Sommaire
Présidence de M. David Assouline
Secrétaires :
Mmes Agnès Canayer, Annie Guillemot.
2. Réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations. – Adoption en deuxième lecture d’un projet de loi dans le texte de la commission modifié
Discussion générale :
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice
M. François Pillet, rapporteur de la commission des lois
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux
Clôture de la discussion générale.
M. François Pillet, rapporteur
Adoption de l’article.
Amendement n° 1 du Gouvernement. – Rejet.
Amendement n° 3 de la commission. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Articles 8 bis, 9 et 12 – Adoption.
Amendement n° 2 du Gouvernement. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 4 de la commission. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Adoption du projet de loi dans le texte de la commission, modifié.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
3. Questions d’actualité au Gouvernement
Mme Laurence Cohen ; Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé ; Mme Laurence Cohen.
Mme Corinne Féret ; M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État auprès du ministre de l’action et des comptes publics ; Mme Corinne Féret.
aides de l’état aux communes touchées par les inondations
Mme Colette Mélot ; M. Gérard Collomb, ministre d’État, ministre de l’intérieur.
M. Alain Milon ; Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé ; M. Alain Milon.
expérimentation de la cpam sur les arrêts maladie
Mme Sonia de la Provôté ; Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé ; Mme Sonia de la Provôté.
conseil des prud’hommes à mayotte
M. Thani Mohamed Soilihi ; Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice ; M. Thani Mohamed Soilihi.
intervenants extérieurs dans les prisons
M. Jean-Pierre Corbisez ; Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice.
Mme Sophie Taillé-Polian ; Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé ; Mme Sophie Taillé-Polian.
notre-dame-des-landes et autorité de l’état
Mme Catherine Deroche ; M. Gérard Collomb, ministre d’État, ministre de l’intérieur ; Mme Catherine Deroche.
Mme Michèle Vullien ; M. Édouard Philippe, Premier ministre ; Mme Michèle Vullien.
agriculture dans les zones défavorisées (i)
Mme Françoise Laborde ; M. Stéphane Travert, ministre de l’agriculture et de l’alimentation ; Mme Françoise Laborde.
rôle des banques dans le financement de l’économie réelle
M. Alain Chatillon ; M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État auprès du ministre de l’action et des comptes publics.
agriculture dans les zones défavorisées (ii)
M. François Bonhomme ; M. Stéphane Travert, ministre de l’agriculture et de l’alimentation ; M. François Bonhomme.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Thani Mohamed Soilihi
5. Fonds d’indemnisation des victimes des produits phytopharmaceutiques. – Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Discussion générale :
Mme Nicole Bonnefoy, auteur de la proposition de loi
M. Bernard Jomier, rapporteur de la commission des affaires sociales
Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé
Clôture de la discussion générale.
Amendement n° 8 rectifié de M. Jean Bizet. – Adoption.
Amendement n° 9 rectifié de M. Jean Bizet. – Retrait.
Amendement n° 2 rectifié bis de M. Victorin Lurel. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 3 rectifié bis de M. Victorin Lurel. – Retrait.
Amendement n° 10 rectifié de M. Jean Bizet. – Non soutenu.
Adoption de l’article.
Amendement n° 11 rectifié bis de M. Jean Bizet. – Non soutenu.
Amendement n° 12 rectifié de M. Jean Bizet. – Non soutenu.
Amendement n° 4 rectifié bis de M. Victorin Lurel. – Adoption.
Amendement n° 13 rectifié de M. Jean Bizet. – Rejet.
Amendement n° 5 rectifié ter de M. Victorin Lurel. – Retrait.
Amendement n° 14 rectifié de M. Jean Bizet. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 15 rectifié de M. Jean Bizet. – Retrait.
Amendement n° 16 rectifié de M. Jean Bizet. – Retrait.
Adoption de l’article.
Amendement n° 17 rectifié de M. Jean Bizet. – Retrait.
Adoption de l’article.
Amendement n° 18 rectifié de M. Jean Bizet. – Retrait.
Adoption de l’article.
Amendement n° 19 rectifié de M. Jean Bizet. – Retrait.
Adoption de l’article.
Adoption de l’article.
Amendement n° 20 rectifié de M. Jean Bizet. – Rejet.
Adoption de l’article.
Adoption de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.
6. Réforme de la Caisse des Français de l’étranger. – Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Discussion générale :
M. Jean-Yves Leconte, auteur de la proposition de loi
M. Yves Daudigny, rapporteur de la commission des affaires sociales
Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé
Clôture de la discussion générale.
Article 1er A (nouveau) – Adoption.
Adoption de l’article.
Article 22 – Suppression, conséquence d’une levée de gage.
Articles 23 A (nouveau), 23, 24 et 25 – Adoption.
Adoption de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.
compte rendu intégral
Présidence de M. David Assouline
vice-président
Secrétaires :
Mme Agnès Canayer,
Mme Annie Guillemot.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations
Adoption en deuxième lecture d’un projet de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, ratifiant l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations (projet n° 154, texte de la commission n° 248, rapport n° 247).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, vous allez aujourd’hui débattre, en deuxième lecture, du projet de loi de ratification de l’ordonnance réformant le droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations.
Le long chemin qui a mené à la publication de cette ordonnance, qui, je le rappelle, constitue l’une des réformes les plus importantes du code civil depuis sa création en 1804, a été marqué par des échanges nourris et une forte collaboration avec les praticiens.
Cet échange fructueux s’est également noué au stade de la ratification de l’ordonnance, tant dans cet hémicycle que dans celui du Palais-Bourbon. Le Gouvernement salue à cet égard le travail accompli par le rapporteur de votre commission des lois, François Pillet, qui a su mener une analyse précise des dispositions de l’ordonnance pour en améliorer certains points, tout en faisant preuve d’un grand esprit d’ouverture et de responsabilité.
En effet, première assemblée saisie de ce texte, le Sénat, sur l’initiative de son rapporteur, a opportunément clarifié le sens de certaines dispositions de l’ordonnance, sans toutefois en modifier l’esprit.
L’Assemblée nationale, de la même manière, n’a pas remis en cause certaines de ces améliorations et n’a apporté que de rares, mais utiles, nouvelles modifications, de sorte que de nombreux points ne sont plus, aujourd’hui, en débat.
Ainsi en est-il de la consécration de la jurisprudence Baldus, qui exclut du champ de la réticence dolosive l’estimation de la valeur de la prestation, des règles relatives à la capacité des personnes morales ou aux conflits d’intérêts en matière de représentation ou encore de la définition du préjudice réparable en cas de rupture fautive des négociations.
Par ailleurs, au-delà des améliorations apportées au texte même de l’ordonnance, votre commission des lois, par ses travaux nourris, a dégagé en première lecture des lignes d’interprétation claires, notamment sur les questions d’articulation entre le droit commun et les droits spéciaux ou sur le caractère impératif ou supplétif des textes de l’ordonnance. Ces interprétations claires, confirmées par le Gouvernement, puis approuvées par l’Assemblée nationale, constitueront un guide précieux pour les praticiens, qui disposeront ainsi de travaux préparatoires enrichis.
Cette deuxième lecture s’ouvre donc, grâce à ce dialogue des chambres marqué par la volonté de tendre vers le compromis, sur un texte amélioré, dont l’équilibre et l’esprit restent fidèles à ceux que le Gouvernement a entendu lui conférer : concilier l’efficacité économique du droit et le renforcement de la justice contractuelle. Les grands équilibres sont donc respectés.
Finalement, un seul point de fond demeure en discussion, et le Gouvernement vous proposera de revenir aujourd’hui encore sur ce sujet, ainsi qu’il l’avait fait en première lecture : il s’agit des prérogatives du juge en matière d’imprévision.
En effet, alors que l’ordonnance a enfin doté le droit français d’un mécanisme permettant de prendre en compte un changement de circonstances imprévisible venu bouleverser l’économie du contrat et de restaurer l’équilibre initialement voulu par les parties, votre commission propose de revenir sur ce texte et de limiter les pouvoirs du juge saisi par une seule des parties à la seule résolution du contrat, excluant ainsi la possibilité pour le juge, saisi par une seule des parties, de réviser ce contrat.
Les objections du Sénat sont connues. Elles tiennent principalement à l’atteinte qui serait portée à la force obligatoire du contrat et à la liberté contractuelle. Le Gouvernement les avait bien évidemment à l’esprit. C’est d’ailleurs précisément pour ne pas porter à ces principes essentiels du droit des contrats une atteinte injustifiée que la possibilité ouverte par le dispositif instauré par l’ordonnance a été strictement encadrée, ainsi que j’aurai l’occasion de le rappeler lors de l’examen de l’amendement déposé par le Gouvernement.
L’incidence négative sur l’attractivité du droit français a également pu être mise en avant. Le renforcement de l’attractivité de notre droit est précisément l’un des objectifs de l’ordonnance. À cet égard, le Gouvernement a rappelé que cette disposition était supplétive, que les parties pouvaient choisir de l’écarter et que son incidence ne serait donc que limitée dans les contrats internationaux.
Le Gouvernement estime surtout que la modification proposée par votre commission ôte à ce dispositif novateur son utilité et son efficacité. En effet, il est très peu probable que des parties qui ne se seraient pas accordées sur les termes de la renégociation, voire sur la nécessité même de renégocier, décident finalement de s’accorder pour confier ce pouvoir au juge.
Le Gouvernement estime qu’il peut justement être de l’intérêt des parties de permettre au juge, dans certaines circonstances, de « laisser une dernière chance » au contrat. Il ne s’agit pas de donner au juge le pouvoir de faire le contrat, mais de l’adapter, en restaurant les équilibres initialement voulus par les parties que leurs désaccords passés ne leur permettent plus de rétablir par elles-mêmes.
S’il est évident qu’il doit pouvoir être mis fin à une relation contractuelle dont le maintien à tout prix est contraire à l’intérêt des parties, il est toutefois des cas dans lesquels la résolution du contrat ne présente, à l’inverse, d’intérêt économique pour aucune des parties, par exemple si des emplois devaient être menacés par la fin du contrat en question. C’est précisément pour cela que le juge doit, à notre sens, disposer d’une option et pouvoir, selon les circonstances, maintenir le contrat, en restaurant l’équilibre initialement voulu par les parties.
Notre tradition juridique a tendance à favoriser la survie du contrat. Permettre aux parties, puis au juge, en cas d’échec des négociations, de la favoriser ou, si les circonstances le justifient, d’y mettre fin ne fait qu’adapter cette tradition aux évolutions économiques susceptibles d’affecter les situations contractuelles. Il ne s’agit nullement de favoriser un quelconque interventionnisme judiciaire.
D’une manière générale, l’ordonnance privilégie, notamment en cas d’inexécution du contrat, des mécanismes extrajudiciaires : résolution unilatérale, réduction du prix… Cela évite aux parties le temps et le coût d’une procédure judiciaire.
Cependant, l’intervention du juge paraît indispensable lorsqu’il faut concilier la force obligatoire du contrat et une certaine forme de justice contractuelle. Votre assemblée l’a d’ailleurs bien compris, en confirmant la pertinence de l’introduction d’un mécanisme judiciaire de révision pour imprévision.
Le Gouvernement propose simplement d’aller plus loin et estime qu’il serait regrettable de ne pas donner au juge une autre option que la fin du contrat. De la même manière que le maintien de la relation contractuelle n’est pas toujours la solution idéale, sa rupture n’est pas toujours la solution économiquement la plus adaptée. Le Gouvernement est donc très attaché à ce que cette disposition emblématique et novatrice de l’ordonnance soit maintenue et que sa pleine efficacité lui soit restituée, afin de conserver à l’ordonnance l’équilibre auquel elle était, de l’avis général, parvenue.
Retrouver cet équilibre illustrerait parfaitement la qualité des échanges, dont la présente ratification a été l’occasion, ce dont, au nom du Gouvernement, je vous remercie. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – MM. Jacques Bigot et Pierre-Yves Collombat applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. François Pillet, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, nous examinons en nouvelle lecture le projet de loi devant nous amener à ratifier l’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, déjà entrée en vigueur le 1er octobre 2016, soit il y a seize mois.
Bien qu’ayant été, depuis l’origine, opposé à l’utilisation d’une ordonnance pour effectuer une réforme sur plus de 300 articles du code civil, animée par des choix politiques et ne portant pas seulement sur des aménagements techniques, le Sénat, dans un esprit de responsabilité, a choisi de ne pas engager « la réforme de la réforme ».
Lors des débats devant l’Assemblée nationale, vous avez indiqué, madame la garde des sceaux, que « le Sénat avait fait preuve de responsabilité en n’apportant au texte de l’ordonnance que de rares modifications au regard de son ampleur et en permettant, par les débats qui s’y sont déroulés, de résoudre d’éventuelles difficultés d’interprétation ». Vous venez de confirmer ce propos et je vous en remercie.
Toutefois, il n’est pas satisfaisant de devoir ratifier l’ordonnance après presque un an et demi d’application des dispositions qu’elle contient, alors même que quasiment huit mois se sont écoulés entre sa publication et son entrée en vigueur.
La prochaine révision constitutionnelle nous permettra certainement d’interdire, à l’avenir, ce genre de situation,…
M. François Pillet, rapporteur. … dont chacun admettra le caractère potentiellement néfaste sur la stabilité du droit.
Sur le fond, je reconnais que le travail accompli au sein de notre assemblée a été largement respecté par nos collègues députés, par ailleurs tenus d’examiner ce texte dans des délais très contraints. Ils se sont limités, pour l’essentiel, à examiner les modifications issues des travaux du Sénat, en n’abordant qu’un seul sujet nouveau – au demeurant utile, technique et circonscrit –, qui concernait le sort des sûretés en cas de cession de contrat et de cession de dette.
Les députés ont également validé – cela nous paraît important – les interprétations expresses que nous avions faites de certaines dispositions et qui auraient pu légitimer certaines corrections, afin qu’il ne subsiste aucune ambiguïté quant à la volonté du législateur.
La commission des lois vous propose de retenir certaines modifications effectuées par l’Assemblée nationale et d’adopter des rédactions de compromis raisonnables par rapport à celles qui ont été adoptées en première lecture.
Madame la garde des sceaux, vous avez considéré devant l’Assemblée nationale que « le Sénat a contribué à clarifier le texte de l’ordonnance, sans en modifier ni le sens ni l’esprit ». Vous avez aussi salué le « dialogue fructueux qui s’est noué depuis le début du processus de ratification ».
Je relève que ce fut encore le cas dans la poursuite du dialogue avec les représentants du ministère de la justice dans le cadre de cette seconde lecture, où nous sommes ensemble restés attentifs aux commentaires publiés par la doctrine ces dernières semaines, ainsi qu’aux travaux menés par nos deux assemblées et aux options qu’elles ont retenues.
Ainsi, sur la définition du contrat d’adhésion, laquelle conditionne la possibilité de contester le caractère abusif de certaines clauses du contrat devant le juge, le Gouvernement avait partagé l’analyse du Sénat en première lecture, ce qui ne fut pas le cas de nos collègues députés. En parfait accord entre nous, le Gouvernement a donc présenté en commission une rédaction améliorée, très proche de la rédaction du Sénat de première lecture, que nous avons pleinement approuvée.
Restent uniquement deux points de désaccord, qui sont d’inégale importance.
Tout d’abord, les dispositions relatives à la révision judiciaire pour imprévision, qui portent, à notre avis, une atteinte disproportionnée au principe de la force obligatoire du contrat et altèrent gravement l’image du droit français.
Ensuite, les dispositions relatives à l’application de la réforme aux contrats antérieurs, qui doivent exprimer clairement la volonté – au demeurant commune – du Gouvernement, de l’Assemblée nationale et du Sénat et qui sont notamment destinées aux juges amenés à trancher de futurs litiges.
Je vous propose de débattre de la rédaction définitive que nous retiendrons pour régler ces deux questions lors de l’examen des amendements qui y sont consacrés. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste. – MM. Yvon Collin et Pierre-Yves Collombat applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Bigot, pour le groupe socialiste et républicain.
M. Jacques Bigot. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je crois que la brièveté de l’intervention de notre rapporteur pourra s’appliquer à l’ensemble de notre discussion générale, car ce projet de loi revient devant nous en deuxième lecture et nous avons déjà eu l’occasion d’en débattre.
Ce texte est fondamental ; toutefois, il ne réforme pas le droit des contrats de manière massive, puisque, en fait, il intègre dans le code civil toute une série de modifications apportées, au fil des années, par la jurisprudence. On le sait, celle-ci est source de droit, en particulier dans ce domaine spécifique.
Certaines dispositions de la réforme sont assez importantes pour les praticiens, notamment la disparition de la notion de cause, mais leur appropriation se fera d’autant mieux que plusieurs aspects du droit des contrats étaient souvent compliqués à expliquer, notamment pour les professeurs de droit et leurs assistants…
Avant de revenir sur le point qui reste aujourd’hui en débat, je crois que nous ne devons pas oublier l’importance de cette réforme dans la vie quotidienne de nos concitoyens ; ainsi, les évolutions des pratiques contractuelles, dont l’usage de l’électronique, qui a été un véritable bouleversement pour les praticiens, sont désormais intégrées dans le code civil.
Certes, on peut regretter, comme je l’avais déjà indiqué en première lecture, que nous n’ayons pas pu tenir davantage de débats, y compris au sein de la commission des lois, sur ces questions essentielles, mais il me semble que, en intégrant des éléments de jurisprudence, le code civil est dorénavant plus clair.
Par ailleurs, comme l’a rappelé notre rapporteur, cette ordonnance est déjà entrée en vigueur et il ne faudrait pas qu’elle soit modifiée de manière trop substantielle, au risque d’entraîner des difficultés importantes pour les praticiens, en particulier au regard de la date du contrat selon que celle-ci est antérieure à l’entrée en vigueur de l’ordonnance, comprise entre cette entrée en vigueur et la ratification par le Parlement ou postérieure à cette ratification. Essayons de respecter le principe de stabilité du droit !
Reste pendant, dans nos discussions, un point symboliquement intéressant, à savoir l’article 1195 du code civil. Je rappelle que, selon l’article 1193, les contrats ne peuvent être modifiés ou révoqués que du consentement mutuel des parties, ou pour les causes que la loi autorise. Cette notion de la force obligatoire de la volonté des parties ayant donné leur consentement est à la base du droit des contrats depuis l’adoption du code napoléonien en 1804.
Pour autant, la jurisprudence, en recherchant l’équité, a progressivement fait évoluer les choses, par exemple avec la notion de contrat d’adhésion. Je note aussi que, à la suite d’une recommandation du Conseil de l’Europe adoptée en 1976, une législation sur les clauses abusives a été introduite en France.
Ainsi, l’évolution qui est aujourd’hui proposée pourrait apparaître comme une révolution, monsieur le rapporteur, mais n’en est pas réellement une. Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend son exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’aurait pas accepté d’assumer ce risque, il peut y avoir renégociation du contrat.
Monsieur le rapporteur, vous entendez limiter les options, en ne prévoyant que sa résiliation ; or, il n’est pas forcément de l’intérêt des parties d’en arriver là. Il peut être tout à fait utile que le juge puisse, avec les parties, tenir compte de leur volonté initiale pour retrouver un équilibre, tout en s’adaptant à cette imprévision. Cela étant, les parties pourront exclure cette possibilité dans le contrat et n’y seront donc pas contraintes.
En ce qui concerne l’attractivité – sujet également évoqué par le rapporteur –, les contrats internationaux font souvent appel à l’arbitrage, en raison d’une certaine peur devant le fonctionnement de la justice. Or, à mon sens, cette procédure est encore plus dangereuse que le recours à un juge, qui va pouvoir, non pas se mêler du contrat, mais rechercher et, quelque part, interpréter la volonté des parties. Et je rappelle que la possibilité pour le juge d’interpréter la volonté des parties existe depuis 1804 et a été de plus en plus appliquée par la jurisprudence, qui a même parfois, aux yeux des praticiens, forcé le trait.
Sur ce point, nous ne pourrons pas vous suivre, monsieur le rapporteur, et nous irons dans le sens de l’amendement déposé par le Gouvernement, tout en conservant l’espoir que la commission mixte paritaire élabore un texte commun entre nos deux assemblées, afin que les praticiens sachent enfin où en est le code civil. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. Pierre-Yves Collombat applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Alain Marc, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires.
M. Alain Marc. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le Sénat tout entier s’était opposé, en 2015, à ce que le Gouvernement procédât par ordonnance à la réforme la plus ambitieuse du code civil depuis 1804. Il y a plus d’un an, le 1er octobre 2016, l’ordonnance est entrée en vigueur.
Lors des travaux en commission, il est apparu particulièrement important de ne pas créer un droit intermédiaire, qui ne s’appliquerait qu’aux contrats passés entre octobre 2016 et la promulgation de la loi de ratification, afin d’éviter de faire coexister trois régimes juridiques simultanément. C’est pourquoi le rapporteur, François Pillet, dans un esprit de responsabilité, a estimé qu’il fallait ratifier l’ordonnance sans modifications majeures.
Cette réforme de grande ampleur du droit des contrats, du régime général des obligations et du régime de la preuve des obligations est nécessaire et attendue. Elle paraît largement approuvée.
Renforcer la sécurité juridique et l’attractivité du droit des contrats, le moderniser, le rendre plus lisible sans le bouleverser, l’adapter aux enjeux contemporains en considérant l’exigence d’efficacité économique et en consolidant la jurisprudence, tels sont les objectifs de cette réforme.
Si l’Assemblée nationale en première lecture a largement respecté le travail réalisé par le Sénat, des dispositions importantes restent toutefois en navette : la définition du contrat d’adhésion ; la sanction de l’abus de l’état de dépendance dans le champ contractuel ; la révision judiciaire du contrat, en cas de changement de circonstances imprévisible ; les sanctions de l’exécution imparfaite du contrat ; la faculté de se libérer d’une obligation dans une monnaie étrangère ; les règles applicables aux contrats conclus avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance.
En deuxième lecture, la commission des lois n’est pas revenue sur les modifications apportées par l’Assemblée nationale chaque fois que cette rédaction constituait un compromis raisonnable, comme en matière de nullité pour réticence dolosive.
Si la commission des lois avait pour volonté de proposer des amendements de compromis, elle a, en revanche, souhaité maintenir la position déjà retenue en première lecture par le Sénat sur deux points : la révision judiciaire pour imprévision, qui porte une atteinte disproportionnée au principe de la force obligatoire du contrat et altère gravement l’image du droit français ; la question de l’application de la réforme aux contrats antérieurs.
Enfin, je souhaite, pour conclure, remercier une nouvelle fois le rapporteur de ce texte, notre collègue François Pillet, qui a effectué un travail titanesque.
Mes chers collègues, parce que notre code civil doit pouvoir refléter l’état réel du droit positif, qui a évolué sous l’œuvre de la jurisprudence et de la doctrine depuis 1804, cette réforme est nécessaire. Le groupe Les Indépendants – République et Territoires votera donc en faveur de la ratification de l’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Pierre-Yves Collombat applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Maryse Carrère, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
Mme Maryse Carrère. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, l’ordonnance soumise aujourd’hui à notre ratification est, en réalité, la queue de comète d’un long processus législatif et d’une évolution doctrinale plus longue encore, les travaux du professeur Catala ayant débuté en 2005.
Comme nous avons eu l’occasion de le constater, les dispositions de cette ordonnance, bien que parfois très techniques, concernent un grand nombre de nos concitoyens, puisqu’elles modifient des pans entiers de notre code civil qui encadre les relations contractuelles et obligataires et dont l’utilité est quotidienne.
Dans un premier temps, je souhaite saluer le travail du rapporteur, François Pillet, qui a permis de porter dans le débat public des questions jusque-là débattues uniquement au sein de la doctrine. Compte tenu de l’importance de ces dispositions dans la vie quotidienne des Français, il aurait été impensable que la Haute Assemblée donne son quitus sans examiner dans le détail les modifications codifiées.
Je ne vais pas rappeler devant vous l’ensemble des apports de ce texte fondamental, qui ont déjà été présentés en première lecture et aujourd’hui encore par vous, madame la garde des sceaux, monsieur le rapporteur.
Sur certains sujets, ces débats ont permis de mettre en lumière l’affrontement de deux philosophies. Je pense en particulier aux dispositions relatives aux clauses abusives des contrats d’adhésion et au rôle du juge dans les relations contractuelles avec l’intégration de la théorie de l’imprévision dans le droit civil.
Sur ce dernier point, et en schématisant, il s’agit de se prémunir contre certaines situations rendant inapplicable le contrat. L’article 8 du projet de loi, introduit en première lecture par le Sénat, vise à cette fin à supprimer l’introduction du régime de l’imprévision dans le code civil au motif de garantir la « liberté contractuelle ».
L’idée de confier davantage de prérogatives au juge dans le rééquilibrage des relations contractuelles nécessitera probablement des moyens supplémentaires, ce qui n’est pas le moindre des obstacles dans le contexte budgétaire actuel. En effet, l’état de nos juridictions est tel qu’une révolution budgétaire aurait certainement plus d’impact sur l’effectivité des droits de nos concitoyens que toutes les codifications envisageables.
À ce stade avancé de l’élaboration législative, il convient cependant de souligner un paradoxe. Cette ordonnance a été prise sur le fondement de l’article 8 du projet de loi de modernisation et de simplification du droit du 16 février 2015. L’un de ses principaux objectifs était de réintroduire davantage de sécurité juridique dans les relations contractuelles.
Des contrats ont été formés sur la base des dispositions de cette ordonnance, entrée en vigueur le 1er octobre 2016, et il serait malencontreux d’instiller de l’insécurité juridique, en introduisant des modifications trop grandes au cœur de la loi de ratification d’une ordonnance, justement destinée à l’effet inverse.
Sans remettre en cause le bien-fondé de la position du rapporteur sur des sujets aussi essentiels que ceux que j’évoquais à l’instant, il me paraîtrait plus raisonnable de ratifier l’ordonnance sans remettre en cause l’état du droit, d’en surveiller étroitement l’application et de proposer, le cas échéant, un retour aux dispositions antérieures, si d’importants dysfonctionnements étaient constatés par la suite.
Plusieurs de mes collègues l’ont déjà souligné, cette façon de légiférer est frustrante pour les parlementaires, dont le pouvoir d’amendement se trouve de facto limité par leur volonté pragmatique de ne pas fragiliser la situation juridique d’individus concernés par l’ordonnance. Elle est aussi gênante pour le Gouvernement, qui doit anticiper l’effet contentieux des ratifications en cas de modifications substantielles portées à l’ordonnance déjà entrée en vigueur.
J’ajoute que, contrairement à une idée reçue, le recours à l’ordonnance pour d’importantes entreprises de codification n’est pas sensiblement moins long que le recours à la procédure législative ordinaire.
À titre de comparaison, sachez que la dernière rénovation du code pénal s’était faite en six ans, depuis son dépôt au Sénat, en 1986, jusqu’à sa promulgation en 1992, ce qui représente moins de temps que celui qui a été consacré à la réforme actuelle du droit des contrats et des obligations, si l’on prend en compte le temps nécessaire à l’adoption du projet de loi autorisant le Gouvernement à légiférer par ordonnances, déposé en 2013.
Dans ce contexte, compte tenu des différentes réserves que j’ai évoquées, les membres du groupe du RDSE soutiendront les amendements du Gouvernement destinés à rétablir la version initiale du texte sur les points encore litigieux, mais cela ne nous empêchera pas d’avoir un regard bienveillant sur le texte finalement voté. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. le président. La parole est à M. Arnaud de Belenet, pour le groupe La République En Marche.
M. Arnaud de Belenet. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, voilà quelques semaines, l’examen en première lecture de ce texte m’avait donné l’occasion de m’exprimer pour la première fois à cette tribune, et c’est évidemment avec la même humilité, compte tenu de mon accession récente à cette fonction de parlementaire, que j’évoque ce texte.
Fruit d’une quinzaine d’années de travaux, riches de rapports, de contributions académiques, de réflexions, d’échanges nourris par la doctrine, les praticiens du droit et les acteurs économiques, ce texte a également été vertueusement enrichi par l’examen parlementaire.
Comme vous l’avez souligné, madame la garde des sceaux, ce projet de loi répond à deux objectifs principaux : la codification de la jurisprudence qui s’est développée depuis deux siècles et le renforcement de l’attractivité du droit français vis-à-vis des investisseurs étrangers en le clarifiant et l’adaptant aux enjeux des évolutions de l’économie mondialisée.
Gagner en attractivité sans renoncer à la justice contractuelle ; s’adapter aux exigences de l’économie de marché tout en protégeant les plus faibles : tel est l’esprit de ce texte, qui introduit plusieurs innovations en ce sens.
Je ne ferai qu’évoquer la définition dans le code civil d’un contrat d’adhésion et la consécration de l’annulation des clauses emportant un déséquilibre significatif dans ce type de contrat, le champ volontairement élargi de la réticence dolosive, ou encore la volonté d’étendre la sanction de la violence en cas de dépendance.
En revanche, madame la garde des sceaux, il nous reste effectivement un débat sur l’article 1195 du code civil, qui n’offre la possibilité d’adapter le contrat que lorsque celui-ci a vu son exécution rendue excessivement difficile pour l’une des parties à cause d’un changement de circonstances indépendant de la volonté des cocontractants.
Comme vous l’avez souligné, ainsi que notre collègue Jacques Bigot, ces dispositions ne nuisent pas à l’attractivité du droit français, puisqu’elles n’ont qu’un impact assez limité en matière de droit des contrats internationaux.
Vous avez précisé le rôle du juge, qui n’a pas vocation à refaire le contrat, mais, au contraire, à rétablir la relation telle qu’elle avait été envisagée par les parties initialement. On peut même presque considérer qu’il s’agit là d’un renforcement de la volonté des parties et d’un retour au contrat. Vous avez enfin explicité l’ensemble des aspects qui permettent d’envisager l’adoption de l’amendement que vous présenterez lors de la discussion des articles.
Tel est l’esprit qui a prévalu lors de nos travaux. À cet égard, je rends hommage à la responsabilité de la Haute Assemblée, qui, in fine, n’a apporté que de rares modifications au regard de l’ampleur de la réforme, qui porte sur plus de 300 articles du code civil, et qui a su, en première lecture, œuvrer pour de véritables clarifications.
C’est dans le même esprit de responsabilité que la commission des lois du Sénat, en seconde lecture, a cherché avant tout une position de compromis sur les principaux points divergents. Il en est ainsi, monsieur le rapporteur, du choix fait de ne pas définir l’abus de dépendance comme relevant uniquement du domaine économique, mais de préciser qu’il n’est pas applicable à un tiers.
Comme je l’ai rappelé, le Gouvernement lui-même s’est montré à l’écoute de nos travaux, puisqu’il a réintroduit une définition du contrat d’adhésion plus proche du sens que lui avait donné le Sénat, à savoir celle d’un contrat qui « comporte un ensemble de clauses non négociables, déterminées à l’avance par l’une des parties ». C’est une voie médiane qui a été empruntée et qui permet le compromis sur un texte équilibré auquel chacun a pu contribuer. Désormais, il nous semble que la ratification s’impose.
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
M. Pierre-Yves Collombat. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, je réitère tout d’abord mes félicitations à notre rapporteur pour son travail approfondi, ses efforts de synthèse et son choix de toucher le moins possible au droit spécifique résultant de la mise en application de l’ordonnance avant sa ratification, ce qui revient d’ailleurs à mettre le Parlement devant le fait accompli…
Constatons que ce qui devait rester exceptionnel, justifié seulement par l’urgence – je veux parler de la procédure des ordonnances –, est devenu une habitude, ce dont on ne saurait se satisfaire.
Vous le savez, mon groupe est pour l’abrogation pure et simple de l’article 38 de la Constitution, qui ouvre la possibilité au Gouvernement de légiférer par ordonnances. Si seulement la révision annoncée permettait d’inscrire dans la Constitution la proposition n° 20 du président du Sénat, nous ferions un pas non négligeable vers le souhaitable.
Cette proposition, je le rappelle, vise à encadrer davantage le recours aux ordonnances par deux dispositions : fixer à trois mois à compter de la promulgation de la loi d’habilitation le délai dans lequel les ordonnances doivent être prises ; prévoir une ratification obligatoire des ordonnances dans un délai d’un an au maximum à partir de la promulgation de l’habilitation.
Comme notre rapporteur, j’attends donc avec impatience le moment où la révision constitutionnelle viendra en débat, au Parlement ou directement devant les Français, s’ils sont consultés par référendum.
Je ne doute pas que ce débat, au-delà des intentions initiales du chef de l’État d’affaiblir un peu plus le pouvoir législatif, permettra, au contraire, de donner un coup d’arrêt à la dérive consulaire du régime et à la réduction du Parlement en une chambre d’enregistrement des volontés élyséennes – mes chers collègues, je n’ai pas pu résister… (Rires.)
Pour le reste, ces propositions de réforme du droit des contrats, largement consensuelles, n’appellent pas de longs développements de ma part.
Je constaterai simplement, une fois n’est pas coutume, mon accord avec l’Assemblée nationale et le Gouvernement sur deux points du texte qui ont fait débat ici : la suppression du terme « économique » dans la définition de la notion de dépendance, qui pouvait entraîner une interprétation trop restrictive de celle-ci ; l’extension du rôle du juge en cas de « changement de circonstances imprévisible » avec la possibilité qui lui est donnée, au-delà du pouvoir de mettre fin à contrat de ce fait, d’en modifier les termes.
À l’inverse, la définition du contrat d’adhésion proposée par notre commission permettra de bien cerner le champ d’application de ce type de contrat, qui, dans certains cas, comme les abonnements, ne résulte pas vraiment d’une négociation entre les parties.
« Au jour du jugement, les hommes rendront compte de toute parole vaine qu’ils auront proférée », si l’on en croit saint Matthieu… (Sourires.) Aussi, j’en resterai là, non sans avoir précisé que notre groupe votera le texte qui nous est proposé. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. le président. La parole est à Mme Anne-Catherine Loisier, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
Mme Anne-Catherine Loisier. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, ce texte constitue un bel exemple de l’apport de la navette parlementaire et de contribution de notre assemblée à la qualité du droit, sujet essentiel pour l’attractivité économique du pays et pour le développement de nos entreprises.
Vous avez reconnu, madame la garde des sceaux, qu’un dialogue fructueux s’était noué depuis le début du processus de ratification avec notre assemblée pour corriger quelques malfaçons et améliorer le dispositif.
Le Sénat a réellement contribué à clarifier le texte de l’ordonnance en veillant à n’en modifier ni le sens ni l’esprit. Sans doute en raison des délais contraints, et hormis la question du sort des sûretés en cas de cession de contrat et de cession de dette, le débat à l’Assemblée nationale s’est porté quasi exclusivement sur le terrain balisé, en quelque sorte, par les débats de notre assemblée.
Il faut reconnaître qu’il s’agit là d’un texte d’une technicité juridique incontestable. Aussi, je remercie une fois encore le rapporteur François Pillet, qui m’a associée aux auditions dans le cadre de la délégation aux entreprises.
À l’Assemblée nationale, en première lecture, la commission des lois et le Gouvernement se sont démarqués du Sénat sur trois points principaux.
Tout d’abord, la sanction de l’exploitation abusive d’une situation de dépendance par un contractant, que le Sénat a voulu réduire à la seule situation de dépendance économique.
Cette restriction, à laquelle le Gouvernement s’était opposé, priverait notre droit d’un mécanisme permettant de sanctionner les abus commis à l’encontre d’un cocontractant qui se trouve en situation de dépendance psychologique à l’égard d’un autre cocontractant. Sur ce point, la commission des lois a choisi de faire un pas vers le Gouvernement et de limiter l’état de dépendance au cocontractant.
Ensuite, la sanction des clauses créant un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties dans les contrats d’adhésion, comme cela existe déjà dans les contrats de consommation, par exemple. Ce choix n’a pas été remis en cause par le Sénat, mais un débat a été ouvert sur la définition même du contrat d’adhésion, qui a été modifiée par le Sénat, puis par la commission des lois de l’Assemblée nationale. Ces modifications successives révèlent bien la difficulté de l’exercice.
Enfin, la révision du contrat pour imprévision, qui permet l’adaptation du contrat dont l’exécution est rendue excessivement difficile pour l’une des parties par un changement de circonstances indépendant de la volonté des parties.
Madame la garde des sceaux, vous avez répété ce matin que, selon vous, la rédaction du Sénat ôtait au dispositif son utilité, et vous vous êtes félicitée de ce que la commission des lois de l’Assemblée nationale a rendu à cette mesure sa pleine efficacité. Je pense que ce sujet va largement occuper nos débats ce matin.
En tout cas, pour une réforme qui modifie quelque 300 articles du code civil, ces divergences sont limitées et certainement pas insurmontables, au vu des efforts que notre assemblée semble disposée à faire.
Le Gouvernement et le Sénat partagent en effet la volonté que cette réforme s’inscrive dans le double objectif du renforcement de la sécurité juridique de nos entreprises et de l’amélioration de l’attractivité du droit des contrats de notre pays.
J’en veux pour preuve le fait que l’amendement présenté par le Gouvernement, qui tend à préciser la définition des contrats d’adhésion en remplaçant la référence « aux conditions générales » par la notion d’« ensemble clauses non négociables », ait reçu le plein soutien de notre commission des lois.
En matière de sanction des clauses abusives dans les contrats d’adhésion, nous souhaitons que nos collègues députés en viennent à reconsidérer la rédaction proposée par le Sénat dans sa cohérence avec la définition du contrat d’adhésion et l’intention du Gouvernement. Seules doivent pouvoir être réputées non écrites les clauses imposées par l’une des parties, et non pas celles qui ont été librement négociées ou, en tout cas, qui étaient négociables.
Sur le paiement d’une obligation de somme d’argent pouvant se faire en monnaie étrangère, le Sénat a entendu les craintes exprimées par les milieux économiques à l’occasion des auditions. Il a donc remplacé le critère de « contrat international » par celui d’« opération à caractère international ».
L’Assemblée nationale est allée encore plus loin en séance publique en prévoyant la possibilité d’utiliser une monnaie étrangère en tant que monnaie de compte pour tout contrat, dès lors que le débiteur de l’obligation conserverait la faculté de se libérer en euros.
La commission des lois du Sénat propose de revenir à sa rédaction initiale et souhaite obtenir du ministère de l’économie et des finances les précisions nécessaires à un vote éclairé.
M. François Pillet, rapporteur. C’est fait !
Mme Anne-Catherine Loisier. Sur ce point, j’attire une nouvelle fois votre attention, madame la garde des sceaux, sur les effets collatéraux d’une trop large ouverture pour la vulnérabilité des entreprises françaises, notamment au regard de l’extraterritorialité du droit américain liée au simple usage du dollar. Je crois savoir que ce sujet est déjà aujourd’hui pris en compte par M. le ministre de l’économie et des finances.
Je terminerai sur le pouvoir de révision judiciaire du contrat à la demande de l’une des parties au cours de l’exécution du contrat et sur l’application de la théorie de l’imprévision.
En première lecture, le Sénat a supprimé ce pouvoir de révision. L’Assemblée nationale l’a rétabli avec l’approbation du Gouvernement, arguant notamment du caractère supplétif de l’article 1195 du code civil.
Ce choix, vous le savez, ne nous semble pas cohérent. Nous considérons même qu’il est risqué, dans la mesure où il revient à faire du juge non plus l’arbitre, mais le « reformulateur » de ce contrat, en quelque sorte. Compte tenu de la complexité croissante du droit économique, de la vie des entreprises, il ne nous semble pas opportun de livrer en quelque sorte les magistrats judiciaires à des situations auxquelles ils ne sont pas préparés. Cela nous apparaît également incohérent, car si le Gouvernement tient vraiment à ce rôle du juge, pourquoi ne pas en faire une norme impérative ?
Cette modernisation du droit des contrats, réalisée par ordonnance, ce que nous regrettons également, à l’instar de nombre de nos collègues, continuera à faire l’objet de notre vigilance. Grâce aux contacts de terrain noués par la délégation aux entreprises du Sénat, nous saurons rapidement si d’autres malfaçons subsistent et nécessitent une nouvelle intervention réparatrice du législateur.
Cette modernisation appelle désormais celle du droit des sûretés, déjà partiellement réalisée par l’ordonnance du 23 mars 2006, laquelle excluait privilèges et cautionnement. Or, vous le savez, madame la garde des sceaux, les acteurs économiques réclament une clarification du droit du cautionnement, trop formaliste. Un projet est visiblement sur la table depuis octobre 2017. Pensez-vous le prendre en compte et le mettre à l’ordre du jour du Parlement prochainement ? (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste. – M. Yvon Collin applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Très brièvement, monsieur le président, je tiens tout d’abord à remercier Mmes et MM. les sénateurs de leurs propos, qui sont globalement positifs, même si j’ai bien noté les quelques interrogations qui viennent d’être soulevées, par exemple au sujet du cautionnement, sur lequel la direction des affaires civiles et du sceau du ministère de la justice est actuellement en train de travailler. Cette question reviendra sans doute devant vous.
Surtout, je souhaiterais dire à M. le rapporteur que nous avons non plus deux, mais un seul point de divergence, sur la question de l’imprévision. En effet, en vous écoutant, j’ai cédé sur le second point de désaccord immédiatement, et il n’y a plus de difficulté quant à l’application des dispositions de l’ordonnance dans le temps. Nous avions des interrogations sur la formulation, lesquelles ont été levées par M. le rapporteur, que je remercie de cette clarification.
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations
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Article 2
L’article 1110 du code civil est ainsi modifié :
1° Au premier alinéa, les mots : « librement négociées » sont remplacés par le mot : « négociables » ;
2° Après le mot : « celui », la fin du second alinéa est ainsi rédigée : « qui comporte un ensemble de clauses non négociables, déterminées à l’avance par l’une des parties. »
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. François Pillet, rapporteur. Je souhaite préciser un point, à la suite de la lecture récente d’un commentaire qui me paraît erroné.
L’ordonnance a défini à l’article 1110 du code civil deux catégories de contrat se concevant de manière symétrique, à savoir le contrat de gré de gré et le contrat d’adhésion, qui n’étaient d’ailleurs auparavant que des catégories doctrinales. L’objectif était de pouvoir asseoir dans le droit commun des contrats un nouveau dispositif de lutte contre les clauses abusives pour les contrats d’adhésion : la logique du contrat d’adhésion, c’est une partie qui impose l’essentiel du contrat à l’autre partie, sans négociation possible, de sorte qu’il existe un risque structurel de présence de clauses abusives.
Telle me semble être en tout cas la philosophie ayant inspiré l’ordonnance.
Je précise que ce dispositif de lutte contre les clauses abusives est une innovation, qui a suscité d’importantes contestations, de la part de la doctrine comme des praticiens. En effet, le code civil postule la liberté contractuelle et l’égalité des parties, l’encadrement des contrats structurellement déséquilibrés étant du ressort des droits spéciaux. C’est donc bien un choix politique qui a été fait sur ce point dans l’élaboration de l’ordonnance, mais nous n’avons pas voulu revenir dessus, par esprit de responsabilité.
La définition du contrat d’adhésion par l’ordonnance est toutefois très critiquée, car elle utilise la notion de « conditions générales ». Je n’entre pas dans le détail, mais je précise que nous sommes parvenus à nous entendre avec le Gouvernement à partir de la rédaction adoptée par le Sénat en première lecture, qui retenait le critère de négociabilité pour distinguer le contrat de gré à gré et le contrat d’adhésion. Si elle n’est pas parfaite, la rédaction que nous nous apprêtons donc à adopter aujourd’hui me paraît aussi satisfaisante que possible.
Je veux profiter de cette prise de parole pour clarifier un problème d’interprétation récurrent à propos du contrat d’adhésion, qui a été soulevé par des universitaires ou des praticiens concernant le contrat de société ou le pacte d’actionnaires.
Un associé qui devient partie au contrat ultérieurement à la création de la société ou à la conclusion du pacte ne peut pas en renégocier les termes ; il doit y adhérer en bloc. Certains se demandent si, de ce fait, le pacte d’actionnaires ne pourrait pas être considéré comme un contrat d’adhésion, dont les clauses pourraient alors être contestées en raison d’un caractère prétendument abusif.
Je veux préciser une nouvelle fois ce point, après l’avoir déjà fait par écrit dans mon rapport en première lecture, puis en deuxième lecture, car j’ai encore lu récemment un commentaire erroné sur cette question.
Compte tenu des définitions que nous allons adopter, et qui reposent sur le critère de la négociabilité des stipulations contractuelles, le contrat de gré à gré et le contrat d’adhésion seront chacun définis par les seules conditions de leur formation.
Dès lors, l’adhésion ultérieure d’une nouvelle partie ne saurait en aucun cas avoir d’effet quant à la qualification d’un contrat de gré à gré, qui ne peut donc pas devenir un contrat d’adhésion du point de vue de cette nouvelle partie, quand bien même elle se trouverait dans l’incapacité de renégocier le pacte d’actionnaires. Il en est de même pour les statuts d’une société.
M. le président. Je mets aux voix l’article 2.
(L’article 2 est adopté.)
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Article 3 bis
(Supprimé)
Article 4
Le second alinéa de l’article 1117 du code civil est complété par les mots : « , ou de décès de son destinataire ». – (Adopté.)
Article 5
Le paragraphe 2 de la sous-section 1 de la section 2 du chapitre II du sous-titre Ier du titre III du livre III du code civil est ainsi modifié :
1° L’article 1137 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Néanmoins, ne constitue pas un dol le fait pour une partie de ne pas révéler à son cocontractant son estimation de la valeur de la prestation. » ;
2° À l’article 1143, après le mot : « cocontractant », sont insérés les mots : « à son égard ». – (Adopté.)
Article 6
(Non modifié)
La sous-section 2 de la section 2 du chapitre II du sous-titre Ier du titre III du livre III du code civil est ainsi modifiée :
1° Au second alinéa de l’article 1145, les mots : « aux actes utiles à la réalisation de leur objet tel que défini par leurs statuts et aux actes qui leur sont accessoires, dans le respect des » sont remplacés par les mots : « par les » ;
2° (Supprimé)
3° Au début du premier alinéa de l’article 1161, les mots : « Un représentant ne peut agir pour le compte des deux parties au contrat » sont remplacés par les mots : « En matière de représentation des personnes physiques, un représentant ne peut agir pour le compte de plusieurs parties au contrat en opposition d’intérêts ». – (Adopté.)
Article 7
La sous-section 3 de la section 2 du chapitre II du sous-titre Ier du titre III du livre III du code civil est ainsi modifiée :
1° L’article 1165 est ainsi modifié :
a) La seconde phrase est supprimée ;
b) Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« En cas d’abus dans la fixation du prix, le juge peut être saisi d’une demande tendant à obtenir des dommages et intérêts et le cas échéant la résolution du contrat. » ;
2° (Supprimé)
3° Au premier alinéa de l’article 1171, après le mot : « clause », sont insérés les mots : « non négociable, déterminée à l’avance par l’une des parties, ». – (Adopté.)
Article 8
I. – La seconde phrase du second alinéa de l’article 1195 du code civil est ainsi modifiée :
1° Les mots : « réviser le contrat ou y » sont supprimés ;
2° Après les mots : « mettre fin », sont insérés les mots : « au contrat ».
II. – Le paragraphe 3 de la section 4 du chapitre Ier du titre Ier du livre II du code monétaire et financier est complété par un article L. 211-40-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 211-40-1. – Nul ne peut, pour se soustraire aux obligations qui résultent des I à III de l’article L. 211-1 du présent code, se prévaloir de l’article 1195 du code civil, alors même que ces opérations se résoudraient par le paiement d’une simple différence. »
M. le président. L’amendement n° 1, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéas 1 à 3
Supprimer ces alinéas.
La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Mesdames, messieurs les sénateurs, si vous m’y autorisez, je vais reprendre devant vous le raisonnement que je viens de tenir à l’instant.
Cet amendement a pour objet de rétablir la rédaction de l’article 1195 du code civil issue de l’ordonnance, qui permet à une partie seule de saisir le juge en vue de la révision du contrat en cas d’imprévision.
L’admission de l’imprévision dans le droit français des contrats est l’une des dispositions les plus emblématiques de l’ordonnance du 10 février 2016, dont nous débattons actuellement. L’imprévision est aujourd’hui admise dans de très nombreux droits étrangers et dans les conventions du commerce international. Je me réjouis d’ailleurs, après avoir entendu l’ensemble des orateurs, que vous ne remettiez pas en cause son principe.
Notre désaccord porte donc sur le seul pouvoir de révision du juge. Seule la révision du contrat en cas d’imprévision permet de rétablir l’économie générale du contrat telle qu’elle a été voulue par les parties, lorsque des circonstances indépendantes de leur volonté l’ont bouleversée. Conscient de l’atteinte susceptible d’être portée au principe de force obligatoire du contrat, le Gouvernement a donc strictement encadré la possibilité de révision judiciaire de ce contrat.
Trois types d’encadrement apparaissent.
Il faut tout d’abord un changement de circonstances, imprévisible lors de la conclusion du contrat, ce qui était raisonnablement prévisible restant ainsi à la charge des parties.
Il faut ensuite que l’exécution du contrat soit devenue excessivement onéreuse pour une partie. Une augmentation du prix, par exemple, rendant l’approvisionnement plus coûteux, ne suffit pas à remettre en cause, à lui seul, le contrat.
Il faut enfin que la partie lésée n’ait pas accepté dans le contrat d’assumer le risque d’un tel changement de circonstances. Les parties peuvent en effet toujours écarter toute possibilité de révision du contrat en cas d’imprévision.
Vous aurez par ailleurs observé que priorité est donnée à la renégociation du contrat par les parties et à l’accord amiable. Le recours au juge ne peut s’envisager qu’en cas d’impossibilité de parvenir à un accord sur une révision amiable ou sur une résolution du contrat.
L’atteinte portée à la force obligatoire du contrat et à la liberté contractuelle est d’autant plus à relativiser que l’article 1195, dans sa rédaction initialement proposée par l’ordonnance, est supplétif de volonté, c’est-à-dire que les parties sont libres, non seulement d’en écarter l’application, totalement ou partiellement, mais également d’en aménager librement les modalités, par exemple en définissant les changements de circonstances admis ou en prévoyant un processus spécifique de révision.
Si j’entends bien les inquiétudes que certains d’entre vous expriment, elles me semblent excessives. En effet, je vous rappelle que les pouvoirs du juge sont strictement encadrés par les principes de procédure civile, en particulier par celui selon lequel le juge ne pourra se prononcer que dans le cadre des demandes qui lui sont formulées.
N’autoriser la révision judiciaire du contrat qu’en présence d’un accord des parties pour saisir le juge, comme le propose votre commission, me semble réduire considérablement l’utilité et l’effectivité du texte. Il est en effet à craindre que celui qui bénéficie du changement des circonstances ne soit que fort peu incité au dialogue, dès lors que son obstruction empêcherait toute perspective de révision judiciaire du contrat.
En outre, il me semble qu’il serait regrettable que le juge, constatant que les conditions de l’imprévision sont réunies, n’ait d’autre choix que de mettre fin au contrat, avec les conséquences que cela peut parfois emporter, notamment d’un point de vue économique.
La rédaction initialement proposée par l’ordonnance pour l’article 1195, à laquelle je vous demande donc de revenir, permet au contraire à la partie lésée par un changement de circonstances imprévisibles de passer outre la mauvaise volonté de son cocontractant pour demander au juge de restaurer l’équilibre initialement envisagé par les parties.
Que l’on s’entende bien, il s’agit pour le juge non pas de refaire complètement le contrat et de rechercher un équilibre objectif entre les prestations, mais seulement de corriger le coût excessif que le changement de circonstances aurait occasionné pour l’une des parties.
Sous le bénéfice de ces observations, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous demande donc de bien vouloir revenir, à l’instar de l’Assemblée nationale, au texte initial de l’ordonnance.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. Madame la garde des sceaux, notre désaccord est vraiment très faible, très limité ! Je m’explique. L’ordonnance fait entrer dans le droit français une notion toute nouvelle qui n’existait pas : la révision en cas d’imprévision. Le Sénat est d’accord ; il n’y a pas de contestation sur ce point.
Si les parties, dans cette hypothèse, décident de confier au juge le soin d’adapter le contrat, elles le peuvent. Le Sénat en est d’accord, si l’ensemble des parties le souhaite. Que se passe-t-il dans ce cas ? Les parties, sans que l’aspect consensuel du contrat soit en quoi que ce soit menacé, donnent en quelque sorte au juge une mission d’arbitre, et non pas de faiseur de contrat. Par ailleurs, si un cocontractant seul demande la résolution, le juge peut la prononcer. Nous ne changeons rien, car nous sommes d’accord.
Le seul point sur lequel nous ne sommes pas d’accord, c’est l’hypothèse dans laquelle une seule partie demande au juge de refaire le contrat.
Comme cela a déjà été dit, nous considérons que, en ce domaine l’atteinte aux principes généraux de notre droit des contrats est un peu disproportionnée.
Ensuite, et c’est peut-être subsidiaire au regard de l’argument avec lequel je terminerai mon exposé, la responsabilité du juge peut éventuellement être engagée par la suite. C’est d’ailleurs ce que nous ont dit les magistrats que nous avons auditionnés, lesquels ne se sont pas montrés empressés à l’idée de se voir attribuer cette nouvelle mission dans le cadre de leurs fonctions judiciaires.
Surtout, si le texte reste en l’état, il sera systématiquement écarté, dès lors qu’un conseil quelque peu avisé participera à la rédaction du contrat. Ce texte restera une image dans notre code civil, mais il ne sera jamais appliqué !
À l’inverse, si le Sénat maintient la position qu’il avait adoptée en première lecture sur la révision judiciaire pour imprévision, cela donnera une possibilité de la préserver dans le code civil.
Vous le voyez, notre champ de désaccord sur ce point est donc très limité. C’est la raison pour laquelle j’engage le Sénat à ne pas suivre l’avis du Gouvernement, ce qui ne constitue pas de notre part une position de refus de nature idéologique, ni même politique.
Ma conviction, c’est que nous pouvons, en poursuivant notre débat, parvenir à écarter cette dernière petite tête d’épingle d’un débat au fil duquel nous nous sommes finalement tous retrouvés.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue !
M. Charles Revet. Mais c’est important d’écouter le rapporteur jusqu’au bout ! (Mme la ministre fait un signe d’approbation.)
M. François Pillet, rapporteur. Si j’y crois, c’est pour deux raisons. D’abord, nous avons de l’imagination. Ensuite, j’éprouve toujours le même plaisir à travailler avec les services de la Chancellerie…
M. le président. Il faut vraiment conclure !
M. Charles Revet. Mais c’était important de l’entendre !
M. le président. Monsieur Revet, mon rôle est également important ! Il consiste à rappeler aux orateurs de respecter leurs temps de parole. J’y tiens d’autant plus quand l’orateur a dépassé son temps de parole d’une minute, après un premier dépassement de quarante secondes. Vous êtes à votre place, je suis à la mienne ! (Murmures.)
La parole est à M. Jacques Bigot, pour explication de vote.
M. Jacques Bigot. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je voudrais surtout échanger avec notre collègue qui est intervenu en sa qualité de membre de la délégation aux entreprises. Selon lui, le fait que le juge puisse se mêler des contrats est un risque, qu’il considère comme extrêmement dangereux pour l’entreprise.
Or cela me paraît inexact. Il faut prendre la mesure des choses : très souvent, ce sont précisément les entreprises qui vont se trouver en difficulté, avec le risque de voir leur avenir économique compromis. En effet, elles seront menacées de liquidation ou de redressement judiciaire si un contrat, pour un cas d’imprévision, est appliqué sans modification.
Je le rappelle, le juge qui tentera de sortir de cette situation sera, sauf en Alsace-Moselle, où il existe un système d’échevinage, celui du tribunal de commerce ; ceux qui interviendront seront donc d’autres professionnels du monde économique. Si nous retenions la proposition de la commission inspirée par notre rapporteur, il s’ensuivrait que le juge serait complètement exclu. Parce que les contrats auxquels on va mettre fin sont à exécution successive, il est utile que le juge puisse non pas mettre fin au contrat, mais autoriser son aménagement pour permettre qu’il se poursuive.
Monsieur le rapporteur, vous allez plus loin, puisque vous proposez même de supprimer, dans la rédaction issue de l’Assemblée nationale, les mots « le juge peut mettre fin à une date et à des conditions qu’il détermine ».
Si ce choix était retenu, le juge mettrait fin, sans qu’on sache comment il y parviendra, au contrat, lequel est pourtant à exécution successive. Et il faudra bien, même si le contrat doit s’achever, affirmer les modalités de son inexécution ou de la fin de son exécution. Or contrairement à ce que vous affirmez, mon cher collègue, je pense que cela peut être très utile pour les entreprises – sans doute beaucoup plus que pour les particuliers.
M. le président. L’amendement n° 3, présenté par M. Pillet, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Remplacer les mots :
des I à III de l’article L. 211-1 du présent code
par les mots :
de titres et contrats financiers ou d’opérations sur des titres et contrats financiers
La parole est à M. le rapporteur.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l’article 8, modifié.
(L’article 8 est adopté.)
Article 8 bis
(Non modifié)
À la seconde phrase du premier alinéa de l’article 1216-3 du code civil, après le mot : « par », sont insérés les mots : « le cédant ou par ». – (Adopté.)
Article 9
La section 5 du chapitre IV du sous-titre Ier du titre III du livre III du code civil est ainsi modifiée :
1° Au début du quatrième alinéa de l’article 1217, le mot : « solliciter » est remplacé par le mot : « obtenir » ;
2° À l’article 1221, après le mot : « débiteur », sont insérés les mots : « de bonne foi » ;
3° L’article 1223 est ainsi rédigé :
« Art. 1223. – En cas d’exécution imparfaite de la prestation, le créancier peut, après mise en demeure et s’il n’a pas encore payé tout ou partie de la prestation, notifier au débiteur sa décision d’en réduire de manière proportionnelle le prix dans les meilleurs délais. L’acceptation par le débiteur de la décision de réduction de prix du créancier doit être rédigée par écrit.
« Si le créancier a déjà payé, à défaut d’accord entre les parties, il peut demander au juge la réduction de prix. » – (Adopté.)
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Article 12
(Non modifié)
Le titre IV du livre III du code civil est ainsi modifié :
1° À l’article 1327-1, la première occurrence du mot : « ou » est remplacée par le mot : « et » ;
1° bis À la seconde phrase du premier alinéa de l’article 1328-1, après le mot : « par », sont insérés les mots : « le débiteur originaire ou par » ;
2° À l’article 1352-4, les deux premières occurrences du mot : « à » sont remplacées par le mot : « par » et le mot : « proportion » est remplacé par le mot : « hauteur ». – (Adopté.)
Article 13
La seconde phrase de l’article 1343-3 du code civil est ainsi rédigée : « Toutefois, le paiement peut avoir lieu en une autre monnaie si l’obligation ainsi libellée procède d’une opération à caractère international ou d’un jugement étranger. »
M. le président. L’amendement n° 2, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
I. – L’article 1343-3 du code civil est ainsi rédigé :
« Art. 1343-3. – Le paiement, en France, d’une obligation de somme d’argent s’effectue en euros.
« Toutefois, le paiement peut avoir lieu en une autre monnaie si l’obligation ainsi libellée procède d’une opération à caractère international ou d’un jugement étranger. Les parties peuvent convenir que le paiement aura lieu en devise s’il intervient entre professionnels, lorsque l’usage d’une monnaie étrangère est communément admis pour l’opération concernée. »
II. – Après l’article L. 112-5 du code monétaire et financier, il est inséré un article L. 112-5-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 112-5-1. – Par dérogation au premier alinéa de l’article 1343-3 du code civil, le paiement peut avoir lieu en une autre monnaie si l’obligation ainsi libellée procède d’un instrument financier à terme ou d’une opération de change au comptant. »
La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Cet amendement tend à proposer une nouvelle rédaction de l’article 1343-3 du code civil, issu de l’ordonnance, qui visait à codifier l’état du droit positif quant à la monnaie de paiement des obligations.
Conformément à la jurisprudence actuelle, le texte prévoit que le paiement en France d’une obligation doit se faire en euros, à moins que l’obligation ne procède d’un jugement étranger ou d’une opération à caractère international.
En pratique, il apparaît toutefois que certaines opérations internes se dénouent habituellement en devises, c’est-à-dire dans une autre monnaie que l’euro. La rédaction actuelle de cette disposition pourrait donc fragiliser de telles transactions.
C’est notamment le cas dans certains secteurs comme l’aéronautique ou la pâte à bois – je ne sais pas, à dire vrai, si l’appellation exacte est « pâte de bois » ou « pâte à bois », j’ai donc une petite hésitation ! (Sourires.) Quoi qu’il en soit, je veux parler des secteurs dans lesquels les transactions, en raison de la dimension internationale du marché d’approvisionnement, s’opèrent en devises et, le plus souvent, en dollars.
C’est également le cas en matière de crédits multidevises, lesquels, sans s’inscrire nécessairement dans une opération internationale, sont remboursés dans la devise utilisée pour le tirage.
Le présent amendement vise donc à compléter le texte initial pour englober ces pratiques en autorisant le paiement en devises pour des opérations entre professionnels lorsque l’usage d’une monnaie étrangère est communément admis dans le secteur concerné.
Il tend, par ailleurs, à insérer un texte spécifique dans le code monétaire et financier sur les instruments financiers à terme, communément appelés « produits dérivés », et sur les opérations de change au comptant. En effet, dans ces opérations, le paiement peut être exigé en devises s’il s’agit, par exemple, d’échanger une monnaie nationale contre une monnaie étrangère, alors même que l’opération n’a pas nécessairement un caractère international.
Afin de ne pas nuire à l’attractivité de notre système juridique, l’amendement proposé permet donc de sécuriser ces opérations aujourd’hui régulièrement utilisées dans la pratique des affaires.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. Dans un souci de compétitivité des entreprises françaises, cet amendement vise à compléter opportunément, me semble-t-il, la rédaction adoptée par le Sénat en première lecture.
Une telle disposition a pour objet de leur permettre d’utiliser la monnaie de leur choix, sans pour autant affaiblir la monnaie nationale. C’est la raison pour laquelle j’ai émis, comme la commission, un avis favorable.
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.
M. Pierre-Yves Collombat. Cet amendement va de soi si l’on entend perpétuer le système tel qu’il fonctionne. En revanche, si l’on veut vraiment faire de l’euro une monnaie de réserve et si l’on souhaite ne pas laisser nos entreprises qui utilisent le dollar tomber sous le coup des poursuites réitérées de la justice américaine – enfin, de ce qu’on appelle la « justice » américaine ! –, peut-être faudrait-il conserver la rédaction initiale.
Encore une fois, si l’objectif est la facilité, vous avez raison, madame la garde des sceaux, de proposer cet amendement. Si l’on entend, au contraire, se donner les moyens de résister à certaines dérives qu’ouvre cette facilité du fait même de l’usage qu’en font les États-Unis, peut-être serait-il bon de persévérer, même si c’est dans l’erreur.
M. le président. Je mets aux voix l’article 13, modifié.
(L’article 13 est adopté.)
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Article 15
I. – La présente loi entre en vigueur le premier jour du troisième mois suivant celui de sa publication.
Les articles 1110, 1117, 1145, 1161, 1327 et 1343-3 du code civil, dans leur rédaction résultant des articles 2, 4, 6, 11 et 13 de la présente loi, sont applicables aux actes juridiques postérieurs à son entrée en vigueur.
Par dérogation aux deux premiers alinéas du présent I, les articles 1112, 1137, 1143, 1165, 1171, 1195, 1216-3, 1217, 1221, 1223, 1304-4, 1305-5, 1327-1, 1328-1, 1352-4 et 1347-6 du code civil et l’article L. 211-40-1 du code monétaire et financier, dans leur rédaction résultant des articles 3, 5, 7, 8, 8 bis, 9, 10, 12 et 14 de la présente loi, sont applicables dès la publication de la présente loi aux actes juridiques postérieurs au 1er octobre 2016.
II (nouveau). – Le deuxième alinéa de l’article 9 de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations est complété par les mots : « , y compris pour leurs effets légaux et pour les dispositions d’ordre public ».
Le présent II est applicable à compter du 1er octobre 2016.
M. le président. L’amendement n° 4, présenté par M. Pillet, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéas 1 à 3
Remplacer ces alinéas par quatre alinéas ainsi rédigés :
I. – La présente loi entre en vigueur le 1er octobre 2018.
Les articles 1110, 1117, 1137, 1145, 1161, 1171, 1195, 1223, 1327 et 1343-3 du code civil et l’article L 112-5-1 du code monétaire et financier, dans leur rédaction résultant de la présente loi, sont applicables aux actes juridiques postérieurs à son entrée en vigueur.
Les modifications apportées par la présente loi aux articles 1112, 1143, 1165, 1216-3, 1217, 1221, 1304-4, 1305-5, 1327-1, 1328-1, 1352-4 et 1347-6 du code civil ont un caractère interprétatif.
… – La présente loi est applicable dans les îles Wallis et Futuna.
La parole est à M. le rapporteur.
M. François Pillet, rapporteur. Nous terminerons assez rapidement cette séance matinale !
Nous étions tous d’accord, Assemblée nationale, Gouvernement et Sénat, sur la manière dont il convenait d’appliquer la loi portant réforme du droit des contrats. Mes chers collègues, l’amendement que nous vous proposons est de précision. Il vise à éviter toute difficulté sur l’interprétation, qui nous est commune, de ce point. J’ai cru comprendre que le Gouvernement l’acceptait, ce dont je me réjouis.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Je le confirme : je suis favorable à l’amendement proposé par la commission !
M. le président. Les autres dispositions du projet de loi ne font pas l’objet de la deuxième lecture.
Vote sur l’ensemble
M. le président. Personne ne demande la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble du projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations
(Le projet de loi est adopté.)
M. le président. Mes chers collègues, l’ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à onze heures quarante, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
M. le président. La séance est reprise.
3
Questions d’actualité au Gouvernement
M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.
Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur France 3, Public Sénat, sur le site Internet du Sénat et sur Facebook.
J’appelle chacun au respect des uns et des autres, ainsi que des temps de parole !
situation dans les ehpad (i)
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Mme Laurence Cohen. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ma question s’adresse à Mme la ministre des solidarités et de la santé.
Après les aides-soignants des Opalines, dans le Jura, qui avaient fait 117 jours de grève, ce sont les personnels des établissements d’hébergement pour les personnes âgées dépendantes, les EHPAD, et ceux des services d’aide à domicile de toute la France qui étaient dans la rue, mardi 30 janvier dernier, pour dénoncer le manque de postes, les conditions de travail intolérables, les budgets indignes.
Fait exceptionnel, cet appel à la mobilisation était lancé par l’ensemble des organisations, les syndicats comme les structures représentatives des directeurs des établissements d’aide à la personne.
Toutes et tous dénoncent la maltraitance institutionnelle qui touche à la fois les personnels – une majorité de femmes, précaires, mal payées – et les personnes dont ils ont la charge. Mon collègue Dominique Watrin vous a interpellée, à maintes reprises, sur ce sujet.
Madame la ministre, à l’Assemblée nationale, vous avez répondu que vous aviez débloqué 50 millions d’euros supplémentaires pour 2018. Cela représente une aide-soignante pour sept EHPAD. Vous voyez qu’on est loin du compte !
Quelles mesures d’urgence comptez-vous prendre pour tenir compte de l’augmentation du niveau de dépendance moyen et parvenir à un encadrement des résidents dans l’esprit du plan « solidarité grand âge », à savoir un soignant pour un résident ? En Suisse, le ratio est de 1,2 ! (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. – M. Martial Bourquin applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre des solidarités et de la santé.
Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Madame Laurence Cohen, je veux tout d’abord saluer le travail réalisé au quotidien par les personnels des EHPAD – aides-soignants, infirmiers, médecins, directeurs, accompagnants, animateurs – en charge des personnes âgées au sein de notre société, qui leur donne vraiment une place à part entière parmi nous.
Je rappelle que nous allons passer de 1,5 million de personnes âgées de plus de 85 ans à 5 millions en 2050. L’État assume. L’État s’engage dans cette évolution du grand âge.
Nous augmentons les crédits alloués aux soins de plus de 400 millions d’euros. Je rappelle que, sur la partie « soins », le financement de la sécurité sociale est passé de 5 à 10 milliards d’euros entre 2007 et 2017.
Au total, pour cette année, ce sont 160 millions d’euros supplémentaires que nous allons allouer aux EHPAD : 72 millions d’euros pour recruter du personnel et améliorer les prises en charge ; 10 millions d’euros pour recruter des infirmières de nuit ; 28 millions d’euros supplémentaires pour accompagner les EHPAD en difficulté ; enfin, j’ai débloqué, c’est exact, 50 millions d’euros supplémentaires pour appuyer ponctuellement les EHPAD, notamment publics, qui rencontrent le plus de difficultés dans les régions.
Je rappelle que le modèle de financement est complexe. Il concerne l’État, les départements et les usagers. L’État a en charge la partie « soins ». En quelques années, les résidents accueillis en EHPAD sont de plus en plus dépendants, car ils restent plus longtemps à domicile. Outre que cette évolution rend le travail des aides-soignants plus difficile, elle pose la question de la médicalisation et de l’importance du travail avec les médecins coordonnateurs et les infirmiers.
La partie « dépendance » est assumée par les départements, via l’allocation personnalisée d’autonomie, l’APA. Et il est primordial de travailler sur la dépendance, main dans la main, avec l’ensemble des présidents des conseils départementaux et des fédérations hospitalières, afin d’assurer l’évolution de notre système face à l’augmentation du nombre de personnes âgées dépendantes. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour la réplique.
Mme Laurence Cohen. Madame la ministre, vous ne répondez pas au caractère d’urgence de la situation que vivent aussi bien des personnels que des résidents. La réforme de financement des EHPAD va pénaliser les établissements publics et non lucratifs, qui accueillent le plus grand nombre de personnes en difficulté.
Je salue les deux départements qui ont refusé, à ce jour, d’appliquer cette réforme : les Côtes-d’Armor et celui que je représente, le Val-de-Marne.
Il y a urgence à abroger la réforme de la nouvelle tarification. Il y a urgence à maintenir les effectifs et à embaucher. Ce problème se posera non sur la courte durée, mais sur la longue durée.
Madame la ministre, il est très important d’opter pour une vraie solution durable et de créer un service public de l’autonomie pour les personnes âgées. En effet, la perte d’autonomie, qui fait partie intégrante de la vie et dont il faut tenir compte, n’est pas un risque à abandonner aux assurances privées ! (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
csg et pouvoir d’achat
M. le président. La parole est à Mme Corinne Féret, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme Corinne Féret. Monsieur le président, mes chers collègues, ma question s’adresse à M. le secrétaire d’État auprès du ministre de l’action et des comptes publics.
Avec l’arrivée des fiches de paye de janvier, on assiste à un grand exercice d’autosatisfaction de la part du Gouvernement. Reprenant l’argumentaire d’Emmanuel Macron lorsqu’il était candidat à la présidentielle, vous-même, monsieur le secrétaire d’État, répétez à l’envi que vos mesures fiscales redonneraient du pouvoir d’achat à tous les Français.
Pourtant, une étude récente de l’INSEE prévoit une perte de pouvoir d’achat pour nos concitoyens, notamment au premier trimestre de 2018. Avant de profiter d’une potentielle baisse de leur taxe d’habitation, ces derniers vont, en effet, voir leur pouvoir d’achat amputé de 0,7 point par rapport au dernier trimestre 2017. Et globalement, en 2018, il va diminuer de 0,3 % par rapport à l’an dernier.
Surtout, sur cette question du pouvoir d’achat, force est de constater que la situation n’est pas la même pour tous.
Les quelque 5,4 millions d’agents de la fonction publique ont, quant à eux, parfaitement compris que le fait de toucher une indemnité compensatrice du 1,7 point de hausse de CSG ne signifiait pas un gain de pouvoir d’achat.
Rétablissement du jour de carence, gel de la valeur du point d’indice, report d’un an de l’accord « Parcours professionnels, carrières et rémunérations », sans compter l’augmentation du coût de la vie en général, à la pompe, aux péages et sur la facture de gaz… Tout cela va plutôt dans le sens d’un appauvrissement. Le malaise est palpable, comme le révèlent les mouvements observés récemment dans les prisons, les hôpitaux ou les EHPAD.
Et que dire des retraités, autres victimes de la réforme fiscale ? Dans la vraie vie, de nombreux retraités ont de plus en plus de difficultés à payer certains actes médicaux, à disposer d’une mutuelle santé ou encore à s’acquitter de leurs dépenses d’énergie.
Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous dire ce que le Gouvernement compte mettre en œuvre pour que tous les Français, et pas seulement les plus aisés, voient leur pouvoir d’achat augmenter ? (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État auprès du ministre de l’action et des comptes publics.
M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État auprès du ministre de l’action et des comptes publics. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, madame Féret, l’essentiel de votre question, si je l’ai bien comprise, portait sur la manière dont la hausse de la CSG est compensée pour les fonctionnaires, et plus généralement, ensuite, sur l’évolution du pouvoir d’achat des Français.
M. François Patriat. Et des retraités !
M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État. En réponse à votre question sur l’augmentation de la CSG, qui concerne les fonctionnaires comme l’ensemble des Français, il faut répéter, encore et toujours, que cette compensation est intégrale.
Elle est intégrale, parce que nous avons supprimé la contribution de solidarité, la CES, pour celles et ceux qui y sont assujettis, c’est-à-dire celles et ceux qui ont un traitement brut de base supérieur à l’indice 313 en 2017.
Elle est intégrale, puisque l’État a provisionné presque 300 millions d’euros pour verser une indemnité compensatrice aux agents publics, de manière que cette compensation soit parfaite et à l’euro près.
Elle est intégrale, enfin, puisque l’État, de la même manière, a publié un décret, le 31 décembre dernier, pour abaisser le taux de cotisation maladie des employeurs publics de 11,5 % à 9,8 %, afin que les collectivités locales et les établissements hospitaliers puissent dégager les marges de manœuvre nécessaires à cette compensation intégrale.
Il faut le souligner et saluer les efforts de l’administration pour mettre à jour les éditions de bulletins de paye, afin de garantir l’effectivité de cette compensation.
Je vous donne raison sur un point : en effet, cette compensation ne concerne pas l’augmentation de la cotisation vieillesse, adoptée en 2010, puis en 2013 pour le secteur public afin d’harmoniser la situation avec la cotisation du secteur privé.
J’en viens à la question du pouvoir d’achat. Nous pourrions, madame la sénatrice, nous rejoindre sur un certain nombre de mesures qui ont été prises par le Gouvernement et que vous retrouvez dans le projet de loi de finances pour 2018 : l’augmentation du minimum vieillesse, l’augmentation de l’allocation adulte handicapé, le dégrèvement de la taxe d’habitation, à hauteur de 30 % pour 80 % des Français en 2018 et à hauteur de 100 % d’ici à 2020.
Il y a quantité de mesures qui permettent, madame la sénatrice, à l’ensemble de nos concitoyens de voir leur pouvoir d’achat progresser. Le retour de la croissance viendra certainement contrecarrer les conclusions de l’étude que vous avez citée et dont certains aspects tiennent compte d’éléments extérieurs aux décisions du Gouvernement. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
M. le président. La parole est à Mme Corinne Féret, pour la réplique.
Mme Corinne Féret. Je serai très rapide. Monsieur le secrétaire d’État, j’ai entendu votre réponse. Les fonctionnaires constateront que vous parlez encore de compensation, et non pas de gain de pouvoir d’achat. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
aides de l’état aux communes touchées par les inondations
M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires.
Mme Colette Mélot. Ma question s’adresse à M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur.
Monsieur le ministre d’État, ministre de l’intérieur, après le printemps 2016 qui a causé dans les esprits des sinistrés un réel traumatisme, plusieurs départements subissent à nouveau un épisode de crues dévastatrices. Ce sont au total 133 communes, pour la seule Seine-et-Marne, qui sont touchées par les inondations. Certaines, comme Condé-Sainte-Libiaire, qui connaîtra sa quatrième demande de classement en catastrophe naturelle depuis juin 2016, ont été inondées à partir du 2 janvier.
Nicolas Hulot, ministre de la transition écologique et solidaire, est venu constater l’ampleur des dégâts lundi dernier à Saint-Mammès, Champagne-sur-Seine et Thomery, des communes lourdement affectées par la crue de la Seine et du Loing. Il faut imaginer la même désolation autour de l’Yonne, de l’Yerres, de la Marne, du Petit et du Grand Morin. Des maisons, des écoles, des commerces et des entreprises sont inondés, laissant les sinistrés dans le plus grand désarroi.
Dans quelques jours, nous le souhaitons tous vivement, l’heure sera enfin à la décrue, à l’évaluation des dégâts et aux réparations.
Monsieur le ministre, il y a urgence : urgence à déclarer les territoires touchés en état de catastrophe naturelle, urgence à mobiliser les assureurs pour qu’ils puissent, dans un premier temps, accorder des avances aux sinistrés, sachant que le montant des franchises pour les communes et les commerçants est important et que les primes d’assurance ont augmenté pour nombre d’assurés.
Enfin, à la lueur de ces dernières crues, les EPCI constatent la difficulté de mise en œuvre de la compétence de gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations, aussi appelée GEMAPI, la nécessité de réviser le sur le plan de prévention des risques d’inondation, le PPRI, et le travail à accomplir pour parvenir à une meilleure gestion des risques.
Monsieur le ministre, la solidarité dans les communes est exemplaire. Les maires et leurs équipes, dont la mobilisation est totale pour porter secours et organiser l’accueil des citoyens sinistrés, comme celle des pompiers et de la sécurité civile, comptent sur le soutien financier de l’État pour remettre en service les infrastructures publiques endommagées.
Pouvez-vous donc nous dire quel sera l’engagement de l’État pour répondre à ces défis, malheureusement récurrents, que nous lance la nature ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur.
M. Gérard Collomb, ministre d’État, ministre de l’intérieur. Madame la sénatrice, comme vous, nous nous souvenons tous des crues qui sont survenues en 2016 dans votre département.
Cette année, de nouveau, 133 communes de la Seine-et-Marne sont victimes de crues ; une trentaine d’entre elles subit des niveaux d’eau exceptionnellement élevés. Le secteur de Nemours et les bords du Loing n’ont heureusement pas revécu, à ce jour, la situation qu’ils avaient connue il y a deux ans. Néanmoins, vous avez raison : les dégâts sont extrêmement importants.
Je partage donc pleinement votre volonté d’assurer, pour les victimes de ces inondations, une instruction très rapide des demandes de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle. Nous comprenons aussi les inquiétudes des maires des communes sinistrées : alors que cette crue pourrait être amenée à durer, ils craignent que leurs demandes ne soient pas étudiées avant le retrait total des eaux.
Sachez, madame la sénatrice, que, au vu de ces conditions, le Gouvernement s’engage à réunir la commission de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle en procédure accélérée, avant même le constat de l’intégralité des dégâts.
Je tiens également à préciser que les dégâts d’infrastructure ou de voirie qui pourraient être constatés relèvent de la procédure d’indemnisation des collectivités locales au titre de la dotation de solidarité pour événements climatiques et géologiques.
Ce dispositif est doté, cette année, de 39 millions d’euros, contre 26 millions d’euros l’année dernière. Il permettra donc d’affecter au plus vite des crédits aux collectivités locales concernées. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – M. Emmanuel Capus applaudit également.)
coût et financement des ehpad
M. le président. La parole est à M. Alain Milon, pour le groupe Les Républicains. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Alain Milon. Ma question s’adresse à Mme la ministre des solidarités et de la santé.
Madame la ministre, du fait du vieillissement de la population et du développement du maintien à domicile, la moyenne d’âge des résidents accueillis en EHPAD augmente.
Du fait du niveau de dépendance de ces résidents, du fait, en conséquence, de l’aggravation de leurs problèmes médicaux et du fait de l’augmentation des troubles du comportement, les besoins de soins et de soutien aux résidents des EHPAD sont croissants.
Or, face à ces besoins croissants, les établissements sont confrontés à des manques de crédits alarmants. Le budget « soins » des établissements n’est pas alloué à l00 % ; avec la convergence, il faudra sept ans pour atteindre le plafond. Comment soigner dans ces conditions ?
Le budget « dépendance », qui est calculé, depuis la réforme tarifaire mise en œuvre au début de 2017, comme le budget « soins », a mis en évidence une baisse du tarif « dépendance » pour les établissements publics.
Le budget « hébergement » alloué aux établissements habilités à l’aide sociale, qui est fixé par les départements, est quant à lui stable depuis plusieurs années.
Dès juin 2017, je vous avais alertée, madame la ministre, sur l’application de l’article 58 de la loi relative à l’adaptation de la société au vieillissement. Cet article avait été ajouté au dernier moment au texte par le gouvernement précédent ; il n’avait donc pas pu être étudié par le Parlement. Or c’est lui qui organisait la réforme tarifaire, dont l’impact à terme a été évalué à près de 200 millions d’euros de pertes pour les EHPAD publics.
Dans ces circonstances, le désespoir touche les personnels, les familles et les directeurs d’EHPAD.
Que comptez-vous faire, madame la ministre, pour améliorer dans l’avenir cette situation qui devient catastrophique ? (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre des solidarités et de la santé.
Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Monsieur Alain Milon, vous savez que la question des difficultés qui touchent les EHPAD est l’une de mes priorités depuis mon arrivée au ministère, l’été dernier.
Les problèmes ne sont pas nouveaux : ils s’aggravent, mais ils ont été anticipés. La réforme de la tarification des EHPAD, engagée en 2017, est accompagnée par l’État. Nous augmentons de 400 millions d’euros le volume des crédits alloués aux soins, afin de faire face aux besoins qui augmentent. En effet, comme vous l’avez rappelé, la moyenne d’âge des résidents a augmenté grâce à un maintien à domicile qui s’est révélé efficace.
Nous allons nommer un médiateur dans les prochains jours : M. Pierre Ricordeau, inspecteur général des affaires sociales, facilitera le dialogue entre l’administration et les fédérations hospitalières, afin de permettre un débat public serein et d’éventuelles adaptations de la réforme.
Je rappelle néanmoins que, au total, près de 160 millions d’euros supplémentaires seront alloués en 2018 aux EHPAD, dont 100 millions d’euros pour les soins. Ces fonds leur permettront de mener des actions ciblées et de recruter des personnels, en particulier des infirmières de nuit. Ils permettront également de faire face aux besoins spécifiques de certains établissements en difficulté, qui seront repérés par les agences régionales de santé.
Je souhaite également travailler sur un bonus qui serait alloué, en 2019, aux EHPAD qui mèneront des actions de prévention de la perte d’autonomie chez leurs résidents, de manière à limiter la dépendance et le vieillissement.
Nous devons également, à l’évidence, mieux accompagner à l’avenir les efforts de transformation des EHPAD et améliorer la qualité de vie au travail pour leurs personnels. Une commission se réunit aujourd’hui au ministère ; elle doit me faire des propositions sur ce sujet. Enfin, nous devons améliorer les contrôles visant à s’assurer de la bientraitance envers les personnes hébergées.
M. le président. La parole est à M. Alain Milon, pour la réplique.
M. Alain Milon. Nous connaissons tous les causes de cette situation catastrophique des EHPAD. Il faut désormais apporter des solutions. Nicolas Sarkozy avait, en son temps, proposé une réflexion sur le « cinquième risque » ; cette solution n’a pas abouti. (M. François Patriat s’exclame.)
Mme Michèle Delaunay, lorsqu’elle était ministre déléguée aux personnes âgées, m’avait violemment pris à partie, au Sénat, dans la salle Médicis, en m’assurant que, avec François Hollande, on allait voir ce qu’on allait voir. Eh bien, on a vu ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Marc-Philippe Daubresse. Oui, on a bien vu !
M. Alain Milon. Pour financer la dépendance, trois solutions restent possibles : le « tout-assurantiel », le « tout-solidarité », ou un mélange des deux.
C’est vous qui êtes au pouvoir, madame la ministre ; nous comptons sur vous pour prendre des décisions ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
expérimentation de la cpam sur les arrêts maladie
M. le président. La parole est à Mme Sonia de la Provôté, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
Mme Sonia de la Provôté. Ma question s’adresse à Mme la ministre des solidarités et de la santé.
Madame la ministre, la semaine dernière, nous apprenions que la CPAM avait décidé de mener une expérimentation dévoilant aux employeurs le nombre, la durée et le motif des arrêts de travail dans leur entreprise, afin de prévenir l’absentéisme et de permettre à ces employeurs de prendre les mesures nécessaires concernant les conditions de travail. Cette étude a lieu dans les entreprises d’au moins 200 salariés, afin de rassurer le public quant à l’anonymat des données transmises.
Vous comprendrez bien, madame la ministre, que cette initiative donne lieu à des inquiétudes relatives au secret médical et à la protection des données de santé des citoyens. Plusieurs garde-fous existent, mais ils n’ont pas été mis en œuvre.
Ainsi, on ne prévoit pas de consentement éclairé du salarié sur l’usage qui est fait de ses données de santé, ni même un avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL, puisqu’un décret exempte l’assurance maladie de cette obligation en cas d’expérimentation. La CNIL aurait sûrement émis des doutes sur la confidentialité des données fournies quand l’entreprise n’a que 200 salariés, échantillon trop faible pour garantir l’anonymat…
Ces données sont transmises directement à l’employeur, sans passer par le médecin du travail, dont c’est pourtant le rôle et le cœur de métier.
Enfin, la nature des motifs d’arrêt que la CPAM transmet n’est pas clairement précisée. Que pensez-vous, madame la ministre, de l’usage qui pourrait être fait d’informations sur des pathologies psychiatriques, des addictions ou encore des cancers ?
Que l’on ne se méprenne pas : je n’entends faire ni le procès des employeurs ni celui de la CPAM. Le sujet est bien celui du bon usage des données de santé des citoyens.
Madame la ministre, avant tout, j’en appelle à votre vigilance : êtes-vous prête à remettre en place les garde-fous nécessaires dans cette expérimentation qui échappe aux procédures habituelles ?
Pensez-vous, par ailleurs, que le rôle de la CPAM soit de travailler sur ces sujets directement avec l’employeur, en s’exonérant du filtre du médecin du travail ? Doit-on y voir la remise en question de la médecine du travail elle-même ? Je n’ose y croire. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre des solidarités et de la santé.
Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Madame la sénatrice, j’entends évidemment vos inquiétudes et votre appel à la vigilance au sujet de cette expérimentation. Néanmoins, permettez-moi de rappeler que, dans le cadre de sa mission de prévention des risques professionnels, l’assurance maladie peut mener des actions ciblées auprès de ses différents publics, c’est-à-dire des professionnels de santé, des assurés salariés, mais aussi des employeurs.
Depuis maintenant quelques années, nous observons une augmentation de l’incidence de pathologies pouvant avoir eu une origine professionnelle : lombalgies, troubles musculo-squelettiques ou encore troubles psychosociaux. Aussi l’assurance maladie a-t-elle décidé de mener une expérimentation en direction des grandes entreprises, pour les alerter sur leur prévention des risques.
La démarche consiste à sensibiliser ces entreprises sur les motifs d’arrêt maladie, afin, d’une part, de les inciter à prendre toutes les mesures et les moyens de prévention nécessaires à la bonne santé de leurs salariés, et, d’autre part, de lutter contre l’absentéisme. Cette démarche respecte le secret médical et la réglementation concernant la protection des données de santé.
À ce titre, pour répondre à vos interrogations, madame la sénatrice, le traitement de ces données est autorisé par le code de la sécurité sociale. En effet, les données statistiques partagées avec l’entreprise sont totalement anonymes et ne concernent que les entreprises de plus de 200 salariés, afin que le lien entre les causes d’absence et les salariés soit totalement impossible. À ce stade, l’expérimentation porte sur cinq entreprises seulement.
Il n’est nullement question de remettre en doute la médecine du travail et son action, bien au contraire. Je veux redire ici mon attachement à une meilleure prévention des risques. Cette expérimentation va dans le sens de la protection des salariés, et non dans celui de la dénonciation. Je pense que, tout comme moi, madame la sénatrice, vous approuverez cette politique, qui vise à prévenir les risques pour mieux guérir, tout en respectant l’anonymat dans l’usage des données de santé. (Mme Patricia Schillinger applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Sonia de la Provôté, pour la réplique.
Mme Sonia de la Provôté. Madame la ministre, la question est vraiment celle de la transparence du protocole. J’estime pour ma part que tous les acteurs, les salariés en premier lieu, auraient dû être informés en amont. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
conseil des prud’hommes à mayotte
M. le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi, pour le groupe La République En Marche. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
M. Thani Mohamed Soilihi. Ma question s’adresse à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.
Jusqu’ici, le département de Mayotte disposait d’un code du travail spécifique, qui fixait notamment la durée légale de travail à 39 heures et prévoyait une juridiction spécifique – le tribunal du travail – chargée de traiter le contentieux en matière prud’homale.
Le passage au droit commun a eu lieu, en partie, le 1er janvier 2018. En revanche, la création d’un conseil des prud’hommes, à l’étude depuis la départementalisation, a été repoussée, d’abord de 2015 à 2017, puis jusqu’en 2022.
Je me fais aujourd’hui l’écho des troubles observés dans mon département à l’occasion de ce nouveau report, qui a suscité la grogne des syndicats de salariés et de patrons de Mayotte, lesquels ont décidé, en réaction, de ne pas désigner d’assesseurs au tribunal du travail, en remplacement de ceux dont les mandats expiraient à la fin de décembre 2017.
Cette décision a conduit le président de cette juridiction à siéger seul, depuis le 1er janvier 2018, afin d’éviter la paralysie du tribunal et le renvoi sine die des affaires en cours.
Vous conviendrez, madame la garde des sceaux, que cette solution n’est à l’évidence pas satisfaisante, puisqu’elle soustrait la justice prud’homale à l’appréciation des représentants des salariés et des employeurs.
Une fois de plus, les citoyens mahorais ont le sentiment d’être laissés pour compte. Que répondez-vous à leurs attentes, madame la garde des sceaux, et que comptez-vous faire pour assurer la continuité du service public prud’homal à Mayotte dans les mêmes conditions que sur le reste du territoire ? (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le sénateur, je vous remercie de votre question, qui me donne l’occasion de rappeler l’attention que le Gouvernement porte en permanence à nos concitoyens ultramarins et, en l’espèce, aux justiciables du département de Mayotte.
Loin de manifester un manque d’intérêt pour la justice du travail mahoraise, le report au 1er janvier 2022 de la création d’un conseil des prud’hommes à Mayotte, par l’ordonnance n° 2017-1491 du 25 octobre 2017, illustre au contraire notre particulière préoccupation à ce sujet. En effet, c’est bien parce que les conditions permettant un fonctionnement normal du conseil des prud’hommes de Mayotte – notamment le recrutement d’un vivier solide de conseillers et leur formation – n’étaient pas réunies que nous avons décidé ce report.
Si tel n’avait pas été le cas, la première présidente de la cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion aurait été obligée de constater cette carence et de désigner un juge du tribunal de grande instance pour juger le contentieux du travail. Non seulement il n’y aurait donc pas eu de conseil des prud’hommes au 1er janvier 2018, mais Mayotte aurait également perdu son tribunal du travail. Je ne l’ai pas voulu, et je ne pense pas que ce soit non plus le souhait de ceux qui, parmi les partenaires sociaux, expriment aujourd’hui leur mécontentement.
Notre volonté est bien plutôt de mettre à profit ce délai pour élaborer l’architecture d’un conseil des prud’hommes qui prenne en compte les spécificités locales et qui permette le recrutement d’un personnel formé dans le cadre des dispositions du code du travail actuellement applicables à Mayotte. Pour cela, une commission interministérielle a été créée ; elle se rendra à Mayotte pour mettre en place ces solutions.
D’ici là, j’engage l’ensemble des partenaires sociaux à renouer le dialogue et à désigner leurs représentants au tribunal du travail, afin que celui-ci puisse fonctionner de manière correcte. Je puis vous assurer que, si tel n’était pas le cas, je ferais tout pour que la continuité du service public de la justice soit réellement opérationnelle à Mayotte, dans l’intérêt des justiciables. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
M. le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi, pour la réplique.
M. Thani Mohamed Soilihi. Madame la garde des sceaux, je vous remercie de votre réponse, qui permet de constater que, contrairement à ce que certains ont craint, il n’y a pas, de fait, de déni de justice à Mayotte du fait de cette crise.
Je vous sais gré de rester vigilante, pour que la justice puisse continuer de s’exercer dans ce département comme partout ailleurs dans la République. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
intervenants extérieurs dans les prisons
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Corbisez, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. Jean-Pierre Corbisez. Ma question s’adresse à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice ; elle concerne la situation dans nos prisons.
Le lundi 22 janvier dernier, je me suis rendu au centre de détention de Lille-Annoeullin, à la demande des syndicats de fonctionnaires pénitentiaires. Alors que je discutais avec les fonctionnaires grévistes, j’ai été délogé, comme eux, par vos gendarmes mobiles, monsieur le ministre de l’intérieur. Je tiens à vous rassurer : je vais bien. Vos gendarmes ont été exceptionnellement gentils ! (Sourires.)
M. Gérard Collomb, ministre d’État, ministre de l’intérieur. Ce n’est pas une attitude exceptionnelle…
M. Jean-Pierre Corbisez. Madame la garde des sceaux, lors de ma visite de cet établissement, la première des problématiques qu’ont évoquées devant moi les syndicats comme la direction a été la situation des ELAC, les équipes locales d’appui et de contrôle, qui seront prochainement rebaptisées ELSP, pour « équipes locales de sécurité pénitentiaire ».
Ces équipes, créées en 2015, assurent des missions à l’intérieur de l’établissement – fouilles, contrôles, déplacement de détenus –, mais aussi à l’extérieur du bâtiment ; c’est là qu’est le problème. Ces équipes déplorent l’inadaptation des moyens dont elles disposent, sur le plan quantitatif, mais aussi sur le plan qualitatif, qu’il s’agisse de leurs véhicules, de leurs tenues ou de leur matériel d’intervention.
Madame la garde des sceaux, le plan d’action publié en octobre 2016 par votre prédécesseur prévoyait de doter les ELAC d’armes quand elles interviennent à l’extérieur des établissements pénitentiaires. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Deuxièmement, l’article 29 de la loi du 28 février 2017 relative à la sécurité publique précise, de façon complètement « coluchéenne », les conditions d’interpellation, par les ELAC, des complices extérieurs qui, transformés en discoboles, lancent par-dessus les murs smartphones ou drogues. Permettez-moi de pasticher Coluche, mes chers collègues : « Excusez-moi de vous déranger, mais pourriez-vous, s’il vous plaît, décliner votre identité ? Accepteriez-vous d’être fouillés ? Encore une fois, mille pardons de vous importuner ! » Bref, ces équipes n’ont aucun pouvoir à l’extérieur !
Madame la garde des sceaux, pour que l’action des ELAC soit plus efficace et déterminante pour la sécurité à l’intérieur comme à l’extérieur des prisons, voire quelque peu au-delà du domaine privé pénitentiaire, ne serait-il pas temps de modifier cette loi et d’en publier, enfin, le décret d’application ? (Applaudissements sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le sénateur, cette question m’a effectivement été posée par les surveillants pénitentiaires lors des rencontres que j’ai eues avec eux les dernières semaines.
Le premier sujet abordé dans votre question est la création d’équipes locales de sécurité pénitentiaire ; comme vous l’avez précisé, ce sera le nouveau nom des ELAC.
Notre idée est de renforcer la sécurité à l’intérieur des établissements pénitentiaires, y compris par une présence extérieure renforcée de ces équipes. Celles-ci permettront également – c’est important – d’offrir un parcours différent dans la carrière des surveillants pénitentiaires. Ils pourront exercer de nouvelles fonctions par ce biais, ou encore en intégrant les services du renseignement pénitentiaire. Il s’agit ainsi de renforcer l’attractivité de la mission de surveillant pénitentiaire.
Par ailleurs, le protocole d’accord que nous avons signé au début de cette semaine avec l’organisation syndicale la plus représentative des personnels pénitentiaires prévoit de renforcer les moyens de sécurité donnés à ces équipes locales de sécurité, qu’il s’agisse de sécurité défensive ou de sécurité offensive. Nous sommes donc convenus de dialoguer avec eux pour pouvoir faire bénéficier les ELSP, très rapidement, de ces nouveaux équipements.
J’estime que l’ensemble de ces dispositifs contribuera à renforcer la sécurité dans les établissements pénitentiaires, ce qui était la première demande des organisations représentatives des surveillants des établissements pénitentiaires.
Vous avez également évoqué une difficulté à laquelle nous nous heurtons : les projections d’objets qui viennent de l’extérieur. De ce point de vue, je crois que le rôle que joueront les équipes locales de sécurité nous permettra d’y porter remède.
En outre, une grande partie des objets qui sont ainsi projetés depuis l’extérieur sont des téléphones portables. C’est pourquoi nous allons installer des brouilleurs dans tous les établissements pénitentiaires, de sorte que ces difficultés ne soient plus présentes. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – Marques d’approbation sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian, pour le groupe socialiste et républicain.
Mme Sophie Taillé-Polian. Ma question s’adresse à Mme la ministre des solidarités et de la santé.
Madame la ministre, vous avez déjà répondu à plusieurs questions posées, mardi dernier, par des députés ou, à l’instant, par des sénateurs, sur la situation dans les EHPAD. Vous nous avez parlé, tout à l’heure, d’anticipation. Pourtant, peut-on parler d’anticipation quand on se trouve aujourd’hui dans une situation qui, dans de très nombreux établissements, n’est tout simplement pas tenable ? (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Marc-Philippe Daubresse. La faute à qui ? Que s’est-il passé pendant cinq ans ?
Mme Sophie Taillé-Polian. Ces EHPAD ne peuvent attendre les rapports et les missions que vous venez de lancer ; il leur faut des engagements clairs, à court terme, à moyen terme et à long terme !
Le sous-effectif des personnels génère un mal-être profond et un taux d’accidents du travail inacceptable. Pourtant, vous voulez conditionner le bonus que vous promettez à l’accomplissement, par les soignants, d’un travail supplémentaire visant à prévenir la dépendance des résidents !
Que faites-vous, à l’heure actuelle, pour la prévention des risques professionnels des soignants dans les EHPAD ? Vous venez nous en parler comme de l’une de vos préoccupations, mais un plan d’urgence est absolument indispensable !
Il faut également garantir une hausse très rapide du personnel des EHPAD. Pour cela, nous vous demandons de vous engager sur l’ensemble des emplois aidés, qu’ils soient maintenus ou renouvelés, comme les députés du groupe La République En Marche le demandaient d’ailleurs dans un rapport en septembre dernier.
Nous vous demandons aussi de vous engager sur un budget d’ampleur, à court, moyen et long terme, pour que les personnels, qui vivent actuellement des situations très difficiles, puissent se projeter dans un avenir qui ne soit pas trop lointain, pour revenir à une situation normale et prendre soin de nos aînés ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. – M. Joël Labbé applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre des solidarités et de la santé.
Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Madame Taillé-Polian, vous m’interrogez sur le manque d’anticipation… (Rires et applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
Pendant que vous étiez au pouvoir, je travaillais dans des établissements de santé, et j’aurais aimé que ces problèmes soient anticipés ! Mais je vais tout de même vous répondre.
Nous avons anticipé dès notre arrivée au pouvoir, en constatant la dégradation de la situation dans les EHPAD. Nous avons effectivement alloué des moyens nécessaires aux soins. Nous avons renforcé les postes d’infirmières de nuit. Nous allons équiper tous les EHPAD en télémédecine.
Nous avons évidemment proposé des plans d’action spécifiques pour les EHPAD en difficulté : permettez-moi de vous les énoncer.
Nous avons prévu de solliciter l’agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé et des établissements médico-sociaux pour qu’elle vienne aider les EHPAD en difficulté à se restructurer.
Nous allons travailler avec les conseils départementaux, pour identifier les EHPAD dont les difficultés sont les plus importantes.
Nous travaillons sur la qualité de vie au travail, sujet dont nous avons chargé un comité, qui assure aussi le suivi de la réforme en cours ; ce comité, qui travaille depuis le mois de septembre dernier, nous fait des propositions pour l’évolution des carrières, notamment celles des aides-soignantes.
Nous avons également prévu des enquêtes de satisfaction auprès des EHPAD ; j’ai donc saisi la Haute Autorité de santé pour qu’elle me fasse des propositions afin de mener ces enquêtes.
Mme Laurence Cohen. Il faut des moyens, pas des propositions !
Mme Agnès Buzyn, ministre. Enfin, nous travaillons sur la bientraitance des personnes âgées.
Je crois donc pouvoir affirmer que, en huit mois, nous avons un peu plus anticipé que vous ne l’aviez fait en cinq ans ! (Vifs applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian, pour la réplique.
Mme Sophie Taillé-Polian. Pour ma part, je voudrais rendre hommage à ce qui a été fait par le gouvernement précédent ! (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
En effet, ce sont 700 millions d’euros qui ont sur la table pour accompagner le vieillissement dans notre société. Faites-en autant ! Alors que les finances publiques sont dans un bien meilleur état, vous préférez alléger de milliards d’euros les prélèvements fiscaux des plus riches ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
notre-dame-des-landes et autorité de l’état
M. le président. La parole est à Mme Catherine Deroche, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Catherine Deroche. Ma question s’adresse à M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur ; elle concerne Notre-Dame-des-Landes.
Monsieur le ministre d’État, je n’entends pas revenir sur votre renoncement regrettable à ce projet structurant du Grand Ouest ; je veux seulement évoquer les événements du week-end dernier.
On a pu voir, en premier lieu, la colère des habitants affectés par l’aéroport de Nantes-Atlantique : se sentant trahis par l’État, ils ont déchiré leurs cartes d’électeurs devant la ministre des transports.
En second lieu, le dégagement de la route départementale qui traverse la ZAD a commencé par un accueil peu banal de la préfète de région ; je pourrais parler de pantalonnade ! Mme la préfète s’est néanmoins félicitée et a trinqué avec les « zadistes », au côté du directeur général de la gendarmerie nationale…
Je tire deux constats de ces événements. Tout d’abord, le « plan B » annoncé – un agrandissement de l’aéroport de Nantes-Atlantique – va se heurter à de nombreux obstacles : plus personne n’y croit ! Ensuite, aux yeux des habitants, les images récentes de la ZAD traduisent moins un sentiment d’apaisement qu’une capitulation.
Est-ce là, monsieur le ministre d’État, votre conception de l’autorité de l’État ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur.
M. Gérard Collomb, ministre d’État, ministre de l’intérieur. Madame la sénatrice, vous connaissez bien la situation. Vous savez donc que le projet de Notre-Dame-des-Landes existait depuis cinquante ans.
M. Bruno Retailleau. Non !
M. Gérard Collomb, ministre d’État. Par conséquent, bien des gouvernements auraient pu prendre certaines décisions ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) Tout le monde aurait pu les prendre par le passé ; pour notre part, nous avons pris nos responsabilités ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – M. Emmanuel Capus applaudit également.)
Le cap défini par le Premier ministre le 17 janvier dernier repose sur trois principes. C’est, premièrement, le retour de l’État de droit sur la zone de Notre-Dame-des-Landes (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.), sur lequel nous ne ferons aucune concession, mais que nous souhaitons obtenir de la manière la plus apaisée possible.
Le second principe est la médiation avec l’ensemble des acteurs de la région, que nous avons écoutés…
M. Christophe Priou. C’est faux !
M. Gérard Collomb, ministre d’État. … et que nous continuerons d’écouter dès lors qu’il existe une volonté d’accord constructive. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Enfin, nous avons posé un calendrier clair et respecté qui s’applique à l’ensemble des parties. Comme nous nous y étions engagés, la RD 281, dite « route des chicanes », a été dégagée. Quant aux terres obstruées par les zadistes depuis 2012, le conseil départemental a commencé les travaux.
M. Christophe Priou. Non ! C’est faux.
M. Gérard Collomb, ministre d’État. Si ces travaux ne pouvaient se poursuivre dans les prochaines semaines, l’État se substituerait au département.
En effet, l’État de droit doit être appliqué partout, et il le sera à Notre-Dame-des-Landes ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – Protestations sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Deroche, pour la réplique.
Mme Catherine Deroche. Monsieur le ministre d’État, vous ne faites que répéter le plan de communication du Gouvernement, que l’on entend depuis le mois de janvier. Mme la préfète, en effet, a crié victoire parce qu’elle a pu marcher quelques mètres, accompagnée d’escadrons de gendarmes mobiles et survolée par un hélicoptère… Néanmoins, la ZAD reste occupée ; la trêve hivernale est un prétexte pour retarder l’évacuation de ces squats illégaux.
Qu’en pensent aujourd’hui les Ligériens ? Votre discours est peut-être efficace pour ceux de nos concitoyens qui vivent loin de Notre-Dame-des-Landes, mais les Ligériens, pour leur part, savent qu’ils ont été sacrifiés au profit de ceux qui bafouent depuis des années les lois de la République. Nous souhaitons simplement que cette capitulation ne fasse pas école pour d’autres projets nationaux ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe socialiste et républicain.)
limitations de vitesse
M. le président. La parole est à Mme Michèle Vullien, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
Mme Michèle Vullien. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre.
Le Gouvernement a annoncé, le 9 janvier dernier, la mise en place d’une limitation de la vitesse à 80 kilomètres par heure sur le réseau secondaire à compter du 1er juillet prochain.
Comme vous le savez, le Sénat a constitué un groupe de travail sur le sujet, groupe auquel j’aurai plaisir à participer. J’ai d’ailleurs un a priori plutôt favorable sur cette mesure.
Si l’objectif de diminuer le nombre de morts sur ces portions de routes accidentogènes est louable, il apparaît toutefois que la démarche du Gouvernement a été quelque peu hâtive et dénuée de concertation préalable. En outre, elle a fait abstraction des conclusions rendues dans le cadre des Assises de la mobilité. Par ailleurs, il semblerait que la direction de la sécurité routière n’ait pas souhaité participer aux travaux des assises, alors qu’elle y a été conviée par le groupe d’experts. On ne peut que s’en étonner et le regretter !
Ma demande est donc double.
Tout d’abord, pourquoi la sécurité routière n’a-t-elle pas participé aux Assises de la Mobilité ?
Ensuite, et surtout, monsieur le Premier ministre, pouvez-vous attendre les conclusions du groupe de travail sénatorial avant de confirmer votre décision de modifier la réglementation ?
Permettez-moi enfin un petit clin d’œil. Dans son discours de vœux de ce mardi, le Président de la République a longuement insisté sur l’importance des évaluations ex ante dans le cadre de l’action publique. Il serait tout de même paradoxal que son gouvernement ne respecte pas cette ligne de conduite !
Je vous remercie, monsieur le Premier ministre, et vous propose de prendre rapidement date pour que nous venions vous exposer les conclusions de nos travaux. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Madame la sénatrice, vous m’interrogez sur la décision que j’ai annoncée de faire passer la limitation de vitesse sur les routes bidirectionnelles sans séparateur central de 90 kilomètres par heure à 80 kilomètres par heure.
Dès que j’ai évoqué cette mesure et quand je l’ai rendue publique, j’avais parfaitement conscience qu’elle aurait pour conséquence une impopularité notoire pour celui qui en était à l’origine, et, plus encore – car, au fond, ce n’est pas l’essentiel –, susciterait du scepticisme, peut-être de l’incompréhension et une forme d’agacement, voire, parfois, même si ce n’était pas le ton de votre question, de la colère.
Le sujet est suffisamment complexe et sérieux pour que je vous communique les chiffres définitifs pour l’année 2017, qui viennent d’être publiés. Au cours de l’année 2017, ce sont très exactement 3 693 personnes qui ont trouvé la mort sur les routes françaises. Cela concerne la métropole et l’outre-mer.
En effet – vous le savez sans doute si ce sujet vous intéresse –, pendant très longtemps, il a été décidé, pour des raisons que j’ignore, de ne diffuser que les chiffres concernant la France métropolitaine en omettant les tués sur la route en outre-mer. À ces 3 693 morts, il faut ajouter 77 476 blessés, dont plus de 25 000 blessés graves, ceux que l’on appelle parfois les blessés à vie.
Dans le Rhône, votre département, madame la sénatrice, au cours de l’année 2017, quelque 58 personnes ont trouvé la mort et 2 735 ont été blessées. C’est un peu moins de morts que pour l’année 2016 – trois ! –, mais cela représente 10 % de blessés en plus.
Le coût humain est considérable, tout comme l’est le coût individuel familial. Il en est de même du coût collectif. Pardon d’évoquer ces données de nature budgétaire – c’est peu de chose par rapport au reste –, mais il faut tout de même le faire : on estime entre 32 et 40 milliards d’euros – cela dépend du mode de calcul – le préjudice annuel lié à la surmortalité sur les routes. C’est énorme. Ce n’est pas le motif de la limitation, mais il faut le prendre en compte.
M. Simon Sutour. Ah !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Ces chiffres sont trop importants, et je ne veux pas que l’on s’y habitue. Ce n’est jamais le cas, bien sûr, mais lorsque ces mauvais chiffres se répètent, année après année, certains finissent par se dire que c’est la fatalité.
Or je ne crois pas à la fatalité. Je pense que nous pouvons réduire le nombre de morts et de blessés sur les routes en France. C’est l’objectif !
M. Simon Sutour. Il faut mettre de l’argent sur les routes !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Vous avez raison, monsieur le sénateur. Reste que 92 % des accidents de la route ne sont pas liés à l’état des routes, mais sont dus au comportement humain et à la vitesse. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. François Grosdidier. Ils sont dus à l’excès de vitesse !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Les chiffres sont là, ils en attestent. La vitesse est systématiquement un facteur aggravant, madame la sénatrice, même si ce n’est pas le seul. (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.)
M. Gérard Cornu. L’excès de vitesse !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Je le répète : 3 693 morts !
Madame la sénatrice, avant d’occuper cette fonction, vous avez été maire d’une commune de 8 800 habitants. Nous voulons avancer et faire en sorte qu’il y ait moins de morts et moins de blessés. (Nous aussi ! sur les travées du groupe Les Républicains.)
Certes, on peut se focaliser sur cette mesure, mais elle s’inscrit dans le cadre d’un plan, grâce auquel seront sanctionnées beaucoup plus lourdement la conduite en état d’ivresse, l’utilisation du téléphone portable en conduisant, la conduite sans permis de conduire, la conduite sous l’emprise de produits stupéfiants. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. François Grosdidier. C’est cela, la vraie cause !
M. Jackie Pierre. Faites déjà respecter les 90 kilomètres par heure !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Tous ces éléments sont prévus, et ce plan produira des effets.
Bien évidemment, nous avons interrogé tous les spécialistes en la matière. Vous imaginez bien, madame la sénatrice, qu’avant de prendre une décision dont je sais qu’elle est impopulaire, ne recherchant pas spécifiquement et spontanément l’impopularité, je me suis demandé si elle pouvait avoir un effet et j’ai interrogé les sachants, les médecins, les spécialistes : tous ont indiqué que la vitesse était systématiquement un facteur aggravant sur ces routes qui représentent plus de 55 % des accidents en France. Nous les avons écoutés et pris en compte leur avis.
Je sais que le Sénat s’interroge sur ce sujet et a créé un groupe de travail. Je suis enchanté qu’il le fasse et la porte de Matignon, qui est évidemment toujours ouverte à tous les sénateurs, l’est plus encore à ceux qui voudraient discuter de cette mesure.
En la matière, madame la sénatrice, je me fixe non une obligation de moyens, mais une obligation de résultat : nous allons faire mieux. Nous allons réduire le nombre de morts et de blessés sur la route.
Je me souviens de la réaction qu’avait suscitée, au début des années 2000, la décision du président Chirac de s’engager résolument en la matière : l’impopularité du Gouvernement. Quelques années plus tard, tout le monde a reconnu que ces mesures étaient justes et avaient produit leur effet. C’est sur cette ligne que je m’inscris. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
M. François Patriat. Très bien !
Mme Michèle Vullien. Monsieur le Premier ministre, je vous remercie de votre réponse. Je suis plutôt favorable à cette mesure, qui appelle toute mon attention.
En revanche, je déplore la méthode. C’est seulement hier soir que nous avons reçu les études du Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement, le CEREMA. Nous aurions souhaité avoir plus de temps pour les étudier.
agriculture dans les zones défavorisées (i)
M. le président. La parole est à Mme Françoise Laborde, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
Mme Françoise Laborde. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation et porte sur la refonte de la carte des zones défavorisées simples, les ZDS.
Cette révision répond à la demande de la Commission européenne, la carte définitive devant être remise au mois de mars prochain.
La profession agricole s’inquiète fortement des propositions de nouveaux zonages. À lui seul, mon département représente quelque 40 % des communes non classées de la région Occitanie, alors que, en termes de revenus agricoles, il est classé quatre-vingtième au rang national, sur 93, et possède un potentiel agronomique parmi les plus faibles.
Ces zones défavorisées ne sont pas juste dessinées sur une carte pour Bruxelles. Elles représentent une réalité physique, économique, sociale et, surtout, humaine.
Si le zonage, tel que vous le proposez aujourd’hui, devait être maintenu, les départements de la Haute-Garonne, du Gers, du Tarn-et-Garonne, du Lot et bien d’autres verront leur biodiversité irrémédiablement bouleversée. En effet, nombre d’éleveurs et de jeunes agriculteurs cesseront leur activité. Pourtant, comme l’a souligné le président Macron lors de ses vœux le 25 janvier dernier, l’agriculture française a du talent et de la ténacité. Voilà qui me laisse à penser, monsieur le ministre, que la mobilisation des manifestants dans nos départements n’est pas près de s’essouffler.
Monsieur le ministre, ma question est simple : allez- vous écouter les propositions formulées par la profession agricole, qui demande à revoir la liste des critères de zonage, notamment paysagers, et permettre ainsi une répartition plus juste de cette cartographie ? (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation.
M. Stéphane Travert, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Madame Laborde, je n’ignore rien de la situation des agriculteurs concernés par les ZDS sur vos territoires, en particulier dans votre région. Leur inquiétude est légitime.
Nous parlons d’un zonage qui a plus de quarante ans et qui n’a jamais été revu. Nous devons aujourd’hui débattre de sa pertinence et de son efficacité en plaine. Cette discussion a commencé à l’échelon européen en 2002, la révision du zonage est connue depuis 2013 et d’autres gouvernements ont travaillé pour que cette nouvelle carte puisse entrer en application en 2019, en France comme dans l’ensemble des pays européens.
Il faut aussi tenir compte des contraintes réglementaires et budgétaires à l’échelon européen, qui font qu’il n’y a aucune part d’arbitraire possible pour intégrer ou exclure tel ou tel territoire, pas plus qu’il n’y en a aujourd’hui pour repousser les échéances. Des discussions ont été engagées depuis 2016 avec les professionnels agricoles et les régions, afin d’établir ce nouveau zonage.
À l’heure où je vous parle, madame la sénatrice, ces discussions se poursuivent avec l’appui de l’ensemble des services du ministère. Le zonage envisagé à l’issue d’un premier cycle de travail aboutissait à une carte très étendue par rapport à la carte actuelle, ce qui augmentait considérablement les besoins en crédits du Fonds européen agricole pour le développement rural, le FEADER, alors même que, vous le savez, il s’agit d’une enveloppe très fermée. Cette carte n’était pas soutenable budgétairement, et certains critères retenus n’étaient pas justifiables à l’échelon européen.
Je recevrai demain les représentants professionnels de votre région pour faire le point sur cette situation. Nous héritons d’un dossier ancien. Nous avons fait le tour du sujet sur le plan technique, il nous faut maintenant en sortir.
L’objectif du Gouvernement est de parvenir à une cartographie à la mi-février, comme l’a demandé le Président de la République. Nous veillerons à la partager et à définir les mesures d’accompagnement, puis nous la transmettrons à la Commission européenne pour approbation d’ici à la fin du mois de mars prochain. À l’issue de cette réforme, il faudra dire la vérité : des communes entreront dans le nouveau dispositif, d’autres en sortiront. Nous accorderons une attention particulière aux communes sortantes et analyserons les situations individuelles pour mieux accompagner les exploitations concernées.
Madame la sénatrice, vous pouvez bien évidemment compter sur ma mobilisation à l’échelon tant européen que national pour défendre les intérêts de nos agriculteurs. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
M. le président. La parole est à Mme Françoise Laborde, pour la réplique.
Mme Françoise Laborde. Monsieur le ministre, j’insiste sur le fait que, dans ce dossier, il y a de la technique, mais aussi de l’humain.
rôle des banques dans le financement de l’économie réelle
M. le président. La parole est à M. Alain Chatillon, pour le groupe Les Républicains.
M. Alain Chatillon. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre.
Monsieur le Premier ministre, je souhaite appeler votre attention sur les bourgs-centres, qui sont en péril. Ils constituent un élément fort pour notre territoire et nous devons les accompagner.
Actuellement, alors que les GAFA sont en train de piller le commerce, sans aucune contrepartie d’aucune sorte, taxe foncière, taxe d’habitation ou taxe sur la valeur ajoutée – rien, pas d’impôt –, nous ne faisons pas grand-chose. Il serait pourtant temps que nous nous mobilisions pour réhabiliter nos centres-villes, rendre la vie dans le rural aussi digne qu’il y a quelques années encore et avoir la capacité d’apporter les services qui s’imposent à ces communes.
J’en viens à la taxe d’habitation. Sur ce sujet, monsieur le Premier ministre, ma question est claire et précise : en cette matière, un remboursement à l’euro près est prévu. Pourquoi pas, mais comment, par quoi, par quel nouvel impôt ?
Ne faudrait-il d’ailleurs pas que ce remboursement soit prévu sur la moyenne de la taxe d’habitation de la zone du territoire ? En effet, les communes qui ont consenti le plus d’efforts pour limiter les impôts vont se trouver défavorisées par rapport à celles qui ont augmenté les leurs.
Mme Catherine Deroche. Oui !
M. Alain Chatillon. Pour ma part, je souhaite que soit opérée une moyenne de la strate occupée.
Enfin, et cette question a un lien avec les deux précédentes, vous le savez, voilà maintenant dix ans, la Banque centrale européenne a attribué 4 200 milliards d’euros aux banques françaises pour assurer leur sécurité et, dans le même temps, pour garantir 2 % d’inflation. Il se trouve que beaucoup d’argent est resté ou revenu à la Banque centrale européenne. À l’époque, le prêt était de 0,25 %, alors que le financement est maintenant à 0,60 %.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue !
M. Alain Chatillon. Monsieur le Premier ministre, pouvez-vous nous indiquer le montant du reliquat des banques françaises, qui ont placé de nouveau cet argent, plutôt que de le consacrer au développement économique de notre pays ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État auprès du ministre de l’action et des comptes publics.
M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État auprès du ministre de l’action et des comptes publics. Monsieur le sénateur, les sujets que vous avez évoqués sont vastes et assez différents.
Vous avez d’abord interrogé le Gouvernement sur la question des centres-villes et la nécessité d’accompagner la rénovation.
Je suis convaincu que le plan de développement et de confortement des centres-villes, notamment des bourgs-centres, que mettent en place Jacques Mézard et Julien Denormandie, vous apportera des réponses particulièrement satisfaisantes. Il a en effet pour objectif d’accompagner les communes et les centres urbains, qui émaillent et structurent notre pays, permettant à des territoires entiers de vivre et de se développer, et ce sans tenir compte de leur taille, sans établir de critères qui viendraient discriminer certaines communes et leur interdire l’accès à cet appel à projets.
En d’autres termes, il s’agit d’accompagner les cœurs de ville qui font vivre des territoires, des pays et des bassins de vie et, ainsi, de donner à nos concitoyens les moyens de trouver dans les centres-villes les équipements et les commerces nécessaires.
Monsieur le sénateur, vous avez aussi appelé l’attention du Gouvernement sur la question des banques, du financement et de la taxe d’habitation. Vous conviendrez avec moi que ces problématiques sont difficiles à relier.
Je puis toutefois vous assurer que les banques françaises sont présentes aux côtés des entreprises : elles le font dans le cadre européen que vous connaissez et avec une attention particulière du Gouvernement et du Premier ministre, lequel relaie ces questions auprès de ses collègues de l’Union européenne. L’année dernière, les encours et les prêts qu’elles ont consentis aux entreprises pour leur développement ont augmenté de plus de 5 %, ce qui est aussi le signe d’un retour de la croissance.
Enfin, vous avez interrogé le Gouvernement sur la façon dont la taxe d’habitation sera compensée pour les collectivités. Engagement a été pris, et il sera tenu, que cette compensation sera intégrale. Nous passons par la technique du dégrèvement, qui, comme vous le savez, permet une compensation à l’euro près. Nous avons trois ans devant nous pour compenser la taxe d’habitation, dont 80 % des contribuables seront finalement exonérés.
Le Président de la République a déclaré, lors de ses vœux aux Français, le 31 décembre dernier, qu’il voulait aller plus loin et exonérer 100 % des contribuables. Il s’agit là d’un défi collectif. Nous avons trois ans devant nous, aidés par les travaux de la mission menée par Alain Richard et Dominique Bur, pour refondre le modèle de fiscalité locale et de financement de nos collectivités, trouver de la stabilité et de la justice et, surtout, conférer de la pérennité à ce nouveau modèle.
agriculture dans les zones défavorisées (ii)
M. le président. La parole est à M. François Bonhomme, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. François Bonhomme. Ma question, à laquelle je souhaite associer M. Philippe Mouiller, sénateur des Deux-Sèvres, s’adresse à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation.
Monsieur le ministre, depuis mercredi dernier, à Montauban, les agriculteurs du Tarn-et-Garonne et d’Occitanie protestent contre la future carte des zones défavorisées simples que vous allez présenter prochainement à l’échelon européen.
Or, en l’état, ce nouveau zonage, établi à partir de critères modifiés, exclura de facto un grand nombre de communes jusqu’alors éligibles à ces aides européennes, qui étaient perçues par ces agriculteurs pour compenser le handicap naturel de ces zones.
Monsieur le ministre, vous savez comme moi que, depuis plus de quarante ans, ces aides se sont révélées essentielles dans un certain nombre de départements. Elles sont notamment essentielles au maintien d’exploitations familiales et modestes.
Or la suppression de ces aides, induite par ce projet de nouvelle carte, signifierait inévitablement la fin de ce type d’exploitation et, plus généralement aussi, la fin d’un certain type d’activités, dans ces zones si difficiles, où des paysans contribuent depuis si longtemps au maintien de nos paysages et à la vie de nos petites communes.
Monsieur le ministre, quelles garanties et quels engagements fermes et tangibles pouvez-vous apporter aujourd’hui en ce qui concerne le maintien de ces aides vitales à nos agriculteurs ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation.
M. Stéphane Travert, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur le sénateur, vous m’interrogez, vous aussi, sur la situation des zones défavorisées simples, question qui concerne les territoires de l’Occitanie, mais aussi des Deux-Sèvres et de la région Centre.
Comme je l’ai souligné tout à l’heure, ce zonage a plus de quarante ans, et il faut le revoir. Dès mon arrivée aux responsabilités, soyez sûr que nous avons bataillé à Bruxelles pour obtenir un délai complémentaire afin de retravailler cette cartographie, notamment avec l’ensemble des éleveurs et des acteurs du monde agricole, et la finaliser dans les meilleurs délais. Ce travail est conduit en totale concertation avec les représentants professionnels, et les discussions sont engagées depuis 2016.
Monsieur le sénateur, je ne peux pas laisser dire que nous souhaiterions mettre un terme à l’élevage et aux activités agricoles sur ces territoires. Bien évidemment, je sais que la survie de ces agriculteurs peut dépendre de l’indemnité compensatoire de handicaps naturels, l’ICHN, qu’ils perçoivent.
Ce travail a été engagé par les services du ministère pour pouvoir intégrer de nouvelles communes. Cependant, comme dans chaque révision de zonage après quarante ans, il y aura de nombreux entrants, mais aussi des sortants. Si certains critères sont objectifs, il en est d’autres que nous ne pouvons conserver et il est de ma responsabilité, comme ministre de l’agriculture, de penser à la suite.
Je le répète, je recevrai des représentants demain pour faire un point précis de la situation avec eux. Nous étudierons les mesures d’accompagnement à mettre en place dans le souci de l’efficacité de nos politiques publiques. Nous devons collectivement nous tourner vers l’avenir.
Monsieur le sénateur, je compte sur vous pour accompagner les agriculteurs des communes qui, c’est inévitable, sortiront de ce dispositif. L’État sera présent et prendra toute sa part dans cet accompagnement, je peux témoigner de cette volonté.
Le Gouvernement a bien pour objectif de parvenir le plus rapidement possible à un accord, c’est-à-dire à une carte équitable et budgétairement soutenable, qui préserve au mieux les zones d’élevage extensif en plaine.
M. le président. Veuillez conclure, monsieur le ministre !
M. Stéphane Travert, ministre. Nous veillerons à prévoir, ensemble, les mesures d’accompagnement, avant de transmettre à la Commission européenne ces mesures pour approbation. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
M. le président. La parole est à M. François Bonhomme, pour la réplique.
M. François Bonhomme. Monsieur le ministre, votre réponse est technique, mais, en fin de compte, elle est dilatoire.
Je sais bien que vous avez hérité d’une situation difficile avec le projet de carte de votre prédécesseur Le Foll, qui est parti en rase campagne. (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.) Il n’en reste pas moins que, aujourd’hui, les 5 000 euros ou 7 000 euros d’aide que perçoivent ces agriculteurs constituent leur reste à vivre ! Si vous les leur retirez, vous les condamnez.
Le critère ultime qui doit prévaloir pour l’élaboration de cette carte, c’est tout de même le maintien de ces aides, dont la suppression se révélerait mortelle pour les agriculteurs.
Ce week-end, j’ai vu la préfète de Loire-Atlantique aller à la rencontre de zadistes victorieux après le renoncement du Gouvernement de poursuivre le projet de Notre-Dame-des-Landes. Le comité d’accueil qui l’attendait, goguenard, a donné lieu à un tableau assez ironique, des zadistes se déculottant sur son passage. Voilà un aveu d’impuissance de l’État !
Puisqu’il est question de l’État et de sa responsabilité, faites-en sorte, monsieur le ministre, eu égard à nos éleveurs qui ne veulent pas mourir, que l’État – passez-moi l’expression – préfère le cul des vaches à celui des zadistes. Défendez vos agriculteurs ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.
Je rappelle que la prochaine séance de questions d’actualité au Gouvernement aura lieu le mardi 6 février 2018, à seize heures quarante-cinq.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures cinq, est reprise à seize heures quinze, sous la présidence de M. Thani Mohamed Soilihi.)
PRÉSIDENCE DE M. Thani Mohamed Soilihi
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
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Décès d’un ancien sénateur
M. le président. J’ai le regret de vous faire part du décès de notre ancien collègue Claude Prouvoyeur, qui fut sénateur du Nord de 1983 à 1992.
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Fonds d’indemnisation des victimes des produits phytopharmaceutiques
Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe socialiste et républicain, de la proposition de loi portant création d’un fonds d’indemnisation des victimes des produits phytopharmaceutiques, présentée par Mme Nicole Bonnefoy et les membres du groupe socialiste et républicain (proposition n° 792 [2015-2016], texte de la commission n° 237, rapport n° 236).
Dans la discussion générale, la parole est à Nicole Bonnefoy, auteur de la proposition de loi.
Mme Nicole Bonnefoy, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le vice-président de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, en 2012, j’ai eu l’honneur d’être nommée rapporteur de la mission commune d’information sénatoriale sur les pesticides et leurs conséquences sur la santé et l’environnement.
La mission, alors présidée par Sophie Primas, et constituée de vingt-cinq autres sénateurs représentant chacun des groupes politiques et chacune des commissions permanentes, a auditionné plus de 200 personnes, effectué de nombreux déplacements et fait un rapport comportant une centaine de propositions ayant pour objet d’améliorer la prise en compte sanitaire des conséquences de l’utilisation massive des pesticides dans notre pays. Chose suffisamment rare pour être soulignée, ce rapport fut alors adopté par le Sénat à l’unanimité.
Depuis, un nombre important de recommandations ont été traduites dans la loi, parmi lesquelles l’instauration d’un suivi des produits pesticides après leur mise sur le marché ; l’interdiction de l’utilisation des pesticides dans les collectivités ; l’interdiction de leur vente aux particuliers ; la mise en place du dispositif de phytopharmacovigilance, lequel permet d’instaurer une veille sanitaire dans tout le pays et de faire progresser l’évaluation des risques, des maladies et des produits mis sur le marché ; l’introduction dans notre droit de l’action de groupe en matière environnementale ; l’interdiction progressive des néonicotinoïdes ; ou encore l’interdiction des épandages aériens.
Je tiens à souligner que le travail collectif effectué par notre assemblée, dans le cadre de la mission et lors des discussions parlementaires qui ont suivi, a grandement contribué à tous ces progrès.
En parallèle, la problématique des pesticides n’a cessé d’être confirmée et amplifiée. Outre la prise de conscience sociétale qui n’a fait que croître, je pense en particulier à la publication de plusieurs rapports ayant joué un rôle décisif dans la documentation et l’accréditation du problème.
Premier rapport : l’expertise collective publiée par l’INSERM, l’Institut national de la santé et de la recherche médicale, parue en 2013 et fondée sur une revue de la littérature scientifique internationale publiée sur trois décennies. Elle a mis en évidence des excès de risques liés à des expositions pour de nombreuses pathologies graves : plusieurs cancers – du sang, de la prostate, du cerveau, de la peau –, des troubles cognitifs et des maladies neurologiques – Parkinson, Alzheimer… –, des maladies respiratoires et des troubles de la reproduction et du développement. Enfin, l’étude insiste fortement sur les risques pour le développement de l’enfant liés aux expositions au cours de la petite enfance et des périodes prénatale et périnatale.
Deuxième rapport : celui de l’ANSES, notre agence nationale de sécurité sanitaire. Elle s’est penchée en 2016 sur les expositions professionnelles aux pesticides en agriculture. Alors que la consommation de pesticides est en progression constante, l’agence souligne que les données sur l’exposition aux pesticides sont « fragmentées » et « lacunaires ». Cette absence de transparence produit une « invisibilité des problèmes », un « relatif silence » sur les maladies professionnelles. Celui-ci s’explique entre autres éléments par les obstacles que rencontrent les malades qui souhaitent faire reconnaître leurs pathologies chroniques.
L’ANSES ajoute que les éléments fournis par les industriels avant la mise sur le marché d’un pesticide ne suffisent pas pour mesurer son degré de dangerosité. Les études ne sont en effet pas publiées dans des revues scientifiques. Elles ne reposent ni sur des statistiques agricoles, ni sur des enquêtes de terrain, ni sur les déclarations individuelles. Elles ne reflètent pas l’éventail des situations réelles.
Enfin, le dernier rapport en date sur ces questions a été publié en décembre 2017. Il achève de dresser un panorama éloquent de l’utilisation des produits phytopharmaceutiques dans notre pays. Il s’agit du rapport des trois inspections générales des ministères de l’environnement, de la santé et de l’agriculture commandé par ce gouvernement.
Ce rapport rappelle les points suivants : l’ensemble des citoyens sont potentiellement exposés aux pesticides, la quasi-totalité des cours d’eau sont contaminés, de nombreuses substances parmi les plus nocives sont encore autorisées à la vente en raison des impérities du dispositif européen d’autorisation, le coût en Europe des conséquences pour la santé des pesticides, qui agissent comme des perturbateurs endocriniens, est estimé à 120 milliards d’euros.
L’inspection générale appelle à augmenter significativement l’effort financier en matière de recherche et à bâtir « un plan d’action visant à une sortie la plus rapide des produits phytos » puisque « l’objectif d’une diminution rapide de leur utilisation constitue désormais un impératif pour la protection de la population ».
C’est donc en toute logique que nous attendons du Gouvernement qu’il agisse conformément aux recommandations de ces divers rapports.
Je suis, madame la ministre, d’autant plus optimiste que j’ai en mémoire les propos tenus le 12 juillet 2017 par Nicolas Hulot venu présenter au Sénat les « objectifs du développement durable » de son gouvernement. Il a alors déclaré que la santé environnementale était une priorité gouvernementale. « J’ai à cœur, a-t-il dit, de protéger la santé des agriculteurs contre l’utilisation abusive d’intrants. Je connais suffisamment d’agriculteurs victimes de pathologies lourdes qui sont abandonnés par ceux qui sont censés les soutenir. » Je ne doute pas que Nicolas Hulot pensait alors en particulier au soutien de l’État et du Gouvernement.
Le texte que nous examinons aujourd’hui vise en premier lieu à protéger et à défendre les malades des pesticides, au premier rang desquels, j’y insiste, les agriculteurs. Trop souvent montrés du doigt pour l’utilisation de ces produits, ils sont les premiers et les plus nombreux à souffrir de leurs effets nocifs.
Les maladies liées aux expositions aux pesticides font l’objet d’un phénomène massif de sous-déclaration et, donc, de sous-reconnaissance. Dans son rapport de 2016, l’ANSES mettait en regard deux chiffres essentiels : d’une part, plus de 1 million de personnes sont professionnellement exposées en France aux pesticides ; d’autre part, entre 2002 et 2010, seulement 47 maladies professionnelles de ce type ont en tout et pour tout été reconnues.
Mes chers collègues, plusieurs membres de l’association Phyto-Victimes assistent aujourd’hui dans nos tribunes à notre débat. Je tiens ici à les saluer, ainsi que leur président, Paul François, et l’avocat Me Lafforgue, qui ont très largement contribué à l’écriture de ce texte.
Exploitant agricole, Paul François a été intoxiqué en 2004. Or le lien entre ses troubles et son exposition n’a été reconnu qu’en 2010. La plainte qu’il a déposée au civil en parallèle en 2007 a reçu un jugement favorable en 2012, lequel a été confirmé en appel en 2015, avant d’être annulé en 2017 en cassation. Près de quinze ans après son empoisonnement aigu, son état de santé s’est dégradé. Aucuns dommages et intérêts ne lui ont été versés et son parcours judiciaire va encore durer plusieurs années. Est-ce juste, madame la ministre ?
Je pense aussi aux salariés de la coopérative agricole Nutréa-Triskalia, que la mission avait rencontrés en 2012 et qui nous avaient profondément marqués. Gravement atteints, ils souffrent notamment d’hypersensibilité chimique multiple. Après plus de sept ans de procédures judiciaires pour faire reconnaître leur maladie professionnelle, plusieurs d’entre eux n’ont toujours rien obtenu, alors qu’ils ont, pour certains, perdu leur travail et sont arrivés au bout de leurs droits aux indemnités chômage. « Ce qui est important, c’est que nous soyons reconnus. De toute façon, notre vie est gâchée. » Tels sont les terribles mots d’un ex-salarié, Claude Le Guyader, qui était encore avant-hier devant la cour d’appel du tribunal des affaires sociales de Rennes pour obtenir cette reconnaissance aux côtés de son collègue Pascal Brigand. Est-ce juste, madame la ministre ?
Je pense encore aux innombrables victimes des épandages massifs de chlordécone et de paraquat, dont mon collègue Victorin Lurel parlera mieux que moi. Il est indispensable d’apporter une réponse juste aux terribles séquelles qui continuent d’affecter la Guadeloupe et la Martinique, à la suite des contaminations à ces substances, leur rémanence dans l’environnement étant de l’ordre de 600 ans et elles sont transmissibles de génération en génération. Est-ce juste, madame la ministre ?
Le texte en discussion aujourd’hui a dès lors vocation à faciliter le parcours de reconnaissance et d’indemnisation de ces malades afin de mettre un terme à cette autre injustice qui leur est faite : la longueur et la dureté des procédures.
Aussi, madame la ministre, mes chers collègues, c’est une loi juste, et il est de notre devoir d’adopter le texte et de le mettre en œuvre, au nom des victimes passées, présentes et à venir. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. – MM. Éric Gold et Guillaume Arnell applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Bernard Jomier, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi de commencer cette intervention par un double constat, dressé conjointement par trois corps d’inspection de l’État, dans un rapport rendu public le 19 janvier dernier. Je pense que nous pouvons tous ici le partager.
Ce rapport souligne tout d’abord que l’utilisation massive des pesticides constitue « un enjeu majeur de santé publique tant pour les applicateurs et leurs familles que pour les riverains et la population en général ». Ce constat n’est pas nouveau. La mission d’information menée en 2012, présidée par notre collègue Sophie Primas et dont la rapporteur était Nicole Bonnefoy, faisait déjà état d’une « urgence sanitaire » sous-évaluée, notamment au regard des données épidémiologiques.
Le rapport souligne en outre que « le degré de certitude d’ores et déjà acquis sur les effets des produits phytopharmaceutiques commande de prendre des mesures fortes et rapides, sauf à engager la responsabilité des pouvoirs publics ».
Le message est clair. Les études scientifiques soulignent en effet que l’exposition des travailleurs et de leurs familles à ces produits augmente de manière significative les risques de contracter certaines pathologies. En France, l’expertise collective de l’INSERM de 2013, fondée sur une revue de la littérature scientifique internationale publiée au cours des trente dernières années, met au jour plusieurs niveaux de présomption s’agissant du lien entre l’exposition aux pesticides et différentes pathologies : hémopathies malignes, tumeurs cérébrales, cancers cutanés, maladie de Parkinson, maladie d’Alzheimer, troubles cognitifs ou encore certains troubles de la reproduction et du développement. Elle insiste par ailleurs sur les expositions au cours de la période prénatale et périnatale, ainsi que pendant la petite enfance, qui semblent être particulièrement à risques pour le développement de l’enfant.
Nous savons que, sur certains points fondamentaux, les connaissances scientifiques établies permettent de retenir un lien de causalité : au sein du régime agricole, les quinze tableaux de maladies professionnelles liées à l’exposition aux pesticides sont là pour nous le rappeler.
La proposition de loi déposée par notre collègue Nicole Bonnefoy s’inscrit dans le prolongement de ces constats et pose la question de la réparation des dommages. Elle prévoit, sous certaines conditions, l’indemnisation des préjudices résultant de l’exposition à des produits phytopharmaceutiques en allant au-delà de la simple réparation forfaitaire, que notre législation sociale limite aux victimes professionnelles.
Les professionnels du secteur agricole sont bien évidemment la première population concernée. Oui, cette proposition de loi est un texte de justice sociale que nous devons aux agriculteurs, au secteur agricole et au monde rural. Ainsi, les agriculteurs et l’ensemble des professionnels du secteur pourront accéder au dispositif d’indemnisation dès lors qu’ils auront préalablement obtenu la reconnaissance d’une pathologie d’origine professionnelle sur le fondement du système déjà existant des tableaux de maladies professionnelles. Au regard des dommages causés, qui dépassent largement le préjudice économique pour englober les préjudices extrapatrimoniaux, une telle avancée me paraît aller dans le sens de l’histoire de notre protection sociale.
Il en va de même de l’ouverture du dispositif aux victimes exposées en dehors du cadre professionnel et que l’on peut qualifier de « victimes environnementales ». Je pense notamment aux riverains de champs agricoles qui subissent les effets des épandages. La proposition de loi les inclut dans le dispositif. Elle couvre enfin les enfants atteints d’une pathologie occasionnée par l’exposition aux pesticides de l’un de leurs parents. Il s’agit ici de prendre en compte principalement les expositions in utero.
De manière générale, il est apparu au cours des auditions que j’ai menées que la volonté d’améliorer les règles d’indemnisation est accueillie très positivement. L’ANSES, en particulier, s’est montrée favorable à la recherche d’une plus grande équité dans la prise en charge des victimes. En effet, pourquoi les victimes de l’amiante, des irradiations dues aux essais nucléaires, de médicaments auraient-elles accès à une réparation intégrale alors que les agriculteurs victimes de produits phytopharmaceutiques sont limités à une réparation forfaitaire ? L’ANSES a également souligné l’avantage d’un tel dispositif, qui permet de limiter les inconvénients liés à une judiciarisation des demandes.
Les réserves formulées sur la proposition de loi dans sa rédaction initiale ont essentiellement porté sur deux points : d’une part, la gouvernance du fonds d’indemnisation et la procédure d’instruction, qu’il a donc fallu préciser ; d’autre part, le financement, sur lequel les avis sont partagés.
D’aucuns souhaiteraient que le financement soit entièrement étatique et craignent qu’une hausse de la taxe sur les produits phytopharmaceutiques ne soit répercutée sur le prix de vente. Compte tenu du chiffre d’affaires du secteur en France – plus de 2 milliards d’euros chaque année – et de la capacité de négociation des intermédiaires, il me semble que cette réserve peut être levée. J’ajoute que les règles de recevabilité financière auxquelles nous sommes soumis ne nous permettraient pas de prévoir une contribution de l’État au financement du fonds. Une telle initiative, madame la ministre, ne pourrait venir que du Gouvernement. Si la fiscalité déjà prélevée sur la vente des produits phytopharmaceutiques offre un montant d’amorçage raisonnable, les ressources du fonds, nous en convenons tous, devront nécessairement être revues.
La commission des affaires sociales a apporté plusieurs séries de précisions à la proposition de loi afin de parvenir à un encadrement juridique rigoureux, prudentiel et qui sera nécessairement appelé à évoluer.
L’article 1er définit le champ des personnes éligibles au dispositif d’indemnisation. Sa rédaction initiale ne permettait pas d’en cerner parfaitement les contours. C’est pourquoi la commission a renvoyé à un arrêté conjoint des ministres chargés de la santé et de l’agriculture le soin d’établir la liste des pathologies ouvrant droit à indemnisation pour les victimes non professionnelles.
À l’article 2, la commission a précisé l’organisation du fonds d’indemnisation en prévoyant qu’il comprend un conseil de gestion dont la composition est fixée par décret et qu’il est représenté à l’égard des tiers par le directeur de la caisse centrale de la mutualité sociale agricole.
Sur la procédure d’examen des demandes, la commission a partagé l’avis général selon lequel faire reposer la charge de la preuve sur le demandeur rendrait le dispositif extrêmement complexe et, pour tout dire, très difficilement accessible. La jurisprudence récente dans le domaine de la santé reconnaît aujourd’hui que le doute scientifique ne fait pas nécessairement obstacle à la preuve requise du demandeur dès lors que celui-ci fait valoir un faisceau d’indices concordants sur les dommages causés par le produit. Nous avons donc jugé préférable de retenir une présomption de causalité. Une commission médicale indépendante serait chargée d’examiner les circonstances des expositions et de statuer sur leur lien avec la pathologie. C’est d’ailleurs le modèle des dispositions en vigueur pour le Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante, le FIVA.
À l’article 4, la commission a porté de six à neuf mois le délai au terme duquel le fonds est tenu de présenter une offre d’indemnisation au demandeur.
L’article 7, qui prévoyait que le fonds serait financé notamment par une fraction de la taxe sur la vente de produits phytopharmaceutiques, dispose désormais que le produit de cette taxe sera affecté en priorité à l’ANSES et, pour le solde, au fonds d’indemnisation. Aujourd’hui, la taxe sur les produits phytopharmaceutiques, collectée par l’ANSES, permet de financer le dispositif de phytopharmacovigilance. Il est essentiel que celui-ci soit totalement préservé.
Enfin, au travers de l’article 9, la commission a renvoyé à un décret en Conseil d’État le soin de définir les modalités d’application de la loi et prévu une période transitoire durant laquelle le délai laissé au fonds pour présenter une offre est porté à douze mois au lieu de neuf. Il s’agit, sur ce point, de tenir compte des nécessaires contraintes liées à la phase d’installation et de montée en charge du fonds.
Telles sont, monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les principales modifications apportées par la commission à la proposition de loi initiale.
Au cours de nos débats, je ne doute pas que certains souhaiteront insister sur l’encadrement plus étroit dont les produits phytopharmaceutiques ont progressivement fait l’objet au cours des dernières décennies. Je rappellerai simplement à ce stade que la nécessité de renforcer la prévention et la protection, constat sur lequel nous sommes tous d’accord, n’épuise en rien le sujet de la réparation lorsque des dommages ont été subis.
À cet égard, nous avons aujourd’hui acquis un niveau de connaissances suffisant pour ne pas différer notre travail de législateur au motif que ces connaissances sont encore en progrès. Il y va de notre responsabilité commune. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – M. Jean-François Longeot applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le président, monsieur le vice-président de la commission, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, nous le savons, les scandales sanitaires sont au nombre des menaces qui pèsent le plus lourdement sur notre démocratie, tant ils entament la confiance des Français.
Votre proposition de loi vise à répondre à un impératif de santé publique et de reconnaissance du préjudice subi. Vous souhaitez créer un fonds assurant la réparation intégrale des victimes de pathologies liées aux produits phytopharmaceutiques, que leur exposition soit d’origine professionnelle ou environnementale. Ce fonds serait financé exclusivement par une taxe prélevée sur les produits concernés.
Votre texte, mesdames, messieurs les sénateurs, est empreint d’une noble intention, et je la comprends. Toutefois, la création d’un tel fonds d’indemnisation m’apparaît prématurée.
En effet, nous connaissons encore trop mal les risques sur la santé d’une exposition à un ou plusieurs produits phytopharmaceutiques. Les pathologies en question, vous le savez, peuvent avoir plusieurs causes. Aussi ne peuvent-elles être directement imputées, en tous les cas pour la majorité d’entre elles, aux seuls produits phytopharmaceutiques.
Ce dispositif renverserait la charge de la preuve. Ce serait alors au fonds de démontrer l’absence de lien direct et essentiel entre une pathologie et les expositions, dès lors que la victime alléguerait une exposition. Or, compte tenu de l’utilisation massive des pesticides, il convient de considérer que tout le monde est exposé : le champ des indemnisations s’étendrait aux victimes environnementales, et ce de façon difficilement contrôlable.
Par ailleurs, un tel dispositif d’indemnisation serait, à mes yeux, déresponsabilisant, en particulier vis-à-vis des industriels. Les effets sur la santé des expositions professionnelles aux produits phytopharmaceutiques font l’objet d’un consensus scientifique. Or votre texte s’engage sur la voie d’une indemnisation systématique, sans détermination préalable de responsabilité. (Mme Patricia Schillinger opine.) En outre, cette indemnisation serait financée exclusivement par le produit d’une taxe sur les produits phytopharmaceutiques. Malgré l’intention qui vous anime, les industriels bénéficieraient, de fait, d’une décharge de responsabilité individuelle contre une prise en charge mutualisée du risque.
Nous devons plutôt renforcer l’indemnisation dans le cadre du système des accidents du travail et des maladies professionnelles. Ce système facilite l’indemnisation des victimes concernées. En effet, lorsqu’une maladie est inscrite dans un tableau de maladies professionnelles et répond aux conditions prévues par ce tableau, elle est présumée d’origine professionnelle.
Qui plus est, pour les maladies n’étant pas inscrites dans les tableaux, une voie complémentaire de reconnaissance permet un examen, au cas par cas, des demandes par les comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles, les CRRMP.
Au total, pas moins de 700 maladies professionnelles, liées aux produits phytopharmaceutiques, sont reconnues dans ce cadre.
Cela étant, je suis évidemment consciente des limites de ce système d’indemnisation. En effet, comme vous le dites très justement, il ne permet pas à tous les travailleurs concernés d’être indemnisés de manière équitable.
Les tableaux de maladies professionnelles existants n’ont pas été actualisés au regard des connaissances scientifiques les plus récentes. Je pense en particulier à l’expertise collective de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale – INSERM – de 2013.
Quant aux maladies non inscrites dans les tableaux, les décisions rendues après avis des comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles sont hétérogènes, les connaissances scientifiques n’étant pas assez diffusées.
Afin de résoudre ces écueils, Mme la ministre du travail, M. le ministre de l’agriculture et moi-même demanderons aux commissions chargées d’élaborer ces tableaux d’améliorer l’indemnisation des travailleurs concernés. Précisément, des études devront être menées pour adapter les tableaux de maladies professionnelles à l’état actuel des connaissances scientifiques.
Toutefois, au-delà de l’indemnisation elle-même, la priorité ira à la prévention des effets des produits phytopharmaceutiques sur la santé. La feuille de route du Gouvernement, à la suite du rapport sur les produits phytosanitaires, doit renforcer l’effort de recherche afin de mieux connaître les liens entre pathologies et exposition, mais également de développer les actions de protection des travailleurs et des populations. Je pense en particulier aux publics les plus fragiles et les plus vulnérables, les enfants et les femmes enceintes.
Nous devons également étudier les conclusions du rapport de la mission diligentée auprès de l’inspection générale des affaires sociales, de l’inspection générale des finances et du conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux, rapport qui vient de m’être communiqué et qui étudie l’éventualité d’un dispositif d’indemnisation des victimes de produits phytopharmaceutiques. Nous avons besoin de temps pour analyser les conclusions de ce rapport, ainsi que les enjeux juridiques, financiers et sociaux de ses propositions.
Cela étant, ce rapport semble pointer l’absence de certitudes scientifiques sur le lien de causalité entre maladie et exposition à des substances nocives, ce qui, comme je le disais, constitue le principal obstacle à la reconnaissance des victimes environnementales.
Le rapport précise : « Devant cette difficulté de démonstration du lien de causalité pour un nombre de victimes important, l’amélioration du régime accidents du travail-maladies professionnelles (AT-MP) par extension du périmètre des maladies prises en charge, pour le rendre cohérent avec l’évolution des connaissances scientifiques, pourrait être une option possible. »
Par ailleurs, le plan santé au travail 3, élaboré par les partenaires sociaux, prévoit des actions de substitution de certains produits phytopharmaceutiques, ainsi qu’un travail sur le port d’équipements de protection pour les travailleurs.
Quant aux amendements visant à intégrer la problématique du chlordécone aux Antilles, je crains qu’ils n’engendrent une confusion avec le plan Écophyto…
M. Victorin Lurel. C’est un échec !
Mme Agnès Buzyn, ministre. … et les études épidémiologiques en cours de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale et de Santé publique France.
La question du chlordécone est bien différente de celle qui est au centre de la proposition de loi, l’exposition actuelle aux produits phytosanitaires autorisés. Je rappelle que le chlordécone est interdit en Europe depuis 2007. Si nous incluons dans le dispositif un lien entre utilisation des produits phytopharmaceutiques et une pollution, et non plus un lien entre une exposition et une indemnisation (M. Victorin Lurel s’exclame.), nous ferons perdre au fonds sa vocation essentielle d’indemniser des personnes. (M. Victorin Lurel s’exclame de nouveau.)
Soyez assurés, mesdames, messieurs les sénateurs, que mon ministère fera face à cet enjeu, fort des conclusions du comité de pilotage ad hoc de décembre dernier.
J’attends également de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, l’ANSES, qu’elle précise la position qu’elle a rendue, à la suite de son rapport du 15 décembre dernier.
Pour autant, c’est au plan chlordécone de traiter les questions relatives au chlordécone. J’ai toute confiance dans les vertus de ce plan, dont le principal mérite est de passer d’une logique de gestion de court terme des effets collatéraux de la pollution à une véritable logique de long terme de développement durable des territoires (M. Victorin Lurel s’exclame.), intégrant la problématique du chlordécone.
L’inspection générale de l’administration souligne elle-même l’efficacité du dispositif : sa grande souplesse permet de réagir avec diligence pour répondre aux besoins de terrain.
En tout état de cause, je m’attacherai à ce que mes services répondent sur le fond et très précisément à l’ensemble des questions techniques qui m’ont été posées sur le risque chlordécone, dont certaines ont été fort justement relayées par des parlementaires.
Mesdames, messieurs les sénateurs, l’actualité des enjeux liés aux produits phytosanitaires exige de nous de la résolution, mais aussi de la préparation. À la remise du rapport inter-inspections doit dorénavant succéder une analyse interministérielle de fond, animée par la patience de la réflexion.
Par ailleurs, la concertation sur une feuille de route relative à ces sujets vient tout juste d’être lancée : laissons-lui le temps de mettre en place les actions qui conviennent. (M. Victorin Lurel s’exclame.)
Les Français exigent certes de la résolution, mais aussi de la lisibilité. C’est pourquoi les travaux à venir doivent s’inscrire dans un cadre déjà défini, celui de la feuille de route sur les produits phytosanitaires et du plan Écophyto. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et sur quelques travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Claude Malhuret, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires.
M. Claude Malhuret. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le vice-président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui autour d’un sujet de première importance : la protection de la santé des Français face à la dangerosité de certains produits phytopharmaceutiques.
En 2012, une mission sénatoriale, présidée par notre collègue Sophie Primas et dont vous avez été, madame Bonnefoy, la rapporteur, avait alerté notre hémicycle sur l’urgence de ces sujets et proposé une centaine de recommandations pour lutter contre les pesticides cancérigènes. Ses travaux trouvent aujourd’hui une expression concrète au travers de cette proposition de loi.
Le rapport Pesticides : vers le risque zéro, publié en octobre 2012, avait été, je crois que cela mérite d’être rappelé, voté à l’unanimité. La question dépasse en effet les clivages partisans. Après sept mois d’auditions, la mission avait conclu à une sous-évaluation des dangers relatifs aux pesticides, à une insuffisante prise en compte du suivi des produits après leur mise sur le marché et à un manque de prise en compte des problématiques de santé dans les pratiques industrielles, agricoles et commerciales actuelles.
Ce rapport avait été un véritable signal d’alarme pour le précédent gouvernement : l’Institut national de la santé et de la recherche médicale s’était saisi du sujet, publiant lui-même un rapport en juin 2013, et la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt d’octobre 2014 avait mis en place un dispositif de phytopharmacovigilance. Cette loi avait aussi marqué un tournant important de notre approche de ce sujet, en reconnaissant les hémopathies en lien avec l’exposition professionnelle aux pesticides comme des maladies professionnelles.
Les auteurs de la présente proposition de loi entendent aller plus loin. En complétant ce dispositif avec une prise en charge de la réparation intégrale des préjudices des personnes atteintes de maladies liées à l’utilisation de produits phytopharmaceutiques, ils souhaitent que soient reconnus les dangers de ces produits et la réalité de ces pathologies.
Comme cela fut le cas en leur temps pour les victimes de l’amiante ou les vétérans des essais nucléaires, la création d’un fonds d’indemnisation permettra de reconnaître la réalité de la maladie et de sensibiliser la population à ce problème récurrent. Aujourd’hui encore, devant les tribunaux, de nombreux salariés agricoles plaident pour faire reconnaître leurs pathologies comme des maladies professionnelles. Il faut à mon avis les accompagner dans ce combat de tous les jours.
C’est le cas de deux ex-salariés de la coopérative agricole Nutréa-Triskalia, atteints d’hypersensibilité aux produits chimiques à la suite de leur surexposition, déclarés inaptes au travail et finalement congédiés. En septembre 2014, le tribunal des affaires de sécurité sociale de Saint-Brieuc avait jugé la coopérative coupable d’une faute inexcusable pour l’intoxication de ses employés en 2010. La décision avait fait grand bruit.
En décembre 2017, encore, le conseil des prud’hommes de Lorient a déclaré leur licenciement sans cause réelle et sérieuse. En réaction, le commissaire européen chargé de la santé et de la sécurité alimentaire, Vytenis Andriukaitis, a demandé la tenue d’un audit sur les pratiques des entreprises agroalimentaires bretonnes au printemps 2018. L’adoption de la proposition de loi, mes chers collègues, devrait nous permettre de répondre à ce genre de situation.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le groupe Les Indépendants attire votre attention sur l’importance de cette proposition de loi dans la reconnaissance de l’un des fléaux modernes du monde agricole : la dangerosité des produits utilisés. Elle recueille son soutien.
Elle répond à une inquiétude de terrain, dont de nombreux agriculteurs ont fait la désagréable expérience, et elle a, jusqu’à présent, fait l’objet d’une relative unanimité dans nos débats.
Madame la ministre, j’ai bien entendu les remarques que vous venez de formuler et qui, bien évidemment, doivent être prises en compte. J’en retiendrai trois.
En premier lieu, vous évoquez l’incertitude qui pèse sur le lien de causalité actuel de telle ou telle molécule. Je comprends le problème de la charge de la preuve qui peut s’y attacher. Néanmoins, le débat actuel me rappelle celui sur l’amiante et sur les radiations nucléaires, et j’estime que c’est au travers de ce genre d’arguments que le temps du constat est différé.
On peut compter, je dois le dire, sur les industriels et sur les lobbies pour faire en sorte que les preuves de toxicité reculent et que tout cela prenne autant de temps que pour l’amiante ou les radiations nucléaires. (Mme Nicole Bonnefoy opine.)
Mme Michelle Meunier. C’est exact !
M. Victorin Lurel. Tout à fait !
M. Claude Malhuret. Tant que le législateur et le Gouvernement n’envoient pas, un jour ou l’autre, un signal pour accélérer le processus, on sait comment cela se passe en général, en matière d’amiante, de phytopharmaceutique ou de pharmaceutique tout court ; je passe sous silence un certain nombre de scandales récents sur des médicaments.
En deuxième lieu, vous soutenez que l’adoption de la proposition de loi serait propre à déresponsabiliser les industriels.
M. Victorin Lurel. C’est une provocation !
M. Claude Malhuret. Or, dans le cadre des fonds d’indemnisation, il est sans doute prévu la possibilité, pour l’État, de se retourner contre les responsables, contre les producteurs. (M. Victorin Lurel s’exclame.) Par conséquent, il n’y a aucune raison de présumer une telle déresponsabilisation. Au contraire, sachant qu’au travers d’un fonds d’indemnisation l’État va se montrer particulièrement concerné et susceptible de les poursuivre, ceux-ci pourraient prendre plus de précautions.
En troisième lieu, vous vous interrogez sur le sort de cette proposition de loi à l’Assemblée nationale. Après vous avoir écoutée, madame la ministre, j’ai peur qu’elle ne parvienne pas à passer, en tout cas entièrement, l’épreuve de l’Assemblée. Si tel est le cas, notre débat, ici, au Sénat, n’aura pas été inutile. Il aura constitué une étape de plus dans la lutte contre le scandale de l’exposition aux pesticides, au côté duquel celui du Mediator ou du Vioxx risque d’apparaître, demain, une fois que la lumière sera faite entièrement, comme de petites vaguelettes annonciatrices. Au moins ce débat nous aura-t-il permis d’insister sur l’importance de ce qui est déjà considéré par certains aujourd’hui et le sera demain par tout le monde comme l’immense scandale des produits phytopharmaceutiques. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. – MM. Guillaume Arnell et Ronan Dantec applaudissent également.)
Mme Nicole Bonnefoy. Bravo !
M. Victorin Lurel. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Éric Gold, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
M. Éric Gold. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, utilisés pour protéger les cultures, limiter la propagation de parasites et améliorer la qualité de la production alimentaire, les pesticides sont au cœur du développement agricole des cinquante dernières années. Cependant, comme le rappelle notre collègue Nicole Bonnefoy dans son rapport Pesticides : vers le risque zéro, « Le formidable succès des pesticides et la banalisation progressive de leur emploi ne doit pas faire perdre de vue leur raison même d’exister : les pesticides sont conçus pour tuer. »
Les rapports dénonçant les dangers des produits phytosanitaires sur l’environnement et la biodiversité sont bien connus. La France, premier pays européen et troisième mondial pour l’utilisation de pesticides, a engagé des mesures de prévention dans ce domaine, notamment avec la mise en place, en 2014, d’un système de pharmacovigilance. C’est une bonne chose. Mais cela ne règle pas la question des personnes déjà malades, ni de celles qui le seront demain.
Car les rapports scientifiques montrant les liens entre certaines pathologies et l’exposition aux pesticides se multiplient également. Nous avons aujourd’hui la certitude que ces produits, via une contamination par l’air, l’eau, le sol et l’alimentation, ont des effets sur le développement du fœtus, de maladies aiguës et chroniques, ou encore sur le développement neurologique. Lors d’une audition à l’Assemblée nationale en novembre 2017, des représentants de la mutualité sociale agricole ont reconnu que 2 % des maladies professionnelles des agriculteurs étaient liées à des produits phytosanitaires. En 2016, 61 assurés se sont vu reconnaître une maladie professionnelle provoquée par l’utilisation de pesticides : 25 hémopathies malignes et 36 maladies de Parkinson. Il s’agit bien d’un enjeu sanitaire majeur.
Comme l’a rappelé l’auteur de la proposition de loi, ce texte « vise en premier lieu à protéger et défendre les malades des pesticides, au premier rang desquels les agriculteurs, trop souvent montrés du doigt pour l’utilisation de produits dont ils sont les plus nombreux à souffrir des effets nocifs ».
Si deux pathologies sont actuellement inscrites dans le tableau des maladies professionnelles agricoles, les associations ne dénombrent pas moins de 180 cas de pathologies déclarées dues à ces produits.
Les agriculteurs ne sont toutefois pas les seules victimes des pesticides. Les familles et les riverains sont également exposés. Bien qu’un arrêté de 2006 oblige les agriculteurs à mettre en œuvre les moyens appropriés pour éviter que les produits phytopharmaceutiques ne soient entraînés en dehors de la parcelle ou de la zone traitée, force est de constater que les riverains d’exploitations agricoles sont aussi en première ligne.
Aujourd’hui, 14 millions de Français vivent en zone rurale et nombre d’entre eux à proximité immédiate de ces exploitations. Si l’ampleur réelle de leur exposition aux produits phytosanitaires est encore méconnue, l’INSERM, dans le cadre d’une expertise collective menée en 2013, évoque une augmentation du risque de malformations congénitales, de tumeurs cérébrales et de leucémies chez les enfants des femmes vivant au voisinage d’une zone agricole.
Le Gouvernement vient de présenter un projet de plan d’action pour interdire le plus rapidement possible les substances les plus préoccupantes et réduire le recours aux produits phytopharmaceutiques. Il faudra également que la France puisse faire évoluer le droit européen pour inciter chaque État à retirer ces substances dès que des alternatives seront trouvées.
Dans cette attente, les victimes ne peuvent plus être ignorées : nous devons leur proposer des mesures d’accompagnement et d’indemnisation, une meilleure reconnaissance des conséquences, sur la santé, de produits jusqu’à présent autorisés par l’État. Comme l’a très justement exprimé le rapporteur, Bernard Jomier : « [La] nécessité de renforcer la prévention, dont chacun partage le constat, n’épuise pas le sujet de la réparation lorsque des dommages ont été subis. »
Le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, sensible à ces arguments et favorable à la création d’un fonds d’indemnisation, votera donc en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain. – M. Claude Malhuret applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Deroche, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Catherine Deroche. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, l’utilisation des produits phytopharmaceutiques constitue aujourd’hui un enjeu majeur de santé publique.
En effet, il ressort de différentes études publiées ces dernières années des augmentations de risques significatives pour plusieurs pathologies, en lien avec l’exposition des travailleurs et de leurs familles.
Le Sénat s’est saisi, dès 2012, de cette problématique et a créé une mission d’information, présidée par Sophie Primas et rapportée par Nicole Bonnefoy. La mission a dressé plusieurs constats : les dangers et les risques des pesticides pour la santé sont sous-évalués ; le suivi des produits après leur mise sur le marché n’est qu’imparfaitement assuré au regard de leurs impacts sanitaires réels ; les protections contre les pesticides ne sont pas à la hauteur des dangers et des risques ; ou encore, le fait, mais c’était il y a plus de cinq ans, que les pratiques industrielles, agricoles et commerciales n’intègrent pas suffisamment ces préoccupations.
Actuellement, notre législation rend possible l’indemnisation des victimes des produits phytopharmaceutiques en cas de reconnaissance d’une maladie contractée dans le cadre professionnel. Les exploitants et les salariés agricoles disposent de tableaux de maladies professionnelles spécifiques au régime agricole. Une dizaine de tableaux concernent l’exposition aux produits phytosanitaires.
L’ensemble du système repose sur une présomption d’imputabilité pour les personnes ayant travaillé au contact de certains risques répertoriés et constatant l’apparition d’une pathologie dans un délai déterminé.
Cependant, il est vrai que le dispositif de réparation paraît aujourd’hui insuffisant et inéquitable.
Partant de ce constat, la proposition de loi dont nous débattons cet après-midi instaure un dispositif de réparation intégrale. Pour ce faire, ses auteurs proposent la création d’un fonds d’indemnisation des victimes des produits phytopharmaceutiques.
Le texte prévoit que ce fonds soit géré par la caisse centrale de la mutualité sociale agricole et financé par l’attribution d’une fraction de la taxe prévue à l’article L. 253-8-2 du code rural et de la pêche maritime.
Je rappelle que la loi de finances rectificative pour 2014 a en effet introduit une nouvelle taxe sur les produits phytopharmaceutiques perçue au profit de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, afin de financer le dispositif de phytopharmacovigilance, qui vise à identifier les effets indésirables des produits phytopharmaceutiques.
Un arrêté du 27 mars 2015 fixant le taux de la taxe sur les ventes de produits phytopharmaceutiques a prévu un taux à 0,2 % du chiffre d’affaires, réduit à 0,1 % pour les produits de biocontrôle.
Cependant, et c’est mon premier point, je m’interroge sur ce financement, qui me semble bien insuffisant. Monsieur le rapporteur, vous avez évoqué un besoin de 10 millions d’euros pour financer ce fonds. La taxe actuellement affectée à l’ANSES rapporte 4 millions d’euros par an. Une fraction de cette taxe ne peut suffire à financer le dispositif.
Par ailleurs, la MSA a fait savoir qu’elle ne souhaitait pas gérer ce fonds, pas plus que la CNAM. Sans oublier que les syndicats agricoles craignent qu’une hausse de la taxe ne soit répercutée sur le prix de vente.
Deuxième point, le texte définit un champ des personnes éligibles au dispositif d’indemnisation plutôt large : tout d’abord, en effet, les professionnels du secteur agricole, qui sont les premiers concernés par l’exposition aux produits ; mais l’article 1er inclut également les victimes exposées en dehors du cadre professionnel.
Certes, monsieur le rapporteur, la commission a adopté un amendement qui visait à renvoyer à un arrêté ministériel le soin d’établir la liste des pathologies ouvrant droit à indemnisation pour les victimes non professionnelles. Mais le champ reste large. Comment estimer le nombre de victimes potentiellement concernées ?
Troisième point, enfin, le texte dispose que le demandeur justifie d’un lien direct entre son exposition aux pesticides et la pathologie.
Monsieur le rapporteur, vous avez proposé de transformer la charge de la preuve reposant sur le demandeur en présomption de causalité et souhaitez renvoyer à une commission médicale indépendante la mission d’examiner les circonstances des expositions et de statuer sur leur lien avec la pathologie. Il s’agit d’un dispositif qui s’inspirerait des dispositions en vigueur pour le Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante, le FIVA. Si cette comparaison avec le FIVA est intéressante, elle ne peut être totale. Le lien entre amiante et pathologie – plaques pleurales ou mésothéliome – est facile à établir. Je rappellerai que le FIVA est financé par la branche AT-MP, donc par les entreprises, et que le financement par l’État est réduit chaque année, ce que nous déplorons à chaque PLF.
Sur ce sujet important, une mission conjointe de l’IGAS, du CGEDD et du CGAAER a rendu un rapport à la fin de l’année 2017. Elle recommande d’actionner nombre de leviers, que je ne vais pas détailler, pour réduire de façon pérenne la dépendance aux produits phytopharmaceutiques.
Le modèle de production agricole qui s’est développé après-guerre reposait en effet sur cette dépendance. Nos exploitants agricoles ont pris conscience des dangers liés à l’utilisation de ces produits et s’acheminent vers leur moindre utilisation. Nous devons les accompagner dans cette démarche.
Les entreprises du secteur des produits phytosanitaires orientent leurs recherches en vue de changer les molécules. La recherche agronomique se mobilise pour trouver des alternatives.
La MSA s’investit dans la prévention, la formation et entame une évolution du tableau des maladies professionnelles.
Cette proposition de loi, comme l’a dit notre collègue Claude Malhuret, permet d’appeler le débat au Sénat sur un sujet majeur. J’en remercie l’auteur et le rapporteur. Bien entendu, la question de l’indemnisation se pose et doit trouver un mode de réparation adapté. Néanmoins, pour les raisons que je viens d’évoquer, notre groupe, dans sa grande majorité, s’abstiendra. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Jean-Claude Luche, Jean-Marie Mizzon et Jean-Claude Requier, ainsi que Mme Dominique Vérien applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger, pour le groupe La République En Marche. (M. Martin Lévrier applaudit.)
Mme Patricia Schillinger. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le vice-président de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, les effets sur la santé de l’exposition aux pesticides suscitent de fortes et légitimes inquiétudes dans l’opinion. Cette question de santé publique est inscrite depuis plusieurs années à l’agenda politique national et européen. Ainsi, le rapport d’information de notre collègue Nicole Bonnefoy a permis de formuler des recommandations pour renforcer la sécurité de l’utilisation de ces produits et les connaissances de leurs effets.
Sur le plan européen, l’actualité récente a mis sur le devant de la scène la question de l’interdiction des perturbateurs endocriniens et la reconduction de l’autorisation du glyphosate.
À cet égard, je me permets de vous signaler les travaux de la commission des affaires européennes de notre assemblée, que j’ai eu l’honneur de conduire avec notre ancien collègue Alain Vasselle. Les risques sont encore plus forts chez les exploitants agricoles et tous les professionnels amenés à manipuler, parfois massivement, de nombreuses substances tout au long de leur carrière.
Dans un rapport de 2016, l’ANSES a rappelé l’ampleur de la population concernée : « En 2010, plus d’un million de personnes avaient une activité régulière en agriculture, auxquelles doivent être ajoutées plusieurs centaines de milliers de travailleurs non permanents, ainsi que plusieurs dizaines de milliers de stagiaires. Au-delà, ces expositions peuvent aussi concerner les familles des professionnels concernés, ainsi que les riverains des zones d’utilisation des pesticides. »
La France est en effet le deuxième consommateur de produits phytopharmaceutiques de l’Union européenne, avec 75 000 tonnes de pesticides vendues en 2014. L’INSERM a retenu, rapportée à la surface agricole utile, la densité moyenne d’usage de pesticides en France à 2,9 kilogrammes de substance active à l’hectare, nous plaçant ainsi dans la moyenne européenne.
Cette expertise collective de l’INSERM en 2013 a conclu que de nombreuses études épidémiologiques mettaient en évidence une association entre les expositions aux pesticides et certaines pathologies chroniques, notamment certains cancers, certaines maladies neurologiques et certains troubles de la reproduction et du développement. Selon les cas, les niveaux de présomption peuvent aller de faible à fort. Par ailleurs, des travaux de recherche ont attiré l’attention sur les effets éventuels d’une exposition, même à faible intensité, lors de périodes sensibles du développement, in utero et pendant l’enfance.
Devant de tels constats, nous sommes tous conscients qu’il faut appliquer avec la plus grande détermination des mesures de prévention, y compris par l’interdiction si nécessaire. Plus généralement, il nous faut réduire dès maintenant la dépendance de notre agriculture aux produits phytosanitaires.
Le Gouvernement agit concrètement en ce sens : le projet de loi Agriculture, présenté hier en conseil des ministres, contient deux articles qui, d’une part, encadrent plus strictement la commercialisation de produits phytosanitaires, d’autre part, séparent les activités de vente et de conseil en la matière, qui conduisent à une ambiguïté et des compensations entre les deux métiers.
Si tout doit être fait pour éviter l’exposition aux pesticides, il faut déployer la même détermination s’agissant de la réparation des victimes.
L’objectif de cette proposition de loi est de compléter le dispositif actuel de réparation, fondé sur la reconnaissance des maladies professionnelles.
Il faut reconnaître que le système actuel n’est pas en mesure de répondre aux enjeux. On ne peut en effet se satisfaire du très faible taux de reconnaissance des maladies professionnelles liées aux pesticides, de la longueur des procédures induites, surtout lorsqu’elles s’accompagnent d’une phase judiciaire. Ajoutons que la réparation, quand elle est finalement obtenue, ne couvre pas le préjudice économique subi par les victimes.
Le texte prévoit donc de créer un fonds d’indemnisation, alimenté par la taxe sur les produits phytosanitaires, qui assurerait une réparation intégrale du préjudice subi après l’avis d’une commission médicale.
Le groupe La République En Marche s’associe à la volonté de l’auteur de la proposition de loi de rechercher plus de rapidité dans la procédure et plus de générosité dans l’indemnisation. Les amendements adoptés en commission ont permis de préciser des points importants du dispositif. Notre groupe s’était abstenu au stade de l’examen en commission, considérant qu’avant de créer un tel fonds il convenait de réformer le dispositif existant et d’améliorer et de compléter les tableaux de maladies professionnelles.
Nous partageons les problématiques que soulève le texte aujourd’hui. C’est un texte d’appel, madame la ministre, pour qu’ensemble, avec le Gouvernement, les caisses concernées et les industriels, nous trouvions une solution durable et effective pour les victimes des pesticides.
Madame la ministre, nous avons entendu vos arguments, qui tiennent compte de l’importance de ce dossier. Cette proposition de loi étant incomplète, en particulier dans le système d’indemnisation, notre groupe vous fait confiance pour trouver les solutions les plus adaptées aux victimes. C’est pourquoi, en l’état du texte, nous nous abstiendrons. (M. Martin Lévrier applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Mme Laurence Cohen. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je veux saluer le travail de Nicole Bonnefoy et Bernard Jomier, qui se concrétise au travers de cette proposition de loi.
Les pesticides et leurs effets sur la santé sont devenus, à juste titre, un sujet de préoccupation pour nos concitoyennes et nos concitoyens, une véritable question de santé publique.
Pendant des décennies, les fabricants de produits phytosanitaires ont promis aux agriculteurs que l’emploi de ces produits leur permettrait d’obtenir des rendements des plus intéressants sans prise de risque particulière sur la santé. Pendant longtemps, rien n’indiquait, sur les bidons utilisés, la dangerosité des produits. Pendant longtemps, les agriculteurs ont versé à mains nues des pesticides dans leur cuve, ont déambulé en plein épandage sans masque ni combinaison.
L’Union des industries de la protection des plantes, le lobby des fabricants de pesticides, renvoyait même les agriculteurs victimes aux précautions qu’il fallait prendre pour manipuler ces produits.
Des dizaines d’études épidémiologiques menées sur toute la planète ont fait la démonstration que les utilisateurs de pesticides sont plus souvent atteints par certains cancers que la population générale.
Je rappellerai que, d’après l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, les expositions aux pesticides au cours de la période prénatale, in utero, et périnatale, ainsi que pendant la petite enfance, présentent des risques pour le développement de l’enfant.
Alors que l’interdiction du glyphosate a cristallisé les tensions, un article du Monde diplomatique, paru au mois de septembre 2017 et intitulé Pratiques criminelles dans l’agroalimentaire, a relaté les pratiques graves dans ce secteur. Je n’ai pas le temps de m’y arrêter plus longuement.
Les alternatives techniques aux pesticides existent. Pour sortir de l’utilisation en masse de ces produits phytosanitaires, il faut avant tout oser affronter la logique de compétition sur les prix à laquelle les paysans doivent faire face pour obtenir un revenu.
Dans le cadre d’une question écrite du 21 décembre dernier, ma collègue Christine Prunaud vous a interpellée, madame la ministre, concernant l’interdiction de l’utilisation de pesticides et d’insecticides dans les filières de l’agroalimentaire. En attendant cette interdiction, nous pensons que les victimes doivent être prises en charge.
La proposition de loi de nos collègues socialistes et républicains s’insère dans la continuité de la création, en 2014, d’un système de pharmacovigilance. Elle prévoit de compléter ce dispositif en créant un fonds d’indemnisation pour les victimes des pesticides, comme cela a été fait pour les victimes de l’amiante ou des essais nucléaires. Elle va dans le sens d’une juste réparation des dommages des victimes au même titre que les maladies professionnelles.
Il faut le rappeler, si les agriculteurs et les salariés agricoles sont les premières victimes de pesticides, l’exposition concerne aussi les salariés de l’agroalimentaire, ceux qui œuvrent dans les usines de traitement du bois ou encore des milliers de travailleurs qui ouvrent au quotidien des conteneurs et y pénètrent pour des contrôles ou de la manutention.
Toutefois, il paraît indispensable que l’exposition aux pesticides soit étendue au-delà des seuls professionnels, car, en réalité, l’ensemble des citoyens sont concernés à des degrés divers. C’est d’ailleurs ce que vous avez souligné, madame la ministre. Je pense bien sûr non seulement au voisinage des champs traités, mais également aux produits alimentaires que nous consommons. Il est en outre primordial que le fonds soit ouvert aux enfants malades du fait de l’exposition de leurs parents.
Pour finir, nous sommes très attentifs aux critères et aux procédures d’accès au fonds d’indemnisation : les premiers ne doivent pas s’avérer trop restrictifs, les secondes, trop complexes, sous peine de créer un droit inapplicable.
Et si le nombre de demandes est trop important, comme vous semblez le craindre, madame la ministre, il sera toujours temps de revoir la contribution des entreprises de produits phytopharmaceutiques en taxant leurs profits.
En attendant, la réparation des préjudices liés à l’utilisation de ces produits s’inscrit dans la lutte pour la reconnaissance des nouvelles maladies professionnelles et leur indemnisation.
Je ne partage pas votre prudence, madame la ministre. Bien sûr, chaque jour, les progrès des sciences nous permettent de nouvelles découvertes. Mais attendre est une prise de risques aux conséquences graves, voire mortelles. Ne laissons pas les lobbies des fabricants de pesticides continuer à répandre leur poison. D’autant que nous n’en sommes pas à l’année zéro, des avancées ont déjà été faites dans ce domaine. Vous avez ainsi mandaté un certain nombre de commissions de réflexion, c’est une bonne chose. Mais pourquoi ne pas prendre en compte la présente proposition de loi ? Pourquoi vouloir finalement ériger un certain barrage ?
Il faut, ensemble, nous rappeler les victimes, notamment de l’amiante. À un moment donné, il devient trop tard pour réparer les préjudices subis par certaines d’entre elles. Entendons ce qui s’est exprimé, me semble-t-il, sur toutes les travées, même si les conclusions tirées n’ont pas été identiques, ce que les parlementaires, ici, au Sénat, vous disent, et ce dans un certain unanimisme.
Cette proposition de loi, bien que perfectible, va dans le bon sens. C’est la raison pour laquelle le groupe communiste républicain citoyen et écologiste votera en sa faveur, sans aucune retenue. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain. – MM. Guillaume Arnell et Ronan Dantec applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Mizzon, pour le groupe Union Centriste.
M. Jean-Marie Mizzon. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le vice-président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui nous concerne tous. Elle est des plus délicates à aborder, tant le sujet est douloureux pour bon nombre de nos concitoyens.
Les produits phytopharmaceutiques sont utilisés pour favoriser la réalisation d’une agriculture intensive, qui ne permet plus aux agriculteurs de vivre dignement. Ces pratiques ont des conséquences sur la santé de ceux qui les manipulent et, au-delà, sur celle des riverains et sur l’environnement.
Je ne parle pas des conséquences, en bout de chaîne, sur les consommateurs, dont nous ne serons probablement saisis de l’ampleur que dans les années à venir.
Dès lors, que faire ?
La mission commune d’information sur les pesticides et leur impact sur la santé, présidée par Mme Sophie Primas et rapportée par Mme Nicole Bonnefoy, a fait de très nombreuses propositions. Les auteurs du texte les ont traduites par la création d’un fonds d’indemnisation dédié, financé par une fraction de la taxe sur les produits phytopharmaceutiques.
Je remercie les auteurs de s’être saisis de cette question face à la carence des gouvernements successifs qui, bien que conscients des enjeux, n’en ont jamais pris la pleine mesure.
Je remercie également le rapporteur pour son travail.
La formule retenue, même si elle va dans le bon sens, n’est pas celle qui permettra de résoudre cette question éminemment douloureuse – j’insiste sur ce point.
La mission d’information avait conclu, notamment, à la nécessité de réformer le système de réparation des victimes de maladies professionnelles en facilitant les démarches de reconnaissance des maladies et en prenant en compte plus efficacement les avancées scientifiques. Il était également question de gestion et d’uniformité des procédures. J’y reviendrai.
Aujourd’hui, et nous en sommes tous d’accord, le système d’indemnisation n’est pas à la hauteur et trop de gens sont dans le désarroi. Les constats effectués par la mission en 2012 sont malheureusement toujours d’actualité : les tableaux de maladies sont trop peu nombreux, les critères d’accès à l’indemnisation, trop rigides, les informations concernant les pathologies et leur lien avec l’exposition aux pesticides, insuffisantes.
Le financement repose uniquement sur la solidarité nationale, sans pour autant garantir une équité de traitement entre les personnes concernées. Il faut donc le faire évoluer.
Je ne pense pas qu’il soit pour autant opportun de créer un fonds ad hoc. Je ne pense pas non plus que le financement prévu aujourd’hui soit suffisant : c’est d’ailleurs l’avis même du rapporteur, qui indique que cette taxe sera amenée à évoluer. Je crois enfin que la caisse centrale de la MSA ne souhaite pas assumer la gestion d’un tel fonds.
Ces constats conduiront la majorité de notre groupe à s’abstenir sur ce texte. Cependant, nous ne nous opposerons pas à cette proposition de loi, car elle a le mérite d’obliger le Gouvernement à agir, et à agir vite.
Créer un fonds dédié irait à l’encontre de la ligne de conduite que nous souhaitons voir respectée sur la simplification et la rationalisation de notre système de protection sociale. Les mécanismes existent, il faut les faire évoluer, pas en ajouter de nouveaux.
L’indemnisation des victimes de pesticides est possible en cas de reconnaissance d’une maladie professionnelle et se fonde sur des tableaux qui recensent ces pathologies. Ces tableaux doivent pouvoir être complétés plus rapidement sur la base d’informations fiables et permettre une indemnisation plus étendue. Nous pensons d’abord aux agriculteurs. Mais les jardiniers, cantonniers, employés d’entreprises de produits phytopharmaceutiques sont également concernés et ne doivent pas être oubliés. Les critères d’indemnisation doivent, en effet, prendre en compte cette diversité d’usages et d’usagers.
Il faut également prévoir un financement pérenne et une gouvernance efficace. Le financement repose aujourd’hui uniquement sur la solidarité nationale. La proposition de loi prévoit un financement par la taxe sur les produits phytopharmaceutiques. N’est-il pas plus juste de prévoir un financement mixte ? L’industrie doit participer, mais cela ne saurait être suffisant pour garantir une indemnisation complète.
Les pistes sont nombreuses et les bonnes volontés ne manquent pas, sur toutes les travées de notre assemblée, pour venir en aide aux victimes, dont les témoignages poignants nous ont tous bouleversés au plus haut point. Malheureusement, force est de constater que cette proposition de loi n’y répond que partiellement, les enjeux étant beaucoup plus importants.
C’est au Gouvernement d’agir avec tous les moyens dont il dispose et avec le soutien du Parlement, qui travaille sur ce sujet depuis de nombreuses années. Il me semble dès lors plus efficace d’aborder cette question dans le cadre du prochain PLFSS, dans quelques mois.
Madame la ministre, vous avez beaucoup promis lors de la discussion du PLFSS pour 2018 (Mme la ministre opine.), ce qui était naturel, car vous veniez de prendre vos fonctions. Il faut maintenant vous engager résolument à faire évoluer l’indemnisation des victimes de ces produits pour la rendre plus efficace, plus juste et pérenne.
La question de l’indemnisation n’est qu’une facette d’une problématique beaucoup plus générale. Il est en effet temps de revoir notre système de production, car notre agriculture et, surtout, nos agriculteurs sont à bout de souffle. Comment expliquer que ceux qui nourrissent les autres ne puissent même plus vivre de leur activité ?
Nos différents modes de production doivent tendre chaque jour davantage vers un modèle plus durable. Il n’est plus possible aujourd’hui d’avoir recours à des produits dont les conséquences sur la santé et l’environnement sont si néfastes. Prévoir des protections pour les usagers ne sera jamais suffisant. Il faut développer de nouveaux produits plus naturels, plus sûrs.
Nous ne pourrons pas éternellement réparer. Il faut être capable de changer le système, d’anticiper. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste. – Mme Nicole Bonnefoy et M. Guillaume Arnell applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Henri Cabanel, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Henri Cabanel. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues : 1 000, c’est le nombre de substances actives présentes sur le marché.
La France est championne européenne des achats de produits phytosanitaires avec, sur les cinq dernières années, une moyenne de 66 000 tonnes par an. Aujourd’hui, tout le monde s’accorde à dire que ces produits ont une influence néfaste sur la santé, et d’abord sur celle des utilisateurs, dont je suis.
En effet, être paysan aujourd’hui, c’est s’exposer à une multitude de produits dangereux.
Et s’il est facile de nous accuser d’être les premiers pollueurs, il faut savoir que nous sommes, d’abord, les premières victimes. Entre 2013 et 2016, 236 maladies, soit 59 en moyenne par an, ont été reconnues et ont reçu un premier paiement au régime agricole.
Pour comprendre pourquoi nous les utilisons quand même, il faut comprendre le travail de la terre. Car nous ne sommes pas des fous inconscients !
Les agriculteurs ont toujours fait appel à des substances pour éradiquer les nuisibles : insectes, champignons, etc.
Comment en sommes-nous arrivés à une surenchère de consommation de produits phytosanitaires ?
La crise agricole qui nous a frappés de plein fouet et qui continue de faire des ravages sur fond de guerre des prix les plus bas, de différences de droits sociaux, de différences de contexte juridique, notamment pour les produits phytosanitaires, a incité les agriculteurs à favoriser les produits de synthèse nettement moins chers et plus faciles d’utilisation, quelles que soient les conditions atmosphériques.
Pour tirer un revenu annuel moyen de 13 500 euros, l’agriculteur essaye de réduire ses coûts de production. C’est logique.
À cela s’ajoute un autre point négatif, connu des seuls utilisateurs. L’agriculteur doit se protéger avec une combinaison, des gants, des bottes et un masque, mais il ne les met pas toujours. En effet, quand vous êtes dans la cabine d’un tracteur où il fait 40 degrés, vous pouvez imaginer la situation…
Bref, il faut revoir totalement le problème à la base.
Les pouvoirs publics doivent obliger les fabricants à innover, à inventer des produits efficaces sans risque pour les utilisateurs et les populations. En attendant, il faut adapter le dosage des produits actuels au stade végétatif de la plante, ce qui engendrera une diminution notable de la consommation des produits phytosanitaires.
Investir dans la recherche, c’est à terme économiser les deniers publics, puisque nous sommes aujourd’hui réunis pour traiter de l’indemnisation des victimes de ces produits, qui, je le rappelle, sont vendus en toute légalité alors que leurs incidences sont notoires dans l’alimentation, l’eau de consommation, l’air et les sols.
Cette proposition de loi d’indemnisation des victimes de produits phytosanitaires est un vrai pas en avant, et je remercie son auteur, Nicole Bonnefoy.
Il faut, enfin, continuer à repenser notre modèle agricole.
Le plan de route d’une agriculture durable établi en 2014 via la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt fixe le cap d’une réduction de produits phytosanitaires.
Je suis viticulteur. La viticulture, qui représente 8 % de l’agriculture française, utilise 20 % des produits phytosanitaires. Pourtant, certains se sont lancés avec audace dans l’agriculture bio ou raisonnée, privilégiant la biodiversité. Il faut continuer à les encourager pour que, demain, leur réussite fasse des émules.
C’est pourquoi je m’investis dans le dossier des cépages résistants, aux côtés de la filière et de l’INRA. Ces cépages, qui résistent sans traitement à l’oïdium et au mildiou, les deux maladies les plus répandues dans la culture de la vigne, sont l’avenir de notre viticulture, car ils répondent à la fois aux enjeux économiques et sanitaires.
Accuser, jeter l’opprobre ne fait pas avancer. Il faut inciter les agriculteurs à d’autres modes de production, et toujours expliquer les enjeux. Ceux de santé publique doivent être notre unique leitmotiv.
Nous ne pouvons être responsables de maux que nous sommes les premiers à subir.
Pour les victimes, à l’échelle d’une vie, le temps judiciaire, c’est du temps perdu. Mais pour les industriels, c’est du temps gagné. Tel est le débat de société qui nous anime.
N’oublions jamais qu’en ces temps difficiles, de souffrance, tous les trois jours, un agriculteur se suicide. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. – M. Ronan Dantec applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Victorin Lurel, pour le groupe socialiste et républicain.
M. Victorin Lurel. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le vice-président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous sommes bien peu nombreux pour discuter d’une affaire importante, permettez-moi néanmoins de féliciter chaleureusement nos collègues Nicole Bonnefoy, auteur de ce texte, et Bernard Jomier, rapporteur, qui réalise depuis plusieurs semaines un remarquable travail de fond, avec engagement et opiniâtreté.
Je remercie également mon groupe, qui a choisi d’inscrire cette proposition de loi à l’ordre du jour de nos discussions.
Ce texte puissant, équilibré et éminemment d’actualité me semble aller au-delà de la simple indemnisation des victimes de produits phytopharmaceutiques.
Ouvrir un droit à l’indemnisation, c’est reconnaître une faute, notamment celle d’avoir autorisé l’utilisation de produits dangereux, voire mortels, mais c’est aussi reconnaître les drames et tragédies vécus par des milliers de nos compatriotes guadeloupéens et martiniquais qui, trop longtemps, faute d’écoute et d’accompagnement, ont été cruellement oubliés – je pourrais tenir le même discours à l’égard de nos compatriotes victimes dans l’Hexagone, dont certains sont présents dans les tribunes.
Cette proposition de loi trouve chez nous, en Guadeloupe et en Martinique, une résonance singulière, un écho qui trouve ses origines dans un véritable scandale d’État, à savoir la contamination volontaire au chlordécone.
Pendant plusieurs décennies, l’État et l’Europe, à travers leurs agences et leurs services, ont volontairement autorisé la commercialisation et l’utilisation d’un pesticide, le chlordécone, afin de lutter contre le charançon dans les bananeraies.
Il ne s’agit pas ici de dresser un réquisitoire et d’instruire un procès, mais nous connaissons le nom des coupables, et la justice devra tôt ou tard se saisir de cette affaire.
Je rappelle d’ailleurs que lorsque j’étais président du conseil régional de Guadeloupe, nous avons introduit une class action devant le tribunal fédéral de New York. Cette plainte, instruite par un cabinet parisien, est toujours pendante.
Depuis la loi Hamon, la législation française permet d’engager une action de groupe.
La Cour de cassation a été saisie, et même la Cour de justice de l’Union européenne. Hélas, ces plaintes sont embourbées dans les méandres des procédures judiciaires depuis maintenant de longues années.
Il s’agit bien, à travers ce texte, que les responsables soient recherchés.
Oui, l’État a une triple responsabilité.
Premièrement, c’est lui qui a autorisé l’utilisation de ce pesticide jusqu’en 1990, alors même que sa toxicité était connue depuis les années soixante-dix, grâce notamment aux rapports Snegaroff de 1977 et Kermarrec de 1980. Outre ce blanc-seing octroyé aux industriels et producteurs pour poursuivre leur funeste entreprise, l’État a sciemment commis la faute inexcusable d’accorder une dérogation exceptionnelle de trois ans supplémentaires à nos industriels et commerçants pour l’utilisation de ce pesticide, déjà interdit depuis 1976 aux États-Unis.
Deuxièmement, l’État, sous couvert de l’Europe, a appuyé la demande des industriels pour relever à deux reprises, en 2008 et 2013, les limites maximales de résidus, seuil au-delà duquel la commercialisation des denrées alimentaires est interdite.
Actuellement, ces produits toxiques sont donc dans nos assiettes, outre-mer mais aussi dans l’Hexagone.
Enfin, troisièmement, par son attentisme, l’État n’a pas pris les décisions à même de répondre à la psychose collective qui s’est emparée de nos compatriotes.
Les études épidémiologiques, au nombre de quatre me semble-t-il, non actualisées et non répétées, sont insuffisantes et parcellaires.
Les plans chlordécone I, II et III évoqués par la ministre sont sous-dotés et sous-consommés. La traçabilité des produits est inopérante, les actions de prévention demeurent confidentielles et, j’ose l’affirmer, aucun plan en faveur d’une agriculture durable n’a été mis en place : pas de culture hors sol, pas d’excellence biologique, pas d’élevage en batterie.
L’État n’a eu à indemniser ni les planteurs, ni les pertes de production, ni les pêcheurs – ou si peu…
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Victorin Lurel. L’État n’a pas indemnisé les éleveurs, les viandes continuant à se vendre, ni les personnes contaminées et les malades, qu’il ignore.
Cette proposition de loi est une première et belle réponse. Mes paroles ont peut-être été drues et dures, madame la ministre, mes chers collègues, mais je pense que cette assemblée, compte tenu de sa culture, votera ce texte, qui relève de l’humanisme et de l’urgence absolue. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – MM. Guillaume Arnell, Éric Gold et Ronan Dantec applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Agnès Buzyn, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, j’entends et je suis totalement en phase avec vous sur la nécessité d’agir. Le Gouvernement l’a totalement intégrée, et c’est la raison pour laquelle un plan sur les phytosanitaires est en cours de discussion. La feuille de route est d’ores et déjà rédigée. Elle vise évidemment à réduire l’exposition à la fois des travailleurs exposés et des populations vulnérables. Elle tend aussi à l’éviction, à la substitution et à la prise de mesures de protection, ainsi qu’à l’amélioration de la reconnaissance et la prise en charge de ces maladies.
Il me semble donc plutôt que l’urgence consiste à réactualiser le tableau des maladies professionnelles. Nous savons que son ancienneté le dessert et qu’une remise à jour est impérative pour se conformer aux dernières données de la science.
Nous avons aussi à améliorer la reconnaissance des maladies faite au cas par cas par les comités régionaux de reconnaissance. Ces comités sont trop hétérogènes et ne tiennent pas forcément compte des données de la science. Un travail sera fait pour leur proposer des référentiels de prise en charge et une harmonisation des pratiques pour qu’il n’y ait plus d’aléa ou d’arbitraire.
Nous pouvons déjà, me semble-t-il, améliorer la prise en compte de ces malades avec les outils dont nous disposons aujourd’hui.
C’est la raison pour laquelle je vous propose d’abord d’analyser le plan du Gouvernement avant d’aller plus loin sur ce dossier.
Par ailleurs, monsieur Lurel, vous savez que l’État est extrêmement attentif à ce que le plan chlordécone III, qui date de 2014, mais qui va se déployer jusqu’en 2020, tienne ses promesses.
De nombreuses études scientifiques sont en cours dans le cadre de ce plan, avec un recueil de données épidémiologiques auprès des personnes, des enfants et des femmes enceintes qui vont permettre de mieux identifier les effets à moyen et long termes du chlordécone, les effets à court terme étant un peu mieux connus.
Nombre de mesures sont consacrées à l’information des populations aux Antilles. Nous avons notamment à travailler sur les jardins familiaux, pour éviter l’alimentation contaminée, et les agences régionales de santé ont mené beaucoup d’actions.
Je serais ravie de pouvoir rendre compte de l’évolution de ce plan devant vous et devant la commission des affaires sociales. (MM. Martin Lévrier, Richard Yung et Marc Laménie applaudissent.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi portant création d’un fonds d’indemnisation des victimes des produits phytopharmaceutiques
Article 1er
Peuvent obtenir la réparation intégrale de leurs préjudices :
1° Les personnes qui ont obtenu la reconnaissance, au titre de la législation française de sécurité sociale ou d’un régime assimilé ou de la législation applicable aux pensions civiles et militaires d’invalidité, d’une maladie professionnelle occasionnée par les produits phytopharmaceutiques mentionnés à l’article L. 253-1 du code rural et de la pêche maritime ;
2° Les personnes qui souffrent d’une pathologie résultant directement de l’exposition à des produits phytopharmaceutiques sur le territoire de la République française ;
3° Les enfants atteints d’une pathologie occasionnée par l’exposition de l’un de leurs parents à des produits phytopharmaceutiques sur le territoire de la République française.
Un arrêté des ministres chargés de la santé et de l’agriculture établit la liste des pathologies mentionnées au 2° et 3° du présent article.
M. le président. La parole est à M. Victorin Lurel, sur l’article.
M. Victorin Lurel. Après le discours de Mme la ministre, je veux crier mon désespoir, ma désespérance, et je profite de la discussion de l’article 1er pour redire certaines vérités qui me semblent très largement partagées par les Martiniquais et les Guadeloupéens.
Prétendre que les organochlorés ne peuvent pas figurer dans le périmètre de définition des produits phytopharmaceutiques au motif qu’ils ne sont plus distribués et sont interdits d’utilisation m’étonne. Vous l’avez entendu : la rémanence du produit est de six siècles, cette molécule ne se dégrade pas, elle est presque insécable et l’on sait qu’il s’agit d’un perturbateur endocrinien cancérogène, mutagène et reprotoxique.
C’est donc comme si l’on ignorait les malades d’hier, d’aujourd’hui et de demain, qui de surcroît continuent d’être contaminés, au moment où je vous parle, à cause des décisions prises par l’État.
À plusieurs reprises, nous avons autorisé la vente de ces produits après 1976, alors qu’un pays libéral comme les États-Unis l’avait interdite. Il en faut pourtant beaucoup pour que l’on interdise des produits de l’industrie chimique et pharmaceutique aux États-Unis.
Madame la ministre, vous savez que la limite maximale de résidus européenne, la LMR, est de 10 microgrammes. On l’a portée à 20 microgrammes pour pouvoir vendre nos bananes, nos légumes et ne pas devoir indemniser les planteurs et les éleveurs. Pour la viande rouge, le seuil de 20 microgrammes a été porté à 100 microgrammes en 2013. Pour les viandes blanches, le seuil a même été porté à 200 microgrammes. L’État et l’Europe ont pris ces décisions.
Aujourd’hui, il ne s’agit pas d’indemniser des producteurs, mais des malades. Et vous nous répondez, souffrez que je vous le dise : « Circulez, il n’y a rien à voir ! » parce qu’on n’utilise plus ces produits et qu’on n’a pas encore toutes les preuves scientifiques du lien de causalité…
Madame la ministre, vivant dans une zone contaminée au chlordécone, je suis peut-être moi-même intoxiqué.
Je me suis penché sur ces sujets, j’ai été président de région, je peux vous dire qu’on n’a pas fait de plan. Cela fait des années que je proteste.
Je ne vous mets pas en cause personnellement. J’ai moi-même été membre d’un gouvernement précédent et nous sommes tous collectivement responsables.
Mon discours est certes un peu passionné, parce que nous sommes directement touchés aux Antilles et que nous avons l’impression d’une certaine indifférence de l’Hexagone.
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue !
M. Victorin Lurel. Oui, je vais conclure ! Le rapporteur partage notre avis : le chlordécone et le paraquat appartiennent bien à la famille des produits phytopharmaceutiques. Pour le faire reconnaître, nous demandions la cosignature du ministre des outre-mer.
M. le président. Mon cher collègue, vous avez dépassé votre temps de parole. Concluez !
M. Victorin Lurel. Oui !
On nous a opposé l’article 40, car, apparemment, le simple fait de citer le mot « chlordécone » constitue une aggravation des charges publiques. Ce serait à mourir de rire si cela ne me donnait pas envie de pleurer… (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. Ronan Dantec applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Joël Labbé, sur l’article.
M. Joël Labbé. Je me réjouis que le rapport fait par Nicole Bonnefoy au nom de la mission d’information présidée par Sophie Primas, voté à l’unanimité et considéré comme exemplaire, soit remis au goût du jour à travers cette proposition de loi extrêmement intéressante.
Madame la ministre, je fais partie de ceux qui ont été très déçus par vos propos. Le texte n’est sans doute pas parfait, mais nous sommes précisément là pour l’enrichir et l’améliorer. En revanche, dire qu’il faut prendre le temps… Il y a des malades qui n’ont plus le temps d’attendre, et qui précisément nous attendent !
Vous bottez en touche en disant que la priorité est de réactualiser les tableaux de maladies professionnelles, alors que cette réactualisation est déjà possible dans le texte. Quant à la priorité donnée à la prévention, elle est bien évidemment nécessaire. Mais on doit aussi faire œuvre curative et se préoccuper des gens qui sont malades.
Cet article 1er est essentiel, car il vise à reconnaître l’impact de ces produits sur les riverains, les professionnels exposés et les enfants des personnes exposées. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Conconne, sur l’article.
Mme Catherine Conconne. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, c’est avec grand plaisir que je participe aujourd’hui à ce débat sur la proposition de loi de ma collègue Nicole Bonnefoy et du groupe socialiste. Ce texte ne saurait mieux tomber.
En effet, depuis le 26 décembre dernier, la presse antillaise s’est fait l’écho de préoccupations relatives à une augmentation des limites maximales de résidus de chlordécone aux Antilles, les fameuses LMR, à la suite de l’étude « Kannari » de l’ANSES sur l’exposition de nos populations via les denrées alimentaires.
Je vous rappelle notre triste histoire avec le chlordécone, dont mon collègue Victorin Lurel vient de parler : autorisé aux Antilles en 1972, malgré les mises en garde de scientifiques et son interdiction dans l’agriculture hexagonale, ce pesticide a été utilisé pendant plus de 20 ans dans notre agriculture afin de lutter contre le charançon du bananier.
Nombre de rapports ont mis en évidence son caractère pathogène et toxique, ainsi que sa rémanence dans nos sols, de l’ordre de 600 ans ! Victorin Lurel l’a rappelé : c’est un scandale d’État !
Ce texte vise tout d’abord à protéger et défendre les malades des pesticides, au premier rang desquels les agriculteurs. Je me réjouis des travaux du Sénat, qui s’attellent aujourd’hui à améliorer la réparation du préjudice que subiront plusieurs générations.
Accepter d’indemniser est un premier pas vers la reconnaissance de ce scandale, un premier pas vers la responsabilité collective, que nous portons aussi.
Cette proposition de loi prévoit ensuite d’appliquer le principe du pollueur-payeur.
C’est avec un grand plaisir que je la soutiendrai, pour indemniser en particulier ceux qui ont été exposés au quotidien à ces maudits produits. Comme l’a dit voilà quelques instants l’un de nos collègues, cela relève de la justice sociale. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. – MM. Guillaume Arnell et Ronan Dantec applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bonnefoy, sur l’article.
Mme Nicole Bonnefoy. Madame la ministre, vous reconnaissez que tout le monde est exposé aux pesticides, et vous savez la nature des dommages sanitaires que les produits phytopharmaceutiques provoquent.
Pour autant, tout votre propos a été de nous demander d’attendre, encore attendre ! Vous soulignez même que l’on exonérerait les industriels de leur responsabilité en créant un fonds. Cet argument n’est absolument pas recevable, madame la ministre.
On ne peut pas dire aux victimes de se débrouiller dans des actions en réparation devant les tribunaux civils, car, vous le savez bien, la puissance des avocats des industriels est telle que c’est toujours la lutte du pot de fer contre le pot de terre.
Je vous rappelle l’histoire de Paul François, victime d’un empoisonnement aigu : il lui a fallu 6 ou 7 ans pour faire reconnaître sa maladie professionnelle et 15 ans de procédure devant les tribunaux – la procédure est toujours en cours – pour obtenir réparation.
Voilà la réalité, madame la ministre !
Faire comme si les industriels et les victimes étaient égaux devant la justice, c’est profondément injuste.
C’est bien parce que le lien de causalité est juridiquement difficile à établir qu’il faut mettre en place ce fonds d’indemnisation. En effet, celui-ci sera capable de démontrer l’existence de ce lien de causalité et, en conséquence, demandera la réparation intégrale. C’est cela, la justice, madame la ministre ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. – MM. Guillaume Arnell et Ronan Dantec applaudissent également.)
M. le président. L’amendement n° 8 rectifié, présenté par M. Bizet, Mme Gruny, MM. Gremillet, de Legge, Pillet, Magras et Savary, Mme Eustache-Brinio, M. Pellevat, Mme Procaccia, MM. Huré, Chaize, Rapin et Bazin, Mme Morhet-Richaud, MM. Dallier et Paul, Mme Primas, MM. Chatillon et B. Fournier, Mmes Deromedi et Duranton et MM. Paccaud, Danesi et Pointereau, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Après le mot :
pathologie
insérer le mot :
directement
La parole est à Mme Sophie Primas.
Mme Sophie Primas. Il s’agit d’un amendement de cohérence avec l’alinéa 3 de l’article 1er.
Le fonds a pour objet d’indemniser les préjudices résultant d’une pathologie directement occasionnée par l’exposition aux produits phytosanitaires utilisés sur le territoire français. Aussi, cet amendement a pour objet d’ajouter le mot « directement » pour établir le lien de cause à effet.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Bernard Jomier, rapporteur. Personne ne songerait à prendre en compte un lien qui ne serait pas direct entre l’exposition et la pathologie. Cet amendement a recueilli un avis favorable de la commission.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Agnès Buzyn, ministre. Vous proposez d’amender un texte dont je n’approuve pas le principe, pour les raisons que j’ai déjà exposées.
D’abord, les risques sur la santé des expositions environnementales ne sont malheureusement pas bien connus et sont insuffisamment documentés sur le plan scientifique. (Mme Laurence Cohen et M. Victorin Lurel s’exclament.)
Ensuite, un tel dispositif d’indemnisation serait déresponsabilisant, en particulier à l’égard des industriels. Même si je suis d’accord avec vous, les effets sur la santé des produits phytopharmaceutiques en général font l’objet d’un consensus scientifique concernant des expositions professionnelles. Il me semble plus pertinent de renforcer l’indemnisation dans le cadre du système préexistant des accidents du travail et des maladies professionnelles, et de donner la priorité absolue à la prévention des risques liés à ces produits.
C’est dans cette optique que le Gouvernement compte renforcer l’effort de recherche,…
Mme Laurence Cohen. Avec quels moyens ?
Mme Agnès Buzyn, ministre. … afin de mieux connaître les liens entre pathologie et exposition, mais également de développer les actions de protection des travailleurs et des populations à risque.
Dans ces conditions, le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Marc Laménie, pour explication de vote.
M. Marc Laménie. Je me rallie à cet amendement dont le mérite revient à ses cosignataires et auquel la commission a donné un avis favorable. Il s’agit d’un vrai problème de santé publique, comme en témoignent tous les arguments qu’ont développés nos collègues.
En vue de la reconnaissance de ces maladies professionnelles et accidents du travail par la branche AT-MP, il y a urgence à prendre des mesures en la matière. La situation dure depuis des années. Or on a trop tendance à banaliser ces maladies professionnelles. C’est pourquoi je salue tout le travail qui a été réalisé auparavant par la mission d’information et l’action de Mmes Bonnefoy, Primas et ceux de nos collègues qui se sont penchés sur ces différents enjeux de santé publique.
En conclusion, je soutiens cet amendement.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 9 rectifié, présenté par M. Bizet, Mme Gruny, MM. Gremillet, de Legge, Pillet, Magras et Savary, Mme Eustache-Brinio, M. Pellevat, Mme Procaccia, MM. Huré, Chaize, Rapin et Bazin, Mme Morhet-Richaud, MM. Dallier et Paul, Mme Primas, MM. Chatillon, Poniatowski et B. Fournier, Mmes Deromedi et Duranton et MM. Paccaud, Danesi et Pointereau, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Supprimer cet alinéa.
La parole est à Mme Sophie Primas.
Mme Sophie Primas. Un arrêté des ministres chargés de la santé et de l’agriculture ne peut valablement établir une liste des pathologies mentionnées aux 2° et 3° du présent article sans un avis préalable d’experts médicaux compétents – vous êtes extrêmement compétente, madame la ministre, mais ce n’est pas toujours le cas de certains ministres, y compris de leur cabinet – sur le lien de causalité entre la pathologie et l’exposition aux produits phytopharmaceutiques.
Il relève de la compétence exclusive de la commission médicale du fonds prévue à l’alinéa 5 de l’article 3, composée d’experts médicaux indépendants, de déterminer les pathologies directement occasionnées par l’exposition aux produits phytosanitaires au regard des demandes d’indemnisation.
M. le président. L’amendement n° 2 rectifié bis, présenté par M. Lurel, Mme Jasmin, M. Iacovelli, Mmes Conway-Mouret et Perol-Dumont, MM. Duran et Vaugrenard, Mmes Espagnac, Taillé-Polian, Artigalas, Lepage et Féret, M. Manable, Mmes Monier et Conconne, MM. Roux et Daunis, Mme Harribey et MM. Assouline, Magner, Cabanel, Antiste, Marie et Daudigny, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Après le mot :
santé
insérer les mots :
, des outre-mer
La parole est à M. Victorin Lurel.
M. Victorin Lurel. Nous nous sommes retrouvés face au mur de l’irrecevabilité financière de l’article 40 de la Constitution, pour avoir simplement cité le chlordécone et le paraquat. Afin de bien montrer que l’ensemble du territoire est concerné, cet amendement prévoit d’associer le ministre des outre-mer à la définition, aux côtés de ses collègues ministres de la santé et de l’agriculture, de la liste des pathologies concernées.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Bernard Jomier, rapporteur. Ces deux amendements visent à préciser le mode d’entrée dans le dispositif. Il est prévu une commission médicale indépendante pour statuer, sur le modèle, là encore, des différents fonds qui existent actuellement, sur l’existence ou non d’un lien de causalité entre l’exposition et la pathologie. Il ne paraît pas cohérent que la commission médicale chargée de statuer en donnant un avis sur les dossiers individuels soit celle qui dresse la liste des pathologies concernées.
Nous avons renvoyé à un arrêté conjoint des ministres, qui devra évidemment s’appuyer sur les données existantes et incontestables figurant à l’un des quinze tableaux de maladies professionnelles du régime de la mutualité sociale agricole, la MSA. L’arrêté pourra également s’appuyer sur l’expertise collective de l’INSERM.
Par conséquent, la commission émet un avis défavorable sur l’amendement n° 9 rectifié.
Faut-il ajouter aux ministres de la santé et de l’agriculture, le ministre chargé des outre-mer ? Traditionnellement, la précision n’est pas apportée, car les premiers sont compétents sur l’ensemble du territoire de la République. Néanmoins, la commission a estimé que la situation des Antilles était particulière à l’égard de ce dossier, avec des expositions très importantes.
C’est pourquoi la commission s’en remet à la sagesse de notre assemblée sur l’amendement n° 2 rectifié bis.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Agnès Buzyn, ministre. Le Gouvernement est défavorable à ces amendements, pour les mêmes raisons que précédemment.
M. le président. La parole est à Mme Sophie Primas, pour explication de vote.
Mme Sophie Primas. J’ai entendu les arguments de M. le rapporteur : je retire l’amendement n° 9 rectifié.
Mme Sophie Primas. Sur l’amendement n° 2 rectifié bis, pourquoi ne pas associer le ministre de la cohésion des territoires ? En effet, il représente tous les territoires français, qui sont touchés comme l’outre-mer par les mêmes problématiques.
M. le président. Je mets aux voix l’article 1er, modifié.
(L’article 1er est adopté.)
Article 2
Il est créé un « Fonds d’indemnisation des victimes des produits phytopharmaceutiques » géré par la caisse centrale de la mutualité sociale agricole mentionnée à l’article L. 723-11 du code rural et de la pêche maritime.
Ce fonds a pour mission de réparer les préjudices définis à l’article premier de la présente loi. Il comprend un conseil de gestion dont la composition est fixée par décret. Il est représenté à l’égard des tiers par le directeur de la caisse centrale de la mutualité sociale agricole.
M. le président. La parole est à M. Victorin Lurel, sur l’article.
M. Victorin Lurel. Je profite de cette prise de parole pour continuer à répondre aux arguments de Mme la ministre. Selon elle, indemniser dans le format et l’économie que nous avons proposés reviendrait à déresponsabiliser les industriels, au travers d’une sorte de mutualisation du risque. Nous n’y croyons pas, car l’article 6 de la proposition de loi prévoit une subrogation dans les droits. Rien n’empêche au demandeur, au patient, de demander réparation au responsable, employeur, industriel. La question a sa réponse. Par conséquent, vos arguments ne tiennent pas, madame la ministre.
Par ailleurs, pour ce qui concerne les outre-mer, vous remettez en cause les études épidémiologiques, qui sont fort peu nombreuses – quatre ou cinq –, je le reconnais avec vous, dont Karu-prostate. Ce sont les professeurs Blanchet et Multigner qui ont établi le lien de causalité, sauf si l’on remet en cause la scientificité de ces études, entre l’exposition au chlordécone et, notamment, le cancer de la prostate. Pour les enfants, je citerai les études Timoun, Kannari et Hibiscus.
Si vous affirmiez que la représentativité de l’échantillon et le nombre d’études épidémiologiques sont insuffisants, je le reconnaîtrais, mais cela signifierait que l’État n’a pas injecté assez de moyens. Ceux-ci sont passés de 36 millions à 30 millions d’euros, 10 millions par an, peut-être pas toujours consommés. De plus, l’information est lacunaire et parcellaire. Nous avons donc encore du travail.
M. le président. La parole est à M. Joël Labbé, sur l’article.
M. Joël Labbé. S’il semble logique de confier de manière formelle la gestion du fonds d’indemnisation à la MSA, il faudra être très vigilant sur la composition du conseil de gestion, afin que celui-ci soit impartial, transparent et compétent médicalement, et représente à la fois les riverains et les agriculteurs, les enfants des personnes exposées et les salariés.
Toutefois, la proposition de nos collègues du groupe Les Républicains d’intégrer par anticipation des représentants de l’industrie phytopharmaceutique au sein de ce conseil de gestion semble propice aux conflits d’intérêts, car, cela a été souligné, ceux-ci seront à la fois financeurs, pollueurs, « indemnisateurs » – cela fait un peu beaucoup –, c’est-à-dire juge et partie, cherchant à tout prix – on sait qu’ils fonctionnent ainsi – à empêcher la reconnaissance des pathologies dans l’espoir d’amoindrir leur contribution financière à ce fonds.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Conconne, sur l’article.
Mme Catherine Conconne. Je tiens également à saluer l’amélioration de l’expertise pour la détermination des liens entre exposition et pathologie. La création de ce fonds d’indemnisation des victimes des produits phytopharmaceutiques, assorti d’une commission médicale autonome, me semble très efficace.
Aujourd’hui, l’évaluation des risques est permanente, et c’est avec exactitude que l’on suit l’évolution entre exposition et effets potentiels sur la santé humaine. Cette commission aura pour effet concomitant de rassurer nos populations qui subissent encore et toujours les effets des fake news et de préjugés, aussi longtemps répandus dans nos mentalités que le chlordécone sur nos sols.
M. le président. La parole est à M. Olivier Jacquin, sur l’article.
M. Olivier Jacquin. J’étais venu apporter mon vote, je voudrais aussi faire entendre ma voix en tant qu’agriculteur en exercice ayant utilisé des produits phytosanitaires, car je trouve vos propos, madame la ministre, désespérants pour les victimes.
Je ne connais pas l’exemple du chlordécone, qui m’apparaît absolument scandaleux, mais la puissance publique a très largement incité à l’utilisation des produits phytosanitaires en métropole. J’ai le souvenir, lorsque j’étais enfant, de mon père écoutant un technicien lui vanter la qualité des produits qui étaient, selon lui, bon pour la santé, et l’inciter à les toucher sans protection. Pour ma part, j’ai eu la chance d’être extrêmement sensible à ces produits et de m’être protégé très tôt. Mais on ne peut pas se protéger totalement.
J’ai régulièrement été affecté par des vomissements, des maux de tête, et j’ai connu nombre de victimes dans mon environnement. Un membre de l’association Phyto-Victimes est présent ici : Dominique Marshall, habitant de mon département, qui est le premier malade en France à avoir été reconnu comme tel par la MSA ; affaibli et souffrant, c’est grâce à la ténacité de son épouse qu’il a su apporter la preuve directe du lien de causalité, mais dans un combat infernal, insensé, démesuré, inhumain.
Madame la ministre, je voulais verser au débat un peu d’humanité pour qu’il soit empreint de plus de justice. Je vous demande de l’entendre ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. – M. Ronan Dantec applaudit également.)
M. le président. L’amendement n° 3 rectifié bis, présenté par M. Lurel, Mme Jasmin, M. Iacovelli, Mmes Conway-Mouret et Perol-Dumont, MM. Duran et Vaugrenard, Mmes Espagnac, Taillé-Polian, Artigalas, Lepage et Féret, M. Manable, Mmes Monier et Conconne, MM. Roux et Daunis, Mme Harribey et MM. Assouline, Magner, Cabanel, Antiste, Marie et Daudigny, est ainsi libellé :
Alinéa 2, deuxième phrase
Remplacer le mot :
décret
par les mots :
arrêté conjoint des ministres chargés de la santé, des outre-mer et de l’agriculture
La parole est à M. Victorin Lurel.
M. Victorin Lurel. Cet amendement est défendu, monsieur le président.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Bernard Jomier, rapporteur. Cet amendement prévoit que la composition du conseil de gestion est fixée par un arrêté et non plus par un décret du Premier ministre. Il a donc pour objet d’abaisser le niveau réglementaire de la constitution dudit conseil, ce qui, aux yeux de la commission, n’est pas de bonne politique.
Nous souhaitons que la composition du conseil de gestion soit bien fixée par un décret du Premier ministre. Le décret pourra comprendre les signatures des ministres concernés et, pourquoi pas, du ministre des outre-mer, mais il ne pourra en aucun cas être remplacé par un simple arrêté interministériel.
Par conséquent, la commission sollicite le retrait de cet amendement ; à défaut, elle émettra un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Agnès Buzyn, ministre. Pour les mêmes raisons que précédemment, j’émets un avis défavorable, puisque, globalement, je ne suis pas favorable à cette proposition de loi.
Cela étant dit, je voudrais rassurer M. Lurel. Ayant présidé l’Institut national du cancer, j’ai eu à travailler sur le plan chlordécone et les difficultés à identifier des effets à moyen et à long terme, car les effets à court terme du chlordécone sont connus. Ayant aussi été vice-présidente du Centre international de recherche sur le cancer, le CIRC, qui dépend de l’Organisation mondiale de la santé…
M. Patrick Kanner. Vous êtes ministre, madame !
Mme Agnès Buzyn, ministre. Oui, mais je voudrais répondre spécifiquement à M. Lurel sur la problématique du chlordécone, qui, pour l’instant, est classé par l’OMS comme un cancérogène possible, donc 2B. Cela signifie que le niveau de preuve des études que vous citez n’est pas suffisant aujourd’hui pour affirmer le lien entre le cancer et le chlordécone. C’est toute la difficulté, puisque l’OMS et le CIRC continuent de considérer qu’il s’agit d’un cancérogène du groupe 2B.
C’est pourquoi, sur le plan scientifique, nous avons de façon volontariste – et lorsque j’étais à l’INCa, j’ai voulu financer ces études – essayé d’aller plus loin dans la connaissance des effets secondaires du chlordécone sur le territoire antillais. Mes équipes et moi-même y avons aussi travaillé, parce que, sur le plan méthodologique, c’est excessivement compliqué, car il s’agit d’expositions très anciennes qui touchent l’ensemble de la population.
Aussi, c’est un problème scientifique qui persiste aujourd’hui, monsieur Lurel. Sachez à quel point j’ai été mobilisée et je continue de l’être en ma qualité de ministre pour essayer de mieux comprendre les effets à moyen et long termes du chlordécone sur vos populations.
M. le président. Je vais mettre aux voix l’amendement n° 3 rectifié bis.
M. Victorin Lurel. Je retire cet amendement, monsieur le président !
M. le président. L’amendement n° 3 rectifié bis est retiré.
L’amendement n° 10 rectifié, présenté par M. Bizet, Mme Gruny, MM. Gremillet, de Legge, Pillet, Magras et Savary, Mme Eustache-Brinio, MM. Pellevat, Huré, Chaize, Rapin et Bazin, Mme Morhet-Richaud, MM. Dallier, Paul, Chatillon, Poniatowski et B. Fournier, Mmes Deromedi et Duranton et MM. Paccaud, Danesi et Pointereau, n’est pas soutenu.
La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote sur l’article 2.
Mme Laurence Cohen. Ce débat est extrêmement important. J’entends les explications de Mme la ministre et je ne doute pas de son engagement. Je voudrais cependant exprimer un certain nombre de préoccupations, car, comme je l’ai dit lors de mon propos liminaire au nom du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, cette prudence, ce désir d’obtenir la preuve scientifique, cette nécessité de développer une politique de prévention, tout le monde les partage.
Or le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 que nous avons voté récemment ne comprenait pas les moyens pour développer une telle politique dans quelque domaine que ce soit. Et comme l’a très bien souligné Mme Bonnefoy, nous nous trouvons face à des lobbies industriels qui ont non seulement des moyens financiers juridiques énormes, mais également des moyens financiers humains importants. De surcroît, le temps joue en faveur des gros industriels, car les personnes malades pour avoir été victimes d’exposition ont une durée d’action extrêmement limitée du fait de la progression de la maladie.
Par conséquent, les arguments que vous développez, madame la ministre, sont difficiles à entendre pour le législateur que nous sommes, dont la mission est justement d’élaborer la loi et de poser des cadres pour défendre les plus fragiles.
Personnellement, je ne doute pas que vous soyez sensible au témoignage de notre collègue ; il m’a beaucoup touchée, car il fait écho aux propos des uns et des autres. C’est du vécu. Selon vous, madame la ministre, il faut attendre, nous devons vous laisser du temps. Pour ma part, j’ai un peu de mal à signer des chèques en blanc, d’ailleurs, à quelque gouvernement que ce soit. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Guillaume Arnell, pour explication de vote.
M. Guillaume Arnell. Madame la ministre, vos compétences ne sont nullement remises en question, car nous connaissons votre attachement au monde de la santé et aux organismes que vous avez dirigés.
Toutefois, nos populations ne comprendraient pas que, dans cet hémicycle, sur une question aussi importante, nous ne soyons pas des avocats déterminés et farouchement opposés à une nouvelle attente.
Je peux citer une multitude d’exemples, dont le diéthylstilbestrol et la dépakine – même si ce sont des médicaments. Vous êtes peut-être mieux placée que moi pour trouver une liste exhaustive ou non exhaustive de produits qui, au départ, laissaient perplexes et qui se sont révélés nocifs par la suite. Cette liste est, me semble-t-il, beaucoup plus longue que celle des produits pour lesquels, après vérification, aucune relation de cause à effet n’a été démontrée. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain. – M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)
M. le président. Je mets aux voix l’article 2.
(L’article 2 est adopté.)
Article 3
Le demandeur justifie de l’exposition à des produits phytopharmaceutiques et de l’atteinte à l’état de santé de la victime.
Il en informe le fonds des autres procédures relatives à l’indemnisation des préjudices définis à l’article premier éventuellement en cours. Si une action en justice est intentée, il informe le juge de la saisine du fonds.
Si la maladie est susceptible d’avoir une origine professionnelle et en l’absence de déclaration préalable par la victime, le fonds transmet sans délai le dossier à l’organisme concerné au titre de la législation française de sécurité sociale ou d’un régime assimilé ou de la législation applicable aux pensions civiles et militaires d’invalidité. Cette transmission vaut déclaration de maladie professionnelle. Elle suspend le délai prévu à l’article 4 de la présente loi jusqu’à ce que l’organisme concerné communique au fonds les décisions prises. En tout état de cause, l’organisme saisi dispose pour prendre sa décision d’un délai de trois mois, renouvelable une fois si une enquête complémentaire est nécessaire. Faute de décision prise par l’organisme concerné dans ce délai, le fonds statue dans un délai de trois mois.
Le fonds examine si les conditions d’indemnisation sont réunies. Il recherche les circonstances de l’exposition aux produits phytopharmaceutiques et ses conséquences sur l’état de santé de la victime ; il procède ou fait procéder à toute investigation et expertise utiles sans que puisse lui être opposé le secret professionnel ou industriel.
Au sein du fonds, une commission médicale indépendante se prononce sur l’existence d’un lien entre l’exposition aux produits phytopharmaceutiques et la survenue de la pathologie. Sa composition est fixée par un arrêté des ministres chargés de la santé et de l’agriculture.
Vaut justification de l’exposition à des produits phytopharmaceutiques la reconnaissance d’une maladie professionnelle occasionnée par ces produits au titre de la législation française de sécurité sociale ou d’un régime assimilé ou de la législation applicable aux pensions civiles et militaires d’invalidité.
Vaut également justification du lien entre l’exposition à des produits phytopharmaceutiques et le décès la décision de prise en charge de ce décès au titre d’une maladie professionnelle occasionnée par des produits phytopharmaceutiques en application de la législation française de sécurité sociale ou d’un régime assimilé ou de la législation applicable aux pensions civiles et militaires d’invalidité.
Dans les cas valant justification de l’exposition aux produits phytopharmaceutiques mentionnés aux deux alinéas précédents, le fonds peut verser une provision si la demande lui en a été faite. Il est statué dans le délai d’un mois à compter de la demande de provision.
Le fonds peut requérir de tout service de l’État, collectivité publique, organisme assurant la gestion des prestations sociales, organisme assureur susceptibles de réparer tout ou partie du préjudice, la communication des renseignements relatifs à l’exécution de leurs obligations éventuelles.
Les renseignements ainsi recueillis ne peuvent être utilisés à d’autres fins que l’instruction de la demande faite au fonds d’indemnisation et leur divulgation est interdite. Les personnes qui ont à connaître des documents et informations fournis au fonds sont tenues au secret professionnel.
Le demandeur peut obtenir la communication de son dossier, sous réserve du respect du secret médical.
M. le président. La parole est à M. Victorin Lurel, sur l’article.
M. Victorin Lurel. Madame la ministre, il n’a jamais été question de remettre en cause votre expertise et votre engagement. Je vous remercie très sincèrement de cette réponse, empreinte d’émotion. Nous avons une chance de vous avoir, car vous êtes une professionnelle avertie.
Dans ma famille, je vis cette situation au quotidien et constate la psychose collective qui s’instaure aujourd’hui en Guadeloupe et en Martinique. Dire ici qu’il faut attendre, que nous avons le temps de voir, c’est adopter la même attitude que lors de l’affaire du sang contaminé, de l’amiante, de la dépakine, etc. Et si vous dites vous-même qu’il s’agit d’un cancérogène probable,…
M. Victorin Lurel. … possible, pourquoi alors avoir accepté de relever les LMR de 10 microgrammes à 20 microgrammes autorisés pour commercialiser et consommer le produit visé ?
Les populations entendent ces informations et parlent d’empoisonnement. Certains, excessifs, vont même jusqu’à évoquer un « génocide par empoisonnement ». Moi, je ne veux pas entendre ces mots. Mais par ce silence ou cette indifférence, on donne l’impression d’être éloigné des préoccupations de nos concitoyens.
La question n’est pas posée : pourquoi avoir augmenté les limites maximales de résidus dans les viandes rouges de 20 microgrammes à 100 microgrammes et dans les viandes blanches, les volailles et les œufs, de 20 microgrammes à 200 microgrammes, soit une multiplication par 10, alors que vous dites que les effets cancérogènes sont possibles ? Pourquoi prendre un tel risque ? Pourquoi l’État reste-t-il inerte ?
M. le président. La parole est à M. Joël Labbé, sur l’article.
M. Joël Labbé. Mon intervention ira dans le même sens. Je ne conteste nullement l’expertise de Mme la ministre, mais il y a lieu d’agir, car cela fait trop longtemps que l’on évoque le sujet et que des malades attendent. Certains vivent un véritable parcours du combattant et d’autres sont médiatisés à l’instar de Paul François. Deux Bretons sont victimes de la société Triskalial, Laurent Guillou et Stéphane Rouxel – je tiens à les nommer. Ils luttent avec force depuis longtemps et sont appuyés par un comité de soutien et par l’association Phyto-Victimes, mais ils ne parviennent pas à obtenir la reconnaissance de leur maladie. C’est humainement insupportable !
Le mécanisme de l’article 3 est essentiel pour faciliter le parcours des victimes, accélérer leur indemnisation, garantir le secret médical, voire, comme le prévoit un amendement de nos collègues du groupe Les Républicains, le secret industriel et commercial. Ce dernier peut en effet empêcher des victimes de prouver leur intoxication, car elles se voient refuser l’analyse même des substances présentes dans leur corps. En effet, pour analyser, il faut connaître la formule, or celle-ci est secrète.
Il faut donc un intermédiaire, la commission médicale prévue à cet article, qui aura pour mission de caractériser le lien entre les expositions et les pathologies, de garantir le secret médical ainsi que le secret industriel et commercial. Comme dans le cas du conseil de gestion du fonds, la composition de la commission médicale sera essentielle pour garantir son impartialité, sa transparence et sa compétence médicale. En effet, nous savons aujourd’hui les dégâts que peuvent engendrer les conflits d’intérêts dans les questions de santé publique. (M. Henri Cabanel applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Conconne, sur l’article.
Mme Catherine Conconne. Je partage les propos de mon collègue Victorin Lurel : madame la ministre, nous avons la chance de vous avoir. Vous êtes une professionnelle, vous avez dirigé l’Institut national du cancer, je vous ai vu à l’œuvre dans un dossier qui nous tient particulièrement à cœur, celui du centre hospitalier universitaire de Martinique, le CHUM. J’ai vu en vous une femme ouverte, sérieuse, rigoureuse, mais également pleine du sens de l’initiative. Aussi, nous comptons sur votre solidarité.
C’est pourquoi je me réjouis que cette proposition de loi facilite le parcours de reconnaissance de la maladie professionnelle. Ce texte vise à mettre un terme à cette autre injustice faite aux victimes que constituent la longueur et la difficulté des procédures visant à faire reconnaître le lien entre exposition et pathologie et à obtenir une indemnisation.
Cette procédure simplifiée, uniformisée et plus juste pour les malades permettra un traitement efficace et impartial des préjudices subis par nos professionnels exposés. L’introduction en commission des affaires sociales de la présomption de causalité, en remplacement de la justification du lien direct, permettra un accès facilité aux soins. Elle favorisera également un changement de mentalité pour et autour des victimes, pour lesquelles la justification de l’existence d’un lien de cause à effet entre exposition et pathologie, outre qu’elle était contraignante à évaluer, tenait du chemin de croix, si ce n’est du parcours du combattant ! (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain. – M. Joël Labbé applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Agnès Buzyn, ministre. Je souhaite juste apporter quelques précisions à M. Lurel sur les seuils limites de taux de chlordécone. Vous avez raison, monsieur le sénateur, et nous avons nous-mêmes été troublés de l’élévation des seuils ; le ministère de la santé a d’ores et déjà saisi l’Union européenne pour les modifier de nouveau.
Mme Catherine Conconne. Merci !
Mme Agnès Buzyn, ministre. Par ailleurs, nous continuons à regarder très attentivement les taux de chlordécone dans la nourriture proposée à la population. Néanmoins, lorsque cette dernière consomme des denrées alimentaires en dehors des circuits de distribution contrôlés, nous ne maîtrisons plus la situation. C’est pourquoi l’information doit être renforcée pour que tous aient accès à une nourriture saine.
Mme Catherine Conconne. Merci !
M. le président. L’amendement n° 11 rectifié bis, présenté par M. Bizet, Mme Gruny, MM. Gremillet, de Legge, Pillet, Magras et Savary, Mme Eustache-Brinio, M. Pellevat, Mme Procaccia, MM. Huré, Rapin et Bazin, Mme Morhet-Richaud, MM. Dallier, Paul, Chatillon, Poniatowski et B. Fournier, Mmes Deromedi et Duranton et MM. Paccaud, Danesi et Pointereau, n’est pas soutenu.
L’amendement n° 12 rectifié, présenté par M. Bizet, Mme Gruny, MM. Gremillet, de Legge, Pillet, Magras et Savary, Mme Eustache-Brinio, M. Pellevat, Mme Procaccia, MM. Huré, Chaize, Rapin et Bazin, Mme Morhet-Richaud, MM. Dallier, Paul, Chatillon, Poniatowski et B. Fournier, Mmes Deromedi et Duranton et MM. Paccaud, Danesi et Pointereau, n’est pas soutenu.
L’amendement n° 4 rectifié bis, présenté par M. Lurel, Mme Jasmin, M. Iacovelli, Mmes Conway-Mouret et Perol-Dumont, MM. Duran et Vaugrenard, Mmes Espagnac, Taillé-Polian, Artigalas, Lepage et Féret, M. Manable, Mmes Monier et Conconne, MM. Roux et Daunis, Mme Harribey et MM. Assouline, Magner, Cabanel, Antiste, Marie et Daudigny, est ainsi libellé :
Alinéa 5, seconde phrase
Après le mot :
santé
insérer les mots :
, des outre-mer
La parole est à M. Victorin Lurel.
M. Victorin Lurel. Cet amendement est défendu, monsieur le président.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Bernard Jomier, rapporteur. Pour les raisons que j’ai précédemment exposées au titre d’un amendement similaire, la commission s’en remet à la sagesse du Sénat.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 13 rectifié, présenté par M. Bizet, Mme Gruny, MM. Gremillet, de Legge, Pillet, Magras et Savary, Mme Eustache-Brinio, M. Pellevat, Mme Procaccia, MM. Huré, Chaize, Rapin et Bazin, Mme Morhet-Richaud, MM. Dallier et Paul, Mme Primas, MM. Chatillon, Poniatowski et B. Fournier, Mmes Deromedi et Duranton et MM. Paccaud, Danesi et Pointereau, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Compléter cet alinéa par deux phrases ainsi rédigées :
La commission peut procéder ou diligenter à toute expertise et investigation utiles. Les informations échangées au sein de la commission médicale sont confidentielles.
La parole est à Mme Sophie Primas.
Mme Sophie Primas. La commission médicale doit disposer de la possibilité de procéder, ou de faire procéder, à toute expertise et investigation utiles à l’examen du lien direct entre l’exposition aux produits phytopharmaceutiques et la pathologie alléguée.
De plus, les données échangées au sein de cette commission doivent rester confidentielles, afin que le secret médical soit préservé, ainsi que le secret industriel et commercial.
Joël Labbé l’a déjà dit : cette instance que je qualifierai de neutre garantira non seulement l’accès aux données nécessaires pour juger de la situation, mais aussi le respect du secret lié aux personnes et aux activités industrielles.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Bernard Jomier, rapporteur. Mes chers collègues, Jean-Marie Mizzon parlait de la nécessité de simplification et de rationalisation : or, simplifier et rationaliser, c’est tenir compte des expériences précédentes pour ne pas produire, ex nihilo, des dispositifs excessivement complexes.
Ainsi, comme vous l’avez noté, ce mécanisme a été conçu par parallélisme avec les autres fonds existants. Le rôle de cette commission médicale sera de recevoir, sur la base d’une présomption de causalité, les dossiers qui lui seront transmis. Cette disposition est, elle aussi, tout à fait conforme à la jurisprudence existant en la matière.
En outre, cette instance devra disposer des moyens d’établir la réalité du lien entre l’exposition alléguée et la pathologie constatée.
Bien sûr, dans ce cadre, la commission médicale doit pouvoir procéder aux investigations utiles. Toutefois, la rédaction de l’alinéa 4 du présent article ne vous a pas échappé, madame Primas : en vertu de ces dispositions, le fonds, ou, naturellement, la commission médicale, « procède ou fait procéder à toute investigation et expertise utiles ».
En conséquence, selon la commission, les dispositions de votre amendement sont satisfaites par ledit alinéa. Dès lors, elles lui paraissent redondantes. Voilà pourquoi elle émet un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à Mme Sophie Primas, pour explication de vote.
Mme Sophie Primas. Monsieur le rapporteur, qu’en est-il de la seconde phrase du troisième alinéa de cet amendement : « Les informations échangées au sein de la commission médicale sont confidentielles » ? Ces dispositions sont-elles également redondantes ?
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Bernard Jomier, rapporteur. Chère collègue, cette phrase est bel et bien redondante elle aussi, et pour cause, il s’agit là du droit commun. Les informations échangées au sein d’une commission médicale portent sur des données personnelles, comme on le verra dans la suite de cette discussion. Elles sont évidemment confidentielles.
Cela étant, je vous rappelle que les dispositions précises de la procédure ont été renvoyées, par l’article 9 que la commission a ajouté à cette proposition de loi, à l’échelon réglementaire.
Ainsi, votre amendement contient bien deux parties distinctes. La seconde pouvait se discuter ; la première est tout à fait redondante.
M. le président. Madame Primas, l’amendement n° 13 rectifié est-il maintenu ?
Mme Sophie Primas. Dans la mesure où je ne peux pas découper cet amendement, je préfère le maintenir en le laissant entier.
En effet, je préfère que ces dispositions figurent noir sur blanc. Je conçois que, au sein de la commission considérée, le secret médical est garanti de fait. Toutefois, le secret médical est une chose, le secret industriel en est une autre : or, dans la pratique, ce second secret n’est pas couvert au sein des commissions médicales.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Bernard Jomier, rapporteur. Madame Primas, sauf erreur de ma part, le secret industriel fait l’objet d’un amendement, et nous en débattrons dans quelques instants. À ce titre, je vous l’assure, vous serez ravie de l’avis de la commission ! (Sourires.)
M. le président. L’amendement n° 5 rectifié ter, présenté par M. Lurel, Mme Jasmin, M. Iacovelli, Mmes Conway-Mouret et Perol-Dumont, MM. Duran et Vaugrenard, Mmes Espagnac, Taillé-Polian, Artigalas, Lepage et Féret, M. Manable, Mmes Monier et Conconne, MM. Roux et Daunis, Mme Harribey et MM. Assouline, Magner, Cabanel, Antiste, Marie et Daudigny, est ainsi libellé :
I. – Après l’alinéa 5
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
Au sein du fonds, une commission scientifique indépendante se prononce sur l’existence d’un lien direct entre l’utilisation du chlordécone et du paraquat et son incidence sur la pollution des sols et des rivières de Guadeloupe et de Martinique. Sa composition est arrêtée par les ministres chargés de l’agriculture, de l’environnement et des outre-mer. Ses membres ne sont pas rémunérés et aucun frais lié au fonctionnement de cette commission ne peut être pris en charge par une personne publique.
II. – Compléter cet article par deux paragraphes ainsi rédigés :
… – La perte de recettes résultant pour les organismes de sécurité sociale du présent article est compensée, à due concurrence, par la création d’une contribution additionnelle à la contribution mentionnée à l’article L. 136–7–1 du code de la sécurité sociale.
… – La perte de recettes résultant pour l’État du présent article est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits mentionnés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
La parole est à M. Victorin Lurel.
M. Victorin Lurel. À travers cet amendement, nous demandons la création d’une commission scientifique indépendante, dont les membres ne seraient pas rémunérés.
J’ose le dire devant cette auguste assemblée, puisque le gage est presque levé : c’est l’astuce que nous avons trouvée pour contourner l’article 40 et citer, nommément, le chlordécone et le paraquat, produits de la famille des organochlorés.
Une telle instance permettrait d’ailleurs de mieux identifier les lieux d’exposition : ainsi, on établirait un lien entre l’utilisation de ces produits et la contamination elle-même, en particulier la pollution. Ce faisant, lorsqu’un demandeur se présenterait devant la commission médicale, on disposerait déjà de convergences, voire de preuves, qui permettraient de décider de manière plus sûre.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Bernard Jomier, rapporteur. Monsieur Lurel, vous proposez de créer une commission médicale ad hoc,…
M. Victorin Lurel. Non, scientifique !
M. Bernard Jomier, rapporteur. … une commission scientifique qui, entre autres missions, serait chargée d’étudier le lien entre, d’une part, l’utilisation du chlordécone et du paraquat et, de l’autre, son incidence sur la pollution des sols et des rivières en Guadeloupe et en Martinique.
Je le répète : il est très clair que le chlordécone et le paraquat sont des produits phytopharmaceutiques. Le fait qu’ils ne soient plus utilisés n’oppose aucun obstacle à la réparation des dommages subis. Il va de soi que l’utilisation de ces produits et ses conséquences sur la santé sont incluses dans l’objet du fonds que nous proposons de créer.
Ainsi, une telle précision n’est pas nécessaire. La discussion scientifique quant à la réalité du lien entre l’exposition d’une personne et les conséquences sur sa santé constitue un autre sujet.
Je me permets d’attirer l’attention de la Haute Assemblée sur ce point : la causalité individuelle et la causalité collective sont deux choses bien différentes. Il est prouvé que le tabac est un facteur de cancer du poumon : c’est une certitude. Mais, dans le cas d’un individu atteint de cette affection, eût-il été fumeur, vous ne pouvez pas prouver que c’est le tabac qui a déclenché le cancer du poumon. Cela étant, le lien de causalité est très probable. En conséquence – c’est la jurisprudence en la matière –, la certitude juridique n’exige pas la certitude scientifique. (M. Victorin Lurel le concède.)
M. Bernard Jomier, rapporteur. Elle nécessite un faisceau de présomptions précises et concordantes qui s’appuie notamment sur les études scientifiques et sur les données générales.
Le raisonnement suivi est exactement le même pour ce qui concerne le chlordécone et le paraquat.
J’ajoute que cet amendement vise à étendre très largement les missions que nous souhaitons confier au fonds.
Pour l’ensemble de ces raisons, la commission émet un avis défavorable.
M. Yves Daudigny, vice-président de la commission des affaires sociales. Explication brillante !
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. Victorin Lurel, pour explication de vote.
M. Victorin Lurel. M. le rapporteur nous précise une fois de plus, et j’apprécie la récurrence de cette affirmation, que le chlordécone et le paraquat font bien partie des produits phytopharmaceutiques. Aussi, il confirme que ces substances ont tout à fait leur place dans le présent texte.
Compte tenu de l’assurance que j’ai obtenue, je retire mon amendement, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 5 rectifié ter est retiré.
L’amendement n° 14 rectifié, présenté par M. Bizet, Mme Gruny, MM. Gremillet, de Legge, Pillet, Magras et Savary, Mme Eustache-Brinio, M. Pellevat, Mme Procaccia, MM. Huré, Chaize, Rapin et Bazin, Mme Morhet-Richaud, MM. Dallier et Paul, Mme Primas, MM. Chatillon, Poniatowski et B. Fournier, Mmes Deromedi et Duranton et MM. Paccaud, Danesi et Pointereau, est ainsi libellé :
Alinéa 11
Compléter cet alinéa par les mots :
et du secret industriel et commercial
La parole est à Mme Sophie Primas.
Mme Sophie Primas. Monsieur le rapporteur, vous avez déjà observé que, en la matière, je demandais ceinture et bretelles : voici les bretelles ! (Sourires.) J’espère obtenir, cette fois-ci, un avis favorable quant au secret industriel et commercial.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Bernard Jomier, rapporteur. Madame Primas, j’ai déjà défloré la réponse de la commission, et j’en suis tout à fait navré pour le suspense de nos débats ! (Nouveaux sourires.) La commission est bien favorable à cet amendement.
Je rappelle que le secret industriel et commercial est déjà protégé par les dispositions communes. Néanmoins, puisqu’il vous importe que cette précision soit apportée dans le présent texte, la commission émet un avis favorable.
Mme Sophie Primas. Merci, monsieur le rapporteur !
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l’article 3, modifié.
(L’article 3 est adopté.)
Article 4
Dans les neuf mois à compter de la réception d’une demande d’indemnisation, le fonds présente au demandeur une offre d’indemnisation. Il indique l’évaluation retenue pour chaque chef de préjudice, ainsi que le montant des indemnités qui lui reviennent compte tenu des prestations énumérées à l’article 29 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 tendant à l’amélioration de la situation des victimes d’accidents de la circulation et à l’accélération des procédures d’indemnisation, et des indemnités de toute nature reçues ou à recevoir d’autres débiteurs du chef du même préjudice. À défaut de consolidation de l’état de la victime, l’offre présentée par le fonds a un caractère provisionnel.
Le fonds présente une offre dans les mêmes conditions en cas d’aggravation de l’état de santé de la victime.
L’offre définitive est faite dans un délai de deux mois à compter de la date à laquelle le fonds a été informé de cette consolidation.
Le paiement doit intervenir dans un délai d’un mois à compter de la réception par le fonds de l’acceptation de son offre par la victime, que cette offre ait un caractère provisionnel ou définitif.
L’acceptation de l’offre ou la décision juridictionnelle définitive rendue dans l’action en justice prévue à l’article 5 de la présente loi vaut désistement des actions juridictionnelles en indemnisation en cours et rend irrecevable toute autre action juridictionnelle future en réparation du même préjudice. Il en va de même des décisions juridictionnelles devenues définitives allouant une indemnisation intégrale pour les conséquences de l’exposition à des produits phytopharmaceutiques.
M. le président. L’amendement n° 15 rectifié, présenté par M. Bizet, Mme Gruny, MM. Gremillet, de Legge, Pillet, Magras et Savary, Mme Eustache-Brinio, M. Pellevat, Mme Procaccia, MM. Huré, Chaize, Rapin et Bazin, Mme Morhet-Richaud, MM. Dallier, Paul, Chatillon, Poniatowski et B. Fournier, Mmes Deromedi et Duranton et MM. Paccaud, Danesi et Pointereau, est ainsi libellé :
Alinéa 1, première phrase
Compléter cette phrase par les mots :
selon le barème d’indemnisation forfaitaire fixé pour chaque chef de préjudice prévu par décret
La parole est à Mme Jacky Deromedi.
Mme Jacky Deromedi. Le barème d’indemnisation forfaitaire fixé pour chaque chef de préjudice prévu par décret permet d’assurer l’égalité entre les victimes quant au montant des indemnisations accordées par le fonds.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Bernard Jomier, rapporteur. Madame Deromedi, sur ce point, j’invoque une nouvelle fois la nécessité d’élaborer des procédures communes et cohérentes pour les différents mécanismes d’indemnisation.
Au demeurant, en écho au débat d’ensemble qui a eu lieu il y a quelques instants, une question pourrait se poser : l’une des pistes d’évolution de ce dispositif ne serait-elle pas de regrouper les différents fonds de réparation ? Ce serait là une piste de simplification et de rationalisation.
Quoi qu’il en soit, la procédure retenue par la commission est comparable aux dispositions en vigueur pour le Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante, le FIVA : c’est le fonds qui déterminera les différents barèmes applicables.
Si l’on passait par l’élaboration d’un décret, la procédure serait plus lourde et, bien entendu, plus contraignante.
J’insiste : c’est un souci de simplification qui nous a conduits à retenir ce procédé. Je vous invite donc à retirer votre amendement. À défaut, j’émettrai, au nom de la commission, un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Madame Deromedi, l’amendement n° 15 rectifié est-il maintenu ?
Mme Jacky Deromedi. Non, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 15 rectifié est retiré.
L’amendement n° 16 rectifié, présenté par M. Bizet, Mme Gruny, MM. Gremillet, de Legge, Pillet, Magras et Savary, Mme Eustache-Brinio, M. Pellevat, Mme Procaccia, MM. Huré, Chaize, Rapin et Bazin, Mme Morhet-Richaud, MM. Dallier, Paul, Chatillon, Poniatowski et B. Fournier, Mmes Deromedi et Duranton et MM. Paccaud, Danesi et Pointereau, est ainsi libellé :
Alinéa 1
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
L’indemnisation à la charge du fonds est minorée en cas d’utilisation non conforme des produits.
La parole est à Mme Jacky Deromedi.
Mme Jacky Deromedi. L’offre présentée par le fonds doit tenir compte de la faute de la victime en cas d’utilisation non conforme des produits phytopharmaceutiques. Le présent amendement a pour objet d’inciter les utilisateurs de tels produits à respecter les conditions d’utilisation figurant sur les étiquettes et, ainsi, d’éviter l’aggravation de leur état de santé.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Bernard Jomier, rapporteur. Cette précision introduit un élément de complexité. (Mme Sophie Primas le concède.) Comment, et sur la base de quels critères, va-t-on déterminer une utilisation non conforme ? Va-t-on, ensuite, rechercher la responsabilité d’une telle utilisation ? Dans le cadre d’une exploitation, la responsabilité est-elle celle du chef d’entreprise ou celle du salarié ? Faut-il mettre en cause une mauvaise prescription du fabricant ? Sur la base de quels critères pourrait-on établir cette non-conformité ?
La complexité entraînée par ces dispositions a paru disproportionnée à la commission au regard des effets attendus. Aussi, elle émet un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Jacky Deromedi. Dans ces conditions, je retire cet amendement, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 16 rectifié est retiré.
Je mets aux voix l’article 4.
(L’article 4 est adopté.)
Article 5
Le demandeur ne dispose du droit d’action en justice contre le fonds d’indemnisation que si sa demande d’indemnisation a été rejetée, si aucune offre ne lui a été présentée dans le délai mentionné à l’article 4 ou s’il n’a pas accepté l’offre qui lui a été faite.
Cette action est intentée devant la cour d’appel dans le ressort de laquelle se trouve le domicile du demandeur.
M. le président. L’amendement n° 17 rectifié, présenté par M. Bizet, Mme Gruny, MM. Gremillet, de Legge, Pillet, Magras et Savary, Mme Eustache-Brinio, M. Pellevat, Mme Procaccia, MM. Huré, Chaize, Rapin et Bazin, Mme Morhet-Richaud, MM. Dallier, Paul, Chatillon, Poniatowski et B. Fournier, Mmes Deromedi et Duranton et MM. Paccaud, Danesi et Pointereau, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Jacky Deromedi.
Mme Jacky Deromedi. Le demandeur doit utiliser les voies de recours de droit commun lorsque sa demande d’indemnisation a été rejetée, ou lorsqu’il n’a pas accepté l’offre d’indemnisation, dès lors que le fonds a pour vocation d’indemniser les victimes et non pas de se défendre dans le cadre d’actions en justice exercées à son encontre.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Bernard Jomier, rapporteur. Je l’ai rappelé, et l’ANSES l’a souligné : le fonds a, entre autres finalités, celle d’éviter la multiplication des judiciarisations.
Toutefois, dans un certain nombre de demandes, la victime doit subroger le fonds pour les actions en justice. Cette procédure permet d’encadrer le recours aux tribunaux. Une nouvelle fois, le modèle suivi est celui du FIVA.
Madame Deromedi, en adoptant cet amendement, on créerait une complexité supplémentaire et on risquerait, pour le coup, d’aboutir à une position exorbitante du droit commun : on ne peut totalement aliéner le droit d’une victime à acter en justice.
Voilà pourquoi la commission n’a pas jugé pertinent de retenir votre amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Jacky Deromedi. Je retire cet amendement, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 17 rectifié est retiré.
Je mets aux voix l’article 5.
(L’article 5 est adopté.)
Article 6
Le fonds est subrogé, à due concurrence des sommes versées, dans les droits que possède le demandeur contre la personne responsable du dommage ainsi que contre les personnes ou organismes tenus à un titre quelconque d’en assurer la réparation totale ou partielle dans la limite du montant des prestations à la charge desdites personnes.
Le fonds intervient devant les juridictions civiles, y compris celles du contentieux de la sécurité sociale, notamment dans les actions en faute inexcusable, et devant les juridictions de jugement en matière répressive, même pour la première fois en cause d’appel, en cas de constitution de partie civile du demandeur contre le ou les responsables des préjudices ; il intervient à titre principal et peut user de toutes les voies de recours ouvertes par la loi.
Si le fait générateur du dommage a donné lieu à des poursuites pénales, le juge civil n’est pas tenu de surseoir à statuer jusqu’à décision définitive de la juridiction répressive.
La reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur, à l’occasion de l’action à laquelle le fonds est partie, ouvre droit à la majoration des indemnités versées à la victime en application de la législation de sécurité sociale. L’indemnisation à la charge du fonds est révisée en conséquence.
M. le président. L’amendement n° 18 rectifié, présenté par M. Bizet, Mme Gruny, MM. Gremillet, de Legge, Pillet, Magras et Savary, Mme Eustache-Brinio, M. Pellevat, Mme Procaccia, MM. Huré, Chaize, Rapin et Bazin, Mme Morhet-Richaud, MM. Dallier, Paul, Chatillon, Poniatowski et B. Fournier, Mmes Deromedi et Duranton et MM. Paccaud, Danesi et Pointereau, est ainsi libellé :
Alinéa 1
Compléter cet alinéa une phrase ainsi rédigée :
Le recours subrogatoire du fonds se fait dans les délais et les conditions de droit commun.
La parole est à Mme Jacky Deromedi.
Mme Jacky Deromedi. Le présent amendement a pour objet de déterminer les délais et les conditions du recours subrogatoire du fonds, à savoir ceux qui sont fixés par le droit commun.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Bernard Jomier, rapporteur. Mes explications s’inscrivent dans la droite ligne de mes précédents propos : dans la rédaction actuelle du présent texte, la victime, si elle a été indemnisée par le fonds, est subrogée dans ses droits, notamment pour saisir le tribunal des affaires de sécurité sociale, le TASS. Bien sûr, il faut que la victime dispose des éléments de preuve suffisants pour engager une procédure en reconnaissance d’une faute inexcusable de son employeur.
En d’autres termes, les articles du code de la sécurité sociale, à savoir les règles de droit commun, que vous appelez de vos vœux, ma chère collègue, s’appliqueront. Les dispositions que vous avez présentées ont donc paru redondantes à la commission. Voilà pourquoi elle demande le retrait de cet amendement. À défaut, elle émettra un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Madame Deromedi, l’amendement n° 18 rectifié est-il maintenu ?
Mme Jacky Deromedi. Non, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 18 rectifié est retiré.
Je mets aux voix l’article 6.
(L’article 6 est adopté.)
Article 7
I. – Le fonds est financé par :
1° L’affectation d’une fraction du produit de la taxe prévue à l’article L. 253-8-2 du code rural et de la pêche maritime ;
2° Les sommes perçues en application de l’article 6 ;
3° Les produits divers, dons et legs.
II (nouveau) . – Le VI de l’article L. 253-8-2 du code rural et de la pêche maritime est ainsi rédigé :
« VI. – Le produit de la taxe est affecté :
« 1° En priorité, à l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, dans la limite du plafond fixé au I de l’article 46 de la loi n° 2011-1977 du 28 décembre 2011 de finances pour 2012, pour financer la mise en place du dispositif de phytopharmacovigilance défini à l’article L. 253-8-1 du présent code et pour améliorer la prise en compte des préjudices en lien direct avec l’utilisation des produits phytopharmaceutiques ;
« 2° Pour le solde, au Fonds d’indemnisation des victimes des produits phytopharmaceutiques. »
M. le président. La parole est à M. Victorin Lurel, sur l’article.
M. Victorin Lurel. Madame la ministre, je continue mon travail, que je qualifierais presque de pédagogique.
Vous avez soutenu que les limites maximales de résidus, ou LMR, avaient été revues à la hausse dans les circuits officiels, autrement dit pour les grandes et moyennes surfaces, les GMS. Vous avez ajouté que l’on pouvait absorber sans grand danger un total de 100 ou de 200 microgrammes. Selon vous, c’est dans les circuits non contrôlés, par exemple les jardins familiaux, que le risque demeure. Mais, permettez-moi de vous le dire, de tels propos sont difficiles à soutenir, d’autant plus avec la rigueur scientifique qui vous caractérise !
Certes, les jardins familiaux ne sont pas contrôlés, mais les circuits officiels ne le sont pas non plus ! La France reçoit, par exemple, des ignames du Costa Rica. Or ce pays utilise des produits phytopharmaceutiques que notre pays prohibe. Disons que le contrôle phytosanitaire exercé aux frontières est quelque peu défaillant… Il faut revoir ce dispositif.
Par ailleurs, vous avez évoqué le plan Écophyto. Pardonnez-moi de vous le dire : ici, dans l’Hexagone, c’est un échec,…
Mme Sophie Primas. Non !
M. Victorin Lurel. … et l’échec est encore plus flagrant dans les outre-mer. Bien sûr, madame Primas, le travail a été repris, mais il n’est toujours pas à la hauteur de nos espérances.
Parallèlement, les crédits du plan Chlordécone III diminuent – j’ajoute même qu’ils ne sont pas systématiquement consommés.
Lorsque j’étais président de région, j’ai assuré l’achat d’un chromatographe et de charbon pour les stations de production d’eau. De plus, nous avons subventionné, comme il se devait, les analyses de sol. Il faut reprendre ce travail, il faut réactualiser la cartographie des sols. En Martinique, mais aussi en Guadeloupe, où ils représentent 84 % du territoire, les sols non pollués devraient faire l’objet d’une cartographie actualisée.
Je ne forme aucune accusation personnelle contre ce gouvernement, d’autant que je mesure ce que représente l’exercice des responsabilités ministérielles. Mais il faut bien admettre que l’on a abandonné la recherche ! On a vu, à la télévision, des chercheurs annoncer qu’ils devaient remiser leurs éprouvettes au placard, faute de crédits. Or ils avaient déjà obtenu des résultats pour ce qui concerne la dégradation de la molécule de chlordécone.
Voilà pourquoi il faut développer le hors-sol ; il faut déployer un véritable plan Marshall à Grande-Terre, là où se trouvent les terres agricoles concernées. Pour l’heure, de telles initiatives n’existent pas.
M. le président. L’amendement n° 19 rectifié, présenté par M. Bizet, Mme Gruny, MM. Gremillet, de Legge, Pillet, Magras et Savary, Mme Eustache-Brinio, M. Pellevat, Mme Procaccia, MM. Huré, Chaize, Rapin et Bazin, Mme Morhet-Richaud, MM. Dallier, Paul, Chatillon et B. Fournier, Mmes Deromedi et Duranton et MM. Paccaud, Danesi et Pointereau, est ainsi libellé :
Alinéa 8
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Cette affectation n’est pas mise en œuvre chaque année lorsque le fonds est suffisamment abondé.
La parole est à Mme Jacky Deromedi.
Mme Jacky Deromedi. L’affectation d’une fraction du produit de la taxe prévue par l’article L. 253-8-2 du code rural et de la pêche maritime, versée annuellement, ne paraît pas nécessaire lorsque le fonds est suffisamment alimenté pour indemniser les victimes.
Aussi, le présent amendement vise la modulation de la fraction de la taxe perçue par le fonds en fonction de ses besoins financiers et des sommes perçues au titre des recours subrogatoires en application de l’article 6 de cette proposition de loi.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Bernard Jomier, rapporteur. La taxe actuellement collectée sur les produits phytopharmaceutiques finance les actions de phytopharmacovigilance déployées par l’ANSES. Or si j’ai constaté un consensus lors des auditions, c’est bien en faveur du maintien de ce dispositif : ce dernier a d’ores et déjà prouvé son efficacité. Il a notamment permis le retrait de divers produits.
Il faut donc maintenir ce financement, qui est de l’ordre de 4 millions d’euros par an.
Le Parlement a fixé, pour cette taxe, un plafond supérieur à ce montant : il s’élève à environ 6 millions d’euros. En termes de rendement, le delta est donc de 2 millions d’euros. Or ces crédits sont absolument nécessaires pour amorcer le fonds.
En outre, s’il y a un autre consensus, c’est pour reconnaître qu’il faudra d’autres recettes. Mme la ministre l’a rappelé, et nous en convenons tous.
Au fil de la procédure, à mesure que ce dispositif de réparation sera mis en place, il sera nécessaire d’arbitrer, de choisir entre divers financements complémentaires : la hausse de cette taxe ; un financement de l’État comparable à celui du FIVA, même si, actuellement, il décroît dans le cadre de ce dispositif ; ou encore un financement par la sécurité sociale. Ainsi les cotisations sociales des employeurs viennent-elles abonder le FIVA.
La question n’est pas de récolter ou non la petite fraction de la taxe existant actuellement : ces ressources ne permettront pas de couvrir les besoins d’indemnisation. En conséquence, les dispositions de cet amendement ne semblent pas cohérentes au regard des démarches entreprises.
Pour cette raison, la commission émet un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Jacky Deromedi. Dans ces conditions, je retire cet amendement, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 19 rectifié est retiré.
Je mets aux voix l’article 7.
(L’article 7 est adopté.)
Article 8
Les demandes d’indemnisation doivent être adressées au fonds dans un délai de 10 ans.
Pour les victimes, le délai de prescription commence à courir à compter de :
– pour la maladie initiale, la date du premier certificat médical établissant le lien entre la maladie et l’exposition aux produits phytopharmaceutiques ;
– pour l’aggravation de la maladie, la date du premier certificat médical constatant cette aggravation dès lors qu’un certificat médical précédent établissait déjà le lien entre cette maladie et une exposition aux produits phytopharmaceutiques.
M. le président. La parole est à M. Victorin Lurel, sur l’article.
M. Victorin Lurel. Madame la ministre, avant que ce débat ne s’achève, je tiens à aborder la question des procès.
En Martinique comme en Guadeloupe, la société civile s’est réveillée. De nombreuses plaintes ont été déposées devant les tribunaux de proximité. Aujourd’hui, certaines de ces procédures ont atteint le stade de la cassation. Je crois même que l’une d’entre elles se trouve devant la Cour de justice de l’Union européenne, la CJUE.
Or, en la matière, les délais sont excessivement longs, et cette situation contrevient à l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, lequel est relatif au droit à un procès équitable dans un délai raisonnable.
J’ajoute que, sauf erreur de ma part, en Martinique comme en Guadeloupe, il a fallu que des mobilisations aient lieu, à deux reprises, pour que le procureur de la République accepte d’accélérer le processus. Je sais bien que la justice est indépendante : mais, enfin, il n’y a pas de miracle.
J’ai, moi-même, financé une association baptisée SOS Environnement. Nous avons payé les honoraires d’un avocat. Aujourd’hui, voilà près de huit années que dure la procédure ! On se hâte lentement : festina lente… Sur ce sujet aussi, j’attire l’attention du Gouvernement.
Madame Buzyn, vous êtes membre du Gouvernement, ministre des solidarités et de la santé, et, de surcroît, professionnelle avertie. Aux populations qui nous écoutent et qui nous regardent, car elles connaissent l’existence de ce débat, il fallait adresser un signal symbolique fort, leur indiquant que nous les entendons et que nous nous occupons de ce dossier.
Le profit n’est pas plus important que l’homme : c’est ce que nous devrions tous dire. Si je puis m’exprimer ainsi, j’aimerais que, dans cet hémicycle laïc, nous communiions tous dans cette religion-là ! (Applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Agnès Buzyn, ministre. Monsieur Lurel, peut-être considérerez-vous qu’avec cette réponse je vais un peu dans votre sens.
Tout d’abord, vous m’interpellez au sujet de la cartographie des sols pollués. Vous le savez, ce travail est prévu dans le cadre du plan Chlordécone III : j’ai même demandé que cette cartographie soit revue dès 2018, c’est-à-dire dès cette année.
Ensuite, vous avez évoqué les seuils fixés par la Commission européenne. J’observe que, en la matière, nous disons la même chose : je souhaite moi aussi que ces seuils soient revus à la baisse par la Commission. Le ministère des solidarités et de la santé est mobilisé à cette fin.
Évidemment, je souhaite que cet abaissement des seuils concerne la totalité des denrées alimentaires, qu’elles relèvent des circuits contrôlés ou non contrôlés. Tel est le travail que nous aurons à faire ensemble dans les mois qui viennent.
M. Victorin Lurel. Merci, madame la ministre !
M. le président. Je mets aux voix l’article 8.
(L’article 8 est adopté.)
Article 9 (nouveau)
L’activité du fonds fait l’objet d’un rapport annuel remis au Gouvernement et au Parlement avant le 30 avril.
Les modalités d’application de la présente loi sont fixées par décret en Conseil d’État.
Le délai fixé au premier alinéa de l’article 4 de la présente loi est porté à douze mois pendant l’année qui suit la publication du décret mentionné à l’alinéa précédent.
M. le président. L’amendement n° 20 rectifié, présenté par M. Bizet, Mme Gruny, MM. Gremillet, de Legge, Pillet, Magras et Savary, Mme Eustache-Brinio, M. Pellevat, Mme Procaccia, MM. Huré, Chaize, Rapin et Bazin, Mme Morhet-Richaud, MM. Dallier et Paul, Mme Primas, MM. Chatillon, Poniatowski et B. Fournier, Mmes Deromedi et Duranton et MM. Paccaud, Danesi et Pointereau, est ainsi libellé :
Alinéa 1
Après le mot :
annuel
insérer le mot :
anonymisé
La parole est à Mme Sophie Primas.
Mme Sophie Primas. Décidément, monsieur le rapporteur, vous allez dire que je suis la femme du secret… (Sourires.) Le présent amendement vise à prévoir l’anonymisation du rapport, afin de préserver la confidentialité du nom des victimes, ainsi que le secret médical et, comme précédemment, le secret industriel.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Bernard Jomier, rapporteur. Chère collègue, vous ne pouvez pas l’ignorer, la protection des données personnelles est déjà garantie par les dispositions réglementaires en vigueur. (Mme Sophie Primas manifeste sa circonspection.) Aussi, nous nous sommes, en toute logique, posé cette question : craignez-vous que, en faisant appel au fonds, les salariés ou les agriculteurs eux-mêmes ne voient divulguer tel ou tel détail de leur situation personnelle ? Il s’agit évidemment d’une préoccupation légitime.
Je rappelle que le fonds sera ouvert aux agriculteurs atteints d’une maladie professionnelle et disposant déjà d’une reconnaissance médicale à ce titre. Ces derniers en seront même les premiers bénéficiaires. À ce jour, ils ne bénéficient que d’une réparation forfaitaire. Demain, grâce au fonds, ils recevront une réparation intégrale.
À cet égard, on observe les limites d’un mécanisme qui viserait simplement à améliorer les tableaux relatifs aux accidents du travail et aux maladies professionnelles, ou tableaux AT-MP. Ces dispositifs mettent en œuvre des réparations forfaitaires, sur la base de mesures héritées des choix des partenaires sociaux : ce sont bien ces derniers qui adoptent les tableaux et les réparations y afférentes.
Premièrement, même si l’on améliorait ces réparations, il faudrait poser le principe de la réparation intégrale dans le régime AT-MP. Cette évolution pourrait être envisagée ; mais elle serait probablement discutée dans le cadre d’un projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Deuxièmement, quid des personnes qui ne relèvent pas de ces tableaux et qui, néanmoins, souffrent d’une pathologie liée à l’exposition aux produits phytopharmaceutiques ? Je pense par exemple aux enfants qui ont été exposés in utero, par l’intermédiaire de leur mère.
Considérant, in fine, que les dispositions en vigueur assurent déjà le respect du secret en la matière, la commission demande le retrait de cet amendement. À défaut, elle émettra un avis défavorable. Cela étant, j’admets qu’avec ces dispositions vous posez une vraie question.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Madame Primas, l’amendement n° 20 rectifié est-il maintenu ?
Mme Sophie Primas. Je vais faire ma mauvaise tête… (Sourires.) Je maintiens mon amendement, quitte à être battue !
M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Maurice Antiste, pour explication de vote.
M. Maurice Antiste. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, avant tout, permettez-moi de vous dire combien je suis heureux du sérieux de ce débat.
Madame la ministre, je suis également heureux de la prise de conscience que vous avez exprimée. Certes, vous l’avez énoncée avec la plus grande prudence. Mais je crois en vous. Je crois en votre sincérité. Je dirai même que l’on vous sent touchée par ce sujet.
Je comprends bien que, dans la mesure où vous appartenez à un collectif appelé Gouvernement, vous ne puissiez pas vous engager davantage. Simplement, je tiens à attirer votre attention sur un fait réellement regrettable.
Vous ne savez pas combien la crise va croissant dans nos territoires ; combien la psychose est en train de s’installer. Je vous invite à faire attention, parce que la situation sera bientôt pire que le scandale du sang contaminé : ce sera le scandale de la vie contaminée !
Nous devons tous être très attentifs à ce qui se passe dans nos pays : la prise de conscience concerne tout le monde, du plus petit au plus grand. À travers vous, madame la ministre, j’en appelle à l’ensemble du Gouvernement pour faire de cette question le sujet du siècle.
Nous, ultramarins, y sommes prêts et nous tenons à votre disposition pour avoir les échanges les plus rapides et les plus réguliers. Ainsi, nous remplissons parfaitement notre rôle.
J’espère avoir été bien compris ! (M. Joël Labbé applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Guillaume Arnell, pour explication de vote.
M. Guillaume Arnell. Le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen se réjouit de ce débat, qui lui donne l’occasion de confirmer l’intérêt croissant qu’il porte aux sujets de cet ordre, grâce, en particulier, à l’apport de nos deux collègues Ronan Dantec et Joël Labbé. Nous nous félicitons de bousculer ainsi l’inertie des pouvoirs publics.
Pour ma part, je suis également heureux d’avoir pris part à ce débat en commission et dans l’hémicycle, avec mes collègues de la Guadeloupe et de la Martinique, pour plaider la cause de nos populations, s’agissant de la question du chlordécone et du paraquat. Comment pouvait-il en être autrement ?
La machine est relancée et nous sommes heureux d’en avoir été l’un des acteurs. (MM. Joël Labbé et Victorin Lurel applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, pour explication de vote.
M. Patrick Kanner. Madame la ministre, j’ai occupé la place qui est la vôtre et je sais le malaise qui peut surgir, parfois, entre les convictions personnelles et la solidarité gouvernementale.
Aujourd’hui, toutefois, ce sont les milliers de personnes concernées par ces deux heures de débat qui sont en jeu. Nos échanges ont été de grande qualité, émouvants – je pense au témoignage de notre collègue Olivier Jacquin –, techniques, mais très argumentés, comme en témoignent les propos tenus par Victorin Lurel à plusieurs reprises.
Cette proposition de loi est juste, solide et financée. C’est un texte qui répare.
Madame la ministre, vous avez tenu votre place. Je sais quel sera votre sentiment final en la matière, mais je vous incite vraiment à entendre la voix de la Haute Assemblée afin de défendre celles et ceux qui croient en nous pour préserver leurs intérêts et pour réparer, lorsque cela est nécessaire.
Le groupe socialiste et républicain votera cette proposition de loi présentée par Nicole Bonnefoy et soutenue par le rapporteur, Bernard Jomier. En son nom, je vous demande d’intégrer toute l’argumentation développée, afin que nous puissions progresser ensemble à l’avenir sur ce débat critique.
N’ayons pas sur ce sujet autant de difficultés que pour l’amiante. Par vos propos, qui sont maintenant gravés dans le marbre de la Haute Assemblée, vous prenez une très grande responsabilité. Je vous remercie de faire évoluer, si cela est possible, la position du Gouvernement. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. Joël Labbé applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Joël Labbé, pour explication de vote.
M. Joël Labbé. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la position du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen a déjà été présentée par mon collègue Guillaume Arnell, mais je tiens à insister sur la force de cette proposition de loi, qui arrive fort à propos.
Notre pays a en effet pris le leadership de la lutte contre le dérèglement du climat et nous en sommes fiers.
En matière de lutte contre les pesticides, j’ai participé il y a quinze jours à une grande manifestation à Berlin, et j’ai pu constater que de nombreux élus et citoyens allemands nous montrent en exemple.
L’interdiction du recours aux pesticides dans les espaces publics ne devait pas fonctionner, mais nous l’avons votée, et ça marche. Il en sera de même pour les jardins domestiques l’année prochaine et pour l’interdiction des néonicotinoïdes à partir du milieu de cette année.
Nous tenons à saluer également le plan d’action gouvernemental de réduction des pesticides, qui prévoit l’interdiction rapide des substances les plus dangereuses. C’est pour nous une véritable fierté.
Madame la ministre, je comprends, moi aussi, la difficulté de votre situation. Certes, nous siégeons derrière vous dans cet hémicycle, mais le nombre impressionnant de mains levées pour voter chacun des articles devrait vous convaincre de faire en sorte que, avec le Gouvernement et votre majorité à l’Assemblée nationale, cette proposition de loi aboutisse à un texte consensuel dans notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour explication de vote.
M. Guillaume Gontard. Je veux remercier les auteurs de cette proposition de loi du travail qu’ils ont réalisé.
Je ressens toutefois une grande déception, comme beaucoup de mes collègues, et je ne parviens pas à comprendre les positions du Gouvernement.
Ce texte répond incontestablement à un désastre sanitaire. Non, nous ne pouvons pas attendre ! Les malades, et en premier lieu les agriculteurs, ne peuvent pas attendre, cela a été justement dit.
La situation des agriculteurs a déjà été décrite, et je ne parle même pas de ceux pour lesquels il est trop dur de faire reconnaître leur maladie, et qui n’osent pas. Ils se sont d’abord intoxiqués pour nous nourrir ! Les preuves sont là, il n’y a plus besoin d’en trouver d’autres. Il est maintenant clair qu’il faut changer de modèle et aller vers une agriculture plus respectueuse des femmes, des hommes, de nos sols, de notre planète. En attendant, il faut agir pour réparer nos erreurs et donc permettre cette indemnisation. J’espère que le Gouvernement saura l’entendre. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bonnefoy, pour explication de vote.
Mme Nicole Bonnefoy. Je remercie les membres de la commission des affaires sociales du Sénat, M. le rapporteur et vous tous, mes chers collègues, qui, au-delà de vos appartenances politiques, avez soutenu un texte dont la cause est juste. Vous avez montré le meilleur du Sénat ; c’est son honneur.
Cela me rappelle les travaux importants que nous avions réalisés en 2012, dans le cadre de la mission d’information sur les pesticides et leur impact sur la santé et l’environnement ; le rapport que nous avions alors remis, chacun l’a rappelé, avait été voté dans cette enceinte à l’unanimité.
Le sujet était extrêmement sensible, mais nous avions réussi, parce que nous avions été courageux, responsables et sérieux. Ce rapport a permis des avancées importantes, Joël Labbé l’a souligné. Le suivi postérieur aux autorisations de mise sur le marché, qui n’existait pas, en découle, de même que le dispositif de phytopharmacovigilance, financé par les industriels, qui instaure une veille sanitaire, l’arrêt des épandages aériens, la fin de l’utilisation des produits phytosanitaires dans les collectivités, etc.
Je forme le vœu que le présent texte, dont j’espère qu’il sera adopté dans les minutes qui viennent par le Sénat, soit amélioré à l’Assemblée nationale. Je vous demande, madame la ministre, de faire en sorte qu’il en soit ainsi, afin de faire avancer la reconnaissance des maladies et leur réparation intégrale. Nombreuses sont les personnes qui attendent cela depuis longtemps. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. le président. La parole est à Mme Sophie Primas, pour explication de vote.
Mme Sophie Primas. Je veux m’associer aux paroles de Nicole Bonnefoy et de Joël Labbé. C’est une longue histoire que ce rapport que nous avons commis tous les trois, avec d’autres de nos collègues. Je pense ainsi à notre ami Henri Tandonnet, qui a quitté le Sénat, mais qui regarde ces débats, j’en suis certaine. Nous pouvons être satisfaits des suites données à ce travail.
Le sujet que nous abordons aujourd’hui est évidemment douloureux, puisqu’il y va de la santé d’un certain nombre de nos compatriotes malades. Je veux avoir un mot pour Paul François en cet instant – il est en Argentine, mais il suit nos débats, au moins par SMS. C’est un homme extrêmement courageux qui, contre ses penchants antérieurs, a eu la force de monter cette association et de se battre pour lui-même, mais aussi pour d’autres victimes, dont certaines sont ici.
Je pense également à l’outre-mer. Notre collègue Catherine Procaccia avait rendu un rapport très sérieux sur le chlordécone, lequel a également nourri le nôtre.
Bien sûr, il faut parvenir à créer ce fonds d’indemnisation. Le travail réalisé dans cette enceinte est sérieux et montre l’importance de l’expertise médicale et scientifique.
À ce titre, je veux rendre hommage à votre travail dans le cadre de vos missions précédentes, madame la ministre, à l’Institut national du cancer et dans d’autres organismes. Ceux-ci sont très précieux dès lors qu’il est nécessaire de disposer d’une vision scientifique sérieuse, en dehors de toute passion.
Je souhaite saluer l’ensemble de ces organisations, ainsi que l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, l’ANSES, qui travaille dans des conditions parfois compliquées par la pression des différents lobbies : celui de l’industrie, mais aussi celui de l’écologie, cela fonctionne dans les deux sens.
Cela étant, nous nous abstiendrons, mais vous avez compris qu’il s’agit, comme l’a dit notre amie Catherine Deroche, d’une abstention positive. À nos yeux, le Sénat joue son rôle aujourd’hui, mais il reste la partie du Gouvernement : c’est à vous, madame la ministre, d’aller chercher le financement nécessaire pour répondre aux objectifs qui sous-tendent ce texte. Les parlementaires doivent pouvoir placer des fonds en face d’une problématique, cette question n’est donc pas encore clôturée.
Nous en avons parlé avec M. le rapporteur, il vous revient de trouver ce financement. Le groupe Les Républicains souhaite que celui-ci ne soit pas à la charge des agriculteurs, par une augmentation des taxes et des tarifications. Il n’est pas possible de leur infliger la double peine de payer plus cher et d’être donc encore moins compétitifs en plus d’être malades.
Nous vous demandons d’être attentive à ce point. Nous sommes favorables à ce que ces mesures soient financées, à ce que les procédures soient simplifiées, peut-être en mutualisant les fonds d’indemnisation, comme l’a suggéré le rapporteur, peut-être en les organisant géographiquement.
Notre abstention est donc bien, je le répète, une abstention positive.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Conconne, pour explication de vote.
Mme Catherine Conconne. À la fin de ce débat nous, en conscience, mais aussi ceux qui nous ont demandé de les représenter dans la Haute Assemblée ne comprendraient pas que nous ne votions pas ce texte à deux mains, à dix mains, à mille mains !
Je veux rendre hommage à ceux qui ont osé porter cette proposition de loi et qui ont longtemps attendu qu’elle vienne en débat. Je rends hommage, en particulier, à ma collègue Nicole Bonnefoy. Merci pour le travail extraordinaire et courageux qui a été fait.
Affronter ce genre de problématique est toujours extrêmement difficile. Où est le vrai, où est le faux, quel est le vrai toxique, quel est le faux ? Quelle est la cause et quels sont les effets ? Toutes ces questions sont compliquées à dénouer et permettent à beaucoup de maintenir le sujet dans l’indifférence, voire le silence, sinon l’omerta.
La Martinique, avec la Guadeloupe, rassemble 800 000 habitants. Ce sont les seuls territoires de la République qui ont utilisé, à côté des autres pesticides, un produit maudit, le chlordécone, qui est interdit depuis un peu plus de vingt ans, mais qui ne va jamais sortir du circuit d’intoxication de nos populations, pour des générations et des générations.
Le chlordécone est partout, dans l’eau douce, dans l’eau de mer, dans les poissons, dans l’alimentation, dans la terre. On découvre aujourd’hui que des œufs pondus par des poules élevées à la maison par une petite mamie et qui grattent la terre pour se nourrir, ces œufs tels qu’on les rêve, ces œufs bio, ces œufs du pays sont impropres à la consommation.
Pour ces populations, nous sommes très fiers, nous, Guadeloupéens et Martiniquais en particulier, citoyens les plus touchés de la République par les produits pesticides, de voter ce texte haut la main ! C’était une vraie fierté de le préparer, une vraie fierté de le porter, c’est une vraie fierté de le voter.
Le travail ne fait que commencer ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble de la proposition de loi portant création d’un fonds d’indemnisation des victimes des produits phytopharmaceutiques.
(La proposition de loi est adoptée.) - (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Bernard Jomier, rapporteur. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je suis ému par ce vote, qui représente le meilleur de ce que l’on attend du Sénat. Nous avons su affronter ce problème.
Nous nous sommes tous demandé si l’heure était venue de légiférer. Après mûre réflexion, après des débats de grande qualité au sein de la commission des affaires sociales – je veux d’ailleurs rendre hommage à mes collègues de la commission, et particulièrement à son président, Alain Milon –, nous avons répondu oui.
Il ne faut intervenir ni trop tard – nous en savons les conséquences – ni trop tôt. Or il n’est pas trop tôt, car la connaissance scientifique, même si elle est encore en mouvement, est déjà bien établie.
Le Sénat a empoigné, affronté la question de longue date, sous l’impulsion de la mission menée par Sophie Primas, et a provoqué les premières décisions, cela a été rappelé dans le débat. Il fait aujourd’hui un nouveau pas. Nous sommes tous conscients qu’il s’agit d’une première pierre législative, qui n’est certes pas parfaite. Certains points méritent encore d’être précisés et je veux croire qu’ils le seront au cours de la procédure législative.
Madame la ministre, nous comptons sur vous pour apporter des réponses conformes à l’ampleur du problème posé. Cela sera difficile, car cette ampleur n’est pas encore parfaitement établie. Nos réponses doivent donc être prudentes, rigoureuses et évolutives.
Cela représente un défi pour l’action publique, mais si nous ne le relevons pas, nous ne serons pas à la hauteur de notre devoir de responsables politiques nationaux qui est de répondre aux problèmes de nos concitoyens et de notre société.
Merci à l’ensemble de mes collègues sénateurs, à l’administration du Sénat, sans laquelle nous n’aurions pas produit un travail d’une telle qualité. Bien entendu, nous suivrons avec attention la suite de la procédure, avec un objectif commun : satisfaire une demande légitime de nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Agnès Buzyn, ministre. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai bien entendu le signal émis aujourd’hui par la Haute Assemblée face à un enjeu de santé publique majeur.
Je vous renouvelle l’assurance de la détermination du Gouvernement à protéger nos concitoyens. Nous avons commencé à travailler avec Stéphane Travert, dans le cadre des états généraux de l’alimentation, en faisant un effort considérable en direction de l’alimentation bio, d’un changement de modèle, de l’accompagnement de nos agriculteurs.
Nous préparons également avec Nicolas Hulot un plan extrêmement ambitieux sur les produits phytosanitaires qui va être soumis à concertation. Il pose des questions de recherche, parce qu’il nous manque des connaissances un peu plus robustes, mais également des questions concernant les produits de substitution, qui sont l’enjeu majeur des années qui viennent. Il va comprendre des mesures de protection des personnes, notamment les plus vulnérables, comme les femmes enceintes et les enfants. Des dispositions de même nature seront également présentes dans mon grand programme de santé publique, dans lequel les sujets relatifs à la santé et à l’environnement seront prioritaires, afin de répondre au besoin des Français d’être mieux informés et protégés.
Nous devrons encore discuter de nombreuses mesures ensemble, au Sénat et à l’Assemblée nationale. Ce n’est qu’un début, mais nul ne peut faire le procès à ce gouvernement de ne pas avoir pris la mesure des questions liées à la contamination par les pesticides.
Beaucoup de choses ont été faites par la Commission européenne, vous l’avez constaté au sujet du glyphosate. La France a été précurseur. D’autres mesures sont prises. Nous sommes pionniers en Europe quant à la protection de nos populations et nous continuerons à l’être, vous pouvez compter sur moi ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et sur des travées du groupe socialiste et républicain, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Les Républicains.)
6
Réforme de la caisse des Français de l’étranger
Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe socialiste et républicain, de la proposition de loi relative à la réforme de la Caisse des Français de l’étranger présentée par MM. Jean-Yves Leconte, Richard Yung, Mmes Claudine Lepage et Hélène Conway-Mouret (proposition n° 553 [2016-2017], texte de la commission n° 239, rapport n° 238).
Mes chers collègues, je vous rappelle que nous devrons suspendre l’examen de ce texte au terme du délai de quatre heures réservé au groupe socialiste et républicain, soit à vingt heures quinze.
Si nous n’avons pas alors achevé cet examen, il appartiendra à la conférence des présidents d’inscrire la suite de la discussion de cette proposition de loi à l’ordre du jour d’une séance ultérieure.
Dans la discussion générale, la parole est à M. Jean-Yves Leconte, auteur de la proposition de loi.
M. Jean-Yves Leconte, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous avons peu de temps pour discuter d’une proposition de loi que beaucoup attendent. Elle n’émane pas que de moi, mais a été rédigée en commun par des membres de différents groupes, en collaboration avec les administrateurs de la Caisse des Français de l’étranger, la CFE, et de la direction de la sécurité sociale. Je vais essayer d’être bref pour que nous parvenions au bout de cette discussion.
La Caisse des Français de l’étranger a été créée en 1984 pour établir une solidarité entre les Français vivant hors de France en termes d’assurance maladie. On y adhère volontairement, elle fonctionne dans le cadre des règles de la sécurité sociale et elle assure les remboursements de prestations réalisées dans le monde entier.
Malgré ces contraintes, cette caisse est à l’équilibre, ce qui doit être porté au crédit de ses gestionnaires et de son conseil d’administration. Nous avons repéré toutefois plusieurs évolutions inquiétantes.
Depuis les années 1980, l’expatriation a profondément changé. En proportion, les Français qui vivent hors de France sont plus nombreux aujourd’hui à relever de contrats locaux, avec une protection sociale qui doit être payée et assurée dans le pays de résidence, alors que l’on trouve moins, en proportion toujours, de salariés détachés par de grandes entreprises et bénéficiant d’une protection sociale française à l’étranger.
Le dispositif construit dans les années 1980 n’est plus adapté aux personnes qui ont des contrats locaux, à celles qui se rendent à l’étranger pour créer une entreprise ou qui s’installent pour y vivre sans être détachées par une grande entreprise. Les adhérents individuels sont aujourd’hui en effet un peu moins bien traités que ceux qui appartiennent à de grandes entreprises.
En outre, les pays d’accueil, eux aussi, ont changé. De plus en plus d’entre eux exigent une affiliation au régime local de protection sociale, qu’il soit obligatoire ou, comme aux États-Unis avec l’Obamacare, privé, mais labellisé par l’État.
La CFE n’étant pas un régime obligatoire, elle rencontre des difficultés à évoluer au regard de ces exigences de l’expatriation et du monde.
Et puis il y a l’Europe. Les textes des années 1980 ont été jugés contraires au principe d’égalité de traitement des ressortissants de l’Union européenne. Par conséquent, depuis 2010, l’assurance maladie offerte par la CFE est ouverte aux ressortissants européens.
Nous nous sommes demandé s’il fallait introduire des conditions restrictives pour la limiter aux Français, ou, au contraire, assumer ces évolutions et inscrire dans les textes que l’assurance maladie proposée par la CFE pouvait être offerte à l’ensemble des ressortissants européens. Nous avons choisi la seconde option, en considérant qu’un nombre d’adhérents plus important pour une caisse équilibrée serait un gage de robustesse.
Enfin, nos propositions suivent les recommandations préconisées par l’IGAS, l’Inspection générale des affaires sociales, dans son rapport de 2015. Nous avons donc inscrit la possibilité de proposer des prestations d’assurance maladie à l’ensemble des ressortissants européens qui souhaitent s’affilier à la Caisse des Français de l’étranger.
Aujourd’hui, l’état des lieux est le suivant : l’offre tarifaire est très complexe, elle compte plus de 500 tarifs différents suivant les situations ; les frais de gestion sont très importants, compte tenu de la situation de la CFE ; la définition des ayants droit scinde les familles, car les conjoints étrangers qui travaillent dans le pays d’accueil ne peuvent pas être affiliés. Cette dernière situation est très courante, en particulier dans les jeunes familles, qui recherchent donc des solutions alternatives à l’affiliation à la Caisse des Français de l’étranger. Enfin, les coûts des prestations ne peuvent pas être négociés par la CFE en raison de la rigidité des règles qui la régissent aujourd’hui.
Compte tenu de ces éléments qui bloquent le développement de la Caisse des Français de l’étranger, nous constatons une augmentation inquiétante de l’âge moyen de ses assurés qui pourrait un jour remettre en cause son équilibre. Il est donc urgent de la rendre plus attractive pour les expatriés plus jeunes et de lui permettre de mieux répondre aux besoins de l’ensemble des Français qui vivent hors de France.
Cette proposition de loi, issue du travail des administrateurs de la CFE, tous bords confondus, s’inspire d’amendements qui ont été déposés l’année dernière par Christophe-André Frassa et moi-même lors de la discussion d’autres projets de loi, ainsi que d’une proposition de loi de Joëlle Garriaud-Maylam.
Je salue également le travail du rapporteur, Yves Daudigny, qui a recadré notre projet en liaison avec la direction de la sécurité sociale, afin de simplifier encore les choses. Il a, en particulier, supprimé les différentes catégories d’assurés en articulant le texte autour des différents risques.
L’idée générale de cette réforme est d’unifier les modes de calcul des cotisations d’assurance maladie-maternité et invalidité pour que l’ensemble des adhérents, anciennement catégorisés en salariés, travailleurs indépendants, pensionnés ou étudiants, cotisent en fonction non plus de ces catégories et de leur revenu, mais de leur âge et de la composition de leur foyer, avec une modulation liée à l’ancienneté de l’admission à la CFE.
Il s’agit aussi d’offrir aux services consulaires français la possibilité de proposer, si nécessaire, une aide à l’accès à l’assurance maladie à ceux qui ne disposeraient pas de revenus suffisants, comme cela avait été instauré par la loi de modernisation sociale de 2002.
Cette flexibilité nouvelle en matière de tarification, mais aussi la capacité, pour la Caisse, de négocier des tarifs avec des intermédiaires, afin de se trouver en position de force vis-à-vis de prestataires médicaux à l’international, sont nécessaires pour adapter la CFE aux enjeux actuels et à la situation globale du marché de la santé dans le monde.
Depuis deux ans, la Caisse a fait le maximum pour se moderniser et pour répondre au mieux aux besoins, mais elle ne peut pas aller plus loin sans modification législative. Cette proposition de loi répond à cette exigence.
J’avais inclus dans le texte initial une réforme de la gouvernance de la Caisse comprenant l’élection des membres de son conseil d’administration par l’ensemble des conseillers consulaires. Cette proposition ne faisait pas consensus. En outre, vous savez sans doute que des consultations ont été lancées en vue d’une réforme de la représentation politique des Français de l’étranger. Nous avons donc préféré reporter ce point à plus tard.
Toutefois, puisque nous donnons plus de pouvoir, de flexibilité et de responsabilité au conseil d’administration de la Caisse, il nous faudra également revenir sur la question de la gouvernance le jour où nous aurons une idée précise de la représentation des Français de l’étranger.
Cette proposition de loi est un acte de confiance vis-à-vis du conseil d’administration de la Caisse. Nous croyons qu’avec plus de flexibilité, la Caisse répondra mieux aux besoins des Français de l’étranger. Son conseil d’administration doit continuer d’être élu par des représentants de l’ensemble des Français qui vivent hors de France de manière à assurer un besoin d’universalité.
En conclusion, et parce qu’il faut essayer d’aller vite, je remercie le rapporteur et mes collègues siégeant sur l’ensemble des travées de cet hémicycle qui ont participé à l’élaboration de cette proposition de loi.
Madame la ministre, nous comptons sur votre soutien pour que ce texte prospère, mais aussi sur d’autres questions comme l’accès à la retraite pour les Français qui vivent hors de France quand ils sont nés hors de France, les certificats de vie, ou encore l’accès des volontaires internationaux aux services de la Caisse des Français de l’étranger. Des évolutions législatives seront nécessaires, et nous aurons besoin de votre aide pour les mettre en œuvre. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Yves Daudigny, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, pour l’observateur familier de la sécurité sociale, la Caisse des Français de l’étranger, ou CFE, est un objet de curiosité et d’intérêt.
Conçue comme le prolongement de la sécurité sociale à l’étranger pour les expatriés, elle en reprend certaines caractéristiques, mais elle s’inscrit dans un tout autre environnement, en concurrence avec d’autres acteurs.
Jean-Yves Leconte a exposé les motifs qui ont conduit nos collègues représentant les Français établis hors de France à travailler, avec la Caisse, à une réforme de son cadre législatif que le Sénat examine cet après-midi. Je n’y reviendrai pas. J’indiquerai en revanche quels ont été l’état d’esprit de la commission des affaires sociales et ses principales observations.
Afin de bien identifier les enjeux de ce texte et ses conséquences concrètes pour nos compatriotes établis à l’étranger, j’ai souhaité rencontrer les représentants des deux principales associations des Français de l’étranger. Je remercie Claudine Lepage, pour Français du monde-association démocratique des Français de l’étranger, Français du monde-ADFE, et Ronan Le Gleut, pour l’Union des Français de l’étranger-monde, l’UFE-monde, de s’être rendus disponibles.
J’ai pu constater une grande convergence de vues sur la nécessité de revoir l’offre tarifaire de la Caisse et d’améliorer la lisibilité de ses prestations.
Saisie de ce texte, la commission des affaires sociales a confirmé ces objectifs. Leur atteinte suppose qu’une plus grande capacité d’initiative soit donnée au conseil d’administration de la Caisse.
Ces modifications législatives sont relativement urgentes puisque, sur le fondement de décisions du conseil d’administration intervenues en juin 2016, la Caisse a commencé à proposer de nouveaux produits : une offre pour les soins en France et, très récemment, une offre en direction des jeunes. Elle mène également, sur le volet de ses prestations, une expérimentation en Thaïlande qui pourrait être généralisée.
La commission des affaires sociales a souhaité préserver les équilibres issus des travaux menés par nos collègues avec la Caisse. La réécriture du texte à laquelle elle a procédé ne doit pas occulter cette volonté.
La commission a tiré les conséquences, dans la structure du chapitre concerné du code de la sécurité sociale, du changement d’approche induit par la proposition de loi, d’une logique de catégories d’adhérents – salariés, travailleurs indépendants, pensionnés, étudiants, chômeurs… – à une logique de risques couverts – maladie-maternité, invalidité, accidents du travail et maladies professionnelles.
Tout en respectant l’esprit initial de la proposition de loi, la commission a également procédé à quelques ajustements.
Sur le volet gouvernance, elle a limité les modifications apportées au droit en vigueur à l’adaptation de la composition du conseil d’administration, à la suppression des différentes catégories d’adhérents, à l’actualisation des conditions d’éligibilité et à l’obligation de la parité dans la constitution des listes.
Il lui semble que ces modifications, sans répondre à l’ambition initiale du texte, peuvent réunir un consensus.
Le conseil d’administration a été renouvelé récemment et des annonces ont été faites par le Gouvernement à propos d’une réforme de la représentation des Français établis hors de France. Le secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, Jean-Baptiste Lemoyne, commence les consultations à ce sujet cette semaine. Le Sénat aura sans doute à examiner de nouveau la question de la gouvernance de la CFE.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, telles sont les principales observations qu’appelle la proposition de loi relative à réforme de la Caisse des Français de l’étranger que la commission des affaires sociales vous demande d’adopter dans la rédaction issue de ses travaux. (Applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain et du groupe La République En Marche.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi que nous examinons a pour objet de réformer en profondeur la Caisse des Français de l’étranger, qui, dans l’esprit de nos concitoyens de l’étranger, demeure la sécurité sociale.
L’ambition de ce texte est de revoir à travers rien moins que treize articles le contenu et la présentation des garanties, ainsi que la gouvernance de la Caisse des Français de l’étranger afin d’adapter celle-ci aux défis actuels. En effet, si depuis près de quarante ans la CFE s’est imposée comme une référence, elle agit aujourd’hui dans un cadre contraint, et donc sans les outils pour répondre aux attentes d’une communauté française à l’étranger qui ne cesse de s’agrandir.
D’abord, les attentes des Français de l’étranger en matière de couverture sociale sont importantes. Ainsi, selon un très récent baromètre sur la protection sociale des expatriés, 75 % des Français de l’étranger interrogés jugent important de garder le lien avec le système français de protection sociale, et près de la moitié – 49 % –, déclarent que la protection sociale « à la française » fait partie de ce qui leur manque le plus à l’étranger.
Cette demande provient d’une communauté française à l’étranger qui continue de s’accroître dans des proportions très importantes. Aujourd’hui, près de 1,8 million de Français sont inscrits au registre des Français établis hors de France, et l’on estime entre 2 et 2,5 millions le nombre total de Français établis hors de notre territoire de manière permanente ou quasi permanente.
Pour accompagner la mobilité des Françaises et des Français et leur garantir une continuité de la protection sociale, nous disposons actuellement de deux outils.
D’abord, mais je ne m’étendrai pas sur cette possibilité, cette continuité est garantie via les conventions bilatérales de sécurité sociale conclues par la France et les règlements européens de coordination. La coordination des législations de sécurité sociale permet ainsi d’assurer que les droits acquis dans deux ou plusieurs systèmes soient reconnus et valorisés dans chacun des systèmes de protection sociale.
Le second outil, qui nous occupe aujourd’hui, est la CFE et les garanties qu’elle propose. Il peut intervenir en complément de la coordination en cas de couverture locale insuffisante, ou s’imposer comme l’unique choix pour l’expatrié à défaut d’accord conclu avec la France.
Or les réponses fournies actuellement par la Caisse ont été conçues il y a très longtemps, dans un autre contexte, et ne sont plus du tout adaptées. L’offre, en particulier en matière de santé, s’est compliquée et est devenue peu lisible. Les garanties sont souvent perçues comme offrant une couverture trop limitée pour des cotisations élevées.
Près de quarante ans après sa création, la Caisse doit donc se moderniser pour éviter un trop grand décalage avec le nouveau visage de l’expatriation et pour mieux répondre aux attentes des Français de l’étranger.
C’est dans cette perspective que le Gouvernement apporte son soutien à cette proposition de loi, notamment au texte de la commission.
Les évolutions aujourd’hui proposées doivent permettre d’améliorer la protection sociale de nos expatriés selon plusieurs axes : une meilleure lisibilité des garanties à travers une offre plus claire, une grille tarifaire rénovée pour la couverture maladie et une prise en charge des soins de santé à l’étranger plus adaptée.
La proposition de loi prévoit également de permettre à la Caisse des Français de l’étranger de sortir du statut dans lequel elle est enfermée, afin qu’elle puisse nouer des partenariats avec des courtiers et des assureurs tout en restant connectée à la protection sociale française.
Je n’oublie pas le volet gouvernance, dont les ajustements aujourd’hui envisagés contribueront à la bonne représentation au sein du conseil d’administration de la Caisse des Français de l’étranger, ne serait-ce qu’en termes d’exigence de parité. Cette évolution s’inscrit d’ailleurs dans le mouvement de modernisation engagé par les caisses de sécurité sociale.
Globalement, ces évolutions devront permettre de mieux répondre aux attentes de nos concitoyens et recueillent en conséquence le total soutien du Gouvernement.
M. le président. La parole est à M. Guillaume Arnell, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
M. Guillaume Arnell. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous abordons l’examen de la proposition de loi de nos collègues socialistes dans le contexte d’une éventuelle réforme de la représentation des Français de l’étranger, avec la tenue de consultations et l’ouverture probable d’un chantier sur ce sujet.
Aussi ce texte intervient-il peut-être un peu trop tôt. Pour autant, comme les auteurs l’ont rappelé, certaines évolutions, que ce soient les formes d’expatriation ou les dernières modifications institutionnelles concernant la représentation des Français de l’étranger, en particulier la loi du 22 juillet 2013 relative à la représentation des Français établis hors de France, rendent nécessaires un certain nombre d’adaptations.
À cette fin, le texte comporte deux volets. Le premier – j’y reviendrai –, concerne l’offre tarifaire. Le second vise à réformer la gouvernance de la Caisse. Comme chacun le sait, cette réforme ne fait pas consensus. La commission des affaires sociales l’a rappelé, et a souhaité y renoncer pour le moment.
Pourtant, il faudra bien un jour tirer les conséquences de la loi de 2013 qui a réduit le nombre de membres de l’AFE, l’Assemblée des Français de l’étranger, de 155 à 90 et instauré leur élection par les conseillers consulaires dans le but d’une meilleure proximité des expatriés avec leurs élus.
Ces dispositions induisent une réduction mécanique du corps électoral pour l’élection des représentants de la Caisse. C’est pourquoi il faut bien reconnaître l’intérêt de l’élection du conseil d’administration par les 500 conseillers consulaires. Outre l’élargissement du corps électoral, une telle modification permettrait également la suppression d’un degré d’élection.
Mais visiblement, le rapprochement des assurés de leurs représentants n’est pas encore à l’ordre du jour. Je ne m’étendrai pas plus…
Je rappellerai tout de même que, en 2015, la proposition de loi de notre collègue Jean-Yves Leconte sur ce thème avait été rejetée, certains arguant qu’il fallait attendre les conclusions de l’enquête de l’Inspection générale des affaires sociales et de l’Inspection générale des finances. Eh bien, nous y voilà ! Le rapport a été rendu quelque temps après, la même année. Plus rien ne s’oppose à cette réforme, à moins que des enjeux de pouvoirs ne génèrent toutes ces tergiversations et lenteurs…
La principale innovation du texte tel qu’il résulte des travaux de la commission réside donc dans son premier volet relatif à la réforme de l’offre tarifaire pour l’assurance maladie. Cette réforme était annoncée depuis 2015, date à laquelle l’Inspection générale des finances et l’Inspection générale des affaires sociales ont mené une réflexion globale sur l’évolution des missions et de la gestion de la Caisse des Français de l’étranger.
Leur rapport mettait alors en exergue la nécessité de rénover la politique commerciale et l’offre tarifaire de la Caisse, afin de les adapter aux nouvelles formes et aux nouveaux parcours de l’expatriation.
Selon les auteurs de la proposition de loi, la Caisse proposerait en effet plus de 600 tarifs modulés en fonction de l’âge des assurés, du niveau de revenus, du paiement ou non des cotisations par une entreprise, ou encore de la catégorie d’adhérents.
Dans un contexte concurrentiel où la plupart des organismes d’assurance maladie ont développé une offre de couverture à l’expatriation, il est essentiel d’améliorer la lisibilité des prestations de la Caisse et de renforcer son action auprès des jeunes actifs.
Le rapport de l’IGAS et de l’IGF relevait également une incompatibilité avec les règles européennes. L’adhésion à la Caisse ne saurait en effet être réservée aux seuls Français.
Il aura donc fallu attendre plus de deux ans pour entreprendre la réforme préconisée en juillet 2015. Aussi, je salue l’initiative de nos collègues représentant les Français établis hors de France du groupe socialiste qui ont travaillé avec la Caisse à une évolution de la base législative régissant son offre.
Créée en 1984 dans le prolongement de la Caisse des expatriés, la CFE est devenue au fil des années un acteur majeur de la protection sociale des Français de l’étranger et couvre plus de 200 000 personnes à travers le monde.
Il était donc urgent d’entamer cette réforme, « d’adapter la Caisse à son temps, de la tourner vers l’avenir » pour reprendre les termes de notre collègue Jean-Yves Leconte. Le nombre considérable de Français travaillant aujourd’hui à l’étranger nous semble justifier que notre assemblée s’en préoccupe.
Je tiens à saluer l’excellent travail du rapporteur, qui a réécrit le dispositif tout en préservant son esprit. Il permettra de passer d’une logique de catégories d’adhérents à une logique de risques couverts. C’est une bonne chose.
Madame la ministre, mes chers collègues, bien qu’il regrette l’absence d’une véritable réforme de la gouvernance de la Caisse, le groupe du Rassemblement Démocratique Social et Européen apportera son soutien à ce texte. (Applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain et du groupe La République En Marche.)
M. le président. La parole est à Mme Jacky Deromedi, pour le groupe Les Républicains.
Mme Jacky Deromedi. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je ne reviendrai pas sur l’historique qui a été très bien rappelé par Jean-Yves Leconte.
Je tiens à remercier Jean-Pierre Cantegrit, qui a présidé le conseil d’administration de la CFE depuis l’origine jusqu’en 2015. Nous lui devons notre reconnaissance pour la compétence et l’esprit d’initiative remarquables avec lesquels il a géré cette institution.
Le conseil d’administration a été renouvelé en 2015 et c’est maintenant M. Alain-Pierre Mignon qui préside à sa destinée avec dynamisme. Ses projets pour la CFE sont à l’origine de la proposition de loi dont nous discutons.
La CFE transpose très largement les règles de gestion de la sécurité sociale française moyennant quelques adaptations. Ainsi, les règles d’adhésion à la CFE reproduisent fidèlement les différents statuts que connaît la sécurité sociale française – salarié, non-salarié, étudiant, retraité, inactif – avec leurs spécificités. Il en est de même pour les règles de prise en charge des soins, avec la complexité que représente la transposition à l’étranger de ces règles de gestion.
Pendant de nombreuses années, la CFE s’est développée en accompagnant le développement international des entreprises dans le contexte de la mondialisation. Elle a également pris en charge une part croissante de Français s’expatriant à titre individuel – jeunes à la recherche d’un premier emploi, retraités, entrepreneurs tentant une nouvelle aventure en milieu de carrière…
La Caisse a atteint son apogée en termes de risques couverts en 2014.
Au début de l’année 2016, la CFE a connu une évolution significative après le renouvellement de son conseil d’administration. Le bureau du conseil a mené un audit approfondi de la Caisse et a constaté une diminution du nombre d’assurés, amorcée depuis 2014, couplée à un certain défaut d’attractivité vis-à-vis des jeunes.
Ce diagnostic qui aurait pu, à terme, menacer l’équilibre de la Caisse, l’a conduite à envisager des mesures nouvelles, qui justifient les évolutions législatives sur lesquelles nous allons nous prononcer.
La Caisse a souhaité lancer une réforme des cotisations selon une logique tarifaire assise sur l’âge et la composition de la famille de l’assuré.
Elle propose d’offrir deux types de produits.
En premier lieu, le produit FrancExpat Santé, qui prend en charge uniquement les soins en France, a été lancé au début de cette année. Fort du constat que 50 % des remboursements sont liés à des soins en France, ce produit s’adresse essentiellement aux Français résidant dans des pays dans lesquels il existe un système de protection sociale obligatoire rendant l’adhésion à la couverture mondiale de la CFE moins utile.
En deuxième lieu, la proposition de loi prévoit une réforme globale, rendant plus simple et plus lisible le dispositif tarifaire qui serait arrêté par le conseil d’administration de la CFE en fonction de l’âge et de la composition de la famille de l’assuré. Cette réforme permettra ainsi à la Caisse de prendre en charge les soins dans le monde entier en se substituant au dispositif actuel.
Le produit JeunExpat Santé, lancé en juin 2017, constitue une première étape réussie de cette ambitieuse réforme.
Cette réforme structurelle ne remet pas en cause les fondements de caisse de sécurité sociale de la CFE et les valeurs de solidarité liées à son objet social.
Il existe déjà un dispositif de « catégorie aidée » qui permet la prise en charge d’une partie des cotisations pour les Français disposant de ressources inférieures à un certain seuil par le budget d’action sociale de la Caisse. Ce dispositif serait renforcé dans le cadre de cette réforme.
La Caisse souhaite également mieux définir les garanties qu’elle offre à ses clients et assurer un plus large accès en tiers payant dans un nombre beaucoup plus important d’établissements de soins. Elle a, dans cette optique, lancé une expérimentation en Thaïlande. Il s’agit de la prise en charge en tiers payant des frais hospitaliers à hauteur d’un taux forfaitaire, en lien avec un partenaire disposant d’un réseau de soins. Avec cette réforme, la Caisse pourra désormais adapter les règles de prise en charge des soins pour les rendre plus lisibles et plus simples à gérer et garantir ainsi un meilleur service sans s’écarter significativement des tarifs pratiqués en France pour des soins analogues. En effet, il n’est pas question pour elle de sortir de son rôle de caisse de sécurité sociale de base.
En revanche, la loi lui permettra de conclure des partenariats avec des assureurs complémentaires pour offrir à ses clients une prise en charge complète des soins qu’ils engagent.
Cette réforme propose de donner à la CFE une certaine latitude pour adapter l’offre tarifaire et les garanties en fonction de l’évolution des besoins de nos compatriotes expatriés. Elle constitue un acte de confiance envers le conseil d’administration de la Caisse.
Cette souplesse conférée au conseil d’administration interviendra bien entendu sous le contrôle des pouvoirs publics. En effet, les décisions prises par ce conseil dans ce nouveau cadre législatif devront être entérinées par arrêté ministériel.
Je remercie Jean-Yves Leconte d’avoir obtenu de son groupe que la présente proposition de loi soit inscrite à l’ordre du jour.
Je me suis pleinement investie avec lui, en lien avec d’autres collègues représentant les Français de l’étranger, plus particulièrement Christophe-André Frassa et Ronan Le Gleut, pour que cette réforme transpartisane soit une réussite pour nos compatriotes expatriés.
Mes remerciements vont également au rapporteur de la commission, Yves Daudigny, qui a effectué un travail remarquable pour préciser le texte initial.
On peut dire que le texte résultant des travaux de la commission est une véritable œuvre collective à laquelle tous ont travaillé en lien avec le président, le conseil d’administration et la direction de la Caisse.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, le groupe Les Républicains soutient cette proposition de loi.
J’espère que le Gouvernement accompagnera cette réforme nécessaire au renforcement de la protection sociale de nos compatriotes expatriés par un avis favorable sur ce texte. En votant ce dernier, nous ferons œuvre utile pour nos compatriotes expatriés et pour le renforcement de notre modèle social. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Richard Yung, pour le groupe La République En Marche.
M. Richard Yung. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi en discussion reçoit un soutien transversal, et, par ailleurs, le président nous demande d’être extrêmement brefs. Je pourrais donc me contenter de dire que le groupe La République En Marche soutient totalement ce texte et le votera. Je vais tout de même faire deux ou trois observations, pour montrer à mes électeurs que je travaille… (Sourires.)
C’est la deuxième fois en trois ans que nous sommes réunis pour examiner une proposition de loi relative à la Caisse des Français de l’étranger. Cela prouve qu’il fallait agir.
En juin 2015, nous avions discuté un texte visant à réformer la gouvernance de la Caisse des Français de l’étranger qui n’avait pas été adopté. Je souhaite que la proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui le soit, car la CFE est un outil essentiel et précieux pour les Français de l’étranger et pour ceux qui souhaitent s’expatrier.
Les évolutions récentes, accentuées par la crise économique, se traduisent par une baisse du nombre de salariés bénéficiant d’un contrat d’expatriation – ces salariés constituent le public historique de la Caisse –, et par une augmentation du nombre de personnes recrutées sous contrat local, et qui ont par conséquent besoin d’un système de protection sociale comme celui qu’offre la CFE.
Depuis 2016, un vent de réforme souffle sur la Caisse. Son conseil d’administration a été considérablement modifié à la suite des élections de l’AFE, et sa direction a également changé. Des initiatives intéressantes ont été prises en vue de moderniser son offre commerciale. La présente proposition de loi vise à accompagner et à accentuer ce mouvement.
Comme cela a été dit, la première priorité concerne les modalités de fixation des cotisations. Les assurances volontaires de la CFE sont trop chères et ne sont donc pas accessibles à tous les Français établis hors de France. Parmi ceux qui n’en sont pas bénéficiaires, certains n’ont simplement pas pensé à s’assurer, mais pour d’autres, les cotisations sont trop élevées. C’est l’une des raisons pour lesquelles le nombre d’adhérents reste faible. Je rappelle que, au 31 décembre 2016, la CFE comptait 100 000 adhérents pour 2,5 millions de Français à l’étranger. Le rapport n’est pas très favorable !
Par ailleurs, le profil des assurés apparaît en décalage avec celui des Français établis hors de France. Cette situation est préoccupante, car elle fait peser un risque sur l’équilibre financier de la CFE, équilibre qui est aujourd’hui assuré grâce aux adhésions des salariés et des grandes entreprises.
Il est donc nécessaire de doter la CFE de nouveaux outils juridiques lui permettant de rééquilibrer sa pyramide des âges et de préserver son équilibre. C’est pourquoi il est proposé d’unifier la grille tarifaire de la Caisse, et de l’articuler autour de la tranche d’âge et de la composition familiale de l’assuré.
La deuxième priorité concerne les modalités de prise en charge des dépenses engagées à l’étranger. Le système actuel a beaucoup vieilli. Comme dans le système français, les remboursements sont calculés sur la base des tarifs pratiqués par l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris. Ce dispositif n’a pas toujours de sens. Dans certains pays, les frais engagés sont beaucoup plus élevés qu’en France, mais dans d’autres, ils sont beaucoup plus faibles. L’hôpital Cedars-Sinaï à New York ne pratique pas tout du tout le même genre de tarifs que nos hôpitaux ! Nous proposons donc de créer un dispositif procédant au remboursement sur la base des frais réels.
Concernant la réforme de la gouvernance de la CFE, si je regrette que ce chapitre ait disparu du texte que nous examinons, je comprends l’argument avancé par le rapporteur. La sagesse qui caractérise notre assemblée doit nous conduire à ne pas modifier le droit en vigueur tant que la réflexion sur la représentation non parlementaire des Français établis hors de France n’a pas abouti.
Pour toutes ces raisons, le groupe La République En Marche soutient cet excellent texte. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Mme Laurence Cohen. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la Caisse des Français de l’étranger a été conçue comme le prolongement de la sécurité sociale française pour des personnes effectuant une partie de leur carrière à l’étranger, le plus souvent dans le cadre de contrats d’expatriation avec une prise en charge de la protection sociale par l’entreprise et un retour programmé en France.
Sa mission d’origine est d’assurer aux salariés français expatriés une continuité de leur couverture sociale. Les expatriés sont libres d’adhérer à la CFE, qui fonctionne uniquement grâce aux cotisations de ses adhérents.
Ce modèle connaît aujourd’hui une crise du fait de la baisse du nombre d’assurés en raison de l’augmentation du nombre de contrats locaux. Après un contrat français d’expatrié de trois ans renouvelé une fois, les employeurs proposent souvent aux salariés de passer en contrat local.
Le développement des contrats locaux, avec des salaires plus faibles que ceux qui sont octroyés en France, ne permet pas toujours aux expatriés de s’assurer auprès de la CFE.
L’enjeu de la proposition de loi que nous examinons est de simplifier un régime qui s’est largement complexifié depuis sa création, comptant notamment autant de régimes tarifaires qu’il y a de catégories d’assurés – salariés, non-salariés, étudiants, inactifs… Il y a actuellement 600 tarifs possibles !
Cette explosion du nombre de régimes tarifaires a entraîné une illisibilité et un affaiblissement général de la CFE, déjà soumise à une forte concurrence des complémentaires privées étrangères.
Dans le même temps, les dysfonctionnements et les incohérences du système ont causé une dégradation de l’image de la Caisse.
Quelles sont les solutions proposées par nos collègues socialistes au travers de cette proposition de loi ?
Il est tout d’abord prévu d’élargir aux citoyens européens l’adhésion à la Caisse des Français de l’étranger, ce qui paraît une bonne chose. Mais, si l’image de la CFE demeure dégradée, il est en même temps indispensable de rétablir la confiance.
Ensuite, il est proposé d’unifier le mode de calcul des cotisations.
Face au manque de lisibilité des 600 régimes tarifaires, cela semble en effet indispensable. Toutefois, mes chers collègues, votre proposition n’est pas vraiment plus simple dans la mesure où vous prévoyez une cotisation forfaitaire dont le montant est fixé en fonction de l’appartenance à une catégorie d’âge et de la composition familiale de l’assuré volontaire, et, pour les adhérents à faibles revenus, cette cotisation pourra être modulée en fonction du niveau des ressources de l’assuré.
Je ne suis pas certaine que la coexistence de deux systèmes avec, d’un côté, une cotisation forfaitaire selon la composition du foyer et, de l’autre, une cotisation modulée selon les revenus de l’assuré soit de nature à améliorer la lisibilité des tarifs de la CFE.
Concernant les prestations remboursées à l’étranger par la Caisse des Français de l’étranger, nous pensons indispensable que les expatriés puissent connaître, avant toute consultation ou toute opération, le niveau de prise en charge des soins par la Caisse.
Enfin, s’agissant du volet de la gouvernance, nous notons avec satisfaction l’application de la parité entre les hommes et les femmes pour la constitution des listes.
Malgré ces remarques constructives, nous soutenons les objectifs poursuivis avec cette proposition de loi, à savoir revitaliser la Caisse des Français de l’étranger et améliorer le service rendu aux adhérentes et aux adhérents, ce qui justifie notre vote positif. J’ajoute que, contrairement à la précédente proposition de loi, Mme la ministre y adhère également. Vous n’avez donc aucun souci à vous faire, mes chers collègues ! (Sourires.) Permettez-moi de faire observer que je suis intervenue en un temps record. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe La République En Marche et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. le président. La parole est à M. Olivier Henno, pour le groupe Union Centriste.
M. Olivier Henno. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, j’ai bien compris qu’il nous fallait ramasser notre pensée si nous voulions que la proposition de loi soit adoptée dans le temps imparti. Pour autant, cela ne signifie en rien que cette réforme soit anodine, tant s’en faut. En effet, 200 000 de nos concitoyens sont concernés.
Je n’insisterai pas sur le volet historique de ce texte, les orateurs qui m’ont précédé l’ayant abordé, et mon collègue Olivier Cadic y reviendra ultérieurement.
Cette réforme est attendue depuis plusieurs années maintenant. Déjà en 2010, un rapport de la Cour des comptes appelait à une refonte de la gouvernance de la Caisse. Il indiquait que la Caisse, se trouvant dans un contexte de concurrence avec les assureurs privés, avait développé des modalités d’intervention qui tendaient à l’éloigner des organismes de sécurité sociale et à la rapprocher d’un assureur privé.
En 2015, une mission conjointe de l’IGAS et de l’IGF a formulé un certain nombre de recommandations, préconisant notamment d’améliorer l’offre tarifaire de la Caisse. Elle mentionnait également la nécessité de mettre les textes régissant les conditions d’affiliation à la CFE en conformité avec le principe communautaire d’égalité de traitement entre les ressortissants nationaux et communautaires.
Faisant suite à ces différentes recommandations, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui s’articule autour de deux chapitres. Le premier concerne l’offre commerciale de la Caisse et le second la gouvernance.
Le premier volet procède à l’unification du mode de calcul des cotisations des différentes catégories d’adhérents, en fonction de leur catégorie d’âge et de la composition de leur foyer. Cette mesure apportera une clarification bienvenue à l’offre commerciale de la CFE et lui permettra de se maintenir dans la compétition.
L’ampleur du second volet, bien qu’important, est moindre dans la mesure où il se contente de tirer les conséquences de la suppression des différentes catégories d’assurés pour adapter la représentation au sein du conseil d’administration de la Caisse, dans l’attente d’une réforme plus importante de la représentation des Français de l’étranger, comme cela a été souligné.
Cette proposition de loi devrait permettre à la CFE de se refonder pour continuer d’accompagner nos compatriotes installés hors de France.
Je tiens, pour conclure, à saluer le travail de mon collègue Yves Daudigny ; il a apporté des modifications bienvenues à ce texte, que le groupe Union Centriste votera. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe La République En Marche et du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Claude Malhuret, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires.
M. Claude Malhuret. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, j’ai moi aussi bien compris qu’à cette heure la concision était une vertu préférable à l’éloquence. Par conséquent, je m’efforcerai également d’être bref.
La Haute Assemblée répond aujourd’hui à une sollicitation du conseil d’administration de la Caisse des Français de l’étranger qui appelle à une réforme rapide, dans un souci d’adaptation aux nouvelles formes et aux nouveaux parcours de l’expatriation.
Cette réforme est un acte salutaire pour répondre à une double problématique : d’abord, celle de l’illisibilité de l’offre tarifaire actuelle, avec plus de 600 offres disponibles ; ensuite, celle du manque d’adaptation à une population grandissante, celle des jeunes expatriés, souvent partis étudier à l’étranger pour de courts séjours.
La proposition de loi de notre collègue Jean-Yves Leconte a le mérite de dépoussiérer un système en totale déshérence. Elle satisfait l’attente des Français de l’étranger, à savoir une transformation profonde. Leurs demandes se concentrent aujourd’hui sur leur couverture pour les soins pendant leurs courts séjours en France et leur couverture complémentaire en cas d’hospitalisation dans l’État de résidence. Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2017 avait déjà marqué une première étape dans cette révolution ; cette proposition de loi a pour ambition de l’achever. Ce n’est pas une mince affaire !
Un peu moins de 2 millions de nos compatriotes vivent aujourd’hui à l’étranger, une proportion en hausse constante depuis plusieurs années. Partout dans le monde, ces Français nous demandent d’adapter le droit français à leur situation d’expatriés. Il nous faut les entendre, adapter la loi à la spécificité de leur situation, et notre chambre a toujours été à leur écoute.
Cette réforme de la CFE prévoit surtout une simplification drastique de l’offre tarifaire de l’assurance maladie volontaire. À l’heure d’une remise à plat de notre système de sécurité sociale, c’est une mesure courageuse et nécessaire pour apporter de la clarté et de la lisibilité à nos compatriotes. À l’avenir, la cotisation volontaire sera déterminée en fonction des tranches d’âge et de la composition familiale, quel que soit le statut de l’adhérent et quelle que soit la nationalité des membres de sa famille. Cette petite révolution mérite d’être saluée.
Dans un même élan de simplification, la proposition de loi prévoit une prise en charge en fonction du pays où les soins sont prodigués, avec une couverture en pourcentage du coût des soins. Cette adaptation à la diversité des pays est salutaire pour notre modèle de sécurité sociale. Elle apporte davantage de liberté à notre système de couverture médicale et ne retient plus captive la CFE de normes françaises totalement déconnectées des tarifs pratiqués à l’étranger.
Dans un souci de respect de la législation européenne, la proposition de loi supprime enfin la condition de nationalité pour adhérer à la CFE. Dans la pratique, cette évolution de notre droit répond à une situation de fait, déjà tolérée par la CFE, puisque la Caisse accepte les adhésions des ressortissants des États membres de l’Union européenne et de pays tiers aux assurances volontaires. Cette mesure devrait donc rapidement se mettre en place.
Permettez-moi, avant de conclure, de dire quelques mots sur la réforme de la gouvernance de la CFE. Celle-ci me semble essentielle pour prendre en compte la réforme de juillet 2013 relative à la représentation des Français de l’étranger. Je déplore simplement que nos collègues de la commission aient supprimé la référence au vote par correspondance électronique lors de l’examen de cette proposition de loi. Dans notre effort de simplification du droit, nous ne devons pas manquer de relever le défi de la révolution numérique.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le groupe Les Indépendants – République et Territoires salue l’initiative de cette réforme. En simplifiant les dispositifs et en adaptant cette structure à la réforme de la représentation des Français de l’étranger, elle apporte un vent de modernité sur cette institution et sera profitable à nos nombreux concitoyens expatriés. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe La République En Marche et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. le président. La parole est à Mme Claudine Lepage, pour le groupe socialiste et républicain.
Mme Claudine Lepage. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, j’ai bien compris le message : je serai brève.
Je me réjouis que le Sénat examine de nouveau une proposition de loi relative à la protection sociale des Français établis hors de France, sujet éminemment important pour nos compatriotes résidant à l’étranger.
Il y a un peu plus de deux ans, nous étions déjà réunis dans cet hémicycle pour débattre d’une proposition de loi visant à réformer la gouvernance de la Caisse des Français de l’étranger, mais, malheureusement, la majorité sénatoriale avait fait le choix de s’opposer à ce texte.
Aujourd’hui, la présente proposition de loi comporte deux volets complémentaires et indispensables pour faire entrer pleinement la CFE dans le XXIe siècle et l’adapter – enfin ! – à l’évolution de la représentation politique des Français établis hors de France et à la réalité de l’expatriation. Il nous a en effet paru indispensable d’ajouter un volet commercial au texte initial.
Créée il y a quarante ans, la Caisse des Français de l’étranger doit nécessairement s’adapter aux changements que connaît l’expatriation et à l’évolution de la sociologie des Français de l’étranger.
Ces nouveaux Français de l’étranger ne trouvent pas toujours à la CFE une offre abordable correspondant à leurs besoins. En simplifiant l’offre tarifaire de la CFE en matière d’assurance maladie volontaire, en permettant un niveau de prise en charge clair et lisible en fonction du pays où les soins seront prodigués et en supprimant la condition de nationalité pour être adhérent, la présente proposition de loi répond de manière concrète à ces nouvelles formes et à ces nouveaux parcours de l’expatriation. Nous pouvons tous nous en réjouir.
Si je salue le travail réalisé par la commission, je déplore néanmoins que l’élargissement du collège électoral procédant à l’élection du conseil d’administration ne figure pas dans le texte issu des travaux de la commission. Il est en effet regrettable qu’il soit toujours indiqué dans les textes en vigueur que ce sont les membres de l’Assemblée des Français de l’étranger qui élisent les membres du conseil d’administration de la CFE.
Ce collège électoral est anachronique étant donné que la réforme de la représentation des Français de l’étranger, introduite par la loi du 22 juillet 2013, a instauré 443 conseillers consulaires et a réduit à 90 le nombre des conseillers de l’Assemblée des Français de l’étranger.
Néanmoins, je peux comprendre les arguments évoqués par le rapporteur et certains de mes collègues, le Gouvernement ayant récemment annoncé l’ouverture d’une réflexion sur la représentation des Français établis hors de France. Je compte donc sur le Gouvernement pour faire en sorte que la représentation des assurés au sein du conseil d’administration de la Caisse fasse partie intégrante de cette réflexion.
Mes chers collègues, vous l’aurez compris, afin de moderniser le fonctionnement de ce formidable outil qu’est la CFE et de la faire pleinement entrer dans le XXIe siècle, je vous invite à voter cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe La République En Marche et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. Richard Yung. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Ronan Le Gleut, pour le groupe Les Républicains.
M. Ronan Le Gleut. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la Caisse des Français de l’étranger a quarante ans. Le bel âge, me direz-vous ! Je ne saurais dire le contraire, c’est le mien ! (Sourires.) Pour autant, c’est aussi celui des remises en question, des tournants à prendre, des réorientations.
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui répond à cette nécessité. Le texte que nous soumet la commission des affaires sociales n’a plus rien à voir avec la mouture initiale, et c’est heureux, car celle-ci était obsolète.
Je remercie le groupe socialiste et républicain d’avoir inscrit cette proposition de loi à l’ordre du jour des travaux du Sénat et, surtout, le rapporteur Yves Daudigny de son ouverture d’esprit : j’ai eu l’honneur d’être auditionné au titre de l’UFE, l’Union des Français de l’étranger, et il a su écouter les légitimes remarques et demandes que nous lui avons formulées.
Qu’il me soit aussi permis de rendre hommage à notre ancien collègue Jean-Pierre Cantegrit, qui a fortement contribué au développement de la CFE, en présidant son conseil d’administration sans interruption depuis l’origine jusqu’en 2015.
Mme Claudine Lepage. Près de quarante ans alors !
M. Ronan Le Gleut. Sous son impulsion, la CFE, créée initialement essentiellement pour répondre aux besoins des entreprises qui expatriaient des cadres, a accompagné l’expansion des entreprises à l’international dans le cadre de la mondialisation, mais a également élargi son champ d’intervention à toutes les catégories de Français qui faisaient le choix de s’expatrier pour diverses raisons, qu’il s’agisse de jeunes à la recherche d’un emploi, de retraités, d’entrepreneurs ou autres.
Ce modèle, qui transpose notre système de protection sociale à l’étranger, en particulier dans le champ de l’assurance santé, a trouvé progressivement ses limites pour diverses raisons : diminution de l’expatriation classique du fait que les entreprises recrutent de plus en plus localement ; faible attractivité vis-à-vis des jeunes, en raison de tarifs peu compétitifs ; grilles tarifaires par statut et donc inadaptées ; modalités de prise en charge des soins peu lisibles ; difficultés à disposer d’un réseau de soins permettant d’offrir le tiers payant. Et cela s’est traduit par un recul du nombre des adhésions à la CFE, porteur à terme d’une dégradation prévisible de finances encore provisoirement saines.
C’est dans ce contexte que le conseil d’administration, renouvelé en 2015, a porté Alain-Pierre Mignon à sa tête. Ce dernier est non seulement un élu des Français de l’étranger, mais aussi un chef d’entreprise dynamique et créatif, qui a mis son énergie, avec la nouvelle direction, à concevoir une stratégie dans laquelle s’inscrivent des projets visant à renforcer la protection sociale des Français établis hors de France.
La mise en œuvre de ces projets ambitieux rend nécessaire l’adaptation de la législation applicable à la CFE, et tel est l’objet de notre discussion aujourd’hui. Les clients de la CFE y adhèrent en étant rattachés à un statut : salariés, non-salariés, étudiants, retraités, inactifs. Difficile à gérer, avec des niveaux de cotisations correspondant aux ressources des assurés presque invérifiables, ce système détourne une partie des Français de l’étranger de la CFE au bénéfice d’assureurs privés.
C’est dans ce contexte que la Caisse a décidé de moderniser ses grilles tarifaires, qui seront dorénavant assises sur l’âge et la composition de la famille de l’assuré. C’est un progrès considérable et une réelle simplification. Cela renforce l’attractivité de la CFE et la lisibilité des cotisations.
L’innovation de la réforme qu’il nous est proposé de voter réside dans le fait non pas qu’elle fixe les nouvelles règles que la Caisse souhaite mettre en œuvre et que nous soutenons, mais qu’elle donne au conseil d’administration de la CFE la possibilité d’adapter son dispositif tarifaire et les modalités de prise en charge des soins, dans un souci de coller plus fortement aux besoins des Français de l’étranger. Cette souplesse conférée au conseil d’administration interviendra bien entendu sous le contrôle des pouvoirs publics.
Cela ne remet pas en cause le statut de caisse de sécurité sociale de base. En revanche, la loi permettra à la CFE de conclure des partenariats avec des assureurs complémentaires pour offrir à ses clients une prise en charge complète des soins qu’ils engagent.
Les Français établis hors de France sont les meilleurs pour faire une analyse comparative des fonctionnements, ce qu’on appelle le « parangonnage ». Faisons-leur confiance pour savoir s’adapter et garder une caisse des Français de l’étranger performante et efficace !
En votant ce texte, nous améliorerons l’accès de nos compatriotes à une protection sociale française de qualité. Parce que le temps presse, que des mois de navette parlementaire feraient perdre un temps précieux à une réforme qu’il nous faut engager le plus rapidement possible, j’espère que nous trouverons une voie consensuelle pour qu’il n’y ait qu’une lecture et que la nouvelle législation que nous souhaitons entre en vigueur dès que possible. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe La République En Marche et du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme Hélène Conway-Mouret, pour le groupe socialiste et républicain.
Mme Hélène Conway-Mouret. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, dernière intervenante, j’essaierai d’éviter les répétitions, même si l’exercice est un peu compliqué.
Je le rappelle, d’après les estimations, on compte plus de 3 millions de nos compatriotes établis hors de France. Ils ont les mêmes besoins et rencontrent les mêmes problématiques qu’en France en termes de recours aux soins. Nombre d’entre eux essaient de bénéficier de la continuité de leur couverture sociale.
Je m’attacherai au volet principal de notre proposition de loi, à savoir celui de la tarification.
La CFE couvre aujourd’hui 190 000 adhérents. Il semblerait que la Caisse ne soit malheureusement plus en mesure de fournir des réponses adaptées aux enjeux d’une couverture volontaire de qualité accessible au plus grand nombre, notamment pour la troisième catégorie, qui regroupe les assurés les plus vulnérables, lesquels ne bénéficient pas d’un régime de soins efficace dans leur pays de résidence.
C’est pourquoi nous avons souhaité introduire un nouveau régime de cotisation simplifiée : la cotisation volontaire pour la couverture des frais de santé de nos compatriotes à l’étranger serait déterminée en fonction de leur tranche d’âge et de leur composition familiale.
L’offre tarifaire n’est plus adaptée à la mobilité de nos compatriotes, avec plus de 600 tarifs qui entravent aujourd’hui l’amélioration des performances de la Caisse.
Ainsi, notre texte prévoit une offre de prise en charge claire et lisible en fonction du pays de résidence où les soins sont prodigués, afin de parvenir au meilleur niveau de prise en charge. Il faut avoir à l’esprit que la mobilité attire principalement nos compatriotes se situant dans la tranche d’âge 20–45 ans. Leur départ de l’Hexagone est souvent lié à leurs études ou à leur plan de carrière.
Or il apparaît que les tarifs pratiqués par la Caisse sont trop élevés pour ceux qui ne sont pas pris en charge par leurs entreprises, la majorité d’entre eux. Beaucoup, ensuite, s’installent dans le temps et fondent souvent une famille : leur partenaire n’adopte pas forcément la nationalité française, alors que les enfants, eux, sont français. Il nous semble donc normal que toute la famille puisse adhérer à la Caisse. La suppression de la condition de nationalité française pour l’adhésion nous paraît par conséquent justifiée, afin d’éviter toute discrimination.
Néanmoins, il faut admettre que les nouveaux produits sont de nature à résorber les tarifs trop élevés. Je pense à l’assurance JeunExpat Santé, avec une cotisation de 49 euros mensuels pour les jeunes de 18 à 29 ans. Je veux aussi saluer une autre offre « Produit France », qui permet aux assurés d’opter pour un remboursement des soins réalisés uniquement en France, réduisant ainsi leurs cotisations.
La majorité des jeunes Français partant à l’étranger n’a aucune couverture sociale ou celle-ci est trop souvent limitée aux premiers mois de leur expatriation. Ces mesures devraient les inciter à s’assurer grâce à des tarifs plus abordables.
Par ailleurs, la simplification permet à la CFE de baisser de façon significative et rapide ses frais de gestion, qui représentent aujourd’hui plus de 12 % des cotisations maladie, contre seulement 2,7 % pour la CNAMTS, la Caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés en France. La Caisse pourrait ainsi améliorer les prestations fournies à ses adhérents, en proportion des frais de gestion économisés.
Nous avons également souhaité introduire des avancées sociales, comme la suppression de l’exigence d’un montant minimal pour le versement des cotisations dues par les retraités, la fin de l’exigence du délai maximal au cours duquel l’intéressé peut demander son adhésion à l’une des assurances volontaires et, enfin, une couverture intégrale des frais relatifs aux risques et aux conséquences de la maternité.
En outre, nous proposons un plafonnement de l’augmentation des cotisations à 50 % sur dix ans.
Ces améliorations sont de nature à rendre efficace le modèle économique actuel, qui ne permettait plus de répondre à toutes les attentes de ceux qui n’ont aucune couverture sociale dans leur pays de résidence et de ceux qui recherchent principalement une couverture complémentaire en cas d’hospitalisation sur leur lieu d’habitation.
Dans cette proposition de loi, mes collègues et moi-même nous sommes attachés – je rends hommage à l’excellent travail du président et des administrateurs de la Caisse, ainsi que du rapporteur, Yves Daudigny – à rendre la CFE plus attractive, plus accessible et, surtout, ouverte à tous.
Mes chers collègues, au regard de l’ensemble des améliorations proposées quant à la politique tarifaire de la Caisse des Français de l’étranger, au cœur du présent texte, je vous invite à voter en faveur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe La République En Marche, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi relative à la réforme de la caisse des français de l’étranger
Chapitre Ier
Amélioration de l’offre commerciale de la CFE
Article 1er A (nouveau)
Le titre VI du livre VII du code de la sécurité sociale est ainsi modifié :
1° L’intitulé est ainsi rédigé : « Assurés résidant à l’étranger » ;
2° L’intitulé du chapitre II est ainsi rédigé : « Assurés volontaires à l’étranger ».
M. le président. Je mets aux voix l’article 1er A.
(L’article 1er A est adopté.)
Article 1er
L’article L. 762-1 du code de la sécurité sociale est ainsi rédigé :
« Art. L. 762-1. – Le ressortissant d’un État membre de l’Union européenne, d’un autre État partie à l’accord sur l’Espace économique européen ou de la Confédération suisse qui réside à l’étranger et qui n’est pas soumis à la législation française de sécurité sociale en vertu d’une convention internationale ou de l’article L. 761-2 du présent code, a la faculté de s’assurer volontairement dans les conditions prévues au présent chapitre contre les risques suivants :
1° Maladie et maternité ;
2° Invalidité ;
3° Accidents du travail et maladies professionnelles ;
4° Vieillesse, dans les conditions prévues par les articles L. 742-1 et L. 742-6 du présent code et L. 722-18 du code rural et de la pêche maritime. »
M. le président. La parole est à M. Olivier Cadic, sur l’article.
M. Olivier Cadic. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’article 1er met en conformité le droit applicable à la CFE avec le droit communautaire, reprenant les recommandations de l’IGAS.
Comme l’a dit mon collègue Olivier Henno lors de la discussion générale, j’étais intervenu en 2015 contre la proposition de loi réformant la gouvernance de la CFE. À l’instar de mes collègues de la majorité sénatoriale, nous avions préféré attendre les conclusions de l’IGAS.
Les différentes interventions dans le cadre de la discussion générale permettent de constater que le texte que nous examinons aujourd’hui est arrivé à maturité. En atteste, par exemple, l’élargissement des possibilités d’adhésion aux citoyens européens, prévu par l’article 1er.
En tant que représentant des Français établis hors de France, je suis ravi que la CFE ait pu être impliquée dans la rédaction de ce texte et que son président, Alain-Pierre Mignon, soit satisfait du résultat.
Je salue le travail participatif conduit par le rapporteur, Yves Daudigny – l’UFE, l’Union des Français de l’étranger, et l’ADFE, l’Association démocratique des Français de l’étranger, ont été associées à la réflexion –, qui a permis à la commission d’amender significativement le texte initial, aboutissant à un consensus.
La Caisse des Français de l’étranger est une caisse de sécurité sociale qui a mis un point d’honneur à équilibrer ses comptes en toutes circonstances, alors qu’elle évolue dans un contexte ultraconcurrentiel. Cela mérite d’être salué, et je remercie mes collègues Jacky Deromedi et Ronan Le Gleut d’avoir rappelé le rôle joué par l’ancien sénateur Jean-Pierre Cantegrit.
La CFE est un outil très précieux non seulement pour nos compatriotes qui y font appel à l’étranger, mais aussi pour les entreprises qui ont besoin d’une couverture sociale pour leurs collaborateurs expatriés, ce qui favorise notre commerce extérieur.
Je soutiens donc cet article et, au-delà, l’ensemble de ce texte. (M. Jean-Yves Leconte applaudit.)
M. le président. Je mets aux voix l’article 1er.
(L’article 1er est adopté.)
Article 2
Le code de la sécurité sociale est ainsi modifié :
1° L’article L. 762-2 est ainsi rédigé :
« Art. L. 762-2. – Les entreprises peuvent, pour le compte des travailleurs salariés et des collaborateurs assimilés qu’elles emploient à l’étranger, effectuer, dans des conditions fixées par décret, les formalités nécessaires à l’adhésion de ces personnes aux assurances volontaires mentionnées à l’article L. 762-1.
« Elles peuvent prendre en charge, en tout ou partie, les cotisations dues par leurs salariés. Lorsqu’il accepte cette prise en charge et qu’il effectue les formalités nécessaires à l’adhésion de ses salariés aux assurances volontaires ou à certaines d’entre elles, l’employeur doit informer expressément la Caisse des Français de l’étranger de sa volonté de se substituer aux salariés pour le paiement de tout ou partie des cotisations.
« Les services déconcentrés de l’État installés à l’étranger, ainsi que les établissements d’enseignement, de recherche, culturels, sanitaires à l’étranger subventionnés par le budget de l’État doivent, à la demande et pour le compte des travailleurs salariés qu’ils emploient localement et qui n’ont pas la nationalité de l’État de résidence, effectuer les formalités nécessaires à l’adhésion de ces personnes aux assurances volontaires mentionnées à l’article L. 762-1. » ;
2° L’article L. 762-3 est ainsi rédigé :
« Art. L. 762-3. – Sous réserve de l’application de l’article L. 762-5, les prestations des assurances volontaires instituées au présent chapitre ne sont dues que si les cotisations exigibles ont été versées par l’adhérent avant la survenance du risque. » – (Adopté.)
Article 3
La section 2 du chapitre II du titre VI du livre VII du code de la sécurité sociale est ainsi modifiée :
1° L’intitulé est ainsi rédigé : « Maladie et maternité » ;
2° Au début, il est ajouté un article L. 762-5 ainsi rétabli :
« Art. L. 762-5. – L’adhésion à l’assurance volontaire maladie-maternité prévue par la présente section prend effet et le droit aux prestations est ouvert à l’issue de délais fixés en fonction du risque couvert et de l’âge de l’assuré. Ces délais doivent permettre d’assurer, le cas échéant, la continuité de la couverture des risques au regard de la législation française au moment du départ et du retour en France de l’assuré. »
3° Après le même article L. 762-5, il est inséré un article L. 762-5-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 762-5-1. – Sont considérés comme membres de la famille de l’assuré au titre de l’assurance volontaire maladie-maternité prévue à la présente section :
« 1° Le conjoint de l’assuré, la personne qui lui est liée par un pacte civil de solidarité ou qui vit maritalement avec lui ;
« 2° Jusqu’à un âge limite, les enfants n’exerçant pas d’activité professionnelle, à la charge de l’assuré ou de la personne visée au 1° ;
« 3° Jusqu’à un âge limite et lorsqu’ils ne peuvent bénéficier de la qualité d’assuré social à un autre titre, les enfants placés en apprentissage, les enfants poursuivant des études et les enfants qui, par suite d’infirmités ou de maladies chroniques, sont dans l’impossibilité permanente de se livrer à une activité professionnelle ;
« 4° Toute autre personne qui avait la qualité d’ayant droit de l’assuré dans le régime obligatoire français dont celui-ci relevait immédiatement avant son adhésion, tant que les conditions qui fondaient cette qualité d’ayant droit restent remplies. » ;
4° La division et l’intitulé de la sous-section 4 sont supprimés ;
5° Le premier alinéa de l’article L. 762-6 est ainsi rédigé :
« L’assurance volontaire maladie-maternité comporte l’octroi à l’assuré et à ses ayants droit des prestations en nature prévues aux 1°, 2°, 3° et 4° de l’article L. 160-8 et à l’article L. 160-9. » ;
6° Après le même article L. 762-6, sont insérés des articles L. 762-6-1 à L. 762-6-5 ainsi rédigés :
« Art. L. 762-6-1. – Les soins dispensés à l’étranger aux personnes visées à la présente section ouvrent droit à des prestations servies, sur la base des dépenses réellement exposées, dans la limite d’un taux de prise en charge ou d’un forfait, déterminé par pays et par type de soins, par référence aux tarifs appliqués en France pour des soins analogues. Un arrêté du ministre chargé de la sécurité sociale pris sur proposition du conseil d’administration de la Caisse des Français de l’étranger fixe ces modalités de remboursement.
« Toutefois, lorsque les dépenses exposées sont manifestement excessives au regard du coût moyen de soins analogues dans le pays de résidence, tel qu’établi à partir des demandes de remboursement présentées à la Caisse des Français de l’étranger, celle-ci peut, après avoir sollicité les explications de l’assuré, ajuster les prestations servies sur la base de ce coût moyen, sans que ces prestations puissent excéder celles qui auraient été dues par la caisse en application de l’alinéa précédent.
« Ne sont pas applicables les dispositions des chapitres II à V du titre VI du livre Ier, les dispositions relatives aux transports sanitaires du livre III ainsi que celles figurant au chapitre II du titre III du livre IV.
« Les autorités consulaires françaises communiquent à la Caisse des Français de l’étranger toutes informations nécessaires à l’exercice de son contrôle.
« Art. L. 762-6-2. – Lorsque l’importance des dépenses présentées au remboursement le justifie, la Caisse des Français de l’étranger peut faire procéder à l’examen médical de l’assuré par un praticien en France ou à l’étranger. L’examen peut être effectué dans un établissement hospitalier. Il vise à définir un traitement adapté à l’état du bénéficiaire qui sert de base aux remboursements. Le praticien est choisi par la Caisse des Français de l’étranger après avis du service du contrôle médical. Les frais nécessités par l’examen sont à la charge de la caisse.
« Art. L. 762-6-3. – Les prestations en nature de l’assurance maladie et maternité sont servies et prises en charge par la Caisse des Français de l’étranger lorsque les soins sont dispensés lors des séjours en France des adhérents aux assurances volontaires maladie-maternité mentionnées au présent chapitre, à la condition que les intéressés n’aient pas droit, à un titre quelconque, à ces prestations sur le territoire français.
« Art. L. 762-6-4. – La couverture des charges résultant de l’application de la présente section est assurée par une cotisation forfaitaire, déterminée par arrêté du ministre chargé de la sécurité sociale, pris sur proposition du conseil d’administration de la Caisse des Français de l’étranger.
« Le montant de cette cotisation est fixé en fonction de l’appartenance à une catégorie d’âge et de la composition familiale de l’assuré volontaire. Il peut également être modulé en fonction du niveau des ressources de l’assuré, par référence au plafond de cotisations de la sécurité sociale, et pour les entreprises, en fonction du nombre de salariés adhérents à la Caisse des Français de l’étranger. Il peut être également modulé en fonction de l’ancienneté de l’adhésion à la Caisse des Français de l’étranger.
« Le montant des cotisations est révisé si l’équilibre financier de l’assurance volontaire l’exige.
« Art. L. 762-6-5. – Lorsqu’un Français, résident dans un État situé hors de l’Espace économique européen, ne dispose pas de la totalité des ressources nécessaires pour acquitter, à titre d’adhérent individuel, la cotisation mentionnée à l’article L. 762-6-4 du présent code, une partie de cette cotisation dont le montant est fixé par arrêté du ministre chargé de la sécurité sociale pris sur proposition du conseil d’administration de la Caisse des Français de l’étranger, est prise en charge, à sa demande, par le budget de l’action sanitaire et sociale de la Caisse des Français de l’étranger.
« Les autorités consulaires françaises effectuent le contrôle initial et périodique des ressources des intéressés.
« Les conditions de la prise en charge prévue ci-dessus, ainsi que les modalités d’application du présent article, sont fixées par décret. » – (Adopté.)
Article 4
Le chapitre II du titre VI du livre VII du code de la sécurité sociale est ainsi modifié :
1° La sous-section 5 de la section 2 est abrogée ;
2° Après la même section 2, est insérée une section 2 bis ainsi rédigée :
« Section 2 bis
« – Incapacité de travail, invalidité et pensions de vieillesse substituées
« Art. L. 762-7. – La Caisse des Français de l’étranger peut offrir aux travailleurs salariés ou assimilés adhérant aux assurances instituées au présent chapitre, ou à leurs employeurs agissant pour leur compte, des prestations supplémentaires et notamment les prestations en espèces définies à l’article L. 321-1 et la prestation d’invalidité prévue au titre IV du livre III.
« La couverture de ces charges est intégralement assurée par des cotisations supplémentaires. Les contrats fixent, pour des prestations identiques, des assiettes et des taux de cotisations identiques.
« Un décret fixe la nature des prestations supplémentaires qui peuvent être instituées ainsi que les modalités selon lesquelles sont déterminés les taux et les assiettes des cotisations.
« Art. L. 762-7-1. – L’invalidité prévue par la présente section comprend l’octroi des prestations prévues au titre IV du livre III.
« Toutefois, la pension de vieillesse substituée à la pension d’invalidité prévue par l’article L. 341-15 ne peut être liquidée au profit du titulaire d’une pension d’invalidité accordée au titre de cette assurance volontaire que sous des conditions fixées par décret en Conseil d’État.
« De même, la pension de vieillesse de veuve ou de veuf substituée à la pension d’invalidité de veuve ou de veuf prévue par l’article L. 342-6 ne peut être liquidée au profit du conjoint survivant du bénéficiaire de cette assurance volontaire que dans des conditions fixées par décret en Conseil d’État.
« Lorsque les pensions de substitution prévues aux deuxième et troisième alinéas du présent article ne peuvent être liquidées, la pension d’invalidité ou la pension de veuve ou de veuf invalide est remplacée par une allocation calculée sur la base de cette pension au prorata de la durée de cotisation à l’assurance volontaire invalidité et de perception de la pension d’invalidité sur la durée limite d’assurance prévue au troisième alinéa de l’article L. 351-1. Cette allocation, dont le montant ne peut être inférieur à celui de l’allocation aux vieux travailleurs salariés, est servie sans possibilité de cumul avec un éventuel avantage de base au titre d’un régime français d’assurance vieillesse. » – (Adopté.)
Article 5
La section 3 du chapitre II du titre VI du code de la sécurité sociale est complétée par des articles L. 762-9 et L. 762-10 ainsi rédigés :
« Art. L. 762-9. – Les pensions d’invalidité et les prestations en espèces de l’assurance accidents du travail-maladies professionnelles sont calculées sur la base du salaire retenu pour l’assiette des cotisations et dans les limites fixées aux articles L. 434-16 pour le calcul de la rente et L. 433-2 pour le calcul de l’indemnité journalière.
« Art. L. 762-10. – La couverture des charges résultant de l’application de la présente section est assurée par une cotisation calculée sur la base d’un niveau de salaire choisi par l’intéressé entre un minimum et un maximum dans les conditions fixées par décret.
« Le montant de la cotisation est révisé si l’équilibre financier de l’assurance volontaire l’exige.
« La Caisse des Français de l’étranger peut accorder, selon des modalités fixées par décret, des ristournes sur le taux de la cotisation mentionnée au premier alinéa du présent article, tenant compte des accidents du travail reconnus dont ont été victimes les salariés d’entreprises mandataires d’un nombre minimum d’adhérents, dans la mesure où l’équilibre financier du risque est respecté. » – (Adopté.)
Article 6
I. – Les chapitres III à V et les sections 1 et 2 du chapitre VI du titre VI du livre VII du code de la sécurité sociale sont abrogés.
II. – Les sections 2 à 4 du chapitre II du titre VI du livre VII du code rural et de la pêche maritime sont abrogées. – (Adopté.)
Articles 7 à 20
(Supprimés)
Article 21
L’entrée en vigueur de la présente loi ne peut avoir pour effet de majorer de plus de 50 % les cotisations mentionnées à l’article L. 762-6-4 du code de la sécurité sociale acquittées précédemment à titre individuel par un assuré de la Caisse des Français de l’étranger en application du 1° de l’article L. 762-3 et des articles L. 763-4, L. 764-4, L. 765-2-1 et L. 765-6 à L. 765-9 du code de la sécurité sociale dans sa rédaction antérieure à la présente loi. – (Adopté.)
Article 22
Les conséquences financières éventuelles de la présente loi pour les organismes de sécurité sociale sont compensées, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
M. le président. En conséquence, l’article 22 est supprimé.
Chapitre II
Réforme de la gouvernance de la CFE
Article 23 A (nouveau)
Le code de la sécurité sociale est ainsi modifié :
1° L’article L. 766-4 est ainsi modifié :
a) Le premier alinéa est ainsi rédigé :
« Les assurés volontaires mentionnés au chapitre II du présent titre adhèrent à la Caisse des Français de l’étranger. » ;
b) Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« Les articles L.114-12, L.114-12-2, L.114-17-1, L.114-25 et L.161-1-5 sont applicables à la Caisse des Français de l’étranger dans des conditions fixées par décret. » ;
2° Le 1° de l’article L. 766-4-1 est ainsi rédigé :
« 1° Des personnes mentionnées à l’article L. 762-6-5, en prenant en charge une partie de leurs cotisations ; »
3° Après l’article L. 766-4-1, sont insérés des articles L. 766-4-2 et L. 766-4-3 ainsi rédigés :
« Art. L. 766-4-2. – La Caisse des Français de l’étranger peut procéder à la radiation définitive d’un assuré, après l’avoir mis en demeure de produire ses observations, lorsque cet assuré ou l’un de ses ayants droit s’est rendu coupable de fraude ou de fausse déclaration pour obtenir ou faire obtenir ou tenter de faire obtenir des prestations qui ne sont pas dues.
« Art. L. 766-4-3. – La Caisse des Français de l’étranger peut conclure des partenariats en vue de fournir à ses adhérents des garanties couvrant la totalité des dépenses de santé qu’ils ont à supporter.
« La Caisse des Français de l’étranger peut rémunérer des intermédiaires, dans des conditions prévues par décret, en vue de favoriser la promotion de ses garanties, y compris celles découlant de l’alinéa précédent. » – (Adopté.)
Article 23
L’article L. 766-5 du code de la sécurité sociale est ainsi modifié :
1° Le 1° est ainsi rédigé :
« 1° Quinze administrateurs élus, représentant les assurés ;
2° à 4° (Supprimés) – (Adopté.)
Article 24
L’article L. 766-6 du même code est ainsi modifié :
1° et 2° (Supprimés)
2°bis (nouveau) La dernière phrase du premier alinéa est supprimée ;
3° Au deuxième alinéa, la référence : « des articles L. 231-6 et » est remplacée par les références : « du premier alinéa de l’article L. 231-6 et des 4° et 5° de l’article ». – (Adopté.)
Article 25
L’article L. 766-7 du même code est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Les listes de candidats sont composées alternativement d’un candidat de chaque sexe. » ;
2° Le deuxième alinéa est ainsi modifié :
a) Après les mots : « à pourvoir », la fin de la première phrase est supprimée ;
b) La deuxième phrase est supprimée. – (Adopté.)
Vote sur l’ensemble
M. le président. Personne ne demande la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble de la proposition de loi relative à la réforme de la Caisse des Français de l’étranger.
(La proposition de loi est adoptée.) - (Applaudissements.)
M. le président. Je constate que cette proposition de loi a été adoptée à l’unanimité des présents.
7
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 6 février 2018 :
À quatorze heures trente :
Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à l’organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 (n° 203, 2017-2018).
Rapport de Mme Muriel Jourda, fait au nom de la commission des lois (n° 262, 2017-2018).
Avis de M. Philippe Pemezec, fait au nom de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable (n° 256, 2017-2018).
Avis de M. Claude Kern, fait au nom de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication (n° 257, 2017-2018).
Avis de Mme Sophie Primas, fait au nom de la commission des affaires économiques (n° 258, 2017-2018).
Texte de la commission (n° 263, 2017-2018).
À seize heures quarante-cinq : questions d’actualité au Gouvernement.
À dix-sept heures quarante-cinq et le soir : suite du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à l’organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 (n° 203, 2017-2018).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt heures dix.)
Direction des comptes rendus
GISÈLE GODARD