M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos II-38 et II-420.
(Les amendements sont adoptés.)
M. le président. En conséquence, l’article 78 terdecies est supprimé.
Article 78 quaterdecies (nouveau)
I. – La section 4 ter du chapitre II du titre IV du livre Ier de la première partie du code de la santé publique est ainsi modifiée :
1° Les articles L. 1142-24-11 à L. 1142-24-13 sont ainsi rédigés :
« Art. L. 1142-24-11. – Un collège d’experts placé auprès de l’office procède à toute investigation utile à l’instruction de la demande, dans le respect du principe du contradictoire. Il diligente, le cas échéant, une expertise, sans que puisse lui être opposé le secret professionnel ou industriel.
« Le collège est présidé par un membre du Conseil d’État, un magistrat de l’ordre administratif ou un magistrat de l’ordre judiciaire, en activité ou honoraire, et comprend notamment une personne compétente dans le domaine de la réparation du dommage corporel, une personne compétente en droit de la responsabilité médicale ainsi que des médecins proposés par le Conseil national de l’ordre des médecins, par des associations de personnes malades et d’usagers du système de santé ayant fait l’objet d’un agrément au niveau national dans les conditions prévues à l’article L. 1114-1, par les producteurs, exploitants et fournisseurs concernés ou leurs assureurs, par les assureurs des professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code et des établissements, services et organismes dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins, et par l’État.
« La composition du collège d’experts et ses règles de fonctionnement, propres à garantir son indépendance, son impartialité et le respect du principe du contradictoire, ainsi que la procédure suivie devant lui et les modalités d’information des organismes de sécurité sociale auxquels la victime est affiliée sont déterminées par décret en Conseil d’État.
« Les membres du collège et les personnes qui ont à connaître des documents et informations détenus par celui-ci sont tenus au secret professionnel, dans les conditions et sous les peines prévues aux articles 226-13 et 226-14 du code pénal.
« Art. L. 1142-24-12. – S’il constate un ou plusieurs dommages mentionnés à l’article L. 1142-24-10 qu’il impute à la prescription, avant le 31 décembre 2015, de valproate de sodium ou de l’un de ses dérivés pendant une grossesse, le collège d’experts émet un avis sur les circonstances, les causes, la nature et l’étendue de ces dommages ainsi que sur la responsabilité de l’une ou de plusieurs des personnes mentionnées au premier alinéa de l’article L. 1142-5 ou de l’État, au titre de ses pouvoirs de sécurité sanitaire.
« Les malformations congénitales sont présumées imputables à un manque d’information de la mère sur les effets indésirables du valproate de sodium ou de l’un de ses dérivés lorsqu’il a été prescrit à compter du 1er janvier 1982.
« Les troubles du développement comportemental et cognitif sont présumés imputables à un manque d’information de la mère sur les effets indésirables du valproate de sodium ou de l’un de ses dérivés lorsqu’il a été prescrit à compter du 1er janvier 1984.
« L’avis du collège d’experts est émis dans un délai de six mois à compter de la saisine de l’office. Il est transmis à la personne qui l’a saisi et à toutes les personnes intéressées par le litige, notamment les organismes de sécurité sociale auxquels est affiliée la victime. Il s’impose à l’office.
« Cet avis ne peut être contesté qu’à l’occasion de l’action en indemnisation introduite devant la juridiction compétente par la victime ou des actions subrogatoires prévues aux articles L. 1142-14 et L. 1142-24-17.
« Sous réserve que le premier avis de rejet n’ait pas donné lieu à une décision juridictionnelle irrévocable dans le cadre de la procédure mentionnée au cinquième alinéa du présent article, un nouvel avis peut être rendu par le collège d’experts dans les cas suivants :
« 1° Si des éléments nouveaux sont susceptibles de justifier une modification du précédent avis ;
« 2° Si les dommages constatés sont susceptibles, au regard de l’évolution des connaissances scientifiques, d’être imputés au valproate de sodium ou à l’un de ses dérivés.
« Art. L. 1142-24-13. – L’article L. 1142-24-3 est applicable à l’indemnisation des préjudices régis par la présente section. » ;
2° Les articles L. 1142-24-14 et L. 1142-24-15 sont abrogés ;
3° L’article L. 1142-24-16 est ainsi modifié :
a) À la première phrase du premier alinéa du I, les mots : « comité d’indemnisation » sont remplacés, deux fois, par les mots : « collège d’experts » ;
b) À la première phrase du premier alinéa du II, les mots : « comité d’indemnisation » sont remplacés, deux fois, par les mots : « collège d’experts » et les mots : « au regard des obligations légales et réglementaires s’imposant au produit » sont supprimés ;
4° À la première phrase du deuxième alinéa de l’article L. 1142-24-17, les mots : « de trois » sont remplacés par les mots : « d’un ».
II. – Les dossiers en cours de rapport ou d’avis à la date de l’installation du nouveau collège d’experts sont repris par ce dernier, qui peut également être saisi d’une demande de réexamen d’un dossier ayant fait l’objet d’un avis du comité d’indemnisation, sous réserve que cet avis n’ait pas donné lieu au paiement transactionnel d’une indemnité.
III. – Les deuxième et troisième alinéas de l’article L. 1142-24-12 du code de la santé publique, dans sa rédaction résultant du I, sont applicables aux demandes introduites devant l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux avant comme après l’entrée en vigueur de la présente loi. – (Adopté.)
Article 78 quindecies (nouveau)
Le Gouvernement présente, en annexe générale au projet de loi de finances de l’année, un rapport sur la politique de prévention et de promotion de la santé.
Cette annexe rassemble l’ensemble des moyens dédiés à la politique de prévention et de promotion de la santé de l’État, de la sécurité sociale et des collectivités territoriales.
M. le président. L’amendement n° II-39, présenté par M. Joyandet, au nom de la commission des finances, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Alain Joyandet, rapporteur spécial. La commission des finances n’est, de tradition, pas très favorable aux demandes de rapport. Il est donc proposé de supprimer le rapport prévu dans cet article.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État. Les « jaunes » et les « oranges » budgétaires, aussi appelés documents de politique transversale, ont tous deux vocation à retracer l’effort financier global dédié à une politique interministérielle.
Concernant la politique de prévention en matière de santé, l’Assemblée nationale comme le Sénat demandent régulièrement à disposer d’une meilleure visibilité du financement – les débats précédents l’ont bien prouvé.
L’Assemblée nationale a estimé, et je partage son avis, qu’un « jaune » budgétaire permettrait une meilleure consolidation et une meilleure lecture des informations budgétaires relevant de sources de financement très différentes, à savoir le budget de l’État, celui de l’assurance maladie et celui des collectivités territoriales.
Cela étant, je partage votre analyse, monsieur le rapporteur, concernant la redondance qui résulterait de la production d’un document supplémentaire sur une même politique publique. En revanche, il me semblerait préférable de privilégier le format du « jaune ».
L’avis est donc défavorable.
M. le président. Je mets aux voix l’article 78 quindecies.
(L’article 78 quindecies est adopté.)
Article 78 sexdecies (nouveau)
Dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur le financement et l’évolution du financement des centres de référence maladies rares.
M. le président. L’amendement n° II-40, présenté par M. Joyandet, au nom de la commission des finances, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Alain Joyandet, rapporteur spécial. Il s’agit là aussi d’un rapport que la commission des finances avait souhaité, dans son élan, supprimer.
Néanmoins, ce rapport porte sur les maladies rares, et tant la communauté médicale que les familles concernées se sont émues de notre position. Elles nous ont expliqué que ce document était nécessaire pour faire avancer leur cause. J’ai donc proposé, ce matin, à la commission des finances de revoir notre position.
Je propose donc, pour ne pas allonger les débats, de retirer purement et simplement l’amendement pour permettre le maintien de ce rapport. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et LaREM.)
M. Martin Lévrier. Bravo !
M. Alain Joyandet, rapporteur spécial. Mes chers collègues, je vous remercie pour vos applaudissements : l’après-midi se termine bien ! (Rires.)
M. le président. L’amendement n° II-40 est retiré.
Je mets aux voix l’article 78 sexdecies.
(L’article 78 sexdecies est adopté.)
M. le président. Nous avons achevé l’examen des crédits de la mission « Santé ».
Organisation des travaux
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires sociales.
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. J’informe les membres de la commission des affaires sociales que nous nous réunirons, à la suspension, pour examiner les amendements sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale, dont nous débattrons demain en séance.
M. le président. Mes chers collègues, je vous indique que je suspendrai la séance à vingt heures.
Solidarités, insertion et égalité des chances
M. le président. Le Sénat va examiner les crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » (et articles 78 octodecies à 78 vicies).
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Arnaud Bazin, rapporteur spécial de la commission des finances. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances », qui porte les politiques publiques de solidarité et de cohésion sociale de l’État en faveur des personnes les plus fragiles, est dotée de 25,5 milliards d’euros de crédits de paiement en 2020. Ces crédits progressent ainsi de 6,7 % par rapport à 2018, soit une augmentation de près de 1,6 milliard d’euros.
Cette hausse significative est principalement due au dynamisme structurel et aux revalorisations de la prime d’activité et de l’allocation aux adultes handicapés (AAH), dont les dépenses sont estimées à 20 milliards d’euros pour 2020.
Malgré cette hausse des crédits et les revalorisations que nous saluons, ce budget n’est pourtant pas pleinement satisfaisant, madame la secrétaire d’État.
D’abord, ce budget intègre, comme les années précédentes, de discrets « coups de rabots » touchant les plus fragiles : revalorisation à 0,3 % en 2020 de la prime d’activité et de l’AAH ; baisse de l’abattement portant sur les revenus d’activité pris en compte dans le calcul de la prime d’activité ; suppression du complément de ressources pour les bénéficiaires de l’AAH notamment.
Ensuite, ce budget est entouré d’un certain nombre d’incertitudes, qui nous inquiètent.
En premier lieu, la montée en charge extrêmement dynamique des dépenses de prime d’activité qui a occasionné des difficultés de gestion dans les caisses d’allocations familiales (CAF), comme nous avons pu le constater lors de nos déplacements dans les CAF du Nord et du Val-d’Oise. Les CAF ont reçu, du 1er janvier au 30 avril 2019, plus de 1,4 million de demandes, contre 276 000 à la même période en 2018. Le nombre de foyers allocataires de la prime d’activité a ainsi augmenté de 47 % entre septembre 2018 et mars 2019, pour atteindre aujourd’hui 4,1 millions de foyers bénéficiaires.
Outre le nombre de bénéficiaires, l’évolution de leur profil nous amène à nous interroger. D’après un rapport du Gouvernement remis au Parlement, ce sont les tranches de revenus les plus élevés qui progressent parmi les bénéficiaires. De même, cette revalorisation de la prime d’activité fait – il est vrai – baisser le taux de pauvreté de 0,5 point, tout en s’accompagnant d’une hausse de 0,5 point de l’intensité de la pauvreté, ce qui nous pose question.
Deuxième sujet d’incertitude et d’inquiétude, la mise en œuvre du revenu universel d’activité (RUA) est entourée de plusieurs flous, et non des moindres.
D’abord, le périmètre du RUA est imprécis, avec notamment la question de l’intégration de l’AAH. Le Gouvernement semble avoir fixé deux lignes rouges, sur lesquelles je serai extrêmement vigilant : premièrement, aucune conditionnalité en termes d’activité ne sera exigée pour le versement du revenu minimum s’agissant du handicap ; deuxièmement, les moyens mobilisés aujourd’hui pour le handicap devront lui rester affectés. Par ailleurs, outre son périmètre, des incertitudes entourent le financement du RUA. Sur ce sujet, madame la secrétaire d’État, je vous interroge : comment seront financées les modalités de reprise du revenu de solidarité active (RSA) aux départements ? Cette question est extrêmement sensible pour l’Assemblée des départements de France (ADF).
Dernier sujet d’inquiétude que je souhaitais aborder et qui concerne d’ailleurs également les départements : le financement de l’accueil des mineurs non accompagnés (MNA), dont l’enveloppe prévue n’est toujours pas à la hauteur des enjeux. L’ADF estime aujourd’hui à 2 milliards d’euros le coût induit par l’évaluation et la prise en charge de ces mineurs, quand le budget de l’État atteint péniblement les 162 millions d’euros. Pourquoi, madame la secrétaire d’État, l’État, qui s’y était d’ailleurs engagé, ne reprend-il pas à sa charge une partie du dispositif, qui devrait légitimement lui revenir au titre de ses missions régaliennes ? M. le Premier ministre l’avait d’ailleurs annoncé quand il a rencontré en 2017 les départements de France lors de leur congrès annuel.
Malgré ces insuffisances que je regrette vivement et au vu de la hausse des crédits, la commission des finances a décidé d’adopter ceux-ci, tels qu’ils auront été modifiés par l’adoption un amendement que mon collègue Éric Bocquet vous présentera. Nous serons néanmoins attentifs aux réponses apportées par Mme la secrétaire d’État aux sujets d’inquiétude que nous avons pointés.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Éric Bocquet, rapporteur spécial de la commission des finances. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, Arnaud Bazin a parfaitement souligné les insuffisances et incohérences budgétaires dont souffre cette mission, mais il ne s’agit malheureusement pas des seules.
Je souhaitais à cet égard pointer trois autres sujets d’inquiétudes, à commencer par la stratégie de prévention et de protection de l’enfance, lancée par le Gouvernement en octobre dernier. Si l’ambition de ce plan est louable, nous nous interrogeons sur son financement et ses modalités de mise en œuvre. Une enveloppe de 30 millions d’euros a été ouverte, à laquelle devraient s’ajouter 20 millions d’euros « par redéploiement ». Madame la secrétaire d’État, comment se fera ce redéploiement, et pensez-vous que ce montant soit suffisant au vu des enjeux en la matière ?
Autre sujet d’inquiétude, le financement de l’aide alimentaire, qui fut l’objet de notre précédent rapport de contrôle. Le système d’aide alimentaire français, qui bénéficie aujourd’hui à près de 5,5 millions de personnes, apparaît plus que jamais fragilisé par les difficultés de gestion liées au Fonds européen d’aide aux plus démunis. Ces difficultés font peser de vrais risques budgétaires pour la France : au bas mot, 70 millions d’euros dus à des non-remboursements de la part de la Commission européenne devraient être compensés sur le budget de l’État. C’est assez dramatique, d’autant que la prochaine programmation se profile.
Madame la secrétaire d’État, je sais que vous suivez ce dossier de près, mais il est impératif que l’État tire les conséquences de ces défaillances, pour que, in fine, les bénéficiaires, les plus fragiles de nos concitoyens, ne soient pas encore les victimes collatérales de sa mauvaise gestion.
Par ailleurs, sur ce sujet de l’aide alimentaire, je souhaitais vous interroger, madame la secrétaire d’État, sur l’incohérence de la réforme du mécénat que vous mettez en œuvre. Les associations d’aide alimentaire dites « loi Coluche » ont été exclues du champ d’application du dispositif. Néanmoins, cette dérogation s’applique seulement aux structures « qui procèdent à la fourniture gratuite de repas », et tend donc à exclure les épiceries solidaires, dont le modèle reposant sur la participation symbolique des bénéficiaires pourrait être remis en cause, ce qui serait très regrettable.
Le dernier sujet que je souhaitais aborder concerne les crédits consacrés aux politiques de lutte contre les violences faites aux femmes, qui figurent en partie dans le programme 137 de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ». Là encore, la réponse gouvernementale n’est pas à la hauteur des enjeux.
Plus que jamais, cette priorité politique, déclarée comme telle par le Gouvernement, doit faire l’objet d’un passage des paroles aux actes. Habitué à s’attribuer la création de mesures déjà existantes ou à faire fi des politiques passées, le Gouvernement semble, sur ce sujet, se heurter à l’épineuse question budgétaire.
Nous souhaitons ainsi faire trois séries d’observations pour rétablir la réalité des chiffres.
Tout d’abord, nous sommes très loin du milliard d’euros annoncé pour l’égalité et la lutte contre les violences faites aux femmes, comme nous avons pu le démontrer dans notre rapport. Nous constatons même la diminution des crédits consacrés à la lutte contre les violences, au sein du programme 137, entre 2019 et 2020.
Par ailleurs, aucune mesure budgétaire concrète n’a été annoncée pour financer les mesures du Grenelle contre les violences conjugales. Interrogé, le cabinet de Mme Schiappa n’a, semble-t-il, pas jugé utile de nous répondre. Madame la secrétaire d’État, pourriez-vous peut-être nous éclairer sur la budgétisation de ces mesures annoncées ?
Enfin, les associations ont dû affronter une hausse sans précédent de demandes depuis le mouvement #MeToo, sans bénéficier parallèlement, pour certaines d’entre elles, de hausse de crédits. Par ailleurs, le peu de considération du ministère pour les associations nous laisse quelque peu perplexes : certaines structures n’ont pas encore reçu leur subvention au titre de 2019 ni d’informations quant au renouvellement de leur convention pluriannuelle débutant en 2020.
Dans ces conditions, mon collègue Arnaud Bazin et moi-même présenterons un amendement tendant à augmenter les crédits consacrés à la lutte contre les violences faites aux femmes d’un million d’euros.
Pour les différentes raisons évoquées précédemment, j’avais émis un avis défavorable à l’adoption des crédits de cette mission. Néanmoins, la commission des finances a finalement décidé de les adopter. (Applaudissements au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Philippe Mouiller, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens d’abord à saluer l’effort budgétaire important qui a été consenti en faveur de l’allocation aux adultes handicapés (AAH) depuis 2018, bien que celle-ci reste inférieure au seuil de pauvreté. Toutefois, l’augmentation de 0,3 % proposée pour 2020 afin de freiner la hausse des dépenses aura pour effet de dégrader dès l’an prochain le pouvoir d’achat des allocataires. Nous devrons veiller à ce que cette sous-revalorisation n’amorce pas un nouveau décrochage.
L’AAH, parce qu’elle s’adresse à des personnes confrontées aux plus grandes difficultés, voire à l’impossibilité de s’insérer ou de se maintenir dans l’emploi, ne devrait pas être considérée comme un minimum social de droit commun. À cet égard, la baisse du plafond de ressources applicable aux allocataires en couple entre 2018 et 2019 a sans doute été trop brutale et a contribué, avec la suppression du complément de ressources, à la perception mitigée de leur situation par les bénéficiaires de l’AAH.
Pour les mêmes raisons, je suis profondément réservé à l’égard d’une absorption de l’AAH dans un revenu universel d’activité. L’exercice d’harmonisation des bases de ressources a ses limites, s’agissant d’une allocation conçue au fil du temps pour répondre aux besoins d’un public bien particulier.
En revanche, l’idée d’un rapprochement avec l’allocation supplémentaire d’invalidité est intéressante et permettra de simplifier le parcours des allocataires. La commission propose de préciser par coordination son mode de calcul.
S’agissant de la prime d’activité, la revalorisation exceptionnelle du « bonus » individuel au 1er janvier 2019 semble avoir réconcilié ses objectifs de soutien du pouvoir d’achat des familles aux revenus modestes et d’incitation à l’exercice d’une activité professionnelle, au prix d’un effort financier considérable, et assurément sous-estimé pour 2020. Toutefois, après quatre ans d’existence de la prime, son impact réel sur l’emploi reste impossible à quantifier. Sur ce point, il semble que le Gouvernement continue de considérer le taux de recours et l’augmentation des dépenses comme des objectifs en soi, sans s’interroger plus avant sur les effets complexes de cette prestation. Elle aura du moins le mérite de réduire, en 2019, un taux de pauvreté qui a bondi en 2018 de 14,1 % à 14,7 %, selon les données provisoires publiées par l’Insee.
Quant à la stratégie Pauvreté, la volonté d’établir un rapport de confiance avec les acteurs territoriaux doit être relevée. Toutefois, plusieurs départements ont vu leurs relations avec l’État se durcir depuis le début du processus de contractualisation, et les collectivités s’inquiètent de voir cette méthode se traduire par une nouvelle forme de tutelle de l’État.
Au sein du budget de l’égalité entre les femmes et les hommes, qui reste stable à l’euro près en dépit des ambitions affichées, la commission estime que le financement de la lutte contre la prostitution devrait être maintenu à son niveau de 2019.
Enfin, la commission propose, cette année encore, un amendement symbolique, mais ô combien important, qui vise à créer au sein de la mission un nouveau programme budgétaire consacré à l’évaluation et à l’hébergement d’urgence des mineurs non accompagnés, afin que soit officiellement reconnue la compétence de l’État en cette matière.
Sous ces réserves, la commission a donné un avis favorable aux crédits de la mission. (Mme Christine Lavarde et M. Arnaud Bazin, rapporteur spécial, applaudissent.)
M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que le temps de parole attribué à chaque groupe pour chaque unité de discussion comprend le temps de l’intervention générale et celui de l’explication de vote.
Par ailleurs, le Gouvernement dispose au total de dix minutes pour intervenir.
Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Jean-Louis Tourenne.
M. Jean-Louis Tourenne. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, cette mission porte un magnifique titre, « Solidarité, insertion et égalité des chances », qui laisse miroiter des ambitions d’harmonie, de cohésion sociale et d’attention aux personnes les plus fragiles. Il y a de quoi faire !
Le nombre de pauvres a augmenté et la pauvreté touche désormais plus de 9 millions de personnes, dont 3 millions d’enfants – on peut hélas ! deviner le destin qui leur est promis. Sept cents enfants à la rue sont recensés à Paris.
Les 10 % les plus pauvres voient leur pouvoir d’achat régresser.
Une famille sur deux déclare ne pouvoir financer le logement étudiant de son enfant.
Les inégalités se creusent. Quant aux revenus et aux fortunes des plus riches, ils s’envolent à une hauteur « sans précédent », selon la formule que vous employez à l’envi pour la moindre petite chose.
Cent trente-huit femmes sont mortes sous les coups de leur conjoint ou de leur ex-conjoint et 22 000 femmes subissent des violences physiques ou sexuelles.
La France est championne du monde du déterminisme social. Ainsi, les enfants pauvres d’aujourd’hui seront les adultes pauvres et révoltés de demain, et la violence ne cessera d’augmenter.
« Vaste programme », aurait dit, sur un autre sujet le général de Gaulle. Vaste programme, qui justifiait, en matière de solidarité et d’égalité des chances, une forte détermination. Hélas !
Le montant de cette mission, supérieur à 25 milliards d’euros, pourrait apparaître assez important. Toutefois, déduction faite de la prime d’activité, de l’AAH et de la rémunération des personnels d’administration, seuls 1,2 milliard d’euros sont consacrés à des actions de raccommodage d’un tissu social qui part en lambeaux.
En réalité, votre politique sur cette mission se situe dans le droit fil de toutes les autres, marquée par les déclarations triomphalistes que la maigreur des efforts et des effets est loin de justifier, et par des présentations en trompe-l’œil qui n’abusent plus personne, tant la parole du Gouvernement est décrédibilisée.
Ainsi en est-il de l’affirmation d’un gain de pouvoir d’achat de 100 euros par la prime d’activité. La vérité exige de déduire l’augmentation normale du SMIC et la perte liée à l’inflation.
Il en est ainsi, encore, du milliard d’euros annoncé par Mme la ministre, une annonce qui relève pour le moins d’une présentation largement enjolivée de la réalité.
Ce gouvernement manifeste une affection singulière pour les primes, au détriment des augmentations de salaire : prime d’activité quand une augmentation de salaire était attendue, prime pour les agents hospitaliers qui ne s’en satisfont pas… Il est vrai que la prime engage beaucoup moins. Ainsi pouvez-vous pratiquer sur les allocations diverses et les primes une désindexation qui réduira le pouvoir d’achat de celles-ci de près de 1 %.
Pourquoi cet acharnement à faire payer les plus fragiles ?
Il est vrai qu’ils ont moins de moyens pour manifester leur mécontentement, sauf par la violence accrue ou l’espoir vain et dangereux du recours aux extrêmes. Ils sont les malheureuses victimes de vos politiques.
Près de 1,2 million de chômeurs et leur famille vont progressivement sombrer dans le dénuement le plus tragique. Ils viendront augmenter la cohorte croissante des personnes pauvres.
La baisse des aides personnalisées au logement (APL), dont le Président de la République fait repentance, continue de s’appliquer et impacte leur pouvoir d’achat.
Aucune mesure de réduction de la fiscalité, qu’il s’agisse de l’impôt sur le revenu ou de la suppression de la taxe d’habitation, ne concernera les plus démunis. En 2020, 21 millions de personnes pauvres verront leurs ressources affectées.
Les salariés aux revenus inférieurs à la moitié du SMIC sont écartés du bénéfice de la prime d’activité, de même que les étudiants qui, de surcroît, pour certains, subiront douloureusement les nouvelles références en matière d’APL.
Certes, les bénéficiaires de l’allocation aux adultes handicapés apprécieront l’augmentation, même atténuée par la désindexation, de 860 à 900 euros de leur allocation. Mais n’est-il pas mesquin de l’assortir de la suppression du complément de ressources, qui pouvait atteindre 170 euros et garantissait un minimum de revenus à ceux que le handicap empêche de disposer d’un salaire ? N’est-ce pas petit et injuste de plafonner l’AAH d’un couple en l’affectant d’un coefficient de 1,81, alors qu’il était de 2, soit une perte de 10 % des revenus ? Cette mesure pénalisera 67 500 couples.
Riche et bien portant, on est l’objet de beaucoup de sollicitude. Pour les autres, ça va être dur…
Pourtant, un PLF devrait être un moment de créativité, d’enthousiasme, d’innovation pour améliorer sans cesse les conditions du vivre ensemble. Comment tirer quelque enthousiasme d’une proposition inodore et sans saveur ?
L’examen de quelques aspects de votre politique est édifiant.
En matière de lutte contre la pauvreté, on passe certes de 150 millions à 215 millions d’euros, mais pour plus de 9 millions de pauvres… Dérisoire ! Totalement dérisoire ! Il est vrai que l’essentiel sera apporté par les départements, qui auraient mauvaise presse auprès de leurs habitants s’ils refusaient de s’y engager.
Pour l’égalité entre les femmes et les hommes, il n’y a pas 1 milliard d’euros, contrairement aux grandiloquentes déclarations, mais seulement 557 millions d’euros, dont une bonne partie pour des actions internationales. La seule prise en charge des femmes victimes de violences conjugales nécessiterait entre 500 millions et 1 milliard d’euros, selon le Haut Conseil à l’égalité, dont vous déciderez peut-être la disparition, comme vous avez décidé celle de l’Observatoire de la pauvreté. Plus de thermomètre, plus de malade… Pour l’heure, l’inscription budgétaire est limitée à 280 millions d’euros. Le reste est littérature !
Pourtant, les annonces furent solennelles et les mots forts. Les termes « électrochoc », « changement de paradigme » cherchent à masquer, mais cachent mal les insuffisances. Il n’y a pas un sou supplémentaire. Les actions de prévention propres à éviter de nouvelles victimes ne sont que des reprises. Les Françaises et les Français qui manifestaient en grand nombre à l’appel des « Nous Toutes » samedi dernier attendaient autre chose que ces quelques mesurettes qui n’auront guère d’effet.
De plus, le Gouvernement renonce à présenter un projet de loi sur les violences faites aux femmes. Il chargera un député de porter une proposition. Ce nouveau monde marche sur la tête !