M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Très convaincant !
M. le président. La parole est à M. Jacques Bigot, pour explication de vote sur l’article.
M. Jacques Bigot. Nous ne voterons bien évidemment pas l’article 4. D’autant moins que, comme le dernier débat l’a prouvé, il sera vraisemblablement fort peu utilisé.
Quelle est, en effet, la réalité ? Il n’y a eu à Paris – vous le savez bien, monsieur le rapporteur – quasiment aucune perquisition administrative, parce qu’il valait mieux agir dans le cadre judiciaire. C’est ce qui devrait se faire de manière générale pour être efficace, d’autant plus que si, à l’occasion d’une visite domiciliaire, c’est-à-dire d’une perquisition administrative, on découvre des infractions, il est indispensable de pouvoir tout de suite rentrer dans le domaine judiciaire, avec les précautions et règles qui s’y attachent, ainsi que les possibilités de recours.
De ce point de vue, dans la lutte contre le terrorisme, il faut souhaiter que le travail mené en commun par les services de police et de gendarmerie et les services de la justice, sous l’égide du procureur de la République, conduise à ne pas recourir à cet article, dont on vient, d’une certaine manière, de démontrer une nouvelle fois l’inutilité.
Le seul intérêt de cet article tient à l’affirmation à l’égard de la population que, si l’on quitte l’état d’urgence, elle sera couverte par le droit commun. Or les textes existent déjà, comme le Président de la République actuel le disait à l’époque. Pour notre part, nous ne pouvons que voter contre cet article, qui nous conduira sans doute à adopter une position très négative sur l’ensemble du projet de loi.
M. le président. La parole est à M. le ministre d'État.
M. Gérard Collomb, ministre d'État. Monsieur Bigot, les perquisitions menées ces derniers mois sous l’état d’urgence ont permis d’éviter deux attentats : l’un contre un bureau de vote, l’autre contre un meeting politique. Cela sert donc à quelque chose, même si le nombre des opérations est limité. Si ces attentats avaient eu lieu, leurs conséquences auraient été catastrophiques pour notre démocratie. Nous défendons donc les libertés publiques !
Article additionnel après l’article 4
M. le président. L'amendement n° 16 rectifié, présenté par Mmes N. Goulet et Troendlé, est ainsi libellé :
Après l’article 4
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Les personnes publiques peuvent charger une association ou une fondation ayant pour objet la prévention et la lutte contre la radicalisation d'une action, d'un projet ou d'une activité en lien avec son objet si cette association ou fondation a été reconnue d'utilité publique et bénéficie d'un agrément délivré dans des conditions fixées par décret.
Toute association ou fondation mentionnée au premier alinéa est soumise de plein droit aux obligations de conclusion d'une convention, de production d'un compte rendu financier et de dépôt et publication de ces documents prévues à l'article 10 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations.
Ces obligations financières et de transparence sont exigées également au moment de la dissolution de l'organe ou de l'association concernés.
Les dirigeants de l'association publient également une déclaration d'intérêt.
Les associations et fondations mentionnées au premier alinéa et exerçant leur action, projet ou activité avant la date d'entrée en vigueur de la présente loi s'acquittent des obligations prévues à l'avant-dernier alinéa dans le délai de trois mois à compter de cette date.
La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Cet amendement résulte d’un certain nombre d’études qui ont été menées, ainsi que d’une proposition de loi déposée par plusieurs de nos collègues et relative à l’encadrement des associations s’occupant de lutte contre la radicalisation.
En réalité, on ne peut pas se satisfaire de mesures uniquement répressives. Au reste, je remercie la commission de ne pas avoir frappé cet amendement d’irrecevabilité au titre de l’article 41 de la Constitution, ce qui prouve que l’encadrement des associations et fondations choisies pour lutter contre la radicalisation des jeunes n’est pas sans lien avec le sujet.
Aujourd’hui, les associations – une centaine - qui s’occupent de lutte contre la radicalisation ne sont absolument pas homologuées, et leur capacité n’est pas vérifiée, non plus que leur comptabilité : nous sommes en présence d’une armée mexicaine d’associations totalement éparses.
Certes, Mme Domenach et le Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation ne ménagent pas leurs efforts, mais il reste que la politique d’ensemble de lutte contre la radicalisation a toujours été conçue ex post, jamais ex ante. Résultat : en agissant dans l’urgence, on a très peu coordonné les actions menées.
Plus précisément, le présent amendement vise à instaurer des mesures de transparence, financières, mais aussi techniques, pour s’assurer que les associations qui prennent en main des jeunes pour les désembrigader, rétablir le lien citoyen et lutter contre la radicalisation ont un minimum de compétences et sont à tout le moins contrôlées.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. La commission a constaté que cet amendement allait plutôt dans le bon sens, tout en se demandant s’il n’était pas un peu tôt pour aller jusqu’au bout. Nous étions plutôt défavorables, mais, après discussion avec Mmes Goulet et Troendlé, coauteurs de l’amendement, ainsi qu’avec M. le président de la commission, nous émettons un avis de sagesse.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérard Collomb, ministre d'État. Sur le fond, madame la sénatrice, je partage assez votre point de vue. J’ai pu observer que, dans la hâte, on avait accordé des subventions à un certain nombre d’associations qui, en fin de compte, mènent peu d’actions contre la radicalisation, voire, quelquefois, mènent une action à la limite du soutien à la radicalisation. J’ai donc entrepris, avec les services de mon ministère, de recenser précisément les actions menées.
Peut-être faudra-t-il aussi que les travailleurs sociaux et les éducateurs, qui connaissent davantage un certain nombre de publics susceptibles de basculer dans la radicalisation, soient plus actifs que des associations autoproclamées de lutte contre la radicalisation.
En ce qui concerne l’amendement, je m’en remets également à la sagesse du Sénat.
M. le président. La parole est à M. André Reichardt, pour explication de vote.
M. André Reichardt. En tant qu’ancien coprésident, au côté de Mme Goulet, de la commission d’enquête sur l’organisation et les moyens de la lutte contre les réseaux djihadistes en France et en Europe, je soutiens fortement cet amendement. J’ai d’ailleurs cosigné la proposition de loi visant à mettre en œuvre le dispositif qui nous est proposé ce soir.
Je tiens aussi à signaler, même si je suis persuadé qu’Esther Benbassa nous fournira un complément d’information à ce sujet, que, tout récemment, la commission des lois a examiné un rapport d’information de Mmes Benbassa et Troendlé sur les actions menées en matière de déradicalisation. L’amendement présenté par nos deux collègues reprend l’une des conclusions de leurs travaux.
Aussi, même si son lien avec le projet de loi n’est pas direct et même si, comme il vient d’être dit, il arrive peut-être un peu tôt, je vous invite vraiment, mes chers collègues, à voter cet amendement.
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour explication de vote.
Mme Esther Benbassa. Je suis, bien sûr, d’accord avec le contenu de cet amendement, puisqu’il correspond à l’une des propositions du rapport d’information que Catherine Troendlé et moi-même avons présenté mercredi dernier, et qui résulte de seize mois de travaux sur la déradicalisation. Nous avons recommandé d’encadrer les associations, de leur fixer un cahier des charges et de les évaluer.
J’ajouterai à ce qu’a dit Mme Goulet qu’un certain nombre d’associations ne reçoivent pas le dernier tiers de leur subvention parce qu’elles se convertissent en cabinets privés de consulting en radicalisation pour former les agents publics… Ces structures n’ayant de comptes à rendre à personne, c’est évidemment beaucoup plus facile.
Nous préconisons également de confier une partie de ce travail – non pas la formation, mais le travail associatif de « déradicalisation », comme on dit – à la protection judiciaire de la jeunesse ; M. le ministre d’État vient lui-même d’en parler. Mais encore faut-il augmenter les crédits et les effectifs de cette administration.
Toutefois, Mme Domenach a répondu dans plusieurs articles de journaux que ce travail d’évaluation des associations était déjà en cours. La liste qu’elle nous a fournie montre une certaine baisse du nombre des associations subventionnées entre 2015 et 2016.
Assainir le terrain est devenu une obligation aujourd'hui si l’on veut obtenir des résultats, surtout que les expériences à l’étranger n’ont rien à voir avec les nôtres. En effet, le travail réalisé y est tout à fait différent : il est individualisé, sur mesure, et ne passe pas par des associations, mais par des acteurs tels que des psychologues, des sociologues, des médecins ou la famille.
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 4.
Article 4 bis (nouveau)
Les chapitres VIII et IX du titre II du livre II du code de la sécurité intérieure sont applicables jusqu’au 31 décembre 2021.
Le Gouvernement adresse chaque année au Parlement un rapport détaillé sur l’application de ces dispositions.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Michel Mercier, rapporteur. Je tiens simplement à remercier le Gouvernement d’avoir accepté cet article 4 bis.
Pour la commission, il s’agit d’une disposition essentielle du projet de loi, car elle prévoit une clause de révision pour toutes les mesures prises au titre des articles 3 et 4 en 2021. C’est dire l’importance que revêt cet article.
Nous savons bien que le droit que nous créons nécessite d’être expérimenté. Chaque année donc, le Gouvernement remettra au Parlement un rapport sur l’application de ces mesures. En outre, en 2021, le Parlement dans son ensemble aura à délibérer sur leur pertinence et à décider si celles-ci doivent continuer à figurer dans notre droit ou non.
Je tenais simplement à souligner l’importance de cet article et à faire savoir au Gouvernement combien nous sommes sensibles au fait qu’il l’ait approuvé. (M. le ministre d'État opine.)
M. le président. Je mets aux voix l'article 4 bis.
(L'article 4 bis est adopté.)
Article 4 ter (nouveau)
Au premier alinéa de l’article 706-24-2 du code de procédure pénale, après le mot : « articles », sont insérées les références : « 230-32 à 230-35, ». – (Adopté.)
Article 5
Le II de l’article 17 de la loi n° 2013-1168 du 18 décembre 2013 relative à la programmation militaire pour les années 2014 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense et la sécurité nationale est abrogé.
M. le président. L'amendement n° 8, présenté par Mmes Assassi et Cukierman, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Évelyne Rivollier.
Mme Évelyne Rivollier. Monsieur le président, si vous le permettez, je défendrai simultanément l’amendement no 8, qui porte sur l’article 5, et l’amendement n° 9, qui porte sur l’article 6.
Les articles 5 et 6 visent à élargir et à faire entrer dans le droit commun le PNR, ou Passenger Name Record, disposition européenne de fichage de l’ensemble des déplacements aériens réalisés sur le territoire de l’Union européenne.
Sont collectés au sein de ce fichier les coordonnées du voyageur, ses informations bancaires, ses itinéraires de voyage et son régime alimentaire.
L’existence même de ce fichier pose plusieurs questions, notamment au sujet du respect de la vie privée de nos concitoyens. La Commission nationale de l'informatique et des libertés, la CNIL, n’a pas été consultée avant l’élaboration de cet énième projet de loi sécuritaire. Celle-ci appelle pourtant à une grande vigilance à propos du fichier PNR, qui est, selon elle, « susceptible d’avoir une incidence majeure sur le droit au respect de la vie privée ».
Plus de cent millions de voyageurs issus de plus de 235 compagnies aériennes sont concernés. Même si certains garde-fous existent, la question du contrôle de ce fichier n’est pas abordée, celui-ci n’étant tenu et supervisé que par les services de renseignement. À quand la mise en place d’une réflexion sur le contrôle des fichiers de renseignement ?
La sécurité des données de nos concitoyens face aux pirates informatiques n’est pas toujours garantie, même dans nos administrations. Il y a deux semaines, des centrales nucléaires américaines ont vu leurs réseaux informatiques infiltrés. Les données des voyageurs conservées pendant cinq années, un laps de temps bien trop considérable, sont plus que vulnérables face à des hackers toujours plus efficaces et organisés. Le risque d’une recrudescence de vols d’identités ou de données bancaires n’est pas non plus à négliger.
Ficher l’ensemble de la population pour trouver de potentiels éléments terroristes revient à retirer un peu de liberté à chacun de nos concitoyens pour des résultats qui n’en valent définitivement pas la peine. Ces dispositions n’empêcheront pas les terroristes de passer entre les mailles d’un filet bien trop large.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. Défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérard Collomb, ministre d'État. Madame la sénatrice, nous avons besoin de cet article. Vous n’ignorez pas que nous sommes tenus à une obligation de transposer les directives de l’Union européenne…
Mme Éliane Assassi. Malheureusement !
M. Gérard Collomb, ministre d'État. … et, en l’espèce, de transposer avant le 25 mai 2018 la directive du 21 avril 2016 sur le PNR.
Par ailleurs, le système « API-PNR France » est un instrument essentiel de nos services dans la lutte contre le terrorisme et contre les formes graves de criminalité.
Je veux enfin rappeler que la directive PNR prévoit des conditions d’encadrement très strictes, qui visent à assurer un équilibre entre la recherche d’effectivité et la garantie des droits et libertés des citoyens. Parmi ces mesures figurent notamment la mise en place d’un délégué à la protection des données, l’interdiction de collecter des données dites « sensibles », l’anonymisation des données à caractère personnel collectées au bout de six mois, ainsi que la stricte limitation des personnes habilitées à en connaître.
Le Gouvernement est défavorable à l’amendement.
M. le président. La parole est à M. André Reichardt, pour explication de vote.
M. André Reichardt. Je veux dire à nos collègues du groupe communiste républicain et citoyen que nous attendons depuis tellement longtemps que le Parlement européen décide enfin de voter cette décision du Conseil européen…
Mme Éliane Assassi. S’il a tant attendu, c’est sûrement parce qu’il doit y avoir un problème !
M. André Reichardt. … que j’ai quelques difficultés à faire droit à leur demande.
Mme Éliane Assassi. La preuve, on en est toujours au même point !
M. André Reichardt. Franchement, toutes les garanties ont été données. Le Parlement européen s’est véritablement fait violence pour finalement adopter ce PNR dans des conditions que je crois acceptables pour tout le monde, notamment au regard des libertés publiques. De plus, le ministre d’État vient de rappeler à l’instant quelles étaient les garanties fournies.
Même si on peut effectivement considérer que l’on va peut-être ficher beaucoup d’individus pour peu de résultats (Mme Éliane Assassi opine.), les vies que l’on sauvera grâce au PNR méritent cet effort.
M. le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère, pour explication de vote.
M. Philippe Bonnecarrère. Je suis du même avis que l’orateur qui vient de s’exprimer.
Le combat contre le terrorisme ne se livre pas simplement sur le territoire français : il est international par nature et requiert la coordination des services, ainsi que des systèmes juridiques. En ce sens, le PNR représente une avancée favorable, même si elle comprend aussi ses faiblesses.
Notre collègue a rappelé les difficultés rencontrées avec la commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures, dite « commission LIBE », puisque cette disposition devait être adoptée conjointement avec le Parlement européen.
Sur ce point, je voudrais plus spécifiquement attirer l’attention de M. le président de la commission des lois et de M. le rapporteur sur la décision prise par le Parlement européen le 6 juillet 2017 de créer une commission spéciale sur le terrorisme pour une durée d’un an : elle permettra d’aborder des enjeux qui vont dans le sens de ce que nous souhaitons et manifeste une certaine mobilisation. En outre, la mission qui lui a été confiée est une sorte d’interpellation sur la pertinence et l’efficacité des systèmes mis en place dans les différents pays.
En d’autres termes, ce sujet me paraît justifier une forme de dialogue interparlementaire ou, en tout cas, une attention particulière de la commission des lois par rapport aux initiatives du Parlement européen.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. Plutôt que de m’exprimer tout à l’heure sur l’article 6, je le ferai dès maintenant sur le PNR.
Chacun sait combien nous attendions ce PNR, combien nous le considérons comme nécessaire et utile.
Nous savons également combien il a été difficile d’obtenir un accord du Parlement européen sur le sujet. Ce dernier avait en effet un certain nombre d’inquiétudes sur les incidences de la directive et l’usage que nous pourrions en faire.
À ce stade, j’aurai deux remarques à formuler.
Première remarque, le PNR, pour qu’il soit opérationnel et utile, ne doit pas « laisser de trous dans la raquette ». En effet, l’enjeu n’est pas d’évaluer les grandes masses des voyageurs, mais d’identifier l’individu dangereux en leur sein.
Or je constate que, à part en France, il y a peu de pays dans l’espace Schengen où s’applique un contrôle d’identité quasi systématique quand un individu souhaite prendre l’avion. Cela signifie que dans la plupart des États, un voyageur peut détenir un billet sur lequel figure un nom différent du sien et tout de même voyager !
Finalement, tant que toutes les dispositions permettant au PNR d’être réellement efficace ne sont pas mises en œuvre dans l’ensemble de l’Union européenne, celui-ci constitue peut-être une avancée, mais une avancée qui est globalement fictive.
Monsieur le ministre d’État, il reste énormément de choses à faire pour que nos partenaires européens mettent en place des procédures permettant effectivement au PNR d’être efficace dans l’ensemble de leurs aéroports.
Deuxième réflexion : nous avons eu beaucoup de mal à convaincre nos partenaires européens. Si la transposition de cette directive PNR va jusqu’au bout de ce qu’il est possible de faire, et conforte ainsi les inquiétudes initiales de nos partenaires, je ne sais pas si nous pourrons aller plus loin sur des sujets sur lesquels nous aurions pourtant besoin de coopérer avec eux. Je pense en particulier à la question des passeports et des empreintes biométriques, qui, aujourd'hui, ne font l’objet d’aucun échange entre les pays.
Beaucoup reste à faire pour que les États parviennent à une meilleure coopération face à ce défi commun. Cela passe par la confiance : nous ne pourrons plus aller de l’avant sans convaincre les autres pays qu’il faut aller au même rythme que nous. Sinon, on reviendra au point initial, c’est-à-dire un PNR qui n’est pas effectif tant que les pays n’appliquent pas les procédures qui le rendent efficace.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue !
M. Jean-Yves Leconte. Je voterai les articles 5 et 6, même si d’immenses défis restent à relever pour l’application de ces dispositions.
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour explication de vote.
Mme Esther Benbassa. Les articles 5 et 6 pérennisent le système de suivi des données des passagers aériens, le PNR, et adaptent le droit français au droit de l’Union européenne en la matière, permettant ainsi aux services de sécurité et de renseignement d’utiliser ces données pour diverses finalités, notamment la prévention et la détection des infractions terroristes.
La transposition de la directive PNR dans le droit commun français, qui se substitue à l’actuel système « API-PNR France », ne représente en aucun cas une solution efficace pour lutter contre les actes terroristes.
Ces mesures sont largement contournables, dans la mesure où de potentiels terroristes seraient tout aussi bien capables d’entrer dans l’Union européenne et en France par d’autres moyens de transport que l’avion.
Je tiens à rappeler que les mesures de collecte de données masquées ciblant l’ensemble des citoyens ne représentent jamais une réponse adéquate à la menace terroriste. Elles mobilisent des sommes non négligeables au détriment de moyens de lutte antiterroriste plus efficaces.
Surtout, ces mesures sont en opposition avec le principe de l’État de droit. En 2014 déjà, la Cour de justice de l’Union européenne a invalidé dans l’un de ses arrêts la directive de 2006 sur la rétention des données, jugeant disproportionnées la collecte et la conservation massives de données de citoyens qui ne sont suspectés d’aucun délit.
Ces dispositions contribuent à mettre en place un outil de surveillance de nos concitoyens peu efficient, qui tend à traiter chaque citoyen comme un potentiel terroriste.
Je voterai donc pour les amendements de suppression de nos collègues du groupe communiste républicain et citoyen, et au besoin contre ces articles.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Je veux plaider auprès de chacun d’entre vous pour la ratification de cette directive PNR.
Je suis défavorable aux articles 3 et 4, parce que j’ai l’intime conviction que le droit français, à condition que l’on se dote de moyens complémentaires en matière de police et de justice, est de nature à régler les problèmes que cette nouvelle législation vise à résoudre.
Tel n’est pas le cas du trafic passager au sein de l’Union européenne. Si nous n’acceptons pas de transposer la directive, nous n’aurons à notre disposition que des outils qui sont aujourd'hui totalement inefficaces.
Un débat extrêmement important a permis de définir un juste équilibre entre la collecte des données nécessaires et le respect des arrêts de la Cour de justice de l’Union européenne. On parle ici de compromis toujours délicats à établir, mais, sur ce sujet, il n’y a aujourd'hui pas d’alternative ni en droit ni sur le plan opérationnel.
Les dispositions de cette directive me semblent avoir été sérieusement expertisées par nos collègues parlementaires européens. Son contenu reflète évidemment un équilibre qui, à mon avis, en vaut la chandelle.
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. le président. Je mets aux voix l'article 5.
(L'article 5 est adopté.)
Article 6
Le code de la sécurité intérieure est ainsi modifié :
1° Au 3° de l’article L. 232-1, les mots : « de réservation et » sont supprimés ;
2° L’article L. 232-7 est ainsi modifié :
a) Le premier alinéa du I est remplacé par deux alinéas ainsi rédigés :
« Pour les besoins de la prévention et de la constatation de certaines infractions, du rassemblement de leurs preuves ainsi que de la recherche de leurs auteurs, le ministre de l’intérieur, le ministre de la défense, le ministre chargé des transports et le ministre chargé des douanes sont autorisés à mettre en œuvre un traitement automatisé de données.
« Les infractions mentionnées au premier alinéa du présent I sont les actes de terrorisme, les atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation ainsi que les infractions mentionnées à l’annexe II de la directive (UE) 2016/681 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relative à l’utilisation des données des dossiers passagers (PNR) pour la prévention et la détection des infractions terroristes et des formes graves de criminalité, ainsi que pour les enquêtes et les poursuites en la matière, lorsqu’elles sont punies d’une peine privative de liberté d’une durée égale ou supérieure à trois ans d’emprisonnement ou d’une mesure de sûreté privative de liberté d’une durée similaire. » ;
b) Au dernier alinéa du II, au III et à la seconde phrase du VI, les mots : « opérateurs de voyage » sont remplacés par les mots : « agences de voyage et opérateurs de voyage » ;
c) Au V, les mots : « un opérateur de voyage » sont remplacés par les mots : « une agence de voyage ou un opérateur de voyage ».
M. le président. La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam, sur l'article.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Je remercie notre collègue Michel Boutant pour l’excellent rapport qu’il a remis au nom de la commission des affaires étrangères. Ayant beaucoup travaillé sur les questions de terrorisme, notamment au sein de l’Assemblée parlementaire de l’OTAN, je tenais à saluer la qualité de son travail.
Il était évidemment fondamental d’inscrire le PNR dans la présente loi. En effet, le cadre législatif français était jusqu’ici défini par la loi de programmation militaire de 2013, qui avait autorisé la création d’un fichier de passagers du transport aérien à titre expérimental jusqu’à la fin de l’année 2017.
L’Union européenne a mis beaucoup trop de temps à légiférer en la matière, puisque ce n’est qu’en 2016 qu’une directive a, enfin, obligé l’ensemble des États membres à se doter d’un tel fichier et à partager leurs informations avec leurs partenaires européens.
Je veux surtout souligner l’extrême importance de la coopération internationale en la matière. Rien ne sert de créer un fichier sur les informations des voyageurs s’il n’est pas partagé à l’international. La coopération européenne est fondamentale, comme je l’ai encore souligné tout récemment dans une communication devant la commission des affaires européennes au sujet de la coopération européenne en matière de renseignement.
Néanmoins, cette coopération européenne est loin d’être suffisante. J’ai été rapporteur d’un texte organisant la coopération en matière de renseignement avec les États-Unis contre la criminalité grave et le terrorisme. Il nous faut absolument mettre en place des cadres d’échange hors de l’Union européenne et hors de l’OTAN, notamment avec les pays se situant de l’autre côté de la Méditerranée. Ces pays sont eux aussi très concernés par le terrorisme et n’ont pas toujours les moyens de mettre en place des dispositifs aussi performants que les nôtres. L’échange d’informations doit aller de pair avec la formation. Nous avons là une vraie responsabilité.
Le projet de loi autorise également la création d’un PNR maritime, ce qui est pertinent, mais insuffisant. Il faut là encore encourager et organiser la coopération européenne et internationale en la matière. Aujourd’hui, en Europe, seuls le Royaume-Uni, l’Espagne, la Finlande, le Danemark et la Belgique disposent de dispositifs minimums dans ce domaine. Il faut pousser les États à aller plus loin et surtout impliquer tous nos autres partenaires européens.
Il faudra aussi travailler sur notre cadre légal interne, la législation européenne, ainsi que les accords internationaux, afin d’étudier l’opportunité d’étendre le système du PNR au transport ferroviaire…