des mesures ayant trait à des contentieux aussi graves que le harcèlement sexuel et moral au travail aient à attendre si longtemps pour être reconnues par les autorités nationales avant de pouvoir être appliquées dans les territoires du Pacifique ? Il est évident qu’une telle insécurité juridique ne peut que fragiliser le statut de la victime et sa confiance dans la justice de notre pays.

Il est par ailleurs problématique de constater que, depuis que la loi de 1999, attribuant cette autonomie normative à la Nouvelle-Calédonie, a été mise en place, les homologations sont peu fréquentes et passent presque systématiquement par des amendements ou des propositions de loi déposées par des parlementaires ultramarins, comme si ceux-ci étaient les seuls garants du fonctionnement du système judiciaire calédonien.

N’est-ce pas au Gouvernement de s’assurer de la bonne application des lois dans tous ses territoires, dans le respect des particularités locales ? L’exécutif ne devrait-il pas produire annuellement un projet de loi recensant toutes les mesures d’emprisonnement édictées en Nouvelle-Calédonie et devant faire l’objet d’une homologation par le Parlement national ?

Nos territoires d’outre-mer n’ont été que trop délaissés par l’État français. Touchés par une crise économique endémique, un chômage de masse et des conditions sociales dégradées, les Français ultramarins ne devraient pas en plus avoir à composer avec un dysfonctionnement de leur droit pénal local, en raison d’un manque de volontarisme des gouvernements successifs.

Il n’est pas non plus acceptable que les détenus calédoniens aient à endurer les conditions de détention très difficiles du centre pénitentiaire de Nouméa, où la surpopulation carcérale atteint un taux de 135 %.

Comme à l’Assemblée nationale, ce texte devrait être adopté sans difficulté au Sénat. Il va sans dire que le groupe CRCE soutiendra cette initiative parlementaire. Il était grand temps ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – Mme Michèle Vullien applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.

M. Jean-Pierre Sueur. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je voulais tout d’abord exprimer ma gratitude à l’égard du Sénat, qui me donne dix minutes de temps de parole sur ce texte, alors que notre excellent rapporteur Jacques Bigot a d’ores et déjà tout dit, après vous, monsieur le garde des sceaux. (Sourires.)

C’est donc une situation particulière pour moi. D’ordinaire, j’éprouve des difficultés à circonscrire mon propos dans le temps qui m’est imparti. Je rêve d’ailleurs quelquefois de ce qui prévalait naguère dans cette institution, lorsque Robert Badinter parlait deux fois plus que le temps prévu, sans que jamais aucun président de séance ni aucune présidente de séance osât l’interrompre. (Exclamations amusées.)

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Tentez votre chance !

M. Jean-Pierre Sueur. Je le précise aujourd’hui, monsieur le garde des sceaux, puisque c’est la première fois que j’ai l’occasion de m’adresser à vous depuis cette tribune.

Nous pourrions dire bien des choses sur la Nouvelle-Calédonie. Dans le rapport que j’avais commis avec Mmes Joissains et Tasca en 2014, nous avions formulé de nombreuses recommandations, dont certaines sont – hélas ! – toujours d’actualité. Je pense en particulier à ce qu’a excellemment souligné M. Mohamed Soilihi sur la prison de Nouméa : il y a eu quelques améliorations, mais le travail à faire reste malheureusement très important.

Nous pourrions aussi parler du nickel et de la manière dont les produits de la mine et de l’exploitation reviennent, ou ne reviennent pas, aux habitants de la Nouvelle-Calédonie.

Nous pourrions encore évoquer la situation présente. Cela ne vous a pas échappé, en préparation du deuxième référendum, il y a des tensions non négligeables.

Nous pourrions enfin profiter de l’occasion pour saluer l’œuvre considérable de Michel Rocard, grâce à qui il a pu exister un accord entre deux personnes qui ne sont plus là, mais auxquelles il faut rendre un immense hommage ; elles se sont unies en dépit de tout ce qui les séparait.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. C’est vrai !

M. Jean-Pierre Sueur. Pour ce deuxième référendum – trois sont prévus –, la date proposée par le Congrès de la Nouvelle-Calédonie n’a pas été retenue.

Monsieur le président de la commission des lois, monsieur le garde des sceaux, il y a aussi un sujet sur lequel j’aimerais entendre votre avis d’éminents juristes. Alors que la juxtaposition du bleu, du blanc et du rouge sur des documents de propagande est interdite par le code électoral, un décret a autorisé l’utilisation de ces trois couleurs lors de ce scrutin par l’une des parties en présence, ce que l’autre ne perçoit pas très bien.

Je me permets de rappeler à cette tribune, après avoir reçu des messages, notamment, de M. Paul Néaoutyine, que les trois couleurs de la France appartiennent à tous les Français, de l’Hexagone et d’outre-mer, jusqu’au moment, naturellement, où serait décidé un autre chemin ; tant que ce n’est pas le cas – n’anticipons en rien –, ces trois couleurs de la France appartiennent à chacune et à chacun.

Chacun le sait, cette homologation des peines d’emprisonnement est nécessaire, et elle doit être exercée sous un quadruple contrôle, dont vous avez abondamment parlé l’un et l’autre. Les peines doivent respecter les dispositions constitutionnelles en matière pénale – c’est la moindre des choses ! –, être prévues dans un domaine de compétence propre de la collectivité, ne pas excéder le quantum prévu pour l’infraction de même nature applicable sur l’ensemble du territoire de la République, le tout dans le respect de la bonne classification des délits.

C’est exactement le cas dans ce texte. Notre rapporteur Jacques Bigot indique : « J’ai examiné – et quand Jacques Bigot dit qu’il a examiné, c’est qu’il l’a véritablement fait ! (Sourires.) – chacune des dispositions avec attention et vérifié qu’elles passaient toutes l’épreuve des quatre contrôles que je vous ai exposés. »

Nous voterons bien entendu ce texte, en souscrivant au vœu du député Philippe Dunoyer et de notre collègue Thani Mohamed Soilihi. Il est vrai que les dispositions relatives à l’outre-mer figurent souvent dans le dernier article des textes de loi et qu’elles sont examinées rapidement. Et lorsque l’homologation attend six ans, ce n’est pas très respectueux des territoires concernés et de leurs habitants. Avoir plus souvent, annuellement, de telles lois d’homologation, qui ne prennent tout de même pas trop de temps, est donc une belle idée.

C’est pourquoi, après avoir tenu six minutes et demie à cette tribune,… (Sourires.)

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Pas tout à fait, mais ce fut un bel effort !

M. Jean-Pierre Sueur. … je renouvelle notre soutien à ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR, LaREM et RDSE. – M. Jérôme Bignon applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Époque bénie, mais, si j’ai bien compris, époque révolue – hélas ! –, que celle où le garde des sceaux pouvait s’exprimer sans être interrompu ! C’est donc en quelques mots que je vais essayer de vous répondre.

Évidemment, six ans d’attente, c’est insupportable ! Je suis donc tout à fait favorable à ce qu’une homologation régulière soit envisagée. Nous pouvons également imaginer, toujours pour éviter que les justiciables et la justice ne subissent des retards, une procédure simplifiée devant le Parlement, afin d’examiner régulièrement l’évolution de la situation et de faire en sorte que les territoires concernés aient le même arsenal législatif que la métropole.

Par ailleurs, l’ouverture d’un centre de détention à Koné, qui, vous le savez, est prévue en 2021, permettra, me semble-t-il, de régler l’insupportable problème de la surpopulation carcérale en Nouvelle-Calédonie, qui nous préoccupe tous.

Mme la présidente. Monsieur le garde des sceaux, je souhaite vous rassurer : dans cette enceinte, les ministres disposent de tout le temps qu’ils souhaitent pour leurs interventions ! M. Sueur faisait référence à la période où M. Badinter siégeait parmi nous en tant que membre de la Haute Assemblée, et non à celle où il exerçait vos fonctions actuelles.

La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

proposition de loi visant à homologuer des peines d’emprisonnement prévues en nouvelle-calédonie

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi visant à homologuer des peines d'emprisonnement prévues en Nouvelle-Calédonie
Article 2

Article 1er

(Non modifié)

Sont homologuées, en application de l’article 87 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie, les peines d’emprisonnement prévues en Nouvelle-Calédonie :

1° Aux articles Lp. 243-5 et Lp. 445 du code agricole et pastoral de Nouvelle-Calédonie ;

2° Aux articles Lp. 325-2, Lp. 325-3, Lp. 331-22, Lp. 514-1 et Lp. 514-2 du code des assurances applicable en Nouvelle-Calédonie ;

3° Aux articles Lp. 5321-2, Lp. 5321-3, Lp. 5321-4, Lp. 5321-5, Lp. 5321-8, Lp. 5322-1, Lp. 5322-2, Lp. 5322-3, Lp. 5323-1, Lp. 5324-1, Lp. 5324-2, Lp. 5324-3, Lp. 5324-4, Lp. 5324-5, Lp.5324-6, Lp. 5325-1, Lp. 5325-2, Lp. 5325-3, Lp. 5326-1, Lp. 5326-5, Lp. 5326-6, Lp. 5326-7, Lp. 5327-1, Lp. 5331-1, Lp. 5331-4, Lp. 5331-6, Lp. 5331-7, Lp. 5332-1, Lp. 5332-2, Lp. 5332-3, Lp. 5333-1, Lp. 5333-2, Lp. 5334-1, Lp. 5335-1, Lp. 5342-1, Lp. 5342-2, Lp. 5342-4, Lp. 5342-5, Lp. 5342-6, Lp. 5343-1, Lp. 5343-2, Lp. 5343-3, Lp. 5343-4, Lp. 5343-5 et Lp. 5344-1 de l’ancien code de la santé publique applicable en Nouvelle-Calédonie ;

4° Aux articles Lp. 116-2, Lp. 116-3, Lp. 544-25 et Lp. 545-31 du code du travail de la Nouvelle-Calédonie ;

5° À l’article 26 de la délibération du congrès n° 219 du 11 janvier 2017 relative à l’amélioration de la qualité de l’air ambiant ;

6° À l’article 44 de la délibération du congrès n° 118/CP du 26 novembre 2018 portant réglementation des manifestations sportives terrestres ;

7° À l’article 17 de la loi du pays n° 2018-25 du 26 décembre 2018 relative à l’efficacité énergétique des équipements, à l’interdiction d’importation d’équipements contenant des substances appauvrissant la couche d’ozone et à l’interdiction d’importation des ampoules à incandescence ou à halogènes.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 1er.

(Larticle 1er est adopté.)

Article 1er
Dossier législatif : proposition de loi visant à homologuer des peines d'emprisonnement prévues en Nouvelle-Calédonie
Article 3

Article 2

(Non modifié)

Sont homologuées, en application des articles 87 et 157 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 précitée, les peines d’emprisonnement prévues en Nouvelle-Calédonie :

1° À l’article PS 221-66 du code de l’urbanisme de la Nouvelle-Calédonie ;

2° Aux articles 341-41 et 416-16 du code de l’environnement de la province Sud ;

3° Aux 1° à 7° et 9° du I ainsi qu’au V de l’article 424-9 du même code. – (Adopté.)

Article 2
Dossier législatif : proposition de loi visant à homologuer des peines d'emprisonnement prévues en Nouvelle-Calédonie
Article 4

Article 3

(Non modifié)

I. – Sont homologuées, en application de l’article 87 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 précitée, les peines d’emprisonnement prévues en Nouvelle-Calédonie aux articles Lp. 4212-2, Lp. 4223-1, Lp. 4243-3, Lp. 4423-1, Lp. 4423-5, Lp. 4484-1 et Lp. 4493-1 de l’ancien code de la santé publique applicable en Nouvelle-Calédonie.

II. – (Supprimé) – (Adopté.)

Article 3
Dossier législatif : proposition de loi visant à homologuer des peines d'emprisonnement prévues en Nouvelle-Calédonie
Explications de vote sur l'ensemble (début)

Article 4

(Non modifié)

I. – Est homologuée, en application de l’article 87 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 précitée, la peine d’emprisonnement prévue en Nouvelle-Calédonie à l’article 8 de la loi du pays n° 2019-9 du 2 avril 2019 relative à la réglementation des établissements d’accueil petite enfance et périscolaire.

II. – (Supprimé) – (Adopté.)

Vote sur l’ensemble

Article 4
Dossier législatif : proposition de loi visant à homologuer des peines d'emprisonnement prévues en Nouvelle-Calédonie
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

Mme la présidente. Personne ne demande la parole ?…

Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’ensemble de la proposition de loi visant à homologuer des peines d’emprisonnement prévues en Nouvelle-Calédonie.

(La proposition de loi est adoptée définitivement.)

Mme la présidente. Je constate que la proposition de loi a été adoptée à l’unanimité des présents. (Applaudissements.)

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à quinze heures vingt-cinq, est reprise à quinze heures trente.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à homologuer des peines d'emprisonnement prévues en Nouvelle-Calédonie
 

7

 
Dossier législatif : proposition de loi visant à protéger les victimes de violences conjugales
Discussion générale (suite)

Protection des victimes de violences conjugales

Adoption définitive des conclusions d’une commission mixte paritaire sur une proposition de loi

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle l’examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à protéger les victimes de violences conjugales (texte de la commission n° 618, rapport n° 617).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme le rapporteur. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à protéger les victimes de violences conjugales
Articles 1er A à 1er D

Mme Marie Mercier, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, le Sénat est appelé à examiner cette après-midi les conclusions de la commission mixte paritaire (CMP) qui s’est réunie le 9 juillet dernier pour élaborer un texte sur la proposition de loi visant à protéger les victimes de violences conjugales.

Sur ce sujet majeur, qui touche à la vie quotidienne de nos concitoyens, il aurait été difficilement concevable que nous ne parvenions pas à dégager un compromis. À mes yeux, il était indispensable que la représentation nationale affiche son unité au moment d’affirmer sa volonté de mieux protéger les femmes – ce sont le plus souvent elles qui sont en cause – et les mineurs victimes de violences.

Peu de désaccords subsistaient après l’examen du texte au Sénat.

Je commence par le volet pénal. La commission mixte paritaire a retenu les rédactions que nous avions adoptées sur la possibilité de déroger au secret médical et sur la saisie des armes.

Un compromis a été trouvé sur la délicate question de l’inscription, dans le fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions sexuelles et violentes (Fijais), des personnes mises en examen. Cette inscription est aujourd’hui possible sur décision du juge d’instruction, mais elle est en pratique assez rarement effectuée.

Nous avions souhaité la favoriser en décidant qu’elle serait automatique, sauf décision contraire du magistrat. Cela a pu légitimement susciter des réserves au regard du principe de la présomption d’innocence. Nous avons trouvé, je crois, une solution d’équilibre en réservant l’inscription automatique aux affaires criminelles, c’est-à-dire aux infractions les plus graves, pour lesquelles il paraît justifié de faire primer le principe de précaution.

La commission mixte paritaire a ensuite supprimé un article additionnel, adopté contre l’avis de la commission, qui tendait à interdire les mains courantes, considérant que cette disposition était redondante avec celles qui figurent déjà dans le code de procédure pénale. Ce sont les pratiques qu’il faut faire évoluer sur le terrain. Des progrès ont été accomplis. J’espère que le nouveau gouvernement aura à cœur de continuer à mobiliser les forces de police et de gendarmerie sur le recueil de la parole des victimes et sur leur accompagnement au cours de la procédure.

La commission mixte paritaire a maintenu la circonstance aggravante que nous avions introduite pour le délit d’envoi réitéré de messages malveillants, sous réserve d’une modification rédactionnelle. Elle a précisé les conditions dans lesquelles certaines peines complémentaires d’interdiction de paraître ou de contact pourraient continuer à s’appliquer lorsque le condamné est incarcéré.

Certains conjoints violents parviennent à maintenir leur emprise depuis leur lieu de détention. Il est donc nécessaire de prévoir dans certaines circonstances que l’agresseur ne pourra pas entretenir de relation avec la victime.

J’en viens au volet civil. La commission mixte paritaire est d’abord revenue sur la question de la procédure applicable lorsqu’une femme victime de violences conjugales demande au juge aux affaires familiales de lui délivrer une ordonnance de protection.

Le 27 mai dernier, le Gouvernement avait promulgué un décret donnant à la victime un délai de seulement vingt-quatre heures à compter de l’ordonnance fixant la date de l’audience pour remettre au greffe l’acte permettant d’établir que cette date avait bien été signifiée au conjoint violent, le non-respect de ce délai entraînant la caducité de la demande.

Nous avions donc jugé ce délai de vingt-quatre heures extrêmement difficile à tenir. Il risquait de faire obstacle à la délivrance des ordonnances de protection, alors que nous avions souhaité encourager le recours à cette procédure au moment du vote de la loi du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille, ou loi Pradié.

Ce constat nous avait conduits à adopter en séance un amendement présenté par nos collègues du groupe socialiste tendant à confier au ministère public et aux forces de l’ordre la charge de signifier au défendeur la date de l’audience.

Fort heureusement, le Gouvernement a depuis lors modifié le décret litigieux, après avoir entendu l’ensemble des parties prenantes, notamment les associations de défense des femmes victimes de violences.

Le nouveau décret, publié le 3 juillet, nous a paru acceptable. Il prévoit désormais que la signification est à la charge du ministère public si la victime n’est pas assistée par un avocat. Il porte le délai de vingt-quatre heures à quarante-huit heures et supprime la disposition qui entraînait la caducité automatique de la demande en cas de dépassement de ce délai. Enfin, il revoit les conditions de versement de l’aide juridictionnelle pour couvrir les frais d’huissier.

En conséquence, la commission mixte paritaire a estimé qu’il n’était plus nécessaire de conserver l’article additionnel que nous avions adopté, son objectif étant désormais atteint.

Toujours à propos de l’ordonnance de protection, la commission mixte paritaire a retenu, dans la rédaction du Sénat, l’article que nous avions adopté pour autoriser le juge aux affaires familiales à prononcer une interdiction de rapprochement. Elle a complété une autre disposition pour préciser que si l’ensemble des ordonnances sont notifiées au procureur de la République, les situations dans lesquelles un mineur est en danger doivent faire l’objet d’un signalement spécifique.

Sur la décharge de l’obligation alimentaire, visée à l’article 6, la commission mixte paritaire a retenu la rédaction du Sénat. Sur l’article 6 bis, relatif à l’indignité successorale, elle a précisé le périmètre de la mesure sans remettre en cause l’essentiel de nos apports.

Une disposition autorise la victime de violences à résilier plus rapidement son bail. Sur proposition de la rapporteure de l’Assemblée nationale, nous avons décidé de subordonner son application à l’engagement de poursuites, à des mesures de substitution aux poursuites, à une condamnation ou à la délivrance d’une ordonnance de protection, de préférence au simple dépôt d’une plainte, qui aurait pu donner lieu à des abus.

En ce qui concerne l’aide juridictionnelle, nous avons abouti à une solution de compromis, qui préserve les éléments positifs du système actuel, notamment le fait de permettre au bureau d’aide juridictionnelle ou à la juridiction elle-même d’accorder en urgence une aide lorsque cela lui paraît opportun, tout en autorisant le Gouvernement à fixer par décret une liste de contentieux pour lesquels l’aide sera accordée automatiquement mais à titre provisoire. Nous avons fait du « en même temps » ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

Je suis heureuse de vous l’annoncer, la commission mixte paritaire a maintenu l’article additionnel que le Sénat a adopté en séance, sur mon initiative, concernant le contrôle de l’âge des personnes accédant sur internet à un site pornographique.

J’ai repris les pistes de réflexion tracées par la rapporteure de l’Assemblée nationale, Bérangère Couillard, qui avait suggéré de confier au Conseil supérieur de l’audiovisuel, le CSA, un nouveau rôle de régulation, en s’inspirant du mécanisme applicable au secteur des jeux en ligne. C’est cette architecture qui a été retenue dans l’article additionnel voté au Sénat.

Depuis trop longtemps, les mineurs peuvent visionner sans restriction, parfois dès l’âge de 12 ans, 11 ans, voire moins, un nombre considérable de contenus pornographiques. Cela ne peut que nous inquiéter quant aux conséquences de ces images sur leur développement psychologique et affectif.

J’en ai bien conscience, il reste du travail à accomplir pour que les principes inscrits dans la loi deviennent une réalité sur le terrain, toujours dans le respect de la vie privée des adultes. En effet, cette disposition concerne seulement les mineurs. Nous ne nous occupons pas des adultes. Je sais que des dispositifs techniques pourront toujours être imaginés pour contourner les obstacles à l’accès des mineurs à ces sites. Mais ce n’est pas une raison pour ne pas essayer de le faire.

Je suis cependant convaincue que nous, parlementaires, devons marquer notre détermination à avancer sur le sujet. Les réactions nombreuses suscitées par une telle initiative montrent qu’elle répondait à une préoccupation partagée par la majorité de nos concitoyens.

Même si les dispositifs techniques ne sont pas sans défaut – nous en sommes bien conscients ! –, nous aurions réalisé une grande avancée si les plus jeunes étaient mis à l’abri de ces contenus en ligne parfois extrêmes, d’une violence souvent inouïe et qui dégradent l’image de la femme.

Vous pouvez donc en être assurés, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, le Sénat suivra avec beaucoup d’attention dans les prochains mois la mise en œuvre des mesures que nous nous apprêtons à voter.

Dans le discours qu’il a prononcé devant notre Haute Assemblée, M. le Premier ministre a indiqué que la lutte contre les violences conjugales serait l’une des grandes priorités de la politique pénale du Gouvernement.

Nous ne pouvons qu’approuver cette déclaration d’intention ; nous souhaitons bien entendu qu’elle se traduise dans les faits.

Je voudrais cependant rappeler que la lutte contre les violences conjugales ne passe pas seulement par une action répressive. Elle suppose aussi de mener un travail d’éducation et d’accompagnement social et psychologique des victimes, ainsi que des auteurs pour prévenir la récidive ; sinon, cela ne servirait à rien. Elle impose de soutenir les associations, sans lesquelles tant de victimes se trouveraient désorientées. Elle nécessite donc un engagement dans la durée de la part de l’État, avec des moyens et une détermination sans faille du pouvoir politique. Prévenir pour protéger : tout l’enjeu est là.

Monsieur le garde des Sceaux, cher maître, vous le savez aussi bien que moi, pour l’avoir vécu, la violence au quotidien est attendue ; elle est subie ; elle est permanente. Elle empêche tout simplement de vivre. (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, tout d’abord – je le dis loin des polémiques, dans la sérénité de la Haute Assemblée – l’homme que je suis et le ministre que je viens de devenir sont fiers d’apporter un plein et entier soutien à une proposition de loi qui me tient tout particulièrement à cœur : celle qui vise à protéger les victimes de violences conjugales.

Je me réjouis de voir aujourd’hui devant le Sénat l’achèvement des travaux permettant l’adoption d’une importante proposition de loi, qui permettra de lutter plus efficacement contre les violences conjugales.

Vous savez qu’il s’agit là d’un objectif prioritaire fixé par le Président de la République. Il est évidemment intolérable que, de nos jours, des femmes – il y a en a plus de 120 l’année dernière – meurent sous les coups de leur conjoint.

De nombreuses actions ont déjà été menées par le précédent gouvernement, tout spécialement par Nicole Belloubet, qui m’avait précédé et à laquelle je veux ici rendre un hommage particulier. La garde des sceaux avait, dès le 9 mai 2019, adressé aux procureurs généraux une circulaire leur demandant de déployer l’ensemble de l’ensemble de notre arsenal répressif, dans un double objectif : faire preuve d’une plus grande fermeté à l’égard des auteurs de ces violences et mieux protéger les victimes.

Ainsi, le dispositif « téléphone grave danger » a vu le nombre d’appareils distribués multiplié par trois en un peu plus d’un an.

À ce jour, 1 490 terminaux ont été déployés en juridiction et 76 % ont été attribués, ce qui couvre l’ensemble des besoins actuels.

Pour ma part, je veux vous dire ma détermination à mener une lutte sans merci contre le fléau, que j’ai toujours combattu, des violences au sein du couple. C’est particulièrement indigne de notre civilisation et tellement contraire à nos valeurs. Je poursuivrai les travaux engagés par mon ministère dans le cadre du Grenelle des violences conjugales et j’ouvrirai si nécessaire de nouveaux chantiers.

Le texte qui vous est soumis aujourd’hui a fait l’objet d’un accord entre les deux assemblées. Je m’en réjouis vivement et vous remercie, tant ce sujet doit faire l’objet d’une union sacrée dépassant évidemment tous les clivages.

Les parquets et les juridictions sont plus que jamais mobilisés pour traiter sans délai les plaintes et les requêtes dont ils sont saisis. Pendant le confinement, les procureurs ont procédé, près de neuf fois sur dix, au déferrement des personnes mises en cause pour de telles violences. Dans la plupart des cas, une éviction du domicile familial a été prononcée à leur égard. Ce sont là des réponses efficaces.

Il s’agit aussi de décloisonner, de fluidifier la circulation des informations entre les différents services et, au-delà, de promouvoir l’engagement de tout le tissu associatif et des citoyens engagés pour donner aux personnes victimes de violences intrafamiliales les moyens de retrouver leur dignité.

Je connais l’engagement qui est le vôtre dans cette lutte contre les violences commises au sein du couple. Loin d’être des affaires privées, elles impliquent la société tout entière. Vous en êtes les représentants et vous avez d’ores et déjà, par le vote de plusieurs lois, renforcé les moyens de lutte contre ces violences. Je pense notamment à la loi du 28 décembre 2019, qui a renforcé et accéléré la procédure de l’ordonnance de protection, laquelle peut désormais être prise dans un délai contraint. La loi a également introduit l’interdiction pour le conjoint violent de se rendre dans certains lieux où se trouve de façon habituelle la partie demanderesse et a permis la suspension automatique de l’exercice de son autorité parentale. Le déploiement du bracelet anti-rapprochement d’ici au mois de septembre sera aussi l’une de mes priorités.

Cette loi du 28 décembre était toutefois incomplète. La présente proposition va permettre de parachever les évolutions législatives, qui, sur certains points importants, paraissaient encore nécessaires. Je me félicite de ce que ce texte ait pu faire l’objet d’un large consensus entre l’Assemblée nationale et le Sénat. Mesdames, messieurs, vous avez adopté conformes onze des articles retenus par l’Assemblée nationale, puis vous avez trouvé un accord en commission mixte paritaire sur les dispositions qui restaient en discussion.

Cet accord, intervenu le 9 juillet dernier, résulte évidemment de la qualité de vos travaux et du travail conjoint des rapporteures – avec un « e » final –, Mme Bérangère Couillard à l’Assemblée nationale et vous, madame la sénatrice Marie Mercier. Je veux ici vivement vous remercier. Ce nouveau texte apporte des modifications nombreuses et significatives à notre législation et complète sur des points importants le code civil, le code pénal et le code de procédure pénale en vue de renforcer davantage encore la protection effective des victimes de violences familiales, qu’il s’agisse des parents ou des enfants.

Il prend notamment en compte le phénomène d’emprise, ce mécanisme si complexe qui place la victime sous la domination et la dépendance de son conjoint. Il permet de comprendre le silence des victimes et leur comportement craintif, qui fait croire à tort à une acceptation de leur sort. C’est pourtant cette emprise qui les maintient auprès de leurs bourreaux et peut les entraîner vers la mort.

Sur le plan pénal, tout d’abord, la proposition de loi se concentre sur trois axes majeurs.

Le premier vise à faciliter le signalement des violences conjugales.

À cette fin, la proposition de loi donne la possibilité aux professionnels de santé de porter ces faits à la connaissance du procureur de la République, même s’ils n’ont pas réussi à obtenir l’accord de la victime. Je sais les nombreux débats que cette mesure importante a provoqués. Je suis heureux que ces dispositions, améliorées en première lecture par l’Assemblée nationale puis précisées par la chambre haute, aient fait l’objet d’un accord en commission mixte paritaire.

Le deuxième axe consiste à améliorer les procédures pénales concernant ces infractions. Le juge d’instruction ou le juge des libertés et de la détention pourra ordonner, dans le cadre d’un contrôle judiciaire et en motivant bien évidemment sa décision, la suspension du droit de visite et d’hébergement à l’égard des enfants, y compris en l’absence de violence directe à leur encontre.

Le troisième axe entend renforcer la répression de certains agissements.

Le harcèlement au sein du couple, quand il conduit la victime à se suicider ou à tenter de le faire, fait encourir dix ans d’emprisonnement à son auteur.

La lutte contre l’exposition des mineurs à la pornographie, notamment sur des sites internet, fait également l’objet d’un renforcement attendu. Le délit existant sera constitué y compris si l’accès d’un mineur à des messages pornographiques résulte d’une simple déclaration de celui-ci indiquant qu’il est âgé d’au moins 18 ans.

Par ailleurs, le président du Conseil supérieur de l’audiovisuel, s’il constate une violation de ces dispositions par un éditeur de sites internet, pourra enjoindre à ce dernier de se mettre en conformité avec la loi. En cas d’inexécution de cette injonction, il pourra saisir le président du tribunal judiciaire de Paris pour que celui-ci ordonne la fermeture de l’accès à ce service.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Très bonne initiative !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Cette disposition, qui résulte d’un ajout du Sénat accepté en commission mixte paritaire, institue en effet un dispositif efficace et cohérent.

Sur le plan civil, on doit prendre en compte les conséquences dévastatrices des violences commises au sein du couple à l’égard de la victime, mais aussi de la famille.

Concernant l’obligation alimentaire, les enfants, victimes indirectes, n’auront plus à soutenir financièrement celui qui a été condamné. C’est bien la moindre des choses.

S’agissant de l’indignité successorale, le conjoint ne sera plus légitime à hériter lorsqu’il a commis des violences graves envers le défunt. Là encore, c’est la moindre des choses.

Enfin, le port du bracelet anti-rapprochement, communément appelé BAR, déployé comme indiqué à partir de septembre 2020, pourra désormais être ordonné également par un juge civil dans le cadre de l’ordonnance de protection interdisant au conjoint violent de se rapprocher de la victime à moins d’une certaine distance. Nous ne pouvons que saluer l’importance et l’utilité des dispositions de cette proposition de loi, dont j’espère qu’elle fera l’objet, comme la loi du 28 décembre 2019, d’une adoption unanime ce jour par votre assemblée, à l’instar de son adoption par l’Assemblée nationale la semaine dernière.

Je puis vous assurer, pour ma part, que je poursuivrai de façon efficace et déterminée les actions entreprises par ma prédécesseure pour renforcer la prévention et la répression des violences au sein du couple ou sur les mineurs, notamment pour appliquer au mieux et le plus rapidement possible les dispositions de ce nouveau texte.

Lors de la passation de pouvoir, j’ai indiqué que le ministère de la justice était celui des libertés. Il est aussi, bien entendu, celui de la protection, à commencer par celle que l’on doit aux femmes qui sont au contact de conjoints ou de compagnons violents. C’est aussi celle, indispensable, de leurs enfants, qui sont les victimes directes ou indirectes de ces violences.

En tant qu’avocat, j’ai connu le chagrin de victimes dévastées et j’aurai à cœur que toutes les victimes, notamment celles de violences conjugales, bénéficient de la meilleure protection que nous pouvons leur accorder. Nos voisins, les Espagnols notamment, nous ont montré que les violences conjugales sont non pas une fatalité sociale, mais une criminalité qui doit pouvoir être combattue, comme toutes les autres, grâce à des politiques publiques volontaires.

Conformément aux engagements du Président de la République, cette loi renforcera notre arsenal législatif. Je serai heureux et fier de la voir adoptée aujourd’hui par la Haute Assemblée. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM, ainsi que sur des travées des groupes Les Indépendants, RDSE, UC et Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Elisabeth Moreno, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée de légalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de légalité des chances. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, dans notre démocratie, il doit y avoir des combats qui nous rassemblent, des combats qui transcendent les clivages partisans. C’est ce qu’ont démontré une fois de plus l’Assemblée nationale et le Sénat lors de l’examen de cette proposition de loi.

Je me réjouis que nos deux assemblées aient trouvé un accord en commission mixte paritaire. Il est, je le crois, à la hauteur de l’enjeu qui nous rassemble aujourd’hui, celui de la lutte contre les violences conjugales.

Je tiens à saluer le travail de la rapporteure, Marie Mercier, et, plus largement, l’esprit avec lequel le Sénat a su s’emparer de cette proposition de loi. Je sais également le travail constant de la délégation sénatoriale aux droits des femmes, dont vous faites partie. Le rapport réalisé sur les violences à l’encontre des femmes et des enfants durant le confinement en témoigne.

Je suis ravie que cette proposition de loi arrive aujourd’hui au terme de son parcours législatif.

Parce que la vie humaine est notre bien le plus précieux, nous avons bâti au fil du temps un arsenal juridique qui protège les victimes de violences conjugales. Nous continuons de le renforcer ; c’est cela qui nous réunit aujourd’hui et je vous félicite d’y avoir consacré tant de travail.

Parce que les violences intrafamiliales ne sont malheureusement pas en voie d’extinction, parce qu’elles touchent toutes les classes sociales et toutes les générations, parce qu’elles sont multiformes, nous sommes, nous, membres du Gouvernement, parlementaires, acteurs publics en général, confrontés à une double obligation d’action et de résultat.

Je souhaite rendre hommage à Mme Schiappa et Mme Belloubet, Mme Couillard et M. Gouffier-Cha pour le travail qu’ils ont effectué, et je remercie M. le garde des sceaux de son soutien.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Et nous ? (Sourires.)

Mme Elisabeth Moreno, ministre déléguée. Bien évidemment, je n’oublie pas toutes les personnes qui ont contribué à ce travail ! (Nouveaux sourires.)

M. Yvon Collin. Il fallait le dire !

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. On a failli se vexer ! (Mêmes mouvements.)

Mme Elisabeth Moreno, ministre déléguée. Quant à moi, j’y mettrai toute ma détermination.

Ces violences sont trop souvent enveloppées d’un épais silence. Le règne du déni et la loi du « non-dit » contribuent à en minorer la gravité, voire, parfois, à les rendre invisibles. Elles sont pourtant une réalité du quotidien, une réalité malheureusement trop concrète.

Tous les trois jours, une femme meurt sous les coups de son conjoint. En 2018, 121 femmes et 28 hommes sont morts sous les coups de leur partenaire ou de leur ex-partenaire de vie et 21 enfants mineurs ont été tués dans un contexte de violences par l’un de leurs parents. Cette impunité doit maintenant cesser. C’est l’esprit qui anime cette proposition de loi et que la commission mixte paritaire a rendu possible.

Le texte d’aujourd’hui contient de véritables avancées. Il permet de mieux repérer, de mieux protéger et de mieux sanctionner.

Mieux repérer, en permettant, par exemple, aux médecins de déroger au secret médical lorsqu’ils suspectent un danger immédiat pour leur patiente. Je salue, à ce titre, le travail réalisé avec le Sénat sur la rédaction de cette disposition.

Mieux protéger, en modifiant les dispositions relatives au régime de l’aide juridictionnelle provisoire, afin que les victimes puissent bénéficier au plus tôt de l’assistance d’un avocat.

Mieux sanctionner, en reconnaissant la notion d’emprise, ce que l’on appelle communément le « suicide forcé ». Cela passe notamment par une aggravation des peines en cas de harcèlement moral ayant poussé la victime au suicide – jusqu’à dix ans d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende. Je salue également, sur l’initiative du Sénat, la création d’une circonstance aggravante pour le délit d’envoi de messages malveillants lorsqu’il est commis par un conjoint ou un ex-conjoint.

Mesdames, messieurs les sénateurs, avant de conclure, je voudrais réaffirmer devant vous que les victimes de violences intrafamiliales n’ont pas été oubliées durant le confinement. Les services de l’État, mais aussi les collectivités locales, notre formidable tissu associatif, les forces de l’ordre et les entreprises se sont mobilisés.

Dans ces circonstances exceptionnelles, des mesures inédites ont ainsi été instaurées, qu’il s’agisse de la mise en place de points d’accueil éphémères dans les supermarchés ou les centres commerciaux pour permettre aux femmes victimes de violences de se signaler et de s’informer en sécurité, de la mise en place du dispositif de signalement des violences dans les pharmacies, du financement exceptionnel de 20 000 nuitées d’hôtel, ou encore de la création d’un numéro d’écoute dédié aux auteurs de violences afin de prévenir le passage à l’acte ou la récidive.

Bien entendu, nous devrons tirer toutes les conséquences du confinement et aller plus loin dans les mesures de prévention et de lutte, à l’image du numéro d’appel pour les victimes de violences, le 3919, qui doit encore être renforcé.

Cette proposition de loi est en tout cas une étape supplémentaire vers la protection et la libération des victimes, une étape supplémentaire pour mettre un terme à l’impunité. À nous désormais de la mettre en œuvre pour renforcer la lutte contre ces violences inacceptables ! (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM, ainsi que sur des travées des groupes Les Indépendants, RDSE, UC, Les Républicains et SOCR.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Dominique Vérien. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Dominique Vérien. Madame la ministre chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, permettez-moi tout d’abord de vous saluer et de vous présenter tous mes vœux de réussite, en particulier dans le domaine qui nous réunit aujourd’hui, où, comme vous l’avez dit, les clivages politiques s’effacent pour le bien commun, comme en témoigne la réussite de la commission mixte paritaire. Vous le verrez rapidement si vous travaillez avec nous, le Sénat, plus particulièrement la délégation aux droits des femmes, est force de proposition en la matière.

Mais revenons, madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, au sujet des violences conjugales. Une loi de plus pour lutter contre les violences faites aux femmes, c’est une victoire de plus pour ce combat national.

Nous avançons depuis plusieurs années, morceau de loi par morceau de loi, lentement mais sûrement. Je sais que, pour nombre d’entre nous, un grand texte aurait été préférable à une accumulation de petits textes. Je me satisfais pour ma part que l’on fasse entrer dans la loi des éléments, qui, pris indépendamment, n’ont pas l’air de révolutionner nos codes, mais qui, mis bout à bout, font avancer la cause. Il faut les faire entrer dans le droit dès que la société est prête à les intégrer.

N’attendons pas que tout soit validé ; adoptons pas à pas, petit à petit, chaque possibilité de protéger une femme ou un enfant.

Notre société était prête pour l’utilisation des bracelets anti-rapprochement, elle est aujourd’hui prête à reconnaître la notion d’emprise. C’est d’ailleurs, pour moi, l’élément le plus important de ce texte. Enfin, cette notion est consacrée dans la loi.

Depuis toujours, l’emprise existe. C’est pourquoi beaucoup de femmes n’osent pas déposer plainte ou retirent leurs plaintes lorsqu’elles sont victimes d’un homme violent. Ce n’est pas amoindrir les femmes que de le reconnaître, c’est au contraire savoir venir en aide à des victimes et sauver des vies.

La confiscation des armes des conjoints violents, la suspension du droit de visite en cas de suspicion de violences, le cyberharcèlement entre conjoints, le renforcement de la lutte contre la pédocriminalité ou encore l’incrimination en cas de suicide d’une victime de violences sont autant d’avancées qui étaient également nécessaires pour lutter contre ce fléau. Je n’oublie pas non plus, chère Marie Mercier, l’inscription au Fijais des personnes mises en examen pour suspicion de crime.

Je profite d’ailleurs de cette tribune pour remercier, outre notre rapporteur, l’auteure du texte, Bérangère Couillard, ainsi que Philippe Bas, président de la commission des lois, dont le travail a permis d’aboutir à un texte commun lors de la CMP.

Mais il reste encore beaucoup à faire, madame la ministre, monsieur le garde des sceaux.

Beaucoup à faire sur la formation des acteurs – policiers, gendarmes, médecins, enseignants, etc. –, pour permettre de détecter le plus en amont possible les violences et mieux recueillir la parole des victimes…

Beaucoup à faire sur les moyens, pour pallier le manque criant de psychologues dans les commissariats ou les gendarmeries, le manque d’infirmières scolaires ou la baisse des aides aux associations…

Beaucoup à faire, aussi, sur la présence des femmes dans notre société.

J’ai rendu, avec ma collègue Marta de Cidrac, dans le cadre de la délégation aux droits des femmes du Sénat, un rapport sur la présence des femmes dans l’audiovisuel. Nous avons constaté qu’elles étaient sous-représentées dans l’ensemble des métiers de l’audiovisuel et que la crise de la covid avait amplifié le phénomène, en les faisant tout bonnement disparaître des écrans !

Il est temps d’exiger le respect de la parité. On en parle depuis maintenant trente ans… Le projet de loi sur l’audiovisuel sera l’occasion d’en débattre et, je l’espère, de régler cette question.

Si ce sujet semble a priori éloigné des violences conjugales, l’image qu’une société a et renvoie des femmes conditionne assurément la façon dont elles sont traitées, y compris dans leur foyer.

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, le groupe Union Centriste votera le texte de la proposition de loi sur les violences conjugales issu de la commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, sur des travées des groupes RDSE et SOCR, ainsi quau banc de la commission.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR. - Mme Nassimah Dindar applaudit également.)

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, pour votre première présence au banc, vous aurez compris, me semble-t-il, que notre assemblée était très engagée sur la question de la lutte contre les violences faites aux femmes.

Élue depuis trois ans, c’est le troisième texte que je suis amenée à examiner en la matière. Nous sommes à fois vigilants et très investis, et nous serons aux côtés du Gouvernement lorsque la situation le justifiera.

Monsieur le garde des sceaux, vous avez parlé de 120 personnes décédées sous les coups de leur conjoint ou ex-conjoint. J’ai écouté l’intégralité de votre audition devant la commission des lois de l’Assemblée nationale – quand on aime, on ne compte pas ! –, et j’ai compris que, parfois, vous étiez surpris par les chiffres… (M. le garde des sceaux fait signe que non.) Je vous taquine ! Du reste, ce sont non pas 120, mais 150 vies anéanties chaque année ! Cela justifie que nous légiférions, même si nous n’avons toujours pas le droit d’avoir un texte global et ambitieux, qui, seul, en appréhendant l’ensemble des champs, permettrait l’efficacité.

Je dirai tout d’abord un mot de la genèse de cette proposition de loi. Elle comporte certes quelques progrès, mais n’oublions pas qu’il s’agit d’un texte de consolation. Alors que se tenait le Grenelle, notre collègue député LR Aurélien Pradié a présenté une proposition de loi extrêmement ambitieuse, qui, dans une vision transpartisane assez originale, et en tout cas peu fréquente, a permis d’améliorer considérablement le mécanisme de l’ordonnance de protection.

La République En Marche en était fort chagrinée et a donc déposé la présente proposition de loi, dont une partie a dû être supprimée en cours d’examen. Au final, quelques dispositions supplémentaires permettent d’améliorer encore le sujet, et certains amendements du groupe socialiste, qui avaient été rejetés lors du précédent texte, ont finalement été acceptés lors de ce nouvel examen. L’essentiel est d’avancer.

Comme notre collègue Dominique Vérien l’a signalé, l’un des vrais progrès de ce texte, c’est l’introduction de la notion d’emprise dans nos codes. Cette évolution est délicate à faire accepter, mais fondamentale.

Les dispositions relatives à l’exposition des mineurs à la pornographie en ligne, introduites sur l’initiative de Marie Mercier, sont également très importantes.

Ce texte fut aussi l’occasion de remédier à une situation ubuesque : après l’introduction du délai de six jours pour délivrer l’ordonnance de protection, un décret de votre prédécesseure, monsieur le garde des sceaux, a fixé des modalités de convocation et de signification qui rendaient la procédure totalement impossible pour la demanderesse – ne soyons pas hypocrites, il s’agit en effet de femmes.

Les associations s’en sont émues, nous aussi, et le décret a finalement été modifié. La situation est désormais acceptable, sans être parfaite non plus. Le délai n’est plus imposé à peine de caducité de la requête et, lorsqu’il n’y a pas d’avocat, la procédure est lancée sur l’initiative du juge.

Les associations jouent en effet un rôle capital de vigie dans ce combat. Nous essayons de le relayer, de l’accompagner, mais c’est à elles que je pense à ce moment, et je veux les saluer.

Mon groupe votera le texte issu des travaux de la commission mixte paritaire, même s’il n’est pas idéal. Il introduit des dispositions sur le secret médical qui ont pu interpeller, et sur lesquelles les médecins spécialistes de ces questions sont partagés. Nous l’étions également, et nous verrons à l’usage si nous avons eu raison de les inclure. À l’inverse, d’autres sujets n’ont pas été retenus, comme la question du conjoint violent dans le domicile conjugal ou l’information systématique du parquet lors de la délivrance de l’ordonnance de protection.

Toutefois, chaque pas étant important, nous allons voter en faveur de ce texte, non pas parce que nous devrions par principe être tous d’accord sur ce sujet important – je m’inscris en faux contre un tel raisonnement –, mais parce que les progrès sont réels, même s’ils ne sont pas suffisants.

Madame la ministre, vous avez indiqué il y a quelques jours vouloir faire passer le nombre de féminicides de 170 à 10, ajoutant joliment que vous pourriez ainsi mourir tranquille. Je salue cette ambition : sur ce point, le groupe socialiste et l’ensemble du Sénat seront à vos côtés. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR, ainsi que sur des travées des groupes CRCE, RDSE, LaREM et UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Arnell. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – Mme Nassimah Dindar applaudit également.)

M. Guillaume Arnell. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, mes premiers mots seront pour vous, madame la ministre : je veux simplement vous dire que le combat ne fait que commencer !

La délégation aux droits des femmes, à laquelle j’appartiens, apporte toute sa contribution à ce combat ; quelques hommes en font partie et je peux, en tout état de cause, vous assurer que l’ensemble de mes collègues est concerné par ce fléau.

C’est aussi en tant qu’Ultramarin que je me suis engagé personnellement dans ce combat, parce que ce fléau a pris une trop grande importance dans les sociétés d’outre-mer.

Comme notre collègue Françoise Laborde a déjà eu l’occasion de le dire lors de l’examen de la proposition de loi devant le Sénat le 9 juin dernier, le tabou des violences conjugales est bel et bien en train d’être brisé, à la fois dans notre société, mais aussi dans notre législation grâce à l’adoption ces dernières années d’une série de textes renforçant la prévention et la répression de ces violences très spécifiques qui surviennent dans le secret du huis clos familial.

Cette particularité leur confère une grande complexité. D’abord, parce que ces violences ont des incidences sur les enfants qui en sont malheureusement, la plupart du temps, les premiers témoins, quand ils n’en sont pas aussi les victimes. Ensuite, parce que toute action de prévention et de lutte contre les violences conjugales nécessite des réponses transversales, à la fois sur le plan social, judiciaire, éducatif et législatif.

Le constat ne serait pas complet, si j’omettais d’évoquer le rôle central que tiennent les lanceurs d’alerte par leur vigilance active pour identifier les faits et y mettre fin. Nous avons pu le constater pendant la période récente de confinement qui a été un véritable révélateur de l’ampleur de l’effort à fournir pour gagner cette bataille.

Notre arsenal juridique doit être encore renforcé, car le fléau n’est toujours pas endigué. Les statistiques annuelles de mortalité le prouvent – elles sont toujours aussi cruelles –, mais je ne reviendrai pas ici sur ces données chiffrées, déjà très largement commentées tout au long de l’examen du texte et à l’occasion des travaux de la délégation aux droits des femmes.

Avec les sénatrices et sénateurs de mon groupe, le RDSE, je salue les nouvelles dispositions prévues par la commission mixte paritaire, tout en regrettant néanmoins que le Grenelle contre les violences conjugales ait abouti non pas à une loi-cadre, mais plutôt à une succession de propositions de loi partielles. L’ampleur de ce fléau aurait pourtant nécessité, de notre point de vue, de recourir à une loi-cadre qui aurait été à la mesure de la concertation engagée lors du Grenelle et des espoirs qu’il a suscités, mais également à la mesure des freins qui perdurent, au niveau tant sociétal que judiciaire. Une loi-cadre aurait pu traduire une véritable prise de conscience collective, politique et institutionnelle à la mesure du fléau.

Néanmoins, la commission mixte paritaire réunie le 9 juillet dernier est parvenue à un compromis. Je tiens à souligner tout particulièrement que les apports du Sénat y ont été déterminants, notamment sur les sujets les plus sensibles. Je pense à la restriction de l’exercice de l’autorité parentale en cas de violences conjugales ou à la limitation du recours à la médiation, conformément à l’avis des experts que nous avons auditionnés tout au long des travaux de la délégation aux droits des femmes.

Si nous les votons aujourd’hui, d’autres mesures seront les bienvenues, comme le fait de décharger de l’obligation alimentaire les descendants ou ascendants des victimes envers les parents auteurs de violences conjugales dans des cas précis comme le meurtre, l’empoisonnement, les violences ayant entraîné la mort ou toute tentative de l’un de ces crimes.

La levée du secret médical sera aussi une mesure déterminante – je dirais même, historique. Tout médecin ou soignant sera désormais en droit d’informer les autorités des faits de violences conjugales sans l’accord des victimes.

Plusieurs articles, dont l’article 1er B, portant sur les modalités de délivrance des ordonnances de protection, ont été supprimés lors de la commission mixte paritaire, mais ils ont été satisfaits à la suite de la publication récente d’un décret venu corriger les effets délétères de celui du 27 mai dernier. Il n’était pas acceptable, en effet, que la procédure administrative de contestation repose sur la responsabilité de la victime, lui imposant des délais de signification intenables de vingt-quatre heures. Sur ce point, nous avons abouti rapidement malgré la période de confinement et grâce à une très forte mobilisation des associations de terrain et des parlementaires membres des délégations.

Le renforcement, avec l’article 1er E, du maintien à domicile de la victime par le droit à l’éviction du conjoint violent est aussi particulièrement notable – c’est une avancée très attendue.

La diminution du délai de préavis imposé au locataire avant de quitter son logement – il passe de trois à un mois – en cas de poursuite ou de prononcé d’une ordonnance de protection pour violences conjugales a donné lieu à discussion.

Même si des inquiétudes persistent, notamment en ce qui concerne le respect du délai de six jours pour délivrer une ordonnance de protection – ce délai ne nous semble pas réaliste –, les principales avancées de ce texte seront des mesures très utiles sur le terrain.

Avec ce texte, le législateur rappellera qu’un conjoint violent ne peut pas être un bon parent. Il traduira cette vérité dans la loi, en restreignant l’autorité parentale et le droit de visite ou de garde qui sont autant d’occasions de perpétuer l’emprise d’un parent violent sur la victime et sur l’enfant, autant de risques de surviolence. La reconnaissance de l’emprise comme violence psychologique sera aussi un changement de paradigme.

Avant de conclure, je souhaiterais m’assurer que, malgré le récent remaniement, la création du nouveau comité de pilotage national pour améliorer la mise en œuvre des ordonnances de protection reste bien à l’ordre du jour.

Madame la présidente, je vous prie de m’excuser de dépasser mon temps de parole. Je voudrais simplement ajouter en conclusion que, pour les membres du groupe du RDSE, le texte auquel a abouti la commission mixte paritaire devrait contribuer à bâtir une prévention plus efficace et une meilleure protection des victimes et de leurs enfants avec des répercussions concrètes. Ce faisant, il participera à ce que la peur change de camp et que la parole se libère. C’est donc unanimement que le groupe du RDSE votera ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, LaREM et UC. – Mme Laurence Rossignol et M. Jean-Yves Leconte applaudissent également.)

Mme la présidente. J’ai en effet fait preuve d’une grande générosité au regard de votre temps de parole, mon cher collègue. (Sourires.)

La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.

M. Thani Mohamed Soilihi. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, nous arrivons au terme du parcours législatif de cette proposition de loi visant à protéger les victimes de violences conjugales, que nous espérons tous voir adopter très rapidement.

D’abord, parce que nous partageons sur toutes les travées de cette assemblée la volonté de lutter contre ces violences qui font, chaque année, plusieurs milliers de victimes et qui conduisent, dans les cas les plus dramatiques, au décès de centaines d’entre elles.

Ensuite, parce que ce texte, qui poursuit le travail législatif précédemment engagé, notamment par la loi Pradié adoptée en décembre dernier, transcrit des préconisations du Grenelle contre les violences conjugales et contient des avancées importantes en matière civile, pénale et de procédure pénale. Je pense à l’interdiction de la médiation en cas de violences conjugales, au renforcement des sanctions en cas de harcèlement, aux dispositifs protégeant la vie privée numérique des victimes ou encore à la levée du secret médical en cas de violences et d’emprise.

La présente proposition de loi contient également des dispositions visant la protection des mineurs, telles que la suspension du droit de visite et d’hébergement en cas de violences conjugales et la lutte contre l’exposition à la pornographie.

Enfin, parce que nous avons su, auteurs, parlementaires et Gouvernement, faire preuve de souplesse, en complétant ou en modifiant le texte qui nous était soumis dans l’esprit de concorde qui nous a animés tout au long de nos travaux. Je pense aux dispositions relatives à la déclaration d’indignité successorale en cas de condamnation pour torture et acte de barbarie, violence volontaire, viol ou agression sexuelle envers le défunt, ainsi qu’à la décharge de l’obligation alimentaire en cas de crime ou délit commis au sein de la famille.

À ce dernier titre, d’ailleurs, je me réjouis que plusieurs amendements que notre groupe avait déposés aient été conservés, dont celui qui réintroduit l’automaticité de cette décharge à l’ensemble des débiteurs d’aliments en cas de crime, tout en ménageant la faculté pour le juge de prendre une décision contraire.

La possibilité donnée au juge aux affaires familiales de prononcer une interdiction de rapprochement, dont le respect pourra être contrôlé grâce à un bracelet électronique, nous apparaissait également comme une bonne mesure.

Je salue en outre l’adoption le 3 juillet dernier, conformément à l’engagement pris en séance publique par votre prédécesseure, monsieur le garde des sceaux, d’un décret relatif aux modalités de convocation du défendeur dans le cadre de la délivrance de l’ordonnance de protection. Celui-ci permettra d’assurer l’effectivité de la délivrance des ordonnances de protection, tout en respectant le principe du contradictoire.

Pour conclure, je soulignerai que c’est bien la conjugaison d’une prise de conscience généralisée, d’une évolution des mentalités, d’une volonté politique forte, d’un arsenal juridique solide accompagné de moyens importants qui nous permettra de faire reculer pour de bon ces violences. Le groupe La République En Marche votera naturellement en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM et sur des travées du groupe UC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi visant à réprimer les violences conjugales a fait l’objet d’une commission mixte paritaire conclusive. Les mesures votées devraient bientôt intégrer le droit positif et nous ne pouvons que nous en réjouir.

Nous notons tout d’abord que les articles concernant l’ordonnance de protection ont été supprimés, dans la mesure où un décret du 3 juillet 2020 est venu renforcer la capacité de l’obtenir.

Cependant, les travaux de la commission mixte paritaire n’ont pas été de nature à améliorer le texte tel qu’il était sorti du Sénat.

Le champ d’application de l’article 7 ter a notamment été restreint. Son dispositif initial ouvrait le droit à la victime ayant porté plainte pour violences conjugales de bénéficier d’un préavis réduit à un mois, afin de pouvoir quitter le logement qu’elle occupait avec son conjoint violent. La commission mixte paritaire a malheureusement ajouté la nécessité qu’une ordonnance de protection soit obtenue par la victime afin qu’elle puisse disposer de ce mécanisme, avec l’argument que sans ce garde-fou n’importe qui pourrait porter plainte afin de quitter son logement dans les plus brefs délais. Nous ne pouvons pas nous satisfaire de cette mesure en demi-teinte, qui jette un voile de suspicion sur les victimes présumées.

Nous déplorons par ailleurs que, lors de son passage dans notre chambre, tant le Gouvernement que la droite sénatoriale aient refusé de doter cette proposition de loi d’un volet préventif. Tous nos amendements ont en effet été balayés sans véritables arguments de fond ni volonté de débattre des thématiques que nous soulevions.

Ainsi continuerons-nous à défendre la nécessité de sensibiliser les policiers, médecins et magistrats aux violences faites aux femmes. De même, nous estimons toujours essentiel qu’un accompagnement social et psychologique soit apporté aux conjoints violents afin de soigner ceux qui peuvent l’être.

Prévenir et soigner, telle devrait être la mission du droit en matière de violences intrafamiliales. Réprimer les actes délictueux et criminels commis au sein des couples est nécessaire, mais ne saurait suffire.

Enfin, nous souhaitons une fois de plus attirer l’attention de l’exécutif sur le manque de moyens attribués aux actions gouvernementales en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes et pour l’aide aux victimes de brutalités sexuelles et sexistes. Dans son troisième projet de loi de finances rectificative pour 2020, le Gouvernement a souhaité augmenter le budget en la matière de 4 millions d’euros ; nous sommes toujours bien loin du milliard demandé par le Haut Conseil à l’égalité !

Malgré des lacunes, la plupart des dispositions prévues dans ce texte vont dans le bon sens. Comme nous avions eu l’occasion de le dire en première lecture, nous saluons par exemple les mesures prévues aux articles 3 et 11 A, susceptibles d’accroître la sécurité des mineurs. Il en va de même pour les dispositifs garantissant le respect de la vie privée numérique des victimes prévus aux articles 10 et 10 bis. Ces éléments introduisent dans le XXIe siècle la lutte contre les violences faites aux femmes, ces dernières étant désormais régulièrement victimes de cyberharcèlement et de maltraitance numérique.

Bien que nous n’ayons pas été entendus sur certains sujets, nous ne nions pas le bénéfice que représenterait l’adoption de cette proposition de loi pour les victimes de violences physiques et morales dans un cadre conjugal.

En conséquence, le groupe CRCE votera ce texte. Gardons à l’esprit tout le travail qu’il nous reste à accomplir afin que les coups, les menaces et tous ces actes néfastes qui se concluent bien trop souvent par des féminicides ne soient plus si fréquents. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SOCR, ainsi quau banc des commissions. – Mme Nassimah Dindar applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Dany Wattebled.

M. Dany Wattebled. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, le confinement a constitué une arme supplémentaire au service des conjoints et pères violents, en isolant avec eux leurs victimes privées de tout lien avec l’extérieur. Pour de nombreuses femmes et de nombreux enfants, le confinement n’est pas terminé : la réalité quotidienne des familles maintenues dans une terreur constante par un conjoint ou un père violent ressemble à un confinement permanent.

La priorité pour nous, élus, est de gagner ensemble le combat contre les violences conjugales. Le confinement s’est déroulé entre deux discussions législatives importantes portant sur la lutte contre les violences conjugales, alors qu’un texte unique aurait permis de prendre en compte l’ensemble des conclusions du Grenelle au cours d’un débat certainement plus satisfaisant.

Depuis 2018, le Parlement a été saisi chaque année d’un texte relatif aux violences : projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, devenu la loi du 3 août 2018 ; proposition de loi visant à agir contre les violences au sein de la famille en 2019 ; proposition de loi visant à protéger les victimes de violences conjugales en 2020. Ces textes se sont ajoutés aux lois de 2006, 2010 et 2014, ainsi qu’à la loi du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées.

Si je me félicite de ce que la lutte contre les violences conjugales soit devenue un thème récurrent du calendrier parlementaire, mettant ainsi en évidence une prise de conscience de l’urgence d’éradiquer ce mal, je regrette cette accumulation de textes disparates. L’examen d’un texte unique déposé après le Grenelle nous aurait certainement permis d’avoir un débat plus cohérent avec une vision globale de la politique de lutte contre les violences conjugales et intrafamiliales.

Aussi, je partage pleinement la position de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, dont je salue la présidente, qui appelle à une remise à plat de tous les textes concernant ces violences dans la perspective de l’établissement d’une loi-cadre ambitieuse qui traiterait tous les aspects de ce fléau. La délégation plaide ainsi pour un débat législatif prenant le temps de la réflexion et sans recours à la procédure accélérée.

Monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, il semble évident que notre arsenal juridique, avec ce dernier texte, apparaît désormais relativement complet pour endiguer cette violence insupportable.

Je ne pensais pas un seul instant que cette commission mixte paritaire pourrait échouer. Sur un sujet tel que les violences conjugales et intrafamiliales, nous connaissons tous parfaitement nos responsabilités. Il restait d’ailleurs peu de points de désaccord entre nos deux assemblées et des solutions de compromis ne pouvaient que facilement se dégager. Je me félicite donc que désormais nous disposions d’un ensemble de normes étoffé.

Il apparaît maintenant indispensable – notre rapporteur l’a indiqué à juste titre – de le compléter, d’abord, par un travail de formation auprès des policiers, des gendarmes et des magistrats, ensuite, par l’allocation de moyens aux associations qui soutiennent les victimes, enfin, par l’organisation de campagnes de communication visant à favoriser la libération de la parole. En outre, il est primordial d’agir dans le domaine du logement afin de faciliter l’éviction du conjoint violent du domicile conjugal.

Avant de conclure, je souhaite remercier notre collègue rapporteur, Marie Mercier, non seulement pour la qualité de son travail, mais également pour l’engagement dont elle a fait preuve sur un sujet aussi sensible et délicat. Monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, lorsque l’on traite de questions aussi dramatiques, il me semble que tout texte qui apporte une amélioration de la situation constitue un énorme progrès. Le groupe Les Indépendants votera à l’unanimité cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants et LaREM, ainsi que sur des travées du groupe UC et au banc des commissions.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Chantal Deseyne. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Chantal Deseyne. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, la commission mixte paritaire qui s’est réunie le 9 juillet pour examiner les dispositions de ce texte restant en discussion est parvenue à un accord. C’est la preuve que ce sujet rassemble au-delà des clivages politiques – nous en faisons d’ailleurs la démonstration, tant ce texte mobilise sur l’ensemble de nos travées.

Au cours de son examen, le Sénat a contribué à enrichir ce texte avec des dispositions importantes.

Ainsi, Marie Mercier, rapporteure de cette proposition de loi, est à l’origine d’un amendement confiant au Conseil supérieur de l’audiovisuel un nouveau pouvoir de régulation pour ce qui concerne l’accès des mineurs aux sites pornographiques. La protection en ligne de l’enfance est une avancée capitale portée par ce texte. On sait aujourd’hui que les violences conjugales apparaissent de plus en plus tôt au sein des jeunes couples. La prévention en amont est donc essentielle.

Or l’âge moyen du premier accès à du contenu pornographique est de 14 ans et près de 50 % des enfants visionnent du contenu pornographique sur internet pour la première fois à 11 ans. Depuis 2014, la délégation aux droits des femmes alerte régulièrement les pouvoirs publics sur l’exposition croissante des mineurs aux images pornographiques.

L’exposition à la pornographie conduit à une conception erronée du rôle de la femme, en véhiculant l’image de la femme-objet, de la femme soumise. L’image de la femme y est dégradée, méprisante, les rapports sexuels violents et les relations entre les hommes et les femmes dénaturées.

Avec cette proposition de loi, les sites qui ne prendraient pas de mesures permettant de contrôler effectivement l’âge des personnes qui les visitent feront d’abord l’objet d’une mise en demeure ; s’ils n’obtempèrent pas, l’accès au site sera bloqué. Ce renforcement de la protection des mineurs, en réglementant l’accès aux contenus violents et pornographiques, est une avancée majeure.

Toujours pour protéger les enfants, la proposition de loi ouvre la possibilité de suspendre l’autorité parentale dans le cadre du contrôle judiciaire et les décharge de l’obligation alimentaire en cas de crimes ou délits commis au sein de la famille.

Dans un autre domaine, le secret médical pourra exceptionnellement être rompu, lorsque le professionnel de santé ou le médecin suspecte un danger immédiat et que la victime se trouve sous l’emprise de l’auteur des violences. Le médecin ou le professionnel de santé devra s’efforcer d’obtenir l’accord de la victime majeure. S’il ne l’obtient pas, il devra l’informer du signalement fait au procureur de la République. Il s’agit simplement, lorsqu’une vie est en danger, de ne pas pénaliser les médecins qui pourraient être hésitants en cas de signalement au procureur de la République. Cette disposition protège à la fois les professionnels de santé et les victimes de violences.

Par ailleurs, cette proposition de loi alourdit aussi les peines en cas de harcèlement au sein du couple, les portant à dix ans d’emprisonnement, lorsque le harcèlement a conduit la victime à se suicider ou à tenter de se suicider.

Pour mieux lutter contre les cyberviolences conjugales, la proposition de loi réprime la géolocalisation d’une personne sans son consentement et crée une circonstance aggravante pour le délit d’envoi répété de messages malveillants, lorsqu’il est commis par le conjoint ou l’ex-conjoint ou en cas de violation du secret des correspondances par un conjoint ou ex-conjoint.

Je tiens à remercier la rapporteur, Marie Mercier, pour la qualité de son travail et sa grande humanité sur des sujets particulièrement difficiles.

Conscients de l’urgence qu’il y a à protéger les trop nombreuses victimes des violences familiales et conjugales, les sénateurs du groupe Les Républicains voteront les conclusions de la commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Nassimah Dindar applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. François Bonhomme. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. François Bonhomme. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, chacun constate qu’aujourd’hui encore nous avons besoin d’une nouvelle loi pour mieux protéger les victimes de violences conjugales et le regrette.

Les chiffres sont là, ils sont incontestables et plus personne ne les ignore : 121 femmes et 28 hommes ont été tués par leur partenaire ou ex-partenaire et 21 enfants mineurs sont décédés, tués par l’un de leurs parents dans un contexte de violence au sein du couple. Telle est la situation à laquelle nous sommes confrontés aujourd’hui et qui amène le législateur à voter de nouveau un texte sur ce sujet.

Cette proposition est d’abord le fruit d’un travail parlementaire efficace, réalisé en bonne intelligence entre les deux assemblées. Bien sûr, nous avons tous à cœur de mettre fin à ces violences et les dispositions que nous avons pu rassembler dans ce texte sont un pas de plus vers une meilleure protection des victimes adultes et mineures.

En l’espèce, les apports du Sénat ont été réels, à commencer par l’amendement permettant au juge aux affaires familiales de prononcer une interdiction de rapprochement, dont le respect pourra être contrôlé grâce à un bracelet électronique – cette mesure complète les dispositions de la loi Pradié.

Le Sénat a également approuvé les dispositions relatives au secret professionnel et au signalement au procureur de la République des individus, dont la vie serait en danger en raison de violences commises au sein du foyer.

Je veux également saluer l’engagement des deux assemblées sur la question de la protection des mineurs face à la pornographie, angle mort législatif s’il en est – la rapporteur a concrétisé cet engagement par un amendement.

C’est une réalité embarrassante que chacun préfère bien souvent évacuer. On estime ainsi que près de 60 % des mineurs ont déjà eu accès à la pornographie, et ce dès l’âge de 10 ou 11 ans, ce qui occasionne naturellement des troubles durables.

L’amendement qui a été adopté permet de confier au Conseil supérieur de l’audiovisuel un nouveau pouvoir de régulation de l’accès des mineurs aux sites pornographiques. Ces sites devront prendre des mesures efficaces et ne pourront plus se défausser ; ils devront vraiment contrôler l’âge des utilisateurs, sous peine de ne plus être diffusés en France.

Depuis plusieurs années, les mineurs peuvent facilement accéder à des contenus pornographiques. Il n’est plus possible de laisser grandir nos enfants, aujourd’hui, en France, avec de tels contenus, qui présentent bien souvent une image dégradée de la femme à laquelle se mêlent diverses formes de violence.

Pour toutes ces raisons, monsieur le garde des sceaux, je considère que cette proposition de loi peut améliorer les choses.

Je regrette néanmoins que ce sujet n’ait pas fait l’objet d’un plus vaste projet de loi, qui aurait peut-être offert plus de clarté à l’ensemble de nos concitoyens.

Mes chers collègues, permettez-moi enfin de rappeler que 220 000 femmes sont victimes, chaque année, de violences physiques ou sexuelles commises par leur conjoint ou ex-conjoint. Elles vivent bien souvent dans la peur quotidienne que ces comportements se reproduisent. Les témoignages sont là ; ils ne peuvent être éludés.

Lorsque la violence surgit au sein du couple, c’est toute une vie qui, immanquablement, bascule pour les victimes. Le foyer, qui devrait être un lieu de sérénité et de paix, devient alors un lieu de crainte et de peur pour les victimes adultes, mais aussi pour les enfants, qui subissent des conséquences psychologiques irrémédiables.

Si certaines victimes quittent leur foyer, nous devons penser à celles qui, pour le moment, n’y parviennent pas ; cela s’impose pour de multiples raisons. Nous devons davantage les accompagner et les aider à sortir de cette situation, mais également les encourager à déposer plainte.

Ces violences ne peuvent plus être ignorées ou cachées. Elles ne doivent plus être sous-estimées ou considérées comme une source de honte par leurs victimes. Elles doivent être sanctionnées et bannies de notre société au plus vite ; c’est aussi à nous, législateur, qu’incombe de viser cet objectif. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Madame la présidente, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je voudrais répondre à Mme de la Gontrie.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Vous avez cru, madame, devoir lancer dans mon jardin une petite pierre au sujet des chiffres. J’entends naturellement la ramasser et peut-être, si vous en acceptez l’augure, la renvoyer dans le vôtre.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Pas d’agression ! Les jets de pierre sont interdits dans l’hémicycle !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Ce sont des jets de pierre virtuels, comme vous l’aurez bien compris.

Vous m’avez repris sur les chiffres ; vous me tancez vertement, quoique sans violence. Selon vous, je n’aurais pas dû parler de 120 femmes tuées par leur conjoint ; il y en aurait eu 150.

Alors, voici les chiffres dont je dispose : selon le collectif Féminicides par compagnon ou ex, il y en a eu 149 – 149 de trop, nous sommes tous d’accord ; selon un collectif de journalistes de Libération et de l’Agence France-Presse, il y en aurait eu entre 122 et 125 ; enfin, selon le dernier recensement du ministère de l’intérieur, qui remonterait à septembre 2019, elles seraient 105 – certaines questions de qualification sont inhérentes à ces comptages et ne sont pas étrangères à notre réflexion.

La mort d’une femme tombée sous les coups de son compagnon, qu’il s’agisse d’un meurtre ou de coups mortels, c’est toujours une mort de trop : nous sommes tous d’accord sur ce point.

J’espère vous rassurer, madame la sénatrice : cette divergence de chiffres, que vous connaissez, ne devrait pas vous permettre de conclure à de la désinvolture ou du désintérêt de ma part. Simplement, des sources différentes donnent des chiffres quelque peu divergents.

Je vous ai également entendue dire que, quand on aimait, on ne comptait pas. C’est pourquoi vous auriez suivi mon audition par la commission des lois de l’Assemblée nationale…

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Ce n’est pas de mon fait, madame la sénatrice ! Je me suis soumis à la règle républicaine. Il ne vous aura pas échappé, si vous l’avez regardée en intégralité, qu’il y a eu un quiproquo. J’ai cru comprendre qu’on m’affirmait que 99 % des plaintes n’étaient pas traitées. C’est pourquoi j’ai poussé des cris d’orfraie : comment est-ce possible ! Il m’a ensuite été expliqué que c’était non pas cela qui était en cause, mais bien le fait que seul 1 % des actes commis étaient portés à la connaissance de l’autorité judiciaire.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Si vous avez été attentive, madame la sénatrice – je suis absolument certain que vous l’avez été –, vous aurez noté que j’ai repris la parole dans la suite de cette audition pour expliquer ce quiproquo. Pourtant – c’est sans doute un hasard, puisque la mauvaise foi ne se présume pas –, une vidéo circule de mon intervention, qui est extrêmement incomplète.

J’espère vous avoir rassurée, madame la sénatrice. Ce sujet m’intéresse et vous pourrez mesurer toute ma détermination : on ne peut pas s’arrêter à une querelle de chiffres, et ce d’autant plus quand ceux-ci sont relatifs et n’ont pas été définitivement fixés.

Voilà, madame la sénatrice, la petite pierre que j’ai voulu, très aimablement, jeter dans votre jardin avec une considération et un respect infinis pour la personne et la sénatrice que vous êtes. (Mme Marie-Pierre de la Gontrie fait mine de se protéger le visage.)

M. Jean-Pierre Sueur. Ce n’est que du gravier ! (Sourires.)

Mme la présidente. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte élaboré par la commission mixte paritaire.

Je rappelle que, en application de l’article 42, alinéa 12, du règlement, le Sénat, lorsqu’il examine après l’Assemblée nationale le texte élaboré par la commission mixte paritaire, se prononce par un seul vote sur l’ensemble du texte, en ne retenant que les amendements présentés ou acceptés par le Gouvernement.

Je donne lecture du texte élaboré par la commission mixte paritaire.

proposition de loi visant à protéger les victimes de violences conjugales

Chapitre Ier

Dispositions relatives à l’ordonnance de protection et à l’exercice de l’autorité parentale en cas de violences conjugales

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi visant à protéger les victimes de violences conjugales
Article 1er E

Articles 1er A à 1er D

(Supprimés)

Articles 1er A à 1er D
Dossier législatif : proposition de loi visant à protéger les victimes de violences conjugales
Article 1er F

Article 1er E

L’article 515-11 du code civil est ainsi modifié :

1° La deuxième phrase du 3° est ainsi rédigée : « La jouissance du logement conjugal est attribuée, sauf ordonnance spécialement motivée justifiée par des circonstances particulières, au conjoint qui n’est pas l’auteur des violences, et ce même s’il a bénéficié d’un hébergement d’urgence. » ;

2° La deuxième phrase du 4° est ainsi rédigée : « La jouissance du logement commun est attribuée, sauf ordonnance spécialement motivée justifiée par des circonstances particulières, au partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou au concubin qui n’est pas l’auteur des violences, et ce même s’il a bénéficié d’un hébergement d’urgence. »

Article 1er E
Dossier législatif : proposition de loi visant à protéger les victimes de violences conjugales
Article 1er G

Article 1er F

Le dernier alinéa de l’article 515-11 du code civil est ainsi modifié :

1° Les mots : « en raison de violences susceptibles de mettre en danger un ou plusieurs enfants » sont supprimés ;

2° Il est complété par les mots : « auquel il signale également les violences susceptibles de mettre en danger un ou plusieurs enfants. »

Chapitre Ier bis

(Division et intitulé supprimés)

Article 1er F
Dossier législatif : proposition de loi visant à protéger les victimes de violences conjugales
Article 3

Article 1er G

La première phrase du I de l’article 515-11-1 du code civil est ainsi modifiée :

1° Après le mot : « peut », sont insérés les mots : « prononcer une interdiction de se rapprocher de la partie demanderesse à moins d’une certaine distance qu’il fixe et » ;

2° Après le mot : « défenderesse », la fin est ainsi rédigée : « ne respecte pas cette distance. »

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Article 1er G
Dossier législatif : proposition de loi visant à protéger les victimes de violences conjugales
Article 4

Article 3

I. – Le 17° de l’article 138 du code de procédure pénale est complété par une phrase ainsi rédigée : « Lorsqu’est prononcée l’une des obligations prévues au 9°, au présent 17° ou au 17° bis, le juge d’instruction ou le juge des libertés et de la détention se prononce, par une décision motivée, sur la suspension du droit de visite et d’hébergement de l’enfant mineur dont la personne mise en examen est titulaire ; » ;

II (nouveau). – À la fin du premier alinéa de l’article 378 du code civil, après la dernière occurrence du mot : « crime » sont insérés les mots : « ou délit ».

Chapitre II

Dispositions relatives à la médiation en cas de violences conjugales

Section 1

Dispositions relatives à la médiation familiale

Article 3
Dossier législatif : proposition de loi visant à protéger les victimes de violences conjugales
Article 6

Article 4

Le livre Ier du code civil est ainsi modifié :

1° L’article 255 est ainsi modifié :

a) Au 1°, après le mot : « médiation », sont insérés les mots : « , sauf si des violences sont alléguées par l’un des époux sur l’autre époux ou sur l’enfant, ou sauf emprise manifeste de l’un des époux sur son conjoint » ;

b) Au 2°, après le mot : « époux », sont insérés les mots : « , sauf si des violences sont alléguées par l’un des époux sur l’autre époux ou sur l’enfant, ou sauf emprise manifeste de l’un des époux sur son conjoint » ;

2° L’article 373-2-10 est ainsi modifié :

a) Au deuxième alinéa, après le mot : « médiation », il est inséré le signe : « , » et, après le mot : « enfant », sont insérés les mots : « ou sauf emprise manifeste de l’un des parents sur l’autre parent, » ;

b) Au dernier alinéa, après le mot : « enfant », sont insérés les mots : « ou sauf emprise manifeste de l’un des parents sur l’autre parent ».

Section 2

Dispositions relatives à la médiation pénale

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Chapitre III

Dispositions relatives aux exceptions d’indignité en cas de violences intrafamiliales

Section 1

Dispositions relatives à l’obligation alimentaire

Article 4
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Article 6 bis

Article 6

L’article 207 du code civil est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« En cas de condamnation du créancier pour un crime commis sur la personne du débiteur ou l’un de ses ascendants, descendants, frères ou sœurs, le débiteur est déchargé de son obligation alimentaire à l’égard du créancier, sauf décision contraire du juge. »

Section 2

Dispositions relatives à l’indignité successorale

Article 6
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Article 7 ter

Article 6 bis

L’article 727 du code civil est ainsi modifié :

1° Après le 2°, il est inséré un 2° bis ainsi rédigé :

« 2° bis Celui qui est condamné, comme auteur ou complice, à une peine criminelle ou correctionnelle pour avoir commis des tortures et actes de barbarie, des violences volontaires, un viol ou une agression sexuelle envers le défunt. » ;

2° (Supprimé)

Chapitre IV

Dispositions relatives au harcèlement moral au sein du couple

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Chapitre IV bis

Dispositions relatives au logement

Article 6 bis
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Article 8

Article 7 ter

Après le 3° du I de l’article 15 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986, il est inséré un 3° bis ainsi rédigé :

« 3° bis Pour le locataire bénéficiaire d’une ordonnance de protection ou dont le conjoint, partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou concubin fait l’objet de poursuites, d’une procédure alternative aux poursuites ou d’une condamnation, même non définitive, en raison de violences exercées au sein du couple ou sur un enfant qui réside habituellement avec lui ; ».

Chapitre V

Dispositions relatives au secret professionnel

Article 7 ter
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Article 9

Article 8

L’article 226-14 du code pénal est ainsi modifié :

1° Le 3° devient un 4° ;

2° Le 3° est ainsi rétabli :

« 3° Au médecin ou à tout autre professionnel de santé qui porte à la connaissance du procureur de la République une information relative à des violences exercées au sein du couple relevant de l’article 132-80 du présent code, lorsqu’il estime en conscience que ces violences mettent la vie de la victime majeure en danger immédiat et que celle-ci n’est pas en mesure de se protéger en raison de la contrainte morale résultant de l’emprise exercée par l’auteur des violences. Le médecin ou le professionnel de santé doit s’efforcer d’obtenir l’accord de la victime majeure ; en cas d’impossibilité d’obtenir cet accord, il doit l’informer du signalement fait au procureur de la République ; ».

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Chapitre VI

Dispositions relatives aux armes et aux interdictions de paraître ou de contact

Article 8
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Article 9 bis

Article 9

Le premier alinéa de l’article 56 du code de procédure pénale est complété par une phrase ainsi rédigée : « Lorsque l’enquête porte sur des infractions de violences, l’officier de police judiciaire peut, d’office ou sur instructions du procureur de la République, procéder à la saisie des armes qui sont détenues par la personne suspectée ou dont celle-ci a la libre disposition, quel que soit le lieu où se trouvent ces armes. »

Article 9
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Article 10 quater

Article 9 bis

I. – L’article 131-6 du code pénal est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Lorsqu’un délit est puni d’une peine d’emprisonnement, la juridiction peut prononcer, à la place de ou en même temps que la peine d’emprisonnement, une ou plusieurs des peines privatives ou restrictives de liberté prévues aux 6°, 7°, 10°, 12°, 13° et 14°. »

bis. – Au premier alinéa de l’article 131-9 du code pénal, la référence : « à l’article 131-6 » est remplacée par les références : « aux 1°, 2°, 3°, 4°, 5°, 5° bis, 8°, 9°, 11° et 15° de l’article 131-6 ».

ter (nouveau). – Au deuxième alinéa de l’article 132-43 du code pénal, il est inséré après le mot : « particulières », les mots : «, à l’exception des interdictions de contact ou de paraître prévues par l’article 132-45, ».

II. – Le 11° de l’article 230-19 du code de procédure pénale est ainsi rétabli :

« 11° L’interdiction de paraître dans certains lieux prononcée en application du 7° de l’article 41-1 et du 9° de l’article 41-2 du présent code ; ».

Chapitre VII

Dispositions relatives au respect de la vie privée

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Article 9 bis
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Article 11 A

Article 10 quater

L’article 222-16 du code pénal est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Lorsqu’ils sont commis par le conjoint ou le concubin ou le partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité, ces faits sont punis de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. »

Chapitre VIII

Dispositions relatives à la protection des mineurs

Article 10 quater
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Article 11 bis A

Article 11 A

I. – Au quatrième alinéa de l’article 227-23 du code pénal, les mots : « deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros » sont remplacés par les mots : « cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros ».

II. – Le 5° de l’article 706-53-2 du code de procédure pénale est ainsi rédigé :

« 5° D’une mise en examen, lorsque le juge d’instruction a ordonné l’inscription de la décision dans le fichier ; en matière criminelle, l’inscription dans le fichier est de droit, sauf décision motivée du juge d’instruction ; ».

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Article 11 A
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Article 12

Article 11 bis A

Lorsqu’il constate qu’une personne dont l’activité est d’éditer un service de communication au public en ligne permet à des mineurs d’avoir accès à un contenu pornographique en violation de l’article 227-24 du code pénal, le président du Conseil supérieur de l’audiovisuel adresse à cette personne, par tout moyen propre à en établir la date de réception, une mise en demeure lui enjoignant de prendre toute mesure de nature à empêcher l’accès des mineurs au contenu incriminé. La personne destinataire de l’injonction dispose d’un délai de quinze jours pour présenter ses observations.

À l’expiration de ce délai, en cas d’inexécution de l’injonction prévue au premier alinéa du présent article et si le contenu reste accessible aux mineurs, le président du Conseil supérieur de l’audiovisuel peut saisir le président du tribunal judiciaire de Paris aux fins d’ordonner, selon la procédure accélérée au fond, que les personnes mentionnées au 1 du I de l’article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique mettent fin à l’accès à ce service. Le procureur de la République est avisé de la décision du président du tribunal.

Le président du Conseil supérieur de l’audiovisuel peut saisir, sur requête, le président du tribunal judiciaire de Paris aux mêmes fins lorsque le service de communication au public en ligne est rendu accessible à partir d’une autre adresse.

Le président du Conseil supérieur de l’audiovisuel peut également demander au président du tribunal judiciaire de Paris d’ordonner, selon la procédure accélérée au fond, toute mesure destinée à faire cesser le référencement du service de communication en ligne par un moteur de recherche ou un annuaire.

Le président du Conseil supérieur de l’audiovisuel peut agir d’office ou sur saisine du ministère public ou de toute personne physique ou morale ayant intérêt à agir.

Les conditions d’application du présent article sont précisées par décret.

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Chapitre IX

Dispositions relatives à l’aide juridictionnelle

Article 11 bis A
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Article 12 ter

Article 12

L’article 20 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique est complété par deux alinéas ainsi rédigés :

« L’aide juridictionnelle est attribuée de plein droit à titre provisoire dans le cadre des procédures présentant un caractère d’urgence dont la liste est fixée par décret en Conseil d’État.

« L’aide juridictionnelle provisoire devient définitive si le contrôle des ressources du demandeur réalisé a posteriori par le bureau d’aide juridictionnelle établit l’insuffisance des ressources. »

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Chapitre IX bis

Dispositions relatives aux étrangers victimes de violences familiales ou conjugales

Article 12
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Article 13

Article 12 ter

Le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est ainsi modifié :

1° et 2° (Supprimés)

3° Le septième alinéa de l’article L. 313-25 est complété par une phrase ainsi rédigée : « La carte délivrée en application du 3° ne peut être retirée par l’autorité administrative en application de l’article L. 313-5-1 lorsque la communauté de vie a été rompue en raison de violences familiales ou conjugales. » ;

4° Le septième alinéa de l’article L. 313-26 est complété par une phrase ainsi rédigée : « La carte délivrée en application du 3° ne peut être retirée par l’autorité administrative en application de l’article L. 313-5-1 lorsque la communauté de vie a été rompue en raison de violences familiales ou conjugales. » ;

5° (Supprimé)

6° L’article L. 314-11 est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« L’autorité administrative ne peut procéder au retrait de la carte délivrée en application du b du 8° lorsque la communauté de vie a été rompue en raison de violences familiales ou conjugales. » ;

7° (nouveau) Au premier alinéa de l’article L.411-4, le mot : « dernier » est remplacé par le mot : « avant-dernier ».

Chapitre X

Dispositions relatives à l’outre-mer

Article 12 ter
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Article 15

Article 13

I. – Les articles 1er E, 1er F, 1er G, le II de l’article 3, les articles 4, 6, 6 bis, 12 et 12 bis de la présente loi sont applicables dans les îles Wallis et Futuna.

bis. – Les articles 1er E, 1er F, 1er G, le II de l’article 3, les articles 4, 6, 6 bis et 12 bis de la présente loi sont applicables en Polynésie française.

II. – Le premier alinéa de l’article 804 du code de procédure pénale est ainsi rédigé :

« Le présent code est applicable, dans sa rédaction résultant de la loi n° … du … visant à protéger les victimes de violences conjugales, en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et dans les îles Wallis et Futuna, sous réserve des adaptations prévues au présent titre et aux seules exceptions : ».

III. – L’article 711-1 du code pénal est ainsi rédigé :

« Art. 711-1. – Sous réserve des adaptations prévues au présent titre, les livres Ier à V du présent code sont applicables, dans leur rédaction résultant de la loi n° … du … visant à protéger les victimes de violences conjugales, en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et dans les îles Wallis et Futuna. »

IV. – À l’article 69-2 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique, après le mot : « française », sont insérés les mots : « dans sa rédaction résultant de la loi n° … du … visant à protéger les victimes de violences conjugales ».

Chapitre XI

(Division et intitulé supprimés)

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Article 13
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Article 16

Article 15

(Supprimé)

Chapitre XII

Dispositions relatives aux Français établis hors de France

(Division et intitulé nouveaux)

Article 15
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Explications de vote sur l'ensemble (début)

Article 16

Après le 4° de l’article 10 de la loi n° 2013-659 du 22 juillet 2013 relative à la représentation des Français établis hors de France, il est inséré un 4° bis ainsi rédigé :

« 4° bis Les violences conjugales concernant les Français établis hors de France ; ».

Mme la présidente. Sur les articles du texte élaboré par la commission mixte paritaire, je ne suis saisie d’aucun amendement.

Quelqu’un demande-t-il la parole sur l’un de ces articles ?…

Le vote est réservé.

Vote sur l’ensemble

Article 16
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Explications de vote sur l'ensemble (fin)

Mme la présidente. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, je donne la parole à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote.

Mme Laurence Rossignol. Madame la ministre, monsieur le garde des sceaux, nous nous réjouissons de vous rencontrer, dans cet hémicycle, à l’occasion de notre dernière lecture de cette proposition de loi. Vous verrez l’un et l’autre combien la lutte contre les violences faites aux femmes dépend de l’étroite collaboration de vos deux ministères, auxquels on pourrait encore ajouter le ministère de l’intérieur, encore que je ne regrette pas l’absence au banc du Gouvernement du détenteur de ce portefeuille.

Je tenais à vous rassurer, monsieur le garde des sceaux : vous avez salué « madame la rapporteure avec un “e” ». C’est fait : lors de vos prochaines interventions dans cet hémicycle, vous pourrez vous contenter de dire : « madame la rapporteure ». (Exclamations dagacement sur les travées du groupe Les Républicains.)

Je sais bien que nous autres féministes sommes très excessives, mais nous n’exigeons pas des gardes des sceaux qu’ils parlent en écriture inclusive ! Nous saluons néanmoins cet effort, dont je tiens à vous libérer pour l’avenir. Il n’y a pas de quoi monter au créneau, mes chers collègues de l’autre côté de l’hémicycle !

Nous n’en avons pas fini avec les textes consacrés aux violences faites aux femmes. En effet, celui-ci ne va pas jusqu’au bout. Il est encore largement soumis à ce qui a été la doctrine de la Chancellerie et de nombreux experts, la doctrine selon laquelle un mari violent peut aussi être un bon père. Ce texte ne rompt pas avec cette approche. À l’en croire, un mari violent n’est pas forcément un mauvais père ; même s’il l’est, il faudrait privilégier les liens entre le père et l’enfant et ne pas les couper, car ils seraient trop importants.

À ce propos, monsieur le garde des sceaux, je voudrais attirer votre attention sur un point. Vous vous êtes beaucoup exprimé au sujet de la justice pénale, mais la justice civile importe également. Les violences contre les femmes s’y nouent, en particulier dans le cabinet du juge aux affaires familiales. Nous prenons insuffisamment en compte cet aspect aujourd’hui, alors qu’il n’y a pas de lutte efficace contre les violences faites aux femmes qui ne s’appuie, d’abord, sur une profonde évolution de la justice civile et familiale, et qui ne s’attaque à cette fameuse obsession du maintien du lien entre le père et l’enfant, en toutes circonstances. Encore cet après-midi, j’ai eu à examiner le dossier d’un enfant dont les parents sont séparés et dont le père est radicalisé : l’enfant est toujours obligé de se plier au droit de visite et d’hébergement du père, malgré la toxicité et la dangerosité de celui-ci, tout cela parce qu’il est le père !

C’est donc aussi sur cette évolution de la justice civile que nous vous attendons, madame la ministre, monsieur le garde des sceaux. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR et sur des travées du groupe CRCE.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Nathalie Goulet. On a beaucoup évoqué, au cours de ce débat, les différents programmes qui sont en rapport avec ce sujet. À ce propos, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, je voudrais vous faire observer qu’il existe, au sein de la cuisine parlementaire, un outil qui pourrait s’avérer très utile dans la lutte contre les violences faites aux femmes : je veux parler des documents de politique transversale.

En effet, ce sujet concerne plusieurs ministères : évidemment les vôtres, mais aussi l’éducation nationale, l’intérieur et encore beaucoup d’autres entités d’État. Ce document permet de disposer, au moment de l’examen du budget, d’une vision complète des fonds et des missions destinés à un sujet donné. Il existe 22 documents de politique transversale, consacrés à l’action extérieure, au changement climatique, aux outre-mer, à l’aide au développement, ou encore, évidemment, à la prévention de la radicalisation et de la délinquance.

Si un tel document budgétaire consacré à la lutte contre les violences faites aux femmes n’est pas déjà en préparation pour le prochain projet de loi de finances, j’y déposerai un amendement à cette fin. En effet, il serait très utile pour cette cause que nous en ayons une vision globale, compte tenu du nombre de ministères impliqués. Un document de politique transversale serait un outil très important pour les spécialistes de la matière et tous ceux qui s’y intéressent.

Voilà pourquoi je tenais à faire cette observation, tout en vous confirmant que l’ensemble de mon groupe soutiendra le présent texte.

Mme la présidente. La parole est à Mme Nassimah Dindar, pour explication de vote.

Mme Nassimah Dindar. Vous aurez compris, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, que l’ensemble des sénateurs et des sénatrices qui composent la délégation sénatoriale aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes approuvent ce texte, mais le jugent insuffisant. Nous avons véritablement besoin d’une grande loi-cadre pour lutter contre les violences faites aux femmes et toutes les violences intrafamiliales.

Je voudrais revenir sur un seul sujet : la mise en place des dispositions législatives relatives à l’éviction du conjoint violent. Il faut, sur tous les territoires, avoir une politique cohérente qui permette le départ du conjoint violent du domicile conjugal. Sur les territoires insulaires comme le mien, la demande est très forte sur le marché du logement : on relève plus de 28 000 demandes de logement social en attente à La Réunion. Or nous obligeons encore les femmes victimes de violence à quitter, avec leurs enfants, le domicile conjugal, en raison du manque de cohérence entre les différents acteurs publics, entre les services de la préfecture et ceux du conseil départemental, dont les travailleurs sociaux demandent que soient impérativement trouvées des places en urgence.

Un travail sur ce point est donc extrêmement nécessaire et urgent, de manière que les enfants et, a fortiori, les femmes victimes de violences ne subissent pas cette double peine. Même d’un point de vue financier, cela coûtera bien moins cher à la collectivité que de loger pour trois mois, comme le font les services départementaux, ces femmes et ces enfants, qui doivent parfois changer d’école.

Je rappellerai à ce sujet que quand, dans nos territoires ultramarins, survient un uxoricide, c’est-à-dire quand un homme tue sa femme, les membres de sa famille qui veulent quitter l’île ne se voient pas offrir d’accompagnement jusqu’au territoire hexagonal. J’ai eu affaire à de tels cas. J’estime qu’il s’agit d’une injustice très profonde, tout comme celle que subissent les femmes qui veulent quitter un territoire ultramarin pour ne pas subir la violence d’un conjoint qui, souvent, n’accepte pas une décision de justice.

C’est pourquoi il faut de la cohérence entre territoires et entre partenaires. Je fermerai le ban en affirmant à mon tour l’impérieuse nécessité d’une grande loi-cadre pour garantir cette cohérence ; c’est bien la demande de notre délégation, dont je salue la présidente, ainsi que Mme la rapporteure de cette proposition de loi, pour le travail accompli. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Dominique Vérien, pour explication de vote.

Mme Dominique Vérien. Je tiens à saluer à mon tour Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, qui ne pouvait assister à notre séance d’aujourd’hui.

Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Arnell, pour explication de vote.

M. Guillaume Arnell. Pour ma part, je veux saluer le travail de ma collègue Françoise Laborde, que j’ai dû remplacer au pied levé, d’où le fait d’avoir dépassé mon temps de parole – je m’en excuse une nouvelle fois.

Je veux également exprimer mon accord avec les propos de Mme Dindar quant aux spécificités des outre-mer en la matière. Souvent, quand on rencontre des phénomènes de violence, il n’y a pas de solution alternative au départ, du fait de l’exiguïté de ces territoires : on demande trop souvent à la femme de partir, alors qu’il serait plus juste de faire partir le conjoint violent.

Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?…

Conformément à l’article 42, alinéa 12, du règlement, je mets aux voix, dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, l’ensemble de la proposition de loi visant à protéger les victimes de violences conjugales.

(La proposition de loi est définitivement adoptée à lunanimité.) – (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Madame la présidente, je me réjouis que vous ayez pu présider nos débats sur ce texte, dont je sais qu’il vous tient particulièrement à cœur.

Je me réjouis de ce vote unanime du Sénat. Je l’espérais, non seulement en raison de l’importance des enjeux dont nous avons traité au fil de notre examen de cette proposition de loi, mais aussi parce que l’apport du Sénat à ce texte a été considérable. Nous le devons à chacune et à chacun d’entre vous : je veux saluer l’implication de tous, en particulier celle des membres de la délégation aux droits des femmes et de la commission des lois, et plus largement celle des membres de chacun de nos groupes politiques qui se sont impliqués pour relever ces défis.

Je voudrais aussi avoir un mot de remerciement, que je veux chaleureux, à l’égard de notre rapporteur. En effet, au cours des dernières années, Marie Mercier s’est beaucoup investie sur les questions relatives aux violences sexuelles sur mineurs et aux violences faites aux femmes. Elle y a fait montre de toute l’humanité que nous lui connaissons, qui est enracinée dans son exercice médical antérieur, mais aussi inspirée par des convictions profondes et sincères.

Quand on traite de questions si sensibles et délicates, la tentation est très grande de vouloir se donner bonne conscience. L’enjeu est tout de même de réussir à convertir l’émotion et les bonnes intentions en bonnes lois, sans oublier, d’ailleurs, que la loi ne peut régler tous les problèmes de société et que leur accumulation n’est pas une réponse pertinente à tous les fléaux qui affectent la vie sociale comme la vie familiale.

Il a été rappelé à quel point la prévention, l’éducation, l’accompagnement social et l’accueil des victimes sont des éléments importants ; aucun d’entre eux ne relève de la loi. En revanche, les questions que nous avons traitées au cours de nos délibérations sur cette proposition de loi et sur la loi visant à agir contre les violences au sein de la famille ont permis de poser des règles que nous jugeons pertinentes parce qu’elles sont applicables.

La loi est un outil qu’il ne faut pas galvauder ; Marie Mercier y a été constamment attentive. Nous n’avons adopté ici que des règles que les pouvoirs publics et les magistrats auront les moyens de faire respecter. C’est un bon travail législatif ; il me tenait à cœur de le saluer ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et Les Indépendants.)

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à protéger les victimes de violences conjugales
 

8

 
Dossier législatif : proposition de loi instaurant des mesures de sûreté à l'encontre des auteurs d'infractions terroristes à l'issue de leur peine
Discussion générale (suite)

Mesures de sûreté contre les auteurs d’infractions terroristes à l’issue de leur peine

Adoption en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, instaurant des mesures de sûreté à l’encontre des auteurs d’infractions terroristes à l’issue de leur peine (proposition n° 544, texte de la commission n° 631, rapport n° 630).

Candidatures à une éventuelle commission mixte paritaire

Mme la présidente. J’informe le Sénat que des candidatures pour siéger au sein de l’éventuelle commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de cette proposition de loi ont été publiées.

Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.

La parole est à M. le président de la commission.

M. Philippe Bas, président de la commission. Je sollicite une suspension de séance de cinq minutes, madame la présidente.

Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures cinq, est reprise à dix-sept heures dix.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

Discussion générale

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi instaurant des mesures de sûreté à l'encontre des auteurs d'infractions terroristes à l'issue de leur peine
Article 1er

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi que vous examinez porte sur un sujet très sensible. À travers elle, on s’efforce de répondre à la problématique des personnes condamnées pour des actes de terrorisme, dont certains présentent toujours une situation de dangerosité en fin de peine. Sur ces questions, monsieur le président de la commission, comme vous le savez, j’ai évolué.

Permettez-moi d’abord de rappeler quelques données factuelles. En France, 260 personnes sont actuellement détenues après une condamnation pour une infraction terroriste en lien avec la mouvance islamiste. Certaines d’entre elles purgent des peines correctionnelles de plusieurs années – principalement entre sept et dix ans – qui ont été prononcées, pour beaucoup d’entre elles, après 2012.

Outre ces détenus condamnés, 252 personnes sont en détention provisoire après avoir été mises en examen pour des actes de terrorisme. Elles seront jugées dans les mois ou années à venir : 49 procès terroristes se dérouleront d’ici à 2021.

Parmi les condamnés, 31 seront libérés en 2020, 62 en 2021 et 50 en 2022, après avoir exécuté leur peine.

Les lois du 3 juin et du 21 juillet 2016 ont supprimé les crédits de réduction de peine pour les terroristes et restreint leur accès à la libération conditionnelle, mais ces dispositions ont sans doute repoussé la difficulté, voire l’ont renforcée, puisque ces mêmes détenus vont prochainement quitter la détention en « sortie sèche », selon l’expression convenue.

Je souhaitais faire ce bref rappel, car il résume le défi qui est le nôtre : apporter une réponse pénale au terrorisme.

Bâti depuis 1986, notre dispositif judiciaire de réponse à la menace terroriste est équilibré. Il repose sur un dispositif centralisé avec des aménagements procéduraux. Ce cadre a encore été complété l’an dernier avec la création d’un parquet autonome spécialisé, le parquet national antiterroriste (PNAT).

Dans son œuvre normative, le législateur a toujours cherché à articuler la spécificité qu’impose une criminalité complexe, dont la finalité est l’effondrement de notre modèle sociétal et de nos valeurs démocratiques.

Mesdames, messieurs les sénateurs, c’est en ayant à l’esprit cet impérieux besoin d’équilibre que vous devrez aborder ces débats.

Un travail important est réalisé dans nos établissements pénitentiaires afin de prévenir la radicalisation des détenus et de freiner tout prosélytisme délétère. Plusieurs rapports en ont rendu compte. Je pense au rapport d’information des députés Diard et Poulliat sur les services publics face à la radicalisation, qui comprend des propositions destinées à renforcer le suivi des personnes radicalisées, comme au rapport de la contrôleure générale des lieux de privation de liberté sur la prise en charge pénitentiaire des personnes radicalisées et le respect des droits fondamentaux.

La remise en liberté de détenus condamnés, potentiellement toujours radicalisés en dépit du travail réalisé, appelle cependant une réponse.

Nous devons tout mettre en œuvre pour garantir la sûreté de nos concitoyens. Cette majorité s’y est déjà attachée. Ainsi, le dispositif de la loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, dite loi SILT, a ouvert la possibilité de soumettre ces personnes à une mesure individuelle de contrôle administratif et de surveillance (Micas). Cependant, limitée à un an, la durée de ces mesures administratives peut paraître aujourd’hui insuffisante.

Pour autant, soumettre des personnes ayant purgé leur peine à un nouveau régime judiciaire restrictif de liberté appelle à la vigilance. (Marques dapprobation sur les travées des groupes SOCR et CRCE.)

Il faut se garder de l’illusion d’une justice prédictive, chimère qui est la négation de l’idée même de justice et de réhabilitation.

Mme Éliane Assassi. Tout à fait !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Nous devons veiller à ce que les mesures que nous élaborons n’enferment pas davantage les condamnés dans leur misanthropie au lieu de permettre leur réinsertion, laquelle doit rester notre objectif principal.

Le travail de l’Assemblée nationale, puis de votre commission des lois, s’appuyant sur un avis très étayé du Conseil d’État, a permis de dégager une solution d’équilibre.

L’article 1er de la proposition de loi introduit dans le code de procédure pénale un dispositif permettant au juge judiciaire d’imposer des mesures de sûreté aux personnes condamnées pour des faits de terrorisme ayant purgé leur peine d’emprisonnement.

Les mesures de sûreté doivent respecter le principe résultant de l’article IX de la Déclaration de 1789, selon lequel la liberté ne saurait être entravée par une rigueur qui ne soit nécessaire. En effet, le législateur doit concilier, d’une part, la prévention des atteintes à l’ordre public, d’autre part, l’exercice des libertés constitutionnellement garanties.

À cet égard, il convient d’être vigilant sur le caractère adapté, nécessaire et proportionné du dispositif. Nous sommes sur une ligne de crête : prendre des mesures qui permettent d’assurer la protection des Français, sans adopter celles qui ne seraient pas strictement nécessaires.

Je le redis, mesdames, messieurs les sénateurs, le texte que vous vous apprêtez à voter est un texte d’équilibre. J’invite par conséquent votre assemblée à la prudence sur tout durcissement du texte voté par l’Assemblée nationale, alors que le Conseil d’État a appelé notre attention sur ce point.

Sur les garanties attachées à la nouvelle mesure, je tiens à rappeler les éléments suivants.

Premièrement, le concept de dangerosité n’est pas étranger à notre droit. Les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance, déclarées conformes à la Constitution, reposent sur ce concept.

Deuxièmement, le nouveau dispositif constitue une mesure restrictive de liberté et non privative de liberté, s’appliquant à des personnes condamnées définitivement.

Troisièmement, le placement sous surveillance électronique mobile de la personne est soumis à son consentement.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Quatrièmement, l’évaluation de la dangerosité des condamnés susceptibles de faire l’objet de ces nouvelles mesures de sûreté sera réalisée par la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté, qui saura prendre en charge ce sujet complexe qu’est la dangerosité, grâce à l’ensemble des compétences de chacun de ses membres et leur spécialisation dans l’appréciation de la dangerosité d’une personne.

Cinquièmement, enfin, c’est l’autorité judiciaire et elle seule qui sera compétente afin de prononcer, le cas échéant, de telles mesures de sûreté et d’assurer leur suivi tout au long de leur durée. Cette décision interviendra à l’issue d’un débat contradictoire et un appel des parties sera toujours possible.

Pour l’avenir, il serait essentiel de réaliser une évaluation des dispositifs de prévention de la récidive terroriste dans leur ensemble. La complexité actuelle peut en effet nuire à l’efficacité de l’action de l’État.

Il est nécessaire de proposer une remise à plat des dispositifs existants, afin que l’empilement actuel retrouve une cohérence et une lisibilité d’ensemble.

Mme Éliane Assassi. D’accord !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. C’est au prix d’une telle évaluation que l’action de l’État trouvera sa pleine efficacité, son sens et sa cohérence. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

Mme Éliane Assassi. Encore d’accord !

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le Sénat est appelé aujourd’hui à examiner une proposition de loi instaurant des mesures de sûreté à l’encontre des auteurs d’infractions terroristes à l’issue de leur peine, déposée par Mme Yaël Braun-Pivet et adoptée par l’Assemblée nationale le 23 juin dernier.

Ce texte a pour ambition d’apporter une réponse à l’enjeu majeur que représente, pour la sécurité de notre pays, la libération de plus de 150 terroristes d’ici à la fin de l’année 2022. Il crée, à cet effet, une nouvelle mesure de sûreté.

Sur le fond, notre commission des lois ne pouvait qu’accueillir favorablement ce texte, qui répond à un constat qu’elle avait elle-même dressé au mois de février dernier, à l’occasion du bilan de la loi SILT. Une proposition de loi similaire à celle que nous examinons aujourd’hui a d’ailleurs été déposée par Philippe Bas et Marc-Philippe Daubresse, dès le début du mois de mars dernier. Je me réjouis donc que le Gouvernement ait pris l’initiative d’inscrire le sujet à l’ordre du jour de notre assemblée.

La proposition de loi a pour principal objet de créer une nouvelle mesure de sûreté, dédiée à la prise en charge des condamnés terroristes qui sortent de détention. Elle prévoit également de faire du suivi socio-judiciaire une peine complémentaire obligatoire.

Ce texte vient combler un vide juridique dénoncé par de nombreux acteurs de terrain. Le législateur a considérablement renforcé l’arsenal antiterroriste au cours des dernières années, mais il s’est concentré sur la répression et le régime des peines, sans anticiper la question du suivi à l’issue de l’exécution de la peine.

Nous sommes donc dans une situation paradoxale et peu satisfaisante : les individus condamnés pour des faits de terrorisme sont aujourd’hui les plus suivis en détention, mais les moins accompagnés au moment de leur libération. Bien entendu, il ne s’agit pas de dire que rien n’existe. Pour autant, les outils tant judiciaires qu’administratifs se révèlent incomplets et inadaptés à l’enjeu.

C’est pourquoi la commission a approuvé le principe de la mesure de sûreté créée par la proposition de loi. Toutefois, je sais que la mesure suscite des craintes, notamment sur sa constitutionnalité, y compris au sein de cet hémicycle.

À cet égard, je tiens à insister sur un point : la mesure créée ne constitue en aucun cas une « peine après la peine ». Il s’agit d’une mesure de sûreté, au sens de la jurisprudence définie par le Conseil constitutionnel. Elle a pour objet non pas de sanctionner, mais bien de prévenir la récidive et la commission de nouveaux actes de terrorisme. Elle se fonde non sur la culpabilité de la personne, mais sur sa dangerosité évaluée à l’issue de sa période de détention.

N’oublions pas que, en 2008, le Conseil constitutionnel a admis l’existence de mesures de même nature et validé la rétention et la surveillance de sûreté.

Cela étant, il est de notre responsabilité de trouver le point équilibre entre sécurité et liberté. La commission des lois s’est efforcée d’y travailler la semaine dernière. Il s’agit d’un exercice difficile, mais je crois que nous y sommes parvenus.

Nous avons apporté une série de garanties pour assurer la constitutionnalité de la mesure.

Nous avons tout d’abord encadré le champ d’application de la mesure, en la limitant aux personnes condamnées aux peines les plus lourdes, supérieures à cinq ans d’emprisonnement. Il s’agit de répondre à une exigence constitutionnelle, à l’instar de ce qui est prévu pour la rétention et la surveillance de sûreté.

Dans le même état d’esprit, nous avons précisé l’articulation de la mesure créée avec les dispositifs existants. Il s’agissait non seulement de garantir que la mesure ne soit prononcée que lorsqu’elle est strictement nécessaire et adaptée pour suivre ces profils, mais aussi de veiller à une articulation fluide avec les mesures administratives, notamment les Micas.

Enfin, nous avons apporté plusieurs ajustements à la procédure, même si le texte de l’Assemblée nationale était déjà équilibré sur ce point et garantissait le respect des droits de la défense.

Notre principale modification porte sur le contenu des réquisitions du procureur antiterroriste. Il nous est apparu indispensable que ces réquisitions s’appuient sur des éléments non seulement circonstanciés, mais également actuels, pour assurer la stricte nécessité et la proportionnalité de la mesure demandée.

Je suis bien consciente que ces changements peuvent sembler restreindre les possibilités de surveillance. Nous avons toutefois intérêt à ce que la mesure soit solide. En cas d’inconstitutionnalité en effet, c’est tout le dispositif qui serait fragilisé, ce qu’aucun d’entre nous ne souhaite.

Parallèlement à ce souci d’équilibre, la commission a cherché à s’assurer du caractère opérationnel de la mesure. Il m’a été indiqué que le texte adopté par l’Assemblée nationale suscitait quelques interrogations, notamment sur son caractère inapplicable.

Pour surmonter ces difficultés, nous avons adopté quatre modifications.

La première porte sur le champ d’application de la mesure, qu’il était essentiel de réviser. Dans le texte de l’Assemblée nationale, le critère de dangerosité était apprécié par deux éléments : d’une part, le risque très élevé de récidive ; d’autre part, « l’adhésion persistante à une entreprise tendant à troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur ». Ce dernier critère était à notre sens trop restrictif : il se rapprochait de la définition de l’infraction d’association de malfaiteurs terroriste, ce qui rendait la mesure quasiment inapplicable. En d’autres termes, si ce critère était rempli, alors il aurait été possible d’engager une nouvelle procédure judiciaire à l’encontre de la personne.

Nous avons donc atténué légèrement cette définition, en visant l’adhésion persistante à une idéologie ou à des thèses incitant à la commission d’actes de terrorisme, plutôt que l’adhésion à une entreprise terroriste.

La deuxième modification principale concerne la durée de la mesure. Les députés ont prévu une durée d’un an, renouvelable dans la limite de cinq ans, voire de dix ans en cas de condamnation pour crime ou délit grave. Cette durée d’un an est jugée peu opérationnelle par les acteurs judiciaires : elle imposerait d’engager la procédure de renouvellement moins d’un mois après le prononcé de la mesure.

J’ai donc proposé à la commission de porter cette durée à deux ans, comme le prévoyait la proposition de loi de Philippe Bas et de Marc-Philippe Daubresse. J’ajoute que la personne conservera à tout moment la possibilité de demander la mainlevée de la mesure, ce qui me paraît garantir un équilibre satisfaisant.

La troisième modification a trait à l’obligation de placement sous surveillance électronique mobile (PSEM), car la rédaction adoptée par l’Assemblée nationale la rendait peu opérationnelle.

En effet, contrairement à une idée reçue, le bracelet électronique n’est pas un dispositif utilisé pour suivre en permanence et en temps réel une personne. Il ne sert qu’à s’assurer du respect d’une autre mesure limitant la liberté d’aller et de venir, par exemple une interdiction de paraître dans certains lieux.

L’ensemble des acteurs que nous avons entendus ont été unanimes sur ce point : tel qu’il était rédigé, le placement sous surveillance électronique mobile était inapplicable. C’est pourquoi la commission a associé le PSEM aux autres obligations de surveillance et prévu que ce placement soit prononcé pour contrôler le respect des autres obligations, en particulier l’interdiction de paraître, l’interdiction de fréquenter certaines personnes, etc.

Nous avons en revanche jugé nécessaire de supprimer la possibilité de cumuler le placement sous surveillance électronique mobile et le pointage, qui pourrait être jugée disproportionnée par le Conseil constitutionnel.

Enfin, la commission a renforcé le contenu de la mesure créée.

Elle a, d’une part, renforcé le volet « surveillance » de la mesure, en insérant deux obligations complémentaires : l’interdiction de se livrer à l’activité au cours de laquelle l’infraction a été commise et l’interdiction de détenir ou de porter une arme.

Elle a, d’autre part, renforcé le volet d’accompagnement à la réinsertion, qui était quasiment absent du texte adopté par les députés. Sur ce volet, il a été prévu un suivi par les services pénitentiaires d’insertion et de probation, parallèlement au suivi qui sera opéré par le juge de l’application des peines.

La commission a également introduit une nouvelle obligation d’exercer une activité professionnelle ou de suivre une formation. Nous avons répondu, sur ce point, à une demande forte des acteurs de terrain. N’oublions pas que l’intérêt d’une mesure judiciaire, par rapport à une mesure administrative, est bien de prévenir la récidive, non seulement par des mesures de surveillance, mais également par des mesures d’assistance. Je suis particulièrement attachée à ces apports qui, je le crois, sont nécessaires si nous souhaitons gérer efficacement ces profils.

Pour garantir l’efficacité de l’ensemble de ces obligations et faciliter leur contrôle, la commission des lois a également introduit un article 1er bis prévoyant l’inscription des obligations de la mesure de sûreté au fichier des personnes recherchées.

Face au défi du terrorisme, le Sénat a toujours fait preuve de responsabilité. Dès 2014, il a pris l’initiative de plusieurs évolutions législatives, qui ont permis de renforcer considérablement notre arsenal pénal antiterroriste, dans le strict respect des libertés individuelles.

C’est ce même esprit qui doit aujourd’hui nous guider et nous amener à approuver collectivement ce texte.

Doter les pouvoirs publics de nouveaux moyens adaptés à la prise en charge des terroristes sortant de détention est une priorité pour la sécurité des Français. C’est ce que je vous propose de faire aujourd’hui. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et LaREM.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Leconte. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)

M. Jean-Yves Leconte. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, ce texte a pour objet d’appliquer un certain nombre de contraintes, appelées « mesures de sûreté », à des personnes qui viennent de purger des peines privatives de liberté pour des actes de terrorisme et qui présentent une dangerosité particulière à l’issue de l’exécution de leur peine. Cette dangerosité est définie comme un risque de récidive, adhésion persistante à une idéologie ou à des thèses incitant à la commission d’actes terroristes.

Ces mesures de contrainte seraient imposées par la juridiction régionale de la rétention de sûreté de Paris. Initialement, il était prévu de confier cette tâche au tribunal d’application des peines. Cependant, à la suite de remarques du Conseil d’État, pour éviter la confusion avec les peines, ce choix a été modifié pour se calquer au maximum sur la rétention de sûreté, qui s’applique en particulier aux délinquants sexuels, alors même que la manière d’évaluer les risques n’a rien à voir. C’est pourquoi nous craignons que cela n’entraîne beaucoup de confusion.

La rapporteure a essayé d’améliorer un texte qui a fait l’objet d’un avis long et plus que mitigé du Conseil d’État. Elle a tenté de se faufiler entre nos engagements constitutionnels et conventionnels, et d’éviter que ces mesures de sûreté ne se confondent avec une nouvelle peine.

Faut-il vraiment aller dans ce sens ? La question se pose avec une acuité particulière depuis qu’à l’été 2016 le Parlement a voté l’impossibilité d’aménager les peines pour certains condamnés pour terrorisme, ce qui entraîne obligatoirement des sorties sèches, non préparées et potentiellement dangereuses.

Mes chers collègues, le rôle de la justice pénale est d’établir des faits et de prononcer des peines. Si, demain, nous attendons d’elle qu’elle se prononce non plus sur des actes, mais sur le risque que représente une personne, elle n’est plus la justice : elle deviendrait une sorte d’organisation de la société déresponsabilisant les gens, où la culpabilité s’estomperait devant la dangerosité.

Acceptons-nous cette évolution ? Acceptons-nous une peine après la peine, alors que les personnes visées n’ont pas vu ces mesures de contrainte prononcées par le tribunal qui a statué sur leur peine ? Bien entendu, le problème est réel, mais, face à 52 détenus sortant après exécution de la peine en 2020, 62 en 2021 et 50 en 2022, faut-il un nouveau texte de loi…

M. Jean-Yves Leconte. … confus ou des moyens de surveillance et d’évaluation de la dangerosité ?

Malheureusement, au regard des effets de la prison sur la radicalisation, le risque ne touche pas que ceux qui sortent de prison après avoir été condamnés pour un acte terroriste.

La responsabilité politique n’est pas de dire pour rassurer : « La loi vous protège. » C’est d’avoir une politique et des moyens pour permettre la prévention des actes terroristes. De ce point de vue, le bracelet électronique est une privation de liberté, mais n’est pas une mesure de sûreté : il suffit de voir ce qu’il s’est hélas ! passé à Saint-Étienne-du-Rouvray.

Attentatoire à nos principes, ce texte est aussi dangereux pour notre sécurité.

D’abord, il y a un total manque de proportionnalité entre la dangerosité évaluée des personnes et les mesures pouvant être prises. Les Micas s’appliquent à un spectre beaucoup plus large et sont plus fortes ; qui plus est, elles sont prononcées par l’exécutif. Les mesures prévues sont prononcées par un juge, s’appliquent à des individus qui pourraient a priori être plus dangereux et sont moins contraignantes. En outre, il est très fortement probable que l’autorité administrative ne pourra pas aller au-delà des mesures judiciaires.

Par conséquent, avec ce texte, on construit une disproportionnalité entre la dangerosité qui existe et les mesures de surveillance et de contraintes qui peuvent être prises.

Ensuite, quid du respect du contradictoire ? Si les services de renseignement établissent la dangerosité telle qu’elle est définie et qu’il faut verser les sources et les éléments au dossier, croyez-vous vraiment que ces éléments d’information et les sources dévoilées à tous ne constitueraient pas un danger pour l’efficacité de nos services de renseignement ? (M. le garde des sceaux fait un signe de dénégation.) Sans contradictoire, comment rendre la justice ? Le contradictoire, c’est une exigence, mais, dans cette matière, s’il est systématique, il met en danger l’action de nos services de renseignement, ce qui pose problème.

Enfin, il y a une confusion des rôles. En effet, l’exposé de la dangerosité pourrait engendrer une judiciarisation. En revanche, s’il s’agit uniquement de protéger, cela relève de la responsabilité de l’exécutif, et non de celle de l’autorité judiciaire. Celle-ci dispose déjà de services de renseignements et d’un arsenal de mesures de police – la loi SILT a été évoquée.

Si, face aux mêmes dangers et à la même situation, l’autorité administrative et l’autorité judiciaire peuvent toutes deux prendre des mesures, aucune ne sera vraiment responsable. L’exigence de la responsabilité que nous avons aujourd’hui nous conduit à faire en sorte que la responsabilité de l’exécutif et celle de l’autorité judiciaire soient claires et distinctes et à exiger les moyens qu’il faut pour suivre et évaluer la dangerosité.

Le Conseil d’État a formulé une même remarque dans son avis, de façon un peu plus diplomatique que je ne viens de le faire, soulignant « la complexité qui peut nuire à l’efficacité de l’action de l’État prise dans ses fonctions administratives et judiciaires ». Reste que c’est au cœur du problème.

Rassurer la population n’a rien à voir avec assurer la sécurité. Assurer la sécurité, c’est définir précisément les responsabilités de chacun.

Mme la présidente. Il faut conclure, mon cher collègue : vous avez largement dépassé votre temps de parole.

M. Jean-Yves Leconte. Monsieur le garde des sceaux, ce texte heurte tous nos principes fondamentaux.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. On a compris !

M. Jean-Yves Leconte. Il n’est pas efficace pour assurer notre sécurité.

L’homme ou la femme, aussi mauvais soient-ils, ont toujours droit à la défense. Or il s’agit là non pas d’une personne, mais d’un mauvais projet de loi : il n’a pas besoin d’un défenseur commis d’office. Le groupe socialiste et républicain votera contre, parce qu’il est inquiet des conséquences de son adoption sur notre société et sur son efficacité. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)

Mme la présidente. La parole est à M. Yvon Collin. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. Yvon Collin. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, depuis 2015, il a plusieurs fois été question dans cet hémicycle de la prise en charge des auteurs d’infractions terroristes à l’issue de leur peine. C’est un sujet suffisamment complexe pour qu’on lui consacre un examen tout à fait particulier. En cela, la proposition de loi des députés La République En Marche est bienvenue.

Dans les trois années à venir, environ 150 personnes condamnées pour des faits de terrorisme retrouveront leur liberté, après avoir purgé leur peine, alors que la menace persiste dans notre pays. Ce ne sont évidemment pas les terroristes de 2015 qui n’ont pas encore été jugés : le procès de l’attentat de Charlie Hebdo se tiendra, je crois, entre les mois de septembre et novembre prochains. Toutefois, il est facile de comprendre le frémissement que peut provoquer cette nouvelle dans la conscience collective encore endeuillée par de nouvelles attaques au couteau à Romans-sur-Isère.

L’intention limpide des auteurs de cette proposition de loi en découle. Il s’agit de s’assurer de maintenir hors d’état de nuire ces individus, dont les actes passés sont de nature à laisser penser qu’ils nourrissent une hostilité puissante contre la société qu’ils s’apprêtent à rejoindre dès leur libération. Afin d’éviter toute récidive, nos collègues députés proposent de créer un nouveau régime de mesures de sûreté propre au terrorisme.

Ce n’est pas la première fois que le Parlement doit se prononcer sur la question des sorties de prison d’individus violents, dont on craint qu’ils ne récidivent. Comme le mettait en garde Robert Badinter, ici même, au moment de l’examen de la loi relative à la rétention de sûreté : « L’homme dangereux va remplacer l’homme coupable devant notre justice. »

M. Yvon Collin. Sur la rétention de sûreté, on se souvient également de l’argument des pénalistes : créer une « peine après la peine » risque d’affaiblir le sens de la peine.

En 2005, le groupe RDSE s’était pourtant prononcé en faveur de la rétention de sûreté, considérant qu’il s’agissait d’un pis-aller, faute de moyens adaptés à la prise en charge de personnes psychiquement dangereuses. De la même manière, il est aujourd’hui en majorité favorable à ce texte, afin de protéger la population faute d’autres moyens.

Monsieur le garde des sceaux, nos deux réserves concernent, d’une part, la durée des mesures de sûreté initiales susceptibles d’être ordonnées, afin de trouver un meilleur équilibre entre prévention de la récidive et préservation des libertés, d’autre part, la définition de la particulière dangerosité, qui ne convient pas aux magistrats qui seront chargés d’appliquer ce texte. En effet, un grand nombre d’entre eux restent par essence opposés au maintien d’une forme de contrainte à l’issue de la peine. Nous partageons leurs inquiétudes face à la multiplication tous azimuts des instruments judiciaires et administratifs de lutte contre le terrorisme, dans un contexte de moyens de fonctionnements dégradés pour la justice. Les modifications intervenues en commission des lois sur l’initiative de Mme la rapporteure – et il faut l’en remercier – permettent déjà quelques clarifications entre les différents régimes.

Toutes les modifications introduites depuis 2015 ne doivent pas nous laisser croire à la possibilité d’un « risque zéro ». De ce point de vue, le cas des personnes radicalisées en prison, mais non condamnées pour des actes de terrorisme, ne constitue-t-il pas un trou dans la raquette ? Faut-il rappeler que celles-ci ne pourront pas se voir appliquer les mesures de sûreté prévues par cette proposition de loi ?

Toutefois, notre position générale a été confortée par le fait que la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme est entre-temps venue préciser le cadre de conventionnalité des mesures de sûreté susceptibles d’être ainsi prises. Le 4 décembre 2018, elle a ainsi validé le placement en détention d’un individu condamné pour meurtre à caractère sexuel, en raison de la nécessité et dans l’optique de traiter le trouble mental.

Monsieur le garde des sceaux, comment étendre cette jurisprudence appliquée aux personnes atteintes de troubles psychiatriques aux personnes adhérant à une idéologie terroriste ? Je pose la question. Il faudrait pour cela comprendre le phénomène de radicalisation, qui reste aujourd’hui très opaque. Nous ne disposons en réalité que de peu d’informations sur les profils des personnes concernées. Les investigations conduites après 2015 ont ainsi mis au jour la perméabilité des milieux du crime en bande organisée et du terrorisme, auxquels s’ajoutent quelques illuminés et quelques déséquilibrés.

De ces trois catégories, les « idéologues » du terrorisme sont sans doute les plus imprévisibles et les plus difficiles à combattre sur le terrain du droit. Face à eux, l’arme la plus puissante reste peut-être d’approfondir toujours davantage notre démocratie et de faire de la justice sociale une réalité, tout en rappelant que, dans notre pays, les individus sont jugés selon les règles de l’État de droit, c’est-à-dire établies par eux et pour eux. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Arnaud de Belenet.

M. Arnaud de Belenet. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, 143 personnes condamnées pour des actes de terrorisme sortiront des prisons françaises d’ici à 2022, dont 31 dès cette année, vient de nous dire le garde des sceaux.

Permettez-moi de citer un autre chiffre : d’après le Centre d’analyse du terrorisme, le taux de récidive des djihadistes varie entre 39 % et 100 %, donnée factuelle sur laquelle il est possible de s’appuyer.

Ce double constat conduit le législateur à s’interroger sur les moyens juridiques qu’il convient de mettre en œuvre.

D’une part, cette question est un enjeu majeur de sécurité publique, comme l’ont souligné les professionnels que nous avons auditionnés et qui expriment des craintes réelles, et non pas théoriques, sur la situation des personnes détenues appelées à sortir d’ici à trois ans.

D’autre part, il résulte des travaux des deux assemblées une incomplétude et une inadaptation des dispositifs de suivi et de surveillance en vigueur.

Le président de notre commission des lois, Philippe Bas, en amont de nos collègues du groupe La République En Marche à l’Assemblée nationale, avait déposé une proposition de loi, dont l’objectif était le même que le texte que nous examinons aujourd’hui.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. C’est élégant de le rappeler !

M. Arnaud de Belenet. Il faut rendre à Philippe Bas ce qui appartient à Philippe Bas ! (Sourires.)

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. J’y suis très sensible, merci.

M. Arnaud de Belenet. Le dépôt de la présente proposition de loi est donc bien dû à une réalité alarmante et vise à faire face à un enjeu clair : apporter une réponse à un manque.

Les lacunes ont déjà été mentionnées, je ne m’y attarderai pas. Elles tiennent notamment à l’inapplicabilité du suivi socio-judiciaire aux personnes condamnées pour des faits commis avant 2016. Elles tiennent également à l’inadéquation de la surveillance judiciaire, les personnes condamnées pour des actes terroristes ayant été exclues en 2016 des dispositifs de réduction de peine dans le cadre de laquelle s’applique cette surveillance.

D’un point de vue administratif, les mesures individuelles de contrôle et de surveillance paraissent pour leur part insuffisantes parce que leur durée est limitée à douze mois et parce qu’elles n’offrent pas d’accompagnement à la réinsertion.

Pour ce qui concerne la réinsertion, le travail a été fait. Il s’agit là d’ailleurs d’un volet essentiel du texte. Quant à la durée des mesures, une prorogation est tentante, mais une période de vingt-quatre mois pourrait poser un problème de constitutionnalité.

La présente proposition de loi permet donc de répondre utilement à ce vide paradoxal et préoccupant.

À l’article 1er est créée une nouvelle mesure de sûreté, qui donne la faculté au juge, dans le respect du contradictoire, d’imposer des obligations en matière de surveillance et de suivi aux condamnés pour terrorisme présentant, à l’issue de leur peine, une particulière dangerosité.

Ce texte renforce utilement, dans son article 2 adopté conforme par notre commission des lois, la mise en œuvre du suivi socio-judiciaire en visant l’automaticité du prononcé de ce dernier.

Il prévoit enfin, après l’adoption d’amendements en ce sens par la commission, l’inscription bienvenue de certaines obligations résultant de la mesure de sûreté au fichier des personnes recherchées, ainsi que l’application du dispositif dans les territoires ultramarins.

Monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le présent texte, cela a été dit, nous place effectivement sur une ligne de crête en matière de libertés publiques.

L’utilité du dispositif ne saurait éluder la nécessité de s’assurer du respect des principes fondamentaux de notre droit, notamment en matière pénale.

Certains sur ces travées ont exprimé la crainte que les obligations de la mesure de sûreté ne se révèlent être des peines après la peine, contrevenant par là même au principe du non bis in idem.

Non seulement le Conseil d’État affirme, dans son avis, que les mesures visées par la proposition de loi « ont exclusivement la nature de mesures de sûreté », non seulement le Conseil constitutionnel n’exclut pas, par principe, la possibilité pour le législateur de créer des mesures de sûreté, mais les rapporteures à l’Assemblée nationale et au Sénat se sont justement employées à renforcer les garanties du dispositif et sa nécessaire rigueur.

Je pense aux modifications, introduites à l’Assemblée nationale, par exemple sur la réduction de la durée maximale globale de la mesure de sûreté, à la suite des observations du Conseil d’État. Ces modifications, que notre commission a conservées, renforcent l’assise juridique du dispositif.

Je pense également aux garanties introduites en matière de placement sous surveillance électronique mobile, à savoir le consentement de la personne et la réduction de la fréquence de l’obligation de pointage.

Pour la majorité à l’Assemblée nationale, l’enjeu était bien – nous aurons l’occasion d’y revenir lors des débats entre les deux chambres – de concilier le caractère opérationnel avec la sécurité juridique du dispositif.

Notre rapporteure, Jacqueline Eustache-Brinio, que je salue pour son travail, a également procédé à des clarifications bienvenues sur l’articulation de la mesure de sûreté instituée avec les autres dispositifs de suivi et de surveillance en vigueur. Elle nous a indiqué vouloir veiller à l’indispensable proportionnalité de la mesure de sûreté et à sa constitutionnalité. Nous y reviendrons certainement.

Finalement, et les éléments que je viens de mentionner l’illustrent bien, un double objectif a guidé les travaux des deux assemblées : l’opérationnalité et la constitutionnalité de la mesure de sûreté instituée. Ces points continueront, je le pense, à éclairer les échanges entre les deux chambres jusqu’à la réunion de la commission mixte paritaire, qui, je l’espère, sera conclusive, afin de répondre à l’enjeu de protection de la société, dans le respect de notre État de droit.

Bien évidemment, le groupe La République En Marche votera ce texte.

Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Ravier.

M. Stéphane Ravier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, quand on entend le mot « terrorisme », on pense immédiatement au terrorisme islamiste qui ensanglante notre pays depuis de nombreuses années, mais il n’est pas le seul.

Je consacrerai une partie du temps de parole qui m’est accordé à apporter, par un instant de silence, mon soutien à la famille d’Axelle Dorier, cette jolie jeune femme, aide-soignante de 23 ans, qui est tout le portrait de ma propre fille.

Axelle, martyre, victime d’un terrorisme du quotidien qui ne dit pas son nom, commis par la racaille, cette racaille qui tue les nôtres partout en France, dans le silence de la bien-pensance, l’indifférence de la classe politique et le mépris des officines médiatiques. (M. Stéphane Ravier observe un bref moment de silence.)

Que l’on donne les noms, monsieur le ministre, que l’on donne les noms et que la justice frappe, qu’elle frappe fort !

Depuis la loi de 2008, le mécanisme de rétention de sûreté n’a jamais été mis en œuvre dans une affaire de terrorisme. Depuis l’attentat de Charlie Hebdo en 2015, votre angélisme a coûté à notre pays plus de 250 vies.

Il y a quatre ans, le 14 juillet à Nice, 86 personnes étaient assassinées par un terroriste tunisien.

Quelques jours plus tard, c’était le père Hamel qui était à son tour assassiné en son église par un djihadiste de 19 ans, Adel Kermiche. Cet assassinat est la preuve éclatante et tragique de l’échec d’une vision idéologique et laxiste de la justice, qui s’est obstinée à voir un jeune garçon perdu, là où son CV indiquait qu’elle avait affaire à un assassin endoctriné et déterminé.

Ces leçons du passé écrites à l’encre du sang des innocents n’ont pas empêché Mme Belloubet d’anticiper la libération de 74 détenus radicalisés, 74 foyers susceptibles de relancer l’épidémie de barbarie.

En France, mère des arts, des armes et des lois, fille aînée de l’Église, l’islamisme est comme un poison dans l’eau !

Pour preuve, on apprend que 153 condamnés pour actes de terrorisme vont retrouver la liberté dans notre pays cette année.

Le constat est clair : les mesures de sûreté à l’issue des peines sont insuffisantes et inadaptées.

Face à ces barbares, il faut être impitoyable ! Pour qu’un mécanisme de sûreté soit effectif et efficace, il faut refuser, sans aucune exception, le retour des djihadistes condamnés à l’étranger ; rétablir la perpétuité réelle ; déchoir de leur nationalité française les binationaux ; expulser les étrangers et instaurer un tracking numérique et un suivi des terroristes, avec ou sans leur consentement.

Pour ma part, je ne me plaindrais pas, mes chers collègues, si le GIGN, le RAID, ou la BRI nous débarrassaient rapidement et définitivement de ceux qui auront commis l’irréparable !

Aux antipodes de ces mesures de bon sens, vous avez rappelé, monsieur le ministre, vouloir rapatrier en France les djihadistes ayant fait allégeance à l’État islamique et ayant été condamnés à mort en Irak ou en Syrie. Au fond, vous êtes resté dans votre robe d’avocat, honoré de défendre Abdelkader Merah. (Protestations indignées sur diverses travées.)

Mme Nathalie Goulet. C’est petit !

M. Stéphane Ravier. « Le Président sera celui de la menace permanente sur les Français » avait annoncé le candidat Emmanuel Macron en avril 2017. Voilà un engagement qu’il aura tenu ! Il rejetait le projet d’inventer un programme de lutte contre le terrorisme dans la nuit. Plus de trois ans ont passé, la nuit n’est assurément pas terminée, et le sang français continue de couler.

Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – Mme Nathalie Goulet applaudit également.)

Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je ne ménagerai aucun effet de surprise, je vous dis d’emblée que l’ensemble des membres de mon groupe est opposé à ce texte, en raison non seulement des mesures précises qu’il vise à instaurer, mais également, et surtout, de la vision de notre société dont il est porteur. Notre rôle de législateur devrait aussi consister, je pense, à prendre le recul nécessaire sur les lois que nous élaborons et sur leur cohérence globale.

Or, ces dernières années, l’inflation des mesures pénales est plus que notable, je peux en témoigner. Aux états d’urgence sécuritaire successifs, qui ne sont pas seulement propres au champ du terrorisme d’ailleurs, succèdent aujourd’hui des mesures spécifiques pour encadrer la remise en liberté d’auteurs d’infractions terroristes ayant purgé leur peine.

Après avoir décidé en 2016 de priver ces condamnés de toute possibilité d’aménagement de peine, on se retrouve face à la problématique de leur sortie « sèche ».

La question qui se pose à présent est la suivante : qu’allons-nous faire de ces individus, avec qui toutes les mesures carcérales ont échoué ? Après les quartiers d’évaluation de la radicalisation, puis les quartiers de prise en charge de la radicalisation, sur lesquels nous demandons un rapport au Gouvernement par voie d’amendement, nous créons de nouveaux espaces carcéraux pour évaluer, de nouveau, ces condamnés, afin de décider si ceux-ci présentent ou non un caractère dangereux pour la sécurité de nos concitoyens.

Que les choses soient claires : mon objectif ne diffère en rien du vôtre – protéger nos concitoyens contre tout nouvel acte barbare est fondamental –, à ceci près qu’il s’accompagne d’une d’inquiétude : compte tenu du nombre de dispositifs d’exception au droit commun qui se sont accumulés au fil des années, je me demande vers où nous avançons et, surtout, jusqu’où nous irons.

Que nous est-il proposé aujourd’hui ?

Ne sachant que faire de ces individus, mais souhaitant tout de même apaiser toute peur, légitime ou non, nous les maintenons dans une forme de peine après la peine, en restreignant leur liberté sur le fondement non pas des actes qu’ils ont commis, mais de ceux qu’on suppose qu’ils pourraient commettre.

Initialement, hormis la mesure de prise en charge sanitaire, sociale, éducative ou psychologique, le texte ne prévoyait que des mesures de contrôle dont l’intérêt en termes de réinsertion était quasi nul. Force est de reconnaître que la commission des lois a enrichi le texte sur ce point.

Pour notre part, nous avons toujours été opposés, et nous continuons de l’être, aux mesures de sûreté en général, considérant qu’un individu ayant purgé sa peine est quitte, libre de trouver sa voie de réinsertion dans notre société.

Créées en 2008, sous Nicolas Sarkozy, les mesures de sûreté étaient au départ destinées aux condamnés en fin de peine jugés dangereux pour des motifs psychiatriques.

Lors de l’adoption de la rétention de sûreté, mon groupe avait déjà alerté sur les risques de dérive vers une justice prédictive, sous couvert de prévention.

Au même moment – je le citerai à mon tour –, le sénateur Robert Badinter dénonçait de son côté « une période sombre pour notre justice » (M. le garde des sceaux marque son assentiment), insistant sur « le brouillard » dans lequel cette « détention pour dangerosité, hors toute commission d’infraction » allait plonger la justice, dont les fondements étaient atteints.

Aujourd’hui, en évoquant avec force la récidive probable, n’envoie-t-on pas aux condamnés qui ont purgé leur peine le signal qu’ils seront suspectés à vie et, en quelque sorte, rejetés de la République ?

Il faudrait réaliser une vaste étude sur les risques réels de récidive des personnes condamnées pour actes de terrorisme en France. La Belgique en a effectué une, qui a été publiée cette année : elle révèle que le taux de récidive de ces détenus est très faible comparé à celui des détenus dits « classiques », ces taux s’établissant respectivement à 3 % et 50 %.

Aussi, dans la mesure où la spécificité des crimes et délits terroristes reste à démontrer en termes de passage à l’acte et de réitération, n’aurait-il pas été plus efficace de maintenir ces condamnés dans le droit commun et de leur permettre d’accéder aux aménagements de peine ? Comprenons-nous bien : je parle d’aménagements préparés, adaptés à leur personnalité et individualisés, sachant que tout manquement pourrait être rapidement repéré ou sanctionné. De tels aménagements ne seraient-ils pas plus à même de prévenir la récidive que des mesures de pur contrôle et de stigmatisation ? Je m’interroge.

En outre, nous pensons que cette proposition de loi révèle l’échec du temps pénitentiaire et qu’elle ne répond pas aux véritables et nombreuses questions qui se posent.

Autant que faire se peut, comment prévenir les actes de terrorisme ? De quels moyens doivent disposer nos services de renseignement, par exemple ?

Comment réinsérer dans notre société des individus condamnés pour de tels faits ? Ce n’est sûrement pas en les obligeant pendant plusieurs années à se rendre jusqu’à trois fois par semaine dans un commissariat pour justifier leur présence, obstacle évident à la reprise d’une vie active et socialisante. C’est pourtant l’une des obligations que tend à mettre en œuvre cette proposition de loi, obligation dont nous proposerons la suppression.

Quels moyens sont octroyés aux services pénitentiaires pour assurer le suivi des personnes condamnées ? Quelles sont les modalités de ce suivi ?

De nombreux rapports ont été faits sur la question du traitement de la radicalisation, notamment sur l’initiative de parlementaires. Chaque fois, ils ont retenu l’attention de la Chancellerie, mais jamais – jamais ! – aucune recommandation ne s’est traduite par la mise en œuvre de mesures idoines. Cette fois encore, aucune recommandation n’est reprise dans cette proposition de loi. Je pose la question : pourquoi ?

Monsieur le garde des sceaux, lors de la première séance de questions d’actualité à laquelle vous assistiez dans nos murs, vous évoquiez la difficile préservation de l’équilibre entre liberté et sûreté dans le cadre des mesures postpénales. Selon vous, les mesures qui nous sont aujourd’hui proposées permettront-elles de parvenir à un équilibre satisfaisant ?

« La punition n’a jamais constitué un moyen de dissuasion et n’apporte qu’un mince réconfort à une victime déjà morte » explique l’un des personnages dans l’introduction de Minority report de Philip K. Dick.

De la fiction à la réalité, le pas est presque franchi avec les dispositions que prévoit ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – MM. Jean-Yves Leconte et Jean-Pierre Sueur applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Dany Wattebled.

M. Dany Wattebled. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons, et pour laquelle le Gouvernement a engagé la procédure accélérée, vise à instaurer des mesures de sûreté à l’encontre des auteurs d’infractions terroristes à l’issue de leur peine. Si nous partageons pleinement l’objectif du texte, nous avons quelques réserves sur les moyens prévus pour l’atteindre.

Dans son avis, le Conseil d’État réalise une prestation d’équilibriste en dissertant sur la nature des mesures envisagées. S’agit-il véritablement de mesures de sûreté ou bien de sanctions pénales ? Ont-elles pour objectif d’empêcher la commission d’infractions futures ou bien de sanctionner les crimes déjà perpétrés ?

Le Conseil d’État reconnaît que, en raison de l’empilement des dispositifs en la matière, la frontière entre peine et mesure de sûreté n’est « pas toujours nette ».

Ces débats ne passionnent peut-être pas les foules, mais ils sont capitaux, car ils conditionnent la validité constitutionnelle des dispositions que nous examinons.

Le Conseil d’État indique ensuite que les mesures envisagées concerneraient deux catégories de personnes : d’une part, les individus condamnés avant 2016, date à laquelle la peine complémentaire du suivi socio-judiciaire est devenue applicable aux infractions terroristes ; d’autre part, les individus condamnés depuis cette date, mais qui l’ont été par un jury populaire de cour d’assises. Et apparemment de tels jurys ne recourraient pas suffisamment à cette peine.

Voilà qui appelle deux observations.

Premièrement, les mesures de sûreté rétroactives qui nous sont proposées ont en réalité vocation à remplir la fonction du suivi socio-judiciaire, qui, lui, est une peine et ne devrait donc pas être rétroactif.

Deuxièmement, il ne nous paraît pas souhaitable de remettre en cause la justice rendue au nom du peuple français et par le peuple français.

Monsieur le garde des sceaux, nous connaissons votre attachement aux jurys populaires, et nous le partageons. Il nous semble important de conserver l’existence et la légitimité de ces derniers.

Le deuxième article de la proposition de loi aurait pour effet de rendre le suivi socio-judiciaire quasiment automatique, ce qui soulève des questions quant à la personnalisation des peines.

Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure, a réalisé un travail remarquable, que je salue. La commission a tenté de renforcer au mieux la conformité du texte à la Constitution. La proposition de loi risque effectivement de porter atteinte à des principes essentiels de notre État de droit.

Le renforcement de la sécurité ne paraît pas certain. Sur le fond, les mesures proposées s’ajouteraient à un arsenal juridique déjà bien fourni et ne semblent pas apporter un meilleur niveau de sécurité.

Depuis 1986, plus d’une quinzaine de lois contre le terrorisme ont été adoptées. Cette inflation législative n’est pas bonne pour la sécurité juridique de notre pays. Nous faisons aujourd’hui face à l’une de ses conséquences : la multiplication des dispositifs particuliers, des mesures exceptionnelles, a laissé des angles morts, qu’on essaie bien sûr de corriger par d’autres mesures exceptionnelles.

Cette tentative de rattrapage risque néanmoins de s’effectuer au détriment de nos concitoyens, d’abord parce qu’elle s’arrange difficilement avec nos principes juridiques fondamentaux ; ensuite, comme le Conseil d’État l’a rappelé, parce que la complexité nuit à l’efficacité de l’action de l’État ; enfin, parce qu’elle pourrait laisser penser qu’elle répond à la nécessité de la lutte antiterroriste quand les agents qui sont affectés à celle-ci ont avant tout besoin de plus de moyens.

Les mesures de sûreté comportent toujours un risque d’arbitraire. L’évaluation de la particulière dangerosité du condamné est une opération délicate et problématique. Le risque de récidive n’est pas la récidive.

La liberté fait intrinsèquement courir le risque de la récidive, comme elle fait plus généralement courir celui de la commission d’infractions.

M. Dany Wattebled. Pour prévenir ce risque, en plus de préparer la réinsertion, nous devons renforcer les moyens matériels et humains de nos services d’enquête, mais nous ne devons pas, pour tenter de combler ces lacunes, tordre notre droit.

Benjamin Constant disait : « Présentés d’abord comme une ressource extrême dans des circonstances infiniment rares, l’arbitraire devient la solution de tous les problèmes et la pratique de chaque jour. Ce qui préserve de l’arbitraire, c’est l’observance des formes. »

Face au constat que la prison ne permet pas d’éviter la récidive, il nous faut revoir la politique pénale dans son ensemble. Préservons nos principes fondamentaux ; donnons aux prisons les moyens de préparer au mieux la réinsertion et aux services d’enquête les moyens d’accomplir leur mission dans les meilleures conditions.

« Quand le courage empiète sur la raison, il ronge le glaive avec lequel il combat » avertissait William Shakespeare.

Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet.

Mme Nathalie Goulet. Alors que je suis la septième à m’exprimer dans cette discussion générale, sur neuf orateurs inscrits, presque tout a déjà été dit. Je me contenterai donc de vous livrer quelques observations, monsieur le garde des sceaux.

J’ai eu le plaisir et l’opportunité d’avoir demandé et obtenu en 2014 la création de la première commission d’enquête dans cette maison sur l’organisation et les moyens de la lutte contre les réseaux djihadistes en France et en Europe, laquelle a abouti à la remise du rapport de Jean-Pierre Sueur ici présent. Je suis par conséquent ces questions depuis longtemps.

Je vais en finir assez rapidement avec les figures imposées en vous disant, monsieur le garde de sceaux, mes chers collègues, que mon groupe votera ce texte, et en venir aux figures libres, toujours beaucoup plus agréables.

À mon sens, les avancées contenues dans cette proposition de loi sont un peu en trompe-l’œil. Ce texte vise néanmoins à essayer d’apporter une réponse à un problème. Les Français n’acceptent plus du tout aujourd’hui l’équation : fiché S, connu des services, sortant de prison et commettant un acte délictueux, terroriste ou pas.

Le présent texte tend en fait à compléter certains dispositifs. J’avais interrogé le Gouvernement à ce sujet lors de questions d’actualité il y a quelques semaines.

Y a-t-il des récidives ? Dans quelles proportions ? Jean-Charles Brisard, directeur du Centre d’analyse du terrorisme, a réalisé une étude très sérieuse, très précise et édifiante sur 166 djihadistes de retour d’Afghanistan, de Bosnie et d’Irak : il en ressort que 100 % des djihadistes ayant quitté l’Afghanistan ont récidivé, comme 60 % de ceux qui sont revenus de Bosnie et 16 % de ceux qui sont rentrés d’Irak, soit une moyenne de 60 % de récidive. On ne fait pas de cette étude l’alpha et l’oméga de la démonstration, mais elle a au moins le mérite d’exister. Comme le dit excellemment le président Bas, les chiffres peuvent être inexacts, mais ils servent à asseoir les démonstrations.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. C’est moi qui ai dit cela ? (Rires.)

Mme Nathalie Goulet. Oui !

Monsieur le garde des sceaux, comme l’ont déjà dit ceux de mes collègues qui m’ont précédée à cette tribune, votre travail, qui consiste à protéger les Français, va commencer avec les arbitrages budgétaires.

Vous nous avez annoncé lors d’une séance de questions d’actualité au Gouvernement une augmentation importante du budget de la justice, mais vous n’allez pas pouvoir jouer les Saint-Martin et couper votre manteau tellement les nécessiteux sont nombreux. Il va falloir fixer des priorités.

La Cour des comptes a rendu un rapport extrêmement intéressant sur les moyens de la lutte contre le terrorisme, sur les moyens d’accompagnement, sur ceux des services de probation, des juges de l’application des peines. Siégeant à la commission des finances, je lis avec beaucoup d’attention, comme tout le monde, les rapports de la Cour. Je pense que nous ne sommes pas près d’avoir une politique de réinsertion et de lutte contre la radicalisation.

Catherine Troendlé et Esther Benbassa l’ont montré dans un rapport – un énième rapport –, une telle politique ne fonctionne pas. Un texte supplémentaire ne va pas forcément nous aider.

Vous allez devoir rendre des arbitrages, à un moment ou à un autre. Il faut des moyens accrus, on l’a dit, pour le personnel, pour les équipements. Il y a quelques jours, nous avons voté dans le cadre du troisième projet de loi de finances rectificative 75 millions d’euros de moyens supplémentaires pour la police. Vous devrez également travailler avec votre collègue ministre de l’intérieur. Il faut aussi renforcer le renseignement.

En matière de répression et de suivi des détenus terroristes et radicalisés, les unités dédiées n’ont pas forcément donné satisfaction. Il est très important d’insister sur les formations, comme Mme la rapporteure l’a expliqué dans un rapport sur ce sujet. Il faut ainsi systématiquement former les magistrats à cette question, notamment à l’École nationale de la magistrature.

Enfin, il faut mettre en place des procédures d’évaluation. Sur ce sujet, cela fait des années que nous demandons une évaluation au Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR), lequel a été fusionné avec la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) l’année dernière – je ne suis pas du tout sûre d’ailleurs que cela ait été une bonne idée –, afin de pouvoir cibler les politiques, en particulier de lutte contre la radicalisation ou contre la récidive. Or nous n’avons toujours pas ce rapport.

Je pense que toutes les questions qui sont posées, qui sont des questions légitimes de protection, ne trouveront en partie de réponse que lorsque votre ministère, le ministère de l’intérieur, les associations et les spécialistes en la matière auront déterminé quelle politique de lutte contre la radicalisation ils souhaitent mettre en place.

Aujourd’hui, c’est l’armée mexicaine ! Il existe de nombreuses procédures éparses, il y a beaucoup de bonnes volontés, d’associations subventionnées, mais absolument jamais évaluées. Je voudrais que l’on instaure une culture de l’évaluation, même si c’est difficile, dans ce domaine extrêmement important pour notre sécurité et fondateur pour les années à venir.

Vous l’aurez compris, mon groupe soutiendra ces mesures et votera ce texte. À titre personnel, je suis beaucoup plus réservée, car je pense que de telles dispositions doivent s’inscrire dans un ensemble et qu’il vous faut déterminer une politique de lutte contre la radicalisation se traduisant dans le projet de loi de finances. Vous pouvez pour cela vous appuyer sur le document de politique transversale sur la prévention de la délinquance et de la radicalisation. C’est un document fondateur, extrêmement important. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Allizard. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Pascal Allizard. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, permettez-moi de remettre le sujet dans son contexte.

Depuis des années, la France mène une guerre au terrorisme, sur son sol et à l’extérieur. Cette guerre a un coût important, qu’il s’agisse du financement des opérations extérieures (OPEX), des moyens du renseignement, de l’usure des personnels et des matériels des armées. Je n’oublie pas non plus le travail fondamental des policiers et des magistrats spécialisés, ainsi que du personnel pénitentiaire au quotidien.

Ce coût, nous devons l’assumer, nous devons l’accepter, y compris lors de la perte de nos soldats, au prix d’un effort humain et financier important. Car en face, il y a une menace réelle et la France reste une cible privilégiée des terroristes islamistes.

Mais pourrons-nous longtemps soutenir ce coût, avec la crise économique qui s’annonce ? En effet, c’est bien l’un des buts du terrorisme que d’éreinter l’adversaire par des moyens asymétriques.

Pourtant, la seule évocation du nombre des victimes – tués, blessés, traumatisés – dans des attentats commis sur notre sol donne le tournis, de même que le nombre d’opérations déjouées par nos services. Dès lors, nous devons être perpétuellement en action.

Après les vagues d’attentats du milieu des années 1980, puis des années 1990, celles des années 2000, notamment à partir de 2015, ont particulièrement marqué les esprits par leur ampleur et conduit la France à devoir vivre de longs mois sous le régime d’exception de l’état d’urgence.

Ces vagues ont non seulement frappé les Français – c’était l’un de leurs objectifs – en montrant qu’aucune partie du territoire n’était plus à l’abri, mais ont surtout souligné les limites de notre système sécuritaire et judiciaire. Elles ont agi comme un révélateur de nos fragilités.

Aujourd’hui, cette menace est en évolution constante. Malgré la pression des armées, des services de sécurité, des législations renforcées, amendées, comme cela a été souligné, malgré également la défaite militaire de l’État islamique au Levant, cette menace n’a pas disparu. Au contraire, elle se reconfigure en permanence et ses modes d’action ont évolué, comme une espèce de phénix dangereux et protéiforme.

De fait, si le risque exogène, bien qu’amoindri, n’est pas écarté, le péril endogène a pris davantage d’importance. Car ce fut une autre révélation de cette crise, pour les non-spécialistes : voir émerger une menace intérieure portée par un islam radical et découvrir cette France en sécession, mettant au défi nos lois, nos usages ou nos valeurs républicaines et laïques. Des travaux du Sénat, dont la dernière commission d’enquête conduite par Nathalie Delattre et Jacqueline Eustache-Brinio, ont parfaitement mis en lumière la réalité de la radicalisation islamiste dans notre pays.

À côté des auteurs d’attentats, il existe toute une nébuleuse de sympathisants plus ou moins actifs, de petites mains logistiques, d’endoctrineurs du quotidien constituant une somme de comportements périphériques à l’acte terroriste proprement dit. (Mme la rapporteure marque son approbation.) Ces comportements que le droit a essayé d’appréhender – j’imagine que c’est complexe –, dans une logique non pas prédictive, mais d’anticipation – le taux de récidive de 60 % mérite tout de même d’être rappelé –, n’en constituent pas moins un danger permanent.

C’est pourquoi, dans ce contexte si particulier, et au regard des efforts que nous déployons dans la lutte contre le terrorisme, nous ne pouvons courir le risque de remettre en circulation dans des conditions trop souples des personnes condamnées pour terrorisme.

Pour autant, et je crois que c’est le souci de tous dans cette enceinte, chacun a droit à une justice équitable. Vous avez été, monsieur le ministre, l’incarnation forte des droits de la défense. Chaque condamné a aussi le droit de pouvoir tourner la page une fois payée sa dette à la société.

Mais ces personnes sont-elles des criminels ordinaires au sens où elles n’agissent pas pour leur compte personnel ou par appât du gain ? La cause qui les anime les dépasse et revêt pour les islamistes un caractère quasi sacré et, hors le cas des esprits fragiles ou des individus influençables, ces personnes sont aussi – je le pense – habitées par une forme de haine de la France.

Par conséquent, la condamnation puis l’incarcération dans un dossier terroriste amènent rarement le condamné à faire amende honorable. Cela explique en partie l’échec des politiques de déradicalisation et le fait que des profils déjà défavorablement connus des services se retrouvent régulièrement dans de nouvelles affaires.

D’ailleurs, même lors de la détention, dans cet « incubateur » qu’est devenue la prison, leurs comportements sont parfois agressifs, voire ultraviolents, à l’égard du personnel pénitentiaire et prosélytes à l’endroit des autres détenus, ce qui augure mal de l’avenir.

Aujourd’hui, le nombre de personnes prévenues et condamnées qui sont détenues en France pour des actes de terrorisme en lien avec la mouvance islamiste s’élève à plusieurs centaines. Ceux qui sortiront – le moment venu – les derniers seront les plus endurcis. S’y ajoutent des centaines de détenus de droit commun signalés comme radicalisés.

Magistrats et policiers de l’antiterrorisme s’accordent sur la dangerosité de ces futurs libérables et les insuffisances des mesures de suivi. C’est aussi le constat de la commission des lois qui évoque des outils incomplets, inadaptés ou inapplicables. L’introduction, par le biais de cette proposition de loi, d’une nouvelle mesure de sûreté est donc bienvenue, d’autant qu’elle fait écho à certains travaux du Sénat allant dans le sens du renforcement des dispositifs de suivi judiciaire des condamnés terroristes.

La commission, avec le souci de qualité du travail législatif qu’on lui connaît, a fait quelques ajustements utiles au texte proposé pour en garantir la sécurité juridique et l’opérationnalité.

Monsieur le ministre, il faut être sans faiblesse avec ces personnes qui, au-delà du seul aspect terroriste de leur action, veulent désagréger notre société de l’intérieur. Nous ne devons donc avoir ni faiblesse dans la peine prononcée ni faiblesse dans le suivi post-incarcération

Par ailleurs, quel que soit le suivi prévu, il faudra aussi veiller – cela a été souligné – à la formation des personnels et à la réalité des moyens mis à disposition. Or vous arrivez, monsieur le garde des sceaux, dans un ministère « sinistré » en termes de moyens et c’est bien, en matière terroriste comme dans d’autres domaines relevant de la justice, la question des moyens qui se pose et celle des arbitrages financiers qui seront faits dans les prochains mois, au regard d’un contexte économique dégradé et des multiples priorités du pays.

À vous, monsieur le ministre, et peut-être pouvons-nous modestement vous y aider, de peser et d’agir sur l’exécutif comme vous avez si bien su le faire dans les prétoires.

Cette proposition de loi instaurant des mesures de sûreté est bienvenue, notamment en ce qu’elle permet de poser ce débat que l’opinion publique – j’en suis convaincu – attend.

En conclusion, je veux saluer le travail effectué par la commission des lois, par son président et par sa rapporteure, et soutenir les amendements et apports du Sénat. Il s’agit d’un vrai sujet de sécurité publique. Nous sommes attendus sur cette question. Ce dispositif, tel que proposé et amendé, a trouvé le bon équilibre entre liberté et sécurité, entre nos principes constitutionnels, notre État de droit et ce droit à la protection et à la sécurité que nous devons à nos concitoyens. Nous soutiendrons donc cette proposition de loi ainsi modifiée par la commission. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, tous ici, nous soutenons la lutte de notre nation contre le terrorisme. Tous ici, nous pensons aux victimes, à leurs familles, à leurs amis dont parfois nous sommes. Tous ici, nous sommes profondément reconnaissants à nos soldats et à nos forces de sécurité qui s’exposent et luttent au quotidien.

Mais aujourd’hui, comme législateur, notre responsabilité est singulière : tenter de rendre plus efficace l’arme judiciaire contre le terrorisme, plus particulièrement protéger nos compatriotes d’un risque de récidive terroriste – vaste ambition.

Comme cela a déjà été souligné, nous sommes confrontés à une difficulté : le risque de récidive délinquante relève, dans les faits, de la prévision, voire de la prédiction. Et nous parlons, en examinant ce texte, d’ordonner des sanctions nouvelles, restrictives de liberté, à l’encontre de personnes qui, condamnées, ont déjà effectué la totalité de leur peine, qui plus est avant que la proposition de loi dont nous débattons ne soit votée.

Vous-même, monsieur le garde des sceaux, avez rappelé voilà seulement trois jours combien vous vous étiez opposé à la rétention de sûreté durant le quinquennat de Nicolas Sarkozy, vous élevant justement contre cette sanction après la sanction. Car imposer des mesures restrictives de liberté à un être humain auquel aucune infraction n’est imputée, simplement de crainte qu’il n’en commette une nouvelle, conduit à quitter le terrain des faits pour le diagnostic aléatoire au nom d’un principe de précaution élargi à la justice pénale.

Vous l’avez d’ailleurs parfaitement résumé hier, lors de votre audition devant la commission des lois de l’Assemblée nationale lorsque, répondant au député Diard, vous avez indiqué : « Attendez-vous des juges, des magistrats et du garde des sceaux qu’ils soient un médium capable d’endiguer des velléités de nouvelles infractions ? […] Ce n’est que ça, la question. […] Et je vais vous dire, la sécurité absolue, c’est l’enfermement à vie pour tout le monde. Alors là, vous n’aurez plus aucun problème ».

Au fil des années, des lois, des événements tragiques que notre pays a connus, nous avons créé, renforcé, ajouté des modalités de poursuite, de sanctions, de suivi des personnes coupables de faits terroristes. Ce faisant, nous avons mêlé justice administrative et justice judiciaire – juge de l’application des peines, parquet, suivi socio-judiciaire, régime spécial de réduction des peines… Aujourd’hui, nul n’est plus capable d’évaluer l’efficacité de ces dispositions.

Mais chaque majorité veut laisser son empreinte, donner à voir sa détermination, même par un texte inapplicable ou fragile au regard de nos principes constitutionnels. Devons-nous, au Sénat, participer à cela ? Je ne crois pas. Devons-nous transiger avec les principes de notre droit, avec la légalité de la peine, avec le principe non bis in idem, avec la non-rétroactivité de la loi pénale ? Je ne crois pas. Devons-nous tenter d’éviter la guerre au prix du déshonneur pour récolter, au final, et la guerre et le déshonneur ? Je ne crois pas.

Le Conseil national des barreaux nous appelle à refuser la peine après la peine. Le Conseil d’État, de manière assez obscure, convenons-en, a tenté d’accepter la qualification de « mesures de sûreté » des dispositions proposées, tout en reconnaissant que la frontière n’était pas nette, tout en se montrant très prudent – et c’est un euphémisme – sur le dispositif envisagé. De plus, il rappelle que les dispositions contenues dans cette proposition de loi, pour l’essentiel, existent déjà et que la complexité – un collègue le rappelait à l’instant – qui en résulterait pourrait affecter l’efficacité de la politique de l’État.

Les propos tenus par votre prédécesseure, dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale, monsieur le ministre, étaient eux aussi empreints d’une réserve à peine dissimulée, évoquant le fragile équilibre du texte et la superposition de mesures susceptibles d’être appliquées aux mêmes fins.

C’est pour ces motifs, je l’annonce aujourd’hui au Sénat, que le groupe socialiste saisira le Conseil constitutionnel de ce texte, une fois voté, aux fins d’examen de sa conformité à l’État de droit.

Votre prédécesseure rappelait devant l’Assemblée nationale la nécessité d’une évaluation des dispositifs existants. Je le dis de manière un peu solennelle, monsieur le ministre, allez-vous, pour votre premier texte, apposer votre signature sur une loi tout à la fois en rupture avec nos principes, incantatoire quant à son champ d’application, fictive du point de vue de l’efficacité de l’action de l’État et de la lutte contre la récidive et qui ouvre un précédent auquel il sera impossible de résister ? Son unique et maigre vertu est d’afficher sur le plan politique que cette majorité agit contre le risque terroriste comme si ces quelques mots valaient démonstration.

Monsieur le garde des sceaux, le 17 juillet dernier, lors de votre déplacement au tribunal judiciaire de Paris, vous disiez à un journaliste, accompagnant vos propos d’un geste de la main : voyez-vous, monsieur, il y a une toute petite règle dans notre République, une petite bricole qui s’appelle la Constitution.

Pour notre part, nous ne succombons pas et défendons coûte que coûte dans cette période difficile les principes fondateurs de notre État de droit. Comme l’a dit le sénateur Robert Badinter en 2008, dans cet hémicycle, au sujet de la rétention de sûreté : « L’homme dangereux va remplacer l’homme coupable devant notre justice. » Avec ce texte, nous y sommes. Voilà pourquoi le groupe socialiste votera contre. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et CRCE.)

Mme la présidente. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Je veux répondre à Mme la sénatrice Assassi, à M. le sénateur Leconte et à Mme la sénatrice de la Gontrie.

Comme je l’ai souligné voilà quelques instants, nous sommes sur une ligne de crête. De facto, ce constat exclut les vociférations compassionnelles tant il est vrai que tout ce qui est excessif n’est pas crédible.

Vous avez rappelé mes propos d’hier. Si la répression féroce était la garantie de la rémission des crimes, il y a des siècles – des siècles ! – que cela se saurait. Ma position a bougé sur le sujet, je vais vous en donner les raisons.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Vous êtes devenu ministre !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. On peut aussi réfléchir ! Laissez-moi vous répondre sans m’interrompre, je vous prie. Vous constaterez alors que mon cheminement intellectuel n’est pas le fruit d’une vérité de l’instant. J’ai d’ailleurs fait part de ces réflexions à M. le président Bas.

J’étais totalement opposé à la rétention de sûreté en ce qu’on n’enfermait pas un homme pour ce qu’il avait fait, mais à raison de ce qu’on supposait qu’il puisse faire.

J’ai aussi à l’esprit cette formule que nous connaissons tous de Benjamin Franklin selon laquelle un peuple qui est prêt à sacrifier un peu de sa liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l’une ni l’autre et finit par perdre les deux.

Première réflexion : il ne s’agit pas d’une détention. C’est singulièrement différent.

Deuxième réflexion : le juge de l’ordre judiciaire, garant de la liberté, est associé à ce placement sous bracelet, lequel n’est pas obligatoire.

M. Jean-Pierre Sueur. Justement ! À quoi cela sert-il ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Et justement, cela change tout. Dans quelle situation se trouverait-on, monsieur le sénateur, si cette proposition de loi n’était pas adoptée ? Un terroriste condamné sort de prison. Il va faire l’objet d’une surveillance par les services de renseignement qui peut être attentatoire à sa liberté – on va pouvoir l’écouter dans des conditions que nous savons, par le biais d’autorisations administratives… Je préfère que tout cela se fasse sous le contrôle du juge judiciaire, raison pour laquelle, après avoir mûrement réfléchi, je suis favorable à ces nouvelles dispositions. Ce n’est pas plus compliqué.

Je n’ai pas avalé mon chapeau parce que je suis devenu ministre. Je me souviens des mots que j’ai prononcés à l’époque sur la rétention : vous me dites que ce n’est pas une nouvelle peine, mais le type reste dans la même cellule, va manger dans la même gamelle – pardonnez-moi cette familiarité – et va avoir les mêmes gardiens de prison. Ici, il faut tout de même faire le distinguo entre bracelet facultatif et emprisonnement.

On aurait pu conduire une autre réflexion, que je n’ai pas entendue ce soir, sur l’efficacité de cette mesure : le malheureux prêtre qui a été égorgé aurait pu l’être par un homme qui portait un bracelet. Certes, mais peut-être qu’un certain nombre d’infractions ne seront pas commises à raison du port de ce bracelet. Et ce chiffre, nous ne le connaîtrons bien évidemment jamais.

Je le répète, nous sommes sur une ligne de crête. Je sais combien toutes ces questions de liberté sont absolument essentielles. Ma position est le fruit d’un long cheminement, mais je vous demande de bien faire, comme moi, le distinguo entre bracelet électronique et prison.

Mme la présidente. La discussion générale est close.

La parole est à M. le président de la commission.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Au moment d’aborder la discussion des articles, je veux revenir sur plusieurs points qui ont paru essentiels à la commission.

Personne ne peut nier que la démarche dans laquelle nous sommes engagés est délicate : il s’agit d’être particulièrement attentifs à d’anciens condamnés qui ont purgé leur peine, qui sont donc en règle avec la justice, et qui peuvent néanmoins présenter une forte dangerosité, mais aussi à la liberté que tout citoyen a le droit de pouvoir exercer à partir du moment où il est en règle avec la justice. Et nous ne nous sommes pas engagés dans cette délicate démarche sans prendre un certain nombre de précautions.

Je suis d’ailleurs très heureux que notre collègue de l’Assemblée nationale, auteur de la proposition de loi, Mme Yaël Braun-Pivet – elle s’est sans doute inspirée de nos propres travaux en rédigeant son texte – ait pris la précaution de soumettre celle-ci au Conseil d’État.

Ce dernier a rendu un avis circonstancié de treize pages qui n’est pas un brevet de constitutionnalité et de conventionnalité et qui soulève un certain nombre de problèmes examinés par plusieurs de collègues, mais qui montre aussi le chemin à emprunter pour concilier les deux exigences que j’ai rappelées, celles de la liberté et de la protection de la société.

Je crois nécessaire de reprendre très précisément les choses, parce que c’est non pas avec des incantations ou des réquisitions que nous répondrons aux questions que soulève cette proposition de loi, mais en étant précis sur les dispositions prises, sur la nature des restrictions aux libertés qui seraient autorisées et sur les garanties apportées pour que ces restrictions ne soient pas excessives.

Cette proposition de loi nous fait-elle entrer dans un régime dans lequel le condamné qui a purgé sa peine serait de nouveau condamné pour les mêmes faits, pour le même crime ou pour le même délit ? Je peux vous rassurer, mes chers collègues, la réponse est assurément non ! Et il n’y a pas de nuances à cette réponse. Le respect essentiel de cette règle de l’État de droit non bis in idem est bien garanti.

Comme vient de le rappeler le garde des sceaux, il s’agit d’une mesure de surveillance, non de rétention. La liberté de l’ancien condamné est donc non pas supprimée, mais restreinte. Il s’agit également d’une mesure d’accompagnement psychologique dont la mise en œuvre sera assurée par le service pénitentiaire d’insertion et de probation dont la vocation est d’accompagner les anciens détenus dans leur démarche de réinsertion.

L’individu concerné conserve sa liberté et peut être incité à suivre les démarches nécessaires – formation, soutien psychologique… – pour faciliter sa réinsertion. De telles mesures ne peuvent en aucun cas être interprétées comme des peines. Le travail spécifique de la commission des lois du Sénat et de notre rapporteure a consisté à renforcer les mesures de surveillance et d’accompagnement de cette proposition de loi.

Je veux soulever un autre point qui me paraît extrêmement important : est-il nécessaire aujourd’hui d’intervenir par le biais de la loi ? Comme plusieurs d’entre vous l’ont rappelé, mes chers collègues, d’autres dispositifs existent déjà. Mais sont-ils pertinents ? Permettent-ils de concilier protection de la société et liberté d’une personne ayant purgé sa peine ?

Il me semble que la loi de 2015 relative au renseignement, dont j’ai eu l’honneur d’être le rapporteur, que la loi qui a institué, à l’automne 2017, les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance et que la loi de 2016 renforçant la lutte contre le terrorisme ne répondent pas à notre préoccupation.

La loi de 2016 permet de prévoir la mesure de sûreté au moment de la condamnation. Ceux qui ont été condamnés avant l’entrée en vigueur de cette loi ne peuvent donc en faire l’objet. Ce texte n’est alors pas pertinent pour régler le problème des quelque 150 condamnés qui vont être libérés en 2020, 2021 et 2022. Nous avons besoin d’un autre dispositif.

Dès lors, pouvons-nous nous contenter des mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance prévues temporairement par la loi de l’automne 2017 qui nous a permis de sortir de l’état d’urgence ? Non, car ces textes n’ont pas le même objet : les mesures de surveillance prévues ne comportent aucune mesure d’accompagnement à la réinsertion. On ne se donne pas la chance d’au moins essayer de ramener à une vie normale un ancien condamné pour complicité de terrorisme. Ce dispositif ne couvre par conséquent que partiellement les finalités que nous voulons réaliser.

En outre, les mesures de surveillance prévues dans la loi de 2017 sont plus sévères encore que celles que nous proposons – et nous pourrons d’ailleurs permettre à l’État d’y recourir. Elles permettent l’assignation à résidence, peuvent imposer un pointage quotidien dans les services de police ou de gendarmerie. De nature administrative, le juge judiciaire ne les contrôle pas.

Or, afin d’améliorer les garanties de respect des libertés, nous proposons non pas des mesures purement administratives, mais des mesures judiciaires, contrôlées par une juridiction. Nous protégeons ainsi mieux les libertés, contrairement à ce que d’aucuns semblent avoir suggéré, qu’en nous en remettant purement et simplement aux mesures d’ordre administratif de notre arsenal juridique.

Enfin, la loi relative au renseignement, que je connais bien, mobilise des moyens extrêmement importants. N’est-il pas plus raisonnable de prendre une mesure de surveillance et d’accompagnement pour les anciens condamnés ayant purgé leur peine ? Dans l’hypothèse où leur comportement renforcerait les soupçons de risque de récidive, il serait alors temps de mobiliser des moyens de surveillance complémentaire très forts, très intenses, et qui supposent également une mobilisation importante de personnels.

Au regard des dispositifs existants, on comprend tout l’intérêt de la proposition de loi dont nous débattons. Les mesures proposées sont proportionnées, moins restrictives que d’autres – c’est en tout cas ce que j’ai essayé de démontrer –, offrent une garantie judiciaire qui n’existe pas en cas de mesure administrative et sont respectueuses de la règle non bis in idem.

Forts de ces constatations, nous devons adopter ce texte amendé par la commission.

Mme Éliane Assassi. C’est bien, nous avons deux rapports !

Mme la présidente. Nous passons à la discussion du texte de la commission.

proposition de loi instaurant des mesures de sûreté à l’encontre des auteurs d’infractions terroristes à l’issue de leur peine

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi instaurant des mesures de sûreté à l'encontre des auteurs d'infractions terroristes à l'issue de leur peine
Article additionnel après l'article 1er - Amendement n° 2

Article 1er

Le titre XV du livre IV du code de procédure pénale est ainsi modifié :

1° À l’intitulé, les mots : « et du jugement des » sont remplacés par les mots : « , du jugement et des mesures de sûreté en matière d’ » ;

1° bis L’article 706-17 est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Les mesures de sûreté prévues à la section 4 du présent titre sont ordonnées sur réquisitions du procureur de la République antiterroriste par la juridiction régionale de la rétention de sûreté de Paris ou, en ce qui concerne les mineurs, par le tribunal pour enfants de Paris. » ;

2° Est ajoutée une section 4 ainsi rédigée :

« Section 4

« Mesures de sûreté applicables aux auteurs dinfractions terroristes

« Art. 706-25-15. – I. – Lorsqu’une personne a été condamnée à une peine privative de liberté d’une durée supérieure ou égale à cinq ans pour une ou plusieurs des infractions mentionnées aux articles 421-1 à 421-6 du code pénal, à l’exclusion de celles définies aux articles 421-2-5 et 421-2-5-1 du même code, ou d’une durée supérieure ou égale à trois ans lorsque l’infraction a été commise en état de récidive légale, dont il est établi, à l’issue d’un réexamen de sa situation intervenant à la fin de l’exécution de sa peine, qu’elle présente une particulière dangerosité caractérisée par une probabilité très élevée de récidive et par une adhésion persistante à une idéologie ou à des thèses incitant à la commission d’actes de terrorisme, la juridiction régionale de la rétention de sûreté de Paris peut, sur réquisitions du procureur de la République antiterroriste s’appuyant sur des éléments actuels et circonstanciés, ordonner, aux seules fins de favoriser l’insertion ou la réinsertion de la personne et de prévenir la récidive, une mesure de sûreté comportant une ou plusieurs des obligations suivantes :

« 1° Répondre aux convocations du juge de l’application des peines ou du service pénitentiaire d’insertion et de probation ;

« 1° bis (nouveau) Recevoir les visites du service pénitentiaire d’insertion et de probation et lui communiquer les renseignements ou documents de nature à permettre le contrôle de ses moyens d’existence et de l’exécution de ses obligations ;

« 1° ter (nouveau) Prévenir le service pénitentiaire d’insertion et de probation de ses changements d’emploi et de ses changements de résidence ou de tout déplacement dont la durée excéderait quinze jours et rendre compte de son retour ;

« 1° quater (nouveau) Exercer une activité professionnelle ou suivre un enseignement ou une formation professionnelle ;

« 2° Établir sa résidence en un lieu déterminé ;

« 3° Obtenir l’autorisation préalable du juge de l’application des peines pour tout changement d’emploi ou de résidence, lorsque ce changement est de nature à mettre obstacle à l’exécution de la mesure de sûreté ;

« 4° Obtenir l’autorisation préalable du juge de l’application des peines pour tout déplacement à l’étranger ;

« 4° bis (nouveau) Ne pas se livrer à l’activité dans l’exercice ou à l’occasion de laquelle l’infraction a été commise ;

« 5° Se présenter périodiquement aux services de police ou aux unités de gendarmerie, dans la limite de trois fois par semaine ;

« 6° Ne pas entrer en relation avec certaines personnes, notamment les auteurs ou complices de l’infraction, ou catégories de personnes spécialement désignées ;

« 7° S’abstenir de paraître en tout lieu, toute catégorie de lieux ou toute zone spécialement désignés ;

« 7° bis (nouveau) Ne pas détenir ou porter une arme ;

« 8° (Supprimé)

« 9° Respecter les conditions d’une prise en charge sanitaire, sociale, éducative ou psychologique, destinée à permettre sa réinsertion et l’acquisition des valeurs de la citoyenneté ; cette prise en charge peut, le cas échéant, intervenir au sein d’un établissement d’accueil adapté dans lequel la personne concernée est tenue de résider.

« Les obligations auxquelles la personne concernée est astreinte sont mises en œuvre par le juge de l’application des peines assisté du service pénitentiaire d’insertion et de probation, et, le cas échéant, avec le concours des organismes habilités à cet effet.

« I bis (nouveau). – Après vérification de la faisabilité technique de la mesure, la juridiction régionale de la rétention de sûreté de Paris peut décider du placement sous surveillance électronique mobile de la personne faisant l’objet de l’une ou plusieurs des obligations mentionnées aux 4°, 6° et 7° du I du présent article, dans les conditions prévues aux articles 763-12 et 763-13. Ce placement est subordonné au consentement de la personne. Il ne peut être prononcé concomitamment à l’obligation prévue au 5° du I du présent article. Il y est mis fin en cas de dysfonctionnement temporaire du dispositif ou sur demande de l’intéressé.

« II. – La mesure de sûreté prévue au I peut être ordonnée pour une période d’une durée maximale de deux ans. À l’issue de cette période, la mesure de sûreté peut être renouvelée par la juridiction régionale de la rétention de sûreté de Paris, après avis de la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté, et pour la même durée dans la limite de cinq ans ou, lorsque le condamné est mineur, dans la limite de trois ans. Cette limite est portée à dix ans lorsque les faits commis par le condamné constituent un crime ou un délit puni de dix ans d’emprisonnement ou, lorsque le condamné est mineur, à cinq ans.

« II bis. – La mesure de sûreté prévue au I ne peut pas être ordonnée à l’encontre des personnes libérées avant la promulgation de la loi n° … du … instaurant des mesures de sûreté à l’encontre des auteurs d’infractions terroristes à l’issue de leur peine.

« III. – La mesure prévue au I ne peut être ordonnée que :

« 1° Si les obligations imposées dans le cadre de l’inscription au fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions terroristes apparaissent insuffisantes pour prévenir la commission des infractions mentionnées au premier alinéa du même I ;

« 2° Et si cette mesure constitue l’unique moyen adapté de favoriser l’insertion ou la réinsertion de la personne et de prévenir la récidive.

« La mesure de sûreté prévue audit I n’est pas applicable si la personne a été condamnée à un suivi socio-judiciaire en application de l’article 421-8 du code pénal, ou si elle fait l’objet d’une mesure de surveillance judiciaire prévue à l’article 723-29 du présent code, d’une mesure de surveillance de sûreté prévue à l’article 706-53-19 ou d’une rétention de sûreté prévue à l’article 706-53-13.

« Art. 706-25-16. – La situation des personnes détenues susceptibles de faire l’objet de la mesure de sûreté prévue à l’article 706-25-15 est examinée, sur réquisitions du procureur de la République antiterroriste, au moins trois mois avant la date prévue pour leur libération par la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté prévue à l’article 763-10, afin d’évaluer leur dangerosité.

« À cette fin, la commission demande le placement de la personne concernée, pour une durée d’au moins six semaines, dans un service spécialisé chargé de l’observation des personnes détenues aux fins d’une évaluation pluridisciplinaire de dangerosité.

« À l’issue de cette période, la commission adresse à la juridiction régionale de la rétention de sûreté de Paris et à la personne concernée un avis motivé sur la pertinence de prononcer la surveillance mentionnée à l’article 706-25-15 au vu des critères définis au I du même article 706-25-15.

« Art. 706-25-17. – La décision prévue à l’article 706-25-15 est prise, avant la date prévue pour la libération du condamné, par un jugement rendu après un débat contradictoire et, si le condamné le demande, public, au cours duquel le condamné est assisté par un avocat choisi ou commis d’office. Elle doit être spécialement motivée au regard des conclusions de l’évaluation et de l’avis mentionnés à l’article 706-25-16, ainsi que des conditions mentionnées au III de l’article 706-25-15.

« Le jugement précise les obligations auxquelles le condamné est tenu ainsi que la durée de celles-ci.

« La décision est exécutoire immédiatement à l’issue de la libération.

« La juridiction régionale de la rétention de sûreté de Paris peut, sur réquisitions du procureur de la République antiterroriste ou à la demande de la personne concernée, selon les modalités prévues à l’article 706-53-17 et, le cas échéant, après avis du procureur de la République antiterroriste, ordonner la mainlevée de la mesure. Le président de la même juridiction peut, dans les mêmes conditions, compléter ou supprimer les obligations à laquelle la personne est astreinte. Cette compétence s’exerce sans préjudice de la possibilité, pour le juge de l’application des peines, d’adapter à tout moment les obligations de la mesure de sûreté.

« Art. 706-25-17-1. – Les décisions de la juridiction régionale de la rétention de sûreté prévues à la présente section peuvent faire l’objet des recours prévus aux deux derniers alinéas de l’article 706-53-15.

« Art. 706-25-17-2. – Les obligations prévues à l’article 706-25-15 sont suspendues par toute détention intervenue au cours de leur exécution.

« Si la détention excède une durée de six mois, la reprise d’une ou de plusieurs des obligations prévues au même article 706-25-15 doit être confirmée par la juridiction régionale de la rétention de sûreté de Paris au plus tard dans un délai de trois mois après la cessation de la détention, à défaut de quoi il est mis fin d’office à la mesure.

« Art. 706-25-18. – Le fait pour la personne soumise à une mesure de sûreté en application de l’article 706-25-15 de ne pas respecter les obligations auxquelles elle est astreinte est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende.

« Art. 706-25-19. – Un décret en Conseil d’État précise les conditions et les modalités d’application de la présente section. »

Mme la présidente. L’amendement n° 3 rectifié bis, présenté par Mme M. Carrère, MM. Castelli et Collin, Mme Costes, M. Gold, Mme Laborde et MM. Requier, Roux, Artano et Jeansannetas, est ainsi libellé :

Alinéa 8

Supprimer les mots :

caractérisée par une probabilité très élevée de récidive et par une adhésion persistante à une idéologie ou à des thèses incitant à la commission d’actes de terrorisme

La parole est à M. Éric Gold.

M. Éric Gold. Dans le cadre de l’examen de cette proposition de loi, les magistrats auditionnés ont souligné à quel point la définition de la « particulière dangerosité » est difficile pour justifier la mise en place de mesures de sûreté à l’issue de la peine.

La « probabilité très élevée de récidive », un des critères cumulatifs retenus, est elle-même très compliquée à évaluer, et cette mention semble surabondante au regard de la finalité du dispositif explicité par le même alinéa.

L’autre critère – l’adhésion persistante à une idéologie ou à des thèses incitant à la commission d’actes de terrorisme – n’est guère plus satisfaisant. Comment mesurer une telle adhésion ? Par des faits ? Par des prises de position ? Dans le premier cas, la personne incarcérée étant, par définition, privée de liberté, il sera difficile de recueillir des éléments comme la consultation régulière de sites promouvant le terrorisme ou la participation à la préparation d’attentats. Dans le second cas, soit l’adhésion est dissimulée, et donc très difficile à établir, soit elle est explicitée et peut, en conséquence, faire l’objet d’une nouvelle condamnation.

En outre, pour être efficaces, ces mesures exigent le déploiement de moyens importants, qu’il s’agisse du renseignement pénitentiaire ou des juridictions.

Les auteurs de cette proposition de loi se sont fixé pour objectif de renforcer la prise en charge des personnes condamnées pour des faits de terrorisme. Nous visons, nous aussi, ce but. Toutefois, nous considérons que ces dispositions sont de nature à complexifier les outils judiciaires et administratifs existants. Avant toute nouvelle modification législative, il convient de renforcer les moyens à l’appui des dispositifs en vigueur !

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Cher collègue, l’Assemblée nationale et le Sénat se sont efforcés de caractériser le plus précisément possible la notion de « particulière dangerosité », afin d’éviter tout risque d’arbitraire.

Le texte de la commission garantit un équilibre à la fois opérationnel et sécurisant sur le plan constitutionnel. Or votre amendement tend à remettre en cause tout le travail que nous avons mené à cette fin.

En supprimant les caractères permettant d’établir la dangerosité d’une personne, vous laisseriez aux autorités judiciaires un très large pouvoir d’appréciation. Il me semble qu’une telle modification fragilise fortement la mesure sur le plan constitutionnel.

Je vous demande donc de bien vouloir retirer votre amendement. À défaut, j’émettrai un avis défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Monsieur le sénateur, votre amendement tend à supprimer la définition de la « particulière dangerosité » des personnes pouvant faire l’objet des nouvelles mesures de sûreté.

Cette définition me semble pourtant indispensable. En effet, la caractérisation de la dangerosité est un élément central du nouveau dispositif : elle permettra le prononcé de mesures restrictives de liberté à l’encontre de personnes qui ont fini d’exécuter leur peine à raison de la menace grave pour l’ordre public qu’elles représentent.

Aussi, il paraît nécessaire de définir le plus précisément possible comment cette dangerosité doit être appréciée par les juridictions qui devront se prononcer sur les nouvelles mesures de sûreté. J’émets donc un avis défavorable sur cet amendement.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.

M. Jean-Yves Leconte. Monsieur le garde des sceaux, je sollicite quelques précisions sur ce sujet, que j’ai déjà évoqué au cours de la discussion générale.

Pour caractériser les éléments de dangerosité, une procédure contradictoire sera sans doute organisée. Mais comment la garantir ? Comment s’assurer de son efficacité dès lors que certaines sources voudront être protégées ? (M. le garde des sceaux manifeste son désaccord.)

Une partie des informations permettant d’affirmer que la personne considérée représente effectivement un risque proviennent de nos services de renseignement. Or ces derniers ne voudront pas dévoiler leurs sources, exposer comment ils ont obtenu tel ou tel élément. De telles situations risquent de se répéter systématiquement. Aussi, quelle peut être l’efficacité de ce type de mesure ?

Je suis sûr que vous êtes attaché au principe du contradictoire et que vous voulez, comme nous, le garantir. Mais, dans ces conditions, cette mesure est mort-née et cet article n’a aucun sens !

Mme la présidente. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Monsieur le sénateur, des psychologues et des psychiatres mèneront tout de même une évaluation pendant une période de six semaines : ce travail offrira une base de réflexion pour caractériser la dangerosité d’une personne.

C’est d’ailleurs la procédure de droit commun : en matière criminelle, l’expertise psychiatrique et psychologique est obligatoire. Les conclusions du psychiatre, du psychologue ou des deux peuvent apporter un certain nombre d’éléments quant à la dangerosité de l’accusé.

Ensuite viennent le contradictoire et ce que dit l’intéressé lui-même. S’il reconnaît qu’il persiste dans son idéologie, sa dangerosité ne fait absolument plus débat !

Mme la présidente. La parole est à M. Éric Gold, pour explication de vote.

M. Éric Gold. Je retire mon amendement, madame la présidente !

Mme la présidente. L’amendement n° 3 rectifié bis est retiré.

L’amendement n° 1, présenté par Mmes Assassi, Benbassa et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :

Alinéa 17

Supprimer cet alinéa.

La parole est à Mme Michelle Gréaume.

Mme Michelle Gréaume. Mme Assassi, présidente de notre groupe, l’a souligné il y a quelques instants : l’alinéa 17 prévoit l’une des onze mesures de sûreté que peut ordonner la juridiction régionale de la rétention de sûreté sur réquisition du procureur de la République.

En vertu de ces dispositions, le condamné qui a purgé sa peine doit « se présenter périodiquement aux services de police ou aux unités de gendarmerie, dans la limite de trois fois par semaine ».

Bien d’autres dispositions sont contestables, sans parler de la logique globale du système qui nous est proposé. Mais il s’agit là, selon nous, d’une des mesures les plus attentatoires à nos libertés fondamentales, notamment à la liberté d’aller et venir.

Comment peut-on penser réinsérer dans notre société des individus condamnés pour de tels faits en les obligeant, possiblement pendant plusieurs années, à se rendre dans un commissariat pour justifier leur présence jusqu’à trois fois par semaine, soit pratiquement un jour sur deux ? Je le répète : il s’agit là d’un obstacle évident à la reprise d’une vie active et socialisante.

En outre, ce millefeuille de dispositions tantôt administratives tantôt judiciaires, allant des mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance, les Micas, au suivi socio-judiciaire en passant par les nouvelles mesures de sûreté que contient ce texte, nuit à la bonne compréhension du système dans sa globalité et de notre politique pénale en la matière.

Le Conseil d’État lui-même semble perplexe. Dans son avis, il indique : « Cette complexité peut aussi nuire à l’efficacité de l’action de l’État prise dans ses fonctions administratives et judiciaires, lorsqu’elle appelle l’intervention d’autorités ou de services différents, entre lesquels la nécessaire coopération reste à construire. »

Monsieur le garde des sceaux, il faudra que vous nous éclairiez de manière assez précise, qu’il s’agisse des subtilités qui différencient ces mesures ou de leur cohérence finale !

Pour ces raisons, nous demandons la suppression de l’alinéa 17.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Chère collègue, nous parlons de personnes condamnées pour terrorisme après avoir fait allégeance à une idéologie : ce n’est pas tout à fait rien.

À cet égard, le contrôle est essentiel. Bien sûr, nous souhaitons tous que ces personnes retrouvent le chemin d’une vie normale…

Mme Éliane Assassi. En pointant trois fois par semaine ?

Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Mais personne, a priori, ne peut mesurer le degré de déradicalisation : personne ne peut savoir dans quelle mesure les intéressés sont libérés de l’idéologie au nom de laquelle ils ont perpétré des actes que l’on ne peut pas oublier.

Seul un contrôle régulier impliquant la présence physique permet de savoir si la situation s’aggrave ou si elle s’améliore, à mesure que recule l’adhésion à cette idéologie.

Mme Éliane Assassi. Et le suivi psychologique ?

Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. C’est simplement de cela qu’il s’agit ! Bien entendu, nous sommes défavorables à cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Madame la sénatrice, cet amendement tend à supprimer l’obligation de pointage. Puis-je vous rappeler que cette mesure est toujours révisable à la demande de l’intéressé…

Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Exactement !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. … et que c’est un juge de l’ordre judiciaire qui statue ? Vous l’avez compris : je suis totalement défavorable à cette suppression.

Mme Éliane Assassi. Pourquoi trois fois par semaine ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. C’est un maximum !

Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Tout à fait !

Mme la présidente. La parole est à Mme Michelle Gréaume, pour explication de vote.

Mme Michelle Gréaume. Madame la rapporteure, je vous ai écoutée attentivement. Je comprends l’impératif de contrôle, mais il y a différents moyens de le mettre en œuvre. Si l’on veut qu’une personne soit véritablement réinsérée, on peut s’assurer de sa présence lorsqu’elle va travailler ou lorsqu’elle va suivre une formation !

Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Le contrôle s’adaptera !

Mme la présidente. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Madame la sénatrice, le travail effectif et la socialisation seront forcément pris en compte. Bien sûr, mieux vaut qu’un ancien islamiste radical se réinsère en travaillant plutôt que de rester dans l’oisiveté. Ce sont là des éléments objectifs, que le juge peut et doit évidemment prendre en considération !

Enfin, trois passages au commissariat par semaine, c’est un maximum ; la fréquence des pointages est révisable et soumise au contrôle d’un juge de l’ordre judiciaire.

Mme Éliane Assassi. Ça va être facile pour ces personnes de trouver un travail…

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 1.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme la présidente. L’amendement n° 4 rectifié bis, présenté par Mme M. Carrère, M. Collin, Mme Costes, MM. Castelli et Gold, Mme Laborde et MM. Requier, Roux, Artano et Jeansannetas, est ainsi libellé :

Alinéa 25, première phrase

Remplacer les mots :

de deux ans

par les mots :

d’un an

La parole est à M. Éric Gold.

M. Éric Gold. Cet amendement vise à rétablir la durée initiale des mesures de sûreté susceptibles d’être prononcées à l’issue de la peine : ce délai serait d’un an, comme prévu par les auteurs de la proposition de loi.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. La commission des lois du Sénat a procédé à l’allongement de ce délai, afin de rendre le dispositif plus opérationnel, et à la suite des auditions qu’elle a menées.

En effet, la durée d’un an imposerait pour ainsi dire d’engager la procédure de renouvellement de la mesure dès son prononcé, et avant même que ne puisse être appréciée l’évolution de la personne concernée : l’évaluation devrait être conduite dans de très brefs délais.

J’ajoute que la durée de deux ans ne semble pas disproportionnée par rapport aux dispositifs existants : la surveillance de sûreté peut ainsi être prononcée pour une durée initiale de deux ans.

Pour ces raisons, j’émets un avis défavorable sur cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Monsieur Gold, cet amendement vise à rétablir la durée initiale de la mesure de sûreté, soit un an.

La commission des lois du Sénat a fait le choix de porter ce laps de temps à deux ans. Si je comprends les préoccupations opérationnelles qui l’ont conduite à retenir ce délai, je pense qu’une telle augmentation pourrait fragiliser la solidité juridique du dispositif.

D’un point de vue opérationnel, les mesures de sûreté ne pourront être renouvelées qu’après une évaluation pluridisciplinaire de la dangerosité de la personne condamnée et à l’issue d’un débat contradictoire, au cours duquel celle-ci sera obligatoirement assistée d’un avocat.

Il s’agit bel et bien de contraintes pour l’administration pénitentiaire et pour l’autorité judiciaire. Néanmoins, le renouvellement régulier de la mesure par l’autorité judiciaire est une garantie importante ; il assure un équilibre entre la prévention des atteintes à l’ordre public et le principe selon lequel la liberté personnelle ne saurait être entravée par une rigueur non nécessaire.

À titre de comparaison, les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance, qui ont été déclarées conformes à la Constitution, sont prononcées pour une durée initiale de trois mois.

Pour ces raisons, je suis favorable à cet amendement.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.

M. Jean-Yves Leconte. J’ai assisté aux auditions organisées par Mme la rapporteure, et je comprends pourquoi elle a voulu porter à deux ans la durée dont il s’agit. Je n’entends pas défendre cette disposition après les considérations que j’ai développées au cours de la discussion générale, mais – je le reconnais – elle traduit une certaine logique.

On nous a expliqué que, pour prolonger d’une année une mesure de sûreté dont la durée initiale était d’un an, il fallait en réalité engager la demande de renouvellement dans les deux ou trois mois suivant la libération de la personne. Cette procédure est effectivement très compliquée… Mais ce constat prouve également que le système conçu est complètement bancal. (M. le garde des sceaux manifeste son incompréhension.)

Monsieur le garde des sceaux, je vous ai interrogé il y a quelques instants au sujet de la dangerosité. De nombreux témoignages concordent : dans le cas des délinquants sexuels, l’évaluation psychiatrique prévue à ce titre peut être jugée pertinente. Mais, dans le cas d’anciens condamnés pour terrorisme, ce n’est pas si simple : d’autres éléments d’information méritent d’être pris en compte.

En définitive, le débat que suscite cet amendement souligne la fragilité du dispositif. De telles mesures imposent de nombreuses contraintes, elles heurtent de front nos principes républicains et notre État de droit : on ne peut pas compter sur elles pour assurer une meilleure sécurité !

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie, pour explication de vote.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Nous devons avoir bien présente à l’esprit la temporalité dans laquelle nous nous trouvons : c’est au cours de la détention que l’examen a lieu.

Monsieur le garde des sceaux, vous avez fait référence à une expertise. Vos propos m’ont troublée, car, sauf erreur de ma part, il n’y a pas d’expertise ! C’est là tout le problème. Une nébuleuse d’indications permet éventuellement aux magistrats de faire telle ou telle supposition, mais l’objectivation de la circonstance soulève de grandes difficultés.

Cet amendement tend à réduire à un an la durée initiale des mesures de sûreté. À mon sens, c’est normal. En vertu du présent texte, qui est déjà complexe, il faudra s’appuyer sur des « éléments actuels et circonstanciés » ; de telles informations ne se recueillent pas au bout de deux ans. De plus, faute d’expertise, l’on prendra pour base le témoignage des chefs de détention.

Cette opération sera bel et bien assez complexe. Nous devons absolument réduire à un an le délai dont il s’agit, car – vous l’avez dit vous-même – il faudra garantir un réexamen régulier et contradictoire de la situation.

Mme la présidente. La parole est à M. Arnaud de Belenet, pour explication de vote.

M. Arnaud de Belenet. Je voterai cet amendement, même si je comprends l’objectif de la commission – l’efficacité et l’opérationnalité –, qui est tout à fait légitime.

En outre, M. Leconte le souligne avec raison : il ne faudrait pas que ce texte soit déclaré inconstitutionnel. Or, avec cet amendement, le principe de proportionnalité me semble consolidé.

Aussi, je m’étonne : à la tribune, au cours de la discussion générale, l’on évoque la perspective d’un recours devant le juge constitutionnel, puis on tergiverse lorsque le garde des sceaux émet un avis favorable sur cet amendement, qui tend à sécuriser constitutionnellement le dispositif !

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 4 rectifié bis.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 1er.

(Larticle 1er est adopté.)

Article 1er
Dossier législatif : proposition de loi instaurant des mesures de sûreté à l'encontre des auteurs d'infractions terroristes à l'issue de leur peine
Article 1er bis (nouveau)

Article additionnel après l’article 1er

Mme la présidente. L’amendement n° 2, présenté par Mmes Assassi, Benbassa et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :

Après l’article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le Gouvernement remet au Parlement, dans un délai d’un an, un rapport analysant et évaluant la mise en œuvre des quartiers d’évaluation de la radicalisation et des quartiers de prise en charge de la radicalisation. Ce rapport s’attache également à dresser des propositions d’améliorations des dispositifs en question.

La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. À compter de 2016, six quartiers d’évaluation de la radicalisation, ou QER, répartis sur l’ensemble du territoire français, ont été institués. À ce titre, une évaluation de quatre mois est prévue, pendant lesquels il est procédé à de longs entretiens : éducateurs, psychologues, référents religieux et conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation interviennent, afin de croiser les regards sur la situation et l’évolution des condamnés.

Dans ce cadre, l’ensemble des personnels de l’administration pénitentiaire participent à des formations spécifiques dédiées à la radicalisation violente. Le but est d’évaluer le niveau d’honnêteté du détenu et sa potentielle capacité de dissimulation, laquelle est fréquemment observée chez les personnes radicalisées. Viennent ensuite l’évaluation du niveau de dangerosité, la probabilité de passage à un acte violent et le niveau de prosélytisme.

À la suite de ces évaluations, les personnes ancrées dans un processus de radicalisation violente, présentant une forte imprégnation idéologique et prosélytes sont affectées en quartier de prise en charge de la radicalisation, ou QPR. Une frontière étanche sépare ces quartiers du reste de la détention. J’ajoute que les QPR regroupent 15 % des détenus des QER.

Il s’agit là d’un dispositif élaboré, dont les rouages semblent bien huilés. Pourtant, on nous propose aujourd’hui de mettre en place de nouveaux sas d’observation ; on y évaluerait les détenus pendant six semaines, afin de déterminer leur niveau de dangerosité et les mesures de sûreté qui leur seront assignées lorsqu’ils ne seront plus écroués.

Au regard de la teneur de cette proposition de loi, les QER comme les QPR n’atteignent manifestement pas leur finalité. Autrement dit, ces mesures de sûreté semblent symptomatiques de l’échec de la mise en œuvre de ces quartiers dans nos centres pénitentiaires depuis 2016.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Si nous savions exactement comment faire, nous ne serions pas là…

Mme Esther Benbassa. Qu’en est-il réellement ? C’est ce que nous souhaitons comprendre en demandant la remise d’un rapport au Parlement. Un tel document nous permettrait de dresser les causes de cet échec. Nous pourrions ainsi en tirer toutes les conséquences pour l’avenir et améliorer le système dans son ensemble !

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Chère collègue, c’est vrai : nous sommes un certain nombre à nous interroger sur ces fameux QER. Nous ne disposons pas de toutes les données sur ce sujet. Néanmoins – c’est la position de la commission –, les remises de rapports ne constituent pas le meilleur moyen, pour le Parlement, d’exercer son pouvoir de contrôle. J’émets donc un avis défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Madame la sénatrice, avec cet amendement, vous prévoyez la remise par le Gouvernement au Parlement d’un rapport analysant et évaluant la mise en œuvre des quartiers d’évaluation de la radicalisation et des quartiers de prise en charge de la radicalisation.

De manière générale, le Gouvernement n’est pas favorable à la multiplication des rapports. Le Parlement dispose déjà de multiples moyens d’information et de contrôle de l’activité du Gouvernement. En conséquence, je suis défavorable à cet amendement.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Très bien !

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 2.

(Lamendement nest pas adopté.)

Article additionnel après l'article 1er - Amendement n° 2
Dossier législatif : proposition de loi instaurant des mesures de sûreté à l'encontre des auteurs d'infractions terroristes à l'issue de leur peine
Article 2

Article 1er bis (nouveau)

L’article 230-19 du code de procédure pénale est complété par un 19° ainsi rédigé :

« 19° Les obligations ou interdictions prononcées en application des 3°, 4°, 4° bis, 6°, 7° et 7° bis du I de l’article 706-25-15. » – (Adopté.)

Article 1er bis (nouveau)
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Article 3 (nouveau)

Article 2

L’article 421-8 du code pénal est ainsi modifié :

1° Les mots : « peuvent également être » sont remplacés par le mot : « sont » ;

2° Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :

« Toutefois, la juridiction peut, par une décision spécialement motivée, décider de ne pas prononcer cette peine, en considération des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur. » – (Adopté.)

Article 2
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Explications de vote sur l'ensemble (début)

Article 3 (nouveau)

Au premier alinéa de l’article 804 du code de procédure pénale, la référence : « n° 2019-1480 du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille » est remplacée par la référence : « n° … du … instaurant des mesures de sûreté à l’encontre des auteurs d’infractions terroristes à l’issue de leur peine ».

Mme la présidente. L’amendement n° 5, présenté par Mme Eustache-Brinio, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet article :

Le premier alinéa de l’article 804 du code de procédure pénale est ainsi rédigé :

« Le présent code est applicable, dans sa rédaction résultant de la loi n° …. du …. instaurant des mesures de sûreté à l’encontre des auteurs d’infractions terroristes à l’issue de leur peine, en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et dans les îles Wallis et Futuna, sous réserve des adaptations prévues au présent titre et aux seules exceptions : ».

La parole est à Mme la rapporteure.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Cet amendement de coordination tend à tenir compte de l’entrée en vigueur de la proposition de loi visant à protéger les victimes de violences conjugales, texte dont nous venons de débattre longuement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Favorable !

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 5.

(Lamendement est adopté.)

Mme la présidente. En conséquence, l’article 3 est ainsi rédigé.

Vote sur l’ensemble

Article 3 (nouveau)
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Explications de vote sur l'ensemble (fin)

Mme la présidente. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Sueur. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, oui, nous voulons tous lutter contre le terrorisme. Toutefois, pour notre part, nous récusons la démagogie, dans laquelle on peut facilement tomber au sujet de la politique carcérale.

On a beaucoup évoqué le bracelet électronique. À ce titre, nous sommes tous d’accord sur un point : le bracelet électronique ne peut exister que si la personne condamnée consent à le porter. Si elle dit non, ce moyen n’a pas d’effet. Il n’existe tout simplement pas.

D’autres dispositions sont détaillées, comme l’obligation de se présenter au commissariat ou à la gendarmerie, mais elles sont déjà prévues au titre des mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance, les Micas. M. le président de la commission a rappelé leur existence en insistant sur leur sévérité. Sans doute le Gouvernement les reconduira-t-il.

En définitive, que reste-t-il ? Qui peut dire avec certitude que, parce qu’une personne ira pointer au commissariat le lundi, elle ne commettra pas tel délit ou tel crime le mardi ou le mercredi ?

M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le garde des sceaux, tout cela est compliqué, et vous le savez bien.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Certes, mais il faut décider !

M. Jean-Pierre Sueur. Selon nous, le vrai chemin est très difficile, mais il existe. Il passe par l’accompagnement des personnes qui sortent de prison,…

Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Nous l’avons dit !

M. Jean-Pierre Sueur. … quelles qu’elles soient, et, en conséquence, par la préparation à la sortie. En outre, il faut donner davantage de moyens aux services de renseignement : n’ayons pas peur de le dire.

Mes chers collègues, le meilleur moyen d’éviter la récidive en matière de terrorisme, c’est le renseignement. Ne nous racontons pas d’histoires !

Enfin, il faut véritablement se consacrer à la condition pénitentiaire pour mener à bien la déradicalisation en prison. Actuellement, c’est le contraire qui se passe, et nous le savons tous.

M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le garde des sceaux, vous avez décrit les décennies de réflexion que vous avez consacrées à la justice comme un cheminement. J’ai un peu peur que vous n’ayez dernièrement pris un raccourci, mais je salue votre réflexion dans son ensemble et je suis sûr que vous la prolongerez. Vous le savez mieux que quiconque : pour traiter de tels enjeux, le chemin est long et difficile !

Mme la présidente. La parole est à M. Arnaud de Belenet, pour explication de vote.

M. Arnaud de Belenet. Mes chers collègues, il y a quelques années, alors qu’il était Président de la République, François Hollande disait à propos des mesures de sûreté prises à l’encontre des pédophiles : « Il est inconcevable que des récidivistes en puissance se promènent dans la nature. »

Pour ma part, je ne conçois pas non plus que des terroristes récidivistes en puissance se baladent dans la nature. Ce texte contribue à la sécurité du pays. Il reste sur la ligne de crête. Ses dispositions sont équilibrées : ne nous racontons pas d’histoires, votons-le !

Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?…

Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble de la proposition de loi instaurant des mesures de sûreté à l’encontre des auteurs d’infractions terroristes à l’issue de leur peine.

(La proposition de loi est adoptée.) – (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM ainsi que sur des travées des groupes UC, Les Républicains et RDSE.)

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Très bien !

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de loi instaurant des mesures de sûreté à l'encontre des auteurs d'infractions terroristes à l'issue de leur peine
 

9

Ordre du jour

Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, mercredi 22 juillet 2020 :

À quinze heures :

Questions d’actualité au Gouvernement.

À seize heures trente et le soir :

Deux conventions internationales examinées selon la procédure d’examen simplifié :

- Projet de loi autorisant l’approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française, la région flamande et la région wallonne relative à l’aménagement de la Lys mitoyenne entre Deûlémont en France et Menin en Belgique (procédure accélérée ; texte de la commission n° 640, 2019-2020) ;

- Projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Conseil fédéral suisse relatif à la coopération bilatérale en matière d’instruction militaire (texte de la commission n° 644, 2019-2020) ;

Projet de loi autorisant l’approbation de l’avenant à la convention du 20 mars 2018 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Grand-Duché de Luxembourg en vue d’éviter les doubles impositions et de prévenir l’évasion et la fraude fiscales en matière d’impôts sur le revenu et la fortune (texte de la commission n° 638, 2019-2020) ;

Nouvelle lecture du projet de loi de règlement du budget et d’approbation des comptes de l’année 2019 (texte n° 653, 2019-2020) ;

Conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi permettant d’offrir des chèques-vacances aux personnels des secteurs sanitaire et médico-social en reconnaissance de leur action durant l’épidémie de covid-19 (texte de la commission, n° 589, 2019-2020)

Nouvelle lecture du projet de loi organique relatif à la dette sociale et à l’autonomie (texte n° 655, 2019-2020) et nouvelle lecture du projet de loi relatif à la dette sociale et à l’autonomie (texte n° 656, 2019-2020).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures quinze.)

 

nomination de membres dune éventuelle commission mixte paritaire

La liste des candidats désignés par la commission des lois pour faire partie de léventuelle commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi instaurant des mesures de sûreté à lencontre des auteurs dinfractions terroristes à lissue de leur peine a été publiée conformément à larticle 8 quater du règlement.

Aucune opposition ne sétant manifestée dans le délai dune heure prévu par larticle 8 quater du règlement, cette liste est ratifiée. Les représentants du Sénat à cette éventuelle commission mixte paritaire sont :

Titulaires : M. Philippe Bas, Mmes Jacqueline Eustache-Brinio, Jacky Deromedi, M. Philippe Bonnecarrère, Mme Marie-Pierre de la Gontrie, MM. Jean-Yves Leconte et Arnaud de Belenet ;

Suppléants : Mmes Catherine Di Folco, Marie Mercier, Catherine Troendlé, MM. Yves Détraigne, Jacques Bigot, Mmes Maryse Carrère et Esther Benbassa.

 

Pour la Directrice des comptes rendus du Sénat,

ÉTIENNE BOULENGER

Chef de publication