M. Bruno Retailleau. Personne ne le fait !

M. Philippe Dominati. La réalité, c’est que notre pays est l’un des plus mauvais élèves de l’Union européenne. Depuis 2016, la France cumule deux distinctions : championne de l’OCDE, à la fois des prélèvements obligatoires et de la dépense publique.

Si nous vous savons gré d’avoir diminué quelque peu la fiscalité des ménages et des entreprises, le Gouvernement a financé ces mesures par la dette, et donc par les impôts de demain, plutôt que par des économies. Ce n’est pas ce que nous appelons des finances publiques saines.

Vous avez renoncé à toutes les économies les plus substantielles et aux réformes structurelles, les seules à même d’en dégager. La meilleure preuve étant que le déficit structurel ne diminue pas depuis des années.

Les économies attendues de la réforme des retraites ont été abandonnées. En janvier dernier, le secrétaire d’État chargé des retraites avait eu le mérite de la sincérité en déclarant : « le cadrage budgétaire est clair, nous ne faisons pas ça pour faire des économies »…

Je rappelle que les réformes des retraites Balladur, Raffarin puis Fillon permettent d’économiser aujourd’hui 40 milliards d’euros par an. Où en serions-nous si les gouvernements d’alors n’avaient pas pris leurs responsabilités ?

Ainsi, pour la première fois, une réforme des retraites constituerait une dépense et non une économie, alors même que le déficit des retraites sera de 8 à 15 milliards d’euros d’ici à 2025.

Autre exemple : la suppression des 50 000 postes de fonctionnaires de l’État promise par Emmanuel Macron a été abandonnée, avec une baisse de 47 postes seulement en 2020, sur 2,6 millions de postes dans la fonction publique. Nous n’avons cessé de dire qu’Emmanuel Macron faisait la même erreur que François Hollande en repoussant sans cesse les efforts d’économies à plus tard, en fin de quinquennat.

M. Pierre Laurent. Sur l’hôpital, par exemple !

M. Philippe Dominati. Ainsi, 19 milliards d’euros d’économies devaient succéder en 2021 et 2022 aux 14 milliards d’euros prévus en 2020. Autant dire que ces économies, déjà plus qu’hypothétiques à la veille de l’élection présidentielle, traditionnelle année des cadeaux, sont désormais improbables avec la récession qui s’annonce. Vous aviez pourtant une fenêtre de tir idéale au début du quinquennat, alors que la France bénéficiait, en 2017, d’une embellie conjoncturelle très favorable, avec une croissance économique supérieure à son niveau de 2011.

Sans ces économies pour financer les baisses de fiscalité, la dette n’a cessé d’augmenter. Elle est aujourd’hui à plus de 100 % du PIB, contre 80 % en moyenne dans l’Union européenne et 61 % en Allemagne. Notre pays, l’un des seuls à avoir vu sa dette croître durant cette période, se situe au vingt-troisième rang sur vingt-sept en Europe. Je vous pose la question, madame la secrétaire d’État, monsieur le secrétaire d’État : est-ce cela, avoir des finances publiques saines ?

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Non !

M. Philippe Dominati. De même, nous sommes au vingt-quatrième rang sur vingt-sept pour le chômage, avec un taux de 8,2 % en janvier dernier contre 6,6 % dans l’Union européenne et 3,2 % en Allemagne. Seules l’Italie, l’Espagne et la Grèce font pire !

Enfin, s’il n’est désormais plus question du retour des comptes à l’équilibre ni même de la règle des 3 % de déficit, dans les circonstances exceptionnelles que nous connaissons, nous n’avons eu de cesse de dénoncer l’écart grandissant entre les objectifs du début et les objectifs révisés tout au long du quinquennat.

Le déficit structurel n’a pas été réduit, contrairement à votre engagement initial. Avant même la crise actuelle, la promesse du retour des comptes à l’équilibre en fin de quinquennat a été progressivement abandonnée, faute d’économies.

Avec un déficit de 3,1 % en 2019, la France se situe très loin de la moyenne européenne, proche des 0,5 % et donc de l’équilibre. La moitié des pays européens a des comptes excédentaires. Le déficit budgétaire français avoisine 100 milliards d’euros, tandis que l’Allemagne dégage un excédent budgétaire de 13 milliards d’euros. Pour vous, est-ce avoir des finances publiques saines ?

Les pays en excédent budgétaire ont des marges de manœuvre face à la crise actuelle, tandis que le nôtre n’en a aucune. Toutes les dépenses que nous allons engager pour sauver notre économie vont être financées par notre dette qui va s’envoler très largement au-dessus des 100 % du PIB.

Nous n’avons eu de cesse, depuis 2012, de prévenir que, sans marge de manœuvre budgétaire, la France paierait très cher le prochain retournement conjoncturel. Pour autant, madame la secrétaire d’État, monsieur le secrétaire d’État, vous pouvez compter sur nous : nous voterons ces dépenses, sans lesquelles la situation pourrait s’aggraver davantage encore, ce que nous voulons bien évidemment éviter.

Si les entreprises en difficulté ne sont pas aidées, le nombre des faillites explosera et la consommation des ménages, déjà prévue en recul de 2 % en raison de la fermeture des commerces et du confinement, chutera davantage. Même si la chute de la consommation est temporaire – en fonction de la durée des mesures de confinement –, elle pourrait devenir plus sévère à cause de la perte de pouvoir d’achat induite par la non-compensation de la perte massive des revenus. Il faut casser ce cercle vicieux au plus vite pour limiter les dégâts qui seront déjà très importants.

La France, plus que nombre de ses voisins qui ont fait les efforts nécessaires, va donc payer très cher cette crise, faute d’avoir pu assainir ses comptes. Ce quinquennat va s’achever dans la douleur, nous en sommes peinés. Au final, ce seront les Français qui le paieront, tôt ou tard.

Le Président de la République a dit qu’il faudra en tirer les leçons, dont acte. Nous espérons que le Sénat sera alors davantage écouté. Encore une fois, comme pour la crise des gilets jaunes, notre seul tort est d’avoir eu raison trop tôt.

Le Premier ministre nous a dit hier, ici même, non sans émotion et gravité, que l’économie allait connaître un arrêt brutal. Notre constat, c’est que la politique économique du Gouvernement n’a pas changé depuis 2012 par manque d’efforts et en raison de promesses non tenues. Pour nous, sur le plan économique, ces deux quinquennats se ressemblent, mais comment pourrait-il en être autrement ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La discussion générale est close.

La parole est à M. le président de la commission.

M. Vincent Éblé, président de la commission des finances. Je sollicite, au nom de la commission, une suspension de séance de cinquante-cinq minutes, afin d’examiner les vingt-neuf amendements déposés sur ce texte.

M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures quinze, est reprise à dix-sept heures vingt.)

M. le président. La séance est reprise.

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi de finances rectificative pour 2020
Discussion générale (suite)

4

Modification de l’ordre du jour

M. le président. Par lettre en date de ce jour, le Gouvernement demande l’inscription à l’ordre du jour du samedi 21 mars, l’après-midi et, éventuellement, le soir, sous réserve de leur dépôt, des conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi de finances rectificative pour 2020 et des conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19 ou l’examen en nouvelle lecture de ces projets de loi.

Nous lui donnons acte de cette demande.

Je propose que la durée de la discussion générale sur ces deux textes soit fixée à quarante-cinq minutes.

Il n’y a pas d’opposition ?…

En cas de nouvelle lecture, mes chers collègues, le délai limite pour le dépôt des amendements de séance serait fixé à l’ouverture de la discussion générale.

Il n’y a pas d’observation ?…

Il en est ainsi décidé.

5

Discussion générale (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi de finances rectificative pour 2020
Article liminaire

Projet de loi de finances rectificative pour 2020

Suite de la discussion et adoption définitive d’un projet de loi

M. le président. Nous passons à la discussion des articles du projet de loi de finances rectificative pour 2020.

projet de loi de finances rectificative pour 2020

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi de finances rectificative pour 2020
Article additionnel avant le titre unique - Amendement n° 6 rectifié

Article liminaire

La prévision de solde structurel et de solde effectif de l’ensemble des administrations publiques pour 2020 s’établit comme suit :

 

(En points de produit intérieur brut)*

Prévision dexécution 2019*

Prévision 2020

Solde structurel (1)

-2,2

-2,2

Solde conjoncturel (2)

-0,0

-1,3

Mesures exceptionnelles (3)

-0,9

-0,4

Solde effectif (1 + 2 + 3)

-3,1

-3,9

*Le déficit provisoire de lannée 2019 sera publié par lInstitut national de la statistique et des études économiques à la fin du mois de mars 2020 (compte provisoire des administrations publiques pour 2019).

M. le président. Je mets aux voix l’article liminaire.

(Larticle liminaire est adopté.)

PREMIÈRE PARTIE

CONDITIONS GÉNÉRALES DE L’ÉQUILIBRE FINANCIER

Article liminaire
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Article additionnel avant le titre unique - Amendement n° 8

Articles additionnels avant le titre unique

M. le président. L’amendement n° 6 rectifié, présenté par MM. Carcenac, Kanner, Raynal, Éblé et Botrel, Mme Espagnac, MM. Féraud, P. Joly et Lurel, Mme Taillé-Polian et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :

A. – Avant le titre unique : dispositions relatives à l’équilibre des ressources et des charges

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

I. – Après l’article 39 decies G du code général des impôts, il est inséré un article 39 decies … ainsi rédigé :

« Art. 39 decies …. – I. – Les entreprises soumises à l’impôt sur les sociétés ou à l’impôt sur le revenu selon un régime réel peuvent déduire de leur résultat imposable une somme égale à 40 % de la valeur des biens non utilisés inscrits à l’actif immobilisé, hors frais financiers, affectés à leur activité.

« La déduction est applicable aux biens non utilisés à compter du 15 mars 2020 et jusqu’au 30 juin 2020.

« La déduction est répartie linéairement sur la durée normale d’utilisation des biens. En cas de cession du bien avant le terme de cette période, elle n’est acquise à l’entreprise qu’à hauteur des montants déjà déduits du résultat à la date de la cession, qui sont calculés pro rata temporis.

« II. – Pour l’application du I, un bien non utilisé s’entend de celui qui est inscrit à l’actif immobilisé et qui n’est plus utilisé en raison d’une baisse d’activité temporaire de l’entreprise due à une crise sanitaire.

« III. – Un décret fixe les modalités d’application du présent article, et notamment les conditions à respecter pour la reconnaissance d’une baisse d’activité temporaire due à une crise sanitaire. »

II. – La perte de recettes résultant pour l’État du I du présent article est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

B. – En conséquence, faire précéder cet article d’une division additionnelle et de son intitulé ainsi rédigé :

TITRE …

DISPOSITIONS RELATIVES AUX RESSOURCES

La parole est à M. Thierry Carcenac.

M. Thierry Carcenac. Cet amendement vise à créer un dispositif de suramortissement exceptionnel pour les biens immobilisés durant cette période de crise. Je pense, par exemple, aux avions.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Un samedi sans librairie, ni théâtre, ni musée ouverts et sans aucune possibilité de se promener, quelle meilleure occupation qu’une commission mixte paritaire ? (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

Cela dit, ce mécanisme de suramortissement exceptionnel, très efficace pour soutenir l’investissement, est bien connu du Sénat. Toutefois, il s’agit davantage d’un dispositif de relance de l’économie que de sauvegarde, d’urgence, comme ceux que nous examinons ce jour.

Par définition, un suramortissement suppose que l’entreprise concernée fasse des bénéfices. Nous n’en sommes pas là. Nous devrons sans doute examiner, dans le cadre d’un texte à venir, une fois sortis de la crise, des moyens de soutenir et de relancer l’économie. Aujourd’hui, nous sommes dans la sauvegarde immédiate, raison pour laquelle je vous demande de bien vouloir retirer votre amendement, monsieur Carcenac ; à défaut, j’émettrai un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie et des finances. Je rejoins totalement la position de M. le rapporteur général : il s’agit d’une mesure difficile à prendre en compte à ce stade, même si j’en comprends bien évidemment la logique, puisque nous ignorons combien de temps ces biens resteront immobilisés et dans quelles proportions.

Cette question se posera probablement au moment du redémarrage de l’économie. Nous regarderons alors quelles seront les mesures les plus efficaces pour donner de l’élan à nos industriels et à nos services.

Le Gouvernement demande également le retrait de cet amendement ; à défaut, il émettra un avis défavorable.

M. le président. Monsieur Carcenac, l’amendement n° 6 rectifié est-il maintenu ?

M. Thierry Carcenac. J’entends bien la position du rapporteur général et celle de Mme la secrétaire d’État. Je retire donc cet amendement d’appel. Nous y reviendrons le moment venu.

Article additionnel avant le titre unique - Amendement n° 6 rectifié
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Article additionnel avant le titre unique - Amendement n° 20

M. le président. L’amendement n° 6 rectifié est retiré, mais l’appel est entendu… (Sourires.)

L’amendement n° 8, présenté par M. de Montgolfier, au nom de la commission, est ainsi libellé :

A. – Avant le titre unique : dispositions relatives à l’équilibre des ressources et des charges

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

I. – Après le premier alinéa de l’article 81 quater du code général des impôts, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Les rémunérations, les majorations et les éléments de rémunérations mentionnés aux I et III de l’article L. 241-17 du code de la sécurité sociale, dans les conditions et limites fixées au même article L. 241-17, ne sont pas retenus pour l’application de la limite annuelle mentionnée au premier alinéa du présent article lorsqu’ils ont été perçus au titre d’heures travaillées entre le 16 mars 2020 et le dernier jour de l’état d’urgence sanitaire déclaré en application du chapitre Ier bis du titre III du livre premier de la troisième partie du code de la santé publique. »

II. – Le V bis de l’article L. 241-18 du code de la sécurité sociale est ainsi rétabli :

« bis. – Les rémunérations, les majorations et les éléments de rémunérations mentionnés au deuxième alinéa de l’article 81 quater du code général des impôts ouvrent droit à une exonération des cotisations patronales. »

III. – La perte de recettes résultant, pour l’État, de l’exonération d’impôt sur le revenu des rémunérations perçues au titre des heures supplémentaires, est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle aux droits mentionnés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

IV. – La perte de recettes résultant, pour les organismes de sécurité sociale, de l’exonération de cotisations sociales des rémunérations perçues au titre des heures supplémentaires, est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

B. – En conséquence, faire précéder cet article d’une division additionnelle et de son intitulé ainsi rédigé :

TITRE …

DISPOSITIONS RELATIVES AUX RESSOURCES

La parole est à M. le rapporteur général.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. J’aimerais que le Gouvernement explique sa position sur les moyens de soutenir, y compris financièrement, les salariés qui travaillent dans des secteurs essentiels, comme les hôpitaux, mais aussi les commerces, la logistique, la production agroalimentaire et dans beaucoup d’autres secteurs essentiels à l’activité économique.

Certains secteurs sont en tension et d’autres, malheureusement, n’ont plus aucune activité – commerces et entreprises fermés qui ne peuvent avoir recours au télétravail. Le Gouvernement a annoncé, par exemple, qu’il autorisait l’ouverture des boulangeries sept jours sur sept. Il faut donc payer des heures supplémentaires. Nous proposons une défiscalisation totale des heures supplémentaires au-delà des 5 000 euros déjà prévus par les textes et une exonération de charges sociales. Ce dispositif permettrait aux entreprises en tension d’encourager leurs salariés à venir travailler.

Le Gouvernement a annoncé un plan de chômage partiel auquel on ne peut que souscrire. Toutefois, les salariés au SMIC étant rémunérés à 100 %, le différentiel avec les personnes à bas salaire allant travailler est assez ténu. Il me semble donc important de trouver une solution à même d’encourager le travail dans une période où il est difficile de se déplacer – on court des risques, il faut disposer d’une attestation de déplacement dérogatoire…

En ce qui concerne la prime de 1 000 euros qui a été annoncée, vous savez toutes les réserves qu’on peut émettre à son encontre : elle ne s’adresse qu’aux entreprises ayant un accord d’intéressement, ce qui n’est pas le cas des plus petites entreprises ou des commerces, et elle suppose que les entreprises fassent des bénéfices, ce qui est compliqué et peu adapté à la période que nous traversons.

Cet amendement vise donc à instaurer un mécanisme de défiscalisation et de désocialisation des heures supplémentaires, directement inspiré de la loi en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat, dite loi TEPA. Les dispositions de ce texte, adopté à l’issue d’une crise très violente, avaient permis de relancer l’activité.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire dÉtat. La question que vous posez est très importante.

D’abord, je le redis, en réalité, tous les secteurs de l’économie, ou beaucoup d’entre eux, sont interdépendants. Aussi, compte tenu de cette interdépendance, il est difficile de dire qu’un secteur est plus essentiel qu’un autre.

Je donne un exemple : nous avons été alertés sur la possibilité de fermeture de certains sites de production d’emballages, notamment pour la farine. Je n’ai pas besoin de vous faire un dessin pour vous montrer le lien entre la farine et le pain… C’est pour cette raison que nous considérons qu’il n’y a pas une liste de secteurs stratégiques, d’un côté, et une liste de secteurs qui ne le seraient pas, de l’autre.

Notre position est plutôt de dire que, dans le combat contre cette crise sanitaire, tout le monde doit apporter son soutien à la première ligne, le système sanitaire, qui fait un travail absolument remarquable. Il faut pouvoir alimenter, faire vivre 67 millions de Français, qui sont pour la plupart confinés chez eux et qui ont aujourd’hui des besoins différents de ceux d’avant.

Nous devons accompagner les Français qui sont dans cette situation, les approvisionner, faire en sorte qu’ils aient toujours accès à des médicaments et à un certain nombre de services à domicile, le tout en visant une protection absolue des personnes qui travaillent. Nous travaillons à ce que tous les salariés puissent appliquer cette distanciation, que nous mettons en pratique ici, et bénéficient des moyens essentiels de protection. C’est le premier point, primordial, et c’est la raison pour laquelle nous avons ralenti certains sites afin de pouvoir les faire redémarrer dans de bonnes conditions de sécurité pour tous les salariés.

J’en viens ensuite au deuxième sujet, que vous évoquez en creux : celui des incitations fiscales, sur lesquelles nous sommes tout à fait disposés à travailler, avec une grande ouverture. Nous avons immédiatement rendu disponible ce volant de 5 000 euros qui permettra, dans les semaines qui viennent, de défiscaliser une partie des heures supplémentaires. Je peux vous confirmer que, d’un point de vue logistique, certains sites fonctionnent le dimanche et la nuit pour accélérer la fabrication des produits qui sont aujourd’hui nécessaires à notre pays.

Nous pouvons examiner votre amendement, qu’il faudrait, nous semble-t-il, retravailler pour trouver une réponse permettant de proposer une défiscalisation de ces heures supplémentaires travaillées, de cet effort fourni par des Français qui, en raison de la nature de leur métier, vont continuer à aller travailler en passant davantage de temps dans les transports. Leurs conditions de travail seront probablement plus difficiles, parce qu’ils sont soumis à une pression accrue et qu’ils seront moins nombreux pour tenir la boutique – certains, pour garder leurs enfants, doivent rester à la maison ; d’autres sont peut-être malades…

Monsieur le rapporteur général, nous partageons totalement l’objectif qui sous-tend votre amendement, auquel nous vous proposons de travailler dans les prochains jours. En attendant, nous vous demandons de le retirer, compte tenu de l’urgence de ce projet de loi.

Nous voulons tous dans cet hémicycle montrer que nous sommes à la hauteur des enjeux et que nous prenons des décisions pour les entreprises, même si cela ne nous empêche pas de travailler sur d’autres projets de loi et dispositions à venir.

M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour explication de vote.

M. Bruno Retailleau. Le Sénat est bien évidemment conscient de l’urgence que vous évoquez, mais nous tenons énormément à la disposition que notre rapporteur général vous a proposée.

Pourquoi ? Parce que nous savons déjà que cette crise sanitaire entraînera un choc économique et social profond. Mais il y a un autre risque, celui qu’à ces deux chocs s’ajoutent une rupture brutale des approvisionnements et une paralysie de l’économie. On le voit, des secteurs entiers peuvent être complètement bloqués. Or nous pensons qu’il faut justement envoyer un signal. Il ne suffit pas, la main sur le cœur (Lorateur joint le geste à la parole.), de proclamer notre attachement et de rendre hommage à celles et ceux – personnels soignants, caissières de supermarché, etc. – qui sont en première ligne. Certains salariés craignent, pour des raisons de sécurité, de se rendre au travail.

Monsieur le secrétaire d’État, puisque les douanes dépendent du budget, je vous poserai au passage une question – je refermerai très vite la parenthèse – sur les collectivités qui veulent commander des masques. L’État leur dit : « Attention, vous ne pouvez pas passer de commande, car je suis le seul à avoir la signature pour autoriser des importations. » Même si elles veulent les payer et se substituer à l’État défaillant, il faut l’accord de l’État. Êtes-vous prêt à le donner ? Car les questions de sécurité rejoignent la question économique.

Pourquoi préférons-nous le dispositif préparé par Albéric de Montgolfier au vôtre ? Cela s’explique par plusieurs raisons.

La première, c’est une raison de rapidité, de réactivité, d’urgence ! La défiscalisation et la désocialisation sont automatiques, elles ne dépendent d’aucune décision.

La deuxième, c’est l’impact et le périmètre de ces mesures qui s’appliquent à l’ensemble du secteur privé, alors que, pour votre dispositif, l’entreprise doit donner son accord, faire des bénéfices et avoir un accord d’intéressement. Cela concerne non seulement le privé, mais également le public. Nous pensons aussi aux personnels de soin dans les hôpitaux. La défiscalisation et la désocialisation présentent donc un bénéfice supérieur. Nous avions rapidement calculé…

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Bruno Retailleau. … que la fameuse prime pour les « gilets jaunes » représentait à peu près 400 euros. Le dispositif que nous proposons est beaucoup plus massif, pour encourager celles et ceux qui sont aujourd’hui en première ligne, et davantage incitatif pour les entreprises. Le Medef l’a d’ailleurs dit, si l’État veut instituer une prime de 1 000 euros, qu’il la paie ! Si vous recouriez à la défiscalisation et à la désocialisation, vous n’entreriez pas dans ces discussions. C’est la raison pour laquelle, je le redis, cet amendement est capital si nous voulons relancer très rapidement notre économie.

M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.

M. Pascal Savoldelli. Permettez-moi un petit trait d’humour, même si la situation est grave : mon cher collègue Bruno Retailleau, vous parlez la main sur le cœur, mais nous avons tous la main sur le cœur ! En revanche, quand il s’agit de mettre la main à la poche, nous ne sommes pas toujours du même avis ! (Sourires.)

M. Philippe Dallier. Ça dépend du portefeuille !

M. Pascal Savoldelli. Néanmoins, sur cet amendement du rapporteur général, nous aurons le même vote que vous. Vous le savez, c’est aussi une situation exceptionnelle pour nous. Avec les responsabilités politiques que vous avez aujourd’hui en tant que président de groupe et celles que vous envisagez peut-être d’avoir à l’avenir, vous nous avez fait une petite leçon sur la désocialisation. Nous reparlerons de la désocialisation pour voir jusqu’où l’on peut aller. Si j’ai bien compris, il s’agit d’une exonération de l’impôt sur le revenu des cotisations sociales sur les heures supplémentaires.

Je l’ai dit lors de la réunion de la commission des finances, cette mesure est beaucoup plus équitable et lisible, aussi bien par les chefs d’entreprise que par les salariés, que la prime de 1 000 euros.

Ne le prenez pas mal, madame la secrétaire d’État, monsieur le secrétaire d’État, mais je ne peux pas regarder en face une caissière qui toucherait les 1 000 euros, alors qu’un ami, un collègue, voire un membre de sa famille, ne peut pas exercer le même emploi, non pas parce qu’il ne veut pas travailler, mais parce qu’il est soumis au confinement, qui l’oblige à ne pas travailler. On pourrait prendre d’autres exemples. Il faut faire très attention, car, selon moi, cette prime au mérite de 1 000 euros est destructrice pour la cohésion sociale et la mobilisation de l’ensemble des composantes de notre société, des travailleurs comme de ceux qui n’ont pas de travail.

M. Thierry Carcenac. Très bien !

M. Pascal Savoldelli. Nous allons donc voter l’amendement déposé par la commission, qui est évidemment conditionné à la période que nous vivons et à la nécessité de tout faire pour sortir de cette crise.

Un petit mot sur le chômage partiel : je l’ai dit précédemment, le montant du SMIC net est – je l’ai vérifié – de 1 219 euros par mois. Nous, les élus du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, étions partisans d’aller plus loin, au-delà du seuil du SMIC, s’agissant de la rémunération versée dans le cadre du chômage partiel. Nous aurions ainsi envoyé un signal au salariat français. Ceux qui sont au-dessus de ce seuil peuvent faire les comptes : imaginez ce que représente le versement de 84 % d’un salaire de 1 400 euros net par mois – aucune, d’aucun d’entre nous ici n’est dans ce cas – dans le cadre du chômage partiel. Les fins de mois seront difficiles… (Mme Laurence Cohen applaudit.)