Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Clotilde Valter, secrétaire d'État auprès de la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, chargée de la formation professionnelle et de l'apprentissage. Monsieur le sénateur, la préoccupation que vous exprimez ici est tout à fait légitime, mais la loi du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale y répond déjà largement.
En effet, au travers d’une réforme importante de la formation professionnelle, cette loi a profondément modifié les obligations des employeurs en les renforçant, et elle a rendu obligatoire la négociation par les entreprises de plus de 300 salariés des accords sur la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, la GPEC. L’objectif est d’engager des négociations pour anticiper et préparer les mutations auxquelles vous avez fait référence. Elles sont effectivement au cœur des préoccupations des acteurs économiques, mais aussi des partenaires sociaux sur l’ensemble du territoire.
D’ailleurs, cette préoccupation est d’ores et déjà déclinée dans les régions au sein des instances mises en place par la loi précitée, à savoir les CREFOP, coprésidés par les préfets et les présidents de conseils régionaux ; ils associent les partenaires sociaux. Au niveau territorial, ces comités incitent les entreprises à réfléchir sur l’évolution de leurs besoins en termes de compétences. Les branches sont représentées ; elles ont une responsabilité.
Le Gouvernement est donc défavorable à cet amendement d’ores et déjà satisfait par la loi de 2014, dont l’application, qui a commencé l’année dernière, se prolonge. La loi du 5 mars 2014 définissait un cadre. Myriam El Khomri a évoqué précédemment le plan « 500 000 formations supplémentaires », qui se décline aussi dans ce cadre et permet le déploiement de tous les outils que sont, entre autres, le compte personnel de formation et le conseil en évolution professionnelle. Tout cela forme un tout cohérent, qui s’applique depuis plus d’un an déjà et répond à votre préoccupation.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. J’entends bien les propos de Mme la secrétaire d’État. Il est vrai que des progrès ont été réalisés pour améliorer l’accès à la formation professionnelle.
Mais, à ce stade, alors que nous débattons de la nécessité de repenser notre code du travail pour l’adapter au monde contemporain et pas, je l’espère, pour réduire les droits des salariés, il est fondamental d’inscrire dans nos textes une forme de révolution culturelle. Elle doit comprendre l’impérative nécessité de former tous les salariés – c’est extrêmement urgent dans certaines branches ! – et d’engager une réflexion sur les mutations technologiques en cours. On le sait, c’est la garantie de pouvoir les accompagner.
Nous le savons, il y a autant de dispositifs de formation qu’un évêque peut en bénir ! (Sourires.) Mais, manque de chance, personne ne s’en saisit ! Bilan des courses, cela ne marche pas. De nombreuses personnes passent à travers les mailles du filet !
Dans le cadre de la révision du code du travail, nous considérons qu’il faut systématiser les stages de professionnalisation pour accompagner les mutations technologiques dans les branches les plus concernées. C’est une révolution culturelle qui va dans le sens de la sécurisation du travail et de l’amélioration de notre compétitivité.
Mme la présidente. La parole est à M. Gaëtan Gorce, pour explication de vote.
M. Gaëtan Gorce. Les dispositifs comme le compte personnel d’activité et le droit individuel à la formation ont pour caractéristique d’être individuels. Sans doute le salarié peut-il y avoir recours s’il sort de l’emploi, mais il n’en sera pas moins dans une grande précarité. Pour que ces dispositifs soient efficaces, nous avons besoin qu’ils fassent l’objet d’un encadrement collectif à l’échelle de l’entreprise et, mieux encore, à l’échelle de la branche.
Par ailleurs, l’obligation de négocier date de 2005 ; j’ai travaillé comme député sur la loi qui l’a mise en place. J’aimerais qu’on dresse le bilan des mesures prises en 2014 ; celui du dispositif institué en 2005 est tout de même extrêmement fragile.
Quelle en est la raison ? D’abord, selon moi, l’entreprise n’est pas le bon niveau d’action. C’est à l’échelle de la branche qu’il faut envisager un tel dispositif. Ensuite, il faut faire preuve d’un véritable volontarisme, en mobilisant les moyens adéquats pour que les objectifs de négociation et de résultats soient atteints.
Comme nous le constatons tous sur le terrain, ceux qui perdent leur emploi et qui sont les moins adaptés et les moins qualifiés ont très peu de chances d’en retrouver un ; le taux de chômage est directement corrélé au niveau de formation. Or les entreprises, et plus encore les branches, parce qu’elles sont soumises à d’autres préoccupations, ne consacrent pas suffisamment de moyens à cet objectif.
Cela vaut aussi pour le grand plan de formation et de qualification que je propose dans un autre de mes amendements. Voilà une bonne vingtaine d’années que Jacques Delors réclame un tel dispositif. Entre parenthèses, dans un petit livre d’entretiens avec la journaliste Cécile Amar, Jacques Delors a déclaré que, vu l’évolution de la majorité, il se situait désormais à sa gauche, alors qu’il était auparavant catalogué comme « droitier ». C’est dire ! (M. le rapporteur Jean-Baptiste Lemoyne rit.) Jacques Delors, lui, n’a pas bougé. Il considère que la négociation sociale se passe d’abord avec une intervention de l’État et que le progrès social conditionne le progrès économique, et non le contraire. Je tenais à le souligner.
Ces questions fondamentales sont évoquées dans le projet de loi, mais elles ne sont pas traitées avec suffisamment de volontarisme. Comme toutes les questions relatives à l’emploi depuis vingt ans, elles font l’objet de magnifiques discours de l’ensemble des ministres et des partenaires sociaux, dont les accords sur le sujet, régulièrement annoncés, sont réalisés de manière insuffisante.
Il faut prendre le projet à bras-le-corps. C’est le rôle de l’État de le faire !
Mme la présidente. La parole est à Mme Annie David, pour explication de vote.
Mme Annie David. Je souscris aux propos de nos collègues.
Ce n’est pas M. Karoutchi qui me contredirait. En tant que président de la délégation sénatoriale à la prospective, il nous a permis d’entendre M. Robin Rivaton.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. L’excellent Robin Rivaton !
Mme Annie David. M. Rivaton a longuement évoqué la révolution numérique et les pertes d’emplois qu’elle va entraîner.
Je partage largement son constat, notamment s’agissant des difficultés de la formation et la nécessité pour les salariés de se former dès à présent pour pouvoir exercer les emplois de demain, lorsque beaucoup d’emplois actuels auront disparu sous l’effet de la révolution numérique. (Mme Évelyne Didier acquiesce.)
Nous souhaitions la suppression de l’article 1er du projet de loi. Mais, comme nous n’avons pas été suivis, nous considérons qu’il faut à tout le moins l’améliorer. L’idée d’« adapter le code du travail aux mutations de l’économie en pérennisant les périodes de professionnalisations » va dans le sens du progrès social et de la prise en compte des besoins des salariés, afin de leur permettre le maintien dans l’emploi, voire, mieux encore, une évolution professionnelle.
Et nous ne pouvons que soutenir la proposition des auteurs de l’amendement en matière de formation professionnelle nécessaire ; je dirais même « obligatoire ».
Nous voterons donc cet amendement, même si nous avions défendu la suppression de l’article 1er.
Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Cadic, pour explication de vote.
M. Olivier Cadic. Monsieur Gorce, je me permets de vous livrer une information qui éclairera peut-être votre réflexion.
Je vis au Royaume-Uni, où la formation professionnelle est assurée à l’échelle de l’entreprise. Or, dans une étude présentée à la délégation sénatoriale aux entreprises lorsque celle-ci s’est rendue à Londres, le Cercle d’outre-Manche, un think tank spécialisé dans la comparaison des législations des deux côtés de la Manche, a démontré que les salariés sont plus nombreux à accéder à un bon niveau de formation professionnelle lorsque l’accompagnement est assuré à l’échelle de l’entreprise, et non de la branche, comme vous le proposez.
M. Christian Cambon. Très bien !
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 181 rectifié bis.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Mme la présidente. L’amendement n° 182 rectifié bis, présenté par M. Gorce, Mme Lienemann et MM. Durain, Néri, Masseret et Cabanel, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Rédiger ainsi cet alinéa :
1° Renforcer les garanties des salariés face aux mutations économiques ;
La parole est à M. Gaëtan Gorce.
M. Gaëtan Gorce. Je voudrais faire part à la commission et à son excellent rapporteur de ma surprise devant la rédaction choisie pour l’alinéa 3 de l’article 1er.
Après avoir formulé un certain nombre de critiques à l’encontre du texte initial du Gouvernement, je ne peux pas accepter la formulation retenue, qui tend à subordonner l’évolution de la négociation et du droit social à des objectifs de compétitivité.
Tous ceux qui, dans l’histoire, ont contribué à faire évoluer le droit du travail ont estimé que le progrès social était la condition du progrès économique. On peut considérer que c’est le contraire. Mais il reste que le droit du travail est conçu d’abord pour rééquilibrer la relation entre le salarié et le chef d’entreprise, pour favoriser la sécurité et la prise en compte des questions d’hygiène, pour équilibrer la situation en termes de négociation et pour garantir les droits fondamentaux. Il n’est pas conçu pour servir d’abord la compétitivité.
C’est pourquoi je propose de réécrire l’alinéa 3 de l’article 1er, afin de faire référence à ce qui est normalement la vocation du droit du travail : garantir au salarié des droits dans l’entreprise pour lui permettre d’exercer son activité. Parce qu’ils assurent la sécurité du salarié, ces droits peuvent avoir pour conséquence de le rendre plus productif et, de ce fait, contribuer au progrès économique. Mais ce n’est pas sur cet objectif que nous devons fonder notre droit du travail. Peut-être est-ce l’intention de la droite, si les prochaines élections devaient lui être favorables ? En tout cas, ce n’est pas du tout la logique dans laquelle nous souhaitons nous placer.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. Selon nous, l’objectif de renforcement des garanties des salariés est compris dans l’alinéa 4 de l’article 1er, où il est indiqué que la refondation du code du travail a pour objet de « protéger les droits et libertés fondamentales des travailleurs ».
Dans le texte de la commission, le renforcement de la compétitivité des entreprises n’est que le troisième objectif mentionné, après la protection des droits et libertés fondamentales des travailleurs. D’ailleurs, les deux objectifs ne sont pas antagonistes.
Enfin, l’amendement n° 182 rectifié bis tend à supprimer non pas l’alinéa 5, qui vise le renforcement de la compétitivité, mais l’alinéa 3, qui fixe l’objectif de « simplifier les règles du code du travail ».
La commission a donc émis un avis défavorable sur l’amendement, qui est en partie satisfait.
Monsieur Gorce, vous avez fait référence à Jacques Delors, qui n’a pas bougé et qui se considère maintenant comme à la gauche de la gauche. Nous non plus, nous n’avons pas bougé !
M. Alain Néri. Nous l’avions compris depuis longtemps !
M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. En réalité, le texte de la commission s’inscrit dans la même philosophie que nos lois de 2004 et 2008. Vous n’avez pas bougé, et moi non plus. En revanche, je considère que le Gouvernement, lui, a bougé, pour venir sur nos lignes.
Mme Laurence Cohen. Nous sommes bien d’accord ! C’est précisément ce que nous dénonçons !
M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. Notez que nous nous en réjouissons. Cette prise de conscience, quoiqu’un peu tardive, est salutaire pour la France. C’est dans cet esprit que nous accompagnons le mouvement et que nous avons réécrit l’article 1er du projet de loi.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Myriam El Khomri, ministre. Monsieur le rapporteur, je vous rassure : nous sommes sur notre propre ligne, une ligne sociale-démocrate.
Contrairement à vous, nous estimons que certains grands principes doivent rester inscrits dans la loi. Je pense par exemple à la durée légale du travail.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. Nous verrons quel sera votre avis sur l’amendement que nous avons déposé à cet égard !
Mme Myriam El Khomri, ministre. Dans son essence même, le droit du travail comprend la protection du salarié ; il n’est nullement question de la remettre en cause.
L’enjeu est de laisser plus de place à la négociation, afin que les acteurs puissent faire preuve d’une plus grande réactivité devant les mutations. S’il n’y a pas de négociation, c’est le droit actuel qui continuera de s’appliquer.
La négociation collective, à laquelle la refondation du code du travail donnera une place centrale, s’entend autant au niveau de la branche que de l’entreprise. À chacun de trouver le niveau le plus pertinent. C’est aussi par la négociation collective que sont garantis les droits des salariés.
Le projet du Gouvernement est différent de celui de la commission des affaires sociales, dans la mesure où nous souhaitons que la future commission de refondation propose une réécriture du code du travail à droit constant. Dès lors, il ne me paraît pas nécessaire de dresser une liste d’objectifs, ce qui nous éloignerait du droit constant. Je ne suis donc pas favorable ni à la rédaction de la commission des affaires sociales ni aux amendements tendant à introduire des objectifs à cet endroit du texte.
Encore une fois, il n’appartiendra pas à la future commission de faire évoluer le droit. C’est votre travail, mesdames, messieurs les parlementaires !
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 182 rectifié bis.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Mme la présidente. Madame la ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, il est près de minuit. Je vous propose de prolonger notre séance jusqu’à minuit trente, afin de poursuivre l’examen de ce texte.
Il n’y a pas d’opposition ?…
Il en est ainsi décidé.
L’amendement n° 183 rectifié bis, présenté par M. Gorce, Mme Lienemann et MM. Durain, Néri, Masseret et Cabanel, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 3
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
…° Diminuer le chômage, en prévoyant qu’un accord de branche fixe les conditions dans lesquelles les salariés en formation sont automatiquement remplacés pendant la durée de celle-ci par un demandeur d'emploi préalablement préparé ;
La parole est à M. Gaëtan Gorce.
M. Gaëtan Gorce. Avec votre permission, madame la présidente, je défendrai en même temps l’amendement n° 184 rectifié bis.
Mme la présidente. J’appelle donc en discussion l’amendement n° 184 rectifié bis, présenté par M. Gorce, Mme Lienemann et MM. Durain, Néri, Masseret et Cabanel, et ainsi libellé :
Après l’alinéa 4
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
…° Permettre la mise en œuvre d’un grand plan de formation et de qualification grâce auquel chaque salarié disposant d'un niveau de formation inférieur au niveau 4 bénéficie d'actions de formation lui permettant d'accéder au minimum au niveau immédiatement supérieur dans un délai de cinq ans. Ces actions sont définies et mises en œuvre dans chaque branche professionnelle par accord collectif ;
Veuillez poursuivre, monsieur Gorce.
M. Gaëtan Gorce. Je suis parti d’un constat sur lequel je ne m’appesantirai pas : l’insuffisance du niveau global de formation dont ont bénéficié les actifs.
Cela résulte de la lenteur avec laquelle le système scolaire s’est mis à contribuer à l’élévation du niveau global de formation, mais aussi de l’attitude d’entreprises qui développent assez peu la formation ou la concentrent au bénéfice de salariés déjà formés. Malgré de multiples réformes, on n’a pas réussi à inverser cette tendance, y compris via les accords signés par les partenaires sociaux. D’ailleurs, sur le sujet, ces derniers ne me paraissent pas paradoxalement forcément les mieux qualifiés pour aboutir à des résultats. Ils préconisent à chaque fois le statu quo, moyennant quelques rares aménagements.
Sans doute faut-il remettre l’ouvrage sur le métier. L’enjeu est considérable. C’est le sens de mes deux amendements.
L’amendement n° 184 rectifié bis vise à lancer le grand plan de qualification et de formation nécessaire pour élever le niveau de formation d’un certain nombre de salariés dans le cadre de la négociation collective. C’est dans ce cadre qu’une telle démarche doit être envisagée. J’ai exprimé précédemment mes plus vives réserves quant à l’efficacité des dispositifs individuels. Ils donnent l’impression de répondre aux situations des personnes amenées à évoluer en accordant à celles-ci des droits spécifiques. Mais, dans les faits, la plupart des salariés ne peuvent pas bénéficier de la liberté supplémentaire qu’ils offrent, soit parce qu’ils ont perdu leur emploi, soit parce qu’ils n’ont pas les outils qui le leur permettraient dans leur entreprise. La démarche doit être menée à une échelle collective !
L’amendement n° 183 rectifié bis tend à mettre en place un système de rotation expérimenté par les Danois et déjà tenté ici ou là. Puisque l’on parle d’expérimentations, pourquoi ne pourrions-nous pas en faire une pour ce dispositif ? Concrètement, un salarié quittant son emploi pour suivre une formation en vue de répondre à l’objectif général d’élévation du niveau de qualification serait remplacé par une personne au chômage qui aurait été préparée à occuper son poste.
On aime bien citer les Danois à propos de la flexisécurité. Je crois bien que ce sont aussi des « sociaux-démocrates », pour reprendre l’expression de Mme la ministre, expression qui ne m’est d’ailleurs guère familière. En France, notre culture n’a jamais été très sociale-démocrate. Puisque la formule date de quelques années et vient de pays étrangers, nous pourrions peut-être essayer de l’acclimater.
Mme Nicole Bricq. Utilisez celle que vous voulez !
M. Gaëtan Gorce. D’ailleurs, il est curieux de prétendre « moderniser » le droit du travail quand on vieillit la politique en utilisant des expressions désuètes, pour ne pas dire obsolètes, que l'on présente comme le symbole de la modernité politique…
Je crains que l’on ne commette la même erreur à propos du code du travail !
M. Christian Cambon. Allez donc faire un stage en entreprise !
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable sur ces deux amendements.
Toutefois, l’idée qui est défendue à l’amendement n° 183 rectifié bis ne me semble pas inintéressante. À mon sens, la commission d’enquête du Sénat sur les chiffres du chômage en France et dans les pays de l’Union européenne, dont la présidente est présente dans notre hémicycle, pourrait étudier le principe de l’expérimentation proposée, afin de déterminer dans quelle mesure le dispositif mis en œuvre au Danemark pourrait être transposé en France.
Certes, il est toujours intéressant d’examiner ce qui se fait à l’étranger. Mais, nous le savons tous, comparaison n’est pas raison ; chaque modèle a ses propres équilibres. Toujours est-il que l’idée de M. Gorce mérite sûrement d’être creusée.
Par ailleurs, toutes les propositions tendant à activer des dépenses passives méritent d’être considérées. Il peut y avoir d’autres idées en ce sens.
Par conséquent, si la commission est hostile à l’inscription des mesures proposées dans le projet de loi, la réflexion mérite, me semble-t-il, d’être poursuivie, notamment au sein de la commission d’enquête que je viens d’évoquer.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Clotilde Valter, secrétaire d'État. La demande de M. Gorce relative au dispositif de rotation envisagé à l’amendement n° 183 rectifié bis est satisfaite. Un tel système est en cours d’expérimentation dans les entreprises de moins de dix salariés et dans les entreprises de dix à quarante-neuf salariés. Nous proposons donc d’attendre l’évaluation des résultats de l’expérimentation pour pouvoir juger de l’efficacité ou de l’inefficacité du dispositif avant d’en envisager la généralisation.
Il me semble en outre que Mme la ministre et moi-même avons déjà largement répondu sur le grand plan de formation et de qualification réclamé à l’amendement n° 184 rectifié bis.
Je le répète, la loi du 5 mars 2014 prévoit une déclinaison dans les territoires, grâce à un travail de terrain mené par l’État, les régions, compétentes en matière de formation professionnelle, et les partenaires sociaux. Les outils qu’elle a créés, comme le conseil en évolution professionnelle, répondent aux préoccupations de M. Gorce. Ils permettent d’accompagner le demandeur d’emploi ou le salarié dans la définition de son parcours et de ses actions de formation. Le choix doit être celui de la personne elle-même ; c’est un principe important de la loi. Le compte personnel de formation, entré en vigueur en 2015, constitue désormais un droit individuel transférable, enrichi par le présent projet de loi pour les salariés les moins qualifiés.
J’ajoute que la loi du 5 mars 2014 permet aux personnes les moins qualifiées d’accéder à une première certification : le socle de connaissances et de compétences professionnelles, plus connu sous l’acronyme CLéA.
Monsieur Gorce, toutes les mesures que nous mettons en œuvre me semblent aller dans le sens de ce que vous souhaitez. Le plan « 500 000 formations supplémentaires », pour lequel le Gouvernement a dégagé un milliard d’euros, constitue le grand plan de formation que vous demandez.
Il a été proposé aux régions, qui sont chargées de coordonner la mise en œuvre de ce plan, de le décliner dans les territoires, au sein des CREFOP, en liaison avec les partenaires sociaux.
Autrement dit, ce plan est décliné au plus près du territoire, pour répondre aux besoins des entreprises et de l’économie, mais aussi pour traiter les sujets que vous avez évoqués, c'est-à-dire la transformation profonde de notre économie et les réponses qui doivent être apportées s’agissant particulièrement de la transition énergétique et de la transformation numérique.
Ce plan de 500 000 formations permet justement d’apporter aux demandeurs d’emploi la brique de formation dont ils ont besoin, sur un socle de qualification quelquefois insuffisant, pour pouvoir répondre immédiatement aux compétences demandées par les entreprises, qui sont aujourd’hui définies, d’un côté, par les transformations numériques, et, de l’autre, par la transition énergétique.
Monsieur le sénateur, en mettant bout à bout tous ces dispositifs, nous sommes donc en situation de répondre aux demandes que vous avez exprimées et dont nous mesurons bien l’importance. C’est pourquoi nous ne pouvons qu’abonder dans votre sens et vous assurer qu’elles sont d’ores et déjà mises en œuvre.
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Néri, pour explication de vote.
M. Alain Néri. La formation est l’une des conditions de base pour avoir des entreprises compétitives. Les chefs d’entreprises nous disent régulièrement qu’ils ont besoin de travailleurs bien formés. Ce n’est d'ailleurs pas nouveau. Comme vous le savez, mes chers collègues, Jules Ferry a décidé de rendre l’école obligatoire pour que les petits Français apprennent à lire, à écrire et à compter, parce que la révolution industrielle impliquait que les travailleurs possèdent certaines connaissances de base.
M. Christian Cambon. C’est vous qui avez diminué les connaissances de base !
M. Alain Néri. Pendant de longues années, on nous a dit qu’il fallait des travailleurs bien formés, qui répondent aux besoins des entreprises. Mme la secrétaire d’État vient tout juste de rappeler que c’était la base de la compétitivité. Dans ces conditions, je vous pose la question, madame la ministre : où en est-on de la formation en alternance ?
Nous sommes au mois de juin, l’année scolaire va se terminer et de nombreux jeunes et leurs parents vont se rendre dans nos permanences, parce qu’ils ne parviennent pas à trouver d’employeur pour suivre un CAP, un BP, un BTS, un baccalauréat professionnel ou toute autre formation en alternance. On fait miroiter aux jeunes qu’ils vont pouvoir suivre une formation en alternance adaptée aux besoins, qui leur permettra d’intégrer l’entreprise, mais, en réalité, au mois de septembre ou au mois d’octobre, ces jeunes vont se trouver sans formation, faute de réponse des chefs d’entreprise.
Ceux qui ne perdent pas le Nord, en revanche, madame la ministre, ce sont les organismes qui proposent des formations théoriques à des prix exorbitants, compris entre 2 000 euros et 5 000 euros, sans même se préoccuper de savoir si les jeunes pourront obtenir une formation en alternance ! (Marques d’impatience sur plusieurs travées.)
Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Alain Néri. Je conclus, mais l’impatience des jeunes qui vont débarquer dans nos permanences dans quelques jours vaut bien quelque temps de parole supplémentaire. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. Monsieur Néri, il faut vraiment conclure ! Nous vous redonnerons la parole ultérieurement.
M. Alain Néri. Si vous m’interrompez, madame la présidente, je reprendrai la parole ensuite, ce n’est pas grave !
Simplement, madame la ministre, je veux vous dire qu’il est important d’imposer à ceux qui ont réclamé une telle formation la réalité de cette alternance…
Mme la présidente. La parole est à M. Martial Bourquin, pour explication de vote.
M. Martial Bourquin. L'amendement n° 183 rectifié bis de notre collègue Gorce est bienvenu, car ce système se met en place au Danemark, où il fonctionne bien et doit être généralisé. L’idée de remplacer un salarié partant en formation dans une PME par un chômeur de longue durée est d’autant plus séduisante qu’une formation en situation de travail apporte bien plus.
M. Christian Cambon. Avez-vous déjà travaillé dans une entreprise ?
M. Martial Bourquin. On compare beaucoup, en matière de droit du travail, la situation de la France à celle de la Grande-Bretagne, évoquée par M. Cadic, de l’Italie, ou encore de l’Espagne. Je voudrais pour ma part vous parler quelques instants de l’Allemagne. Dans ce pays, le cœur de la négociation se situe au niveau de la branche. Des conventions collectives, des conventions sectorielles sont passées à l’échelle régionale.
M. Christian Cambon. Ils n’ont pas non plus les mêmes syndicats !