M. Philippe Bas, président de la commission des lois. À tuer ce secteur !
M. André Reichardt, rapporteur. … à tuer les centres d’appels, avec ce que cela implique du point de vue de la destruction d’emplois. Compte tenu des enjeux que je viens de rappeler, vous comprendrez que ce n’est pas ma volonté, ce n’est pas ce que souhaite la commission.
Il est néanmoins urgent, compte tenu de l’exaspération réelle et légitime des consommateurs, de renforcer l’efficacité du dispositif d’opposition au démarchage téléphonique, Mme la secrétaire d’État l’a souligné. La commission des lois a donc adopté plusieurs modifications visant à enrichir le texte en ce sens.
Elle a tout d’abord souhaité rendre l’opt out plus efficace, sans déstabiliser le secteur du démarchage téléphonique, d’où cette notion d’équilibre, soulignée par Mme la secrétaire d’État. L’article 1er bis de la proposition de loi consacre dans la loi l’obligation pour tout professionnel de faire vérifier ses fichiers de prospection par l’organisme à qui est confiée la gestion de Bloctel. La méconnaissance de cette obligation serait passible d’une amende dont le montant serait par ailleurs considérablement renforcé.
Tout en approuvant ce principe, qui vise à répondre à l’une des insuffisances du système actuel, la commission a précisé les modalités de vérification des fichiers de prospection commerciale en cas de sous-traitance.
De même, elle a approuvé le renforcement des sanctions administratives en cas de manquement des professionnels à la législation relative au démarchage téléphonique, et la publicité donnée à certaines sanctions. Elle a toutefois encadré le régime des sanctions administratives en cas de manquements simultanés à plusieurs obligations, ou de cumul avec une sanction pénale, afin d’en assurer la proportionnalité, compte tenu de l’augmentation du montant des amendes susceptibles d’être prononcées.
Celles-ci pourraient en effet désormais atteindre 375 000 euros pour une personne morale, contre 75 000 euros actuellement. Le Gouvernement a déposé un amendement pour supprimer purement et simplement cet article, qui empêche le cumul de ces amendes, administratives ou pénales ; je le regrette, je m’en expliquerai tout à l’heure, vous le comprendrez.
La commission s’est également opposée à la limitation de « l’exception client », par laquelle un professionnel peut contacter un consommateur même s’il est inscrit sur la liste d’opposition au démarchage téléphonique – c’est le fameux article 5 du texte –, et a souhaité maintenir le droit en vigueur qui permet au professionnel de contacter un consommateur avec lequel il a des « relations contractuelles préexistantes », ce qui doit être interprété comme concernant aussi bien les contrats en cours d’exécution que ceux qui ont expiré. C’est fondamental.
Il s’agit du plus important point d’achoppement du texte entre les parties prenantes, c’est-à-dire, pour simplifier, entre les organisations professionnelles et les associations de consommateurs. Je veux donc attirer votre attention, mes chers collègues : si l’amendement n° 25, de notre collègue Hervé Marseille, était adopté, puisqu’il tend à rétablir à l’identique la rédaction issue de l’Assemblée nationale, le texte de l’article 5 ferait ainsi l’objet d’un vote conforme par les deux chambres, et il ne pourrait plus du tout être modifié dans la suite de la navette. Ce serait, là aussi, lourd de conséquences, particulièrement pour ce qui concerne l’emploi ; il faut que chacun en ait conscience, des emplois sont en jeu, chacun doit l’avoir présent à l’esprit.
La commission a aussi renforcé la transparence et la déontologie du secteur du démarchage téléphonique, en prévoyant le respect de normes déontologiques, et en créant un régime de données ouvertes, ou open data, applicable à l’organisme gestionnaire du service Bloctel, de façon à mieux contrôler son activité. Je sais que le Gouvernement y est défavorable ; cela m’étonne beaucoup. Nous y reviendrons, madame la secrétaire d’État.
La commission des lois s’est enfin montrée favorable à la philosophie des articles 6 et 7 de la proposition de loi, qui visent à lutter contre les pratiques frauduleuses, celles-ci représentant une grande partie des nuisances subies par les consommateurs. L’article 6 définit notamment les conditions dans lesquelles les opérateurs exploitant un numéro affecté à un service à valeur ajoutée doivent suspendre ou résilier le contrat avec un éditeur frauduleux. La commission a conforté la sécurité juridique de ces outils.
Le Gouvernement propose de supprimer l’une des précisions que nous avons apportées concernant la certification des signalements des consommateurs ayant relevé des anomalies sur des numéros surtaxés, dans des conditions définies par voie réglementaire, au motif d’une absence de souplesse du dispositif. Je n’ai pas de religion en la matière, madame la secrétaire d’État, mais je n’estime pas forcément opportun de supprimer tout principe de certification ou de s’en remettre uniquement à l’autorégulation des opérateurs…
M. le président. Il faut conclure, monsieur le rapporteur.
M. André Reichardt, rapporteur. Peut-être pourrons-nous trouver une autre solution ?
Mes chers collègues, vous l’aurez compris, cette proposition de loi me semble aller dans le bon sens ; je vous inviterai donc à l’adopter, en y intégrant certains amendements de nos collègues, qui peuvent encore, assurément, améliorer le dispositif. (Applaudissements sur quelques travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. Stéphane Artano.
M. Stéphane Artano. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, l’encadrement, voire la limitation stricte, du démarchage téléphonique est un véritable serpent de mer de la protection des consommateurs.
En 2011, déjà, le groupe du RDSE avait présenté et fait adopter par le Sénat une proposition de loi, plus ambitieuse que celle-ci, qui prévoyait le passage de l’opt out à l’opt in, c’est-à-dire à l’obligation de recueillir le consentement préalable du consommateur, en amont de toute activité de démarchage par voie téléphonique. À l’époque, Jacques Mézard avait résolument dénoncé les dérives constatées dans ce secteur d’activité, qui confinent parfois au harcèlement des consommateurs.
Ces dérives touchent particulièrement les personnes âgées ou vulnérables, et celles qui utilisent encore le téléphone fixe, dont l’usage, en raison des évolutions technologiques, se fait de plus en plus rare. Ces personnes ignorent souvent les droits qui leur sont reconnus dans le code de la consommation ou dans les textes relatifs à la protection des données personnelles – loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés informatiques, règlement général européen sur la protection des données, entré en vigueur l’an dernier…
Face à ces pratiques commerciales agressives, de nombreuses sociétés de télémarketing n’hésitant pas à appeler les personnes plusieurs fois dans le même mois, à des horaires inopportuns, en soirée ou le week-end, il paraît en effet indispensable de renforcer les droits des citoyens. Ceux-ci devraient pouvoir ne plus être importunés chez eux et assaillis d’offres et d’informations commerciales diverses qu’ils n’ont pas sollicitées.
On peut donc regretter que la proposition de loi de 2011 n’ait jamais été inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale. Une autre proposition de loi, présentée l’an dernier par le député Pierre Cordier, reprenait le principe de l’opt in. Elle a été adoptée par les députés, mais après la suppression de son article 1er, qui en portait le dispositif principal ; autant dire qu’elle a été vidée de sa substance…
Puisque l’on parle de serpent de mer, je pense aussi au sujet connexe de la localisation des centres d’appel, secteur évalué à plus de 250 000 emplois en France. Le rapport du député Marc Le Fur de 2012 indiquait qu’une grande partie des centres d’appel était néanmoins située à l’étranger, principalement dans des pays francophones à bas coûts – le Maroc, la Tunisie ou encore le Sénégal –, mais également dans des pays européens – Portugal ou Roumanie.
L’amendement déposé en septembre dernier par des députés de la majorité – La République En Marche et Mouvement démocrate – au projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises, dit PACTE, tendait à obliger les démarcheurs téléphoniques à indiquer, avant toute mise en relation, le pays d’implantation de ces centres, mais, de nouveau, sans succès.
On invoque souvent le fait que les plateformes sont situées à l’étranger pour expliquer les entorses au droit français, mais les textes européens sur le conflit de lois sont clairs : les litiges relatifs à la consommation sont en principe régis par la loi du pays de résidence habituelle du consommateur. Cela semble logique dans la mesure où c’est la loi de ce pays qui prévoit le niveau de protection auquel le consommateur peut légitimement s’attendre, et ce, même si le professionnel n’exerce pas son activité dans l’Union européenne.
Enfin, plusieurs de nos partenaires européens ont d’ores et déjà opté pour le régime du consentement préalable – l’Allemagne, l’Espagne ou encore le Danemark –, ce qui montre que le changement de régime n’est pas impossible.
Quoi qu’il en soit, la présente proposition de loi devrait rencontrer un meilleur succès que les tentatives passées. Il est vrai que son approche est différente, d’aucuns diront « plus timide », dans la mesure où elle conserve le régime actuel de la désinscription, tout en tentant de le rendre plus efficace. Cela dit, son objet est plus large, puisqu’elle concerne aussi la lutte contre les appels frauduleux, ce à quoi l’on ne peut que souscrire.
Je salue certains apports de la commission concernant, par exemple, les informations à délivrer obligatoirement au consommateur lors d’un démarchage, ou encore l’accessibilité des données essentielles de l’organisme gérant la liste d’opposition.
En revanche, pourquoi avoir supprimé l’article 5 qui encadrait davantage l’exception client, c’est-à-dire la possibilité de démarchage lorsque des relations contractuelles préexistent ?
Pour le reste, la commission a conservé le dispositif adopté par l’Assemblée nationale, aggravant notamment fortement les sanctions en cas de manquement à diverses dispositions relatives aux professionnels, telles que l’obligation de décliner son identité et la nature commerciale de son activité, l’interdiction de recourir aux numéros masqués ou encore la nécessité de vérifier régulièrement la liste d’opposition. On passe ainsi à des sanctions vingt-cinq fois plus sévères.
Les mesures de lutte contre les pratiques frauduleuses – rappel à un numéro surtaxé sans offre réelle, appels en absence, SMS frauduleux, et j’en passe – vont aussi globalement dans le bon sens.
Toutefois – c’est mon dernier point –, les solutions ne relèvent pas uniquement, ni peut-être essentiellement, du domaine de la loi. Elles doivent passer par un renforcement des contrôles opérés par la DGCCRF, dont les agents sont habilités à rechercher et à constater les manquements au cadre régissant l’opposition au démarchage téléphonique. Ces contrôles sont aujourd’hui insuffisants.
Une autre piste, évoquée par le rapporteur, est la réduction du coût d’utilisation du service de vérification des listes d’opposition pour les entreprises et, surtout, l’amélioration du fonctionnement du service d’opposition Bloctel, dont les résultats sont pour l’instant très décevants.
Enfin, plus généralement, il faut améliorer la connaissance par les entreprises de leurs obligations et par les consommateurs de leur droit de s’inscrire sur des listes d’opposition et de faire opposition au traitement des données à caractère personnel.
Les membres du RDSE continuent de soutenir l’idée d’un plus strict encadrement du démarchage téléphonique et regrettent que cette proposition de loi n’aille pas plus loin. Les amendements de ma collègue Nathalie Delattre, que je défendrai tout à l’heure, portant sur la mise en place d’un préfixe et sur l’encadrement des dates et horaires de démarchage vont dans ce sens.
Pour le reste, conscients des enjeux tant en termes d’emploi que de droit au respect de la vie privée et à la tranquillité, nous déterminerons notre vote à l’issue des débats. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe La République En Marche et sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à M. Hervé Marseille. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
M. Hervé Marseille. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous sommes heureux que le Sénat examine cette proposition de loi qui vise à mieux protéger les droits des consommateurs face au démarchage téléphonique intempestif ou frauduleux.
En effet, ces appels représentent trop souvent une nuisance pour nos concitoyens ; les premières victimes de ces pratiques intrusives sont les personnes les plus présentes à leur domicile : des jeunes, voire des très jeunes, ou des personnes âgées, autrement dit, des personnes plus vulnérables. Nous nous devons donc d’améliorer le cadre législatif qui protège ces personnes, mais aussi le respect de la vie quotidienne et privée de l’ensemble des Français.
Si je vous parle de Bloctel, cela pourrait à première vue, en raison de ce nom vendeur, évoquer une publicité pour un fabuleux produit, qui protégerait des agressions téléphoniques. Malheureusement, il n’en est rien ; ce dispositif, qui présente aujourd’hui de graves lacunes, requiert de profondes améliorations. C’est la loi du 17 mars 2014, dite loi Hamon, qui a mis en place cette liste Bloctel, dans le but d’offrir aux consommateurs ne souhaitant plus faire l’objet de démarchage téléphonique la possibilité de s’y enregistrer.
Depuis son lancement, en juin 2016, près de quatre millions de personnes s’y sont inscrites. Hélas, selon une enquête de l’association UFC-Que choisir, 82 % d’entre elles constatent que le nombre d’appels liés au démarchage n’a pas baissé ou a très peu baissé. Le constat est donc sans appel : le cadre actuel ne permet pas à cet outil d’être efficace.
C’est pourquoi nous voulons tout d’abord saluer le travail de notre collègue député Christophe Naegelen, qui a déposé ce texte équilibré, ô combien nécessaire, que l’Assemblée nationale a adopté le 6 décembre dernier à l’unanimité.
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui est fondée sur une logique d’opt out – désolé pour cet anglicisme –, qui offre un droit d’opposition, à condition de s’être inscrit sur la fameuse liste Bloctel. Cette approche s’oppose au système d’opt in, qui exige un consentement exprès et préalable au démarchage. Ce dernier système, séduisant au premier abord, pourrait avoir des effets contre-productifs. Aussi, comme notre commission des lois, nous souhaitons conserver le système d’opt out, qui permet, lorsqu’il est bien encadré, d’offrir un moyen simple de contrecarrer ce harcèlement téléphonique, sans pour autant détruire une activité économique qui représente, selon les chiffres de notre rapporteur, près de 56 000 emplois en France.
En premier lieu, il est essentiel d’obliger les démarcheurs à décliner clairement leur identité, l’objet de leur appel, mais aussi à informer chaque individu de la possibilité de souscrire à la liste d’opposition.
En second lieu, la question des sanctions financières est cruciale pour s’opposer à la pugnacité des entreprises de démarchage. Les sanctions plus élevées prévues par ce texte devraient enfin – nous l’espérons – permettre de les dissuader d’enfreindre les règles.
Nous avons eu la surprise de voir disparaître l’article 5 du texte en commission ; nous persistons à penser que, lorsqu’une personne est inscrite sur Bloctel, l’exception permettant malgré cela de la solliciter doit être strictement encadrée.
En effet, le droit en vigueur dispose qu’un consommateur ayant des relations contractuelles préexistantes avec un professionnel peut être démarché par celui-ci, même s’il est inscrit sur Bloctel. Au travers de l’article 5, l’Assemblée nationale a restreint le périmètre concerné, en proposant que seules les sollicitations ayant un rapport direct avec l’objet d’un contrat en cours puissent donner lieu à un démarchage. Nous soutenons cette rédaction, et je vous proposerai donc un amendement tendant à la rétablir.
Ce texte a identifié les lacunes du cadre actuel, et il tente d’y répondre de manière concrète. Face à l’agacement légitime des Français, face à des professionnels du démarchage souvent peu scrupuleux, nous devons agir rapidement. En votant aujourd’hui un texte, qui puisse être adopté définitivement par l’Assemblée nationale en seconde lecture, nous ferons en sorte qu’il entre rapidement en vigueur, afin d’améliorer le quotidien de nos concitoyens.
Le groupe Union Centriste soutiendra donc cette proposition de loi, en saluant un bel exemple de la qualité de l’initiative parlementaire. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe La République En Marche, ainsi qu’au banc des commissions. – M. Marc Laménie applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Dany Wattebled.
M. Dany Wattebled. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui la proposition de loi visant à encadrer le démarchage téléphonique et à lutter contre les appels frauduleux.
Nombreux sont nos concitoyens qui dénoncent les nuisances dues aux appels intempestifs, abusifs ou frauduleux.
La question du démarchage téléphonique étant régie par le droit d’opposition, l’encadrement de ce démarchage repose sur la possibilité offerte à chacun de manifester son opposition à être démarché à des fins commerciales ou à ce que ses données personnelles soient utilisées à cette fin. Il s’agit d’un mécanisme où le consentement est supposé acquis, mais où la liberté est laissée aux consommateurs de refuser le démarchage.
Ce droit d’opposition, incarné par le fichier Bloctel depuis le 1er juin 2016, est géré par la société Opposetel, M. le rapporteur l’a rappelé. Les consommateurs peuvent ainsi s’inscrire sur une liste répertoriant les personnes ne souhaitant pas être démarchées, liste que doivent consulter les entreprises avant toute opération.
Or, si le fichier Bloctel a permis d’obtenir certains résultats significatifs, plusieurs lacunes viennent en altérer l’efficacité.
Tout d’abord, le nombre d’entreprises qui soumettent leurs fichiers à Bloctel, pour les expurger des données téléphoniques des particuliers inscrits, est trop faible.
Ensuite, l’autorité administrative, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, organise trop peu de contrôles, et ceux-ci conduisent à trop peu de sanctions.
Enfin, les sanctions prononcées sont trop faibles – 15 000 euros pour une personne physique contactant une personne inscrite sur le fichier d’opposition, et 75 000 euros s’il s’agit d’une personne morale. De plus, ces sanctions ne sont jamais publiées, elles n’ont donc aucun effet sur l’image de marque d’une société, ce qui – vous en conviendrez – en atténue grandement la portée.
À côté des démarchages commerciaux intempestifs et illégaux, les Français subissent aussi, de plus en plus fréquemment, des pratiques frauduleuses fondées sur des numéros surtaxés. Ces pratiques touchent particulièrement les publics les plus vulnérables, comme les personnes âgées ou les adolescents, appâtés par la promesse de places de spectacle, de produits de mode ou de gains d’argent.
Bien entendu, l’instauration de numéros surtaxés n’est pas illégale, si ceux-ci correspondent à un service réel. La fraude consiste à inciter les consommateurs à composer, pour des raisons trompeuses, ces numéros dits de « service à valeur ajoutée », et à les pousser à multiplier les appels ou à rester le plus longtemps possible en ligne.
Cette proposition de loi répond donc à un double objectif. D’une part, elle vise à renforcer l’effectivité du droit d’opposition au démarchage téléphonique ; d’autre part, elle tend à mieux lutter contre la fraude. Lors de son examen, la commission des lois a apporté plusieurs modifications afin de l’enrichir.
Parmi ces ajouts, je me réjouis du renforcement des obligations de transparence des professionnels, au travers de l’incitation à la mise en place d’un code de déontologie et de la création d’un régime de données ouvertes, applicable à l’organisme gestionnaire du service Bloctel, de façon à mieux contrôler son activité.
Je me félicite également qu’elle ait précisé les modalités de vérification des fichiers de prospection commerciale en cas de sous-traitance.
Enfin, parmi les modifications apportées, je veux souligner particulièrement celle qui conforte la sécurité juridique des outils permettant de lutter contre les pratiques frauduleuses, qui représentent une grande partie des nuisances subies par les consommateurs, notamment en subordonnant toute résiliation de contrat d’un éditeur de numéro surtaxé frauduleux à une mise en demeure infructueuse.
Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je partage sans réserve l’esprit de ce texte qui entend défendre les droits de nos concitoyens. En effet, la question du démarchage téléphonique abusif ou frauduleux nous concerne tous. Il est dénoncé partout en France, dans tous les territoires de notre pays.
C’est pourquoi le groupe Les Indépendants votera en faveur de cette proposition de loi.
M. le président. La parole est à M. Arnaud de Belenet. (M. François Patriat applaudit.)
M. Arnaud de Belenet. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la tentative d’effraction dans l’espace privé au moyen du démarchage téléphonique est un authentique fléau, dont, hélas, le remède thérapeutique nous échappe encore.
En outre, quand bien même nous le trouverions, il n’est pas certain que l’exaspération de nos citoyens en ressortirait diminuée, tant on observe, chiffres à l’appui – ils ont été cités précédemment –, la recrudescence de pratiques frauduleuses qui n’entrent pas dans le champ du démarchage téléphonique stricto sensu, fussent-elles perçues comme telles par les consommateurs qui en subissent le préjudice. Ces pratiques consistent, dans leur forme majoritaire, à inciter le consommateur à appeler un numéro surtaxé, sans qu’aucun produit ou service réel soit, en contrepartie, mis à sa disposition.
Aux notions de « porte-à-porte » et de « commis voyageur », qui nous rendraient presque nostalgiques, se substitue désormais l’abus des anglicismes opt out et opt in ; à défaut d’éliminer la chose, nous inventons le mot censé nous en préserver… Pourtant, rien n’y fait, ce fléau n’en finit pas ; les Français s’en agacent, et, sur ce terrain, le législateur paraissait bien désarmé.
Nos débats illustrent ces tribulations.
La prospection téléphonique intempestive a été rebattue sous toutes ses coutures : d’abord à l’Assemblée nationale, puis par notre honorable commission, sans toutefois que nous parvenions à soulager notre scepticisme quant à l’apport réel de l’ouvrage législatif. À notre décharge, l’opérationnalité du système de consentement préalable, dit opt out, ne relève pas uniquement du périmètre de la loi. Toutefois, sans revenir sur la philosophie générale de ce principe, on mesure combien il peut être hasardeux de légiférer sur un mécanisme protectionniste sous l’effet duquel toute une économie souterraine de prospection commerciale frauduleuse menace de prospérer.
Ainsi donc, et quoi qu’on en pense par ailleurs, cette entreprise de régulation n’est pas une mince affaire. Bien évidemment, il ne faut pas renoncer.
La ligne de crête est étroite entre le spectre de la délocalisation salariale – contrepartie logique du système de non-consentement préalable – et un nécessaire protectionnisme à l’attention des consommateurs désabusés. Notre commission avait à cœur d’établir un point d’équilibre acceptable entre, d’une part, cette protection accrue des consommateurs et, d’autre part, le maintien sur le territoire national d’une activité économique pourvoyant un nombre non négligeable d’emplois, dans le strict respect du principe de liberté du commerce et de l’industrie. Elle a mené un remaniement rédactionnel.
Nous regrettons, une fois n’est pas coutume, la suppression des dispositions prévoyant la remise au Parlement d’un rapport d’évaluation de la gestion de la liste d’opposition au démarchage téléphonique prévue à l’article 2. Nous nourrissons quelques soupçons quant au caractère opérationnel de dispositions législatives dépourvues, à ce stade, d’étude d’impact préalable. En lieu et place serait prévue une mise à disposition en open data, par la société Opposetel, des « données essentielles » de son activité, qui seront également transmises au Conseil national de la consommation. Ce dispositif nous semble insuffisant pour dresser un diagnostic précis du fonctionnement de la liste d’opposition et de sa gouvernance.
La commission a retenu une juste proportionnalité du régime des sanctions administratives en cas de manquements simultanés à plusieurs obligations ou de cumul avec une sanction pénale à l’article 3 bis. Cette logique généralisante fait pourtant peu de cas, semble-t-il, du principe de proportionnalité dont elle se réclame : nous priverions ainsi l’autorité administrative compétente de la possibilité de prononcer des amendes d’un montant adapté à la gravité des manquements constatés.
Par ailleurs, nous craignons le caractère rigide et désincitatif du dispositif de certification des signalements par un arrêté du ministre chargé de l’économie, à l’article 6.
Nous sommes pleinement favorables à la limitation de « l’exception client » prévue à l’article 5, par laquelle un professionnel peut contacter un consommateur, même s’il est inscrit sur la liste d’opposition au démarchage téléphonique. Sans doute soutiendrons-nous l’amendement n° 25 rectifié de M. Marseille et de Mme Vermeillet sur ce point.
Notre groupe aurait apprécié un vote conforme, la prochaine niche UDI n’intervenant qu’en décembre prochain. Cette prolongation de la navette sera toutefois utile pour prendre connaissance des consultations engagées auprès des associations de consommateurs.
Comme vous l’aurez compris, mes chers collègues, si nous aspirons à approuver avec enthousiasme cette proposition de loi, nous espérons que la sagesse de notre assemblée lui permettra d’atteindre un niveau de perfection encore accru par rapport à la rédaction issue des travaux de la commission. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à Mme Michelle Gréaume.
Mme Michelle Gréaume. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous voilà réunis aujourd’hui pour discuter d’une proposition de loi du groupe UDI visant à renforcer l’encadrement du démarchage téléphonique, des numéros surtaxés et à améliorer le fonctionnement de la liste d’opposition au démarchage, dite Bloctel.
Les mots ont un sens. Parlez aujourd’hui de démarchage téléphonique et on vous répondra, selon les cas : harcèlement, vente forcée, installation forcée – je songe au compteur Linky – et même parfois abus de faiblesse.
Cette situation – que nous connaissons et, a priori, dénonçons tous ici – et le retour en discussion de ce texte sont la preuve de l’impuissance des mesures déjà votées dans le cadre de la loi relative à la consommation, en 2014. Ces mesures sont en effet restées « au milieu du gué », laissant les citoyens seuls face à cette plaie qu’une simple interdiction suffirait à éradiquer. Si on connaît le poids des lobbies, on ne reste pas moins dubitatif devant un tel manque de volonté face à une activité économique dont le caractère indispensable ne saute pas aux yeux.
La publicité et la suggestion perpétuelle à la consommation ont envahi nos vies comme jamais dans notre histoire : sur les murs de nos villes, que la loi de 1881 interdit pourtant à l’expression des citoyens, dans nos radios, télévisions, transports en commun, sur internet… Ce phénomène va même jusqu’à mutiler les œuvres et la création audiovisuelles. À cette liste non exhaustive on pouvait objecter – avant – que le citoyen, dans l’intimité, se retrouvait libre de se dégager de ces incitations publicitaires en éteignant la télé, en choisissant quel journal acheter, en changeant de station de radio… Or le démarchage téléphonique a la particularité de s’attaquer au dernier rempart, à la dernière zone libre de réclames : l’intimité domestique.
Pour le moins, donc, nous pensons que le démarchage téléphonique ne doit être autorisé qu’auprès des seuls consommateurs ayant donné expressément leur accord à l’utilisation commerciale de leurs données personnelles. Ce principe de consentement préalable est le seul qui permette de garantir une protection des consommateurs.
J’entends bien les arguments concernant les emplois qui pourraient être menacés ou la difficulté dans laquelle seraient plongées certaines sociétés vivant de ces activités. Allons au fond des choses et du débat.
De quoi parlons-nous ? De défense des emplois ou des profits ? S’il s’agit de préserver les emplois, commençons par rapatrier ceux qui sont délocalisés à l’étranger, dans des pays francophones à plus bas salaires, ce qui permet d’engranger plus de bénéfices.
Si nous voulons contribuer à l’essor économique des pays du Sud – puisque cet argument est parfois avancé –, n’y a-t-il pas mieux à faire que d’exploiter cette jeunesse dans des métiers sous-qualifiés, sous-payés, qui ne servent en rien ou si peu au développement de leur propre société ? C’est un autre type de coopération qu’il convient de mettre en œuvre.
Intéressons-nous également aux conditions de travail et au niveau des rémunérations dans les centres d’appels sur notre territoire.
Posons-nous la question de l’utilité sociale de ce secteur économique. N’y a-t-il pas mieux à faire, n’y a-t-il pas plus utile que de déranger les gens dans leur vie quotidienne, à n’importe quelle heure, pour vendre tout et n’importe quoi ? Pourquoi ne pas « réinventer » ces emplois ?
Nos concitoyens souffrent – ils nous le disent aujourd’hui – d’une profonde déshumanisation, d’un vide où le téléphone ou internet sont censés remplacer l’humain. Je ne m’éloigne pas du sujet en rappelant que les centres d’appels, comme les plateformes numériques, tels qu’ils sont conçus aujourd’hui, par économie d’emplois et par profits, participent aussi d’une profonde déstructuration de notre société et d’une désertification de nos territoires.
Redonnons du lien social, du sens à la société. Privilégions les rapports humains, que ce soit dans l’activité commerciale, dans l’après-vente, dans l’accès aux services publics ou aux organismes sociaux. Nous pouvons transformer ces emplois en emplois utiles socialement et économiquement, derrière un téléphone et derrière un guichet, au réel service des usagers et des consommateurs citoyens.
Le texte qui nous est présenté n’est pas, de notre point de vue, à la hauteur de ces enjeux. Le pouvait-il ? Il peut néanmoins être vu comme une avancée en ce qu’il se propose d’augmenter le contrôle de ces activités et les peines encourues. Toutefois, ce serait faire preuve de naïveté que de penser que la DGCCRF, dont les effectifs vont en se réduisant, sera en mesure d’agir. Il semblerait en effet que notre gouvernement ne se préoccupe pas de donner aux services de l’État les moyens de contrôler certaines activités économiques, alors même que ce contrôle est nécessaire. La responsabilité accrue donnée aux opérateurs de téléphonie souligne ce manque d’ambition de l’État concernant ses instances de contrôle et marque le défaussement de ses prérogatives sur des opérateurs privés qu’aucune instance démocratique ne contrôle et qui se voient offrir de plus en plus de pouvoir.
Au-delà de toutes les critiques, positives ou négatives, que nous pourrions émettre sur ce texte, notre groupe tient à rappeler sa volonté d’inverser le dispositif et d’adopter l’opt in. Nous soutiendrons tous les amendements visant à substituer un régime de consentement préalable au démarchage téléphonique à un régime d’opposition. Il s’agit du seul moyen de veiller à la protection du consommateur. Si tel est le cas, nous soutiendrons sans réserve ce texte. Dans le cas contraire, nous réserverons notre position en fonction des modifications qui seront apportées au cours de nos débats. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. – M. Jean-Pierre Sueur applaudit également.)