M. le président. La parole est à Mme Laure Darcos. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme Laure Darcos. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, elle se prénommait Éva. C’était une petite fille de sept ans et demi, pleine de vie, en parfaite santé, intelligente, pétillante et sportive. Rien ne laissait présager son destin tragique. Éva fait partie de ces 500 enfants et adolescents emportés chaque année par la terrible maladie du cancer.
Mais que représentent ces 500 décès d’enfants face aux 150 000 que l’on dénombre annuellement chez l’adulte ? Une sorte de maladie rare. Rare parce que la prévalence est d’un cas pour 400 enfants ; rare également parce que les cancers pédiatriques, une soixantaine environ, sont très différents de ceux de l’adulte, surviennent très tôt et se développent sur une période relativement courte.
Le résultat, nous le connaissons : des thérapies peu adaptées, dérivées de celles des adultes, je pense en particulier aux chimiothérapies, avec tous les risques que de tels soins comportent pour les enfants.
Les études le démontrent : les adultes précédemment traités pour un cancer pédiatrique ont une qualité de vie affectée par les effets secondaires des thérapies et ils risquent un décès prématuré.
Alors oui, il est urgent pour le législateur d’ouvrir de nouvelles perspectives pour le traitement des cancers de l’enfant et de faire souffler un vent d’espoir chez les malades et leurs familles durement éprouvées.
Voici encore l’histoire de Guillaume : pendant plusieurs semaines, malgré trois visites aux urgences pédiatriques en Essonne et à Paris, aucun diagnostic n’est posé face à ses douleurs au genou, sa petite fièvre et sa perte d’appétit. Une rhumato-pédiatre d’un grand hôpital parisien, après un appel du généraliste qui s’alarme, les reçoit dès le lendemain. Elle va trouver le diagnostic en vingt-quatre heures : cancer osseux parti du fémur.
La chimiothérapie adjuvante marchera bien au début. Mais le cancer de Guillaume va récidiver pendant la dernière des neuf chimiothérapies prévues. Et là, tous le savent – médecins, parents –, il n’y a pas de « solution ».
Aujourd’hui, Guillaume a laissé à la recherche, grâce au programme Mappyacts, le profil moléculaire de sa tumeur particulièrement agressive et ses cellules souches. Ses parents rêvent qu’il ait laissé les clés pour sauver des enfants.
Mais, pour cela, il faut soutenir la recherche fondamentale. La loi de finances pour 2019 a montré la voie en inscrivant un financement de 5 millions d’euros, pour coordonner l’engagement de plusieurs dizaines de chercheurs en pédo-oncologie.
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui est de nature à répondre aux enjeux de cette mobilisation, qui doit s’amplifier dans le sillage des plans Cancer successifs.
En faisant de l’Institut national du cancer le pivot d’une stratégie globale de lutte contre les cancers pédiatriques, coordonnée avec les organismes de recherche, les opérateurs publics et privés, les professionnels de santé et les patients, ce texte va dans le bon sens et permet d’envisager enfin les financements adéquats au développement de nouvelles thérapies spécifiques.
Je me réjouis aussi de la mesure de déplafonnement adoptée concernant la durée maximale d’allocation journalière de présence parentale. Elle permettra de répondre aux attentes des familles accompagnant un enfant dont la grave pathologie nécessite une présence soutenue et des soins souvent très contraignants.
Permettez-moi enfin de rappeler combien il est nécessaire que les anciens malades bénéficient d’un droit à l’oubli effectif. La maladie est une épreuve suffisamment lourde pour ne pas ajouter au combat des patients pour leur survie, une nouvelle épreuve consistant à quémander le droit d’emprunter, ou de s’assurer correctement, des années après leur guérison.
Je l’ai vécu à titre personnel à trente ans : après un cancer très lourd, il n’était pas normal que des banques ou assurances puissent répondre, au moment où l’on souhaite mordre la vie à pleine dent et réaliser un projet immobilier : « Chère madame, vous resterez une personne à risque toute votre vie ! » Certes, une loi a enfin été promulguée pour réparer cette injustice, mais il n’est pas rare encore – je le vois dans mon entourage – d’avoir des difficultés pour emprunter après cette maladie.
C’est pourquoi j’approuve sans réserve les dispositions de la proposition de loi qui engage les signataires de la convention nationale AERAS à ouvrir rapidement une négociation, pour que s’applique à l’ensemble des pathologies cancéreuses le délai de cinq ans au-delà duquel aucune information médicale, relative à ces maladies survenues avant l’âge de dix-huit ans, ne peut être recueillie par les organismes assureurs.
Certes, ce texte était perfectible et il aurait été judicieux de laisser au Sénat la possibilité de l’amender. Toutefois, dans l’intérêt des patients et pour engager sans tarder l’ensemble des acteurs à se mobiliser, nous le voterons dans sa version issue de l’Assemblée nationale.
Enfin, je soutiens, monsieur le secrétaire d’État, la demande de très nombreuses associations de voir les cancers pédiatriques devenir grande cause nationale en 2020. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste et du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je remercie les orateurs qui se sont exprimés : j’ai bien entendu leurs différentes interventions. Je veux vous dire que cette proposition de loi s’intègre dans une stratégie globale et qu’elle ne répond évidemment pas à tous les problèmes. Comme certains d’entre vous l’ont souligné, les plans Cancer successifs ont permis des avancées dans le traitement et l’accompagnement des patients et de leurs familles.
En matière de recherche, les centres d’essais cliniques de phase précoce, le programme AcSé – accès sécurisé à des thérapies ciblées innovantes –, le programme intégré de pédiatrie de l’INCa et, plus globalement, cet environnement favorable à l’innovation en France, comme vous l’avez souligné, monsieur le président Milon, avec les ATU ou encore le fast track, vont être renforcés par les 5 millions d’euros supplémentaires que nous avons accordés dans la loi de finances.
Mais nous sommes déterminés à aller plus loin encore. La ministre l’a annoncé récemment aux Rencontres de l’INCa, il faudra renforcer notre effort pour lutter contre les cancers de mauvais pronostic, en particulier pour les enfants et les jeunes, grâce à la recherche fondamentale pluridisciplinaire et au renouvellement de la recherche clinique avec des essais adaptés à de petits nombres de patients.
Pour conclure, la lutte contre les cancers pédiatriques est une priorité pour l’ensemble du Gouvernement – je pense que vous n’en avez pas douté. Je m’exprime ici au nom d’Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé, dont vous connaissez l’engagement sur ce sujet.
J’en profite enfin pour vous remercier de ce vote, qui – si j’ai bien compris – sera conforme et peut-être unanime, et saluer le travail de Nathalie Elimas et de Mme la rapporteur. (M. Martin Lévrier applaudit.)
M. le président. La discussion générale est close.
La parole est à M. le président de la commission.
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, je souhaite apporter quelques précisions qui ne me semblent pas inutiles. Je voudrais rappeler, à la suite du discours de notre amie Élisabeth Doineau, que les colloques sont parrainés par des sénateurs et non pas directement par le Sénat – il est important de l’indiquer pour certains sujets – même s’ils se tiennent à l’intérieur des locaux du palais du Luxembourg. Je pense qu’il est bon de le rappeler !
Par ailleurs, monsieur le secrétaire d’État, vous avez constaté avec satisfaction que, à la suite de la demande de l’Assemblée nationale, nous allons voter conforme cette proposition de loi. Nous aimerions que la réciproque soit vraie, quand le Sénat demande un vote conforme à l’Assemblée nationale sur certaines propositions de loi. (Applaudissements.)
M. le président. Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi visant à renforcer la prise en charge des cancers pédiatriques par la recherche, le soutien aux aidants familiaux, la formation des professionnels et le droit à l’oubli
Article 1er
(Non modifié)
Après le premier alinéa de l’article L. 1415-2 du code de la santé publique, il est inséré un 1° A ainsi rédigé :
« 1° A Proposition, en coordination avec les organismes de recherche, les opérateurs publics et privés en cancérologie, les professionnels de santé, les usagers du système de santé et autres personnes concernées, d’une stratégie décennale de lutte contre le cancer, arrêtée par décret. La stratégie définit les axes de la recherche en cancérologie et l’affectation des moyens correspondants et précise notamment la part des crédits publics affectés à la recherche en cancérologie pédiatrique. L’institut en assure la mise en œuvre. Le conseil scientifique de l’institut se prononce sur cette stratégie. Il en réévalue la pertinence à mi-parcours ; ».
M. le président. Je constate que cet article a été adopté à l’unanimité des présents.
Article 1er bis
(Non modifié)
L’article L. 1415-4 du code de la santé publique est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Le conseil d’administration de l’Institut national du cancer comprend un député et un sénateur titulaires ainsi qu’un député et un sénateur suppléants. » – (Adopté.)
Article 2
(Non modifié)
Au premier alinéa de l’article L. 1121-7 du code de la santé publique, les mots : « ne peuvent être sollicités pour se prêter à des recherches mentionnées aux 1° ou 2° de l’article L. 1121-1 que » sont remplacés par les mots : « peuvent être sollicités pour se prêter à des recherches mentionnées aux 1° ou 2° de l’article L. 1121-1 seulement ».
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote sur l’article.
Mme Laurence Cohen. Nous voterons la proposition de loi et les articles, à l’exception de l’article 2, sur lequel nous nous abstenons en raison des réserves que j’ai émises.
Mme Laurence Rossignol. Nous aussi !
M. le président. Je mets aux voix l’article 2.
(L’article 2 est adopté.)
Article 2 bis
(Non modifié)
L’article L. 1415-7 du code de santé publique est complété par les mots : « et, dans des conditions définies par décret, d’une durée de huit ans ». – (Adopté.)
Article 3
(Non modifié)
I. – Le paragraphe 2 de la sous-section 2 de la section 4 du chapitre V du titre II du livre II de la première partie du code du travail est ainsi modifié :
1° L’article L. 1225-62 est ainsi modifié :
a) La seconde phrase du troisième alinéa est ainsi rédigée : « Cette durée peut faire l’objet d’un nouvel examen dans les conditions fixées au deuxième alinéa du même article L. 544-2. » ;
b) Le dernier alinéa est ainsi rédigé :
« Au-delà de la période déterminée au premier alinéa du présent article, le salarié peut à nouveau bénéficier d’un congé de présence parentale, dans le respect des dispositions du présent article et des articles L. 1225-63 à L. 1225-65 du présent code, dans les situations mentionnées aux 1° et 2° de l’article L. 544-3 du code de la sécurité sociale. » ;
2° L’article L. 1225-65 est ainsi modifié :
a) Les mots : « pour moitié » sont remplacés par les mots : « en totalité » ;
b) Sont ajoutés les mots : « dans l’entreprise ».
I bis. – L’article L. 544-2 du code de la sécurité sociale est ainsi modifié :
1° Après la première phrase du premier alinéa, est insérée une phrase ainsi rédigée : « Le certificat médical précise la durée prévisible du traitement. » ;
2° La seconde phrase du second alinéa est remplacée par deux phrases ainsi rédigées : « Lorsque le médecin le prévoit, la durée fait l’objet d’un réexamen à l’échéance qu’il a fixée et qui ne peut être inférieure à six mois ni supérieure à un an. Dans tous les cas, lorsque la durée prévisible excède un an, elle fait l’objet d’un nouvel examen à cette échéance. »
II. – Le second alinéa de l’article L. 544-3 du code de la sécurité sociale est remplacé par trois alinéas ainsi rédigés :
« Au-delà de la durée maximale prévue au premier alinéa, le droit à l’allocation journalière de présence parentale peut être ouvert de nouveau, dès lors que les conditions mentionnées aux articles L. 544-1 et L. 544-2 sont réunies, dans les situations qui suivent :
« 1° En cas de rechute ou de récidive de la pathologie de l’enfant au titre de laquelle le droit à l’allocation journalière de présence parentale avait été ouvert ;
« 2° Lorsque la gravité de la pathologie de l’enfant au titre de laquelle le droit à l’allocation journalière de présence parentale avait été ouvert nécessite toujours une présence soutenue et des soins contraignants. »
III. – Le chapitre IV du titre IV du livre V du code de la sécurité sociale est complété par un article L. 544-10 ainsi rédigé :
« Art. L. 544-10. – L’organisme débiteur des prestations familiales est tenu d’informer le demandeur ou le bénéficiaire de l’allocation journalière de présence parentale des critères et des conditions d’attribution ainsi que des modalités de demande de l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé et de la prestation de compensation du handicap. » – (Adopté.)
Article 4
(Suppression maintenue)
Article 4 bis
(Non modifié)
Le Gouvernement remet au Parlement, au plus tard douze mois après la promulgation de la présente loi, un rapport relatif à la prise en charge de la douleur, en particulier par les centres d’oncologie pédiatrique.
Ce rapport précise notamment les moyens mis en œuvre pour le dépistage et le traitement de la douleur des enfants dans le cadre des soins qu’ils reçoivent. Il dresse un état des lieux de la formation spécifique, initiale et continue, des professionnels de santé qui interviennent en oncologie pédiatrique ainsi que des centres dédiés à la douleur dans notre pays et des effectifs qui s’y consacrent. Il étudie l’accès des enfants et des adolescents atteints de cancer à des médicaments et des traitements adaptés et la mise à disposition de formules pédiatriques spécifiques. Enfin, il étudie l’opportunité de mettre en place un quatrième « plan douleur ». – (Adopté.)
Article 5
(Non modifié)
Les signataires de la convention nationale mentionnée à l’article L. 1141-2 du code de la santé publique engagent au plus tard dans un délai de six mois à compter de la publication de la présente loi une négociation sur la possibilité d’appliquer à l’ensemble des pathologies cancéreuses le délai de cinq ans prévu au quatrième alinéa de l’article L. 1141-5 du même code pour les pathologies cancéreuses survenues avant l’âge de dix-huit ans.
En cas de carence des signataires de la convention, l’âge et les délais mentionnés au même article L. 1141-5 peuvent être fixés par décret en Conseil d’État. L’âge ne peut être inférieur ni les délais supérieurs à ceux fixés au quatrième alinéa dudit article L. 1141-5. – (Adopté.)
Article 5 bis
(Non modifié)
Le Gouvernement remet au Parlement, au plus tard douze mois après la promulgation de la présente loi, un rapport relatif à l’application de la convention dite AERAS (« s’Assurer et Emprunter avec un Risque Aggravé de Santé ») et à l’accès au crédit des personnes présentant un problème grave de santé, notamment celles ayant souffert d’un cancer pédiatrique.
Ce rapport précise notamment les possibilités d’évolution du dispositif pour une prise en compte des pathologies cancéreuses survenues avant l’âge de vingt et un ans, un accroissement des sanctions en cas de manquements à la convention et une définition d’indicateurs pérennes de résultats. – (Adopté.)
Article 5 ter
(Non modifié)
Le Gouvernement remet au Parlement, chaque année, un rapport relatif à l’ensemble des financements publics alloués à la recherche sur les cancers pédiatriques. Ce rapport précise les volumes financiers annuels et pluriannuels dédiés aux programmes de recherche sur les cancers de l’enfant et de l’adolescent. Ce rapport précise les avancées obtenues ainsi que les projets scientifiques engagés en la matière. – (Adopté.)
Article 6
(Suppression maintenue)
Vote sur l’ensemble
M. le président. Personne ne demande la parole ?…
Je mets aux voix l’ensemble de la proposition de loi dans le texte de la commission.
(La proposition de loi est définitivement adoptée.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteur.
Mme Jocelyne Guidez, rapporteur. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je suis heureuse que cette proposition de loi ait été adoptée à la quasi-unanimité et vous en remercie tous. Il me semble important que l’on avance, même si c’est à petits pas… Mais nous savons qu’ici c’est ainsi que les choses se font, et je vais finir par m’y habituer !
On a évoqué bien sûr les malades, et c’est important, particulièrement lorsqu’il s’agit d’enfants, car nous en parlons avec beaucoup plus d’émotion, qu’ils soient atteints d’un cancer ou d’un handicap.
Je tiens aussi à souligner les difficultés psychologiques que peuvent rencontrer les parents. J’évoquerai la proposition de loi, que j’ai déposée, visant à favoriser la reconnaissance des proches aidants, car tous ces parents sont aidants et vivent une épreuve psychologique dramatique. Personne ne demande à avoir un enfant atteint d’une grave maladie ou d’un handicap. Il faut savoir ce qu’ils vivent psychologiquement, parfois pendant des années, même quand l’enfant devient adulte.
La balle est dans votre camp, monsieur le secrétaire d’État. J’espère que nous irons de l’avant avec cette proposition de loi qui me touche beaucoup et qui est importante pour moi – vous savez pourquoi. Avançons ensemble ! Je vous remercie de votre écoute. (Applaudissements.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à quinze heures quarante-cinq, est reprise à quinze heures cinquante-cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
4
Démarchage téléphonique et lutte contre les appels frauduleux
Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion en première lecture de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à encadrer le démarchage téléphonique et à lutter contre les appels frauduleux (proposition n° 183, texte de la commission n° 311, rapport n° 310).
Une trentaine d’amendements ont été déposés sur ce texte. En tenant compte de la durée de la suspension, je serai contraint de lever la séance à dix-huit heures quarante et une pour respecter le temps accordé au groupe Union Centriste.
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, ce n’est un secret pour personne : les appels téléphoniques intempestifs et répétés constituent une nuisance pour nos concitoyens. Nous en avons tous déjà fait au moins une fois l’expérience.
C’est dire si le Gouvernement partage les objectifs qui inspirent cette proposition de loi, et je sais aussi combien vous êtes sensibles à ce sujet, comme l’ont bien montré les débats qui ont eu lieu en commission.
Au moment où s’ouvre la discussion en séance, je voudrais simplement insister sur le besoin de trouver une solution équilibrée entre le bien-être des consommateurs et la préservation des emplois dans les centres d’appels téléphoniques.
M. André Reichardt, rapporteur. Très bien !
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État. Le démarchage téléphonique est un sujet complexe, non seulement pour ses aspects techniques, mais aussi par les risques d’impact sur l’emploi. Nous devons aborder la question avec beaucoup de soin. Tout l’enjeu est là : mieux protéger les consommateurs, mais sans pénaliser les acteurs respectueux de la loi.
Mieux protéger les consommateurs contre la fraude et contre les abus, c’est très concret. C’est, par exemple, encadrer les obligations de transparence du démarcheur au début de la conversation engagée avec le consommateur. C’est aussi limiter les cas de démarchage légitime, et je voudrais ici revenir sur l’article 5, qui a été supprimé par la commission des lois ; je rappelle tout de même son but : exiger un lien direct entre le démarchage et les contrats en cours. On ne peut pas vous appeler pour des produits qui n’ont aucun rapport avec les contrats que vous possédez. Nous aurons de nouveau ce débat, mais le Gouvernement défendra fermement le rétablissement de cet article qui me paraît important pour les consommateurs.
Nous ne devons pas nous tromper de cible. La cible, ce sont les fraudeurs, et non le démarchage téléphonique en tant que tel. Le Gouvernement est donc très réservé sur tout ce qui peut pénaliser le démarchage respectueux de la réglementation derrière ces mesures qui ne sont pas toujours efficaces contre la fraude. Par ailleurs, il y a parfois une vraie menace pour les TPE et les PME, et pour de nombreux emplois. Il ne s’agit pas de n’importe quels emplois : les centres d’appel sont souvent un premier accès à l’emploi pour des publics fragiles ; ces emplois sont flexibles et permettent d’apporter un complément de revenu à des personnes qui ne peuvent pas travailler à temps plein – je pense notamment aux mères célibataires.
C’est cette réalité économique et sociale qui nous interdit de soutenir certaines mesures radicales comme un opt in systématique. Je traduis en bon français : c’est partir du principe que le consommateur est toujours contre le démarchage et donc interdire celui-ci, sauf demande explicite du client. Si l’on veut tuer tout ce secteur d’activité, on le peut ; mais tel n’est pas notre but.
Alors, comment lutter efficacement contre la fraude et le harcèlement ? La meilleure solution, c’est d’abord de renforcer Bloctel. Il faut que ce dispositif soit mieux connu et que son contournement soit plus sévèrement sanctionné. Nous sommes favorables au renforcement des sanctions à l’égard des entreprises qui pratiquent le démarchage téléphonique sans soumettre leur liste à Bloctel pour que ces sanctions soient réellement dissuasives. À ce jour, plus de cent procès-verbaux administratifs ont été dressés et trois procédures pénales engagées.
Il faut aussi sensibiliser les consommateurs à l’importance des signalements et à la nécessité de bien renseigner Bloctel au sujet des appels reçus. Cela fera l’objet d’une action de communication, qui sera également dirigée vers les entreprises ; à ce jour, environ sept cents entreprises ont adhéré à Bloctel, ce qui est très insuffisant.
Enfin, l’interface de Bloctel doit être évaluée et améliorée.
Il nous faut aussi lutter contre les autres pratiques frauduleuses qui occasionnent des appels intempestifs ; près d’un quart des réclamations sont liées à des tentatives de fraude au numéro surtaxé. La direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, la DGCCRF, a récemment mené, en Gironde, une action d’envergure concernant vingt-deux sociétés qui se sont livrées à des démarchages téléphoniques illicites et, pour certaines, à des pratiques frauduleuses, telles que l’utilisation illicite des coordonnées bancaires des victimes.
Néanmoins, ces appels émanent très souvent de professionnels établis à l’étranger. C’est pourquoi, là encore, les consommateurs doivent être mieux informés des mesures prises pour les protéger. Nous venons de rendre obligatoire l’offre, par les opérateurs téléphoniques, d’une option de blocage des appels des abonnés vers les numéros surtaxés.
À ce propos, la DGCCRF va poursuivre et intensifier sa politique de contrôle et sa coopération avec l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, l’Arcep, et les opérateurs de téléphonie, afin que les contrevenants soient sanctionnés et que les mesures préventives contre cette fraude soient renforcées. Des travaux sont en cours pour durcir la réglementation en la matière.
Enfin, je veux citer la politique dite de name and shame, c’est-à-dire citer et…
M. Philippe Bas, président de la commission. Et faire honte !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. … Populaire !
M. André Reichardt, rapporteur. En bon français…
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État. Dès lors qu’une telle politique traite bien du démarchage téléphonique, qu’elle est proportionnée, et qu’elle laisse à l’administration l’appréciation d’un droit à l’erreur pour les TPE et les PME, le Gouvernement y est favorable. Elle dissuadera fortement les entreprises, je n’en doute pas.
Tels sont les brefs messages que je tenais à vous présenter. Nous sommes déterminés à identifier toutes les pistes envisageables pour mieux réguler le démarchage, faire cesser ces nuisances et sanctionner les fraudes.
Toutefois, je le répète, agissons avec prudence ; tout démarchage n’est pas condamnable, et des TPE et des PME raisonnables dans leurs pratiques, ainsi qu’un nombre important d’emplois, dépendent de cette activité. Attention à ne pas les pénaliser. (Applaudissements sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. André Reichardt, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, la proposition de loi visant à encadrer le démarchage téléphonique et à lutter contre les appels frauduleux, que nous examinons aujourd’hui, a été adoptée par l’Assemblée nationale le 6 décembre dernier. Elle était présentée par notre collègue député Christophe Naegelen et plusieurs de ses collègues.
Le démarchage téléphonique, ou prospection commerciale, se définit comme la prise de contact par téléphone avec un consommateur « en vue de conclure […] un contrat portant sur la vente d’un bien ou sur la fourniture d’un service ».
Le droit en vigueur est fondé sur le principe de l’opt out, comme vient de le dire, en bon français, Mme la secrétaire d’État, le consentement préalable du consommateur à faire l’objet de prospection commerciale n’étant pas exigé.
Depuis 2014, un dispositif législatif permet aux consommateurs de faire valoir leur opposition aux démarchages téléphoniques, par l’inscription au service Bloctel. Il est alors interdit à un professionnel de démarcher un consommateur qui se serait inscrit sur cette liste. Tout manquement est passible de sanctions administratives, lesquelles ne peuvent excéder 15 000 euros pour une personne physique et 75 000 euros pour une personne morale.
Plusieurs exceptions à ce principe sont prévues, notamment en cas de relations contractuelles préexistantes entre le professionnel et le consommateur, ainsi que pour la presse, pour les activités des associations à but non lucratif ou pour les instituts de sondages.
La gestion de la liste d’opposition au démarchage téléphonique, Bloctel, est assurée par Opposetel, le délégataire de service public désigné pour cinq ans, la délégation prenant fin en 2021. Plus de quatre millions de consommateurs sont aujourd’hui inscrits sur cette liste. En outre, cette inscription s’exerce sans préjudice – c’est important – du droit du consommateur de s’opposer à tout moment et sans frais au traitement de ses données à caractère personnel.
Le nouveau règlement général sur la protection des données, le fameux RGPD, applicable depuis mai dernier, ne remet d’ailleurs pas en cause la possibilité pour les États d’opter pour un système d’opposition a posteriori en matière de démarchage téléphonique. Le droit de l’Union européenne n’impose en effet le consentement préalable du consommateur que pour la prospection commerciale automatisée – courriels, SMS, télécopies.
Le secteur économique du démarchage téléphonique représente un facteur de développement des entreprises, et un nombre non négligeable d’emplois en France, je veux le souligner. Le Syndicat des professionnels des centres de contacts, qui regroupe les principaux acteurs du marché, estime que 56 000 emplois directs – c’est-à-dire, j’y insiste, sans tenir compte des emplois induits ou indirects – seraient concernés par l’activité de démarchage téléphonique. Toute évolution du régime juridique applicable doit donc prendre en compte cette donnée économique essentielle, je veux le souligner.
Le système d’opposition au démarchage téléphonique, mis en œuvre en 2016, tarde à faire ses preuves, et les démarchages non sollicités demeurent malheureusement trop nombreux. Plus de 1,4 million de réclamations auraient été déposées par 280 000 consommateurs depuis la création de Bloctel.
Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette situation ; pêle-mêle : le non-respect par certaines entreprises de leur obligation réglementaire de mise en conformité de leurs fichiers – cela donnera lieu à un correctif dans quelques instants –, la faiblesse du montant des sanctions encourues – cela fera aussi l’objet d’un correctif tout à l’heure –, et une certaine rareté des contrôles opérés par la DGCCRF, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes – je ne répéterai plus ce nom en entier (Sourires.) –, dont les effectifs – je suis bien placé pour le savoir, en tant que rapporteur pour avis du programme budgétaire correspondant – ont par ailleurs fortement décru ces dernières années.
De même, la recrudescence des pratiques frauduleuses qui ne rentrent pas dans le champ du démarchage téléphonique stricto sensu, mais qui sont perçues comme telles par les consommateurs, tend à renforcer le mécontentement de ceux-ci. Ces pratiques consistent à inciter un consommateur à appeler un numéro surtaxé, sans qu’aucun produit ou service réel soit mis à sa disposition en contrepartie. Je vous donne un dernier chiffre, près de 41 % des 1,4 million de réclamations que j’évoquais précédemment concernent en réalité des fraudes au numéro surtaxé. Ne faisons pas de confusions !
Face à ce constat, la commission des lois n’a pas entendu remettre en cause la philosophie du droit en vigueur, qui repose sur un régime d’opposition expresse – l’opt out –, maintenu par le texte transmis par l’Assemblée nationale. Nous sommes d’accord sur ce principe. Ce régime garantit en effet aussi la pérennité d’un secteur économique qui emploie directement plusieurs dizaines de milliers de personnes en France.
Proposer l’opt in, dans le contexte actuel, reviendrait à une quasi-interdiction des centres d’appels ; cela reviendrait presque à…