Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie Mercier, rapporteur. Un médecin pourra évidemment toujours orienter la personne vers une association ou une structure de prise en charge adaptée. Nous le faisons souvent. Je profite d’ailleurs de l’occasion pour remercier ces organismes, qui font un travail extraordinaire.
Malheureusement, un tel accompagnement social de la victime n’est pas toujours suffisant. Il faut donc prévoir la possibilité de prévenir la justice, qui est souvent la seule à avoir les moyens de mettre un coup d’arrêt à la violence du conjoint. Notre objectif doit être de stopper l’agresseur. Il faut vraiment, me semble-t-il, conserver la rédaction de l’article 8 que nous avons proposée.
La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.
Mme Laurence Cohen. Je regrette que les deux amendements présentés par Esther Benbassa et cosignés par l’ensemble de notre groupe ne fassent pas plus débat.
Outre les problèmes que notre collègue a décrits, un certain nombre de contradictions ont été pointées, notamment par les associations féministes. Et j’ai également entendu Mme la secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes en relever quelques-unes à l’Assemblée nationale.
Nous sommes toutes et tous conscients du phénomène : une femme sous emprise est parfois paralysée lorsqu’il s’agit de dénoncer les violences ; d’où l’importance du soutien et de l’accompagnement par les professionnels de santé. Évidemment, savoir comment elle va réagir et si elle va le faire suffisamment vite est une autre question. C’est là que réside la contradiction : nous voulons en même temps que la femme ait le libre choix.
En fait, les amendements qui ont été présentés par ma collègue nous appellent, tout en prenant en compte la réalité de l’emprise, à ne pas considérer les femmes comme des êtres mineurs, incapables d’effectuer les choix qui s’imposent : se prendre en main et, grâce à l’accompagnement des personnels de santé, aller porter plainte.
C’était le sens de notre amendement de suppression. L’article 8 n’est pas du tout nuancé, même si la commission l’a amélioré, ce dont je conviens bien volontiers et dont je remercie Mme la rapporteure.
Lorsque ma collègue Esther Benbassa souligne combien il est important de préciser que le médecin ou le professionnel peut donner les coordonnées des associations féministes, les réponses de Mme la rapporteure, qui fait référence à la justice, sont insuffisantes.
Bien évidemment que la justice et la police ont un rôle à jouer ! Mais il faut aussi un accompagnement psychologique. Au demeurant, les associations qui l’assurent ont besoin de moyens humains et financiers. Il ne suffit pas de les saluer seulement quand cela nous arrange.
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Marlène Schiappa, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations. Madame la sénatrice, j’ai entendu comme vous des associations féministes déplorer qu’un tel article revienne à « considérer les femmes comme des mineurs en incapacité de prendre des décisions pour elles-mêmes », ce qui serait très dérangeant d’un point de vue philosophique.
Certes, le débat s’entend, et vous avez raison de soulever cette question. Mais je rappelle que nous parlons de situations d’urgence et de vies à sauver ! Nous ne pouvons pas répéter sans cesse qu’il ne faut rien laisser passer, lancer des campagnes pour faire intervenir les témoins de violences à l’encontre des femmes et des enfants et rappeler que le problème concerne l’ensemble de la société, tout en continuant d’exposer les médecins et les professionnels de santé au risque de faire parfois l’objet de sanctions – c’est ce que les intéressés nous ont dit – en cas de signalement de violences conjugales.
Il me paraît donc extrêmement important que des médecins ayant face à eux des femmes peu décidées à alerter les forces de l’ordre puissent le faire eux-mêmes.
En outre, et vous le savez toutes et tous, mesdames, messieurs les sénateurs, dans la réalité, des femmes refusent de porter plainte et ne veulent pas que l’on intervienne, alors qu’elles sont en danger de mort. Il faut donc que quelqu’un d’autre agisse dans une telle situation.
Enfin, vous avez évoqué les moyens. Je le rappelle, pendant le confinement, nous avons ouvert un fonds exceptionnel d’un montant d’un million d’euros pour soutenir les associations locales de terrain. Il n’est pas entièrement utilisé.
Encore une fois – je le répète sans cesse –, si des associations ont besoin de plus de subventions parce qu’elles sont en difficulté ou ont un projet à défendre, il faut absolument qu’elles fassent remonter leur dossier au service des droits des femmes, afin de pouvoir en bénéficier.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie, pour explication de vote.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Je regrette que cet amendement ne soit pas un amendement de complément. En effet, la proposition qui nous est adressée est évidemment pertinente.
Notre collègue Laurence Cohen a raison : nous aurions dû débuter par un débat de fond ; les amendements ont seulement pour objet de mettre en œuvre les choix qui nous paraissent les plus pertinents.
Premièrement, considérons-nous qu’il faut dénoncer les violences conjugales chaque fois que cela est possible ? Au demeurant, le médecin n’est pas le seul à pouvoir venir en aide : tout le monde peut le faire.
Deuxièmement, quid du rapport entre le médecin et sa patiente ? À quel moment est-il le plus efficace de déclarer des faits à la justice ? Est-ce au médecin de le faire ? C’est la bonne question.
N’étant pas médecin, j’ai essayé d’écouter les praticiens confrontés à ce type de problématique. Nombreux sont ceux qui nous alertent : si la patiente n’a plus confiance dans le secret du cabinet, arguent-ils, elle pourrait ne plus s’y présenter. C’est une objection légitime. D’autres, y compris au sein de notre groupe, militent en faveur du signalement.
J’ai tendance à penser qu’il faut l’accord de la patiente ; avec plusieurs collègues de mon groupe, j’ai d’ailleurs déposé un amendement en ce sens.
Le débat qui a été entamé par Laurence Cohen et Mme la secrétaire d’État Marlène Schiappa est très intéressant. Il faut le savoir, on peut déroger au secret professionnel en cas de violences ou de maltraitances, mais avec l’accord de la victime ; c’est l’article 226-14 du code pénal. Le seul cas où l’accord de la victime n’est pas demandé, c’est lorsqu’il s’agit d’un mineur. Il est donc considéré dans le dispositif qui nous est proposé qu’être sous emprise revient à être mineur ! C’est une question importante.
À titre personnel, je pense que le fait d’être sous emprise nécessite évidemment un accompagnement particulier – c’est le rôle du médecin –, mais que ce n’est pas la même chose que d’être mineur.
J’ai donc proposé, avec un certain nombre de collègues, un amendement tendant à valider l’intégralité du dispositif envisagé, qui a d’ailleurs le mérite d’introduire pour la première fois le terme « emprise » dans le code, à condition que la patiente ait donné son accord, sous peine de détruire le lien de confiance, si utile dans une telle période, entre le médecin et sa patiente.
Mme la présidente. L’amendement n° 49, présenté par Mmes Meunier et de la Gontrie, M. Jacques Bigot, Mmes Rossignol, Harribey, Artigalas, Lepage, Monier, M. Filleul, Lubin et Blondin, MM. Fichet, Houllegatte et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Remplacer cet alinéa par sept alinéas ainsi rédigés :
1° Les 1° et 2° sont ainsi rédigés :
« 1° Dans les cas où la loi impose d’alerter le procureur de la République :
« Tout professionnel désigné au présent alinéa qui, dans l’exercice de ses fonctions, suspecte des violences physiques, psychologiques ou sexuelles de toute nature, y compris les mutilations sexuelles à l’encontre d’un mineur ou d’une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique ou d’un état de grossesse, est tenu, sans avoir à recueillir l’accord de quiconque, d’en informer sans délai le procureur de la République. Les professionnels désignés pour une obligation de signaler au procureur de la République sont tous les médecins ;
« 2° Dans les cas où la loi autorise d’alerter les autorités compétentes :
« Tout autre professionnel ou toute personne qui suspecte ou acquiert la connaissance de violences physiques, psychologiques ou sexuelles de toute nature, y compris les mutilations sexuelles, à l’encontre d’un mineur, d’une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique ou d’un état de grossesse, ou d’un adulte, informe sans délai le procureur de la République. Lorsqu’il s’agit d’un mineur ou d’une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique ou d’un état de grossesse, l’auteur du signalement n’a pas à recueillir l’accord de quiconque ; »
…° Le 3°, qui devient le 4°, est ainsi rédigé :
« 4° À tout professionnel ou toute personne qui suspecte ou acquiert la connaissance qu’un mineur est en danger ou qui risque de l’être. Il informe sans délai la cellule départementale de recueil, de traitement et d’évaluation mentionnée au deuxième alinéa de l’article L. 226-3 du code de l’action sociale et des familles, des informations préoccupantes définies par le décret n° 2013-994 du 7 novembre 2013 organisant la transmission d’informations entre départements en application de l’article L. 221–3 du code de l’action sociale et des familles. » ;
La parole est à Mme Michelle Meunier.
Mme Michelle Meunier. Cet amendement vise à préciser explicitement dans la loi l’obligation de signalement par les médecins de suspicions de violences sur mineur.
Je rappelle qu’un amendement identique avait été adopté par le Sénat au mois de juillet 2018 lors de l’examen du texte relatif à la lutte contre les violences sexuelles et sexistes. En revanche, il n’avait pas passé le cap de la commission mixte paritaire. Nous avons donc aujourd’hui l’occasion de rattraper le temps perdu.
Hormis les médecins agents de l’État ou de la fonction publique territoriale, les médecins sont confrontés à un dilemme éthique.
S’ils signalent les violences, ils risquent des sanctions disciplinaires et des poursuites pénales au regard de la levée de leur secret professionnel après avoir appliqué l’article 226-14 du code pénal, comme cela vient d’être souligné. Cela va d’ailleurs pourtant à l’encontre des recommandations de la Haute Autorité de santé.
S’ils ne signalent pas les violences, ils risquent de faire l’objet de poursuites et de sanctions pénales pour entrave à la saisine de la justice.
C’est peut-être ce dilemme qui explique le faible taux de signalement lorsqu’un médecin détecte des signaux d’alerte permettant de suspecter des violences psychologiques, physiques ou sexuelles à l’encontre de mineurs.
L’introduction de l’obligation de signaler permettrait donc de multiplier les taux de cas confirmés de signalements, de réduire le risque pour un enfant de mourir des coups qui lui sont infligés, de réduire un long parcours de souffrance des victimes – le signalement est, je le rappelle, la clé du parcours de soins – et de rompre le cycle de la violence le plus tôt possible, pour prendre en charge les agresseurs, afin qu’ils ne récidivent pas auprès d’autres mineurs.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie Mercier, rapporteur. Cet amendement tend à instaurer une véritable obligation de signalement à la charge des professionnels de santé lorsqu’ils suspectent qu’un mineur est victime de violences.
Nous avons beaucoup travaillé ensemble sur ce sujet, ma chère collègue. Le rapport d’information que nous avons rédigé avec Catherine Deroche et Maryse Carrère est parvenu à la conclusion que l’équilibre actuel, qui repose sur une option de conscience laissant aux professionnels de santé la faculté de signaler, était satisfaisant. Instaurer une obligation de signalement ne mettrait pas fin au dilemme éthique de tout médecin qui suspecte, sans en être certain, que des violences sont commises sur un mineur.
Il faut bien comprendre que le médecin est toujours dans un conflit de devoirs. Doit-il signaler, ou non ? De quelle façon peut-il protéger du mieux possible ? Le vrai problème est là.
Vous avez déjà défendu cette position au sein de notre groupe de travail, ma chère collègue, et je vous félicite de votre constance. Mais nous sommes également constants, dans le droit fil des conclusions de notre mission d’information. C’est pourquoi la commission a émis un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Permettez-moi tout d’abord de saluer à mon tour le travail que vous avez mené avec Catherine Deroche et Marie Mercier. Nous avons eu l’occasion à de nombreuses reprises de converser sur la meilleure façon de protéger les enfants contre les violences.
Cet amendement, qui vise à instaurer une obligation de signalement des violences exercées à l’encontre des mineurs, est en réalité déjà satisfait. Son introduction dans le texte pourrait créer de la confusion, et nous nous accorderons tous pour dire qu’il ne saurait y avoir de confusion en ces matières.
En vertu de l’article 434-3 du code pénal, révéler des maltraitances commises au préjudice de mineurs est une obligation légale. Quant à l’article 226-14 de ce même code, il délivre les professionnels du secret médical en cas de privations ou de sévices infligés à des mineurs.
Il est vrai en revanche que les médecins libéraux signalent très peu les violences sur mineurs. Seuls 5 % à 6 % des signalements sont issus de ces professionnels, qui voient pourtant passer des enfants tous les jours.
Nous avons décidé de traiter ce sujet dans le cadre du plan de lutte contre les violences faites aux enfants, que j’ai présenté le 20 novembre dernier à l’occasion du trentième anniversaire de la Convention internationale des droits de l’enfant. L’une des 22 mesures de ce plan prévoit la possibilité de désigner, d’ici à 2022, dans chaque territoire des équipes pédiatriques référentes pour soutenir les médecins libéraux, qui, en réalité, sont trop souvent seuls face à ces situations.
Quand vous êtes installé dans une petite commune et que vous êtes le médecin de famille depuis plusieurs générations, vous n’êtes pas forcément très à l’aise avec ce genre de situations, et vous pouvez avoir besoin d’un service ou d’une personne-ressource pour vous accompagner et, éventuellement, prendre votre relais.
Dans les faits – vous êtes bien placée pour le savoir, madame la sénatrice –, c’est ce qui se passe déjà au CHU de Nantes, où le docteur Vabres est de facto devenu, depuis une vingtaine d’années, une personne-ressource pour les médecins du territoire, qui se tournent naturellement vers l’unité d’accueil pédiatrique « Enfants en danger » pour obtenir un soutien.
Le plan que j’ai présenté en novembre dernier prévoit que, d’ici à 2022…
Mme Michelle Meunier. Il faudrait aller plus vite !
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Ce sera au plus tard à cette date, madame la sénatrice, et nous irons le plus vite possible, car c’est en effet une mesure fondamentale.
Pour le reste, les dispositions du texte nous semblent satisfaisantes, et nous ne voulons pas créer de confusion en les modifiant. Comme je l’ai dit et répété, nous avons obtenu, après concertation avec les professionnels de santé, un équilibre qui satisfait tout le monde.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. L’amendement n° 48, présenté par Mmes Meunier et de la Gontrie, M. Jacques Bigot, Mmes Rossignol, Harribey, Artigalas, Lepage, Monier, M. Filleul, Lubin et Blondin, MM. Fichet, Houllegatte et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 4, première phrase
Remplacer les mots :
estime en conscience
par le mot :
suspecte
La parole est à Mme Michelle Meunier.
Mme Michelle Meunier. Le texte issu de l’Assemblée nationale prévoyait que le secret professionnel n’était pas applicable au médecin ou au professionnel de santé « lorsqu’il lui apparaît que ces violences mettent la vie de la victime majeure en danger immédiat ».
La commission des lois du Sénat a retenu la rédaction suivante : « Lorsqu’il estime en conscience que ces violences mettent la vie de la victime majeure en danger immédiat ». Pour ma part, je préférerais employer le verbe « suspecter ».
Le médecin ou le professionnel n’a pas à convoquer sa conscience, qui relève de la déontologie des soignants. L’article R. 4127-44 du code de la santé publique précise d’ailleurs que le médecin « alerte les autorités judiciaires ou administratives sauf circonstances particulières qu’il apprécie en conscience ». Il n’y a donc pas lieu de procéder à ce rappel : il serait redondant à mon sens, dans le code pénal.
De plus, la consultation ne place pas les médecins ou les professionnels de santé dans une situation de témoins. Ni les violences ni leurs conséquences ne peuvent donc leur apparaître directement. En revanche, ces professionnels de santé sont formés à détecter des signaux d’alerte, à repérer des situations, à discuter et à interroger les victimes potentielles. Ils ne peuvent donc que suspecter des faits, dont les conséquences potentiellement graves nécessitent le signalement.
Des poursuites ont déjà été engagées à l’encontre de professionnels ayant effectué un signalement sur le fondement d’une suspicion de violences exercées par le conjoint après l’examen d’un enfant conduit par un parent. Il faut protéger les médecins pour les encourager à signaler. Il revient ensuite au procureur de diligenter une enquête contradictoire.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie Mercier, rapporteur. Ma chère collègue, vous suggérez de modifier l’article 8 pour indiquer que le professionnel de santé peut effectuer un signalement lorsqu’il suspecte des violences.
J’ai moi-même proposé à la commission la rédaction « estime en conscience », pour bien marquer la responsabilité qui incombe aux professionnels et insister sur l’option de conscience qui s’applique en pareilles circonstances. N’oubliez pas qu’un médecin ne doit pas déroger au secret professionnel dont il est dépositaire.
Toutefois, il n’y a pas d’opposition entre nos deux rédactions. La discussion de votre amendement me donne l’occasion de préciser que l’on n’attend pas du professionnel qu’il ait la certitude que des violences sont commises pour pouvoir signaler. C’est en effet l’enquête qui permettra d’apprécier ce qu’il en est véritablement.
Je préfère donc conserver la rédaction que nous avons adoptée en commission. Elle met bien en lumière selon moi le cas de conscience du médecin qui envisage de transgresser le secret professionnel parce qu’il a acquis la conviction que sa patiente est en danger.
Aussi, j’émets un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. La décision de déroger au secret médical est éminemment lourde. Elle doit être prise après une réflexion du médecin, qui conclut à l’impératif de venir en aide à une personne dont la vie est en danger. Nous sommes véritablement là au cœur de la tension éthique entre le respect du secret professionnel et la déclaration au procureur d’une situation dont on estime qu’elle peut mettre en danger la vie d’une personne.
La rédaction « estime en conscience » nous semble bien traduire cette tension éthique, contrairement au verbe « suspecter », qui me semble en réalité relativement neutre, madame la sénatrice.
Pour l’ensemble de ces raisons, le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. L’amendement n° 11 rectifié, présenté par Mme Vérien, MM. Delcros et Janssens, Mmes Gatel, C. Fournier et Vermeillet, M. Brisson, Mmes Kauffmann, Billon et Perrot, MM. Détraigne et Kern, Mmes Férat, Guidez, Bonfanti-Dossat et Sollogoub, MM. Canevet et Laugier, Mme Vullien, M. Delahaye, Mme A.M. Bertrand, MM. Poadja, Cadic et Lafon et Mme Morin-Desailly, est ainsi libellé :
Alinéa 4, première phrase
Supprimer le mot :
immédiat
La parole est à Mme Dominique Vérien.
Mme Dominique Vérien. L’article 8, dans sa rédaction actuelle, prévoit qu’il peut être dérogé au secret médical lorsque « ces violences mettent la vie de la victime majeure en danger immédiat ».
Ces termes renvoient à un risque de mort imminente pour la victime, une temporalité qui ne s’applique généralement pas dans les cas de violences conjugales. C’est plutôt une mort lente qui intervient, et c’est pourquoi on parle d’ailleurs d’emprise.
Le médecin n’intervient pas au moment du danger immédiat. Souvent, c’est trop tard, et la prise en charge se fait plutôt aux urgences dans ce cas. C’est donc lorsque le médecin pense que la victime est sous emprise et qu’elle n’a pas les moyens de se défendre toute seule qu’il doit l’accompagner et effectuer un signalement.
Par ailleurs, nous sommes bien d’accord, ce sera ensuite à la justice de faire son travail, mais, pour laisser le temps de l’enquête, il est préférable que le médecin signale la situation dès qu’il a l’intime conscience d’un danger, sans pour autant que celui-ci soit immédiat.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie Mercier, rapporteur. Je l’ai déjà dit, nous sommes attachés au secret médical, car c’est une garantie essentielle pour les patients.
Si l’on affaiblit ce secret, on court le risque que les patients ne consultent plus leur médecin ou décident de ne plus se confier à lui.
Même lorsqu’un médecin devine qu’il se passe quelque chose, il lui arrive de ne plus revoir sa patiente, parce qu’il est allé un peu loin, que ce n’était pas le moment, qu’il n’a pas trouvé les bons mots, que la patiente s’est sentie découverte et qu’elle a honte d’être battue. J’ai connu des situations de ce genre.
S’agissant de personnes majeures, la dérogation au secret médical ne peut être admise que pour sauver un patient dont la vie est directement menacée. Le médecin peut bien évidemment accompagner sa patiente, l’encourager à porter plainte, mais il n’a pas vocation à se substituer à elle, sauf en cas de péril immédiat.
Le lien de confiance entre les patients et les médecins est fragile ; il faut essayer de l’entretenir, pour garder nos patientes et peut-être les sauver plus tard.
C’est la raison pour laquelle je suis défavorable à cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Les situations de dérogation au secret professionnel ne risquent pas d’être trop restreintes, selon moi. Le terme « immédiat » qualifiant le danger, la possibilité de dérogation au secret médical dépasse les seules situations où il existe un risque vital immédiat, comme l’a bien précisé Mme la rapporteure.
Il nous semble toutefois important de caractériser le risque qui pèse sur la victime au moyen de cet adjectif. Je le redis encore une fois : cette formulation est le fruit d’un consensus trouvé avec l’Ordre des médecins.
J’émets donc, moi aussi, un avis défavorable.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie, pour explication de vote.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. J’ai écouté avec beaucoup d’intérêt Mme la rapporteure et j’ai trouvé qu’elle plaidait formidablement bien pour que l’accord de la patiente soit une condition indispensable du dispositif (Sourires.), en expliquant, en sa qualité de médecin, à quel point il était important de préserver la qualité de la relation entre le professionnel et ses patientes, et comment celles-ci pouvaient s’éloigner des cabinets médicaux si le risque de non-respect du secret était trop grand.
L’amendement proposé par notre collègue Dominique Vérien tend effectivement à élargir le champ de la dérogation au secret, y compris sans l’accord de la patiente. À titre personnel, je ne puis partager ce point de vue, car cet accord me semble indispensable.
En outre, lorsque Mme la rapporteure explique combien il est important que la patiente ait confiance dans le praticien pour qu’elle revienne à son cabinet, elle plaide, me semble-t-il, pour maintenir l’accord de la patiente, c’est-à-dire pour l’amendement que je vais présenter juste après, et contre le présent amendement, que, par souci de cohérence, je ne souhaite donc pas soutenir.
Mme la présidente. La parole est à Mme Dominique Vérien, pour explication de vote.
Mme Dominique Vérien. Une personne sous emprise n’a pas les moyens de se défendre seule. Si elle n’est pas aidée et accompagnée, elle n’y arrivera pas. Le médecin fait partie des professionnels qui peuvent l’aider ou l’accompagner.
Je comprends toutefois que cet article d’équilibre, qui permet de « faire avancer le sujet », comme le dirait Mme la rapporteure, a été négocié avec l’Ordre des médecins.
Je pense néanmoins que l’on ne peut pas demander à une personne sous emprise de prendre une décision éclairée pour elle-même. Cela dit, je retire mon amendement, madame la présidente.
Mme la présidente. L’amendement n° 11 rectifié est retiré.
L’amendement n° 21 rectifié bis, présenté par Mme de la Gontrie, M. Montaugé, Mme Lepage, M. Féraud, Mme Rossignol, MM. Duran, Tissot, Vaugrenard, Manable, Fichet et Daudigny, Mme Conway-Mouret, MM. Mazuir et Leconte et Mme Perol-Dumont, est ainsi libellé :
Alinéa 4, dernière phrase
1° Supprimer les mots :
s’efforcer d’
2° Supprimer les mots :
en cas d’impossibilité d’obtenir cet accord,
La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. La rédaction de l’article 8 prévoit que le médecin « doit s’efforcer d’obtenir l’accord de la victime majeure ». Toutefois, s’il ne l’obtient pas, il peut quand même faire le signalement.
La formule a sans doute été introduite pour prier le professionnel d’essayer de convaincre son patient. C’est une bonne chose, sachant que la situation doit aussi se caractériser par un danger immédiat et un état d’emprise.
Toutefois, pour un grand nombre de praticiens, il est important de maintenir une relation de confiance, et donc de secret, entre le patient et son médecin. C’est pourquoi nous proposons, à travers cet amendement, de modifier la rédaction de l’article 8. Le médecin doit obtenir l’accord de son patient pour pouvoir signaler.