Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie Mercier, rapporteur. Actuellement, l’identité d’emprunt peut bénéficier à des personnes victimes d’un réseau de proxénétisme, de traite des êtres humains ou à des « repentis », qui ont empêché la réalisation d’un crime ou d’un délit. Ces personnes peuvent en effet craindre des représailles de la part de criminels agissant en bande organisée.
Il est vrai que certaines victimes de violences conjugales peuvent craindre d’être victimes de représailles de la part de leur conjoint, notamment au moment du dépôt de plainte.
Il nous semble cependant que d’autres dispositifs, comme le bracelet anti-rapprochement, peuvent leur offrir une protection plus appropriée que le recours à une identité d’emprunt, qui doit rester exceptionnel et impose à la victime un changement de vie absolument considérable.
L’avis de la commission est donc défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 73.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Article 7 bis
(Non modifié)
Le a de l’article 311-12 du code pénal est complété par les mots : « ou de télécommunication ». – (Adopté.)
Articles additionnels après l’article 7 bis
Mme la présidente. L’amendement n° 1 rectifié, présenté par MM. Brisson, Dallier, Pointereau et Milon, Mme Gruny, M. Segouin, Mme de Cidrac, M. Piednoir, Mme Garriaud-Maylam, MM. Rapin et Savin, Mmes Lherbier et Deseyne, M. Pierre, Mme Lamure, M. Saury, Mme Raimond-Pavero, M. Bonne, Mmes Delmont-Koropoulis, Bonfanti-Dossat et L. Darcos, MM. Le Gleut, Dufaut, Sido, Vogel, Bouchet et Lefèvre, Mmes Lopez, Boulay-Espéronnier et Morhet-Richaud, M. Bascher, Mmes Lassarade et Richer, M. Frassa, Mmes Puissat, Duranton et Berthet, MM. Laménie, Cuypers et Magras, Mme Deroche, M. Grand, Mmes Deromedi, Canayer et Noël et M. D. Laurent, est ainsi libellé :
Après l’article 7 bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après le a de l’article 311-12 du code pénal, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« …) Lorsque le vol porte sur des objets ou des documents qui entravent la liberté de déplacement ; ».
La parole est à M. Max Brisson.
M. Max Brisson. Le vol commis au préjudice de son conjoint, sauf lorsque les époux sont séparés de corps et autorisés à résider séparément, ne peut donner lieu à des poursuites pénales. Une seule exception existe jusqu’à présent, à savoir le vol portant sur des objets ou des documents indispensables à la vie quotidienne de la victime, tels que des documents d’identité ou des moyens de paiement.
L’article 7 bis, introduit à l’Assemblée nationale, prévoit que le vol commis par une personne à l’égard de son conjoint et portant sur ses moyens de télécommunication peut donner lieu à des poursuites pénales.
Cet amendement vise à élargir ce champ, afin que les entraves à la liberté de se déplacer, comme le vol de clés de voiture par l’un des conjoints au préjudice de la victime de violences conjugales, puissent également faire l’objet de poursuites pénales.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie Mercier, rapporteur. Cet amendement vise à modifier l’article 311-12 du code pénal, qui prévoit une immunité familiale concernant les vols commis entre conjoints ou entre descendants et ascendants. Cette immunité familiale ne s’applique cependant pas aux objets ou documents indispensables à la vie quotidienne des victimes.
Mon cher collègue, il semble donc que votre amendement est satisfait. Le vol de clés de voiture ou d’une carte d’abonnement à un réseau de transports en commun porte sur des objets indispensables à la vie quotidienne et pourrait donc être poursuivi.
Si le Gouvernement partage mon interprétation, je vous invite donc à retirer cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Monsieur le sénateur, l’immunité prévue à l’article 311-12 du code pénal vise les époux, et seulement les époux, car le code civil dispose que chacun d’eux a le pouvoir d’administrer seul les biens communs et d’en disposer, sauf à répondre des fautes qu’il aurait commises dans sa gestion.
S’il est aisé de démontrer que l’usage d’un papier d’identité par un conjoint qui n’en est pas titulaire peut avoir un caractère frauduleux, il est en revanche plus délicat de soutenir qu’un conjoint qui se comporterait comme le maître et le possesseur d’un véhicule appartenant à la communauté commettrait un vol. Cette notion de liberté de déplacement, qui pourrait recouvrir une longue liste d’objets susceptibles d’appartenir à la communauté, trouverait donc très difficilement à s’appliquer.
Il me semble que les contestations que vous évoquez trouvent leur solution naturelle auprès du juge civil lors de la séparation des époux.
Par ailleurs, la rédaction de cet amendement aboutirait au contraire de l’objectif visé, puisqu’elle réprime non pas le vol des objets nécessaires au déplacement de la personne, mais le vol des objets qui entraveraient la liberté de déplacement.
Pour ces différentes raisons, j’émets un avis défavorable.
Mme la présidente. Monsieur Brisson, l’amendement n° 1 rectifié est-il maintenu ?
M. Max Brisson. Je suis prêt à retirer l’amendement, mais l’article 7 bis introduit bien le vol commis par une personne à l’égard de son conjoint portant sur des moyens de communication ; je voulais simplement en élargir le champ.
Après avoir écouté attentivement la rapporteur et la garde des sceaux, je le retire, madame la présidente.
Mme la présidente. L’amendement n° 1 rectifié est retiré.
L’amendement n° 63, présenté par Mmes Lepage et de la Gontrie, M. Jacques Bigot, Mmes Rossignol, Meunier, Harribey, Artigalas, Monier, M. Filleul, Lubin et Blondin, MM. Fichet, Houllegatte et les membres du groupe socialiste et républicain et apparentés, est ainsi libellé :
I. – Après l’article 7 bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après le 3° du I de l’article 15 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-129 du 23 décembre 1986, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« …° Pour le locataire ayant déposé plainte pour violences conjugales ou titulaire d’une ordonnance de protection ; ».
II. – En conséquence, faire précéder cet article d’une division additionnelle et de son intitulé ainsi rédigés :
Chapitre …
Dispositions relatives au logement
La parole est à Mme Claudine Lepage.
Mme Claudine Lepage. Les victimes de violences conjugales peuvent souhaiter quitter le logement familial le plus rapidement possible, afin d’échapper aux coups de leur agresseur.
Cet amendement a pour objet de les y aider en prévoyant pour les victimes locataires une nouvelle possibilité de réduction du délai de préavis à un mois au lieu de trois. Une telle réduction du délai de préavis est déjà prévue pour pallier certaines vulnérabilités financières liées à la santé ou encore à l’emploi.
Je pense que nous sommes tous d’accord, dans cet hémicycle, pour considérer que les victimes de violences intrafamiliales sont en situation de vulnérabilité. Il me semblerait logique d’accorder à tout locataire victime de telles violences un délai de préavis réduit, afin qu’il puisse quitter son logement au plus vite.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie Mercier, rapporteur. Nous partageons vos préoccupations, ma chère collègue. L’amendement a un champ très restreint, celui d’un logement qui n’est pas situé dans une zone tendue et occupé par la victime seule.
La commission a donc émis un avis favorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Votre amendement, madame la sénatrice, vise à faire bénéficier la locataire victime de violences conjugales d’un délai de préavis de congé réduit sur la base d’un dépôt de plainte ou de la délivrance d’une ordonnance de protection. Il est évidemment tout à fait bien intentionné, et j’en comprends la logique, mais il existe déjà des mesures qui permettent aux victimes de violences conjugales de quitter le logement.
Par exemple, lorsqu’elles doivent quitter le logement en raison des violences exercées au sein du couple ou sur les enfants, la loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dite loi Élan, est venue renforcer leur protection en mettant fin à la clause de solidarité entre les cotitulaires du bail. La question du préavis, dès lors, ne se pose plus.
Les victimes bénéficient également des cas prévus dans la loi de 1989 pour un délai de préavis réduit, notamment lorsqu’elles quittent leur logement pour un logement social.
Par ailleurs, le dépôt d’une plainte n’est pas une décision de justice permettant de sécuriser le fait générateur d’une telle mesure dérogatoire au droit commun.
Telles sont les raisons pour lesquelles je suis défavorable à cet amendement.
Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l’article 7 bis.
L’amendement n° 64, présenté par Mmes Lepage et de la Gontrie, M. Jacques Bigot, Mmes Rossignol, Meunier, Harribey, Artigalas, Monier, M. Filleul, Lubin et Blondin, MM. Fichet, Houllegatte et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
I. – Après l’article 7 bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Au premier alinéa des I et II de l’article 15 de la loi n° 2019-1480 du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille, après le mot : « familiales », sont insérés les mots : « , dans le cadre d’une procédure pénale ou d’une procédure liée à une séparation ».
II – En conséquence, faire précéder cet article d’une division additionnelle et de son intitulé ainsi rédigés :
Chapitre…
Dispositions relatives au logement
La parole est à Mme Claudine Lepage.
Mme Claudine Lepage. L’hébergement des victimes de violences conjugales est une problématique constante.
La loi du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille a mis en place un dispositif ouvrant la possibilité à des organismes déclarés de louer des habitations à loyer modéré, afin de les sous-louer aux victimes de violences conjugales.
Toutefois, le dispositif est réservé aux décisions prises dans le cadre d’un divorce ou d’une ordonnance de protection. Une telle limitation exclut un grand nombre de victimes.
Le nombre d’ordonnances de protection délivrées chaque année révèle la quasi-impossibilité d’appliquer cette mesure. D’après les chiffres que vous nous avez fournis hier, madame la garde des sceaux, seulement 2 600 ordonnances de protection ont été délivrées l’année dernière, contre, par exemple, plus de 20 000, soit dix fois plus, en Espagne.
Par ailleurs, les violences conjugales ne sont malheureusement pas l’apanage des couples mariés. Le fléau touche tous les modèles familiaux.
C’est pourquoi le présent amendement vise à étendre cette possibilité d’hébergement des victimes de violences conjugales aux concubins en intégrant au dispositif les procédures de séparation. Il a également pour objet une extension en cas de condamnation pénale, afin d’inclure les personnes ayant entamé des procédures seulement au pénal, mais pas encore au civil.
Je souhaite que toutes les victimes de violences conjugales puissent être hébergées et sortir au plus vite de l’enfer qu’elles vivent.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie Mercier, rapporteur. La loi du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille a créé deux expérimentations relatives au logement d’une durée de trois ans. La première permet la sous-location à titre temporaire de logements du parc locatif social. La seconde ouvre un dispositif d’aide personnalisée d’accès au logement.
Ces deux expérimentations devraient débuter ce mois-ci ; Mme la garde des sceaux pourra peut-être nous le confirmer. Elles auront une durée de trois ans et donneront lieu à un rapport d’évaluation. Elles sont réservées aux personnes victimes de violences ayant obtenu une ordonnance de protection.
Cet amendement vise à élargir les expérimentations aux personnes en cours de procédure pénale ou de séparation. Or une expérimentation a pour objet de pouvoir tester un nouveau mécanisme auprès d’une population bien définie, qui peut être déjà relativement large, puisque le recours aux ordonnances de protection s’accroît ; il y en a eu 4 000.
Il semble nécessaire de mener l’expérimentation à bien avant d’en tirer les enseignements et, éventuellement, de l’étendre.
La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Comme l’a rappelé Mme la rapporteure, le dispositif prévu par la loi du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille, dite « loi Pradié », est expérimental et, à ce titre, extrêmement intéressant. Un bilan sera réalisé le moment venu. Il ne paraît pas opportun d’étendre aujourd’hui une telle mesure aux hypothèses de procédure pénale ou de séparation ; à ce stade, ce serait excessif.
Par ailleurs, madame la sénatrice, les chiffres de délivrance des ordonnances de protection, même s’ils ne sont pas suffisants, sont plus élevés que ceux que vous indiquez ; sans doute m’étais-je mal exprimée. Il y a eu 3 300 ordonnances de protection en 2018 et 3 930 en 2019.
J’émets donc, moi aussi, un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente-cinq.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures cinq, est reprise à vingt et une heures trente-cinq, sous la présidence de Mme Valérie Létard.)
PRÉSIDENCE DE Mme Valérie Létard
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
3
Mise au point au sujet de votes
Mme la présidente. La parole est à Mme Dominique Vérien.
Mme Dominique Vérien. Madame la présidente, je suis certaine que vous approuverez cette mise au point : sur les scrutins nos 117, 118, 119 et 120, Mme Valérie Létard souhaitait voter pour. (Sourires.)
Mme la présidente. Acte vous est donné de votre mise au point, ma chère collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique des scrutins concernés.
4
Protection des victimes de violences conjugales
Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Mme la présidente. Nous reprenons la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à protéger les victimes de violences conjugales.
Dans la discussion du texte de la commission, nous en sommes parvenus à l’article 8.
Chapitre V
Dispositions relatives au secret professionnel
Article 8
L’article 226-14 du code pénal est ainsi modifié :
1° Le 3° devient un 4° ;
2° Le 3° est ainsi rétabli :
« 3° Au médecin ou à tout autre professionnel de santé qui porte à la connaissance du procureur de la République une information relative à des violences exercées au sein du couple relevant de l’article 132-80 du présent code, lorsqu’il estime en conscience que ces violences mettent la vie de la victime majeure en danger immédiat et que celle-ci n’est pas en mesure de se protéger en raison de la contrainte morale résultant de l’emprise exercée par l’auteur des violences. Le médecin ou le professionnel de santé doit s’efforcer d’obtenir l’accord de la victime majeure ; en cas d’impossibilité d’obtenir cet accord, il doit l’informer du signalement fait au procureur de la République ; ».
Mme la présidente. La parole est à Mme Michelle Meunier, sur l’article.
Mme Michelle Meunier. Madame la présidente, madame, monsieur les secrétaires d’État, mes chers collègues, le chapitre V est essentiel dans la lutte contre les violences conjugales et pour la protection des victimes.
Il s’agit de permettre une meilleure prise en charge judiciaire via un meilleur signalement des suspicions de violences, afin que les agresseurs ne bénéficient pas de plus longues complaisances. Ce signalement au procureur, qui est effectué par les médecins et les professionnels de santé, doit être dérogatoire au secret professionnel.
L’article 8 clarifie un point : le médecin qui signale auprès du procureur des violences au sein du couple ne commet pas d’atteinte au secret professionnel, qui est habituellement punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. Je ne pense pas que cela entache la confiance entre la victime qui consulte et le généraliste.
Il me semble au contraire urgent de rétablir la hiérarchie des secrets.
D’un côté, le secret de la violence, qui est confiné au sein du foyer familial, est un secret destructeur.
De l’autre, lorsque cette violence est enfin perçue ou palpable au sein du cabinet médical, le secret du médecin qui se bornerait à soigner et à panser les plaies, mais sans accompagner la victime vers un horizon plus protecteur préserve l’agresseur. Il lui permet de recommencer à humilier, anéantir, frapper, violer. Ce secret doit s’effacer. L’enjeu, c’est le lien de confiance, non plus entre une patiente et un médecin, mais entre la victime et le reste de la société, celle qui soigne comme celle qui juge et qui punit.
Protégeons aussi les enfants, qui – cela a été souligné – sont « co-victimes » des violences conjugales. Ils entendent les humiliations et se construisent durablement dans l’idée que l’un des deux parents domine l’autre par la coercition, la menace, la force. Ils assistent aux brutalités. Ils les subissent directement parfois ou s’interposent. Placés dans le rôle de l’arbitre ou du témoin, ils sont les détenteurs d’un secret. Ils se savent menacés, s’ils révélaient le drame familial.
Nous devons faire primer la révélation du secret par le médecin ou le professionnel de santé, qui ne risque rien, pour protéger l’enfant victime. En effet, ainsi que le démontrent depuis tant d’années des magistrats comme Édouard Durand, protéger la mère, c’est protéger l’enfant.
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, le 3 septembre dernier, le Premier ministre, avec Mme la secrétaire d’État, a lancé le Grenelle contre les violences conjugales, sur la base d’un constat terrible que vous connaissez : en 2018, quelque 149 personnes, soit 121 femmes et 28 hommes, sont décédées sous les coups de leur conjoint. Cette situation n’est pas acceptable, et elle n’est pas une fatalité. C’est tout le sens de nos discussions d’aujourd’hui.
L’article 8 de la proposition de loi est directement issu des travaux du Grenelle. Il a été travaillé en lien étroit avec les associations de victimes et les représentants des professionnels de santé. Son objet n’est pas, comme nous avons pu l’entendre, de lever le secret médical ; il s’agit simplement de ne pas pénaliser les médecins, qui pourraient être hésitants sans cela, en cas de signalement au procureur de la République lorsqu’une vie est en danger.
Nous entendons évidemment les réserves qui ont pu être exprimées sur le sujet. Elles sont tout à fait légitimes au regard des situations de grande souffrance et de détresse que traversent les victimes de violences conjugales. Mais qui peut se satisfaire que 5 % seulement des déclarations soient réalisées par des professionnels de santé, alors que ceux-ci sont en première ligne pour prendre soin des victimes ?
Le secret médical – c’est aussi vrai, plus largement, du secret professionnel – n’est évidemment pas un sujet à prendre à la légère. Il fonde cette relation singulière de confiance d’un patient envers son médecin, liée au serment d’Hippocrate : « Admis dans l’intimité des personnes, je tairai les secrets qui me seront confiés. Reçu à l’intérieur des maisons, je respecterai les secrets des foyers […]. »
Ce texte n’altère en rien le secret médical. Le code de la santé publique n’est pas modifié. Le code de déontologie médicale est évidemment maintenu. Et la confiance d’une victime envers le professionnel de santé est ainsi préservée.
Il est proposé dans cet article de respecter une autre partie du serment d’Hippocrate, peut-être moins connue : « J’interviendrai pour protéger [les personnes] si elles sont affaiblies, vulnérables ou menacées dans leur intégrité ou leur dignité. »
Ainsi, l’article 8 prévoit, sans modifier le secret professionnel, de ne pas sanctionner le praticien qui fait un signalement au procureur de la République lorsque la vie de la victime est en danger immédiat. Il est issu des discussions avec l’ensemble des parties prenantes, notamment avec l’ordre des médecins, qui, dans un communiqué du 18 décembre 2019, a d’ailleurs publiquement soutenu la rédaction proposée pour l’article 226-14 du code pénal.
Une telle disposition protège à la fois les professionnels de santé, qui, jusque-là, pouvaient hésiter à effectuer des signalements, et les victimes de violences conjugales, pour éviter les scénarios du pire. C’est ce qui fondera notre avis défavorable sur l’amendement de suppression et qui guidera nos prises de position sur les autres amendements.
Mme la présidente. L’amendement n° 13 rectifié, présenté par Mmes Benbassa, Cohen, Prunaud, Apourceau-Poly et Assassi, M. Bocquet, Mmes Brulin et Cukierman, MM. Gay et Gontard, Mme Gréaume, M. P. Laurent, Mme Lienemann et MM. Ouzoulias et Savoldelli, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Nul ne peut nier l’effet délétère de l’emprise psychologique dans un couple, notamment lorsqu’elle est nourrie par la peur et les pressions morales.
Pour de nombreuses victimes de violences conjugales, la première étape est celle du déni. Une personne battue par le conjoint ou compagnon dont elle est amoureuse refuse souvent de se considérer comme une victime. Elle finit d’ailleurs bien souvent par s’estimer responsable des attitudes violentes de son compagnon à son égard. Cependant, les victimes se rendent parfois dans les hôpitaux pour faire constater et soigner leurs blessures.
Nous ne souhaitons pas que le médecin, comme le prévoit l’article 8, soit autorisé à dénoncer les actes de violence qu’il a pu constater sur sa patiente auprès du procureur de la République. Nous estimons en effet qu’une telle atteinte au secret médical pourrait se révéler contre-productive et pousser les victimes de violences conjugales à renoncer aux soins médicaux. Il est impératif que le lien de confiance existant entre les patients et le personnel soignant soit maintenu.
C’est pourquoi le présent amendement vise à supprimer l’article 8.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie Mercier, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Ainsi que M. le secrétaire d’État l’a expliqué, le serment d’Hippocrate est quelque chose de très particulier. Quand vous prêtez serment, on vous donne une sorte de toge. Dans mon cas, je me souviens – cela m’avait marquée – qu’elle était usée et crasseuse : nombre de pairs, de confrères, m’avaient précédée.
Prêter ce serment, cela a vraiment une signification : « Mes yeux ne verront pas » ce qui se passe à l’intérieur des maisons. Le secret demeure, afin de protéger non pas le médecin, mais le patient, et de garder ce lien un peu mystérieux qui se tisse au fil des consultations et des années. Il permet de respecter la parole donnée.
Supprimer l’article 8 serait vraiment contraire à la position de la commission. Nous avons amélioré le dispositif, pour que le secret entre le patient et le médecin soit maintenu. C’est une protection.
La loi prévoit la possibilité de déroger au secret médical lorsque c’est indispensable à la survie du patient. Cela ne nous pose évidemment aucun souci. Mais la crainte que vous exprimez ne me paraît pas justifiée. Cet amendement n’a pas véritablement de sens, car il ne tend pas à élargir considérablement le champ du secret.
Par conséquent, la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Avis défavorable, pour les raisons que j’ai exposées précédemment.
Mme la présidente. L’amendement n° 14 rectifié, présenté par Mmes Benbassa, Cohen, Prunaud, Apourceau-Poly et Assassi, M. Bocquet, Mmes Brulin et Cukierman, MM. Gay et Gontard, Mme Gréaume, M. P. Laurent, Mme Lienemann et MM. Ouzoulias et Savoldelli, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
L’article L. 1111-17 du code de la santé publique est complété par un paragraphe ainsi rédigé :
« …. – Le professionnel de santé qui a l’intime conviction que son ou sa patiente subit des violences conjugales peut, avec l’accord de ce ou cette dernière, le ou la mettre en relation avec des associations en charge de lutter contre ces violences ou avec tout organisme susceptible de l’aider. »
La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Ainsi que nous l’avons souligné précédemment, l’article 8 autorise le médecin ayant constaté des marques de violences sur le corps de sa patiente à dénoncer la situation auprès du procureur de la République.
Cela contreviendrait à l’évidence au secret médical, qui constitue pour les patientes et les patients une garantie de liberté d’échanges avec les représentants du corps médical et favorise l’instauration d’une relation de confiance indispensable au bon déroulement des soins et du traitement.
Il n’est donc aucunement souhaitable que le médecin se transforme en un rouage de la procédure judiciaire. Nous préférons que le personnel hospitalier ait un devoir de conseil et d’accompagnement envers la victime, au lieu du rôle de dénonciateur que l’article 8 tend à lui assigner.
Il nous semblerait donc pertinent que le personnel soignant puisse diriger les patientes ayant subi des sévices au sein de leur foyer vers des associations chargées de lutter contre les violences. Ces structures sont les mieux armées pour rassurer les victimes, leur apporter un soutien moral, les éclairer sur leurs droits et, le cas échéant, les accompagner dans le cadre d’éventuelles procédures judiciaires.
Nous proposons donc un substitut à la fin, prévue à l’article 8, du secret médical pour les victimes de violences conjugales.