compte rendu intégral

Présidence de M. David Assouline

vice-président

Secrétaires :

Mme Agnès Canayer,

Mme Annie Guillemot.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à dix heures trente.)

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Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

 
Dossier législatif : projet de loi ratifiant l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations
Discussion générale (suite)

Réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations

Adoption en deuxième lecture d’un projet de loi dans le texte de la commission modifié

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, ratifiant l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations (projet n° 154, texte de la commission n° 248, rapport n° 247).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme la garde des sceaux.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi ratifiant l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations
Article 2

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, vous allez aujourd’hui débattre, en deuxième lecture, du projet de loi de ratification de l’ordonnance réformant le droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations.

Le long chemin qui a mené à la publication de cette ordonnance, qui, je le rappelle, constitue l’une des réformes les plus importantes du code civil depuis sa création en 1804, a été marqué par des échanges nourris et une forte collaboration avec les praticiens.

Cet échange fructueux s’est également noué au stade de la ratification de l’ordonnance, tant dans cet hémicycle que dans celui du Palais-Bourbon. Le Gouvernement salue à cet égard le travail accompli par le rapporteur de votre commission des lois, François Pillet, qui a su mener une analyse précise des dispositions de l’ordonnance pour en améliorer certains points, tout en faisant preuve d’un grand esprit d’ouverture et de responsabilité.

En effet, première assemblée saisie de ce texte, le Sénat, sur l’initiative de son rapporteur, a opportunément clarifié le sens de certaines dispositions de l’ordonnance, sans toutefois en modifier l’esprit.

L’Assemblée nationale, de la même manière, n’a pas remis en cause certaines de ces améliorations et n’a apporté que de rares, mais utiles, nouvelles modifications, de sorte que de nombreux points ne sont plus, aujourd’hui, en débat.

Ainsi en est-il de la consécration de la jurisprudence Baldus, qui exclut du champ de la réticence dolosive l’estimation de la valeur de la prestation, des règles relatives à la capacité des personnes morales ou aux conflits d’intérêts en matière de représentation ou encore de la définition du préjudice réparable en cas de rupture fautive des négociations.

Par ailleurs, au-delà des améliorations apportées au texte même de l’ordonnance, votre commission des lois, par ses travaux nourris, a dégagé en première lecture des lignes d’interprétation claires, notamment sur les questions d’articulation entre le droit commun et les droits spéciaux ou sur le caractère impératif ou supplétif des textes de l’ordonnance. Ces interprétations claires, confirmées par le Gouvernement, puis approuvées par l’Assemblée nationale, constitueront un guide précieux pour les praticiens, qui disposeront ainsi de travaux préparatoires enrichis.

Cette deuxième lecture s’ouvre donc, grâce à ce dialogue des chambres marqué par la volonté de tendre vers le compromis, sur un texte amélioré, dont l’équilibre et l’esprit restent fidèles à ceux que le Gouvernement a entendu lui conférer : concilier l’efficacité économique du droit et le renforcement de la justice contractuelle. Les grands équilibres sont donc respectés.

Finalement, un seul point de fond demeure en discussion, et le Gouvernement vous proposera de revenir aujourd’hui encore sur ce sujet, ainsi qu’il l’avait fait en première lecture : il s’agit des prérogatives du juge en matière d’imprévision.

En effet, alors que l’ordonnance a enfin doté le droit français d’un mécanisme permettant de prendre en compte un changement de circonstances imprévisible venu bouleverser l’économie du contrat et de restaurer l’équilibre initialement voulu par les parties, votre commission propose de revenir sur ce texte et de limiter les pouvoirs du juge saisi par une seule des parties à la seule résolution du contrat, excluant ainsi la possibilité pour le juge, saisi par une seule des parties, de réviser ce contrat.

Les objections du Sénat sont connues. Elles tiennent principalement à l’atteinte qui serait portée à la force obligatoire du contrat et à la liberté contractuelle. Le Gouvernement les avait bien évidemment à l’esprit. C’est d’ailleurs précisément pour ne pas porter à ces principes essentiels du droit des contrats une atteinte injustifiée que la possibilité ouverte par le dispositif instauré par l’ordonnance a été strictement encadrée, ainsi que j’aurai l’occasion de le rappeler lors de l’examen de l’amendement déposé par le Gouvernement.

L’incidence négative sur l’attractivité du droit français a également pu être mise en avant. Le renforcement de l’attractivité de notre droit est précisément l’un des objectifs de l’ordonnance. À cet égard, le Gouvernement a rappelé que cette disposition était supplétive, que les parties pouvaient choisir de l’écarter et que son incidence ne serait donc que limitée dans les contrats internationaux.

Le Gouvernement estime surtout que la modification proposée par votre commission ôte à ce dispositif novateur son utilité et son efficacité. En effet, il est très peu probable que des parties qui ne se seraient pas accordées sur les termes de la renégociation, voire sur la nécessité même de renégocier, décident finalement de s’accorder pour confier ce pouvoir au juge.

Le Gouvernement estime qu’il peut justement être de l’intérêt des parties de permettre au juge, dans certaines circonstances, de « laisser une dernière chance » au contrat. Il ne s’agit pas de donner au juge le pouvoir de faire le contrat, mais de l’adapter, en restaurant les équilibres initialement voulus par les parties que leurs désaccords passés ne leur permettent plus de rétablir par elles-mêmes.

S’il est évident qu’il doit pouvoir être mis fin à une relation contractuelle dont le maintien à tout prix est contraire à l’intérêt des parties, il est toutefois des cas dans lesquels la résolution du contrat ne présente, à l’inverse, d’intérêt économique pour aucune des parties, par exemple si des emplois devaient être menacés par la fin du contrat en question. C’est précisément pour cela que le juge doit, à notre sens, disposer d’une option et pouvoir, selon les circonstances, maintenir le contrat, en restaurant l’équilibre initialement voulu par les parties.

Notre tradition juridique a tendance à favoriser la survie du contrat. Permettre aux parties, puis au juge, en cas d’échec des négociations, de la favoriser ou, si les circonstances le justifient, d’y mettre fin ne fait qu’adapter cette tradition aux évolutions économiques susceptibles d’affecter les situations contractuelles. Il ne s’agit nullement de favoriser un quelconque interventionnisme judiciaire.

D’une manière générale, l’ordonnance privilégie, notamment en cas d’inexécution du contrat, des mécanismes extrajudiciaires : résolution unilatérale, réduction du prix… Cela évite aux parties le temps et le coût d’une procédure judiciaire.

Cependant, l’intervention du juge paraît indispensable lorsqu’il faut concilier la force obligatoire du contrat et une certaine forme de justice contractuelle. Votre assemblée l’a d’ailleurs bien compris, en confirmant la pertinence de l’introduction d’un mécanisme judiciaire de révision pour imprévision.

Le Gouvernement propose simplement d’aller plus loin et estime qu’il serait regrettable de ne pas donner au juge une autre option que la fin du contrat. De la même manière que le maintien de la relation contractuelle n’est pas toujours la solution idéale, sa rupture n’est pas toujours la solution économiquement la plus adaptée. Le Gouvernement est donc très attaché à ce que cette disposition emblématique et novatrice de l’ordonnance soit maintenue et que sa pleine efficacité lui soit restituée, afin de conserver à l’ordonnance l’équilibre auquel elle était, de l’avis général, parvenue.

Retrouver cet équilibre illustrerait parfaitement la qualité des échanges, dont la présente ratification a été l’occasion, ce dont, au nom du Gouvernement, je vous remercie. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – MM. Jacques Bigot et Pierre-Yves Collombat applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. François Pillet, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, nous examinons en nouvelle lecture le projet de loi devant nous amener à ratifier l’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, déjà entrée en vigueur le 1er octobre 2016, soit il y a seize mois.

Bien qu’ayant été, depuis l’origine, opposé à l’utilisation d’une ordonnance pour effectuer une réforme sur plus de 300 articles du code civil, animée par des choix politiques et ne portant pas seulement sur des aménagements techniques, le Sénat, dans un esprit de responsabilité, a choisi de ne pas engager « la réforme de la réforme ».

Lors des débats devant l’Assemblée nationale, vous avez indiqué, madame la garde des sceaux, que « le Sénat avait fait preuve de responsabilité en n’apportant au texte de l’ordonnance que de rares modifications au regard de son ampleur et en permettant, par les débats qui s’y sont déroulés, de résoudre d’éventuelles difficultés d’interprétation ». Vous venez de confirmer ce propos et je vous en remercie.

Toutefois, il n’est pas satisfaisant de devoir ratifier l’ordonnance après presque un an et demi d’application des dispositions qu’elle contient, alors même que quasiment huit mois se sont écoulés entre sa publication et son entrée en vigueur.

La prochaine révision constitutionnelle nous permettra certainement d’interdire, à l’avenir, ce genre de situation,…

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Certainement… (Sourires.)

M. François Pillet, rapporteur. … dont chacun admettra le caractère potentiellement néfaste sur la stabilité du droit.

Sur le fond, je reconnais que le travail accompli au sein de notre assemblée a été largement respecté par nos collègues députés, par ailleurs tenus d’examiner ce texte dans des délais très contraints. Ils se sont limités, pour l’essentiel, à examiner les modifications issues des travaux du Sénat, en n’abordant qu’un seul sujet nouveau – au demeurant utile, technique et circonscrit –, qui concernait le sort des sûretés en cas de cession de contrat et de cession de dette.

Les députés ont également validé – cela nous paraît important – les interprétations expresses que nous avions faites de certaines dispositions et qui auraient pu légitimer certaines corrections, afin qu’il ne subsiste aucune ambiguïté quant à la volonté du législateur.

La commission des lois vous propose de retenir certaines modifications effectuées par l’Assemblée nationale et d’adopter des rédactions de compromis raisonnables par rapport à celles qui ont été adoptées en première lecture.

Madame la garde des sceaux, vous avez considéré devant l’Assemblée nationale que « le Sénat a contribué à clarifier le texte de l’ordonnance, sans en modifier ni le sens ni l’esprit ». Vous avez aussi salué le « dialogue fructueux qui s’est noué depuis le début du processus de ratification ».

Je relève que ce fut encore le cas dans la poursuite du dialogue avec les représentants du ministère de la justice dans le cadre de cette seconde lecture, où nous sommes ensemble restés attentifs aux commentaires publiés par la doctrine ces dernières semaines, ainsi qu’aux travaux menés par nos deux assemblées et aux options qu’elles ont retenues.

Ainsi, sur la définition du contrat d’adhésion, laquelle conditionne la possibilité de contester le caractère abusif de certaines clauses du contrat devant le juge, le Gouvernement avait partagé l’analyse du Sénat en première lecture, ce qui ne fut pas le cas de nos collègues députés. En parfait accord entre nous, le Gouvernement a donc présenté en commission une rédaction améliorée, très proche de la rédaction du Sénat de première lecture, que nous avons pleinement approuvée.

Restent uniquement deux points de désaccord, qui sont d’inégale importance.

Tout d’abord, les dispositions relatives à la révision judiciaire pour imprévision, qui portent, à notre avis, une atteinte disproportionnée au principe de la force obligatoire du contrat et altèrent gravement l’image du droit français.

Ensuite, les dispositions relatives à l’application de la réforme aux contrats antérieurs, qui doivent exprimer clairement la volonté – au demeurant commune – du Gouvernement, de l’Assemblée nationale et du Sénat et qui sont notamment destinées aux juges amenés à trancher de futurs litiges.

Je vous propose de débattre de la rédaction définitive que nous retiendrons pour régler ces deux questions lors de l’examen des amendements qui y sont consacrés. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste. – MM. Yvon Collin et Pierre-Yves Collombat applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Bigot, pour le groupe socialiste et républicain.

M. Jacques Bigot. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je crois que la brièveté de l’intervention de notre rapporteur pourra s’appliquer à l’ensemble de notre discussion générale, car ce projet de loi revient devant nous en deuxième lecture et nous avons déjà eu l’occasion d’en débattre.

Ce texte est fondamental ; toutefois, il ne réforme pas le droit des contrats de manière massive, puisque, en fait, il intègre dans le code civil toute une série de modifications apportées, au fil des années, par la jurisprudence. On le sait, celle-ci est source de droit, en particulier dans ce domaine spécifique.

Certaines dispositions de la réforme sont assez importantes pour les praticiens, notamment la disparition de la notion de cause, mais leur appropriation se fera d’autant mieux que plusieurs aspects du droit des contrats étaient souvent compliqués à expliquer, notamment pour les professeurs de droit et leurs assistants…

Avant de revenir sur le point qui reste aujourd’hui en débat, je crois que nous ne devons pas oublier l’importance de cette réforme dans la vie quotidienne de nos concitoyens ; ainsi, les évolutions des pratiques contractuelles, dont l’usage de l’électronique, qui a été un véritable bouleversement pour les praticiens, sont désormais intégrées dans le code civil.

Certes, on peut regretter, comme je l’avais déjà indiqué en première lecture, que nous n’ayons pas pu tenir davantage de débats, y compris au sein de la commission des lois, sur ces questions essentielles, mais il me semble que, en intégrant des éléments de jurisprudence, le code civil est dorénavant plus clair.

Par ailleurs, comme l’a rappelé notre rapporteur, cette ordonnance est déjà entrée en vigueur et il ne faudrait pas qu’elle soit modifiée de manière trop substantielle, au risque d’entraîner des difficultés importantes pour les praticiens, en particulier au regard de la date du contrat selon que celle-ci est antérieure à l’entrée en vigueur de l’ordonnance, comprise entre cette entrée en vigueur et la ratification par le Parlement ou postérieure à cette ratification. Essayons de respecter le principe de stabilité du droit !

Reste pendant, dans nos discussions, un point symboliquement intéressant, à savoir l’article 1195 du code civil. Je rappelle que, selon l’article 1193, les contrats ne peuvent être modifiés ou révoqués que du consentement mutuel des parties, ou pour les causes que la loi autorise. Cette notion de la force obligatoire de la volonté des parties ayant donné leur consentement est à la base du droit des contrats depuis l’adoption du code napoléonien en 1804.

Pour autant, la jurisprudence, en recherchant l’équité, a progressivement fait évoluer les choses, par exemple avec la notion de contrat d’adhésion. Je note aussi que, à la suite d’une recommandation du Conseil de l’Europe adoptée en 1976, une législation sur les clauses abusives a été introduite en France.

Ainsi, l’évolution qui est aujourd’hui proposée pourrait apparaître comme une révolution, monsieur le rapporteur, mais n’en est pas réellement une. Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend son exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’aurait pas accepté d’assumer ce risque, il peut y avoir renégociation du contrat.

Monsieur le rapporteur, vous entendez limiter les options, en ne prévoyant que sa résiliation ; or, il n’est pas forcément de l’intérêt des parties d’en arriver là. Il peut être tout à fait utile que le juge puisse, avec les parties, tenir compte de leur volonté initiale pour retrouver un équilibre, tout en s’adaptant à cette imprévision. Cela étant, les parties pourront exclure cette possibilité dans le contrat et n’y seront donc pas contraintes.

En ce qui concerne l’attractivité – sujet également évoqué par le rapporteur –, les contrats internationaux font souvent appel à l’arbitrage, en raison d’une certaine peur devant le fonctionnement de la justice. Or, à mon sens, cette procédure est encore plus dangereuse que le recours à un juge, qui va pouvoir, non pas se mêler du contrat, mais rechercher et, quelque part, interpréter la volonté des parties. Et je rappelle que la possibilité pour le juge d’interpréter la volonté des parties existe depuis 1804 et a été de plus en plus appliquée par la jurisprudence, qui a même parfois, aux yeux des praticiens, forcé le trait.

Sur ce point, nous ne pourrons pas vous suivre, monsieur le rapporteur, et nous irons dans le sens de l’amendement déposé par le Gouvernement, tout en conservant l’espoir que la commission mixte paritaire élabore un texte commun entre nos deux assemblées, afin que les praticiens sachent enfin où en est le code civil. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. Pierre-Yves Collombat applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Alain Marc, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires.

M. Alain Marc. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le Sénat tout entier s’était opposé, en 2015, à ce que le Gouvernement procédât par ordonnance à la réforme la plus ambitieuse du code civil depuis 1804. Il y a plus d’un an, le 1er octobre 2016, l’ordonnance est entrée en vigueur.

Lors des travaux en commission, il est apparu particulièrement important de ne pas créer un droit intermédiaire, qui ne s’appliquerait qu’aux contrats passés entre octobre 2016 et la promulgation de la loi de ratification, afin d’éviter de faire coexister trois régimes juridiques simultanément. C’est pourquoi le rapporteur, François Pillet, dans un esprit de responsabilité, a estimé qu’il fallait ratifier l’ordonnance sans modifications majeures.

Cette réforme de grande ampleur du droit des contrats, du régime général des obligations et du régime de la preuve des obligations est nécessaire et attendue. Elle paraît largement approuvée.

Renforcer la sécurité juridique et l’attractivité du droit des contrats, le moderniser, le rendre plus lisible sans le bouleverser, l’adapter aux enjeux contemporains en considérant l’exigence d’efficacité économique et en consolidant la jurisprudence, tels sont les objectifs de cette réforme.

Si l’Assemblée nationale en première lecture a largement respecté le travail réalisé par le Sénat, des dispositions importantes restent toutefois en navette : la définition du contrat d’adhésion ; la sanction de l’abus de l’état de dépendance dans le champ contractuel ; la révision judiciaire du contrat, en cas de changement de circonstances imprévisible ; les sanctions de l’exécution imparfaite du contrat ; la faculté de se libérer d’une obligation dans une monnaie étrangère ; les règles applicables aux contrats conclus avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance.

En deuxième lecture, la commission des lois n’est pas revenue sur les modifications apportées par l’Assemblée nationale chaque fois que cette rédaction constituait un compromis raisonnable, comme en matière de nullité pour réticence dolosive.

Si la commission des lois avait pour volonté de proposer des amendements de compromis, elle a, en revanche, souhaité maintenir la position déjà retenue en première lecture par le Sénat sur deux points : la révision judiciaire pour imprévision, qui porte une atteinte disproportionnée au principe de la force obligatoire du contrat et altère gravement l’image du droit français ; la question de l’application de la réforme aux contrats antérieurs.

Enfin, je souhaite, pour conclure, remercier une nouvelle fois le rapporteur de ce texte, notre collègue François Pillet, qui a effectué un travail titanesque.

Mes chers collègues, parce que notre code civil doit pouvoir refléter l’état réel du droit positif, qui a évolué sous l’œuvre de la jurisprudence et de la doctrine depuis 1804, cette réforme est nécessaire. Le groupe Les Indépendants – République et Territoires votera donc en faveur de la ratification de l’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Pierre-Yves Collombat applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Maryse Carrère, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)

Mme Maryse Carrère. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, l’ordonnance soumise aujourd’hui à notre ratification est, en réalité, la queue de comète d’un long processus législatif et d’une évolution doctrinale plus longue encore, les travaux du professeur Catala ayant débuté en 2005.

Comme nous avons eu l’occasion de le constater, les dispositions de cette ordonnance, bien que parfois très techniques, concernent un grand nombre de nos concitoyens, puisqu’elles modifient des pans entiers de notre code civil qui encadre les relations contractuelles et obligataires et dont l’utilité est quotidienne.

Dans un premier temps, je souhaite saluer le travail du rapporteur, François Pillet, qui a permis de porter dans le débat public des questions jusque-là débattues uniquement au sein de la doctrine. Compte tenu de l’importance de ces dispositions dans la vie quotidienne des Français, il aurait été impensable que la Haute Assemblée donne son quitus sans examiner dans le détail les modifications codifiées.

Je ne vais pas rappeler devant vous l’ensemble des apports de ce texte fondamental, qui ont déjà été présentés en première lecture et aujourd’hui encore par vous, madame la garde des sceaux, monsieur le rapporteur.

Sur certains sujets, ces débats ont permis de mettre en lumière l’affrontement de deux philosophies. Je pense en particulier aux dispositions relatives aux clauses abusives des contrats d’adhésion et au rôle du juge dans les relations contractuelles avec l’intégration de la théorie de l’imprévision dans le droit civil.

Sur ce dernier point, et en schématisant, il s’agit de se prémunir contre certaines situations rendant inapplicable le contrat. L’article 8 du projet de loi, introduit en première lecture par le Sénat, vise à cette fin à supprimer l’introduction du régime de l’imprévision dans le code civil au motif de garantir la « liberté contractuelle ».

L’idée de confier davantage de prérogatives au juge dans le rééquilibrage des relations contractuelles nécessitera probablement des moyens supplémentaires, ce qui n’est pas le moindre des obstacles dans le contexte budgétaire actuel. En effet, l’état de nos juridictions est tel qu’une révolution budgétaire aurait certainement plus d’impact sur l’effectivité des droits de nos concitoyens que toutes les codifications envisageables.

À ce stade avancé de l’élaboration législative, il convient cependant de souligner un paradoxe. Cette ordonnance a été prise sur le fondement de l’article 8 du projet de loi de modernisation et de simplification du droit du 16 février 2015. L’un de ses principaux objectifs était de réintroduire davantage de sécurité juridique dans les relations contractuelles.

Des contrats ont été formés sur la base des dispositions de cette ordonnance, entrée en vigueur le 1er octobre 2016, et il serait malencontreux d’instiller de l’insécurité juridique, en introduisant des modifications trop grandes au cœur de la loi de ratification d’une ordonnance, justement destinée à l’effet inverse.

Sans remettre en cause le bien-fondé de la position du rapporteur sur des sujets aussi essentiels que ceux que j’évoquais à l’instant, il me paraîtrait plus raisonnable de ratifier l’ordonnance sans remettre en cause l’état du droit, d’en surveiller étroitement l’application et de proposer, le cas échéant, un retour aux dispositions antérieures, si d’importants dysfonctionnements étaient constatés par la suite.

Plusieurs de mes collègues l’ont déjà souligné, cette façon de légiférer est frustrante pour les parlementaires, dont le pouvoir d’amendement se trouve de facto limité par leur volonté pragmatique de ne pas fragiliser la situation juridique d’individus concernés par l’ordonnance. Elle est aussi gênante pour le Gouvernement, qui doit anticiper l’effet contentieux des ratifications en cas de modifications substantielles portées à l’ordonnance déjà entrée en vigueur.

J’ajoute que, contrairement à une idée reçue, le recours à l’ordonnance pour d’importantes entreprises de codification n’est pas sensiblement moins long que le recours à la procédure législative ordinaire.

À titre de comparaison, sachez que la dernière rénovation du code pénal s’était faite en six ans, depuis son dépôt au Sénat, en 1986, jusqu’à sa promulgation en 1992, ce qui représente moins de temps que celui qui a été consacré à la réforme actuelle du droit des contrats et des obligations, si l’on prend en compte le temps nécessaire à l’adoption du projet de loi autorisant le Gouvernement à légiférer par ordonnances, déposé en 2013.

Dans ce contexte, compte tenu des différentes réserves que j’ai évoquées, les membres du groupe du RDSE soutiendront les amendements du Gouvernement destinés à rétablir la version initiale du texte sur les points encore litigieux, mais cela ne nous empêchera pas d’avoir un regard bienveillant sur le texte finalement voté. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)

M. le président. La parole est à M. Arnaud de Belenet, pour le groupe La République En Marche.

M. Arnaud de Belenet. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, voilà quelques semaines, l’examen en première lecture de ce texte m’avait donné l’occasion de m’exprimer pour la première fois à cette tribune, et c’est évidemment avec la même humilité, compte tenu de mon accession récente à cette fonction de parlementaire, que j’évoque ce texte.

Fruit d’une quinzaine d’années de travaux, riches de rapports, de contributions académiques, de réflexions, d’échanges nourris par la doctrine, les praticiens du droit et les acteurs économiques, ce texte a également été vertueusement enrichi par l’examen parlementaire.

Comme vous l’avez souligné, madame la garde des sceaux, ce projet de loi répond à deux objectifs principaux : la codification de la jurisprudence qui s’est développée depuis deux siècles et le renforcement de l’attractivité du droit français vis-à-vis des investisseurs étrangers en le clarifiant et l’adaptant aux enjeux des évolutions de l’économie mondialisée.

Gagner en attractivité sans renoncer à la justice contractuelle ; s’adapter aux exigences de l’économie de marché tout en protégeant les plus faibles : tel est l’esprit de ce texte, qui introduit plusieurs innovations en ce sens.

Je ne ferai qu’évoquer la définition dans le code civil d’un contrat d’adhésion et la consécration de l’annulation des clauses emportant un déséquilibre significatif dans ce type de contrat, le champ volontairement élargi de la réticence dolosive, ou encore la volonté d’étendre la sanction de la violence en cas de dépendance.

En revanche, madame la garde des sceaux, il nous reste effectivement un débat sur l’article 1195 du code civil, qui n’offre la possibilité d’adapter le contrat que lorsque celui-ci a vu son exécution rendue excessivement difficile pour l’une des parties à cause d’un changement de circonstances indépendant de la volonté des cocontractants.

Comme vous l’avez souligné, ainsi que notre collègue Jacques Bigot, ces dispositions ne nuisent pas à l’attractivité du droit français, puisqu’elles n’ont qu’un impact assez limité en matière de droit des contrats internationaux.

Vous avez précisé le rôle du juge, qui n’a pas vocation à refaire le contrat, mais, au contraire, à rétablir la relation telle qu’elle avait été envisagée par les parties initialement. On peut même presque considérer qu’il s’agit là d’un renforcement de la volonté des parties et d’un retour au contrat. Vous avez enfin explicité l’ensemble des aspects qui permettent d’envisager l’adoption de l’amendement que vous présenterez lors de la discussion des articles.

Tel est l’esprit qui a prévalu lors de nos travaux. À cet égard, je rends hommage à la responsabilité de la Haute Assemblée, qui, in fine, n’a apporté que de rares modifications au regard de l’ampleur de la réforme, qui porte sur plus de 300 articles du code civil, et qui a su, en première lecture, œuvrer pour de véritables clarifications.

C’est dans le même esprit de responsabilité que la commission des lois du Sénat, en seconde lecture, a cherché avant tout une position de compromis sur les principaux points divergents. Il en est ainsi, monsieur le rapporteur, du choix fait de ne pas définir l’abus de dépendance comme relevant uniquement du domaine économique, mais de préciser qu’il n’est pas applicable à un tiers.

Comme je l’ai rappelé, le Gouvernement lui-même s’est montré à l’écoute de nos travaux, puisqu’il a réintroduit une définition du contrat d’adhésion plus proche du sens que lui avait donné le Sénat, à savoir celle d’un contrat qui « comporte un ensemble de clauses non négociables, déterminées à l’avance par l’une des parties ». C’est une voie médiane qui a été empruntée et qui permet le compromis sur un texte équilibré auquel chacun a pu contribuer. Désormais, il nous semble que la ratification s’impose.