compte rendu intégral
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
Mme Jacky Deromedi,
M. Joël Guerriau.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
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Mises au point au sujet de votes
M. le président. La parole est à M. Antoine Lefèvre.
M. Antoine Lefèvre. Monsieur le président, lors du scrutin n° 95, portant sur l’ensemble du projet de loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19, Mme Brigitte Micouleau et M. Alain Chatillon ont été enregistrés comme ayant voté pour, alors qu’ils souhaitaient s’abstenir.
Par ailleurs, M. Pierre Charon a été enregistré comme ayant voté contre, alors qu’il souhaitait voter pour.
M. le président. La parole est à M. Franck Menonville.
M. Franck Menonville. Monsieur le président, lors du scrutin n° 96 portant sur l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi organique d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19, les membres du groupe Les Indépendants ont été enregistrés comme n’ayant pas pris part au vote, alors qu’ils souhaitaient voter pour.
M. le président. Acte est donné de ces mises au point, mes chers collègues. Elles seront publiées au Journal officiel et figureront dans l’analyse politique des scrutins.
3
Projet de loi de finances rectificative pour 2020
Discussion d’un projet de loi
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi de finances rectificative pour 2020 (projet n° 384, rapport n° 385).
Candidatures à une éventuelle commission mixte paritaire
M. le président. J’informe le Sénat que des candidatures pour siéger au sein de l’éventuelle commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte ont été publiées.
Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
Discussion générale
M. le président. Je rappelle que tous les orateurs, y compris les membres du Gouvernement, s’exprimeront depuis leur place, sans monter à la tribune, et devront respecter les principes de précaution sanitaire qui ont été édictés en termes de distance, de temps de nettoyage des micros, d’entrée et de sortie de l’hémicycle.
Il ne s’agit pas d’une simple litanie, mes chers collègues, mais du rappel de réflexes permanents ! Des dispositifs hydroalcooliques sont à disposition dans l’hémicycle.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Gérald Darmanin, ministre de l’action et des comptes publics. Monsieur le président, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les sénateurs, avec ce projet de loi de finances rectificative pour 2020, vous poursuivez cet après-midi l’examen des textes d’urgence que le Gouvernement soumet à l’approbation du Parlement, dans les conditions inédites et dramatiques de guerre sanitaire – et désormais économique – que connaît notre pays, et ce quelques semaines seulement après le vote de votre assemblée sur le budget de la Nation.
Le Président de la République s’est engagé à déployer tous les moyens nécessaires à la préservation de l’économie de notre pays, du revenu des ménages et des salariés. C’est en effet – l’histoire l’a montré en 2008 – la meilleure façon de faire repartir l’économie et d’assurer un rebond au lendemain de la très grave crise sanitaire que nous vivons.
Tous les moyens annoncés sont nécessaires. Ce sont en tout 45 milliards d’euros d’aides aux entreprises et aux salariés que le Gouvernement mobilise pour maintenir l’emploi et pour éviter au maximum les accidents de trésorerie qui pourraient leur être fatals, et ce quels que soient les entreprises, les secteurs et les territoires géographiques concernés.
Le projet de loi de finances rectificative est le second pilier du dispositif, le premier étant constitué des deux projets de loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19, débattus hier, jusque tard dans la nuit.
Dès la semaine dernière, nous avons pris des mesures à la fois réglementaires et « d’habitude », afin de permettre aux entreprises qui le souhaitent, en raison de leurs difficultés, de reporter immédiatement leurs échéances fiscales et sociales pour trois mois.
J’ai donc donné ordre à mon administration, à la demande du Président de la République, de reporter l’intégralité des charges sociales pour toutes les entreprises qui en font la demande, y compris celles – la plupart des PME – qui avaient réglé leur échéance du 15 mars dernier. Pour les travailleurs indépendants, l’intégralité des charges arrivant à échéance au 20 mars 2020 a été reportée, sans qu’ils aient besoin de faire une quelconque démarche en ce sens.
Pour les entreprises plus importantes, dont l’échéance du versement des charges sociales est fixée au 5 avril, le système est le même que pour celles dont l’échéance est au 15 mars : il leur suffit de modifier leur déclaration sociale nominative ou d’intervenir auprès des Urssaf, qui sont sous mon autorité, pour que les reports de charges soient effectifs.
À l’heure où je vous parle, 3 milliards d’euros ont été reportés, dans l’attente d’autres mesures qui ne manqueront pas d’être prises si la crise devait durer.
S’agissant des modalités fiscales, nous avons souhaité que les entreprises ayant acquitté leur acompte d’impôt sur les sociétés puissent se faire rembourser en envoyant un simple mail à la direction générale des finances publiques (DGFiP), ou en remplissant le formulaire qui se trouve sur le site impots.gouv.fr, ou encore en téléphonant aux agents des impôts.
Je tiens à souligner qu’en ce moment même, à l’instar des soignants et des forces de sécurité qui font un travail formidable au service de nos concitoyens, les agents du ministère de l’action et des comptes publics – ceux de la DGFiP et des Urssaf, ceux qui versent les salaires des fonctionnaires et les pensions de retraite, ceux qui interviennent auprès des entreprises, ceux qui font les mandatements pour les collectivités locales – sont à pied d’œuvre dans des conditions, vous pouvez l’imaginer, très difficiles. Je veux les remercier au nom de la Nation, car eux aussi font marcher l’économie de notre pays.
Les mesures de report que nous avons prises représentent une aide directe et immédiate de 35 milliards d’euros, sur les 45 milliards précédemment évoqués : 13 milliards au titre des impôts directs et 22 milliards au titre des cotisations et contributions sociales.
Dans la sphère sociale, au 19 mars – je ne peux, hélas, vous présenter les chiffres de ce jour, le 20 mars –, 380 000 entreprises ont d’ores et déjà demandé l’allégement mais aussi, le plus souvent, l’annulation de leurs cotisations Urssaf à échéance du 15 mars. Cela représente, je le répète, un montant de 3 milliards d’euros de cotisations et contributions sociales non recouvrées. Par ailleurs, 460 000 travailleurs indépendants ont également demandé à reporter l’échéance de versement de leurs charges.
Dans la sphère fiscale, au 17 mars, plus de 3 000 entreprises avaient formulé des demandes de report d’échéance ou de délais de paiement, qui ont été acceptées à hauteur de 92 %.
Le projet de loi de finances rectificative traduit la mobilisation du Gouvernement à travers deux mesures principales. Les autres dispositifs seront présentés par Mme la secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances.
Premièrement, l’article 4 prévoit une garantie exceptionnelle de l’État permettant de soutenir le financement des entreprises à hauteur de 300 milliards d’euros. Ce dispositif temporaire couvrira les prêts accordés du 1er mars au 31 décembre de cette année, afin de résoudre les problèmes de trésorerie liés à la crise du coronavirus.
L’État peut beaucoup et apparaît indispensable aux yeux de tous dans les périodes de crise, et cela renforce notre confiance dans la Nation, celle-là même que nous représentons à divers titres. Je tiens cependant à souligner, à l’instar du ministre de l’économie et des finances, que les banques doivent jouer leur rôle de financeur de l’économie, a fortiori compte tenu de l’existence de la garantie de l’État.
Cette garantie permettra aux banques de prêter aux entreprises appartenant à tous les secteurs de l’économie, mais aussi aux associations employeuses.
Conformément aux règles européennes relatives aux aides d’État, un partage de risques sera mis en place avec les banques et cette garantie leur sera facturée.
Deuxièmement, ce projet de loi prévoit des moyens budgétaires supplémentaires pour financer les dispositifs d’urgence que nous soumettons à l’Assemblée nationale et au Sénat, et qui ont été examinés par votre commission des finances.
Il s’agit tout d’abord, et sans doute est-ce le point le plus important, de la prise en charge par l’État de 100 % du chômage partiel pour les salariés rémunérés jusqu’à 4,5 SMIC. Nous avons donc changé la doctrine de l’État par rapport à ce qui a été fait en 2008, même s’il s’agissait alors d’une crise financière, et non d’une crise de l’économie réelle. Nous nous sommes inspirés des mesures prises par nos amis allemands lors de cet épisode.
Cette prise en charge du chômage partiel à hauteur de 100 % représente à peu près 5,5 milliards d’euros par mois pris dans les caisses de l’État. Si l’on y ajoute les 2,5 milliards d’euros provenant de l’Unedic, le total est de 8 milliards d’euros par mois.
Mme la ministre du travail a eu l’occasion de dire que de nombreuses entreprises avaient d’ores et déjà recours au chômage partiel. Cette mesure sera rétroactive pour les entreprises qui déclareront à la fin de ce mois les difficultés qu’elles ont rencontrées au début ou à la moitié dudit mois.
L’État prendra donc en charge 100 % des salariés, et ceux qui sont au SMIC toucheront 100 % de leur salaire au titre du chômage partiel. Ce dispositif sera étendu aux travailleurs indépendants, aux employés à domicile et aux assistantes maternelles – nous pourrons y revenir dans le cours du débat si vous n’avez pas obtenu de réponses à vos questions lors de la séance d’hier.
Cette prise en charge du chômage partiel représente une dépense totale de 8 milliards d’euros en dépenses publiques, soit 5,5 milliards pour l’État et 2,5 milliards pour l’Unedic.
Le choix qui a été fait vise à ce que l’État supporte le principal creusement du déficit. C’est en effet l’État, bien plus que la sphère sociale ou l’Unedic, qui peut aujourd’hui emprunter sur les marchés financiers – on l’a encore vu hier matin –, et ce au meilleur taux, grâce à la confiance desdits marchés dans la signature de la France.
De plus, pour répondre aux inquiétudes des petits entrepreneurs, artisans et commerçants qui subiraient une baisse de leur chiffre d’affaires en raison des restrictions de circulation et des difficultés liées au coronavirus, le Gouvernement a créé un fonds de solidarité doté de 1 milliard d’euros par mois, dont 250 millions d’euros sont versés par les régions ; nous les en remercions.
Ce fonds d’indemnisation permettra d’assurer un filet de sécurité pour toutes les petites entreprises indépendantes. Les aides seront versées par la DGFiP, de manière automatique, jusqu’à 1 500 euros à la fin de chaque mois. Un deuxième étage de ce fonds est actuellement mis en place par le ministère de l’économie et des finances et les régions.
Un soutien complémentaire, que Mme la secrétaire d’État vous présentera, pourrait être apporté dans les situations les plus difficiles, afin d’éviter les faillites. Ce fonds s’adressera à tous les secteurs touchés par la crise et aux entreprises dont le chiffre d’affaires est inférieur à 1 million d’euros.
Sur l’initiative du groupe Les Républicains, l’Assemblée nationale a adopté hier un amendement instituant auprès du Premier ministre un comité composé de parlementaires, de représentants des collectivités locales et des entreprises, chargé du suivi et de l’évaluation de la garantie de l’État et du fonds de solidarité des petites entreprises. L’évaluation de ces dispositifs se fera donc en toute transparence. J’invite le Sénat à adopter le texte ainsi amendé par les députés.
J’ajoute qu’une provision supplémentaire de 2 milliards d’euros au titre des dépenses de santé est intégrée pour couvrir les achats de matériel à destination des hôpitaux publics et des personnels de santé, les indemnités journalières et la reconnaissance de l’engagement des personnels hospitaliers via le paiement de chaque heure supplémentaire.
J’en profite pour saluer l’engagement de tous les professionnels de la santé, et de tous les agents publics en général, qui sont engagés pour soigner et protéger nos concitoyens, et pour faire avancer l’économie.
Cet effort de relance s’inscrit en cohérence avec les initiatives de la zone euro – la Banque centrale européenne (BCE) s’est ainsi réunie avant-hier en urgence –, dont les membres ont entériné ces derniers jours un soutien budgétaire représentant 1 % de PIB.
Dans ce projet de loi de finances rectificative, nous avons révisé nos chiffres de finances publiques, en prévoyant 1 % de croissance négative ; sans doute n’est-ce qu’une première étape, mais cela correspond à la prévision de la Commission européenne.
En conséquence, le solde budgétaire de l’État sera donc révisé à la baisse d’environ 15 milliards d’euros par rapport à la loi de finances initiale pour 2020, car l’État devrait être privé de 10 milliards de recettes fiscales. S’y ajoutent les 5 milliards d’euros de crédits budgétaires déjà évoqués, et les 2 milliards de recettes non perçues du fait de la suspension de diverses privatisations, notamment celle d’Aéroports de Paris (ADP).
La prévision de solde public pour 2020 est revue à la baisse à –3,9 % du PIB, contre –2,2 % initialement prévu.
Nous ne savons pas combien de temps cette crise durera. Nous faisons tout notre possible pour reporter et annuler les charges fiscales et sociales. Afin de faire face à cette crise, la France continue à emprunter dans de bonnes conditions, grâce à la confiance que nous accordent nos prêteurs, lesquels sont sans doute plus inquiets de la crise sanitaire et que de l’état des finances publiques françaises.
Cependant, nous devons veiller à l’état de nos finances. Aussi, je ne pourrais pas accepter les amendements qui porteraient atteinte à cette sage précaution.
L’impôt sur le revenu doit être payé par nos compatriotes. Même si, aujourd’hui, c’est l’employeur, le collecteur, qui récupère cet argent, il n’en doit pas moins le reverser dans les caisses de l’État.
L’avantage du prélèvement à la source est que le taux d’imposition et le montant des acomptes peuvent être modifiés instantanément.
Prenons le cas du propriétaire d’un local qui le loue à un commerçant, lequel ne peut plus ouvrir son commerce. Si ce propriétaire décide, comme l’État, les collectivités locales et les grands bailleurs l’y encouragent, de ne pas percevoir ce loyer, il peut suspendre immédiatement sur le site impots.gouv.fr la fiscalité afférente à cet acompte de loyer.
De même, un salarié qui perd une partie de son salaire parce qu’il est au chômage partiel ou un indépendant qui ne peut plus exercer son activité peuvent instantanément changer leur taux d’imposition.
L’impôt à la source s’adapte à la vie des gens, et les recettes qui rentrent dans les caisses de l’État sont celles que peuvent payer une partie de nos compatriotes, justement pour nourrir les finances publiques.
La TVA, acquittée par le consommateur final, est un impôt en lien avec le chiffre d’affaires des entreprises. Elle n’est pas perçue lorsqu’on ne vend plus rien !
Si une entreprise n’a pas été payée pour la prestation qu’elle a fournie et que la DGFiP lui réclame tout de même la TVA, il lui suffira de se rapprocher de son centre des impôts pour demander à ne pas être prélevée.
Si un chef d’entreprise rencontre des difficultés pour faire sa déclaration, par exemple parce que son expert-comptable a fermé boutique, aucune pénalité ne sera infligée.
En revanche, si une entreprise de la grande distribution qui continue à fonctionner récupère la TVA parce qu’elle vend des marchandises, le produit de cette taxe doit retourner à l’État, car c’est ce qui permet de le faire fonctionner et de lever sur les marchés financiers l’argent dont nous avons besoin pour financer le chômage partiel et les mesures de report de trésorerie.
Pardon d’avoir été un peu long. Je me tiens à votre disposition, mesdames, messieurs les sénateurs, pour répondre à vos questions. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM. – M. Claude Malhuret applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la situation que traversent la France et le monde entier est inédite. Et à situation inédite, plan inédit.
La crise sanitaire que nous connaissons aura pour conséquence l’arrêt brutal de certaines activités économiques, quand d’autres se poursuivront dans des conditions extrêmement dégradées.
Il s’agit également d’une crise financière ; j’y reviendrai à propos des garanties d’État.
Cette crise laissera une blessure profonde. La projection de la croissance française pour 2020 qui est faite dans ce projet de loi finances rectificative est négative, à – 1 %. Il y a seulement trois mois, la loi de finances initiale tablait sur +1,3 %. Le décalage est donc de 230 points de base.
Afin de répondre à cette situation, nous avons établi un plan immédiat, puissant, exceptionnel.
S’agissant des mesures budgétaires, le dispositif de chômage partiel va permettre le maintien du lien entre l’entreprise et le contrat de travail et, dans un deuxième temps, le redémarrage rapide des entreprises, des objectifs que l’Allemagne avait réussi à atteindre en 2008.
Pour ce qui concerne la trésorerie des entreprises, des mesures très concrètes sont prises en matière de charges sociales et d’impôts, sur lesquelles je ne reviendrai pas.
Je souhaite m’arrêter un instant sur la question de la dette.
L’État se portera garant de tous les prêts de trésorerie aux entreprises à hauteur de 300 milliards d’euros. Ce dispositif, qui durera jusqu’à la fin de l’année, est ouvert à compter du 16 mars pour toutes les entreprises, qu’elles soient petites ou grandes, car la question de la dette est liée non pas à la taille de l’entreprise, mais à la pression financière actuellement exercée sur notre économie. Il apportera la garantie de l’État jusqu’à 90 % et permettra de financer jusqu’à 25 % du chiffre d’affaires annuel de l’entreprise.
Enfin, nous ne laisserons pas tomber les plus petites entreprises, qui sont aujourd’hui les plus durement touchées.
Parce que ces entreprises sont les forces vives de la Nation, nous allons mettre en place un fonds de solidarité qui permettra de soutenir les TPE-PME, les indépendants et les micro-entrepreneurs – sous certaines conditions – dont le chiffre d’affaires est inférieur à 1 million d’euros.
Des milliers de ces entreprises sont désormais à l’arrêt du fait des arrêtés pris pour préserver la santé des Français et limiter les contacts sociaux, mais nous n’avons pas le droit de les laisser à leur sort.
Le fonds de solidarité aidera également toutes les entreprises dont le chiffre d’affaires a été diminué de 70 % entre le mois de mars 2019 et le mois de mars 2020. Je pense notamment aux secteurs de l’événementiel et du tourisme, qui ont connu un brutal coup d’arrêt il y a déjà plus d’un mois.
Nous avons décidé d’inclure dans le champ d’application du fonds de solidarité les professions libérales les plus modestes, celles qui pourraient être condamnées par la crise actuelle. Elles seront donc soutenues à hauteur de 1 milliard d’euros par mois, dont 750 millions financés par l’État et 250 millions par les régions. Je tiens à saluer la mobilisation de ces dernières et je me félicite de notre travail commun.
Ce fonds conduira deux actions. Il s’agit, tout d’abord, d’un soutien rapide de 1 500 euros aux entreprises qui en ont besoin et qui sera apporté par l’administration fiscale, car elle a la rapidité et la puissance de feu. Ensuite, un soutien complémentaire sera apporté au cas par cas aux entreprises les plus en difficulté, dans le cadre d’une instruction allégée pour que la rapidité d’exécution soit au rendez-vous.
Le paiement des factures de gaz, d’électricité, ainsi que des loyers des plus petites entreprises qui connaissent des difficultés pourra être reporté. Le principe que nous voulons défendre est le suivant : face à l’absence de chiffre d’affaires, il faut minimiser le poids des charges.
Pour ce qui est des loyers, nous échangeons avec les bailleurs publics, afin de reporter les échéances des plus petites entreprises. Je tiens à féliciter le Conseil national des centres commerciaux (CNCC), qui a accepté de reporter les loyers du mois de mars de 38 000 commerces. Nous travaillons également avec la profession immobilière pour qu’une telle démarche soit généralisée. Cela ne peut pas être fait de manière automatique puisque, dans le cas de certains commerces, une personne physique est derrière le bail commercial ; les difficultés financières se posent donc des deux côtés.
J’aimerais rappeler à chacun que la solidarité nationale doit jouer à plein régime. C’est pourquoi j’appelle tous les bailleurs privés à faire preuve de solidarité, dès lors qu’ils en ont les moyens.
Bien entendu, ces mesures ont un coût pour nos finances publiques. Par conséquent, le déficit public pour 2020 devrait atteindre 3,9 % du PIB, au lieu des 2,2 % prévus initialement. La dette française dépasserait donc 100 % du PIB en 2020.
Les circonstances, exceptionnelles, exigent cette réponse inconditionnelle et puissante. C’est le choix politique que nous faisons. Je salue la décision de la Commission européenne de lever en 2020 les contraintes réglementaires, prévues dans le pacte de stabilité et de croissance (PSC), qui pèsent sur les États membres de la zone euro. (MM. Martin Lévrier et Jean-Marc Gabouty applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, alors que la France est confrontée à une crise majeure sans précédent, mes premières pensées vont aux malades et aux soignants, mais également – M. le ministre y a fait allusion – à tous les membres des services publics et à tous les salariés qui continuent de travailler, parfois avec difficulté, pour assurer les fonctions essentielles de ce pays. Nous devrons avoir une attention toute particulière pour eux.
Je tiens également à vous remercier de votre présence et à saluer nos collègues qui n’ont pas pu être là.
Nous sommes réunis pour examiner en urgence un projet de loi de finances rectificative déposé il y a deux jours et dont il y a fort à parier, si je me réfère à la crise de 2008, qu’il sera le premier d’une longue série.
Le Gouvernement tablait initialement sur une croissance de 1,3 % en 2020. Cette hypothèse était déjà compromise par le recul surprise du PIB de 0,1 % enregistré au dernier semestre de l’année 2019. Avec la crise sanitaire, elle est désormais caduque.
La propagation du coronavirus à l’échelle mondiale constitue un choc d’ampleur inédite. Il s’agit à la fois d’un choc d’offre, lié principalement aux absences au travail et à la perturbation des chaînes de production, et d’un choc de demande, dû au report des décisions de consommation et d’investissement des agents économiques, ainsi qu’à la contraction de la demande de nos partenaires commerciaux.
À ce stade, soyons modestes : il est très difficile d’apprécier l’effet cumulé de ces différents chocs sur la croissance.
Pour sa part, le Gouvernement anticipe désormais un recul du PIB de 1 % en 2020. Il s’agirait du deuxième plus fort recul du PIB de l’après-guerre.
Le Gouvernement suggère que cette nouvelle hypothèse présenterait un caractère central au regard des estimations disponibles. Toutefois, cette prévision me paraît en réalité plutôt se situer dans la fourchette haute des estimations, d’autres instituts prévoyant que l’effet sera plus important. Quoi qu’il en soit, nous n’en savons rien à ce stade.
Vous ne l’ignorez pas, cette crise sanitaire intervient dans un contexte budgétaire malheureusement contraint. Dans le cadre de nos travaux, nous avons régulièrement souligné les uns et les autres que le choix des majorités successives, notamment de celle-ci, de reporter en fin de quinquennat l’effort structurel sur les comptes publics risquait de rendre l’économie française vulnérable face aux chocs. Nous y sommes !
La France est ainsi, avec l’Italie, le seul pays de la zone euro dont la part de la dette dans la richesse nationale a augmenté entre 2014 et 2019 ; nous frôlons les 100 % du PIB, soit un écart de 40 points avec nos voisins allemands. Nous étions pourtant avant la crise de 2008 au même niveau d’endettement qu’eux. Cela nous laisse donc moins de marges de manœuvre budgétaires.
Faut-il pour autant que l’État renonce à soutenir les entreprises et les salariés ? Évidemment non !
L’absence de mesures de soutien risquerait d’ailleurs de dégrader durablement les perspectives de croissance de l’économie française.
La faiblesse de la croissance va en effet se traduire naturellement par une perte de recettes et une augmentation des dépenses sociales. Ainsi, la dégradation de la conjoncture pèse sur le déficit public à hauteur de 1,4 point de PIB.
En complément, des mesures de soutien budgétaire à vocation défensive ont été légitimement annoncées par le Gouvernement, afin de permettre aux entreprises et aux travailleurs de surmonter le choc temporaire lié aux mesures de confinement.
L’impact de ce paquet de mesures sur les indicateurs maastrichtiens est à ce stade nettement plus faible qu’après la crise de 2008, car l’essentiel des mesures de soutien consiste, comme l’a souligné M. le ministre, en un simple étalement de charges fiscales et sociales, tandis que les garanties constituent un engagement hors bilan de l’État. À ce stade, il y a encore peu de décaissements, excepté la prise en compte du chômage partiel, dispositif à la fois intéressant et puissant. Pour le reste, il s’agit soit de reports de charges, soit d’engagements hors bilan.
Le coût budgétaire au titre de l’exercice 2020 pris en compte par le Gouvernement se limite ainsi à 11,5 milliards d’euros. Nous serons sans doute malheureusement appelés à nous revoir…
Au total, la prévision de déficit public s’en trouve d’ores et déjà fortement dégradée, passant de 2,2 % du PIB initialement prévu à 3,9 % à l’issue de l’exercice.
Je note que le Gouvernement n’a pas souhaité communiquer sur l’évolution de sa prévision d’endettement. Je l’estime pour ma part à 102,5 % du PIB, en tenant compte de la dégradation de l’endettement et des mesures de soutien.
Il y a néanmoins fort à parier que le scénario gouvernemental sera, de nouveau, substantiellement modifié dans les prochaines semaines. La prévision de croissance constitue naturellement la principale source d’interrogation.
Enfin, le coût des mesures de soutien annoncées pour faire face à la crise sanitaire constitue un troisième aléa majeur.
Je citerai en particulier la question du calibrage des mesures de soutien défensives qui pourraient être revues à la hausse en fonction de la durée des mesures de confinement. En outre, il ne peut être exclu que le Gouvernement décide de mettre en œuvre des mesures de soutien offensives, une fois l’épidémie du coronavirus endiguée.
S’agissant de l’impact sur le budget de l’État et des articles du projet de loi de finances rectificative, je ne remettrai pas en cause les mesures proposées, qui ont pour objet de soutenir à bout de bras une économie qui risque de s’arrêter.
Ces principales mesures dégraderaient le solde budgétaire de l’État de 14,5 milliards d’euros, avec un déficit budgétaire de l’ordre de 109 milliards d’euros.
S’agissant des recettes, les prévisions sont particulièrement imprécises, car il est impossible à ce stade de savoir quelles seront les conséquences exactes de la crise sanitaire sur le rendement des impôts. On a évoqué à l’instant la TVA et l’impôt sur le revenu. La diminution de 10,7 milliards d’euros des recettes fiscales nettes paraît toutefois être un minimum. J’ai examiné les chiffres de la crise de 2008-2009 : la perte s’élevait à plus de 50 milliards d’euros. Certes, nous n’en sommes pas là, mais nous enregistrerons sans doute une contraction des recettes plus importante que celle qui a été annoncée aujourd’hui.
S’agissant des dépenses, le texte que nous examinons comporte trois séries de mesures qui toutes tendent à soutenir l’activité des entreprises. Il ne s’agit donc pas encore d’un plan de relance, même si nous en aurons besoin par la suite, mais il s’agit d’un plan de sauvetage. C’est plus tard qu’il faudra aider les entreprises en contribuant à relancer l’économie.
Deux mesures sont portées par une nouvelle mission budgétaire intitulée Plan d’urgence face à la crise sanitaire. Les crédits seront ainsi sanctuarisés et traçables à travers les documents budgétaires. La commission des finances y sera très attentive.
Au sein de cette mission, un programme vise les crédits alloués par l’État au dispositif de soutien exceptionnel au chômage partiel.
Il convient, bien sûr, d’approuver ce dispositif. Il a été massivement mis en place par l’Allemagne lors de la crise de 2008, ce qui a favorisé le maintien de l’emploi dans ce pays. Nous sommes toutefois conscients que le coût final sera probablement supérieur si le dispositif est prolongé.
Le second programme de la mission prévoit la création d’un fonds spécifique à destination des très petites entreprises dont l’activité est fortement touchée par la crise sanitaire. Là encore, le dispositif est loin d’être cadré.
Si le texte évoque quelques secteurs comme la restauration et l’hôtellerie, les effets de la crise touchent un grand nombre d’acteurs. Il convient donc de ne pas sectoriser. En revanche, on peut s’interroger sur les seuils : 1 million d’euros de chiffre d’affaires, perte de 70 %, avec des périodes de référence qui ne sont pas forcément pertinentes. Tout cela est discutable.
D’une manière générale, il est nécessaire de définir des modalités d’attribution des aides particulièrement claires et efficaces, car les demandes vont affluer.
Enfin, de manière à répondre aux problèmes de trésorerie auxquels de nombreuses entreprises font face, l’article 4 autorise l’État à garantir jusqu’à 300 milliards d’euros de prêts aux entreprises. Ce dispositif doit permettre de maintenir ouvert le canal du crédit pour les entreprises.
Par ailleurs, le Gouvernement a introduit une garantie spécifique de l’assurance crédit à l’Assemblée nationale.
Les conséquences de ces garanties sur les finances publiques sont incertaines : elles dépendront des montants pour lesquels la garantie sera in fine requise.
Les mesures proposées dans ce projet de loi de finances rectificative s’inspirent assez largement de dispositions déjà expérimentées, notamment en 2008, et qui devraient contribuer à apporter un soutien aux entreprises.
Il faut toutefois être conscients, mes chers collègues, que ce plan de sauvetage n’est certainement pas le dernier. Nous serons sans doute amenés à nous revoir en fonction de la durée de la crise. Après avoir sauvé le tissu économique, il conviendra probablement de mettre en œuvre un plan de relance, comme cela avait été fait en 2009.
En tout état de cause, le caractère extraordinaire, ne serait-ce que par les montants, des mesures qui nous sont présentées exige un suivi très précis du Parlement, comme ce fut le cas tout au long de l’application du plan de relance de l’économie adopté en 2009.
C’est pourquoi je souhaite qu’il en soit de même pour les mesures prévues par la nouvelle mission Plan d’urgence face à la crise sanitaire et la garantie des prêts prévue par l’article 4. La commission propose donc un amendement visant à la mise en place d’un mécanisme de suivi, sur lequel j’ai d’ailleurs travaillé avec le rapporteur général de l’Assemblée nationale. Nous avons un peu de mal à nous réunir en ce moment, en raison du confinement. Nous préférerions donc une information régulière du Parlement via des tableaux mensuels. Je précise que cela n’empêchera en rien un comité de suivi de se réunir s’il le peut.
Par ailleurs, nous sommes tous conscients que des salariés doivent continuer de travailler, qu’il s’agisse des salariés des secteurs de l’industrie ou de la distribution. Un dispositif généreux à 100 % de chômage partiel pour le SMIC a été mis en place, mais il importe également de prévoir une incitation à aller travailler. Le Gouvernement a évoqué la mise en place d’une prime de 1 000 euros. Il s’agit certes d’une bonne initiative, mais les conditions d’attribution de cette prime sont strictes. Il faut notamment un accord d’intéressement. Bref, une telle mesure n’est pas applicable dans les PME, les TPE et les commerces de proximité, qui doivent pourtant rester ouverts.
C’est pourquoi la commission a présenté un amendement tendant à exonérer totalement les heures supplémentaires de charges patronales au-delà de 5 000 euros. Il est important aujourd’hui d’assurer un soutien à ces salariés mobilisés pour assurer la fourniture de biens et de services vitaux pour nos concitoyens, que ce soit bien sûr dans le secteur de la santé, mais aussi dans ceux de la grande distribution ou des transports.
La commission se réunira à l’issue de la discussion générale pour examiner les amendements extérieurs, mais compte tenu de l’ensemble de ces éléments, je vous propose d’adopter ce PLFR qui répond à une urgence. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)