Mme Jacky Deromedi. Les lois se succèdent pour autoriser des visites ou vérifications domiciliaires et des saisies hors des garanties traditionnelles du droit français.

Notre amendement vise à imposer que les vérifications faites dans les cabinets de certains professionnels soient accompagnées de garanties, dès lors qu’elles ne sont pas effectuées par des magistrats ou des officiers de police judiciaire.

Doivent être protégés en particulier les cabinets de médecins, d’huissiers et d’avocats.

En ce qui concerne les modalités de cette protection, nous proposons de les calquer sur les garanties prévues pour les visites assurées par d’autres autorités indépendantes, comme l’Autorité des marchés financiers.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. François Pillet, rapporteur. Ces amendements visent à prévoir des exceptions au droit de communication pour les professions protégées et à rappeler l’application des articles du code de procédure pénale concernant les perquisitions. La commission y est défavorable.

En premier lieu, je souhaite vous rassurer : ces dispositions sont inutiles.

M. Michel Sapin, ministre. Aucun droit de perquisition n’est créé !

M. François Pillet, rapporteur. Sans qu’il soit besoin de le préciser, les dispositions spécifiques du code de procédure pénale sont évidemment applicables en cas de perquisition chez une profession protégée. Néanmoins, l’article 4 du projet de loi ne crée ni un droit de perquisition ni un droit de visite domiciliaire. De telles précisions sont donc superfétatoires.

En second lieu, les dispositions de l’article 4 sont identiques aux dispositions existantes pour l’URSSAF, l’Autorité de régulation des télécommunications, les agents de la répression des fraudes et les agents de l’Autorité des marchés financiers, sans qu’il soit nécessaire de prévoir un dispositif particulier pour l’Agence de prévention de la corruption.

Si vous êtes rassurés, vous pouvez retirer ces amendements.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Michel Sapin, ministre. Même avis. Les arguments de la commission sont limpides et convaincants. (Sourires.)

M. le président. Monsieur Gattolin, l’amendement n° 421 est-il maintenu ?

M. André Gattolin. Non, je le retire, monsieur le président.

M. le président. L’amendement n° 421 est retiré.

Qu’en est-il de l’amendement n° 133 rectifié quater, madame Deromedi ?

Mme Jacky Deromedi. Je le retire également, monsieur le président.

M. le président. L’amendement n° 133 rectifié quater est retiré.

L’amendement n° 552 rectifié, présenté par MM. Mézard, Arnell, Bertrand, Castelli, Collin, Collombat, Esnol, Fortassin et Guérini, Mmes Laborde et Malherbe et MM. Requier, Vall et Hue, est ainsi libellé :

Alinéa 2, seconde phrase

Après le mot :

échanges

insérer les mots :

, le respect du principe du contradictoire et après lui avoir notifié son droit d’être assisté d’un avocat

La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.

M. Pierre-Yves Collombat. Cet amendement a été conçu dans la perspective qui était la nôtre : donner de véritables pouvoirs d’investigation à l’agence. Comme elle n’en a plus aucun et n’est là que pour faire de la prévention, des mesures comme le respect du contradictoire ou l’assistance d’un avocat se justifient moins. N’en étant pas le premier signataire de cet amendement, je me refuse à le retirer, mais l’intention est claire !

M. François Pillet, rapporteur. M. Collombat a tout dit. Il a même prévu le retrait de cet amendement, qui n’interviendra qu’après le vote. (Sourires.)

Cet amendement vise à faire en sorte que tout entretien entre un membre de l’Agence de prévention de la corruption et une personne utile à ses missions respecte le principe du contradictoire.

C’est digne d’une juridiction ou d’une agence qui prononcerait des sanctions. Or c’est précisément ce dont nous n’avons pas voulu. La future agence n’est pas un service enquêteur qui rédigerait des procès-verbaux, mènerait des interrogatoires et déciderait de gardes à vue.

Je demande donc le retrait de cet amendement. À défaut, l’avis serait défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Michel Sapin, ministre. Nous en revenons au débat initial.

Les dispositions envisagées par les auteurs de cet amendement figuraient dans le texte lorsque le Gouvernement avait prévu une commission des sanctions. Infliger des sanctions exigeait le respect d’une procédure et le droit d’être défendu par un avocat.

Mais, à partir du moment où le Sénat a retiré tout pouvoir de sanction à cette agence, de telles dispositions me paraissent donc inutiles, ainsi que l’a parfaitement bien exposé M. le rapporteur.

Je ne sais pas s’il me revient de défendre la logique du Sénat – M. le rapporteur l’a fait avec talent – ou de vous suggérer d’en revenir à notre intention initiale. Vous vous trouvez entre les deux, monsieur Collombat !

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 552 rectifié.

(L’amendement n’est pas adopté.)

M. le président. L’amendement n° 128 rectifié bis, présenté par MM. Cabanel, Vaugrenard et Lalande, Mmes Claireaux et Lepage, M. Labazée, Mmes Guillemot et Yonnet, M. Duran, Mme Schillinger, MM. Courteau et J. Gillot, Mme Monier, MM. Mazuir et Filleul et Mme Tocqueville, n’est pas soutenu.

M. François Pillet, rapporteur. J’en reprends le texte au nom de la commission des lois, monsieur le président.

M. le président. Je suis donc saisi d’un amendement n° 664, présenté par M. Pillet, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 3

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

Nul ne peut procéder aux contrôles relatifs à une entité économique ou publique à l’égard de laquelle il détient ou a détenu un intérêt direct ou indirect.

La parole est à M. le rapporteur.

M. François Pillet, rapporteur. Cet amendement vise à prévenir tout conflit d’intérêts entre les personnes qui interviennent au nom de l’Agence de prévention de la corruption et l’entité contrôlée. Cela allait peut-être de soi, mais il vaut mieux le préciser. Une telle mesure nous paraît utile.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Michel Sapin, ministre. Je m’en remets à la sagesse du Sénat.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 664.

(L’amendement est adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 4, modifié.

(L’article 4 est adopté.)

Article 4
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Article 6 A (début)

Article 5

(Non modifié). – Les articles 1er à 6 de la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques sont abrogés.

II (Non modifié). – L’article 40-6 du code de procédure pénale est abrogé.

III. – Le II de l’article L. 561-29 du code monétaire et financier est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Le service peut transmettre à l’Agence de prévention de la corruption des informations nécessaires à l’exercice des missions de cette dernière. »

M. le président. L’amendement n° 642, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Alinéa 1

Rédiger ainsi cet alinéa :

I. – À compter de l’entrée en vigueur du décret nommant le directeur de l’Agence de prévention de la corruption mentionné à l’article 2 de la présente loi, les articles 1er à 6 de la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques sont abrogés.

La parole est à M. le ministre.

M. Michel Sapin, ministre. Cet amendement vise à garantir l’efficacité du dispositif. Vous savez qu’il existe aujourd’hui un service de prévention de la corruption. Il a été créé par la loi de janvier 1993 ; vous comprendrez donc que j’y sois particulièrement attentif. (Sourires.)

Il va être supprimé et une nouvelle agence va être créée. Afin d’éviter toute distorsion entre les deux, la fin de l’un doit donc être concomitante avec l’entrée en vigueur effective de l’autre, qui correspond à la nomination du directeur.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. François Pillet. Avis favorable.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 642.

(L’amendement est adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 5, modifié.

Mme Éliane Assassi. Le groupe CRC s’abstient !

(L’article 5 est adopté.)

Chapitre II

De la protection des lanceurs d’alerte

Article 5
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Article 6 A (suite)

Article 6 A

Un lanceur d’alerte est une personne physique qui signale, dans l’intérêt général, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime, un délit ou une violation grave et manifeste de la loi ou du règlement dont il a eu personnellement connaissance.

Une personne faisant un signalement abusif engage sa responsabilité sur le fondement de l’article 226-10 du code pénal et de l’article 1382 du code civil.

M. le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Nous abordons les dispositions relatives aux lanceurs d’alerte. Si vous le permettez, je voudrais dire un mot de l’esprit qui a animé les travaux de la commission.

Monsieur le ministre, nous ne sommes pas éloignés sur le plan intellectuel. Comme vous, nous cherchons l’équilibre ! Nous ne trouvons certes pas le même point d’équilibre, mais c’est déjà un bon début.

Les lanceurs d’alerte jouent un rôle très utile dans notre société. Ils ne se résument pas à ceux qui ont alerté la presse pour des fraudes massives ou des délits très graves. La pratique de l’alerte peut rester confidentielle, l’important étant qu’elle aboutisse.

Notre souci de protection des lanceurs d’alerte est légitime. Mais elle ne va pas sans le souci concomitant de protéger ceux qui peuvent faire l’objet de dénonciations abusives, de calomnies ou de diffamation.

Souvenons-nous, mes chers collègues, des propos du président François Mitterrand aux obsèques de Pierre Bérégovoy, lorsqu’il fustigeait ceux qui, dans les médias, avaient jeté l’honneur d’un homme en pâture aux chiens. Cette forte intervention du président François Mitterrand était parfaitement justifiée par l’emballement qui s’empare parfois des médias dans des affaires de corruption, pour lesquelles il n’y a en réalité pas matière à poursuites ou à condamnation.

Soyons attentifs. Nous sommes les gardiens d’intérêts multiples : celui du lanceur d’alerte, qu’il convient évidemment de protéger, mais aussi celui des victimes d’éventuelles dénonciations abusives.

C’est la raison pour laquelle notre recherche d’équilibre nous a conduits à définir un cadre plus précis de l’alerte et du lanceur d’alerte, afin d’assurer la conformité à la loi et de garantir la défense des intérêts contradictoires.

Une définition de l’alerte doit être donnée. Elle doit être précise : des crimes, des délits, une violation grave et manifeste de la loi, et non pas un simple manquement. Cela signifie également qu’un lanceur d’alerte doit démontrer sa bonne foi en passant d’abord par l’employeur, par la hiérarchie administrative, par le référent éventuellement désigné par l’employeur. À défaut, il doit passer par l’autorité administrative, par l’autorité judiciaire ou par l’ordre professionnel. Il faut laisser le temps de réagir à ces institutions – le délai est de trois mois –, sauf dans les cas où il existe un risque de dommages graves et irréversibles.

Enfin, nous n’avons pas permis à des syndicats, à des associations agréées ou au Défenseur des droits de recevoir l’alerte, parce que ces institutions n’ont pas compétence à cet égard et qu’elles ne disposent pas des moyens de faire prospérer cette alerte autrement qu’en prenant à témoin l’opinion publique.

Nous voulons donner sa chance à l’alerte, qui va entraîner une réaction sans qu’il soit toujours besoin de passer par la prise à témoin de l’opinion publique.

Telle est l’économie générale de notre travail. Nous avons également considéré – nous y reviendrons – qu’il n’appartenait pas au Défenseur des droits, qui ne le réclame pas, d’apporter un dédommagement préalable au lanceur d’alerte, alors qu’une procédure judiciaire permettra de déterminer si l’alerte avait été donnée de bonne foi et si un préjudice doit être reconnu en faveur du lanceur d’alerte.

Ne créons pas une inégalité fondamentale entre justiciables, certains d’entre eux étant pris en charge et recevant un acompte sur leurs dommages par le Défenseur des droits quand d’autres n’auraient comme recours que l’aide juridictionnelle.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Michel Sapin, ministre. Je remercie M. le président de la commission des lois d’avoir éclairé la Haute Assemblée. Je vais moi aussi évoquer le fond du débat à ce degré de généralité. Nous entrerons ensuite dans les détails.

Nous partageons, me semble-t-il, l’idée qu’il est nécessaire de mettre en place une protection efficace des lanceurs d’alerte. Nous ne pouvons le faire qu’à trois conditions.

La première, la plus importante, est la définition.

Mme Éliane Assassi. C’est vrai !

M. Michel Sapin, ministre. Qu’est-ce qu’un lanceur d’alerte ? Comme je le disais dans la discussion générale, il ne suffit pas de se proclamer lanceur d’alerte pour l’être effectivement.

La deuxième condition est l’existence d’un canal de révélation des faits. Sur ce point, nous avons des différences d’appréciation. Mais nous devrions pouvoir converger.

La troisième condition concerne les modalités de la protection elle-même. Nous divergeons également sur ce point, au sujet de l’organisme susceptible d’accompagner et de protéger, du rôle de la justice, et de la mise en place d’un accompagnement. Il s’agit bien de cela, et non d’un dédommagement. L’indemnité, le calcul du montant du préjudice, revient au seul juge, qui prendra en compte tous les aspects : matériel, immatériel, etc.

L’accompagnement le plus visible pourra s’attacher à la procédure judiciaire. Elle coûte cher. Devons-nous accompagner le lanceur d’alerte dans cette démarche ? Nous proposons de le faire. Il me semble d’ailleurs que nos différences ne sont pas très importantes sur ce point.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. En effet !

M. Michel Sapin, ministre. Se pose également la question de l’accompagnement financier. Je connais des lanceurs d’alerte qui se sont retrouvés sans rien du jour au lendemain. La justice leur a ensuite donné raison, mais après une période difficile, voire terrible à vivre. Je le répète, il ne s’agit pas d’indemniser un préjudice ; l’objet est de mettre en place les modalités de la protection. Nous en parlerons ; nous ne sommes sans doute pas si éloignés.

Le sujet fondamental est la définition. La rédaction de la commission ne considère comme lanceurs d’alerte que ceux qui révèlent des faits délictueux ou criminels.

Le cas de M. Antoine Deltour, par exemple, n’est pas couvert par cette définition, car celui-ci a révélé des faits qui n’étaient pas délictueux au Luxembourg, mais qui étaient profondément anormaux et dommageables à l’intérêt général.

M. Michel Sapin, ministre. En effet !

Ces faits étaient tellement dommageables que, à la suite de cette révélation, la législation luxembourgeoise a été modifiée, et tous les pays européens ont mis en place, par le biais d’une directive, les mêmes modalités de lutte contre ce type d’opacité fiscale.

Je vous demande vraiment d’y réfléchir. Il ne s’agit pas seulement de M. Deltour. Celui-ci illustre clairement une des dimensions importantes du rôle d’un lanceur d’alerte. Cette qualité ne s’attache pas seulement à cette jeune femme qui a révélé des faits illégaux commis par UBS en France, pour lesquels cette banque encourt des poursuites pour blanchiment de fraude fiscale.

Dans le cas des LuxLeaks, à l’époque, les faits n’étaient pas illégaux ! Pourtant, il a eu raison de les dénoncer et il mérite d’être protégé. C’est le cœur du sujet. Je forme le vœu que cela ne soit pas le cœur de notre désaccord.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. François Pillet, rapporteur. Nous avons tous en tête les lanceurs d’alerte qui ont été évoqués. Nous sommes tous d’accord. Toutefois, le texte que nous allons voter concernera non seulement ceux-ci, mais également les lanceurs d’alertes relatives à de petites entreprises ou à des PME.

Si la situation des lanceurs d’alerte est difficile, celle des victimes de fausse alerte ou de rumeurs l’est-elle moins ?

Imaginons une société de restauration spécialisée dans la viande dénoncée parce qu’elle vendrait du cheval ou de la viande qui ne serait pas parfaitement homologuée. Il y aurait lancement de l’alerte, chute de la clientèle, puis du chiffre d’affaires ; puis, après une perte de la valeur de l’entreprise, voire un dépôt de bilan et des licenciements en masse, un non-lieu est ordonné cinq ou six ans après. Il n’y avait strictement rien à voir ! Nous devons également nous préoccuper de telles situations.

Dans une PME en pleine campagne, un lanceur d’alerte affirme de bonne foi que les effluents de l’entreprise lui semblent nocifs pour le ruisseau dans lequel ils sont déversés. L’émotion générale aboutit à une perte totale de la clientèle de l’entreprise, au dépôt de bilan et à une cinquantaine d’emplois en moins. Deux ou trois ans après, on s’aperçoit que, certes, l’effluent était blanchâtre – je parle en connaissance de cause –, mais qu’il n’a entraîné aucune pollution. Quel dégât avons-nous commis ?

C’est à cela que la commission des lois entend vous faire réfléchir. Il faut, me semble-t-il, être particulièrement mesuré.

J’en termine avec l’exemple d’Antoine Deltour. Je rassure M. le ministre : la définition que nous donnons du lanceur d’alerte le concerne. La violation manifeste des lois et des règlements, ce n’est pas forcément un délit. Antoine Deltour est protégé en France par notre définition.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Au regard de la législation française !

M. François Pillet, rapporteur. Je sais que la France a vocation à éclairer le monde. Mais il se trouve que, parfois, le monde n’accepte pas l’éclairage de la France. Quelle que soit la législation française, Antoine Deltour sera condamné au regard de la loi luxembourgeoise.

M. Michel Sapin, ministre. Bien sûr ! Les faits ont été commis à l’étranger !

M. François Pillet, rapporteur. Certes, mais cela aurait été pareil s’il avait dénoncé en France des montages fiscaux allant au-delà de l’ingénierie. Le débat est plus large que ce que l’on croit généralement quand on pense aux lanceurs d’alerte. Nous avons bien l’intention de les protéger. Il faut prêter attention à ceux que l’on ne connaît pas encore et que la loi va susciter.

M. le président. La parole est à M. Patrick Abate, sur l’article.

M. Patrick Abate. Mercredi dernier, le verdict qui a condamné Antoine Deltour et Raphaël Halet a été prononcé. Le premier avait reçu le prix du citoyen européen au mois de juin 2015. Le second n’a pas eu cette chance, car une clause de confidentialité l’a empêché d’obtenir publiquement une telle reconnaissance.

Les lanceurs d’alerte ont donc été reconnus, mais la loi luxembourgeoise et les directives européennes ne permettaient pas de les protéger.

Ce procès LuxLeaks, particulièrement révélateur, s’est ouvert peu de temps avant le vote à l’Assemblée nationale du projet de loi qui nous occupe aujourd’hui. La définition du lanceur d’alerte adoptée en première lecture, sur laquelle est malheureusement revenue la commission des lois du Sénat, nous convenait assez bien. Le texte prévoyait de protéger toutes les personnes, mais on avait oublié de mentionner clairement celles qui dénonceraient des actes contraires à l’intérêt général, comme l’optimisation fiscale.

Il est nécessaire de proposer une définition véritablement protectrice. C’est le nœud du problème ! Notre ambition doit être de fonder un dispositif qui fasse école, soit efficace, respecte la vie privée, disqualifie les aventuriers et réponde aux préoccupations exprimées par M. le président de la commission des lois et M. le rapporteur.

Certes, comparaison n’est pas raison. Mais je vais tenter de dresser un parallèle avec un dispositif connu : la non-assistance à personne en danger. Le lanceur d’alerte ne fait en effet rien d’autre que d’assister la société en danger.

D’abord, celui qui devrait être poursuivi, ce n’est pas le lanceur d’alerte ; c’est celui qui se rend coupable de non-assistance à société en danger.

En tout état de cause, le principe de l'assistance à personne en danger ne suscite plus de controverse juridique ou philosophique. Il pourrait en aller de même des lanceurs d’alerte.

Ce principe n’autorise pas à effectuer un acte chirurgical sur un accidenté de la route sans avoir appelé le SAMU et attendu l’arrivée des professionnels. À défaut, on est fautif et on paye. Il n’autorise pas non plus à forcer la porte de sa voisine…

Mme Jacqueline Gourault. Pourquoi sa voisine ?

Mme Nathalie Goulet. Cela rappelle la chanson de Brassens !

M. Patrick Abate. … en prétendant avoir entendu appeler au secours pour le simple plaisir de lui causer un mal qui pourrait être irréversible. Ce serait aussi condamnable.

En adoptant une telle philosophie, nous nous simplifierions la vie et les lanceurs d’alerte seraient effectivement protégés par une définition très large.

M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures cinquante-cinq, est reprise à vingt et une heures trente.)

M. le président. La séance est reprise.

Nous poursuivons l’examen de l’article 6 A.

Article 6 A (début)
Dossier législatif : projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique
Article 6 B

Article 6 A (suite)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin, sur l'article.

Mme Marie-Christine Blandin. Cet article, qui concerne la protection des lanceurs d’alerte, donne tout son sens au projet de loi.

À ce jour, cinq textes portent déjà sur l’alerte. Chacun s’accorde à constater qu’ils ont tous des imperfections et ne couvrent pas tous les champs, même si leur périmètre est vaste. Pire, devant un tribunal, la mosaïque qu’ils forment et l’imprécision de certains termes peut laisser des arguments aux avocats qui voudraient obtenir condamnation du lanceur d’alerte.

Vouloir établir un socle commun en précisant les procédures adaptables selon les cas est donc une ambition qui honore les auteurs de ce projet de loi, dont vous-même, monsieur le ministre.

Il me semble que cette définition est prévue pour être exhaustive. Elle doit donc pouvoir couvrir les fuites financières comme les fuites de benzène. Or beaucoup de descriptions du lanceur d’alerte présentées par nos collègues oublient ces fuites. On dirait que tous les lanceurs d’alerte sont sortis de Bercy ! Cela pose problème, sauf à prévoir que d’autres parties du code pénal traitent des autres types de lanceurs d’alerte.

Le Conseil d’État a bien éclairé le sujet. Je suis heureuse qu’il ait reconnu la qualité des dispositions introduites par la loi relative à l’indépendance de l’expertise en matière de santé et d’environnement et à la protection des lanceurs d’alerte, adoptée en 2013 sur mon initiative.

Permettez-moi de me livrer à un petit règlement de comptes. Monsieur le ministre, à l’époque, vous aviez quelque peu érodé ce texte en pesant de tout votre poids pour que le droit à la formation spécifique des membres du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, le CHSCT, en cas d’alerte soit supprimé par l’Assemblée nationale. Dommage ! C’était une proposition de la commission des affaires sociales du Sénat.

J’ai également noté que, lors de la présentation d’un amendement visant à ajouter la Commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé publique et d’environnement à la liste des autorités indépendantes susceptibles d’être destinataires d’une alerte à l’Assemblée nationale, vous aviez quelque peu persiflé sur la non-existence de cette instance. Vous avez raison : elle n’existe pas ! Mais quand on persifle, c’est soit que l’on en veut à un ennemi – or nous sommes partenaires, puisque nous ramons dans le même sens –, soit que l’on veut souligner la défaillance de l’autre. Or qui est défaillant ?

Sur les vingt-cinq membres que doit compter cette commission, vingt-trois ont été nommés. Les deux seuls membres qui n’ont pas été nommés doivent l’être par le Gouvernement. Pourquoi ne veut-on pas installer cette commission ? Gêne-t-elle quelques grandes firmes pharmaceutiques ? La loi est votée, et les décrets sont pris. Il ne manque plus que ces deux nominations.

M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet, sur l'article.

M. Éric Bocquet. En complément de ce que notre collègue Patrick Abate a excellemment indiqué avant la suspension, je développerai simplement trois idées.

Premièrement, la notion de lanceur d’alerte, qui est parfois présentée comme quelque chose d’un peu virtuel, renvoie à des situations très concrètes. En pratique, les lanceurs d’alerte s’exposent à des représailles de tous ordres, qui peuvent aller du licenciement abusif à la diffamation, en passant par la mise au placard ou les sanctions disciplinaires. Malheureusement, l’actualité fournit de nombreux exemples à l’appui de ce constat ; je ne vais pas les énumérer de nouveau ici.

Faute d’une législation protectrice, les salariés sont démunis face à l’alerte. C’est donc une bonne chose que des procédures se mettent en place, avec des interlocuteurs connus.

Selon un sondage réalisé par Transparency International au mois de novembre dernier, les personnes garderaient le silence face à des actes de corruption par peur des représailles dans 39 % des cas et par conviction qu’il ne serait donné aucune suite à une alerte dans 40 % des cas.

De plus, une large majorité des salariés français ne savent pas à qui s’adresser pour mettre fin à de telles pratiques. La création de l’Agence de prévention de la corruption leur apporte une réponse concrète.

Deuxièmement, je crois que la commission a raison de garder en tête le risque de fausse alerte, de diffamation ou de rumeur infondée. Oui, ce risque existe. Mais je pense que nous pouvons faire confiance à l’agence pour agir avec discernement ; les moyens dont elle disposera lui permettront de séparer le bon grain de l’ivraie.

Troisièmement, Antoine Deltour a été condamné parce qu’il a enfreint le droit luxembourgeois. Le secret bancaire est une disposition légale au Luxembourg. La législation des États évolue avec l’histoire. Peut-être sera-t-il reconnu demain qu’Antoine Deltour a rendu service à l’intérêt général. C’est fondamentalement ce que je pense. Le système de l’apartheid était légal en Afrique du Sud depuis 1948 et jusqu’à 1991 ; contester ou dénoncer ce système, c’était enfreindre la loi. De même, l’esclavage fut légal en son temps. Laissons donc à la loi le temps d’évoluer.