M. le président. La parole est à M. Dominique Théophile, sur l’article.
M. Dominique Théophile. L’article 6 institue le cadre législatif applicable aux établissements publics locaux d’enseignement international. Ces derniers vont pouvoir s’implanter sur tout le territoire en fonction de la volonté des collectivités territoriales, prenant exemple sur l’école européenne de Strasbourg, qui est une référence et un succès.
Ces établissements seront constitués de classes de premier et de second degré, qui dispenseront des enseignements en langue française et en langue étrangère. Ils prépareront à l’option internationale du brevet, au bac et au bac européen. Ils seront non seulement un levier indéniable d’attractivité à l’international, mais aussi un vecteur de rayonnement local.
Les EPLEI participeront ainsi à l’objectif d’enrichissement de l’offre de formation et d’adaptation des structures administratives locales, tel qu’il est visé par le projet de loi pour une école de la confiance.
De plus, l’admission des élèves se fera après la simple vérification de leur aptitude à suivre les enseignements dans la langue étrangère pour laquelle ils se portent candidats, le tout dans des conditions adaptées à leur âge. Ces établissements n’ont pas vocation à devenir élitistes.
Ils donneront ainsi à nos élèves toutes les chances d’avoir un acquis linguistique et culturel important, qui leur favorisera, j’en suis convaincu, la meilleure insertion professionnelle en France ou à l’international.
Or, à la lecture de l’arrêté du 18 janvier 2019 fixant la liste des sections internationales, il apparaît que les États limitrophes des départements d’outre-mer pouvant bénéficier de telles conventions sont quasi inexistants.
Aussi, pour une meilleure insertion de ces territoires dans leur environnement géographique, je proposerai, via un amendement, une demande de rapport d’évaluation de cette mesure dans les deux ans, afin de permettre au Gouvernement d’accompagner au mieux les collectivités d’outre-mer pour faire émerger des EPLEI dans nos territoires et faciliter si besoin la signature de nouvelles conventions. J’espère que cette demande pourra être satisfaite.
M. le président. La parole est à Mme Claudine Lepage, sur l’article.
Mme Claudine Lepage. Nous abordons dans cet article 6 la création des établissements publics locaux d’enseignement international, ou EPLEI.
En tant que sénatrice représentant les Français établis hors de France, attachée au plurilinguisme, je ne peux qu’approuver la création d’écoles qui promeuvent des enseignements en langue vivante étrangère. Nous ne pouvons en effet que nous réjouir de voir de futurs élèves devenir parfaitement bilingues, voire trilingues à la sortie de leurs études secondaires, comme c’est souvent le cas dans les établissements du réseau d’enseignement français à l’étranger.
De plus, il convient que les enfants des salariés des organisations européennes ou internationales, à qui ces EPLEI s’adressent en priorité, puissent bénéficier d’un enseignement dans leur langue maternelle, en allemand, en anglais ou dans une autre langue.
C’est pourquoi, au vu de ce contexte, le fait que l’admission des élèves soit soumise à la vérification de leur aptitude à suivre les enseignements dans la langue de la section pour laquelle ils sont candidats ne me semble pas poser de difficultés majeures, même si un test peut se révéler inutilement stressant pour les plus jeunes et si les enfants de 3 ans peuvent apprendre une langue très rapidement.
Par ailleurs, si notre pays souhaite à l’avenir accueillir ces organisations internationales, la création de ces établissements est un préalable nécessaire.
Cependant, je m’interroge sur le fait que ces futurs EPLEI, qui relèvent de la tutelle conjointe du ministère de l’éducation nationale et du Conseil des écoles européennes, prépareront soit à l’option internationale du diplôme national du brevet et du baccalauréat, soit au baccalauréat européen. Or ce sont des programmes différents, des pratiques différentes, qui ne s’adressent pas au même public et n’ont pas les mêmes objectifs.
L’instauration de ces établissements ne doit surtout pas nous faire oublier, mes chers collègues, l’immense défi que représente l’enseignement des langues étrangères au sein de notre pays. Chaque élève devrait pouvoir maîtriser une langue étrangère au moins à la fin de ses études secondaires, ce qui n’est malheureusement pas le cas aujourd’hui.
Monsieur le ministre, au côté de ces nouveaux établissements, il est indispensable de développer, sur l’ensemble du territoire, des sections internationales, qui permettent d’intégrer, au sein du système français, un enseignement ouvert sur le monde.
Ce n’est que par cette politique ambitieuse que nous parviendrons définitivement à mettre un terme à l’échec relatif de l’enseignement des langues vivantes en France.
M. le président. La parole est à M. Michel Magras, sur l’article.
M. Michel Magras. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en prévoyant la création des établissements publics locaux d’enseignement international, l’intention qui préside aux dispositions de l’article 6 me semble particulièrement adaptée à la situation des départements français d’Amérique, qui, comme vous le savez, sont entourés de territoires anglophones et hispanophones.
J’irai plus loin : je reste persuadé que l’enseignement bilingue doit être la norme dans ces collectivités.
Ainsi, une réflexion spécifique à ces territoires aurait pu éviter deux écueils, qui rendront très peu probable la création d’EPLEI dans les outre-mer : le premier est financier, et le second relatif à l’absence de prise en compte de l’environnement linguistique régional des outre-mer.
Financièrement, les collectivités ultramarines auront des difficultés à faire face aux obligations qui leur incomberaient avec la création d’un nouvel établissement.
Sur le principe, à la faveur de la création des EPLEI, une réflexion de fond aurait pu être conduite sur l’opportunité de différencier véritablement les enseignements en outre-mer.
De fait, en 2011, à la suite d’une mission sur le tourisme en Guadeloupe et en Martinique, j’avais constaté la nécessité d’ouvrir les Antilles à d’autres marchés et à d’autres cultures, pour favoriser notamment la fin d’une vision « coloniale » du tourisme qu’une orientation longtemps exclusivement tournée vers la métropole a pu alimenter. La barrière de la langue a sans doute aussi été à l’origine de cette orientation et de son alimentation.
Aussi, pour doper l’activité et modifier la culture touristique, le bilinguisme me semble devoir être l’objectif à atteindre à l’issue du second cycle, ce qui favoriserait de surcroît l’insertion régionale des outre-mer.
Je rappelle que toutes les études statistiques sur le développement du tourisme montrent que, dans les destinations qui réussissent, quelque 60 % de la clientèle proviennent de l’environnement régional – dans les Antilles, cet environnement est essentiellement anglophone ou hispanophone.
Je suis donc sensible, une fois n’est pas coutume, à la proposition de rapport de mon collègue Dominique Théophile – certes, je connais la position traditionnelle du Sénat sur ce type de demande. Pour autant, ce rapport doit constituer le point de départ concret d’un processus d’adéquation des enseignements à la réalité locale ultramarine.
Monsieur le ministre, je serai très attentif à votre avis et aux engagements que vous pourrez prendre au nom du Gouvernement – ils détermineront mon vote sur cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, sur l’article.
M. Guillaume Gontard. Monsieur le président, je reprends une intervention de ma collègue Esther Benbassa, qui ne peut pas être présente ce soir.
La création d’établissements publics locaux d’enseignement international prévue à l’article 6 participera sans nul doute au renforcement de l’attractivité du système éducatif français et peut permettre, à terme, d’adapter l’offre scolaire des territoires.
Cependant, la mise en œuvre de ce dispositif nous pose problème. Ainsi, nous regrettons les modalités d’admission des élèves, calquées sur celles qui sont en vigueur à l’école européenne de Strasbourg, à savoir une sélection drastique fondée sur le multilinguisme de l’élève dans une langue européenne. Or, nous le savons, le multilinguisme est bien souvent l’apanage des familles les plus aisées, celles dont les enfants reçoivent très tôt un apprentissage des langues étrangères.
La réalité est tout autre : selon une étude réalisée par Education First, la France se trouverait au 22e rang sur 26 pays européens en ce qui concerne les langues étrangères après la Roumanie et la Bosnie-Herzégovine.
La France, pays mondialisé, devrait développer des écoles internationales, mais, en pleine crise sociale, il serait parfaitement regrettable de ne pas pouvoir intégrer dans ce nouveau cursus des élèves issus des diverses strates de la société. Pourquoi exclure la mixité sociale dans les formations d’excellence, en instaurant des prérequis dès le plus jeune âge ? Nous sommes bien loin du principe d’égalité de l’école républicaine…
Un tel élitisme institutionnalisé risque d’accroître l’inégalité des chances entre les élèves, et ainsi perpétuer l’injustice au sein de notre société. Nous devons éviter de construire une école à deux vitesses, avec des élites séparées du reste de la population.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° 106 rectifié est présenté par MM. Temal, Iacovelli, P. Joly, Antiste, Daudigny, Tourenne et Tissot, Mme Taillé-Polian, M. Kerrouche, Mme Lubin et MM. J. Bigot et Manable.
L’amendement n° 145 est présenté par Mme Brulin, M. Ouzoulias et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Rachid Temal, pour présenter l’amendement n° 106 rectifié.
M. Rachid Temal. En introduction, je précise que mon propos ne concerne pas l’outre-mer, les zones frontalières ou les établissements à vocation internationale qui existent aujourd’hui. Ce sont des questions spécifiques, que je mets à part.
Cela dit, l’article 6 de ce projet de loi organise, de manière concrète, une très grande inégalité. Il me semble incroyable de parler pendant des heures de l’exemplarité des enseignants, de la nécessaire présence des enfants ou de l’école inclusive et, dans le même temps, mettre en place une telle inégalité. C’est affligeant !
Je rappelle que le rapport du Conseil national d’évaluation du système scolaire, le Cnesco, évoque une longue chaîne de processus inégalitaires. Or, avec cet article, l’enfant sera sélectionné dès l’âge de 3 ans et en fonction d’éléments qui dépendent largement, chacun le sait, du contexte familial et social. Est-ce sérieux ?
Ce système sera d’autant plus élitiste et inégalitaire que ces enfants ne croiseront jamais d’autres élèves, puisque, de la maternelle jusqu’au baccalauréat, ils seront dans un système à part.
Sous couvert de certaines problématiques, comme celle de l’outre-mer, les zones frontalières ou les établissements qui accueillent par exemple des enfants de fonctionnaires internationaux – je le répète, je dissocie ces sujets de mon propos –, nous allons figer les inégalités existantes, alors que nous devrions plutôt travailler à les réduire.
L’article 6 consolidera les inégalités de notre système éducatif sur une longue durée. C’est hallucinant !
M. le président. La parole est à Mme Céline Brulin, pour présenter l’amendement n° 145.
Mme Céline Brulin. Nous souhaitons également la suppression de cet article, et cela pour plusieurs raisons.
Les nouveaux établissements seront libres de sélectionner leurs élèves, notamment sur la connaissance des langues étrangères. Or, chacun le sait bien – vous le répétez régulièrement, monsieur le ministre, et je vous rejoins sur ce point –, la maîtrise du langage et des langues étrangères est directement corrélée à la condition sociale.
Ensuite, ces établissements pourraient s’exonérer des programmes nationaux, des enseignants pourraient être mis à leur disposition par des États étrangers et des dons et legs privés pourraient leur être versés.
Tout cela fait tout de même beaucoup ! Il s’agit clairement d’une nouvelle pierre posée en vue de l’édification d’une école à plusieurs vitesses.
Nous avons parlé du sport il y a quelques instants. Or, pour réussir à faire vivre le sport de haut niveau, il faut d’abord développer massivement le sport partout dans la société et sur le territoire. Il en est de même pour les langues étrangères, et je ne crois pas que nous réussirons à corriger les difficultés de notre pays en matière de maîtrise des langues étrangères en ne formant, de manière élitiste, qu’un petit nombre de nos jeunes. Au contraire, nous n’y parviendrons qu’en permettant au plus grand nombre de maîtriser les langues étrangères.
Vous pourriez vous dire, mes chers collègues, qu’une telle position n’est pas surprenante de la part du groupe CRCE…
Toutefois, je note que de nombreux amendements ont été déposés par des sénateurs appartenant à des groupes différents pour corriger en pratique le caractère élitiste de ces écoles, soit en invitant à davantage de mixité sociale, soit en incitant à la présence de ces établissements sur l’ensemble du territoire, soit en proposant la mise en place de quotas de boursiers. C’est la meilleure preuve que les craintes relatives à ces établissements sont largement répandues.
Il y a donc bien un problème et, pour notre part, nous proposons de supprimer cet article, parce que l’idée de créer ce type d’établissement constitue pour nous une forme de péché originel.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Max Brisson, rapporteur. Ces établissements ne sont pas encore créés qu’ils sont déjà exécutés en place publique ! (Sourires.) Je crois que nous ne serons pas d’accord sur ce sujet. Assumons donc pleinement notre désaccord.
M. Pierre Ouzoulias. C’est sain !
M. Max Brisson, rapporteur. C’est sain, en effet.
Je vois deux intérêts à la création de ces établissements publics locaux d’enseignement international, les EPLEI.
Tout d’abord, ce sont les collectivités locales qui en seront à l’initiative et, en tant que Girondin, je trouve cela très bien. Elles partiront des besoins de leur territoire et mèneront ainsi une politique d’attractivité. C’est, me semble-t-il, une excellente chose.
Ensuite, cet article crée des établissements publics, autrement dit des outils à la disposition du service public de l’éducation. Je trouve regrettable que ceux qui s’affirment comme des défenseurs de l’éducation nationale ne donnent pas cette chance à l’école publique.
C’est pour ces raisons que la commission a donné un avis défavorable sur ces deux amendements de suppression.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Je crois en effet que nous devons assumer nos désaccords !
En écoutant les uns et les autres, certaines choses me reviennent à l’esprit, notamment le projet que j’ai mené, lorsque j’étais recteur à Créteil, de création d’un lycée international à Noisy-le-Grand, à cheval sur trois départements, le Val-de-Marne, la Seine-Saint-Denis et la Seine-et-Marne – un territoire que plusieurs d’entre vous connaissent bien. Les maires, issus de mouvements politiques très variés, se battaient pour la création de cet établissement, notamment parce qu’ils le voyaient comme un élément de mixité sociale.
J’entendais à l’époque des arguments – par charité, je tairai les noms de ceux qui les énonçaient – assez semblables à ceux que je viens d’entendre. Or, dix ans plus tard, tout le monde se félicite – comme dans certaines fables, l’unanimité existe donc bien… – de la création de ce lycée et constate les fruits du travail réalisé, qui a bénéficié à des enfants de toutes conditions sociales.
Ce projet a donc bien contribué à la mixité sociale. Il a aussi permis d’avancer sur la requalification de l’est parisien : si nous n’avions rien fait, seul l’ouest de l’agglomération aurait profité de ce type d’établissement, puisqu’il en existe un à Saint-Germain-en-Laye. Notre inaction aurait creusé les inégalités ou, au mieux, les aurait figées. Nous proposons finalement de faire la même chose à l’échelle de la France.
D’autres éléments me reviennent à l’esprit. Lorsque j’ai pris mes fonctions de ministre, j’ai rétabli les sections européennes des classes bilangues qui avaient été supprimées – je note d’ailleurs qu’elles avaient été supprimées à 5 % dans l’académie de Paris et à 95 % dans l’académie de Caen…
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Exactement !
M. Jean-Michel Blanquer, ministre. J’ai alors entendu les mêmes arguments qu’aujourd’hui : élitisme, etc. Il s’agit au contraire de tirer tout le monde vers le haut et d’apporter le maximum de bénéfices aux élèves les plus défavorisés.
Sur ce sujet, comme sur les autres, j’appliquerai une même philosophie : mettre en œuvre des mesures visant à créer une égalité réelle, et non factice, et orientées particulièrement vers les élèves les plus défavorisés, quitte à créer des mécanismes différenciés.
M. le rapporteur a judicieusement rappelé que ces nouveaux établissements publics laisseront une large place à l’initiative locale. Ils pourront donc voir le jour dans des lieux très divers. Je pense à un projet en cours dans le nord de la France, qui inclut un important volet de mixité sociale.
L’amendement que je vous présenterai dans un instant tendra à accentuer ce volontarisme social. J’ai naturellement parlé de cette question lors de l’examen du texte à l’Assemblée nationale, et nous avons déjà donné un certain nombre de garanties. Cela ne me dérange absolument pas de donner de telles garanties : elles correspondent pleinement aux convictions que je porte sur ce sujet.
Je vois ce dispositif comme une occasion de lutter contre les inégalités dans notre pays, mais aussi d’améliorer le niveau de connaissances en langues de nos enfants. C’est un sujet important, car, comme on l’a dit, nous devons nettement progresser en la matière.
Nous attendons également beaucoup d’effets positifs de la mise en place de réseaux autour de ces établissements, dont la création créera une forme d’émulation.
En tout cas, il ne s’agit évidemment pas de mettre en place des processus sélectifs qui conduiraient à écarter les classes sociales défavorisées. Au contraire, c’est l’occasion de progresser vers plus de mixité sociale. Dans ces dispositifs, certains enfants viendront évidemment des classes moyennes et supérieures, mais d’autres seront issus des classes défavorisées.
Ces nouveaux EPLEI ont donc plusieurs vertus. C’est pourquoi je suis défavorable aux amendements de suppression de l’article 6.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.
M. Pierre Ouzoulias. Monsieur le ministre, votre discours est beau, mais c’est de la théorie ! En tant que sénateur des Hauts-de-Seine, je puis vous dire que la réalité du terrain est profondément différente : l’exclusion est absolue, systématique, et l’on ne peut malheureusement pas y résister.
Par ailleurs, je voudrais dire à M. le rapporteur que ce type d’établissement existe déjà – je pense notamment au lycée de Courbevoie. Très clairement, le département des Hauts-de-Seine a voulu créer ce lycée pour favoriser « l’implantation de sociétés internationales à la Défense ». L’éducation devient donc un critère d’attractivité du territoire !
Que se passe-t-il après l’ouverture d’un tel lycée, qui est considéré comme intéressant ? Les classes supérieures arrivent, et les prix de l’immobilier augmentent tellement que, à un moment donné, la mixité sociale devient impossible. Aujourd’hui, vous ne pouvez plus organiser, dans une ville comme Courbevoie, la mixité sociale. Elle n’existe plus, c’est fini !
Dans des villes comme Gennevilliers au nord du département, ou Bagneux, au sud, la mixité sociale n’existe plus non plus, parce que seuls les pauvres y vivent. Et dans ces communes très défavorisées, nous assistons à une fuite massive des enfants du public vers le privé, parce que l’enseignement public est désormais très dégradé.
Je constate ce processus depuis trente ans, et il s’accélère. Le nouvel outil que vous voulez offrir aux départements ne pourra qu’accentuer ce phénomène, si bien que nous aboutirons à un véritable apartheid scolaire dont nous ne pourrons plus sortir !
Je suis absolument opposé à ce système de ségrégation sociale et territoriale irréversible. En fait, la mixité que vous nous proposez ressemble à celle qui est promue par Sciences Po : on va chercher quelques élèves pour se donner bonne conscience, et c’est tout !
M. le président. La parole est à M. Laurent Lafon, pour explication de vote.
M. Laurent Lafon. J’ai été très sensible à l’exemple pris par M. le ministre. Je le connais bien moi aussi, puisque j’étais à ce moment-là maire de l’une des communes concernées.
Nous avions beaucoup travaillé sur ce projet de lycée international, et il est vrai qu’il n’était pas évident de choisir l’est parisien pour installer un tel équipement phare. En outre, toutes les palettes de l’échiquier politique étaient représentées, et je dois dire que le maire le plus convaincu était celui de Montreuil, Jean-Pierre Brard.
Sommes-nous en train de créer, avec un tel dispositif, quelque chose d’élitiste ? Tout dépend de la manière dont on se saisit de cet outil : un tel établissement peut être élitiste, comme il peut aussi favoriser l’intégration.
De l’expérience de ce lycée de l’est parisien, je retiens deux éléments, qui peuvent faire pencher la balance vers l’intégration.
Tout d’abord, le choix des langues est important. Évidemment, quand on évoque un lycée international, on pense tout de suite à l’anglais, mais d’autres langues permettent de s’ouvrir à un public scolaire différent et plus large socialement. En outre, elles sont tout aussi intéressantes en termes de perspectives de formation supérieure et d’emploi.
Ensuite, le travail en réseau est également important. Si un établissement est complètement séparé du reste du tissu scolaire local, le risque d’élitisme existe. En revanche, si cet établissement développe des relations avec les établissements de proximité et rayonne sur le territoire, une autre logique sera à l’œuvre. C’est bien dans cette seconde logique que le projet de loi s’inscrit.
C’est pour ces raisons que je voterai l’article 6 de ce projet de loi.
M. le président. La parole est à M. Rachid Temal, pour explication de vote.
M. Rachid Temal. Je voudrais tout d’abord dire à M. le rapporteur que personne ne veut « exécuter » quoi que ce soit. Prenons garde aux propos que nous tenons ! Nous sommes là pour débattre, et il n’y a pas, d’un côté, les tenants de la bonté, et, de l’autre, ceux qui voudraient « exécuter »… J’invite chacun à respecter les propos des uns et des autres.
Monsieur le ministre, je vous le dis très honnêtement, le rétablissement des classes bilangues était positif. Je n’étais pas en responsabilité à l’époque de leur suppression, mais vous voyez que je puis tout à fait reconnaître quand une décision n’est pas satisfaisante.
Je dis simplement que le dispositif prévu à l’article 6 ouvre une voie que nous ne devrions pas emprunter, d’autant que le projet de loi ne fixe pas suffisamment de limites. Reconnaissez, monsieur le ministre, que la situation de l’éducation nationale n’est pas du tout satisfaisante aujourd’hui en matière de mixité sociale et de lutte contre les inégalités ! Et cet article ne va pas permettre d’avancer sur ces questions.
On peut dire ce que l’on veut, mais cet article prévoit bien la sélection des enfants dès l’âge de 3 ans. C’est donc le contexte social et familial qui prédominera.
Ensuite, le texte ne fixe pas suffisamment de verrous, et ce n’est pas parce qu’une expérience semble fonctionner correctement, comme celle qui a été mise en avant par M. le ministre, que ce sera la même chose pour les autres. C’est pourquoi il faut vraiment retravailler sur cette question.
C’est pour tirer la sonnette d’alarme que j’ai déposé un amendement de suppression de l’article, mais j’en avais déposé un autre, qui a été déclaré irrecevable au titre de l’article 40, pour généraliser le type de dispositif prévu. En effet, si nous visons l’excellence, les EPLEI ne peuvent constituer qu’un premier pas, et nous devons développer les classes bilangues, comme celles qui ont une vocation internationale. Tous les enfants de France ont droit à l’excellence !
Quoique l’on en dise, quoi que l’on en pense, les EPLEI ne renforceront pas la mixité sociale – bien au contraire ! C’est pourquoi je reste sur ma position et demande la suppression de cet article.
M. le président. La parole est à Mme Françoise Gatel, pour explication de vote.
Mme Françoise Gatel. Pour les mêmes raisons que celles qui sont avancées par mes collègues Céline Brulin, Pierre Ouzoulias et Rachid Temal, j’arrive au résultat inverse.
Il me semble, sans flagornerie, que l’ambition du ministre est de faire de l’école publique une école d’excellence. Et c’est un long chemin !
Oui, nous devons reconnaître la qualité des enseignants et la difficulté de leur métier, car l’école est le reflet de la société, elle-même compliquée quelquefois…
Je n’aime pas le mot « égalité », que je trouve parfois triste et appauvrissant quand on parle d’enfants auxquels on doit permettre d’atteindre l’excellence. Je lui préfère le mot « équité », et, à ce titre, je crois que c’est une excellente chose que l’État crée des établissements de cette nature.
Mes chers collègues, ne nous cachons pas derrière des mots ou des dogmes ! Aujourd’hui, la sélection existe, et elle se fait par l’argent. J’insiste, ce dont nous parlons existe déjà, mais seules les familles qui ont les moyens peuvent permettre à leurs enfants de fréquenter des établissements privés, qui proposent exactement les mêmes choses.
Le programme lancé par le ministre est ambitieux – scolarisation obligatoire des enfants dès l’âge de 3 ans, attention à la qualité des enseignements et des activités… – et je crois que ce processus est intéressant à long terme, y compris en termes d’équité territoriale.
Je donnerai un bref exemple. Les pouvoirs publics, notamment le rectorat, ont décidé d’installer des formations supérieures industrielles rares et de grande qualité dans un secteur difficile de mon département, ce qui a permis la création d’entreprises sur ce territoire.
Ainsi, sous réserve de prendre en compte un objectif d’équilibre social, je suis tout à fait favorable à ce que le dispositif prévu à l’article 6 du projet de loi soit engagé.