Sommaire

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

Mme Corinne Bouchoux, M. Jean-Pierre Leleux.

1. Procès-verbal

2. Décès d’un ancien sénateur

3. Organisme extraparlementaire

4. Engagement de la procédure accélérée pour l’examen d’une proposition de loi

5. Hommage aux victimes d’un attentat aux États-Unis d’Amérique

6. Nouvelles libertés et nouvelles protections pour les entreprises et les actif-ve-s. – Discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission

Discussion générale :

Mme Myriam El Khomri, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social

M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur de la commission des affaires sociales

M. Jean-Marc Gabouty, rapporteur de la commission des affaires sociales

M. Michel Forissier, rapporteur de la commission des affaires sociales

Exception d’irrecevabilité

Motion n° 103 de Mme Éliane Assassi. – Mme Éliane Assassi ; M. Vincent Capo-Canellas ; M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur ; Mme Myriam El Khomri, ministre ; Mme Nicole Bricq ; M. Dominique Watrin. – Rejet par scrutin public.

Question préalable

Motion n° 102 de M. Pierre Laurent. – M. Pierre Laurent ; Mme Élisabeth Lamure ; M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur ; Mme Myriam El Khomri, ministre ; Mme Nicole Bricq ; Mme Annie David. – Rejet par scrutin public.

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE Mme Isabelle Debré

Discussion générale (suite)

M. Dominique Watrin

M. Didier Guillaume

M. Jean Desessard

M. David Rachline

M. Philippe Dallier

M. Jean-Marie Vanlerenberghe

M. Michel Amiel

M. Olivier Cadic

Mme Nicole Bricq

Mme Aline Archimbaud

Organisation des travaux

Mme la présidente ; Mme Evelyne Yonnet ; M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales

Discussion générale (suite)

M. François Fortassin

M. Alain Milon

Mme Pascale Gruny

M. Alain Joyandet

Mme Myriam El Khomri, ministre

Clôture de la discussion générale.

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE Mme Jacqueline Gourault

Article additionnel avant l'article 1er

Amendement n° 180 rectifié de M. Gaëtan Gorce. – Rejet.

Article 1er

Mme Laurence Cohen

Mme Annie David

M. Gaëtan Gorce

Mme Marie-Noëlle Lienemann

Amendement n° 40 de M. Dominique Watrin. – Rejet par scrutin public.

Amendement n° 455 rectifié de M. Dominique Watrin. – Rejet.

Amendement n° 181 rectifié bis de M. Gaëtan Gorce. – Rejet.

Amendement n° 182 rectifié bis de M. Gaëtan Gorce. – Rejet.

Amendement n° 183 rectifié bis de M. Gaëtan Gorce. – Rejet.

Amendement n° 184 rectifié bis de M. Gaëtan Gorce. – Rejet.

Amendement n° 115 rectifié de M. Maurice Antiste. – Rejet.

Renvoi de la suite de la discussion.

7. Ordre du jour

compte rendu intégral

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

Mme Corinne Bouchoux,

M. Jean-Pierre Leleux.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à seize heures.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du jeudi 9 juin 2016 a été publié sur le site internet du Sénat.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté.

2

Décès d’un ancien sénateur

M. le président. Mes chers collègues, j’ai le regret de vous faire part du décès de notre ancien collègue Victor Reux, qui fut sénateur de Saint-Pierre-et-Miquelon de 1995 à 2004.

3

Organisme extraparlementaire

M. le président. M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation d’un sénateur appelé à siéger au sein du Comité des usagers du réseau routier national.

La commission de l’aménagement du territoire et du développement durable a été invitée à présenter une candidature.

La nomination au sein de cet organisme extraparlementaire aura lieu ultérieurement, dans les conditions prévues par l’article 9 du règlement.

4

Engagement de la procédure accélérée pour l’examen d’une proposition de loi

M. le président. En application de l’article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée pour l’examen de la proposition de loi tendant à prolonger le délai de validité des habilitations des clercs de notaires, déposée sur le bureau du Sénat le 9 juin 2016.

5

Hommage aux victimes d’un attentat aux États-Unis d’Amérique

M. le président. Madame la ministre, mes chers collègues, les États-Unis ont été frappés hier par un terrible attentat terroriste. (Mme la ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, Mmes et MM. les sénateurs se lèvent.)

Un homme, qui semble avoir prêté allégeance à l’État islamique, a ouvert le feu en Floride, dans un lieu emblématique de la communauté homosexuelle.

Le bilan humain est très lourd : quarante-neuf morts et cinquante-trois blessés. Il s’agit de la fusillade la plus meurtrière de l’histoire des États-Unis.

Au nom du Sénat tout entier, je souhaite en cet instant exprimer aux victimes et à leurs familles notre solidarité et présenter nos plus sincères condoléances au peuple américain, durement éprouvé.

Après les attentats de Bruxelles, cette tuerie ravive le souvenir des terribles événements qui ont endeuillé notre pays en 2015. Une nouvelle fois, le terrorisme, qui ne connaît pas de frontières, s’attaque aux valeurs de liberté et de tolérance.

Afin de préserver ces valeurs, la France, l’Europe tout entière, les États-Unis et la communauté internationale doivent ensemble poursuivre sans relâche la lutte contre le terrorisme. C’est une responsabilité majeure de nos démocraties que de le faire en respectant les valeurs démocratiques.

J’ai demandé à Mme Isabelle Debré, vice-présidente du Sénat, de se rendre à l’ambassade des États-Unis pour signer en mon nom et au nom du Sénat tout entier le registre de condoléances.

Je vous invite à observer un moment de recueillement en hommage aux victimes de cette tragédie et en signe de solidarité avec le peuple des États-Unis d’Amérique. (Mme la ministre, Mmes et MM. les sénateurs observent une minute de silence.)

6

 
Dossier législatif : projet de loi relatif au travail, à la modernisation du dialogue social  et à la sécurisation des parcours professionnels
Discussion générale (suite)

Nouvelles libertés et nouvelles protections pour les entreprises et les actif-ve-s

Discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi relatif au travail, à la modernisation du dialogue social  et à la sécurisation des parcours professionnels
Exception d'irrecevabilité

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, considéré comme adopté par l’Assemblée nationale en application de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution après engagement de la procédure accélérée, visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actif-ve-s (projet n° 610, texte de la commission n° 662, rapport n° 661).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. François Fortassin applaudit également.)

Mme Myriam El Khomri, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Monsieur le président du Sénat, je m’associe aux mots justes que vous venez de prononcer au sujet de la lâche tuerie d’Orlando. Nos pensées vont bien sûr aux victimes, à leurs familles, et nous sommes solidaires des États-Unis dans cette terrible épreuve. Le terrorisme touche tout le monde ; seule une coopération internationale étroite permettra de l’enrayer.

Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires sociales, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, je me réjouis de voir s’ouvrir aujourd’hui, au sein de la chambre haute, le débat sur le projet de loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs.

Je veux d’abord saluer, malgré nos divergences de fond, la qualité du travail accompli par MM. les rapporteurs. Croyez bien que je me présente devant vous avec une volonté de pédagogie, un souci du dialogue et une force de conviction intacts. J’attends beaucoup de l’esprit de tempérance et de sagesse qui caractérise les discussions au sein de cette assemblée pour nourrir un débat, bien sûr constructif, mais également sans faux-semblants, quant à ce qui nous distingue.

La majorité sénatoriale a en effet choisi de faire écho à des projets défendus en dehors de cet hémicycle et tournés vers une échéance qui dépasse le cadre de l’examen de ce texte. La rédaction adoptée par la commission des affaires sociales du Sénat va donc nous offrir l’occasion d’exposer avec la plus grande clarté, devant les Français, deux conceptions du monde du travail et du dialogue social. À ceux qui nient l’existence d’un clivage entre la gauche et la droite, la majorité sénatoriale vient d’apporter un démenti explicite.

Nos divergences portent d’abord sur le diagnostic que nous portons sur la situation de notre pays.

Admettons que la France de 2016 est une société moins hiérarchisée, plus souple et plus ouverte sur le monde qu’elle ne l’a jamais été. Entendons qu’elle réclame davantage de liberté et d’autonomie, au niveau tant des entreprises que des individus. Cette aspiration, nous voulons y répondre en encourageant la mobilité sociale, l’esprit d’innovation et la croissance.

Mais la société de 2016 n’a pas pour autant renoncé aux idéaux de solidarité. Si elle réclame légitimement que notre modèle social se modernise pour répondre aux défis sociaux de notre époque, elle fait toujours de la fraternité une valeur cardinale. Notre priorité n’est donc pas seulement d’encourager le dynamisme économique, mais aussi et surtout de lutter contre une précarité croissante, subie par ceux qui ne parviennent pas à accéder à l’emploi stable.

Aujourd’hui, 90 % des recrutements se font en CDD dans notre pays, dont la moitié pour une durée inférieure à une semaine. Derrière ces chiffres, il y a un grand nombre de nos concitoyens, les moins qualifiés, les jeunes et les femmes, qui alternent, de façon souvent durable, CDD, petits boulots, intérim et périodes de chômage. C’est notamment pour eux que nous défendons un projet de loi dont l’objet est de stimuler l’activité économique et de favoriser l’accès à l’emploi durable.

C’est certainement cette part du diagnostic que la majorité sénatoriale a choisi d’ignorer en encourageant un fractionnement croissant du temps partiel, en supprimant l’extension de la Garantie jeunes, le compte engagement citoyen ou encore les droits des collaborateurs de plateformes numériques.

Si nous reconnaissons volontiers, sans forcément partager toutes les propositions formulées, la qualité du travail que vous avez réalisé, notamment sur la question de l’apprentissage, force est de constater que, sur l’ensemble du texte, sur sa philosophie même, une volonté de surenchère a prévalu et a conduit à mettre à bas l’édifice équilibré que nous avions construit au cours des mois précédents. J’y reviendrai.

En toute logique, nos divergences s’affichent également au travers des objectifs que nous nous donnons. Notre volonté est de concevoir des solutions nouvelles pour rendre le monde du travail plus dynamique, mais aussi plus inclusif et plus protecteur.

Le projet de loi, tel qu’il était rédigé à l’issue de son adoption par l’Assemblée nationale,…

Mme Catherine Procaccia. Son adoption ?…

Mme Myriam El Khomri, ministre. … alliait protection sociale adaptée et renforcée et recherche de compétitivité pour notre économie. Car notre horizon, c’est celui d’une « liberté protectrice » pour tous. La liberté sans protection est un leurre, un mensonge, une trahison de la promesse républicaine. La « liberté protectrice », au contraire, c’est ce qui permet de rendre chacun acteur de sa destinée.

Cet édifice repose sur un triptyque cohérent : un dialogue social renforcé au niveau de l’entreprise, une visibilité accrue du droit du travail pour tous les acteurs économiques et de nouvelles protections pour tous nos concitoyens, en tenant compte de la situation de chacun.

Nous considérons que notre économie a effectivement besoin de plus de souplesse pour gagner en compétitivité, pour créer de l’activité et développer l’emploi durable : il n’y a aucun tabou de notre côté en la matière.

Nous sommes aux côtés des entreprises qui créent de l’emploi, en particulier des plus petites d’entre elles.

Faut-il rappeler que le texte introduit pour les très petites entreprises, les TPE, la possibilité de constituer une provision pour risque lié à un contentieux prud’homal, qu’il crée un droit à l’information sur le droit du travail pour les entreprises de moins de 300 salariés, qui ne disposent pas d’une armée d’experts juridiques pour les aider, qu’il ouvre la possibilité, pour un dirigeant d’entreprise, de présenter aux juges la réponse qu’il aura obtenue de l’administration sur une question de droit du travail en cas de contentieux ?

Faut-il rappeler que nous apportons, avec le ministre de l’économie, une visibilité accrue, notamment en matière de licenciement, pour renforcer les capacités d’anticipation de nos entreprises ? Oui, notre économie doit être dynamisée, mais –et c’est là notre préoccupation première – dans le cadre de négociations protectrices et avec des garanties pour les travailleurs.

C’est notamment le sens de la généralisation de l’accord majoritaire en matière de dialogue social, et c’est aussi le sens de la création du compte personnel d’activité en matière de gestion des parcours professionnels. Lorsque nous constatons que les vies professionnelles sont souvent faites de ruptures, plus subies que voulues, nous considérons qu’il faut doter chaque actif des armes qui lui permettront de toujours rebondir, évoluer, réaliser ses ambitions professionnelles en fonction de ses besoins, de ses envies, de ses compétences. Avec le compte personnel d’activité, pour la première fois, cette utopie se concrétise.

Voilà quelle est notre définition d’une « liberté protectrice ». Voilà ce qu’est un projet social-démocrate moderne, projet que je sais cher, en particulier, à Didier Guillaume, président du groupe socialiste et républicain, et à Nicole Bricq ; je les remercie, ainsi que l’ensemble des sénatrices et sénateurs de leur groupe, pour leur soutien exigeant et sans faille. Et voilà ce qui a été rejeté et largement remplacé par de vieilles recettes qu’à chaque débat vous ressortez, sans néanmoins les avoir jamais soumises à la représentation nationale lorsque vous étiez aux responsabilités.

Vous vous êtes d’abord empressés de prévoir la fin des 35 heures. Si votre texte était adopté, la durée du travail serait fixée librement par les entreprises ou les branches, et, à défaut d’accord, la durée légale serait portée à 39 heures. Que signifierait une telle mesure pour les travailleurs ? Tout simplement la fin de la majoration des heures supplémentaires à partir de la trente-sixième heure et donc, tout simplement, une perte de revenus.

Êtes-vous certains que cela serait source de progrès économique et de progrès social ? Quel message souhaitez-vous ainsi envoyer ? Tout simplement celui que la France ne travaille pas assez. Outre que cette conception ne repose sur aucune réalité statistique, elle nous oppose profondément.

Savez-vous que le temps de travail moyen d’un salarié français est équivalent à celui d’un salarié allemand ? Mieux, que la productivité de celui-là est supérieure à la productivité de celui-ci ?

Mme Myriam El Khomri, ministre. En proposant d’enterrer les 35 heures, vous attaquez plus fondamentalement l’idée selon laquelle, dans une société avancée, le temps social ne se résume pas à la journée de travail : vous ignorez, au fond, la vie personnelle, les loisirs, la famille ou l’engagement associatif. En faisant disparaître les 35 heures, c’est tout un pan de l’activité humaine, au cœur des aspirations de nos concitoyens, que vous feriez passer par pertes et profits. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Nous, nous préservons bien sûr les 35 heures, mais nous créons aussi un droit à la déconnexion pour protéger la vie personnelle à l’heure du tout-numérique. Ce droit, vous le supprimez !

Nous, nous instaurons une durée minimale du travail à temps partiel de 24 heures par semaine, et nous l’encadrons par la branche pour limiter le développement de « mini-jobs » précaires à l’allemande ou à l’anglo-saxonne. Ce seuil, vous le supprimez !

Nous, nous créons un compte engagement citoyen, le CEC, pour valoriser l’activité associative de millions de nos concitoyens, y compris celle des maîtres d’apprentissage. Ce compte, vous le supprimez !

Nous, nous préservons les congés qu’un salarié peut prendre en raison d’un mariage, d’une naissance ou d’un décès. Cette garantie, vous la supprimez !

Nous, nous entérinons la création du compte personnel de prévention de la pénibilité, le C3P, pour que ceux qui ont eu les carrières les plus difficiles puissent partir plus tôt à la retraite s’ils le désirent, parce que cela est juste. Cette avancée sociale, vous la videz de sa substance !

Qui, dans ces conditions, peut mettre la gauche et la droite sur le même plan ?

Vous avez ensuite souhaité promouvoir une vision très particulière du dialogue social. Si votre texte était adopté, un employeur pourrait valider un accord d’entreprise en organisant un référendum de sa propre initiative, sans avis ou consultation des syndicats.

Là encore, quel message voulez-vous adresser ? Tout simplement que le meilleur dialogue social consiste in fine à se passer des partenaires sociaux. Cette conception sous-tend également votre volonté d’ignorer les concertations menées par le Gouvernement avec les partenaires sociaux depuis le mois de janvier,…

M. Philippe Dallier. Avec un brillant résultat !

Mme Myriam El Khomri, ministre. … concertations qui nous ont pourtant permis de concevoir un texte équilibré.

Si nous voulons ménager plus de souplesses à l’échelon de l’entreprise en matière d’organisation du temps de travail, nous les conditionnons à la conclusion d’un accord soutenu par des syndicats représentant au moins 50 % des salariés. Il y a une voie permettant de renforcer le dialogue social dans l’entreprise sans pour autant piétiner les partenaires sociaux, comme vous le faites. C’est la voie que nous avons choisie, car nous faisons confiance au dialogue social.

Mme Laurence Cohen. Ah bon ? Cela ne se voit pas du tout !

Mme Myriam El Khomri, ministre. Nous, nous augmentons de 20 % les moyens syndicaux. Ce soutien, vous le supprimez !

Nous, nous maintenons les seuils sociaux pour garantir une représentation des salariés dans les entreprises de plus de onze salariés. Cette protection, vous la supprimez !

Quelle démonstration, s’il en était besoin, de ce qui oppose la gauche et la droite en matière de droit du travail !

Vous avez enfin voulu vider ce projet de loi de dispositions pourtant destinées à lutter contre la précarité. Si votre texte était adopté, la généralisation de la Garantie jeunes,…

M. Philippe Dallier. Non financée !

Mme Myriam El Khomri, ministre. … laquelle est un dispositif intensif de retour vers l’emploi destiné aux jeunes de moins de vingt-six ans sans emploi, sans formation et en situation de précarité, serait abandonnée.

En faisant cela, vous niez l’intérêt d’un outil qui a déjà permis d’accompagner plus de 50 000 jeunes depuis son lancement en 2013 et qui concerne potentiellement plusieurs centaines de milliers de jeunes.

M. Philippe Dallier. Ça coûtera combien ?

Mme Myriam El Khomri, ministre. Quel message voulez-vous nous adresser encore une fois ? Au travers de cette décision, vous considérez, comme d’habitude, que la solidarité s’apparente à de l’assistanat. Non seulement nous combattons cette vision, mais nous proposons autre chose,…

Mme Myriam El Khomri, ministre. … un projet tourné vers la cohésion sociale, car l’avenir de notre pays, celui de notre jeunesse passent inévitablement par une forme nouvelle de solidarité.

Nous, nous créons le compte personnel d’activité pour que chacun bénéficie de sécurités renforcées dans un monde en mouvement et puisse être acteur de son parcours professionnel.

Nous, nous créons, avec Clotilde Valter, chargée de la formation professionnelle et à l’apprentissage, le droit universel à la formation.

M. Philippe Dallier. Vous avez surtout créé 600 000 chômeurs.

Mme Myriam El Khomri, ministre. Nous, nous créons le droit à un retour gratuit à une formation initiale pour les jeunes décrocheurs.

Nous, nous garantissons quarante-huit heures de formation par an aux salariés sans qualification, parce qu’aujourd'hui près de 2 millions de demandeurs d’emploi ont un niveau inférieur au baccalauréat et que les personnes n’ayant pas eu accès à un premier niveau de qualification restent durablement au chômage.

Nous créons également de nouveaux droits pour les collaborateurs des plateformes numériques, droits que vous vous empressez de supprimer !

Mesdames, messieurs les sénateurs, l’édifice que la majorité sénatoriale s’est employée à démanteler, celui que je défends au nom du Gouvernement, nous ne l’avons pas construit seuls, et c’est désormais à ceux qui ont permis cette construction et peuvent encore l’améliorer que je veux m’adresser.

Dès le début, le Gouvernement, sous l’autorité du Premier ministre, a cherché à construire une majorité autour du projet de loi Travail,…

Mme Éliane Assassi et M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur de la commission des affaires sociales. Raté !

Mme Myriam El Khomri, ministre. … en consultant largement les organisations syndicales, patronales et de jeunesse, et en reprenant le texte issu des travaux de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, qui avait été modifié à hauteur de 300 amendements. Lorsque nous avons engagé la responsabilité du Gouvernement, nous avons encore enrichi le texte de plus de 450 amendements déposés en séance publique.

Oui, le Gouvernement a engagé sa responsabilité sur le projet de loi Travail parce qu’il le considère comme décisif pour le pays, mais, avec l’intégration au texte de près de 800 amendements, il a aussi démontré qu’il savait être à l’écoute du Parlement.

Au cœur de nos débats, il y a la place que nous souhaitons accorder à la négociation d’entreprise. Ce débat, nous le savons, dépasse d’ailleurs le cadre du Parlement et traverse aussi le champ syndical, dont une part significative des représentants soutient avec force ce projet de loi. Je veux saluer ici leur engagement.

Ce débat, en réalité, rythme notre histoire depuis que, en 1982, alors que la gauche engageait son œuvre de décentralisation, Jean Auroux déclarait : « Citoyens dans la cité, les travailleurs doivent l’être aussi dans leur entreprise. » Déjà, André Bergeron, à la tête de FO, balayait cette idée du revers de la main en avançant que « tout cela c’est de la poésie »…

Rappelons pourtant que les employeurs, les salariés et les partenaires sociaux se saisirent immédiatement de leurs nouveaux pouvoirs et que, dès 1984, on recensait plus de 4 000 accords d’entreprise signés.

Malgré cet engouement initial, chaque réforme en faveur d’un renforcement du dialogue social de proximité fera ensuite l’objet des mêmes suspicions.

Henri Krasucki, alors secrétaire général de la CGT, dénonçait en 1985 les lois Delebarre, qui prévoyaient de moduler le temps de travail par le biais d’accords de branche, comme « la porte ouverte à l’arbitraire » patronal. En 1998, Marc Blondel, à la tête de FO, s’opposait aux lois Aubry, qu’il considérait comme une « illusion pour les salariés ». Et, il y a encore peu de temps, à propos de l’accord national interprofessionnel de 2013 signé par la majorité des syndicats, la CGT dénonçait une « grave régression des droits sociaux ».

Mme Éliane Assassi. Elle avait raison !

Mme Myriam El Khomri, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, j’en appelle ici à l’approche pragmatique qui caractérise bien souvent les élus de cette assemblée.

Une fois dépassé le stade des déclarations, qu’en est-il réellement sur le terrain ? Que constate-t-on lorsqu’on observe de façon rigoureuse et dépassionnée les conséquences des réformes du travail engagées depuis 1982 ?

Abordons concrètement la question qui revient sans cesse dans nos débats : l’instauration de dérogations au principe de faveur à l’échelon de l’entreprise a-t-elle, oui ou non, conduit à un moins-disant social généralisé ? Eh bien non ! Les employeurs ne se sont pas rués sur les souplesses apportées pour réduire les protections dont bénéficient leurs salariés. Pour être tout à fait précise, j’indique que, dans la quinzaine de branches au sein desquelles les entreprises peuvent librement définir par accord le taux de majoration des heures supplémentaires, on n’a relevé que très peu d’accords d’entreprise signés prévoyant un taux de majoration inférieur à 25 %.

Oui, la négociation d’entreprise a pris un essor considérable et environ 35 000 accords sont désormais signés chaque année au niveau de l’entreprise, dans 85 % des cas avec le soutien de la CGT et de FO lorsque ces syndicats sont présents.

Non, cela ne s’est pas traduit par la multiplication des dérogations et une dégradation généralisée des conditions de travail des salariés.

Prenons un exemple concret : le 24 novembre 2014, un accord d’adaptation du temps de travail a été signé au sein de l’entreprise de 1 000 salariés Claas Tractor entre la direction, la CFDT, la CFE-CGC et la CGT.

Mme Éliane Assassi. Parlez-nous de Smart !

Mme Myriam El Khomri, ministre. Cet accord prévoit la possibilité de faire varier à la hausse ou à la baisse l’horaire de travail quotidien d’une heure au maximum en fonction de l’activité, la contrepartie étant une prime de fin d’année variant entre 90 % et 105 % du salaire de base mensuel, avec un minimum de 1 800 euros. Peut-on sérieusement parler de régression ? Moi, je ne connais que des accords signés ou non signés, et je fais confiance aux acteurs de terrain pour juger de ce qui leur est le plus favorable. N’oublions pas les accords signés chez PSA, Renault ou STX…

Mme Éliane Assassi. Parlez-nous de Smart !

Mme Myriam El Khomri, ministre. Voilà ce que la démocratie sociale peut produire dès lors qu’on donne véritablement les moyens aux acteurs du terrain de décider ! Voilà la voie que nous défendons.

Pourquoi la négociation d’entreprise fonctionne-t-elle ? Tout simplement parce que lorsque l’on quitte l’arène politique, lorsque l’on entre dans le dur d’une négociation, même si le rapport de force existe – il ne faut pas le nier –, la recherche d’une solution réaliste et acceptable par toutes les parties finit par l’emporter.

Bien entendu, cette place donnée aux accords d’entreprise ne change pas le fait que la loi continuera de déterminer des règles d’ordre public auxquelles aucun accord ne pourra déroger. Rappelons à toutes fins utiles que, dans les cas où il n’y aura pas d’accord majoritaire, c’est bien la loi qui continuera de déterminer les règles supplétives s’appliquant, à savoir le droit actuel. Où est le scandale ?

Bien entendu, la place donnée aux accords d’entreprise ne retire rien non plus aux prérogatives des branches.

Pour la première fois, le projet de loi définit dans le code du travail le rôle de la branche, qui est de déterminer des garanties communes aux salariés d’une même activité, d’un même métier ou d’un même secteur et de réguler la concurrence entre les entreprises de ce champ.

Le projet de loi institue des commissions permanentes de branche qui seront chargées de mener des négociations à échéance régulière.

La branche pourra conclure des accords sur la méthode de négociation dans les entreprises, accords qui s’imposeront à ces dernières si elles n’ont pas elles-mêmes conclu un accord à ce sujet.

Pour les TPE et PME, les branches pourront conclure des « accords types » qui seront directement applicables dans ces entreprises.

Lorsque nous souhaitons réduire le nombre de branches de 700 à 200 en trois ans, notre objectif est, bien sûr, non pas d’imposer une restructuration autoritaire, mais d’encourager des regroupements cohérents entre activités économiques proches pour donner beaucoup plus de force et de dynamisme à la négociation collective.

Oui, il peut exister un débat sur la place à accorder à la négociation d’entreprise, y compris dans ma propre famille politique.

Conformément aux orientations fixées par le Président de la République, nous avons fait du développement du dialogue social de proximité en France une priorité depuis le début du quinquennat.

C’est tout un cadre profondément renouvelé qui a été posé en collaboration avec les partenaires sociaux au fil des lois : loi du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi, loi du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale, loi du 18 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi. Le rôle du dialogue social a été revu, pour le rendre plus stratégique et moins formel.

Le présent projet de loi s’inscrit dans cette transformation en lui faisant franchir une étape décisive. Je souhaite d’ailleurs qu’il soit enrichi d’amendements faisant suite à l’avis sur le développement de la culture du dialogue social en France remis voilà quelques jours par le Conseil économique, social et environnemental.

Mme Nicole Bricq. Très bien !

Mme Myriam El Khomri, ministre. La question de la place que nous souhaitons accorder à la négociation d’entreprise soulève un débat de fond qui est loin d’être médiocre, même s’il est parfois pollué par quelques postures. Nous l’assumons d’autant plus que nous sommes persuadés qu’il n’a pas à être un combat fratricide.

Lorsque nous observons ce qu’il se passe sur le terrain, nous constatons que le dialogue social décentralisé renforce notre économie et les protections des salariés.

Regardons les choses en face : aujourd'hui, les contournements du droit du travail sont omniprésents, le travail détaché et le travail indépendant se répandent.

Il est bien sûr important que nous parvenions à développer des souplesses, mais nous devons le faire par la négociation. Lorsqu’on les interroge, 90 % des Français disent aspirer à un dialogue social de qualité à l’échelle de l’entreprise, parce qu’ils savent que les salariés, lorsqu’ils ont les moyens de faire entendre leur voix, sont les mieux placés pour décider de ce qui fait leur quotidien professionnel, à savoir l’organisation du travail.

Cette décentralisation du dialogue social, vous pouvez moins que quiconque en ignorer les vertus, vous, membres de la chambre haute, qui avez tant contribué à la décentralisation de notre République, en rapprochant les lieux de décision de nos concitoyens.

Alors, faisons de même dans nos entreprises. Créons les conditions d’une négociation collective loyale, équilibrée, génératrice de progrès social, que ce soit pour réduire les inégalités salariales, entre les personnes qualifiées et les personnes non qualifiées, entre les femmes et les hommes, pour offrir plus d’actions de formation, pour favoriser la bonne santé de l’entreprise, pour y protéger et y développer l’emploi.

Nous avons devant nous une occasion de donner un nouvel élan à une méthode qui fonctionne. Nous avons l’occasion de donner réellement aux salariés la place qui doit être la leur au sein de l’entreprise. Cette avancée démocratique, fondée sur la confiance et le respect des acteurs, sera un moteur de progrès économique et social partagé.

Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, le projet de loi, dans sa rédaction d’équilibre, est un texte de progrès fondant le socle de l’édifice qui permettra demain au monde du travail d’être plus dynamique, mais aussi plus solidaire. Cette réforme nécessaire, juste et équilibrée, il est encore temps que nous la fassions ensemble. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M François Fortassin applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)

M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous voilà enfin arrivés au véritable débat, celui qui n’a pu avoir lieu entre les partenaires sociaux, puisque ces derniers n’ont pas été saisis sur la base d’un document d’orientation, contrairement à ce que prévoit l’article L. 1 du code du travail, cher au président Larcher, ni à l’Assemblée nationale, où les discussions ont été interrompues dès l’examen de l’article 1er du projet de loi, du fait du recours au 49.3…

Madame la ministre, je vous ai écoutée attentivement nous faire la leçon sur ce qu’est le « bon » dialogue social : c’est bien d’en parler, mais c’est mieux de le mettre en pratique ! (M. Philippe Mouiller applaudit.) « Grand diseux, petit faiseux ! », comme on dit chez moi.

En tout cas, ici au Sénat, nous allons nous attacher, tout au long de l’examen des amendements, à exposer notre vision du dialogue social dans notre pays et les mesures qui nous semblent efficaces pour en finir avec cette fatalité bien française d’un chômage structurellement très élevé.

Madame la ministre, nous serons sûrement d’accord sur nos désaccords, mais cela ne doit pas empêcher de progresser ici et là, en retenant certaines propositions de la commission des affaires sociales du Sénat. Celle-ci, en examinant, à partir du 1er juin dernier, ce projet de loi, a souhaité faire entrer résolument notre code du travail de plain-pied dans le XXIe siècle. En cette année 2016, nous mesurons l’accélération des mutations et des transformations de l’économie et du travail, notamment sous l’incidence du numérique.

Retrouver l’ambition de l’avant-projet de loi transmis par le Gouvernement au Conseil d’État, tout en y imprimant la marque du Sénat : tel était le cap, l’objectif clair que mes collègues rapporteurs Jean-Marc Gabouty et Michel Forissier, à qui je rends hommage pour le travail accompli, et moi-même nous étions fixé.

Sur les 411 amendements déposés en commission, 201 ont été adoptés, en vue d’atteindre cinq objectifs : simplifier et sécuriser juridiquement les règles applicables aux entreprises ; renforcer leur compétitivité, ainsi que l’association des salariés aux résultats ; prendre en compte les spécificités des TPE et des PME, parents pauvres du projet de loi adopté en conseil des ministres ; relancer l’apprentissage et réaffirmer les missions de la médecine du travail.

À l’article 1er, nous avons précisé la feuille de route de la commission chargée de repenser le code du travail, en lui fixant notamment comme objectif la simplification des normes. C’était une intention affichée du Gouvernement, mais il ne lui avait pas été donné de traduction dans le projet de loi. Nous nous en sommes chargés, et je présume, madame la ministre, que vous allez « acheter » cette nouvelle rédaction ! Ainsi, chaque nouvelle disposition proposée par cette commission devra être compensée par l’abrogation d’une disposition devenue obsolète.

S’agissant de la durée du travail, la commission des affaires sociales du Sénat a souscrit à la philosophie générale de l’article 2, qui vise à faire de l’accord d’entreprise ou, à défaut, de branche le pivot de la négociation collective. En effet, cet article s’inscrit dans la lignée des réformes engagées à partir de 2004 par la précédente majorité. Vous marchez, madame la ministre, sur nos brisées : nous nous réjouissons de ce réveil, un peu tardif, certes, mais salutaire pour la France. Bienvenue au club ! Sur les travées de la majorité sénatoriale, nous sommes profondément attachés à la primauté de l’accord d’entreprise.

M. Jean-Pierre Caffet. C’est récent !

M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. Aujourd'hui, vous endossez cette logique : c’est formidable ! Tout au long du débat, vous allez donc pouvoir, par cohérence, nous suivre sur un certain nombre de sujets.

Mme Éliane Assassi. Heureusement que nous sommes là pour faire entendre une autre voix au Sénat !

M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. Sur proposition de nos collègues Catherine Deroche et Bruno Retailleau, nous avons ainsi prévu, en toute cohérence, qu’une durée de référence serait désormais fixée par accord collectif et se substituerait à la durée légale de 35 heures. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

Certains passeront à 37 heures, d’autres décideront de conserver les 35 heures, d’autres encore choisiront une autre durée. Bref, on sort du jardin à la française pour donner en pleine confiance aux partenaires sociaux, sur le terrain, la latitude de définir leurs propres équilibres.

Mme Nicole Bricq. Mais nous ne voulons pas d’un jardin à l’anglaise !

M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. Que vous l’assumiez ou non, madame la ministre, c’est la logique de l’article 2 que vous défendez ; nous aurons l’occasion de le démontrer.

M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. Vous avez la réforme honteuse, nous avons la réforme revendiquée ! Il faut dire les choses, vous ne le faites pas. Finalement, vous cherchez, comme on l’a vu au travers de votre discours, qui est en somme une reprise de celui que vous avez tenu lors du meeting de la semaine dernière, à vous refaire une santé sur le dos de la majorité sénatoriale. Je trouve que ce n’est pas de très bonne pratique. Ici, nous avons pour tradition de mener un travail approfondi sur les textes, article par article. Vous verrez que les équilibres que nous avons trouvés ont leur cohérence.

La commission a en outre réintroduit la possibilité de signer des conventions individuelles de forfait dans les PME en l’absence d’accord collectif, dans le respect, naturellement, de la santé et de la sécurité des salariés, et elle a prévu de permettre, dans ces entreprises, un aménagement du temps de travail, sur l’initiative de l’employeur, sur une période de seize semaines.

Ce sont là autant de mesures auxquelles je présume que vous vous rallierez, madame la ministre, puisque vous les aviez endossées en les soumettant au Conseil d’État. Quitte à y aller à la hussarde, faites-le pour promouvoir un texte ambitieux, et non pas rabougri ! (M. Roger Karoutchi rit.)

Sur proposition de notre collègue Élisabeth Lamure et de plusieurs membres de la délégation sénatoriale aux entreprises, la commission a doublé les seuils d’effectifs. Ainsi, sur nos territoires, nombre d’entreprises qui aujourd’hui se refusent à franchir les seuils, par crainte de se voir imposer de nombreuses obligations supplémentaires, créeront des postes, des emplois en CDI… Nous avons tous à l’esprit des cas concrets.

Par ailleurs, constatant que le projet de loi prévoyait qu’il fallait avoir accès à l’accord pour avoir accès à la réforme, nous avons ouvert des voies de passage pour les PME, en permettant aux employeurs de conclure des accords collectifs directement avec les représentants élus du personnel, quel que soit le sujet abordé.

Vous avez déposé un amendement visant à supprimer cette disposition : quelle drôle d’idée que de ne pas vouloir faire confiance aux représentants élus ! L’élection, c’est pourtant mieux qu’une nomination décidée de l’extérieur !

En l’absence de représentants élus du personnel, l’employeur pourra soumettre un projet d’accord aux salariés, qui statueront alors à une majorité des deux tiers, pour garantir un consentement large.

S’agissant de la validité des accords, si nous partageons l’objectif à moyen terme de retenir la règle d’engagement majoritaire, exprimée de façon positive, force est de constater que le risque de blocage du dialogue social est sérieux. Beaucoup d’auditions nous l’ont montré. Il serait pour le moins paradoxal d’ouvrir de nouveaux domaines dans le champ de la négociation d’entreprise et, dans le même temps, de freiner la conclusion d’accords en exigeant une majorité d’engagement difficilement accessible. C’est pourquoi nous avons conservé les règles actuelles de validité des accords collectifs, qui fixent un seuil de 30 % des suffrages exprimés, tout en prévoyant que, en cas d’opposition de la part de syndicats majoritaires dans l’entreprise, l’employeur ou les syndicats signataires auront la possibilité de demander aux salariés de trancher le différend par le biais d’une consultation. Pour signifier clairement qu’il n’y a pas de renoncement aux 50 %, mais un cheminement, nous prévoyons une clause de revoyure en 2018.

J’en viens aux nouveaux accords de préservation et de développement de l’emploi, qui pourraient enfin doter nos entreprises d’un outil d’adaptation interne comparable aux accords de compétitivité allemands.

Les accords de maintien de l’emploi avaient ouvert la voie, mais les verrous étaient si nombreux que seulement une douzaine d’entre eux ont été conclus depuis leur création.

Je constate avec satisfaction que l’article 11 présenté par le Gouvernement semble tenir compte des travaux du Sénat sur la loi Macron. Finalement, avec ce projet de loi « El Khomri-Macron 2 », nous progressons sur la voie de l’unification du régime des accords de préservation et de développement de l’emploi.

Nous avons parachevé cette logique sur un certain nombre de points, notamment la rémunération ou l’accompagnement du salarié qui refuserait de s’inscrire dans cette dynamique.

Enfin, nous avons inséré une « clause de retour à meilleure fortune », de sorte que l’accord devra d’emblée prévoir les modalités d’association des salariés aux résultats de l’entreprise, puisque ceux-ci auront été obtenus grâce à leurs efforts.

Sur ce sujet comme sur d’autres, faisons confiance aux partenaires sociaux dans l’entreprise, d’autant que ce nouveau type d’accord nécessitera la signature de syndicats représentant plus de la moitié des suffrages recueillis par des syndicats représentatifs lors des dernières élections professionnelles.

Enfin, nous affirmons clairement notre attachement à la notion de participation, promue en son temps par le général de Gaulle.

Mme Isabelle Debré. Très bien !

M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. Le Président de la République a fait aujourd'hui un pèlerinage à Colombey-les-Deux-Églises ; c’est fort bien, mais il serait mieux encore de mettre en œuvre la philosophie qui a sous-tendu l’action du général de Gaulle. (Mme Isabelle Debré applaudit.) Aussi espérons-nous que notre proposition d’exonérer de forfait social pendant trois ans les entreprises de moins de 50 salariés mettant en place pour la première fois un dispositif de participation ou d’intéressement et de ramener ce forfait de 20 % à 16 % pour toutes les autres entreprises recueillera l’approbation du Gouvernement.

C’est donc bien une logique d’équilibre, de liberté et d’équité qui sous-tend nos travaux, bien loin de la caricature que le Président de la République ou le Gouvernement a voulu en faire, sans parvenir à tromper quiconque. Madame la ministre, si, après avoir entendu vos propos, les manifestants ne renoncent pas à défiler demain, c’est à n’y plus rien comprendre… (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Éliane Assassi. Cela ne va pas être possible !

M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. Je suis impatient de voir combien de personnes seront dans la rue : ce sera un bon indicateur de la crédibilité de votre discours !

Mme Éliane Assassi. On vous le dira, on y sera !

M. Didier Guillaume. Avec votre texte, il y aura beaucoup plus de monde dans la rue !

M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. Pour notre part, nous réaffirmons que capital et travail doivent être non pas opposés, mais conjugués, qu’employeurs et employés doivent être non pas adversaires, mais partenaires. C’est notre acte de foi dans un dialogue social rénové qui, seul, permettra à la France d’en finir avec les maux qui rongent la cohésion sociale et minent le pacte social. Nous avons une ardente obligation d’agir vite et fort. Nous vous tendons la main en ce sens, madame la ministre ; si vous la saisissez, vous laisserez votre marque au ministère du travail. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur de nombreuses travées de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Gabouty, rapporteur. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)

M. Jean-Marc Gabouty, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, Jean-Baptiste Lemoyne, Michel Forissier et moi-même nous sommes efforcés d’adopter une approche essentiellement pragmatique pour l’examen de ce projet de loi.

En effet, il n’est pas utile d’introduire dans la loi de belles constructions intellectuelles ou juridiques si celles-ci ne doivent avoir aucune traduction effective et positive pour les entreprises et les salariés, comme cela a été malheureusement le cas pour les accords de maintien de l’emploi, dispositif qui, depuis sa création voilà trois ans, n’a trouvé qu’une dizaine de fois à s’appliquer concrètement.

Pour atteindre l’objectif d’une économie créatrice de richesses et d’emplois, l’efficacité commande de permettre aux entreprises de s’adapter à une concurrence mondialisée et d’être plus réactives, grâce à un environnement législatif et réglementaire plus simple et plus souple. Cette approche est très largement partagée au sein de l’ensemble de la majorité sénatoriale, qui aborde ce débat unie sur l’essentiel.

Ce souci de simplicité et de souplesse dans l’élaboration de la loi s’est notamment traduit, pour les articles qu’il me revient de rapporter, par la suppression ou la contraction d’un certain nombre de dispositifs d’un intérêt assez discutable, à l’exception notable de ceux qui concernent les personnes handicapées.

Ainsi, la commission a tout d’abord supprimé l’article 27 bis, qui ébauche une responsabilité sociale des plateformes électroniques de mise en relation à l’égard des travailleurs indépendants qui collaborent avec elles. Sur un sujet aussi important, et alors même que des contentieux ont été engagés par l’URSSAF, nous pensons qu’un tel article est prématuré et préempte les conclusions d’une réflexion de fond, que nous appelons de nos vœux, sur le statut de ces travailleurs.

La commission a, en outre, supprimé l’article 29 bis A, introduit par l'Assemblée nationale, qui instaure une instance de dialogue au sein du réseau de franchise, considérant qu’il n’a fait l’objet d’aucune concertation préalable et qu’il entre en contradiction frontale avec le principe même de la franchise, sachant qu’il n’y a aucun lien de subordination entre les salariés des franchisés et les franchiseurs.

S’agissant du licenciement économique, l’effort du Gouvernement visant à objectiver les causes le justifiant n’a guère convaincu, car il a débouché sur un dispositif peu sécurisant, aussi bien pour les salariés que pour les entreprises.

C’est pourquoi nous avons récrit l’article 30, pour poser le principe selon lequel les difficultés justifiant un licenciement économique doivent résulter de l’évolution concomitante de plusieurs indicateurs économiques et financiers.

Pour ne pas alourdir la loi et permettre une concertation avec les spécialistes et les employeurs, nous avons renvoyé à un décret en Conseil d’État le soin de définir ces indicateurs et de prévoir dans quelles conditions une baisse pourra être qualifiée de « significative », en tenant compte des spécificités des entreprises et de leur secteur d’activité.

Nous avons, en outre, défini dans la loi les situations évidentes dans lesquelles un licenciement économique sera présumé reposer sur une cause réelle et sérieuse : d’une part, en cas de baisse du chiffre d’affaires ou de l’encours des commandes d’au moins 30 % pendant un semestre par rapport à l’année précédente ; d’autre part, en cas de perte d’un marché représentant au moins 30 % de l’activité.

Si l’entreprise appartient à un groupe, l’appréciation des difficultés économiques, des mutations technologiques ou de la nécessité d’assurer la sauvegarde de sa compétitivité s’effectuera à l’échelon des entreprises du groupe exerçant dans le même secteur d’activité et implantées sur le territoire national.

Par surcroît, nous avons encadré les délais dans lesquels le juge devra statuer en cas de contestation du bien-fondé d’un plan de sauvegarde de l’emploi, en nous inspirant des règles prévues pour contester la décision de validation ou d’homologation d’un tel plan devant le juge administratif.

Nous avons enfin prévu que le juge ou l’une des parties pourra solliciter une expertise extérieure pour l’éclairer dans les litiges portant sur la réalité de la cause réelle et sérieuse d’un licenciement économique.

Ces précisions en termes de définitions et de procédure visent à réduire le nombre des contentieux.

La commission a, par ailleurs, réintroduit le plafonnement des indemnités octroyées par le juge en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, auquel le Gouvernement avait renoncé dans le projet de loi présenté à l’Assemblée nationale, tout en excluant bien entendu du champ de ce plafonnement certaines situations graves comme le harcèlement ou la discrimination.

Sur proposition de notre collègue Catherine Deroche, la commission a, en outre, supprimé le dispositif d’information préalable des salariés en cas de cession d’une entreprise, considérant qu’il était complexe, méconnaissait la vie des entreprises et pouvait nuire à la conclusion des transactions.

S’agissant de la réforme de la médecine du travail prévue à l’article 44, la commission regrette que le projet de loi tienne pour acquise la pénurie de médecins du travail, sans répondre au véritable problème que constitue le manque d’attractivité de cette profession. (M. François Marc s’exclame.)

Nous avons jugé nécessaire de réaffirmer le caractère universel de la médecine du travail pour les travailleurs. C’est pourquoi le texte adopté par la commission maintient le principe général de la visite d’embauche, sans remettre en cause la possibilité de recourir à une visite d’information et de prévention lorsque la nature du poste auquel le travailleur est affecté le permet ; nous reviendrons sur ce sujet au cours de nos débats.

En ce qui concerne les règles relatives à l’inaptitude, la commission a considéré que la plupart des propositions formulées par le Gouvernement dans son texte initial allaient dans le bon sens. C’est le cas notamment des dispositions qui clarifient les conditions dans lesquelles la rupture du contrat de travail est possible.

La commission a, enfin, jugé nécessaire de préserver la gouvernance actuelle des services inter-entreprises de santé au travail. Celle-ci repose sur des règles cohérentes au regard des missions et des responsabilités de chacune des instances concernées.

La commission a, par ailleurs, approuvé l’essentiel des dispositions visant à renforcer la lutte contre la fraude au détachement de travailleurs. Elle a toutefois constaté que, en la matière, les lois de 2014 et de 2015 ont presque épuisé la marge de manœuvre laissée aux États membres par le droit de l’Union européenne. Deux leviers peuvent encore être actionnés : d’une part, les moyens matériels et humains mis à la disposition des corps de contrôle doivent être renforcés ; d’autre part, une évolution de la législation européenne en matière de détachement doit être recherchée.

Complétant les mesures contenues dans le texte, la commission a souhaité associer plus encore les acheteurs publics à cet effort, en leur permettant de résilier les marchés conclus avec des entreprises dont l’activité a été suspendue par l’autorité administrative en raison d’une infraction aux règles du détachement de travailleurs. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Michel Forissier, rapporteur.

M. Michel Forissier, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, comme viennent de le souligner Jean-Baptiste Lemoyne et Jean-Marc Gabouty, la commission des affaires sociales s’est attachée à corriger les insuffisances du modèle social français. Celles-ci sont un frein à la compétitivité de nos entreprises, et tous les actifs ne disposent pas des outils et de l’accompagnement adéquats pour faire face aux ruptures de trajectoire professionnelle ou amorcer des évolutions de carrière.

Ce texte est présenté comme une nouvelle étape dans la sécurisation des parcours professionnels des salariés et des non-salariés. On a parfois tendance à l’oublier : il ne traite pas que de la négociation collective ; il crée également le compte personnel d’activité, le CPA.

Au cours de nos auditions, personne ne s’est prononcé contre le principe d’une sécurité sociale professionnelle et de droits sociaux transférables…

M. François Marc. Encore heureux !

M. Michel Forissier, rapporteur. … attachés à la personne, quel que soit son statut, et non à son emploi. Sur ce point, un consensus existe : le CPA pourrait façonner les contours d’un marché du travail plus fluide, dans lequel chacun accéderait plus facilement à la qualification et pourrait anticiper les évolutions des secteurs d’activité et des métiers.

Pourtant, les initiatives récentes en matière d’individualisation des droits sociaux n’ont pas produit de résultats satisfaisants. Le compte personnel de formation, le CPF, monte en charge plus lentement que prévu, et le mécanisme des listes des formations éligibles est profondément critiqué. C’est surtout le compte personnel de prévention de la pénibilité, le C3P, qui s’avère inapplicable, malgré des aménagements successifs, qui n’ont pas réussi à corriger des erreurs tenant à sa conception même.

À ces deux comptes rattachés au CPA est venu s’ajouter un compte d’engagement citoyen, apparu à l’improviste…

M. Didier Guillaume. Cela s’appelle le débat parlementaire !

M. Michel Forissier, rapporteur. … durant l’ultime étape d’élaboration du projet de loi. Il vise à valoriser un ensemble hétéroclite d’engagements, allant du service civique au tutorat d’un apprenti, en passant par la direction d’association, et ce jusqu’au décès de son titulaire.

Afin de ne pas reproduire les erreurs commises avec le C3P et de rendre ce compte personnel d’activité véritablement opérationnel au 1er janvier 2017, la commission des affaires sociales l’a recentré sur le CPF et le C3P et a limité son champ à la vie professionnelle. Elle a renvoyé la question des contreparties aux activités civiques, bénévoles ou associatives à un débat plus large, portant sur un texte dédié. Il s’agit là non pas d’un renoncement, mais d’une autre manière d’aborder ce problème. La commission a surtout cherché à simplifier, dans toute la mesure du possible, ce monstre de complexité que constitue le C3P.

Néanmoins, la sécurisation des parcours professionnels ne doit pas débuter à quarante ans. C’est dès la formation professionnelle initiale que sont posés les jalons d’une carrière préservée des à-coups de l’emploi précaire. Voilà pourquoi il m’a semblé nécessaire – je crois que c’est un sentiment très largement partagé ici – d’inscrire la relance de l’apprentissage au cœur de ce projet de loi, en s’inspirant de certains principes qui en ont assuré la réussite à l’étranger.

En février dernier, avec plusieurs membres de la délégation sénatoriale aux entreprises et sous la houlette de sa présidente, Élisabeth Lamure, nous avons déposé une proposition de loi, partant d’un constat très simple : il faut cesser de considérer l’apprentissage comme une formation d’excellence ou, au contraire, comme une voie de garage pour les jeunes en échec scolaire ; il faut l’appréhender tel qu’il est, à savoir une voie de formation initiale à part entière, une voie de réussite qu’il convient de développer.

Alors que le projet de loi, y compris après son examen par l’Assemblée nationale, était peu disert sur le sujet, la commission des affaires sociales du Sénat a inséré quinze articles sur l’apprentissage.

Le premier objectif est de développer un pilotage national de la politique d’apprentissage, avec des objectifs librement consentis par tous les acteurs et dans le respect des compétences de chacun d’eux, en particulier les régions. Un tel modèle a fait ses preuves en Allemagne, qui est pourtant un État fédéral avec des Länder forts.

Le deuxième objectif est de rapprocher l’éducation nationale du monde de l’entreprise et de mieux faire connaître l’apprentissage aux élèves au cours de leur orientation. Nul ne peut nier le constat d’une méconnaissance réciproque, voire d’une méfiance, entre ces deux acteurs, dont la coopération est pourtant essentielle pour le succès de l’apprentissage. Il faut combler le fossé qui existe encore entre eux, même si des progrès ont été récemment réalisés, ainsi que nous avons pu le constater au cours de nos auditions.

Le troisième objectif est de moderniser le cadre juridique de l’apprentissage, au bénéfice des apprentis et de leurs employeurs. Pour lutter contre les ruptures prématurées, qui dépassent 30 % dans certaines filières, nous avons rendu obligatoire la médiation préalable. Nous avons également imposé aux employeurs de former les maîtres d’apprentissage.

S’agissant des apprentis mineurs, nous avons corrigé plusieurs absurdités de la réglementation actuelle du travail qui font obstacle au bon déroulement de leur formation. Le travail de nuit, lorsqu’il est absolument nécessaire dans le métier préparé – celui de boulanger traditionnel, par exemple –, sera autorisé sous la supervision directe et constante du maître d’apprentissage. Il ne s’agit pas, bien entendu, de faire travailler l’apprenti tandis que le maître d’apprentissage se repose. La durée de travail quotidienne ou hebdomadaire maximale pourra être ponctuellement dépassée, dans la limite de deux heures par jour ou d’un total de cinq heures par semaine, pour s’adapter au rythme de l’entreprise, notamment sur les chantiers, que j’ai pratiqués durant toute ma vie professionnelle. Il s’agit là d’une mesure d’un tel bon sens qu’elle figurait dans votre avant-projet de loi, madame la ministre. Je reprends donc là une de vos idées.

M. Michel Forissier, rapporteur. La commission veut aussi faciliter l’accès à l’apprentissage pour les élèves présentant la maturité suffisante, notamment dans le cadre du dispositif d’initiation aux métiers en alternance, le DIMA, qui permet une découverte des formations professionnelles initiales en centre de formation d’apprentis, sous statut scolaire. Sur proposition du groupe Les Républicains, elle a autorisé l’entrée en apprentissage des titulaires du brevet s’ils atteignent l’âge de quinze ans au cours de l’année civile.

Elle a, par ailleurs, établi un cadre juridique sécurisé pour la mobilité internationale des apprentis, notamment à l’échelon européen.

Enfin, elle a consacré dans le code du travail, sur proposition de nos collègues Jean-Claude Carle et Gérard Collomb, les écoles de production, qui, par une pédagogie professionnelle atypique, assurent la formation et l’insertion de jeunes décrocheurs.

Le projet de loi avait été complété de dispositions à destination de la jeunesse, en particulier la généralisation de la Garantie jeunes. Nous avons supprimé non pas la Garantie jeunes, comme l’ont affirmé certains – notamment vous, madame la ministre, lors d’un meeting – dans un raccourci erroné, mais sa généralisation.

Mme Nicole Bricq. Cela revient au même ! Vous l’avez supprimé, assumez-le !

M. Michel Forissier, rapporteur. En effet, à ce jour, aucune évaluation de la mise en œuvre du dispositif, qui compte seulement 40 000 bénéficiaires, n’a été réalisée. L’expérimentation reste prévue jusqu’au 31 décembre 2017 et peut être étendue à la dizaine de départements où elle n’a pas encore été mise en place.

Pour ce dispositif, comme pour le CPA, ne cherchons pas à aller trop vite – il n’y a pas urgence électorale ! –, mais assurons-nous de sa simplicité et cherchons à garantir son effectivité, après analyse des résultats et, éventuellement, modification ou adaptation, avant de le graver dans le marbre de la loi.

Madame la ministre, mes chers collègues, nous voulons que les salariés et les entreprises puissent évoluer dans un contexte législatif et réglementaire adapté au XXIe siècle, équilibrant les droits et les devoirs, afin que notre pays connaisse la réussite économique qui, seule, permettra des avancées sociales ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)

M. le président. Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.

Exception d’irrecevabilité

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi relatif au travail, à la modernisation du dialogue social  et à la sécurisation des parcours professionnels
Question préalable

M. le président. Je suis saisi, par Mme Assassi, M. Watrin, Mmes Cohen, David et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, d'une motion n° 103.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l’article 44, alinéa 2, du règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi, considéré comme adopté par l’Assemblée nationale, en application de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution, après engagement de la procédure accélérée, visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actif-ve-s (n° 662, 2015-2016).

Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe.

La parole est à Mme Éliane Assassi, pour la motion.

Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, rarement débat sur un projet de loi aura commencé dans un tel climat de tension : un mouvement d’une longévité exceptionnelle – plus de trois mois –, d’une diversité et d’une force impressionnantes exprime le refus de ce texte par la très grande majorité de la population.

MM. Hollande et Valls et vous-même, madame la ministre, semblez surpris, incrédules, face à une contestation que vous ne comprenez pas et jugez illégitime, au point de critiquer le droit de manifester et l’exercice du droit de grève.

Cette incrédulité devant le rejet massif dont l’actuel pouvoir fait l’objet provient d’une profonde incompréhension de l’attachement de notre peuple à son modèle social, un attachement que ni M. Sarkozy ni l’actuel Président de la République ne sont parvenus à éradiquer.

Le code du travail, l’un des forts symboles d’une conception sociale de la République, a été constitué lutte après lutte, décennie après décennie depuis le début de la révolution industrielle. Oui, ne vous en déplaise, il est avant tout un outil de protection des salariés face à la domination patronale. Ne l’oublions pas, c’est la volonté de protéger la santé des travailleurs, enfants, jeunes et vieux, mourant en masse à la tâche qui a suscité les premières luttes, débouchant sur les premières lois sociales puis le code du travail, né en tant que tel au début du XXe siècle.

Oui, la particularité française, que la gauche tout entière a longtemps défendue, c’est la primauté de la loi pour définir le droit du travail. Loin de l’arbitraire du droit anglo-saxon en la matière, c’est la loi, expression du peuple souverain, qui a longtemps garanti les droits fondamentaux des salariés.

Ainsi, l’article 1er de la Constitution dispose que « la France est une république […] laïque, démocratique et sociale ». Son article 34 décline cette idée en ces termes : « La loi détermine les principes fondamentaux […] du droit du travail » et « du droit syndical ».

Cette République sociale, attaquée depuis le début de la crise économique sous la pression du marché et des exigences de Bruxelles, est symbolisée par ces mots du Préambule de la Constitution de 1946, issu du programme « Les jours heureux » du Conseil national de la Résistance : « Chacun a le devoir de travailler et le droit d’obtenir un emploi. Nul ne peut être lésé, dans son travail ou son emploi, en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances. » Le Préambule reconnaît ensuite le droit de grève, le droit à l’action syndicale, le droit à la retraite, le droit à la sécurité sociale et – j’y reviendrai – le droit au repos.

La gauche, celle qui croit en elle-même et se respecte, a toujours eu comme objectif de réaliser ces principes, de les mettre en action.

Madame la ministre, cette aspiration à la justice sociale est profondément ancrée dans l’esprit et dans le cœur de nos concitoyens ; elle ne pourra être éteinte par le passage en force que le Gouvernement tente aujourd’hui, avec la complicité maladroite ou gênée d’un patronat et d’une droite réduits au rôle de faire-valoir.

Ce passage en force est flagrant : de l’absence de réelles concertations, pourtant exigées par l’article L. 1 du code du travail, dont l’esprit, selon MM. les rapporteurs eux-mêmes, n’a pas été respecté, à la mise en œuvre honteuse du 49.3 à l’Assemblée nationale dès la discussion de l’article 1er du projet de loi, l’autoritarisme du pouvoir brutalise la population, les salariés ! (Mme Nicole Bricq s’exclame.)

Madame la ministre, on ne réforme pas en profondeur le code du travail sans majorité à l’Assemblée nationale ! Sur l’article 2 du projet de loi, relatif à l’inversion de la hiérarchie des normes, la seule majorité qui vous soutient, c’est celle du Sénat… Pouvez-vous en être fière ?

M. Roger Karoutchi. Mais oui ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Éliane Assassi. Messieurs les rapporteurs, permettez-moi de vous citer : « Nous constatons avec satisfaction que le projet de loi s’inscrit dans la continuité des réformes menées par les précédentes majorités. »

Bien sûr, la droite a besoin d’exister, d’autant que ses primaires approchent ; de sa part, la surenchère est donc de bonne guerre, ce qui explique l’ajout dans le projet de loi de propositions ultralibérales et ultraprovocatrices, comme le retour aux 39 heures. Cela étant, bien souvent, madame la ministre, la majorité sénatoriale se contente de revenir à votre texte d’origine, comme pour le plafonnement des indemnités de licenciement.

Que personne ne s’inquiète : nous saurons dénoncer les dispositions rétrogrades promues par les rapporteurs !

L’utilisation du 49.3 à l’Assemblée nationale et la discussion au Sénat non du texte du Gouvernement, mais de celui de la commission ont une lourde conséquence démocratique : le texte du Gouvernement, dans sa cohérence propre, ne sera jamais débattu, ni à l’Assemblée nationale ni au Sénat.

M. Roger Karoutchi. Ni même au sein du Gouvernement !

Mme Éliane Assassi. En réalité, l’attitude de la majorité sénatoriale de droite sert le Gouvernement. Est-ce voulu ou non ? On peut s’interroger sur ce point.

Quelle sera la véritable constitutionnalité d’une loi qui, en définitive, n’aura pu être débattue telle quelle par l’ensemble des parlementaires ?

Mme Catherine Procaccia. Comme la loi Macron !

Mme Éliane Assassi. La conjonction du recours au 49.3 à l’Assemblée nationale et de la réécriture du texte par le Sénat pose indéniablement problème.

Je concentrerai ma défense de la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité sur l’inversion de la hiérarchie des normes, colonne vertébrale du projet de loi.

Comme je l’ai rappelé, la Constitution fonde le droit du travail sur la loi. Le Conseil constitutionnel lui-même valide régulièrement ce principe en acceptant, par exception, le transfert de compétences aux accords d’entreprise. Je considère, avec mon groupe, que la généralisation de la primauté donnée à ces accords, susceptibles d’être défavorables aux salariés, rompt l’équilibre instauré par la Constitution et la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

La dénonciation d’un code du travail entravant la liberté d’entreprise est récurrente depuis plus de trente ans. La gauche tout entière a longtemps résisté à cette pression libérale, avec plus au moins d’ardeur.

Ainsi, en 2008, M. Vidalies défendait une motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité au projet de loi de M. Xavier Bertrand instaurant la primauté des accords d’entreprise pour la gestion des heures supplémentaires. Écoutez bien, mes chers collègues, ce que disait alors l’actuel secrétaire d’État chargé des transports :

« Vous avez fait le choix, monsieur le ministre, d’une déréglementation sans précédent des conditions de travail et de la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs. […] Ceux qui, pendant la campagne présidentielle, n’hésitaient pas à invoquer Blum ou Jaurès se présentent aujourd’hui comme des vieux adeptes d’Adam Smith. […] La droite française est encore dans les vieilles lunes libérales de la déréglementation et de l’individualisation des relations sociales. »

Et M. Vidalies de hausser le ton :

« Outre la déréglementation à tout-va, le fil rouge de votre réforme est la priorité donnée à l’accord d’entreprise. […] Or vous êtes parfaitement conscient de la conséquence immédiate de ce bouleversement, à savoir l’émiettement, l’atomisation des règles d’organisation du temps du travail. »

Et M. Vidalies de poursuivre :

« Que pourront faire les salariés d’une entreprise soumis au chantage d’un alignement par le bas sur un accord accepté dans une entreprise voisine ? Il n’y aura alors guère de négociation possible, puisque c’est leur emploi qui sera en cause. »

Et M. Vidalies de conclure en ces termes, qui pourraient aussi bien s’appliquer à votre projet de loi, madame la ministre :

« Avec votre projet, le dumping social sera au rendez-vous et la négociation collective s’effectuera toujours sous la contrainte des accords socialement les plus défavorables. On peut facilement imaginer comment vont se dérouler de telles négociations. »

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Bravo, monsieur Vidalies ! (M. Roger Karoutchi rit.)

Mme Éliane Assassi. Ce discours de M. Vidalies, qui m’a moi-même étonnée, tant il étale au grand jour le renoncement d’un membre du Gouvernement qui vitupère chaque jour contre les grévistes,…

Mme Nicole Bricq. Heureusement qu’il était là pour la SNCF !

Mme Éliane Assassi. … pourrait prêter à sourire s’il n’était pas symbolique de la raison profonde de votre échec, madame la ministre, et de celui de MM. Hollande et Valls.

Notre peuple n’en peut plus de ces gens qui se font élire et oublient le lendemain leurs promesses et leurs discours.

M. Philippe Dallier. Et voilà !

Mme Éliane Assassi. M. Hollande n’a pas été élu pour renverser la hiérarchie des normes et donner les clés du droit de travail au MEDEF ! En 2008, il avait signé, ainsi que M. Valls, la saisine du Conseil constitutionnel consécutive à l’intervention de M. Vidalies…

À propos de l’inversion de la hiérarchie des normes en matière de repos compensateur, voici ce que faisaient valoir les auteurs de cette saisine : « L’atomisation des règles du droit du travail qui en résulte tourne le dos à la conception sociale de notre République. La fragmentation des règles protectrices du droit du travail tourne le dos à l’ordre public social. » Que de chemin parcouru en quelques années…

Madame la ministre, l’article 2 de votre projet de loi, retouché par la droite ou non, est profondément anticonstitutionnel, comme vos amis le démontraient en 2008, en ce qu’il brise la hiérarchie des normes fondée par les principes républicains les plus forts. La jurisprudence du Conseil constitutionnel établie en 2004 et en 2008 est claire : tout renvoi non encadré à un accord d’entreprise de dispositions relevant de la Constitution, comme le droit au repos, doit être censuré.

Malgré vos précautions, votre projet de loi est truffé de mesures de ce type. Je pense par exemple à la possibilité de fixer par accord d’entreprise les jours fériés chômés en dehors du 1er Mai : cette disposition offense brutalement, frontalement le principe constitutionnel du droit au repos.

Nous ne pourrons saisir seuls le Conseil constitutionnel, mais peut-être ceux qui l’ont fait en 2008, et qui sont encore nombreux dans notre assemblée, se ressaisiront-ils et nous rejoindront… (M. Roger Karoutchi sourit.)

Oui, la Constitution est profondément bafouée ; mais, au-delà, c’est à la République sociale que l’on porte atteinte, celle des canuts et de la Commune, de 1936 et du Conseil national de la Résistance, des accords de Grenelle de 1968 et des avancées de 1981.

Mme Nicole Bricq. Ce n’est pas vrai !

Mme Éliane Assassi. C’est cette histoire que vous foulez aux pieds, madame la ministre, en entonnant la vieille rengaine patronale de la compétitivité, de la rentabilité et du nécessaire profit !

Du reste, le peuple l’a bien compris, comme il l’avait compris en 2005 en découvrant la réalité du traité constitutionnel européen, malgré une campagne travestissant en vecteur de progrès social un texte porteur d’une terrible régression sociale.

Madame la ministre, le peuple refuse votre projet de loi, et il le criera encore très fortement, demain, dans les rues de la capitale : vous devez le retirer !

Pour l’heure, après la gifle infligée au Parlement avec le recours au 49.3, le Sénat s’honorerait en rappelant le Gouvernement à ses obligations constitutionnelles et au devoir de respecter l’histoire sociale de notre pays. Pour cela, mes chers collègues, je vous invite à opposer l’exception d’irrecevabilité au présent projet de loi ! (Vifs applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas, contre la motion.

M. Vincent Capo-Canellas. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, le groupe CRC, au travers de cette motion, nous invite à nous interroger sur la recevabilité du projet de loi.

Il y aurait un paradoxe à ce que le Gouvernement, après avoir fait si longtemps travailler M. Combrexelle, s’être entouré des avis du Conseil d’État et avoir mené de nombreuses consultations, n’ait pas respecté les règles minimales de recevabilité d’un texte aussi sensible. Reste que, le Gouvernement étant parfois bien plus que maladroit, la question vaut sans doute d’être posée… Après tout, dans la situation si singulière où nous nous trouvons aujourd’hui, le Gouvernement n’en est plus à un paradoxe près ! J’incline donc plutôt à remercier nos collègues communistes d’avoir suscité ce débat.

Cela étant, je me dois de rappeler que l’adoption de cette motion, à laquelle je m’oppose, priverait le Sénat d’un débat utile et de toute possibilité d’expression. Elle priverait aussi nos collègues du groupe CRC d’une tribune… Surtout, elle nous priverait d’un examen complet du projet de loi en séance publique, après que celui-ci a déjà été empêché à l’Assemblée nationale par le recours au forceps du 49.3. Mes chers collègues, je vous invite au contraire à faire vivre la démocratie parlementaire, le bicamérisme et la tradition d’écoute et de débat éclairé qui caractérise notre assemblée !

Mme Éliane Assassi. C’est quand ça vous arrange !

M. Vincent Capo-Canellas. Faire vivre le débat, c’est imposer au Gouvernement une discussion qui n’a pas eu lieu à la chambre des députés ; c’est aussi, au passage, lui imposer un débat qu’il n’a pas su faire vivre dans le pays, du fait d’une absence de pédagogie et de méthode dont nous voyons maintenant les conséquences dans la rue.

Les auteurs de la motion avancent deux séries d’arguments pour contester la recevabilité du projet de loi : celui-ci serait contraire au Préambule de la Constitution de 1946 et contraire aux règles du dialogue social, qui sont certes de valeur législative et que, ici au Sénat, nous respectons tout particulièrement, ce qui est bien légitime.

Le projet de loi, donc, est-il contraire aux principes fixés par le Préambule de la Constitution de 1946 en matière de droit du travail ? Le Préambule dispose que « chacun a le devoir de travailler et le droit d’obtenir un emploi. Nul ne peut être lésé, dans son travail ou son emploi, en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances. »

Le projet de loi ne contrevient pas à ces principes ; il donne aux employeurs et aux salariés, dans le respect de ces derniers, notamment s’agissant des discriminations, des outils de discussion, de négociation pour assurer la pérennité de leur activité et de l’emploi. Je dirais même plus : dans sa version sénatoriale, le texte vise à créer plus d’emplois en donnant plus de souplesse aux entreprises.

Mme Éliane Assassi. Les choses ne marchent pas ainsi !

M. Vincent Capo-Canellas. Le Préambule proclame le droit au travail. Nous devons justement, pour respecter ce principe, nous interroger sur l’évolution d’un droit qui paraît aujourd’hui protecteur, mais qui n’empêche pas que plus de 5 millions de personnes soient prisonnières du chômage…

Je ne reviens pas sur la thèse selon laquelle des insiders bénéficient de droits protecteurs au détriment d’outsiders qui, eux, ont du mal à entrer sur le marché du travail, car je sens bien que les auteurs de la motion y verraient un chiffon rouge…

Nous devons, en tout cas, nous préoccuper plus encore de ceux qui sont au chômage et comprendre que, à l’heure de la mondialisation et du défi du numérique, nous devons faire évoluer nos règles, sans quoi nous risquons de passer à côté d’un bouleversement et de décrocher par rapport aux autres pays, qui, eux, s’adaptent. Protéger le travail, c’est, aujourd’hui, prendre en compte cette évolution.

Le Préambule de la Constitution de 1946 dispose aussi que « tout homme peut défendre ses droits et ses intérêts par l’action syndicale et adhérer au syndicat de son choix. Le droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui le réglementent. Tout travailleur participe, par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises. »

En quoi le projet de loi serait-il contraire à ces dispositions ? Il a bien pour objectif un renforcement de la négociation collective. L’inversion de la hiérarchie des normes, qui n’est qu’une possibilité offerte de négocier directement, et non une obligation, participe de cet objectif. Quant à l’exercice du droit de grève, il est effectif en ce moment, comme chacun peut le constater ; il n’est ni envisagé, ni possible, ni souhaitable d’y revenir. Les blocages, les invectives et, parfois, les violences mériteraient peut-être de faire l’objet d’une réflexion, mais il ne me semble pas que le projet de loi en traite.

Ces quelques considérations me conduisent à conclure non seulement que le projet de loi n’est pas contraire au Préambule de la Constitution de 1946, mais également qu’un texte est nécessaire pour prendre en compte la situation nouvelle de l’économie mondiale, d’autant que nos grands voisins nous ont devancés.

Pour développer l’emploi, il faut savoir faire évoluer notre droit du travail. Encore faut-il, pour cela, se poser la question du cadre de cette évolution.

La question de la loi qui porte votre nom, monsieur le président, est plus substantielle. Qu’en est-il, en effet, du respect de l’article L. 1 du code du travail ?

On peut opportunément s’interroger sur le respect par le Gouvernement de l’obligation de concertation. Le Conseil d’État, dans son avis sur le projet de loi, a estimé que les dispositions de l’article L. 1 du code du travail avaient été respectées « dans les circonstances propres aux conditions d’élaboration du projet ».

M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. C’est jésuite !

M. Vincent Capo-Canellas. J’imagine que les exégètes du droit s’interrogeront abondamment sur cette formulation…

Sans doute le Conseil d’État faisait-il référence au fait qu’une partie des mesures du projet de loi avaient fait ou faisaient déjà l’objet de négociations, et que les syndicats avaient décliné la négociation à la suite de la publication du rapport Combrexelle, d’où provient l’immense majorité des dispositions du projet de loi.

Madame Assassi, vous vous interrogez sur la solidité de la démonstration du Conseil d’État ; toujours est-il que sa conclusion nous conduit à avancer. Je n’en conviens pas moins avec les auteurs de la motion qu’elle peut paraître un peu courte, et que l’esprit de l’article L. 1 du code du travail paraît avoir été pour le moins contourné. En somme, s’il n’y a rien à objecter en droit, selon le Conseil d’État, on peut néanmoins sans doute s’interroger d’un point de vue politique.

Autant dire que le Gouvernement a raté sa pédagogie : sa démarche est, à ce stade, juridiquement valide, du moins à en croire le Conseil d’État, mais, politiquement, il est, je crois, passé à côté de la nécessaire concertation.

Une loi, quelque éminents qu’en soient les auteurs, n’a pas automatiquement valeur constitutionnelle ; aussi la loi qui porte votre nom, monsieur le président, ne figure-t-elle pas encore, hélas, parmi les principes généraux du droit… Nous verrons, le moment venu, si le Conseil constitutionnel valide cette analyse.

Je dois dire, madame la ministre, que la majorité sénatoriale n’aurait sans doute pas osé s’affranchir ainsi de la loi Larcher (Sourires.), pour de nombreuses bonnes raisons, mais notamment par respect du dialogue social : là est tout le paradoxe !

Si vous brisez parfois utilement des tabous dans le domaine économique et social, c’est sans véritable raison, à mon avis, que vous avez choisi de briser celui de la concertation et du dialogue social. (M. le président de la commission des affaires sociales opine.) Vous avez osé ce que nous, ici, nous n’aurions pas fait.

Quand j’entends le Gouvernement affirmer par avance que nous serions moins progressistes que lui, je réponds que nous sommes respectueux du dialogue social et soucieux de faire vivre la démocratie sociale, ce qui permet de poser les vrais enjeux et parfois d’aller plus loin, car être progressiste aujourd’hui, c’est faire le choix de l’emploi, de l’adaptation et de la compétitivité, qui vont de pair.

Cette démarche si désordonnée, si tardive du Gouvernement a été préjudiciable au déploiement d’un minimum de pédagogie. En réalité, vous hésitez, depuis la loi Macron, devant la nécessaire conversion au libéralisme et au réalisme.

Vous avez la conversion douloureuse, lente et souvent inefficace. Or la réalité n’attend pas. Nous ne sommes pas condamnés à l’immobilisme, et l’on peut faire des compromis sociaux ambitieux. Encore faut-il poser, et bien poser, les vrais enjeux.

Cette motion vise au retrait du texte, du moins au refus de son examen. Il faut au contraire avoir ce débat. La société française ne peut plus jouer la politique de l’autruche, même si l’on peut s’interroger sur la méthode et le moment. Le moment – la fin du quinquennat – est curieusement choisi. Le calendrier, eu égard à la tenue de l’Euro de football, est lui aussi singulier.

Madame la ministre, vous voudriez accréditer l’idée que la France n’est pas réformable au-delà de votre propre texte, que l’on ne peut pas aller plus loin ; vous montrez surtout qu’elle n’est pas gouvernable de cette façon.

On a assisté, la semaine dernière, à une scène curieuse : un gouvernement qui tient meeting pour dénoncer son opposition. Habituellement, le mouvement social et politique réagit par rapport à ce que propose ou met en œuvre le Gouvernement. En l’occurrence, vous êtes tellement en difficulté que vous tentez de faire diversion.

M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. C’est vrai !

M. Vincent Capo-Canellas. Le monde a changé ; il se caractérise par l’interdépendance, l’ouverture. À qui ferez-vous croire, madame la ministre, que la caricature de débat gauche-droite à laquelle vous vous êtes livrée en ouvrant la discussion générale répond aux attentes des demandeurs d’emploi ? (M. Roger Karoutchi applaudit.)

Mme Catherine Procaccia. Oui, c’est une caricature !

M. Vincent Capo-Canellas. Une autre réforme du droit du travail est possible. L’engagement d’une vraie réforme n’est pas condamné par votre maladresse. Nous voulons offrir des droits réels, déverrouiller la société française, qui est inégalitaire au regard du chômage et du manque d’accès à l’emploi.

Ouvrons ce débat ici au Sénat en repoussant la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité qui nous est présentée. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)

M. le président. J’informe le Sénat que je suis saisi par le groupe CRC d’une demande de scrutin public sur cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.

La parole est à M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur.

M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. Les auteurs de la motion se fondent sur le Préambule de la Constitution de 1946 et le respect des règles législatives du dialogue social.

Relisons le cinquième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 : « Chacun a le devoir de travailler et le droit d’obtenir un emploi ». La majorité sénatoriale a précisément à cœur de faire en sorte que ce droit d’obtenir un emploi ne soit pas un droit formel, mais bien un droit réel. Dans ce cadre, il y a urgence à débattre, à prendre un certain nombre de mesures contenues dans le texte de la commission. Je pense donc que nous sommes fidèles à l’esprit du Préambule de la Constitution de 1946 en levant un certain nombre de freins, en vue de permettre à des personnes en CDD, en intérim, de trouver plus facilement un emploi en CDI, par exemple.

En ce qui concerne le respect des règles législatives du dialogue social, il est vrai que nous faisons un peu le même constat que les auteurs de la motion. Il rejoint ce que nous ont dit nombre de représentants des partenaires sociaux que nous avons auditionnés : « Nous n’avons été convoqués à aucun moment, sur la base de l’article L. 1 du code du travail, pour travailler à un accord national interprofessionnel » ; « On a été concertés à trois reprises. Une fois on nous a montré le texte dans son intégralité, mais on nous l’a repris »… Bref, la méthode suivie n’a pas été exemplaire de ce point de vue. Néanmoins, cela ne doit pas nous empêcher de débattre maintenant du projet de loi.

La commission a émis un avis défavorable sur cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Myriam El Khomri, ministre. Le Gouvernement est évidemment défavorable à cette motion.

À propos de l’article L. 1, je rappelle que j’ai adressé le rapport Combrexelle aux partenaires sociaux, en leur demandant s’ils souhaitaient l’ouverture d’une négociation. Ils ont refusé. Dès lors, nous avons procédé à des concertations bilatérales. Je tiens à votre disposition la liste des rendez-vous que j’ai eus avec certaines organisations syndicales et patronales. L’une d’elles, la CGT, a refusé de me rencontrer.

Par ailleurs, sur le compte personnel d’activité, l’ouverture d’une négociation a été acceptée et nous sommes parvenus à une position commune. Il y a eu application intégrale du dispositif de l’article L. 1 du code du travail.

Seul l’article relatif aux licenciements économiques, parce que l’arbitrage a été tardif, ne faisait pas l’objet des concertations. C’est la raison pour laquelle nous avons prévu quinze jours supplémentaires pour rouvrir les concertations avec l’ensemble des organisations syndicales et patronales.

Mme Éliane Assassi. Ce n’est pas de la concertation !

Mme Myriam El Khomri, ministre. J’observe que la commission a repris certaines dispositions de l’avant-projet de loi. Comme nous respectons le dialogue social, le projet de loi est le fruit d’un compromis avec les organisations syndicales qui le soutiennent. Je respecte ce compromis jusqu’au bout. (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq, pour explication de vote.

Mme Nicole Bricq. Nous voterons bien évidemment contre cette motion.

D’abord, je voudrais dire au groupe CRC que nous n’acceptons pas le procès en trahison de la gauche qu’il nous fait.

Mme Éliane Assassi. Ce n’est pas un procès, ce sont des faits !

Mme Nicole Bricq. Nous n’en serons donc pas les victimes consentantes.

M. Alain Joyandet. C’est un procès légitime !

Mme Nicole Bricq. Vous voyez, vous trouvez des alliés sur les travées de la droite… (Protestations sur les travées du groupe CRC.)

Nous sommes des parlementaires, et ne pas débattre de ce projet de loi constituerait un déni de nos responsabilités. Ce texte est devenu un élément du débat public, grâce aux organisations syndicales du reste : il serait tout de même paradoxal que l’on en parle partout, sauf au Sénat !

Mme Éliane Assassi. Cela ne vous a pas gênés que l’on n’en parle pas à l’Assemblée nationale !

Mme Nicole Bricq. Nous voulons débattre de ce projet de loi jusqu’au bout : c’est notre fonction de parlementaires. C’est un exercice démocratique, or nous voulons justement que démocratie politique et démocratie sociale marchent l’amble.

M. Roger Karoutchi. Alors pas de 49.3 à l’Assemblée nationale en deuxième lecture !

Mme Nicole Bricq. Enfin, la raison fondamentale de notre opposition à cette motion tient au fait que combattre le chômage sans parler du travail serait une faute historique. Tout l’honneur du Gouvernement et des parlementaires qui le soutiennent, c’est de s’attaquer à ce sujet, comme nous l’avons fait au cours de ces trente-cinq dernières années chaque fois que nous avons été aux responsabilités.

Alors que le monde connaît une mutation formidable, qui s’accompagne de bien des excès, il faut renforcer les protections des travailleurs, car nous savons bien que les outils actuels sont insuffisants pour les préparer aux conséquences de cette mutation.

Nous voulons donc, par conviction, aller jusqu’au bout de l’examen de ce texte. C’est pourquoi nous voterons contre cette motion. (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. Dominique Watrin, pour explication de vote.

M. Dominique Watrin. Ne vous en déplaise, madame la ministre, le constat de l’absence criante de dialogue social est assez largement partagé sur nos travées. Vouloir défendre la constitutionnalité de ce texte relève d’une forme d’acharnement. Dans le peu de temps qui m’est imparti, je me contenterai de rappeler que si le principe de faveur en lui-même n’a pas de valeur constitutionnelle intrinsèque, il est reconnu par le Conseil constitutionnel comme un principe général du droit, ce qui donne compétence au législateur dans le domaine concerné, conformément à l’article 34 de la Constitution. Or cette compétence est mise à mal par votre texte.

Ce qui est choquant dans la logique suivie par le Gouvernement et l’hypothétique majorité qui soutient ce projet de loi, c’est l’inversion du raisonnement : la « gestion des affaires », comme on dit, justifie l’abandon de principes juridiques historiques qui ont démontré leur efficacité.

M. Sirugue, rapporteur du texte à l’Assemblée nationale et preux défenseur de celui-ci, disait en 2008, en présentant une motion tendant à opposer la question préalable au projet de loi de M. Xavier Bertrand prévoyant l’inversion de la hiérarchie des normes en matière d’heures supplémentaires : « Cette seconde partie du texte est funeste pour le droit du travail. […] Votre texte ne va pas servir le cercle vertueux de la concurrence qui passe par la productivité, des efforts de productivité ou la place faite à l’innovation. Il va au contraire enclencher le cercle vicieux du dumping social entre des entreprises appartenant à la même branche professionnelle. »

« Entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c’est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit. » Mme la ministre, ce n’est pas moi qui le dis, mais le rapporteur de votre texte à l’Assemblée nationale, citant Lacordaire.

Comment ne pas sourire quand M. Lemoyne affirme que, « en 2008, la gauche a violemment rejeté la loi sur la démocratie sociale et, aujourd’hui, le Gouvernement vient sur nos lignes » ou que « l’article 2 est notre ADN » ?

Le groupe CRC refuse cette Sainte-Alliance pour la défense du libéralisme et appelle les parlementaires issus de la gauche à voter cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...

Je mets aux voix la motion n° 103, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.

Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.

J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe CRC.

Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 243 :

Nombre de votants 345
Nombre de suffrages exprimés 334
Pour l’adoption 22
Contre 312

Le Sénat n'a pas adopté.

Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.

Question préalable

Exception d'irrecevabilité
Dossier législatif : projet de loi relatif au travail, à la modernisation du dialogue social  et à la sécurisation des parcours professionnels
Discussion générale (début)

M. le président. Je suis saisi, par MM. P. Laurent et Watrin, Mmes Cohen, David, Assassi et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, d'une motion n° 102.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi, considéré comme adopté par l’Assemblée nationale, en application de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution, après engagement de la procédure accélérée, visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actif-ve-s (n° 662, 2015-2016).

Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe.

La parole est à M. Pierre Laurent, pour la motion.

M. Pierre Laurent. Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, cette motion tendant à opposer la question préalable est une chance pour notre assemblée. Le Sénat a en effet le pouvoir de dénouer la crise dans laquelle le projet de loi a plongé le pays. En vous invitant à adopter cette motion, nous vous proposons d’effectuer le geste qu’attend le pays : mettons un terme à la discussion d’un projet de loi dont la grande majorité de nos concitoyens ne veut pas.

Depuis quatre mois, sans avoir tiré aucune leçon du fait que la méthode mise en œuvre pour le projet de révision constitutionnelle relatif à la déchéance de nationalité vous avez déjà conduits à une impasse, vous vous acharnez une nouvelle fois à imposer un texte sans convaincre, sans discuter, sans négocier. Et, depuis quatre mois, force est de constater que c’est un fiasco !

Sortir de l’impasse, envoyer un signal d’apaisement, reprendre la discussion avec les organisations syndicales sur de nouvelles bases, notamment pour tendre vers une véritable sécurisation de l’emploi : voilà ce que nous vous proposons au travers de notre refus de poursuivre la discussion d’un texte dont la philosophie est à revoir de fond en comble.

À l’inverse, poursuivre le débat sur ce texte, ce serait à coup sûr continuer à jeter de l’huile sur le feu, prendre le chemin de la surenchère, avec la décision de la droite sénatoriale de durcir le texte, alors que c’est la négociation avec les organisations syndicales qui devrait être recherchée. En débattant de ce projet de loi, le Sénat ignorerait donc cette urgence.

De plus, nous le savons tous, ce serait ouvrir la voie à un nouveau passage en force à l’Assemblée nationale, à un nouveau recours au 49.3, car vous n’y aurez pas plus de majorité en deuxième lecture qu’en première lecture.

M. Pierre Laurent. Adopter notre motion tendant à opposer la question préalable, ce sera au contraire choisir la voie de la raison, du dialogue, du retour à la négociation.

Oui, depuis quatre mois, votre acharnement à promouvoir ce texte est un fiasco, sur le fond comme sur la forme.

En quatre mois, malgré la monopolisation des ondes par les soutiens de la loi, la mobilisation de toute la batterie d’experts en libéralisme dont nos chaînes de radio et de télévision ont le secret, vous n’avez réussi à convaincre ni la jeunesse, ni les salariés, ni les artisans, ni les petites entreprises, qui craignent tous la spirale du dumping social qu’entraînera cette déréglementation sociale.

Cette loi ne créera pas d’emplois ; elle précarisera toujours plus les salariés et le tissu des petites entreprises. Elle va donc fragiliser les ressorts économiques du pays. Jamais, en quatre mois, vous n’avez pu convaincre du contraire : le fait est que le rejet de ce projet de loi reste majoritaire dans l’opinion.

Demain, des manifestations monstres se dérouleront dans le pays. Elles réduiront à néant la thèse d’une contestation minoritaire que vous avez en vain tenté d’accréditer.

C’est un fiasco pour le dialogue social : quel paysage de désolation ! Vous n’avez cherché qu’à diviser et à stigmatiser le mouvement syndical. La CGT, FO, Solidaires, la FSU, l’UNEF et, depuis ces derniers jours, la CGC s’opposent à ce projet de loi, mais vous n’avez jamais vraiment essayé de négocier avec eux. Vous avez préféré les salir, les caricaturer et assimiler à de la violence l’action légitime de ces femmes et de ces hommes qui vivent difficilement de maigres salaires. (Mme Nicole Bricq proteste.)

Mme Éliane Assassi. Tous les jours, vous les insultez !

M. Pierre Laurent. Je pourrais aligner les citations par dizaines. Elles proviennent de la droite, ce qui n’étonnera personne, mais aussi, malheureusement, du camp gouvernemental.

Vous avez préféré le passage en force, par le recours au 49.3, à l’amendement du texte par des députés socialistes, communistes et écologistes. Vous avez ouvert la voie à un déferlement de propos inacceptables : ceux du patron du MEDEF, assimilant l’action de la CGT à du terrorisme ; ceux d’un célèbre éditorialiste, Franz-Olivier Giesbert, comparant la CGT à Daech.

Mme Nicole Bricq. Il n’est pas socialiste, celui-là !

M. Pierre Laurent. Le même écrit, cette semaine : « Je persiste et signe, n’en déplaise aux sites tenus par la police de la bien-pensance (Mediapart, l’Express, Le Huffington Post, etc.) ou aux twittos, avatars des chiens de Pavlov dont les clabaudages rappellent ceux de la populace robespierriste. »

Voilà ce que des éditorialistes osent écrire, ces jours-ci, à propos du monde syndical ! Où est la violence ? Ce sont les auteurs de tels propos qui devraient être déférés devant les tribunaux, et non, par exemple, cette jeune Manon, étudiante d’Amiens, jugée et menacée de prison pour avoir lancé un micro sur un CRS dans une manifestation contre le projet de loi Travail, le 28 avril dernier.

M. Pierre Laurent. Oui, le dialogue social sort gravement abîmé des événements de ces quatre derniers mois !

Enfin, c’est un fiasco politique. Vos électeurs se sentent trahis, à juste titre, tandis que la droite, qui rêve d’enfoncer le clou plus profondément encore, se régale.

M. Pierre Laurent. Le Premier ministre a déclaré cette semaine qu’il en avait assez des « procès en trahison de la gauche ». Éliane Assassi a cité les propos tenus par Alain Vidalies en 2008 ; pour ma part, je vous donnerai lecture, mes chers collègues, du texte de la motion majoritaire adoptée lors du congrès du parti socialiste de juin 2015,…

Mme Nicole Bricq. Moi, je ne l’ai pas votée !

M. Philippe Dallier. On saura tout !

M. Pierre Laurent. … dont Manuel Valls et de nombreux ministres étaient signataires :

« La démocratie sociale que nous devons construire doit s’appuyer sur un syndicalisme fort et respecté, constructif sur l’innovation, intransigeant sur les régressions sociales. Et puis, il faut rétablir la hiérarchie des normes : la loi est plus forte que l’accord collectif et lui-même s’impose au contrat de travail.

Mme Éliane Assassi. Et voilà !

M. Pierre Laurent. « Si la loi peut permettre à des accords de déroger à ces dispositions, elle ne peut le prévoir dans des domaines relevant de l’ordre public social : salaire minimum, durée légale du travail, droit du licenciement, existence de la représentation du personnel. » (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – Mme Marie-Noëlle Lienemann et M. Jean Desessard applaudissent également.)

M. Jean-Pierre Caffet. On ne change rien !

M. Pierre Laurent. Force est de constater, madame la ministre, que, à peine six mois plus tard, votre projet de loi tend à prévoir exactement l’inverse en matière de hiérarchie des normes et de régressions sociales. Il n’y a donc pas de procès en trahison de la gauche : les Français constatent simplement des faits !

Pour justifier ce retournement majeur, historique au regard du passé de la gauche, vous invoquez la « modernité ». À vous entendre, vous faites ces choix pour ne pas avoir à trancher entre le libéralisme à outrance de la droite et l’immobilisme de la gauche traditionnelle. La vérité, c’est que vous avez choisi l’immobilisme dans le libéralisme et que vous avez renoncé à réformer à gauche, c’est-à-dire dans le sens du progrès social !

Pensez-vous réellement que le compromis et le progrès consistent à permettre un droit social par entreprise, à flexibiliser les règles de licenciement, à autoriser les licenciements économiques sur la base d’une simple baisse du chiffre d’affaires d’un semestre ?

Au nom de l’emploi, vous cédez mesure après mesure aux exigences du MEDEF qui, après avoir obtenu 40 milliards d’euros sans aucune contrepartie et sans aucune création d’emploi, vous demande instamment de le débarrasser du code du travail.

Votre projet de loi, madame la ministre, est si peu éloigné de ce que souhaite la droite qu’il aura suffi à cette dernière de rétablir en commission le texte initial et d’y rajouter quelques dispositions.

Chers collègues socialistes, vous allez, je le sais, protester contre la surenchère de la droite, mais qui a ouvert la porte, qui a mis le doigt dans ce dangereux engrenage ? Une nouvelle fois, la droite va vous piéger, et vous vous prêtez à son jeu ! Elle prolonge la vie de ce texte, qui n’a pas réuni de majorité à gauche à l’Assemblée nationale, et elle vous pousse sciemment au recours au 49.3. Ainsi, le crime contre le code du travail sera commis sans que ses empreintes ne figurent sur l’arme du crime. Du grand art ! Elle espère revenir demain au pouvoir ; elle n’aura plus alors qu’à mettre ses pas dans les vôtres pour finir le sale boulot.

Les sénateurs du Front national se sont eux-mêmes engouffrés dans cette brèche, en déposant des amendements allant dans le sens d’une surenchère libérale. Ils les ont aussitôt retirés, par calcul politicien, mais le fait est là !

Vous le voyez, mes chers collègues, ce projet de loi n’est pas le fruit d’un bon compromis, comme l’affirme le Gouvernement. C’est une machine infernale qui inquiète et insécurise le pays. Ce ne sont pas les grèves qui doivent s’arrêter ; c’est la discussion de ce texte qui doit être stoppée !

Pour conclure, je vous livrerai la version complète de la citation de Maurice Thorez que beaucoup ont utilisée ces derniers temps : « Il faut savoir terminer une grève dès que la satisfaction a été obtenue. Il faut même savoir consentir au compromis si toutes les revendications n’ont pas encore été acceptées mais que l’on a obtenu la victoire sur les plus essentielles revendications. »

Aucune de ces conditions n’est aujourd’hui réunie ! Faut-il rappeler, en outre, que cette déclaration de Maurice Thorez intervenait alors que des accords venaient d’être signés pour étendre les congés payés et réduire la durée de la semaine de travail à 40 heures ?

C’est peut-être ceci qu’il conviendrait de méditer : la France est toujours sortie de la crise par la porte du progrès social, pas l’inverse !

Votez notre motion tendant à opposer la question préalable, mes chers collègues, et débarrassez-nous de ce projet régressif. Nous pourrons alors débattre utilement de la sécurisation de l’emploi, de la formation, de la réduction du temps de travail, de l’encadrement des salaires patronaux faramineux et de l’impunité zéro pour l’évasion fiscale. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Lamure, contre la motion. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur certaines travées de l'UDI-UC.)

Mme Élisabeth Lamure. Monsieur le président, madame la ministre, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, l’objet de la présente motion m’oblige à rappeler, en préambule, le contexte entourant l’examen de ce projet de loi.

La France est dans une situation de blocage.

Il s’agit d’abord d’un blocage économique. Depuis 2012, notre croissance a été deux fois moins importante que la moyenne des autres pays de l’OCDE et, depuis 2015, notre taux de chômage culmine à 10,4 %, contre 6,8 % pour la moyenne de ces mêmes pays.

Ensuite, les blocages sociaux se multiplient : ils concernent les raffineries, les ports, les transports, des domaines stratégiques pour notre pays.

Deux issues s’offrent à nous pour sortir de cette crise : l’abandon du projet de loi ou son débat dans notre assemblée. C’est la question éminemment politique, bien plus politique que juridique ou constitutionnelle, que soulève cette motion.

À cela, nous opposerons la vision inspirant la démarche que notre majorité a engagée dès les débats en commission, dont je tiens à saluer le travail.

Nous entendons saisir l’occasion de ce texte, présenté d’une façon assez maladroite par le Gouvernement, avec les malentendus que nous savons concernant le dialogue social et les abandons qui ont caractérisé son adoption par la procédure de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution, pour rénover les fondations de notre droit du travail autour de trois piliers : la confiance, la sécurité juridique et la simplification.

Pour évoquer ces trois piliers, je m’appuierai sur les « considérants » qui motivent la motion tendant à opposer la question préalable.

S’agissant de la confiance, le principe des accords d’entreprise va incontestablement dans le sens d’une « déconcentration » de notre réglementation en matière de droit du travail.

Dans le monde qui est le nôtre, avec ses bouleversements économiques presque quotidiens, le législateur doit rétablir un vecteur fondamental de la croissance économique : la confiance – confiance envers l’entreprise, confiance envers la responsabilité prise par chacun, patron ou salarié.

Certains n’ont de cesse d’invoquer, au sujet de cette relation entre employeurs et salariés, un « lien de subordination » : cela revient à nier la réalité du paysage de l’entrepreneuriat français, même si cette notion peut parfois être évoquée à juste titre. Avec nombre de nos collègues, nous avons pu constater, lors des multiples rencontres organisées par la délégation sénatoriale aux entreprises, que ce paysage se compose de profils extrêmement variés : que dire de ces employeurs qui ont d’abord été des employés, de ceux qui, dans les PME, travaillent dans les mêmes conditions que leurs employés, voire dans des conditions moins avantageuses ?

Eu égard à cette variété des situations et des profils, le législateur ne peut plus prétendre vouloir tout régler par lui-même, sauf à prévoir dans la loi autant d’exceptions qu’il existe de cas de figure. Le dialogue, responsable et direct, au plus près des réalités économiques et sociales de l’entreprise doit être favorisé.

Le présent texte prévoit que la loi fixe le cadre des accords d’entreprise. Aussi, contrairement à ce qui est avancé, le législateur restera-t-il au cœur de l’action en faveur de l’emploi, de la protection des droits de chacun et de l’égalité de tous.

À ce sujet, de quelle égalité parlent les auteurs de la présente motion, lorsqu’ils considèrent que le texte issu des travaux de notre majorité va « entraîner un accroissement des inégalités entre les salariés » ? S’agit-il de l’égalitarisme, qui ferait des travailleurs des outils interchangeables, ou de l’égalité entendue au sens constitutionnel, qui permet d’apprécier différemment des situations différentes, relativement aux conditions de travail, aux contextes géographique, économique et compétitif dans lesquels s’inscrivent nos entreprises ?

Le choix que nous avons fait, c’est celui du développement de l’emploi par la confiance, qui permettra, avec les accords d’entreprise, une meilleure adaptation de notre droit du travail aux spécificités économiques de chaque entreprise, comme en attestent, par exemple, les dispositions concernant le temps de travail.

Je citerai tout d’abord la possibilité de porter à douze heures, au lieu de dix actuellement, la dérogation à la durée maximale quotidienne de travail en cas d’activité accrue ou pour des motifs liés à l’organisation de l’entreprise.

Je mentionnerai également la possibilité de déroger au temps hebdomadaire légal de travail, qu’il est par ailleurs proposé de porter à 39 heures en cas de désaccord au terme des négociations relatives à un accord collectif. Les partisans d’un maintien des 35 heures auront du mal à nous convaincre. Voilà longtemps que les faits économiques nous démontrent constamment que cette mesure ne relève plus que d’une fiction et se heurte, par ailleurs, aux réalités du secteur de l’industrie, qui a été dévoré par ses concurrents étrangers, et du secteur tertiaire, qui ne s’en est jamais accommodé.

Au sujet de la sécurité juridique, je parlerai du considérant relatif au licenciement économique.

Les auteurs de la motion évoquent une extension des motifs justifiant un licenciement économique. Pour ma part, je parlerais plutôt d’une sécurisation ou, du moins, d’une précision de ces motifs.

En effet, je n’ai pas l’impression que le texte proposé par la commission, sous réserve des modifications que nous pourrions y apporter, porte atteinte au droit à indemnisation pour les licenciements sans cause réelle et sérieuse.

Au contraire, je crois que l’expérience jurisprudentielle nous impose plus que jamais de préciser ces critères, afin de sécuriser les intérêts de l’entreprise et des salariés. Il s’agit de circonscrire les motifs du licenciement économique aux seules nécessités de la « mauvaise santé économique de l’entreprise », pour éviter les licenciements sans cause réelle et sérieuse.

Je crois d’ailleurs préférable pour un salarié de pouvoir compter sur un droit clair et accessible qui sécurise son maintien dans l’emploi, plutôt que sur un droit qui sécurise son indemnisation en cas de licenciement pour des raisons non valables.

Je salue une nouvelle fois, à cet instant, les initiatives de la commission et des rapporteurs, qui ouvrent à la concertation la définition de la liste des indicateurs économiques, ainsi que du niveau et de la durée de la baisse significative de ceux-ci pouvant justifier un licenciement économique. Il est en effet prévu que ces éléments seront discutés à l’occasion de l’élaboration d’un décret en Conseil d’État.

Enfin, ce droit à l’indemnisation du licenciement sans cause réelle et sérieuse se trouve renforcé par toutes les mesures proposées par notre majorité, qui permettront d’accélérer la procédure en contestation du caractère réel et sérieux d’un licenciement économique.

Je parlerai maintenant de la simplification, le dernier considérant de la motion tendant à opposer la question préalable me fournissant un exemple de ce que nous avons recherché dans ce domaine.

Il est dit, dans ce considérant, que les obligations des employeurs en matière de préservation de la santé et de la sécurité des salariés sont « gravement limitées » par le texte issu des travaux de la commission.

Il y a là encore, à mon sens, une erreur d’appréciation, puisque le texte de la commission recentre la médecine du travail sur sa véritable mission, évite la réalisation de visites que leur caractère répétitif pourrait rendre inutiles dans le cadre des contrats de courte durée, maintient la visite d’aptitude, qui permet au salarié d’être informé de ses droits et des risques associés à son poste de travail.

Ces mesures sont de nature à renforcer l’efficacité de la médecine du travail, sans laquelle les obligations des employeurs n’ont que peu de portée. Il en va de même du maintien de la compétence de l’inspecteur du travail en cas de contestation d’aptitude ou d’inaptitude.

En conclusion, force est d’admettre que les considérants de cette motion doivent être rejetés, ce texte nous donnant l’occasion de répondre, enfin et sans délai, aux attentes immenses suscitées par les propositions que nous avons avancées, qui méritent d’être débattues.

Que l’on soit opposé ou non à ce texte, que l’on veuille en rester là ou aller plus loin, le débat est essentiel et nécessaire pour lutter contre le climat économique et social délétère qui s’installe dans notre pays, du fait de l’incapacité du Gouvernement à relancer la croissance.

Voilà quelques semaines, un nombre important d’élus se sont opposés au recours à la procédure du 49.3, qui a limité le débat à l’Assemblée nationale. Aujourd’hui, il est important que la discussion ait lieu dans notre assemblée, pour ne pas ajouter encore à l’absence de débat si souvent dénoncée depuis la présentation du texte. C’est de notre responsabilité.

Pour toutes ces raisons, notre groupe votera contre la motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur de nombreuses travées de l'UDI-UC.)

M. le président. J’informe le Sénat que je suis saisi par le groupe CRC d’une demande de scrutin public sur cette motion tendant à opposer la question préalable.

La parole est à M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur.

M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable sur cette motion.

Je dois reconnaître à M. Pierre Laurent une cohérence. Nous sommes nous aussi cohérents en souhaitant que le débat se poursuive, afin que nous puissions mener un travail utile, de fond sur un texte qui s’inscrit tout à fait dans la logique de subsidiarité à laquelle nous sommes un certain nombre à souscrire. D’ailleurs, des partenaires sociaux qui accompagnent la réforme, à l’instar de la CFDT, fondent leur action sur cette même logique. Je pourrais faire référence, à cet égard, à l’encyclique Rerum novarum du pape Léon XIII.

Sur le fond, vous évoquez un texte de régression sociale, monsieur Laurent. Pourtant, nous y avons inscrit un certain nombre de droits qui seront désormais attachés à la personne.

Vous évoquez en outre une inversion de la hiérarchie des normes. Je vois plutôt dans ce texte, pour ma part, une distribution des compétences entre les différents niveaux : l’ordre public demeure et l’on ne peut y déroger.

Tous ces éléments plaident pour que nous entrions de plain-pied dans le débat. C’est pourquoi nous invitons le Sénat à rejeter cette motion.

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Myriam El Khomri, ministre. J’aurai l’occasion de revenir sur les questions de fond, notamment l’inversion de la hiérarchie des normes ou le principe de faveur.

Je respecte les positions de chacun, mais tout l’intérêt d’un débat, c’est de pouvoir faire preuve de pédagogie et argumenter de façon sereine.

Monsieur Laurent, le peuple de gauche a en effet été quelque peu éprouvé par le débat sur la déchéance de la nationalité. Je l’admets tout à fait.

M. Philippe Dallier. Le « peuple de gauche » ? De quoi, de qui parlez-vous donc ?

M. Roger Karoutchi. Vous tenez des fiches sur le « peuple de gauche » ?

Mme Myriam El Khomri, ministre. Ce procès en trahison a toujours été instruit à l’encontre de la gauche qui, une fois parvenue au pouvoir, ne tiendrait pas ses engagements, renierait ses valeurs, précisément parce que c’est la gauche qui ambitionne de changer le monde. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains. – Protestations sur les travées du groupe CRC.)

Mme Éliane Assassi. Sans nous, vous n’auriez pas été élus !

Mme Myriam El Khomri, ministre. Le Président de la République, en 2012, au cours de sa campagne, n’a peut-être pas suffisamment rappelé l’état de faillite – pour reprendre l’expression de François Fillon – dans lequel se trouvait alors le pays. Peut-on parler d’austérité quand nous mettons en place la retraite à soixante ans pour ceux qui ont commencé à travailler très jeunes, quand nous créons des postes dans l’éducation, dans la justice, dans la sécurité, quand nous mettons en œuvre les contrats de génération, dont bénéficient 400 000 personnes, les contrats d’avenir ? Il est essentiel de regarder lucidement et sereinement les choses.

Enfin, vous prétendez que, depuis quatre mois, les tenants de ce projet de loi auraient monopolisé les médias : permettez-moi de vous dire que telle n’est pas la réalité. Ni vous ni la CGT n’avez le monopole de la défense des intérêts des salariés.

Vous affirmez que ce projet de loi ne convainc aucune organisation syndicale, non plus que la jeunesse. Pourquoi ne dites-vous pas que la FAGE, la Fédération des associations générales étudiantes, qui a d’ailleurs remporté les dernières élections, soutient ce projet de loi (Mme Éliane Assassi s’exclame.), de même que des organisations syndicales telles que la CFTC, l’UNSA ou la CFDT ? Le débat sur ce texte traverse le champ syndical, partagé entre deux visions de la démocratie sociale dans l’entreprise. Pourquoi taire les avancées que contient ce projet de loi, telles que la généralisation de la Garantie jeunes ou le droit universel à la formation ? Il me semble essentiel d’aborder ce texte dans sa globalité.

Par ailleurs, je défends résolument la démocratie sociale dans l’entreprise. Les salariés, les ouvriers se sont battus pour obtenir le droit d’être entendus au sein de l’entreprise. Vous le savez bien, il ne s’agit nullement de permettre un code du travail par entreprise. Le domaine réservé de la loi demeure et celle-ci continuera d’être protectrice. L’accord d’entreprise ne pourra porter sur la durée légale du travail, le salaire minimum, les classifications. De même, la protection de la santé et de la sécurité des salariés continuera bien évidemment de relever de la loi.

Les accords d’entreprise concerneront ce qui intéresse le quotidien des salariés, l’organisation du travail – les temps d’habillage et de déshabillage, les heures de récupération, etc.

Madame Assassi, vous parliez des jours fériés. Le code du travail ne reconnaît qu’un seul jour férié et obligatoirement chômé : le 1er mai. Les autres jours fériés sont fixés par l’employeur…

Mme Éliane Assassi. Non ! Par les accords de branche ! Vous ne connaissez pas le code du travail !

Mme Myriam El Khomri, ministre. … ou, demain, par un accord collectif. Il est essentiel de laisser de la place à la négociation et celle-ci ne peut fonctionner que si les trois éléments suivants sont réunis : le principe majoritaire, le renforcement des moyens des syndicats – ce texte prévoit qu’ils augmentent de 20 % – et l’élargissement du champ de la négociation. (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq, pour explication de vote.

Mme Nicole Bricq. M’exprimant au nom du groupe socialiste et républicain, je laisserai de côté la polémique. Nous préférons débattre argument contre argument. Cependant, monsieur Laurent, il me faut bien constater que votre intervention s’est bornée à un réquisitoire contre les seuls socialistes.

Mme Éliane Assassi. Contre le texte ! Nous voulons son retrait !

Mme Nicole Bricq. J’ai moi aussi quelques références historiques. Franchement, en vous écoutant, nous avons eu l’impression qu’il s’agissait de faire le procès des ours savants de la démocratie ; nous ne nous y prêterons pas.

Vous reprochez au Gouvernement d’avoir utilisé le 49.3 à l’Assemblée nationale. Mais c’est un outil constitutionnel ! (Rires sur les travées du groupe Les Républicains. – Protestations sur les travées du groupe CRC.) Proposez sa suppression !

Mme Éliane Assassi. Ben voyons !

M. Roger Karoutchi. Vous aviez vous-mêmes demandé sa suppression !

Mme Nicole Bricq. Des gouvernements de droite comme de gauche y ont eu recours !

Vous faites exactement comme la droite : vous vous asseyez sur le débat qui a eu lieu à l’Assemblée nationale ! (Exclamations sur les travées du groupe CRC.)

Je rappelle que le texte adopté selon la procédure du 49.3, sur lequel nous avons travaillé en commission, a fait l’objet de 761 amendements : 304 amendements examinés par la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale les 6 et 7 avril et 457 amendements repris par le Gouvernement. Alors, ne niez pas qu’un débat ait eu lieu à l’Assemblée nationale ! (Protestations sur les travées du groupe CRC.) Vous faites exactement comme nos collègues de droite ; du reste, j’observe que vos attaques ont été uniquement dirigées contre les socialistes et qu’à aucun moment vous n’avez attaqué la droite !

Mme Éliane Assassi. On ne tombera pas dans le piège !

Mme Nicole Bricq. Dès lors, vous comprendrez que nous votions contre votre motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à Mme Annie David, pour explication de vote.

Mme Annie David. L’inégalité des armes et la violence du combat idéologique ne nous permettent pas de mener un débat à la hauteur des enjeux pour notre société en ce XXIe siècle.

Pourtant, vous l’avez dit, madame la ministre, il s’agit de favoriser le progrès social, de promouvoir l’égalité entre les femmes et les hommes, de sécuriser les parcours professionnels, de donner aux salariés la place qui leur revient dans l’entreprise.

Vous prétendez que tels sont vos objectifs, outre bien sûr l’amélioration de la compétitivité des entreprises, mais, en réalité, votre projet n’est en rien ce que vous en dites. À cet égard, je rends hommage à M. Lemoyne, dont les propos auront éclairé celles et ceux qui se faisaient encore quelques illusions…

Pierre Laurent a bien expliqué ce qu’est un projet de gauche : ce n’est pas l’inversion de la hiérarchie des normes, l’abandon du principe de faveur, la facilitation des licenciements, la fin des 35 heures, l’abaissement de la protection de la santé des salariés.

C’est pourtant ce que vous proposez, vous conformant en cela aux desiderata de la Commission européenne, qui vous presse de décentraliser le dialogue social à l’échelon des entreprises, manière habile d’affaiblir les syndicats, de fissurer les protections juridiques des salariés et d’accroître le dumping social, prétendument pour améliorer la compétitivité des entreprises.

Vous parlez de coût du travail ; nous parlons, nous, de coût du capital. Malheureusement, en Belgique, en Italie, en Espagne, ces réformes ont déjà été mises en œuvre, avec les conséquences que l’on sait en termes d’appauvrissement de la société et de dégradation des conditions de vie.

Non, madame la ministre, mes chers collègues, en 2012, François Hollande n’a pas été élu pour mener ces réformes libérales ; il a au contraire été porté à l’Élysée par des millions de salariés qui voulaient donner un coup d’arrêt à ces politiques inspirées par Bruxelles.

Oui, être de gauche, cela a du sens pour celles et ceux qui sont attachés au progrès social, à l’émancipation humaine. Oui, être de gauche, c’est faire progresser le droit du travail, qui est un droit constitutionnel, en prenant en compte les enjeux d’aujourd’hui : hyperprécarisation du salariat, « ubérisation » de l’économie, détachement de salariés, auto-entrepreneuriat, portage salarial… Oui, nous voulons parler du travail, mais nous ne voulons pas laisser au bord du chemin les travailleurs, car c’est avant tout pour eux que nous devons mener ce débat.

Je vous invite, mes chers collègues, à voter cette motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…

Je mets aux voix la motion n° 102, tendant à opposer la question préalable.

Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.

J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe CRC.

Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 244 :

Nombre de votants 346
Nombre de suffrages exprimés 336
Pour l’adoption 25
Contre 311

Le Sénat n'a pas adopté.

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures quinze, est reprise à dix-huit heures vingt, sous la présidence de Mme Isabelle Debré.)

PRÉSIDENCE DE Mme Isabelle Debré

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

Discussion générale (suite)

Question préalable
Dossier législatif : projet de loi relatif au travail, à la modernisation du dialogue social  et à la sécurisation des parcours professionnels
Discussion générale (suite)

Mme la présidente. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Dominique Watrin.

M. Dominique Watrin. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, après un dialogue social tronqué, après l’utilisation passée et peut-être à venir du 49.3 à l’Assemblée nationale, le débat parlementaire qui s’engage au Sénat sur le projet de loi Travail risque d’être unique. Il en suscite d’autant plus l’intérêt des Français, à la veille d’une grande manifestation nationale pour exiger son retrait, dans le cadre d’un mouvement de contestation et de grèves qui a mobilisé des millions de Français et qui perdure sans faiblir depuis trois mois.

Ma première attention sera pour ceux qui souffrent le plus de la situation de l’emploi. Je veux parler des jeunes en rupture, des jeunes en galère ; des jeunes instruits, souvent qualifiés, mais soumis au bizutage social des CDD à répétition et de l’intérim.

Madame la ministre, vous nous parlerez – vous l’avez d’ailleurs déjà fait – de la généralisation de la Garantie jeunes, de droits nouveaux à la formation pour les jeunes décrocheurs ou de la prolongation des bourses universitaires. Ces mesures ont été saluées positivement par l’Union nationale des étudiants de France, l’UNEF, et l’Union nationale lycéenne, l’UNL.

Mais, très franchement, croyez-vous que c’est en rendant plus flexibles les CDI, en faisant des salariés des variables d’ajustement encore plus souples des stratégies financières des grands groupes, en rendant les contrats de travail modifiables à merci, et même jetables, que vous combattrez la précarité et redynamiserez l’économie ?

Notre rejet de votre projet de loi s’appuie d’abord sur la justification que vous affichez de son utilité et de sa nécessité. Selon vous, il y aurait un lien de causalité entre degré de rigidité supposée du code du travail et chômage. C’est votre droit d’adhérer à cette logique, plutôt libérale, il est vrai. Mais même l’OCDE a fini par conclure qu’il n’était pas possible d’établir un tel lien !

Avec mes collègues du groupe CRC, nous croyons plutôt que votre projet est une réponse, une concession, voire une soumission aux recommandations de la Commission de Bruxelles. J’ai ici le document du 14 juillet 2015. S’il le faut, je vous lirai les injonctions qu’il contient !

Mes chers collègues, vous serez sûrement nombreux, sur la majorité de ces travées, à invoquer des exemples empruntés de l’étranger. Notre pays serait irréformable, perclus de conservatisme ; il faudrait donc enfin engager les prétendues réformes suscitées…

Nous avons, me semble-t-il, l’avantage du recul dans le temps pour examiner la situation de plusieurs deux pays.

J’évoquerai d’abord le Royaume-Uni. Je note d’ailleurs que vous citez de moins en moins cette catastrophe sociale, où le contrat zéro heure et les « sous-SMIC jeunes » ont abouti à une explosion des petits boulots, de la précarité, de la pauvreté.

J’en viens à l’Allemagne, dont je sais que beaucoup font un modèle de flexisécurité. Or le salaire moyen a sensiblement reculé. Aujourd’hui, 40 % des Allemands occupent des emplois atypiques. Où est la culture du compromis ? Où est le « gagnant-gagnant » ?

En Italie, le bilan du Jobs Act de Matteo Renzi est déjà contrasté, la Confédération générale italienne du travail, constatant déjà une baisse de 1,4 % des salaires avec les nouveaux contrats de travail.

Je terminerai par l’Espagne, dont vous saluerez évidemment la baisse du taux de chômage, mais en oubliant probablement de souligner l’exil massif des jeunes.

Madame la ministre, pour défendre le bien-fondé de votre projet de loi, vous prétendez qu’il serait soutenu majoritairement par les syndicats de salariés. Lors de votre audition, vous avez même déclaré : « Les syndicats représentant la majorité des salariés – CFDT, CFTC, CGC et UNSA – sont favorables aux avancées que le projet comporte. »

M. Didier Guillaume. C’est vrai !

M. Dominique Watrin. Il est effectivement primordial qu’une loi ayant pour objectif le développement du dialogue social ait a minima le soutien de la majorité des organisations syndicales de salariés.

Or, et vous le savez comme moi, la CGC, que vous avez mentionnée, est aujourd’hui hostile à la philosophie générale de votre texte. D’ailleurs, son président demande même aujourd’hui la suspension du débat parlementaire sur le projet de loi Travail.

Ce texte n’a donc le soutien ni de la majorité des salariés ni de leurs représentants ; il est rejeté par plus de 70 % des Français ; vous l’avez fait passer par la force du 49.3 à l’Assemblée nationale, et il sera encore minoritaire au Sénat. Cela fait tout de même beaucoup, et explique aussi les nombreuses tensions et grèves multiples qui affectent notre pays. Voilà pourquoi nous demandons la suspension du débat parlementaire et le retour à la table des négociations ! De grâce, ne vous entêtez pas plus : saisissez les perches qui vous sont tendues !

Par ailleurs, madame la ministre, vous avez soupçonné notre groupe de fuir le débat, en me répondant lors de la séance des questions d’actualité. Rassurez-vous : le débat de fond, nous l’aurons, grâce aux 402 amendements que nous avons déposés. Ils nous permettront de démontrer les régressions et reculs sociaux qu’entraînerait l’adoption de votre texte.

L’article 2 ne contient pas moins de cinquante-sept pages pour poser la primauté de l’accord d’entreprise sur la loi et les accords de branche. Comme le disait la représentante de la CGT à la table ronde syndicale : « Cela aura pour effet de faire voler en éclats le socle commun, mis en place dans le code du travail, de protection et de garanties collectives dont bénéficient les salariés. […] Les salariés les plus fragiles, ceux qui sont isolés […], seront donc encore davantage défavorisés. […] Avec ce projet de loi, on inverse le processus et on entame, de ce fait, une course au dumping social. »

L’article 10, qui porte sur la légitimité des accords collectifs, est surprenant ! Comment pouvez-vous affirmer vouloir renforcer les syndicats dans la négociation d’entreprise et, en même temps, permettre à une minorité syndicale de remettre en cause une position prise par des syndicats représentant plus de 50 % des salariés ? Je ne comprends pas, et je ne suis probablement pas le seul !

L’article 11 concerne les accords dits de « préservation et de développement de l’emploi ». Au moins, vous assumez la filiation avec les lois de droite Fillon, Sarkozy-Bertrand, Warsmann et les douze accords dits de « maintien de l’emploi », dont vous tirez un bilan curieusement positif. Pourtant, les sacrifices acceptés par les salariés n’ont empêché ni suppressions massives d’emplois ni fermetures de site ! Maintenant, vous voulez autoriser ce type d’accords même lorsque l’entreprise ne connaît pas de difficultés économiques. Pour quels intérêts, selon vous ?

Enfin, avec l’article 30, en sécurisant les licenciements sans cause réelle ni sérieuse, vous répondez au vœu le plus cher du MEDEF ces dernières décennies. C’est un comble !

Les précisions apportées à l’Assemblée nationale ne redonneront aux syndicats aucune des possibilités d’interventions que votre gouvernement a enlevées dans le cadre des lois précédentes ! Je parle ici des plans de sauvegarde de l’emploi, ou PSE, qui écartent maintenant les institutions représentatives du personnel, les comités d’entreprise, de toute possibilité d’intervention pendant deux ou quatre mois après l’annonce d’une fermeture de site !

En revanche, avec cette loi, vous limiterez le pouvoir d’appréciation du juge sur le bien-fondé du motif économique des licenciements. C’est inacceptable !

Vous le voyez, notre groupe s’opposera résolument au projet de loi tel qu’il est issu du 49.3, et, avec la même détermination, aux surenchères de la droite qui ont été intégrées dans le texte de la commission des affaires sociales sur l’initiative de la majorité sénatoriale.

D’ailleurs, chers collègues de droite, je vous le dis franchement, vous avez fait fort : flexibilisation à outrance des dispositifs d’aménagement du travail ; facilitation encore plus poussée des licenciements économiques ; nouveaux reculs sur la reconnaissance et la prise en compte de la pénibilité du travail ; doublement des seuils sociaux, c’est-à-dire suppression de la représentation syndicale dans un projet de loi dont vous partagez pourtant le principe et l’objectif affiché de développer le dialogue social à l’entreprise ; apprentissage dès quatorze ans ; travail de nuit des apprentis ; enfin, cerise sur le gâteau que vous offrez au MEDEF, les 39 heures !

Cela illustre d’ailleurs parfaitement notre analyse. En somme, vous enjoignez aux salariés de négocier à 37 heures ou à 38 heures payées 35,…

M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. Non ! Payées 37 ou 38 heures !

M. Dominique Watrin. … faute de quoi ce sera 39 heures !

Certes, vous n’êtes pas allés jusqu’à proposer la durée légale du travail à 39 heures ; vous avez évoqué seulement une durée de référence. Peut-être que ce qui se passe dans la rue et dans les entreprises vous inquiète aujourd’hui. Mais va pour les 39 heures tout de même, puisque ce qui compte pour vous, c’est d’afficher le programme présidentiel.

Madame la ministre, soyez rassurée. Nous combattrons avec la même vigueur les propositions de la droite sénatoriale. Je veux simplement vous dire que nous avons passé l’âge des jeux politiciens.

Ne croyez surtout pas qu’en défendant dans cet hémicycle un texte aussi brutal contre le monde du travail, vous puissiez vous prévaloir, face aux surenchères de la droite, d’une quelconque vertu d’équilibre. En effet, si la droite a fixé à 39 heures le seuil de déclenchement des heures supplémentaires, c’est aussi parce qu’elle s’est appuyée sur l’article 2 de votre texte. (Marques d’approbation sur les travées du groupe CRC.)

Mme Éliane Assassi. C’est logique !

M. Jean-Pierre Caffet. Quel jésuite !

M. Dominique Watrin. D’ailleurs, elle n’a pas demandé la suppression de cet article, qui permet aux employeurs de contourner toujours plus l’obligation de rémunérer les heures supplémentaires et de ne payer que 10 % les huit premières, contre 25 % aujourd’hui.

Mme Éliane Assassi. La porte était ouverte !

M. Dominique Watrin. Je le répète : la matrice commune, c’est Bruxelles ; c’est le MEDEF ! Je sais d’ailleurs que certains socialistes ne sont pas loin de penser la même chose !

Mes chers collègues, au cours des débats, nous aurons aussi à cœur de montrer que nous ne sommes pas pour le statu quo. Nous pensons que le code du travail reste à améliorer pour prendre en compte les nouvelles précarités du travail et les évolutions technologiques.

Nous portons l’exigence d’un véritable dialogue social dans l’entreprise, ce qui ne pourra pas se réaliser sans droits nouveaux d’intervention des salariés et de leurs représentants.

Nous ferons donc de nombreuses propositions sur différents champs : pour promouvoir l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et lutter contre la précarité dans les services et l’aide à domicile ; pour une médecine du travail de prévention et de reclassement, et non de sélection ; pour faciliter la reconductibilité des contrats saisonniers ; pour combattre à la racine le travail détaché illégal.

À l’ère du numérique, du développement des plateformes sophistiquées, mais qui reproduisent en réalité les formes les plus primitives de l’exploitation, nous nous attacherons aussi à faire émerger de nouveaux droits, un véritable statut pour les « ubérisés ».

Plus généralement, les progrès technologiques vont considérablement et durablement modifier le travail. On estime ainsi que ces évolutions auront des effets sur 50 % des emplois salariés et des métiers actuels d’ici à vingt ans.

Au regard d’un tel bouleversement, on ne peut pas se contenter d’un compte personnel d’activité. Il s’agit aussi de prendre le contrepied des logiques actuelles, par la réduction du temps de travail, la formation, mais aussi le partage des richesses.

Plutôt que les 39 heures ou la flexibilité à outrance, mettons en débat le passage aux 32 heures d’ici à 2021 sans perte de salaire !

En un mot, et c’est là notre divergence de fond, les membres du groupe CRC estiment que le progrès social ne peut pas résulter de la régression de chacun. Au contraire ! C’est dans le développement des droits économiques, culturels, syndicaux, coopératifs et sociaux que l’on fraiera le chemin d’une société et d’une économie efficaces, au service de tous ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Didier Guillaume. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. Didier Guillaume. S’il est un texte qui occupe les élus, le monde politique, les parlementaires, mais également la société, les syndicats, les Françaises et les Français depuis de nombreux mois maintenant, c’est bien celui qui porte votre nom, madame la ministre : le projet de loi El Khomri ou projet de loi Travail.

Il y a eu plusieurs étapes. La première version avait choqué dans les rangs de la gauche.

Le Premier ministre a alors décidé une pause durant quinze jours ; il a fait le choix du dialogue. Vous pouvez arguer que le dialogue n’a pas eu lieu sur tel ou tel article, chers collègues. Mais l’objectivité et honnêteté obligent à reconnaître qu’il y a bien eu dialogue et concertation ! Vous pourriez prétendre le contraire si nous étions sur une île déserte. Mais il suffit de regarder la télévision, d’écouter la radio et de suivre ce qui se passe dans le monde pour constater que le dialogue a lieu tous les jours, matin, midi et soir, voire la nuit, pour ceux qui restent debout la nuit !

M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. Avec quel succès ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Didier Guillaume. Le débat a eu lieu à l’Assemblée nationale pendant des heures et des heures, des semaines et des semaines. La commission a travaillé jour et nuit sur des centaines d’amendements. Plus de 700 amendements ont été retenus ; c’est presque autant que le nombre d’amendements dont le Sénat est saisi. D’ailleurs, je pense qu’il y aura au final moins d’amendements issus des rangs sénatoriaux et votés par la Haute Assemblée que d’amendements déposés à l’Assemblée nationale et intégrés dans le texte dans le cadre du 49.3 ! (Exclamations ironiques sur les travées du groupe CRC.)

Mme Éliane Assassi. Cela n’a pas de sens !

M. Didier Guillaume. Chacun est à son niveau intellectuel, madame Assassi ! (Exclamations sur les travées du groupe CRC et du groupe Les Républicains.)

Il faut absolument que, tout au long de ce débat – il va durer deux semaines –, les uns et les autres se respectent. Celles et ceux qui vont s’exprimer croient en ce qu’ils disent. Personne n’est dans la posture !

M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. Ou l’imposture ? (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Didier Guillaume. Monsieur le rapporteur, ce n’est pas par la désinvolture ou l’ironie que nous irons au bout d’un débat serein et apaisé. C’est par les convictions. Nous en avons tous.

À l’instar de M. Laurent, je condamne de la manière la plus ferme les propos tenus par le président du MEDEF. Ils sont inadmissibles en démocratie ! Personne dans cet hémicycle ne peut les tolérer. Il n’y a pas de terroriste dans le monde syndical. Il est inacceptable de comparer le monde syndical à telle ou telle organisation terroriste. De même, madame la ministre, chère Myriam El Khomri, il est inacceptable que des manifestants individuels – je précise qu’ils n’étaient affiliés à aucune organisation syndicale – soient venus chez vous de bon matin à votre domicile pour effrayer vos enfants.

M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. Nous sommes tout à fait d’accord ! C’est scandaleux !

M. Didier Guillaume. Le débat politique n’a pas à s’immiscer dans la vie privée des ministres !

Il est tout aussi inacceptable que l’on brûle une voiture de police !

Le débat doit être serein, posé. La violence, verbale ou physique, d’où qu’elle vienne, doit être condamnée.

Au cours de la discussion, nous serons amenés à acter nos désaccords, que ce soit entre la droite et la gauche, entre la gauche et la gauche, voire, parfois, au sein d’un même groupe politique. Nous devons l’assumer ; c’est la vie démocratique.

L’objectif du Gouvernement, que la grande majorité de notre groupe soutient, est la mise en place d’un nouveau contrat social, fondé sur un nouveau dialogue social.

Oui, cette loi est une loi d’équilibre ! Elle repose sur le triptyque : protection des salariés, qui ne fait défaut à aucun moment dans ce texte – certains d’entre nous, en particulier Nicole Bricq, essaieront de le démontrer tout au long du débat –, progrès social et efficacité économique.

Nous refusons le statu quo, en politique comme en économie. La situation a changé depuis 2008. D’ailleurs, je vous remercie d’avoir cité, entre autres, MM. Vidalies, Hollande, Valls. Nous rejetons également toute fuite en avant effrénée et désorganisée. (M. Thierry Foucaud s’exclame.)

Peut-être que deux conceptions, celle de la régulation et celle de la dérégulation, s’opposent ! Mais, tout au long de ces quatre mois, le dialogue aidant, les syndicats réformistes, comme la CFDT, l’UNSA, la CFTC, la CGC pendant un temps et la FAGE, ont accompagné le Gouvernement et soutiennent ce texte. C’est aussi le signe que le nouveau dialogue social doit s’appuyer sur les syndicats. Nous l’assumons totalement.

La droite sénatoriale affirme qu’il n’y a plus rien dans ce texte et qu’elle ne peut donc pas le voter. Quel mépris !

Quel mépris pour les salariés, qui bénéficieront du compte personnel d’activité, de la sécurité sociale professionnelle ! Le compte pénibilité, que la droite fustige, est…

M. Philippe Dallier. Une usine à gaz !

M. Didier Guillaume. … une immense avancée pour ceux qui assument des travaux difficiles.

Quel mépris pour les jeunes ! La généralisation de la Garantie jeunes est essentielle pour la jeunesse. Ce n’est pas, comme j’ai pu l’entendre, un RSA pour les jeunes ou les mineurs. C’est un moyen de lutter contre la précarité ! Nous voulons non pas la flexibilité pour les jeunes, mais la flexisécurité pour tous !

Quel mépris pour les cadres, qui bénéficieront notamment du droit à la déconnexion !

Le projet de loi contient beaucoup de grandes avancées sociales.

Épargnez-nous les faux débats sur la première version que vous auriez votée si elle n’avait pas disparu ! Si le texte a évolué depuis la première, c’est bien parce que le dialogue social a joué son rôle ! D’ailleurs, dans la première version, il n’y avait pas le retour aux 39 heures payées 35 !

M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. Dans le texte de la commission non plus !

M. Didier Guillaume. Il n’y avait pas la modification des seuils sociaux, la suppression du mandatement syndical, le travail des apprentis au-delà de dix heures par jour dès quatorze ans ou l’instauration d’un temps partiel inférieur à vingt-quatre heures par semaine !

Faites-nous donc grâce des faux débats ! Il y a un texte, qui est un texte d’équilibre et de progrès social !

J’en viens au désormais fameux article 2, qui est au cœur du débat.

Oui, pour nous, la décentralisation, y compris la décentralisation du dialogue social, est importante ! L’inversion de la hiérarchie des normes ne nous choque pas. Mais l’inversion de la hiérarchie des priorités est essentielle à nos yeux.

Oui, il faut donner priorité aux acteurs de terrain et aux salariés dans les entreprises ! Oui, il faut donner priorité aux syndicats ! Contrairement à d’autres, nous sommes favorables aux syndicats. Nous voulons travailler avec eux. Nous les considérons non pas comme un problème ; ils ont un rôle fort à jouer ! La majorité des accords des 700 branches n’ont pas été renouvelés depuis plus de vingt ans.

Le projet de loi garantit un équilibre. Nous ne voulons pas revenir sur l’article 2. À nos yeux, c’est un nouveau modèle social qu’il faut créer. C’est le sens de la social-démocratie affirmée, revendiquée et sereine que nous entendons mettre en œuvre.

Chers amis du groupe CRC, vous affirmiez voilà quelques instants que François Hollande n’avait pas été élu pour renverser la hiérarchie des normes et donner les clés au MEDEF.

Mme Annie David. C’est pourtant ce qu’il a fait !

M. Didier Guillaume. Mais non ! Il a été élu pour améliorer la situation des entreprises tout en protégeant les salariés. C’est ce qu’il a fait avec le pacte de responsabilité ou le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le CICE.

M. Pierre Laurent. C’est n’importe quoi !

M. Didier Guillaume. Aujourd’hui, les marges des entreprises sont plus fortes.

Il l’a fait aussi en partant du principe que l’économie, loin d’être un adversaire, était l’alpha et l’oméga de l’évolution de notre société, à condition de veiller à la protection des salariés. Son action s’inscrit dans ce cadre.

Certes, nous ne sommes ni aveugles ni sourds. Nous voyons qu’il y a des grèves et des manifestations. Il ne nous a pas échappé que des électeurs de gauche se détournaient du Gouvernement et du Président de la République. Mais il ne nous a pas échappé non plus qu’ils ne se tournaient pas vers vous ! (Mme Patricia Schillinger applaudit.)

M. Pierre Laurent. Parce qu’ils vont vers la droite !

M. Didier Guillaume. Peut-être devrions-nous avoir cette réflexion ensemble. Pour convaincre ces électeurs de revoter pour François Hollande pour 2017,…

Mme Annie David. Il est donc candidat ?

M. Didier Guillaume. … nous devons leur apporter une explication claire du modèle de société, du modèle économique et social que nous ambitionnons.

Notre groupe aborde ce débat avec sérénité. Nous défendrons un nouveau contrat social, avec la conviction que nous agissons non pas pour nous-mêmes, mais dans l’intérêt des salariés et des Français.

Le Gouvernement aurait pu se contenter de trois années de réformes sur les cinq dont il disposait. Mais il a décidé de déposer un texte majeur au cours de la dernière année du quinquennat, parce que c’est l’intérêt de la France et des Français !

Le projet de loi Travail est un beau texte. Appelons un chat un chat, il est mal accepté par la population. Nous avons encore beaucoup de mal à en expliquer les tenants et les aboutissants. Mais nous y parviendrons. Ce projet de loi, qui établira les nouvelles relations sociales en France, est avant tout un texte de clarification politique, sociale et économique ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et sur plusieurs travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Desessard.

M. Jean Desessard. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission des affaires sociales, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, le Gouvernement nous présente aujourd’hui un projet de loi qui ambitionne de moderniser le droit du travail. Il se targue de laisser une place prépondérante au dialogue social et à la négociation collective.

Pourtant, force est de constater que le Gouvernement s’est éloigné de l’approche participative, en ne consultant pas les syndicats en amont et en ayant recours au 49.3.

Madame Bricq, j’ai entendu les propos que vous avez tenus tout à l’heure. Je vous rappelle simplement que vous étiez jadis opposée au 49.3.

Mme Nicole Bricq. Quand et où ?

M. Jean Desessard. Quand ce n’était pas vous qui l’utilisiez ! (Rires sur les travées du groupe écologiste, du groupe CRC, de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)

Mme Catherine Procaccia. Quand la droite était au pouvoir !

M. Jean Desessard. Vous pouvez arguer que le Gouvernement est obligé d’y recourir parce qu’il est coincé.

M. Didier Guillaume. Tout dépend des circonstances !

M. Jean Desessard. Mais affirmer que cela participe de la démocratie parlementaire, c’est un peu fort de café !

M. Didier Guillaume. Rocard l’a utilisé 28 fois !

Mme Nicole Bricq. Par exemple pour créer le RMI !

M. Jean Desessard. Madame la ministre, aujourd’hui, la droite sénatoriale vous permet de jouer sur la corde de la défense des salariés et de prétendre incarner un équilibre. Entre l’opposition des plus radicaux à gauche et celle de la droite, le Gouvernement occuperait une position médiane.

Ce n’est pas mon point de vue. Pour moi, vous avez ouvert les vannes de la flexibilité au travail. Comme vous avez placé les réformes chères au MEDEF en haut du toboggan, la droite n’a plus qu’à les laisser glisser pour aboutir à une véritable régression sociale. Ce n’est pas un équilibre ; c’est un retour en arrière !

Si la flexibilité n’est pas assortie d’une sécurisation des parcours professionnels et de garanties pour l’emploi, peut-on réellement parler de modernisation ? Quelle modernisation ? Et pour qui ?

Nous refusons de participer à une telle course au moins-disant social, où la norme reviendrait à s’aligner sur les plus bas salaires et conduirait à l’absence de sécurité de l’emploi.

Vous avez déclaré que l’on pouvait faire confiance aux partenaires sociaux. Or le MEDEF en fait partie. Où est le million d’emplois qu’il devait créer grâce à la mise en œuvre du CICE ?

M. Jean Desessard. Les milliards d’euros que le Gouvernement lui a accordés auraient été mieux employés par les collectivités territoriales, qui auraient pu les investir, conclure des marchés avec les entreprises,…

M. Didier Guillaume. C’est ce qu’elles vont faire !

M. Jean Desessard. … permettant ainsi des embauches dans les territoires. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. Jean-Pierre Caffet. Et la dette ?

M. Jean Desessard. Mes chers collègues, nous avons bien le droit de ne pas avoir la même conception que le Gouvernement !

Nous rejetons la philosophie du texte, même si quelques mesures semblent intéressantes. Je pense par exemple au compte personnel d’activité, qui regroupe dans un même dispositif les droits liés à la formation, à la pénibilité et à l’engagement citoyen. La perspective d’y inclure le compte épargne-temps nous convient également. Nous sommes favorables aux droits attachés à la personne, qui tiennent compte du parcours accompli en tant que salarié, mais aussi en tant que citoyen.

Cela a été rappelé, le texte a suscité dès sa présentation un certain nombre d’inquiétudes dans le pays. Le président du groupe socialiste l’a lui-même reconnu. Ces inquiétudes sont partagées par une partie des forces syndicales et politiques, dont les écologistes.

Au premier abord, l’idée de mener les négociations à l’échelle de l’entreprise paraît séduisante. Mais il faut tenir compte du contexte ! Peut-on parler de liberté lorsque le climat est défavorable aux salariés, dans le cadre de la concurrence mondiale ? Peut-on parler de liberté quand une contrainte économique pèse sur un grand nombre de salariés ? La crainte de perdre son emploi ou de se voir refuser le renouvellement de son contrat n’entraîne-t-elle pas, pour le salarié, le risque de se laisser imposer un certain nombre de conditions de travail par l’employeur ? (Mme Corinne Bouchoux acquiesce.)

L’idée est peut-être séduisante, mais le contexte est favorable aux chefs d’entreprise soumis à la concurrence, et non aux salariés.

À cet égard, l’article 2 est tout à fait significatif. Il concède une place prépondérante à la négociation collective à l’échelle de l’entreprise en matière de temps de travail.

La question du temps de travail revêt une grande importance dans la vie professionnelle. Elle détermine le temps passé sur le lieu de travail, le salaire perçu et la vie personnelle des salariés.

La santé, la vie familiale, le temps libre, c’est cela, le progrès social ! Pour les salariés, ce temps de vie est trop important pour que l’on puisse courir le risque de laisser la pression économique guider la négociation collective.

Madame la ministre, aurait-on instauré les congés payés ou la sécurité sociale par le biais d’accords d’entreprise ? (Mme Nicole Bricq s’exclame.)

M. Didier Guillaume. Cela n’a rien à voir !

M. Jean Desessard. Mais si ! Le rapport de force n’est pas au niveau de l’entreprise.

L’évolution des règles applicables aux licenciements économiques suscite également notre désapprobation. En effet, ce type de licenciements nous paraît clairement facilité au regard des critères retenus. Ces derniers permettent aux entreprises de créer artificiellement des difficultés financières. Le texte doit évoluer. Le licenciement pour motif économique doit être une solution de dernier recours. Le juge doit avoir plus de latitude pour en apprécier les difficultés.

Plus généralement, à nos yeux, la meilleure manière de créer des emplois n’est pas de s’aligner sur le moins-disant mondial.

Mme Nicole Bricq. Mais qui dit cela ?

M. Jean Desessard. Au contraire, valorisons nos atouts.

Jamais la France ne pourra offrir des salaires compétitifs face aux pays asiatiques en développement ; ce n’est pas possible !

Mme Nicole Bricq. Qui parle de cela ?

M. Didier Guillaume. Ce n’est pas le sujet !

M. Jean Desessard. Mais si ! C’est bien votre objectif ! (Protestations sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain.)

M. Jean-Pierre Caffet. Mais c’est absurde !

M. Jean Desessard. Je ne vous le fais pas dire ! (Sourires sur les travées du groupe écologiste et du groupe CRC.)

Le travail bien fait, la créativité sont la véritable force de notre pays. Elle réside également dans nos infrastructures et dans notre niveau de formation, dans une administration qui contrôle et qui rassure quant à la qualité des produits, et plus largement dans les services publics. Voilà ce qu’il nous faut préserver et valoriser !

Je n’ai pas le temps d’analyser le texte de la droite sénatoriale.

M. Philippe Dallier. Vous avez trop à faire à gauche ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)

M. Jean Desessard. Mais nous aurons deux semaines pour cela.

Nous ne voterons ni le texte adopté via le 49.3 à l’Assemblée nationale ni celui de la commission des affaires sociales du Sénat, qui fait un pas de plus dans le sens de la régression sociale ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe CRC. – Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. David Rachline.

M. David Rachline. Madame la présidente, madame le ministre, chers collègues, les crispations autour de ce projet de loi sont nombreuses. Nous pourrions nous demander comment on en est arrivé là. Comme le soulignent la grande majorité des observateurs, ce texte est franchement assez vide.

D’ailleurs, commencer un texte de loi censé réformer le droit du travail par un article instituant une commission pour faire des propositions dans ce sens, c’est assez baroque !

M. François Marc. Mais oui ! Il faut un chef, un point c’est tout…

M. David Rachline. On en est là, car les promoteurs de ce texte tout comme ses opposants les plus virulents n’ont pas, ou plutôt plus de légitimité. Ils en sont donc réduits à faire de la surenchère pour donner l’illusion qu’ils agissent.

Les premiers ne sont en réalité que les scribes de la Commission européenne – je vais y revenir –, tandis que les autres ne représentent plus personne, et surtout pas l’immense majorité des salariés de ce pays.

Si les leaders syndicaux défendaient réellement les salariés français et nos millions de compatriotes au chômage, ils commenceraient par bloquer les entreprises qui font du dumping social en ayant recours aux travailleurs détachés plutôt que les raffineries ou les transports. Le nombre de ces travailleurs détachés a augmenté de 20 % en 2015, alors que des millions de nos compatriotes sont au chômage.

Il me semble nécessaire d’expliquer, pas à vous mes chers collègues, encore moins à vous madame le ministre – vous ne le savez que trop bien –, mais à nos compatriotes d’où vient ce projet de loi.

Comme je suis assez traditionnel en matière de filiation, je dirai que, comme tout enfant, ce projet de loi à un père et une mère ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

Mme Michelle Meunier. C’est n’importe quoi !

M. David Rachline. Son père, c’est l’euro ; sa mère, c’est la stratégie de Lisbonne.

Honneur aux dames : commençons par sa mère ! Ce texte émane directement des grandes orientations de politique économique, les GOPE, avis de technocrates de la direction générale des affaires économiques de la Commission européenne, qui, avec l’article 121 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, le TFUE, deviennent les recommandations du Conseil aux États membres.

Or le TFUE émane du traité de Lisbonne, celui-là même, souvenez-vous, que le peuple français a rejeté par référendum, mais que l’UMPS a ratifié au Parlement par un acte profondément antidémocratique !

La déclinaison des GOPE fait évidemment l’objet d’une surveillance de la part de la Commission.

Je vous cite ces recommandations pour 2016 : « Réformer le droit du travail afin d’inciter davantage les employeurs à embaucher en contrats à durée indéterminée ; faciliter, aux niveaux des entreprises et des branches, les dérogations aux dispositions juridiques générales, notamment en ce qui concerne l’organisation du temps de travail ; réformer la loi portant création des accords de maintien de l’emploi d’ici à la fin de 2015 en vue d’accroître leur utilisation par les entreprises ». On croirait lire l’exposé des motifs du projet de loi !

J’ai parlé de la mère de ce texte. Il me faut à présent évoquer son père : l’euro.

M. François Marc. L’Euro ? On va le gagner ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. David Rachline. Au cas où vous l’auriez oublié, la monnaie est un levier économique puissant. Or vous avez donné cet outil à l’Union européenne. Il vous reste donc à agir sur les quelques outils qu’il vous reste. Comme l’euro est surévalué pour l’économie française, comme son fonctionnement empêche toute dévaluation compétitive, il n’y a plus qu’un seul levier pour gagner en compétitivité-coût : c’est évidemment de jouer sur les salaires.

M. Pierre Laurent. Parlez-nous plutôt de vos amendements !

M. François Marc. Oui ! Où sont vos amendements ?

M. David Rachline. En outre, les banquiers ont une fâcheuse tendance à faire passer la rémunération du capital avant celle du travail. Comme la zone euro est totalement soumise aux marchés, ils font du chantage à l’investissement sur les pays membres, les capitaux se délocalisant encore plus vite que les travailleurs.

Enfin, comme, à cause de l’euro, notre politique budgétaire est encadrée, pour ne pas dire surveillée étroitement par Bruxelles, l’unique levier économique que vous pouvez actionner est celui qui touche les salariés.

Bref, la crise provoquée par ce texte vient tout droit de notre perte de souveraineté et de notre soumission à cet organisme non élu qu’est la Commission européenne. D’ailleurs, cette dernière ne s’en cache pas.

Lors d’un passage à Paris, le commissaire Valdis Dombrovskis, vice-président de la Commission chargé de l’euro et du dialogue social, a salué la loi El Khomri comme une heureuse initiative « destinée à répondre aux rigidités du marché du travail » et qui devrait, selon lui, « relancer l’emploi ».

Madame la ministre, permettez-moi de vous plaindre. Vous êtes devenue un bouc émissaire, alors que vous n’y êtes finalement pas pour grand-chose. Cette crise souligne ce que nous disons depuis des années : nous ne sommes plus maîtres chez nous ! Dans les faits, un ministre de la France n’est plus qu’un simple scribe ou, si vous préférez, le service client de la Commission européenne !

Cela explique également votre entêtement à faire passer ce texte, alors que vous n’avez plus de majorité au Parlement et que la majorité des Français exprime son opposition.

Pour réformer notre pays, il faut avant tout de la légitimité. Bruxelles, à qui nous avons abandonné notre souveraineté législative, n’en a pas ! Les syndicats qui bloquent honteusement notre pays n’en ont pas non plus !

Je ne pense nullement qu’il faut garder le droit du travail en l’état et qu’aucune réforme n’est nécessaire. Mais, pour que les réformes indispensables soient acceptées par les Français, elles doivent être défendues par des acteurs légitimes.

Les Français sont prêts aux réformes, même importantes. Ils voient bien que le monde du travail évolue. Mais ils veulent que ces réformes soient l’expression de leur choix, et non qu’elles soient imposées par je ne sais quel technocrate bien éloigné des réalités du terrain.

Il nous faut donc retrouver une souveraineté pleine et entière,…

M. François Marc. Voilà ! Il faut un chef, un grand ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. David Rachline. … dans les domaines économique et législatif. Il nous faut des représentants des salariés qui soient eux aussi légitimes ; ils doivent être au service des salariés, et non d’eux-mêmes et d’une idéologie !

Ne vous étonnez pas des blocages ! Ils ne sont que le fruit de votre politique. Les salariés exerçant – il faut le rappeler – leur droit constitutionnel ne sont que la partie visible de l’opposition du peuple de France à votre politique.

Vous souhaitez mettre fin à cette crise économico-sociale ? Retirez ce texte ; retrouvons notre souveraineté ; réformons le syndicalisme ! Alors, les Français sauront faire le choix de la réforme, une réforme au service des entreprises françaises, des salariés français, bref une réforme au service de la France !

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Dallier.

M. Philippe Dallier. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, depuis un quart de siècle, le monde change à une vitesse que peu d’observateurs avaient anticipée.

À la fin des années 1980, la Chine et les pays émergents se sont lancés dans une course effrénée à la production et à la consommation. La division internationale du travail en a été bouleversée.

La chute du mur de Berlin et la fin du système communiste, cher à certains à l’époque, ont entraîné dans cette compétition mondiale près de 100 millions d’Européens, qui vivent leurs « trente glorieuses », alors que, chez nous, ces dernières ne sont plus qu’un lointain souvenir.

À présent, une révolution numérique qui n’en est qu’à son commencement bouleverse l’idée même que nous nous faisons du travail et de l’emploi, notamment dans le domaine des services.

Oui, le monde change ! Comme le disait le général de Gaulle sur un tout autre sujet, nous pouvons toujours regretter le temps de la marine à voiles et des lampes à huile, mais cela n’y changera rien ! Il nous faut voir le monde tel qu’il est. Regardons vers l’avenir et utilisons nos atouts, qui sont nombreux.

Pour nous, les choses sont claires. Il n’y a pas d’autre choix que de nous adapter le mieux possible, afin de rester dans la course d’une économie mondiale qui n’a que faire de nos regrets, de nos états d’âme et même souvent, c’est vrai, du désespoir de nos concitoyens voyant leur emploi disparaître.

Attendre ou bouger, c’est la seule alternative. Attendre, c’est avoir la certitude de voir se poursuivre les délocalisations, la certitude que les investissements et les emplois nouveaux seront créés ailleurs. Et puis attendre quoi ? Que le reste du monde adopte les mêmes règles que celles que nous nous sommes imposées ? Certes, elles sont toujours pétries de bonnes intentions. Mais certaines – je dis bien « certaines » – sont devenues des boulets aux pieds de nos entreprises, grandes ou petites.

Alors oui, il faut bouger ! Cela ne signifie pas que nous devions passer notre modèle par pertes et profits dans une course au moins-disant social ; personne ne propose cela, malgré les caricatures que nous entendons régulièrement. Néanmoins, ne pas nous adapter reviendrait à coup sûr à perdre cette guerre économique, comme nous en avons perdu d’autres, retranchés derrière la ligne Maginot de nos certitudes et de notre immobilisme.

Bouger, le Gouvernement semblait enfin s’y être résolu. Je dis « enfin », car il aurait fallu aborder dès 2012 – cela aurait d’ailleurs valu pour n’importe quelle nouvelle majorité – le problème de l’emploi et de la compétitivité de nos entreprises de manière globale. On sait ce qu’il en a été. Vous avez détricoté toutes les mesures que nous avions adoptées en ce sens. Je pense notamment la TVA sociale, que le Président de la République a même regretté d’avoir supprimée.

M. Didier Guillaume. Ça ne fonctionnait pas !

M. Philippe Dallier. Puis, vous avez assommé les entreprises et les particuliers d’impôts et de taxes.

Les résultats ne se sont pas fait attendre : croissance atone et chômage en forte hausse. Les chiffres sont là, et ils sont cruels. C’est d’ailleurs pour cela que le Gouvernement s’est décidé à bouger. Depuis 2012, la croissance française a été deux fois plus faible, à 2,1 %, que dans les pays de l’OCDE, à 5,4 %. Fin 2015, notre taux de chômage s’élevait à 10,4 % quand il ne dépassait pas 6,8 % dans l’OCDE.

M. Didier Guillaume. Oui, mais notre modèle social est préservé !

M. Philippe Dallier. Ainsi, il y a aujourd’hui deux catégories de pays en Europe.

Les uns ont fait des réformes, soit avant la crise, comme l’Allemagne, soit après, comme l’Angleterre et l’Italie. Ils profitent aujourd’hui de la reprise. Et nous, nous n’avons quasiment rien fait. En 2012, le taux de chômage de l’Angleterre était à peu près le même que le nôtre. Quatre ans plus tard, il est à 5 %, contre plus de 10 % chez nous !

M. Didier Guillaume. Oui, mais avec des petits jobs et de la précarité !

M. Philippe Dallier. L’an dernier, alors que l’Italie enregistrait 200 000 embauches, et l’Allemagne plus de 300 000, nous avons péniblement créé 40 000 emplois marchands.

Le Président de la République voudrait convaincre les Français que « ça va mieux » alors que trois millions et demi d’entre eux cherchent un emploi, sans compter tous ceux qui ne travaillent que quelques heures par mois ou n’occupent qu’un emploi aidé. D’ailleurs, cela semble votre formule préférée pour faire reculer le chômage, en tout cas dans les statistiques. Au total, près de 5,6 millions de nos compatriotes attendent des réponses efficaces en matière d’emploi.

Que de temps perdu ! Certes, l’initiative même de ce texte et le contenu de son avant-projet, reprenant certaines propositions du rapport Combrexelle, laissaient penser que le Gouvernement avait compris où étaient les clés du problème. Ce texte, nous étions prêts à l’approuver et, bien sûr, à l’améliorer ; c’est aussi le rôle du Sénat. Mais, faute de majorité à l’Assemblée nationale, et malgré l’utilisation du 49.3, vous êtes réduits à une quasi-impuissance. Vous présentez au Sénat un texte largement vidé de sa substance initiale.

Il était pourtant facile de prévoir, en se remémorant le discours du Bourget, qu’une grande majorité des électeurs de François Hollande et même des députés de sa majorité auraient, avec ce texte, le sentiment d’avoir été trompés. Depuis lors, de reculade en reculade, vous aurez finalement réussi l’exploit – c’est bien le seul – d’agréger contre vous la quasi-totalité de l’opinion, de ceux qui manifesteront encore demain à ceux qui plaçaient quelques espoirs dans vos intentions premières, sans compter l’immense majorité des usagers des services publics, qui en ont assez d’être pris en otage par les jusqu’au-boutistes de la CGT et de SUD ! (Mme Éliane Assassi s’exclame ironiquement.)

Pour sortir de cette impasse, il semble que le Gouvernement attende avec impatience – vous nous l’avez vous-même répété, madame la ministre – la version de son projet de loi revue et corrigée par le Sénat.

Mme Catherine Procaccia. Pour mieux la démolir ensuite !

M. Philippe Dallier. Le Gouvernement rêve tout haut d’une réconciliation de la gauche, non pas pour un texte, mais contre celui que le Sénat adoptera. (Mme Catherine Procaccia applaudit.) D’ailleurs, il le qualifie déjà d’« ultralibéral ».

M. Didier Guillaume. À juste titre !

M. Philippe Dallier. Il espère ainsi faire apparaître en creux la prétendue dimension sociale du sien.

J’ai une mauvaise nouvelle pour vous, madame la ministre : le Gouvernement sera déçu. Au bout du compte, il n’y aura pas, comme vous en rêvez – ce serait tellement simple –, ceux qui défendraient les salariés et ceux qui défendraient les méchants patrons.

Mme Nicole Bricq. Et pourtant…

M. Philippe Dallier. Pour preuve, nous allons reprendre les bonnes mesures qui se trouvaient dans le projet initial du Gouvernement. Contraints et forcés, vous avez dû revoir votre texte, jusqu’à le rendre de plus en plus confus. Ce texte ne protège plus in fine que ceux qui ont un emploi, les insiders. Il ne concerne pour l’essentiel que les grandes entreprises. Il oublie ces millions de Français qui attendent à la porte du marché du travail, les outsiders.

Nous proposerons donc une série de mesures reposant sur la recherche d’un juste équilibre entre les intérêts des salariés et ceux de l’entreprise. C’est dans ce sens que nous allons réécrire ce texte, en y ajoutant des mesures en faveur des salariés auxquelles vous n’aviez même pas songé. Nous rétablirons les dispositions supprimées, et nous maintiendrons celles qui visent à faciliter les embauches en assouplissant un cadre juridique actuellement trop rigide.

En particulier, nous rétablirons le fameux principe d’inversion de la hiérarchie des normes, qui donne à l’accord d’entreprise la primauté en cas d’accord majoritaire par rapport à l’accord de branche. Ces accords doivent permettre une plus grande souplesse en matière de temps de travail lorsque c’est nécessaire.

Nous rétablirons le plafonnement des dommages et intérêts accordés aux prud’hommes en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse ou la prise en compte du périmètre national en matière de licenciement économique. Vous l’aviez d’ailleurs proposé, madame la ministre.

Plus généralement, nous rétablirons toutes les mesures pouvant avoir un effet positif sur la création d’emplois, aujourd’hui bloquée, notamment dans les PME et les TPE, par la simple peur de l’avenir et d’un retournement de conjoncture. Nous savons que des dizaines de milliers d’emplois, voire plus, pourraient ainsi être créés.

En revanche, nous supprimerons ou nous assouplirons les dispositions contraires à votre objectif initial de simplification du droit et d’allégement des contraintes. Je pense notamment au compte d’engagement citoyen, un mécanisme inabouti et absent de l’avant-projet de loi, qui n’a été ni chiffré ni précisément défini.

Nous aménagerons le dispositif sur les accords offensifs, qui doivent avoir pour objet d’aider les entreprises à se développer, mais également de garantir la participation des salariés.

Nous avons l’intention d’adopter des mesures telles que la clause de retour à meilleure fortune, afin que les salariés soient associés à la réussite de l’entreprise. Il arrive heureusement que des entreprises en difficulté à un moment donné renouent avec la réussite. Dans ce cas, il faut que les salariés ayant fait des efforts en obtiennent un retour.

Le groupe Les Républicains a également déposé des amendements pour améliorer le texte de la commission. Il s’agit d’adopter des règles plus simples et plus souples en matière de contrat de travail, des mesures en faveur de l’apprentissage – vous avez aussi eu le grand tort de les supprimer en 2012, alors qu’elles auraient été efficaces – et un mode de relation entre les entreprises et l’administration fondé sur la confiance.

Nous proposerons également des mesures destinées à assurer une meilleure participation des salariés aux bénéfices des entreprises. C’est un point essentiel pour nous. Tous ceux qui contribuent à la création de richesses, au cœur de chaque projet d’entreprise, doivent pouvoir en partager les fruits, puisqu’ils en partagent aussi les risques. D’ailleurs, l’une des premières décisions de votre gouvernement avait été de taxer la participation de façon absurde !

Nous avons fait le choix de ne retenir que des propositions inscrites dans la ligne du projet initial, même si, à nos yeux, notre pays a besoin d’un programme plus global de réformes et d’une vision d’ensemble qui lui fait cruellement défaut.

Le groupe Les Républicains soutiendra évidemment le texte de la commission. Il tentera de l’améliorer encore, et salue le travail de ses rapporteurs. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l’UDI-UC, ainsi qu’au banc des commissions.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marie Vanlerenberghe.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, voilà quelques jours, j’ai rencontré un chef d’entreprise belge lors de l’inauguration d’une nouvelle ligne de production de sa société, une boulangerie industrielle en pleine expansion. Il m’a tenu des propos très amènes, mais pas surprenants, sur l’esprit de responsabilité et de mesure des salariés français par rapport à leurs homologues belges. Il m’a imploré de ne pas l’obliger à revenir sur l’accord d’entreprise, prioritaire à ses yeux, relatif à l’organisation du travail, s’agissant notamment de la durée du travail et du travail de nuit.

Certes, il ne s’agit là que d’un avis. Mais ces propos font écho à ce qu’exprimait voilà peu M. Pierre Nanterme, président-directeur général d’Accenture, groupe mondial de conseil en technologie : « Le bon sens amène à dire qu’on ne peut pas réguler le temps de travail de la même manière dans une start-up, dans un grand groupe, dans une entreprise manufacturière ou encore pour une aide à domicile. […] Il faut fixer une butée […] et laisser la gestion des conditions de travail au plus près des entreprises. En France, nous faisons l’inverse, c’est normal que cela ne fonctionne pas ».

C’est cet appel à la liberté que le Gouvernement avait entendu, en lançant le projet de loi Travail ; je vous en donne acte, madame la ministre. Néanmoins, en n’organisant pas suffisamment en amont la concertation avec les partenaires sociaux – cela a été souligné –, en n’expliquant pas assez tôt ni assez en détail la philosophie du texte, le Gouvernement a laissé s’exprimer les peurs les plus diverses, et il a engagé notre pays dans une crise sociale importante.

Je ne parle pas ici de ceux qui refusent le changement au nom de leur idéologie. (M. Dominique Watrin s’esclaffe.) Je ne parle pas non plus de ceux qui essaient de bloquer le pays en manipulant des salariés qui ne sont pas concernés par le projet de loi.

Mme Éliane Assassi. Oh ! Ils sont très forts… (Sourires sur les travées du groupe CRC.)

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Je parle de tous les autres, notamment des membres de ce que j’appellerais la « gauche déboussolée ».

Madame la ministre, en raison du rejet du texte par une partie de votre majorité, vous n’avez pas souhaité poursuivre les débats à l’Assemblée nationale. C’est votre droit. Mais vous ne pouvez pas recourir au 49.3 au Sénat. Nous aurons donc deux semaines de discussions ; j’espère qu’elles seront profitables.

M. Didier Guillaume. C’est vraisemblable… (Sourires sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. La majorité sénatoriale a d’ailleurs décidé d’adopter une démarche réformiste. Elle prendra le temps d’expliquer ce qu’elle a retenu et ce qu’elle a rejeté de votre projet initial. Elle indiquera sa vision de l’organisation du travail dans notre pays.

J’espère que vous saurez nous entendre. À l’instar de Laurent Berger, le secrétaire général de la CFDT, et de l’ensemble des syndicats réformistes, nous pensons qu’il faut faire évoluer le code du travail pour qu’il « reste protecteur face aux changements des emplois et du travail ».

M. Olivier Cadic. Très bien !

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Avant d’aller plus loin dans l’analyse du texte, je tiens à saluer l’immense travail de nos rapporteurs, MM. Jean-Baptiste Lemoyne, Jean-Marc Gabouty et Michel Forissier,…

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. … et celui de la commission des affaires sociales en général.

M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. Tout à fait.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Le texte présenté au Sénat était loin d’être satisfaisant, y compris d’un point de vue technique. Les conséquences des renoncements et des concessions accordées çà et là pour calmer telle ou telle catégorie se mesuraient au travers de ces imperfections.

En procédant ainsi, le Gouvernement s’est éloigné de l’esprit de son avant-projet, qui allait pourtant dans le bon sens. C’est la volonté de revenir à cette première intention qui a guidé les travaux des rapporteurs ; ils l’ont rappelé tout à l’heure. Il s’agit de définir ce qui, en droit du travail, relève de la loi, de l’accord de branche ou de l’accord d’entreprise.

Je salue également le rapport que ma collègue Annick Billon a fait au nom de la délégation aux entreprises. Ce document très éclairant justifiera un certain nombre d’amendements constructifs.

Je voudrais aussi évoquer plusieurs dispositions du texte, qui me semblent parmi les plus importantes. Olivier Cadic précisera la position de notre groupe sur d’autres aspects tout aussi essentiels.

L’article 2 illustre, pour ce qui concerne la durée du travail, les trois niveaux de décision, en plaçant prioritairement la négociation au cœur de l’entreprise et, à défaut, de la branche. Je salue cette avancée, qui va dans le sens d’une meilleure prise en compte de la diversité du monde du travail d’aujourd’hui.

Notre groupe soutiendra donc l’amendement, négocié avec les rapporteurs, visant à fixer, en cas d’absence d’accord, la durée de travail de référence dans une fourchette dont la limite supérieure ne peut pas excéder 39 heures, sans perte de pouvoir d’achat pour les salariés, ce que prévoit l’alinéa 745 de l’article.

J’ai d’abord cru que l’article 10 consacrait la validation d’un accord par des organisations syndicales représentant plus de 50 % des salariés ; cela paraissait de bon sens. Malheureusement, on m’a convaincu qu’en l’état du dialogue social dans certaines entreprises, cela aurait pour conséquence de bloquer ces accords. Il faudra pourtant y parvenir ; je ne conçois pas qu’un accord puisse être durablement adopté par une minorité des salariés, même en l’absence d’opposition majoritaire. Notre groupe soutiendra donc l’amendement, négocié lui aussi avec les rapporteurs, tendant à établir un calendrier de révision de cet article.

Je crois ensuite que les accords de développement de l’emploi prévus à l’article 11 ne doivent pas s’accompagner d’une baisse des salaires. Si celle-ci peut se comprendre dans le cadre d’accords défensifs, lorsque l’entreprise connaît des difficultés et qu’il faut tout mettre en œuvre pour lui permettre de survivre et de sauver des emplois, elle ne se justifie pas lorsqu’il faut conquérir de nouveaux marchés pour se développer. Les salariés doivent prendre leur part de l’effort, mais rien que leur part.

Je voudrais également évoquer la garantie jeune, prévue à l’article 22. Le Gouvernement a choisi de la généraliser et de la rendre universelle.

M. Didier Guillaume. Et il a raison !

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Pourquoi tant de précipitation, sinon pour tenter de calmer la grogne d’organisations syndicales étudiantes ? Encore une fois, ce sont de mauvaises raisons qui ont poussé ce gouvernement à vouloir aller trop vite.

Plusieurs départements expérimentent ce dispositif, qui est intéressant et qui peut devenir un outil efficace de lutte contre le chômage de certains jeunes très éloignés du monde du travail. En faire une allocation universelle le détournerait de sa vocation originelle, qui mêle accompagnement personnalisé…

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. … et dynamique collective.

Mme Nicole Bricq. Mais c’est une bonne chose !

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Attendons le bilan de cette expérimentation et le retour d’expérience des missions locales pour améliorer cet outil et nous assurer de son succès.

Madame la ministre, mes chers collègues, il ne faut pas avoir peur de l’entreprise. Les employeurs ne martyrisent pas les salariés, et ces derniers ne sont pas irresponsables. Nous ne pouvons pas nous permettre une vision aussi manichéenne, fondée sur la lutte des classes. Sortons de cette culture de l’affrontement ; nous savons qu’elle ne mène à rien ! Les entreprises sont des communautés humaines. Il faut leur donner les moyens de s’organiser dans un cadre à la fois souple et protecteur.

Je me réjouis donc qu’un vent de liberté souffle sur l’économie française. Je vous invite tous à faire preuve de mesure, mes chers collègues. Pour construire une société plus juste, cultivons les vertus essentielles du dialogue et de la négociation. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.)

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Amiel.

M. Michel Amiel. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, avant d’en venir au texte, je voudrais évoquer le contexte.

Jamais la parole publique n’a été frappée d’autant de suspicion, qu’elle soit portée par les politiques, les syndicats ou l’État ! Il s’agit en réalité d’une remise en question de la démocratie représentative, alors que le référendum devient une nouvelle « passion française », pour reprendre le titre d’un grand quotidien, et que certains voudraient consulter le peuple par voie référendaire pour un oui ou pour un non.

Curieusement, ce sont les mêmes qui s’opposent à la primauté des accords d’entreprise – au motif, bien réel, qu’ils affaiblissent les corps intermédiaires – sur les accords de branche.

C’est dans ce contexte de crise de la démocratie que, à mon sens, trois erreurs ont été commises.

La première, celle du calendrier, a consisté à sortir un texte plutôt libéral à un an des élections nationales, comme pour prouver que la famille de gauche, à laquelle j’appartiens, était capable de réformer, de proposer un nouveau contrat social. Peut-être eût-il fallu le faire quatre ans plus tôt !

La deuxième a été l’absence de travail pédagogique à destination du citoyen sur un sujet aussi complexe que le code du travail, souvent affaire de spécialistes, alors qu’il concerne chacun des travailleurs.

La troisième erreur a été le passage en force, grâce au 49.3, à l’Assemblée nationale. Tout a été dit à ce sujet.

Le débat aura au moins lieu au Sénat, même si ce n’est finalement pas pour grand-chose…

M. Michel Amiel. Dans ces conditions, que dire du texte lui-même ?

Je ne pourrai pas aborder l’ensemble des dispositions dans les quelques minutes de temps de parole dont je dispose. J’ai donc fait le choix de donner un coup de projecteur sur quelques points. Je le rappelle, ce texte, qui contenait initialement 52 articles, a doublé de volume depuis.

J’évoquerai d’abord l’article 2, objet de toutes les polémiques. Disons-le tout de suite, la durée légale du temps de travail à 35 heures était maintenue dans le texte issu de l’Assemblée nationale.

Auparavant de dix heures, la durée maximale de travail par jour pouvait être portée à douze heures en cas d’augmentation de l’activité de l’entreprise ou pour des motifs d’organisation.

De même, la durée maximale de travail hebdomadaire de 48 heures par semaine pouvait être portée à 60 heures, mais cette augmentation devait être autorisée par l’inspection du travail et ne pouvait être appliquée qu’en cas de circonstances exceptionnelles. La possibilité de passer à une moyenne hebdomadaire de travail à 46 heures, au lieu de 44 heures, sur une période de douze semaines consécutives nécessitait un accord d’entreprise.

La commission des affaires sociales a voulu aller plus loin en revenant à une durée légale du travail fixée à 39 heures, faute d’accord d’entreprise. Je ne la suivrai pas.

L’article 2, qui est au cœur des débats, a été rédigé sur la base des recommandations du rapport de Jean-Denis Combrexelle. Il réorganise selon une architecture ternaire les dispositions du code du travail relatives à la durée du travail et aux congés payés. Afin de consacrer le rôle de la négociation d’entreprise, il distingue le champ de l’ordre public, qui ne peut être modifié que par accord, de celui de la négociation collective, chargée de fixer des règles adaptées aux besoins et aux contraintes propres à l’entreprise et à ses salariés. Enfin, il détermine un cadre supplétif applicable en l’absence d’accord.

Alors, oui, il me paraît logique que les entreprises, qui se trouvent au plus près de telles problématiques, soient les plus à même de pouvoir trouver et mettre en place des solutions. Mais je souhaite vivement que cette marge de manœuvre nécessaire à leur meilleur fonctionnement puisse demeurer encadrée, afin de ne pas ouvrir la porte au dumping social. Il ne s’agit bien évidemment pas d’avoir un droit du travail pour chaque cas particulier !

Je voudrais brièvement aborder l’article 44 du texte, qui concerne la médecine du travail.

La santé et le bien-être au travail sont des questions primordiales ; les derniers débats que nous avons eus dans cet hémicycle à propos du burn-out l’ont encore démontré.

Le projet de loi que nous examinons aujourd’hui n’y consacre pourtant qu’un seul article, alors qu’une loi dédiée semblerait bien plus appropriée, voire indispensable, vu la pénurie criante de médecins du travail. Il convient d’engager une réflexion sur les pratiques avancées des professions paramédicales susceptibles de réaliser les visites de prévention – infirmières, psychologues…–, et ce dès l’embauche, mais aussi les visites de suivi, tout au long de la carrière professionnelle.

En attendant, même si la visite d’aptitude réalisée par un médecin, et pas seulement lors de l’embauche, reste bien évidemment la solution idéale, le pis-aller que constitue une visite d’information et de prévention me paraît acceptable avant cette loi plus globale que j’appelle de mes vœux.

Rappelons qu’il y va de la santé et du bien-être de la personne sur les lieux du travail, mais aussi de la responsabilité de l’employeur, voire du médecin !

Tout le monde est d’accord pour dire que l’apprentissage n’est pas considéré en France et qu’il constitue souvent un choix par défaut. Je me félicite des mesures proposées non seulement dans le texte du Gouvernement, mais aussi dans certains amendements : ouvrir l’accès à l’apprentissage dès quatorze ans ; l’élargir jusqu’à trente ans ; favoriser les passerelles entre l’éducation nationale et le monde de l’entreprise ; simplifier la collecte de la taxe d’apprentissage.

Le climat actuel et le calendrier politique me laissent assez circonspect. Je le dis sans arrière-pensée : l’utilisation du 49.3 sur ce projet de loi n’était probablement pas opportune.

Madame la ministre, la forme est aussi importante que le fond !

Si je partage bien des points du texte qui nous est proposé, le manque de pédagogie et l’usage du 49.3 me pousseraient volontiers à en demander le retrait, même si ce n’est pas pour les mêmes raisons que celles de la rue. À défaut d’écouter le peuple, écoutez au moins ses représentants ! Si le Gouvernement ne peut engager sa responsabilité sur le vote du projet de loi devant le Sénat, on sait parfaitement quel sera le devenir du texte, amendé, quand il retournera à l’Assemblée nationale !

Pour ma part, étant à la fois d’accord sur bien des dispositions du texte initial de l’Assemblée nationale et opposé aux durcissements que semble vouloir lui imposer le Sénat, je voterai contre la version qui nous est soumise, tout comme la majorité des membres du RDSE. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe écologiste, du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Cadic.

M. Olivier Cadic. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, la France est isolée.

C’est un constat difficile à admettre. Pourtant, c’est la triste réalité. Nous sommes le dernier grand pays européen à ne pas réussir à engager les réformes nécessaires pour simplifier le droit du travail. Nous refusons de nous donner les moyens d’être à la hauteur du potentiel de notre économie.

Entre mi-2013 et mi-2015, la France a créé 57 000 emplois dans le secteur privé. C’est huit fois moins que l’Allemagne, dix fois moins que l’Espagne et cinq fois moins que l’Italie ! En revanche, notre pays a créé 200 000 emplois publics sur des postes de fonctionnaire ou des contrats aidés.

Le Président de la République se réjouit de nos résultats. Il inverse la formule de Talleyrand pour en faire : « Quand je me regarde, je me console ; quand je me compare, je me désole ! » (Sourires sur les travées de l'UDI-UC.)

Quelle est la différence entre nos voisins et la France ? Leur capacité à réformer et à s’adapter au monde d’aujourd’hui.

Certains ont compris la nécessité de réformer notre droit du travail.

Je veux saluer la démarche de nos trois rapporteurs, MM. Jean Baptiste Lemoyne, Jean-Marc Gabouty et Michel Forissier. Ils ont eu à cœur de simplifier le texte, de le rendre plus juste, plus équilibré. Je ne reviendrai pas sur les nombreuses avancées qu’ils ont permises. Comme l’a souligné mon excellent collègue Jean-Marie Vanlerenberghe, les membres du groupe de l’UDI-UC ont soutenu leur approche en commission. Mais nous pouvons et nous devons encore aller plus loin, pour prétendre installer un environnement social compétitif.

En matière de législation sociale, nous avons un double problème : le poids de la réglementation et l’absence de dialogue social constructif ; d’ailleurs, le premier est la conséquence du second.

En effet, c’est une solution propre à la France que de chercher à prévoir et à inscrire dans la loi ou le règlement tous les cas possibles. Le résultat, c’est un code du travail de plusieurs milliers d’articles, devenu illisible et instable du fait des changements permanents et des interprétations contradictoires. Notre droit du travail est vite devenu incompréhensible pour les PME. Il l’est désormais aussi pour les grandes entreprises, pourtant pourvues de solides directions des ressources humaines.

L’épaisseur du code vient ainsi de l’incapacité des acteurs du dialogue social français à s’accorder, préférant s’en remettre à l’État.

Parmi les neuf priorités du pacte fondateur de l’UDI, nous souhaitons définir les négociations entre les partenaires sociaux à l’échelon de l’entreprise.

À la fin de l’année 1973, quelques mois avant son élection à la présidence de la République, Valéry Giscard d’Estaing définissait son libéralisme avancé.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Cela n’a pas marché !

M. Didier Guillaume. C’était il y a quarante ans !

M. Olivier Cadic. Il déclarait ceci : « Pour moi, être libéral, c’est être partisan d’une évolution politique, économique et sociale, fondée […] sur le transfert aux individus isolés ou organisés des responsabilités de décision, de comportement et de choix ».

Dans cet esprit, à l’UDI, nous croyons que la solution réside dans la détermination des règles au plus près du travail et de l’activité.

C’est la raison pour laquelle, l’an dernier, lors de l’examen de la loi Macron, nous avions déposé un amendement visant à inverser la hiérarchie des normes. La loi doit se contenter d’énumérer les grands principes et d’encadrer la discussion, le reste devant être de la responsabilité des partenaires sociaux.

Il faut simplifier, aller à l’essentiel, à ce qui doit être le socle commun de règles ne pouvant pas faire l’objet de dérogations, et laisser le reste à la négociation collective.

Ce principe de simplification devra guider les travaux de la commission instituée par l’article 1er du projet de loi.

Avec plusieurs collègues de l’UDI, nous proposons des amendements allant dans le sens de la simplification, afin d’éviter de « surtransposer » les directives européennes.

Par exemple, les mesures ajoutées au chapitre Ier bis qui se limitent à certaines discriminations ne semblent pas aller dans le sens de la simplification. Des dispositions en la matière existent déjà dans le code pénal. Il nous paraît inutile de les dupliquer dans le code du travail. Nul besoin d’ajouter des règles au niveau de l’entreprise ; nul besoin de compliquer les choses !

Nombreux sont ceux, par exemple, qui constatent et déplorent les effets néfastes des seuils sociaux. Le droit du travail français a ajouté une multitude de nouvelles règles applicables aux entreprises à chaque passage de seuil. La conséquence est que la plupart freinent leur activité et le recrutement pour éviter d’augmenter leurs effectifs ! (Protestations sur les travées du groupe CRC.)

En attendant de pouvoir éliminer cette exception française, nous proposerons d’adopter les seuils équivalents aux TPE et PME communautaires, soit 50 et 250, pour remplacer les nombres de 20 et 100 adoptés en commission.

Il faut également retirer les entraves à la compétitivité de nos entreprises. La viabilité de certaines entreprises dépend du travail le dimanche, jour de forte consommation, et du travail de nuit, pour assurer la continuité de l’activité économique. (Protestations sur les travées du groupe CRC. – Mme Marie-Noëlle Lienemann s’exclame également.)

Mme Cécile Cukierman. Et le travail des enfants ?

M. Olivier Cadic. Nous ferons donc des propositions en ce sens.

Nous parlerons beaucoup de médecine du travail. Quel beau pays que la France ! Chaque année, une femme de ménage doit faire autant de visites médicales qu’il y a de particuliers qui l’emploient. Dans le même temps, l’éducation nationale, premier employeur de France, ne dispose pas d’une médecine du travail.

Nous avons « la France pour patrie », « l’Europe pour frontière » et « le monde pour horizon », expliquait Jean-Louis Borloo lors de la fondation de l’UDI.

Nous devons adapter notre code du travail aux réalités économiques du monde qui nous environne, pour assurer notre compétitivité et faciliter l’embauche. Notre code n’incite pas les entreprises à embaucher. Ces dernières préfèrent le sous-emploi, la sous-production plutôt que le risque de ne pouvoir licencier si les résultats ne sont pas au rendez-vous.

La France est le dernier pays de l’OCDE à permettre au juge de vérifier la réalité du licenciement économique, en analysant les résultats du groupe au niveau international. En limitant ce pouvoir au niveau national, le Sénat élève la France à la place de dernier ex aequo avec l’Italie. Il faudra bien un jour que le motif de la réorganisation d’entreprise soit affranchi de l’interprétation du juge, à l’instar de ce qui existe dans les autres pays !

Le plus inquiétant est cette hystérie syndicale. (Marques d’indignation sur les travées du groupe CRC.)

Mme Éliane Assassi. Et les hooligans qui cassent tout à Marseille ?

M. Olivier Cadic. Elle cherche régulièrement à bloquer le pays et donne une image déplorable de notre pays, à l’heure où le monde nous regarde à la faveur de l’Euro de football.

Pour s’attirer les bonnes grâces des syndicats, le Gouvernement a déjà vidé le texte initial de son contenu réformateur, et il leur a accordé de nouveaux droits.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. C’est Thatcher qui nous parle !

M. Olivier Cadic. Le plus scandaleux, c’est la possibilité offerte aux syndicats, à l’article 18, de se servir officiellement dans la caisse des comités d’entreprise. (Exclamations sur les travées du groupe CRC.)

Je forme le souhait que l’on trouve le courage de ne pas céder aux corporatismes ni au défaitisme et que l’on tourne le dos au dogmatisme, pour choisir le pragmatisme. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

Pragmatiques, les sénateurs le sont ! Nous allons débattre pendant deux semaines d’un projet de loi qui n’a presque aucune chance d’être définitivement adopté dans sa version issue du Sénat.

M. Olivier Cadic. Le Gouvernement campera sur ses positions et cédera probablement encore un peu de terrain pour acheter la paix sociale.

M. François Marc. C’est Giscard à la barre !

M. Olivier Cadic. Ces renoncements, ces calculs politiciens ne dureront plus longtemps. Chaque jour qui passe est un jour de moins pour ce gouvernement. Nous aurons donc un débat d’idées, qui, j’en suis convaincu, sera suivi d’effets dans moins d’un an.

Mme Éliane Assassi. M. Cadic est en campagne !

M. Olivier Cadic. Mes chers collègues, chaque matin, 180 000 compatriotes quittent la France pour aller travailler en Suisse. Ils quittent ce code du travail au profit de celui-ci ! (L’orateur brandit successivement les codes du travail français et suisse.)

Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Olivier Cadic. Si nous parvenons à faire ressembler le premier au second, nous aurons commis un choc de simplification ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains. – Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Bricq. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

Mme Nicole Bricq. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, il faut le reconnaître, depuis plusieurs semaines, le pays vit sous tension.

Certains secteurs, au demeurant peu ou pas concernés par le texte dont nous débattons, ont été ou sont encore en grève. Sans contester la réalité de ces mouvements sociaux, force est de constater qu’ils n’ont pas eu les effets escomptés. (Mme Éliane Assassi s’esclaffe.)

D’ailleurs, il est assez original que ces mouvements aient lieu au moment même où le patronat et la droite considèrent que le projet du Gouvernement est vidé de son contenu. Un observateur rationnel ne peut que s’étonner de cette contradiction : si le texte n’a plus de substance, il ne devrait plus déranger ceux qui manifestent contre lui !

Je ne veux pas m’attarder sur cette contradiction. Je préfère indiquer d’emblée les deux raisons essentielles pour lesquelles le groupe socialiste soutient le texte du Gouvernement.

Premièrement, nous le savons bien, dans une économie ouverte et mondialisée, il est impératif de prendre la mesure du moment, de façon responsable. Notre économie a besoin de souplesse et de réactivité.

Deuxièmement, nous devons parallèlement accompagner, voire anticiper les mutations du travail, dans le souci constant d’assurer la meilleure protection à celles et à ceux qui vivent ces mutations aujourd’hui et qui les vivront plus encore demain.

Nous savons que nous y arriverons en accroissant les moyens mis en œuvre pour la formation professionnelle, en élargissant son volume et sa qualité. Le Gouvernement en a pris la mesure voilà quelques années déjà.

Nous y arriverons également en permettant l’innovation sociale, en tenant compte des réalités du monde du travail, en appréhendant les aspirations des jeunes, qui n’ont pas le même rapport à l’entreprise que leurs parents et qui paient aujourd’hui le prix fort, très fort de la flexibilité. Ces jeunes bâtissent leur trajectoire de vie de manière plus indépendante. Il n’est que de voir le nombre de jeunes qui créent leur entreprise et qui passent d’un statut à l’autre !

Cet enjeu de l’individualisation du travail ne me semble pas pouvoir être assimilé purement et simplement à une pratique néolibérale. Bref, nous avons à passer du XXe siècle au XXIe siècle. Ne regardons pas dans le rétroviseur !

M. Didier Guillaume. Très bien !

Mme Nicole Bricq. C’est à la hauteur de cette ambition que je veux resituer le projet de loi.

Madame la ministre, vous portez avec détermination ce texte qui s’inscrit dans l’histoire des socialistes, notre histoire. Votre nom prendra rang dans la lignée des grandes réformes sur le travail de ces trente-cinq dernières années. Je pense aux lois Auroux de 1982, et à la loi défendue en 1998 par Lionel Jospin et Martine Aubry.

Chaque fois que les socialistes ont pris les responsabilités dans notre pays, ils ont affronté la réalité du travail. Pour nous, pour vous, madame la ministre, le travail est une valeur cardinale de la société française. Chaque fois, les socialistes ont ouvert de nouveaux droits pour les salariés et pour tous ceux qui aspirent à mener une vie digne au travers de leur activité et de leur travail.

La période actuelle est décisive. C’est celle de la révolution du travail. Si nous ne bougeons pas, c’est le modèle social qui se délitera. Qu’il y ait des freins, cela me paraît normal. C’est pour cela qu’il faut apporter à la réforme un soutien sans faille, d’autant que la mutation du travail est à l’œuvre depuis les années 1970.

Combattre le chômage sans prendre en compte les évolutions du travail serait une grave erreur historique.

Je veux aussi resituer le projet de loi dans la cohérence du quinquennat de François Hollande.

M. Vincent Capo-Canellas. Oh là ! L’exercice promet d’être difficile ! (M. Olivier Cadic sourit.)

Mme Nicole Bricq. Très tôt, dès 2012, celui-ci a mis au centre des décisions des gouvernements successifs la compétitivité des entreprises et la démocratie sociale. Depuis 2012, ce sont les deux piliers de l’action gouvernementale.

François Hollande a d’abord, et très tôt, parié sur le vecteur des négociations nationales. Ce furent les deux accords nationaux interprofessionnels, les ANI, qui se sont succédé dans le temps. Ils ont été transcrits dans deux lois distinctes. Ce faisant – c’est notre singularité par rapport à nos voisins européens –, de nombreux accords de branche et d’entreprises, près de 40 000 par an, ont eu lieu.

Il faut le reconnaître, le dialogue social national a buté. L’échec de l’ANI sur la modernisation du dialogue social, les partenaires n’ayant pas trouvé les voies du compromis, a conduit le Gouvernement à reprendre la main. Ainsi, avec la loi portée par François Rebsamen, c’est le Gouvernement qui a pris l’initiative, les partenaires sociaux n’ayant pas voulu se saisir du thème du dialogue social. Il ne faut donc pas s’étonner qu’ils n’aient pas voulu se saisir de ce texte.

Au demeurant, j’ai noté la volonté de la droite d’aller à l’encontre de la loi Rebsamen. Il est vrai que la gauche contestataire ne l’avait pas non plus votée. Ce n’est pas vraiment étonnant. Les syndicats n’ont pas tous la même vision des évolutions à mener pour conserver le modèle social français. Les divisions patronales ne sont pas moindres.

Dans ces moments de responsabilité, la situation n’est jamais facile pour nous, socialistes. L’équilibre entre le changement par la loi et le changement par la négociation a toujours été notre préoccupation. Nous avons toujours voulu donner droit à la démocratie sociale.

La droite n’a pas ce problème, puisqu’elle veut au contraire s’en affranchir. Il est d’ailleurs symptomatique que, à la fin de son quinquennat, Nicolas Sarkozy ait dénoncé très frontalement ce qu’il décrit comme le « conservatisme des partenaires sociaux ». Il a récidivé en 2014, à Lambersart, commune de l’agglomération lilloise, alors qu’il était à cette époque président de l’UMP. Et les candidats à la primaire s’en donnent à cœur joie. L’un veut réformer le code du travail par ordonnance. Les deux autres veulent obliger les délégués syndicaux à passer 50 % de leur temps sur leur poste de travail. La droite sénatoriale fait écho à cette volonté. Nos rapporteurs ont supprimé l’augmentation de 20 % du temps consacré à la délégation syndicale accordée par le projet de loi.

Pour notre part, nous misons sur le fait que, pour répondre aux nouvelles responsabilités du dialogue social, les délégués syndicaux devront être mieux formés et plus présents auprès des salariés. Nous ne sommes donc pas d’accord.

Nous n’avons pas la même vision de l’entreprise. Lors de l’examen de la loi Macron, nous avions déjà eu le même débat dans cet hémicycle.

La droite confond trop souvent l’entreprise avec l’employeur. Nous considérons l’entreprise comme un collectif humain – nous nous retrouvons à cet égard, monsieur Vanlerenberghe – qui s’intègre à un territoire et à un secteur d’activité, qui affronte la concurrence et qui doit donner à ses salariés les conditions de travail les plus attractives possible, pour qu’ils s’y sentent bien.

Il est prouvé qu’un bon dialogue social dans l’entreprise, au plus près des réalités, est un facteur de compétitivité.

La droite a ses totems. Je pense notamment à la suppression de l’horaire légal, qui fait l’objet d’un amendement. Toutefois, je préfère m’attarder sur quelques outrances.

En proposant de remonter les seuils sociaux, la droite fait croire à tort que le dialogue social est une entrave à l’emploi. Sait-elle qu’en Allemagne et en Suède – ces pays sont souvent cités (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) –, il existe des seuils sociaux inférieurs aux nôtres pour la mise en place d’un comité d’entreprise ou d’un comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, un CHSCT ?

Par ailleurs, son hostilité à toute interférence syndicale dans le cadre du dialogue entre le chef d’entreprise et les salariés est encore une fois un marqueur de sa culture, dominée par la défiance à l’égard d’une représentation encore à construire, particulièrement dans les petites entreprises.

Monsieur Lemoyne, c’est vrai que vous faites preuve d’une plus grande subtilité à propos de l’article 2, mais le résultat est le même. Vous démolissez la finalité de cet article, qui focalise aussi les contestations à gauche, en supprimant, à l’article 10 – un texte se considère dans sa globalité, et non pas « en tranches » –, le principe de l’accord majoritaire à 50 %, qui constituait pourtant depuis 2008 le dénominateur commun à toutes les organisations syndicales. Au passage, vous remettez les clés du référendum au seul employeur.

Là encore, la défiance l’emporte, et le conservatisme triomphe. C’est précisément parce que nous ne voulons pas que l’employeur décide seul que nous voulons donner plus de place à la négociation dans l’entreprise ; c’est aussi un facteur de vitalité syndicale.

Vous rompez avec l’équilibre du texte s’agissant de la négociation dans l’entreprise. Vous voulez à la fois moins de règles et moins de droits. Pour notre part, nous voulons que la loi constitue un socle fondamental des règles et des droits, tout en autorisant leur construction par l’implication des acteurs concernés, au plus près de leurs aspirations.

Les salariés exerceront mieux leur contrôle sur la représentation syndicale au niveau de l’entreprise. Ce texte, qui a été diffusé auprès d’un large public, constitue un exercice démocratique, puisqu’il s’agit de mettre en phase la démocratie politique et la démocratie sociale.

La démocratie politique – je le dis à mes collègues qui comptent sur les manifestations pour nous faire reculer –, c’est celle qui s’exerce dans la vie parlementaire. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe CRC.)

La droite sénatoriale fait comme si nos collègues socialistes n’avaient pas travaillé à l’Assemblée nationale, aboutissant à l’adoption de 761 amendements, qui ont modifié le projet de loi transmis au Sénat. Elle a nié ce travail, en cherchant à limiter considérablement le compte personnel d’activité, qui constitue un formidable outil de sécurité professionnelle et, bien au-delà, d’émancipation individuelle. Elle a refusé aux jeunes qui n’ont rien, aucun soutien, aucun filet de sécurité, la garantie qu’ils seront tous accompagnés dans leur parcours professionnel et leur entrée dans la vie active. Elle a remis en cause le compromis sur les licenciements collectifs trouvé à l’Assemblée nationale.

Avec la réécriture sénatoriale, il suffira désormais d’une seule condition pour engager ces licenciements collectifs, alors que les députés avaient choisi des conditions cumulatives et que la jurisprudence appréciait un « faisceau d’indices ». Nous y reviendrons lors de la discussion des articles.

Certains souhaitent d’un air apitoyé aux membres du groupe socialiste bien du courage. Je veux les rassurer : depuis quatre ans, nous n’en avons jamais manqué !

M. Didier Guillaume. Il en faut !

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Oh oui ! Vous pouvez le dire ! (Sourires sur les travées du groupe CRC et du groupe écologiste.)

Mme Nicole Bricq. D’autres, condescendants ou faussement compassionnels, considèrent l’exercice sénatorial comme un exercice de style. Libre à eux de penser ce qu’ils veulent ! De notre côté, nous soutiendrons notre ministre. Nous mènerons avec elle un travail pédagogique sur cette réforme, qui se heurte à des obstacles culturels – je peux le comprendre – et idéologiques, chacun se faisant sa propre représentation du monde et ayant ses propres pratiques. Nous sommes lucides : ces obstacles sont réels et ce sont souvent les plus difficiles à surmonter.

Passer d’une culture du conflit à une culture de l’engagement n’est pas simple. Il est tellement plus confortable de se réfugier dans les conformismes habituels que de construire de nouvelles normes et de nouvelles références.

Entre ceux qui veulent démolir notre modèle social et ceux qui ne veulent rien changer, la voie est étroite. Raison de plus pour s’y engager, au travers du triple mouvement offert par le projet de loi : dialogue social, sécurité professionnelle et élargissement des compétences.

Je vous invite donc à débattre et à confronter nos arguments. Nous serons présents tout au long de ces quinze jours pour soutenir ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. Didier Guillaume. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à Mme Aline Archimbaud.

Mme Aline Archimbaud. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, Jean Desessard a bien exprimé la position générale du groupe écologiste sur ce projet de loi. Pour ma part, j’insisterai sur trois points précis, même si d’autres sujets auraient également mérité d’être évoqués.

La première version du texte présentait des réformes très problématiques, mais elle contenait quelques bons dispositifs. Le texte issu de la commission en a malheureusement fait disparaître un certain nombre.

J’évoquerai tout d’abord la disposition qui figurait à l’article 23 et visait à généraliser la Garantie jeunes, pour le moment à l’état d’expérimentation. Je ne comprends d’ailleurs pas pourquoi le Gouvernement a inséré cette mesure dans un texte aussi peu consensuel.

Ce dispositif, qui repose sur le principe du donnant-donnant, fonctionne très bien. Cela nous a été rapporté à la fois par les missions locales qui le gèrent et par les jeunes qui en bénéficient. Alors que, selon les chiffres de 2012, 15 % des jeunes de notre pays, soit 2 millions de jeunes de quinze ans à vingt-neuf ans, ne sont ni étudiants, ni en formation, ni actifs, n’est-il pas temps de leur envoyer un signal fort ?

La Garantie jeunes est ce signal fort. Il serait vraiment dommageable que le Sénat ne valide pas cet article et ne saisisse pas l’occasion qui lui est ainsi donnée pour s’adresser aux jeunes.

Ce contrat repose à la fois sur la confiance et l’exigence. Il rend estime de soi et autonomie. Il crée le lien social nécessaire pour sortir de l’isolement, devenir membre à part entière de la société et chercher un avenir.

Nous demandons donc fortement le rétablissement de l’article 23.

M. Jean Desessard. Très bien !

Mme Aline Archimbaud. J’en viens à un autre point important, le désamiantage, à l’article 51 du projet de loi.

Vous le savez, le Comité de suivi sur l’amiante a travaillé pendant un an. Voilà deux ans, il a proposé vingt-huit mesures, qui ont reçu le soutien de la totalité des groupes politiques de notre assemblée. Depuis, rien ! Nous allons donc faire des propositions sur le sujet. J’espère qu’elles seront soutenues par l’ensemble du Sénat.

L’amiante est un matériau hautement cancérigène, présent sous de multiples formes. Les particuliers bricoleurs du dimanche et les professionnels du bâtiment sont donc susceptibles, dès qu’ils font des travaux, de tomber sur de l’amiante dans les bâtiments construits avant 1997. Vous connaissez comme moi les chiffres : nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas ! L’Institut national de veille sanitaire prévoit 100 000 morts d’ici à 2050. Saurons-nous nous mettre au niveau pour faire face à une telle alerte ?

J’espère réellement que l’article 51 subsistera dans le texte final et qu’il aura le soutien de l’ensemble des groupes.

Nous avons déposé d’autres amendements. L’un d’eux reprend une mesure que le professeur Claude Got défend depuis près de vingt ans. Il s’agit tout simplement de rendre publics, préfecture par préfecture, les diagnostics techniques amiante des bâtiments, afin que tout le monde puisse se renseigner avant de faire des travaux.

Je souhaiterais évoquer l’article 44, qui concerne la médecine du travail ; nous aurons sans doute l’occasion d’en débattre longuement. Il est très loin d’être à la hauteur des réformes attendues par les professionnels de la santé au travail et les salariés. Il introduit même de vrais problèmes, dont nous aurons certainement l’occasion de discuter.

Les dispositions prévues mènent droit vers une réduction toujours plus grande du suivi des travailleurs, alors que les pathologies liées au travail sont de plus en plus nombreuses. Selon les chiffres publiés en 2014 par l’assurance maladie, le nombre de maladies reconnues comme professionnelles a augmenté en dix ans de 3,4 %.

La médecine du travail mériterait selon nous une vraie réforme, concertée, protectrice pour les travailleurs et, surtout, renforçant la prévention des maladies professionnelles.

J’espère que nous aurons l’occasion d’évoquer ces questions et de modifier le texte dans un sens plus favorable. Il est absolument indispensable que nous ayons tous le même accès au suivi médical du travail. Nous y veillerons au cours du débat.

Bien évidemment, d’autres sujets devront être soulevés au cours de la discussion des articles. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)

Organisation des travaux

Mme la présidente. Mes chers collègues, je vous propose de terminer la discussion générale avant la suspension du dîner.

Madame la ministre, j’espère que vous saurez faire preuve de sens de la synthèse en répondant aux orateurs. Nous aurons deux semaines pour approfondir ce texte.

Y a-t-il des observations ?

La parole est à Mme Evelyne Yonnet.

Mme Evelyne Yonnet. Je souhaite savoir si la réunion de la commission des affaires sociales qui devait se tenir durant la suspension du dîner est maintenue.

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.

M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. Si la discussion générale se termine à vingt et une heures, la commission pourra se réunir de vingt-deux heures à vingt-trois heures.

Mme la présidente. Si les orateurs respectent leur temps de parole et si Mme la ministre fait preuve de concision, nous devrions suspendre la séance vers vingt heures quarante-cinq.

Y a-t-il d’autres observations ?…

Il en est ainsi décidé.

Discussion générale (suite)

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi relatif au travail, à la modernisation du dialogue social  et à la sécurisation des parcours professionnels
Article additionnel avant l'article 1er

Mme la présidente. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. François Fortassin.

M. François Fortassin. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, financiarisation et dérégulation de l’économie sont inéluctablement génératrices de crises, qui ont un effet accélérateur sur les inégalités et le chômage.

A contrario, la simplification administrative, une fiscalité lisible et équitable, une formation adaptée et le maintien de l’industrie sur le territoire sont autant de facteurs qui influent sur l’attractivité du pays et le marché du travail. Agir sur un seul levier ne peut pas être source d’efficacité.

Dois-je rappeler ici le malheureux exemple de la TVA restauration ? Très coûteuse pour l’État, elle a bénéficié, comme une étude l’a montré, aux ménages les plus nantis.

Dès lors, il serait illusoire de penser que l’on crée de l’emploi en se contentant de simplifier le code du travail. Le premier levier pour créer de l’emploi, qui est l’activité économique, ne se décrète pas.

Mes chers collègues, la suppression de la durée légale du travail, le recours facilité au temps partiel ou la possibilité de diminuer le salaire dans le cadre des accords offensifs votés par la commission des affaires sociales ne peuvent pas suffire à eux seuls à créer de l’emploi, surtout de l’emploi stable et non précaire.

Plus une société est évoluée, plus elle est complexe et réglementée. Ces caractères sont indissociables d’une société moderne. Pour autant, l’inflation normative ne doit pas être favorisée, y compris lorsque les règles émanent de l’entreprise. La raison d’être du droit du travail consiste à encadrer les relations entre l’employeur et ses salariés et à corriger un déséquilibre naturel en faveur du premier du fait de la préexistence d’un lien de subordination. C’est ainsi que la liberté contractuelle ne peut pas être la norme en la matière, notamment lorsque le taux élevé du chômage laisse peu de choix au salarié.

Le présent projet de loi, tel qu’il a été voulu par le Gouvernement, sacrifie-t-il la protection du salarié ? Sincèrement, je ne le pense pas. Un minimum de flexibilité est requis, surtout dans les petites et moyennes entreprises. L’impossibilité de s’adapter aux réalités économiques entraîne leur fin, donc la destruction de l’emploi.

La conciliation entre vie professionnelle et vie personnelle constitue l’une des principales préoccupations des salariés. Or c’est bien la souplesse au niveau de l’entreprise elle-même qui peut la permettre.

Cessons de nourrir les fantasmes : entre 1 % et 3 % seulement des licenciements économiques font l’objet d’un recours devant le juge.

Le projet de loi prévoit que la charge de travail du cadre doit être raisonnable et reconnaît la responsabilité de l’employeur dans la répartition équilibrée de son temps de travail. Dans un monde hyper-connecté, la frontière entre le temps de l’exécution des missions et le temps de repos devient floue. Cela implique de mettre en place un droit à la déconnexion, pour autant que celui-ci soit effectivement applicable.

Nous sommes favorables aux principes et à la philosophie promus par le texte du Gouvernement. La primauté de l’accord d’entreprise sur l’accord de branche peut être une bonne chose.

Je le rappelle, en vertu du maintien des dispositions d’ordre public, la loi continuera de l’emporter sur les accords d’entreprise. Dans le texte du Gouvernement, le socle commun de protection était maintenu. Pour le reste, faisons confiance au dialogue social.

Le projet de loi contient des dispositions très positives, sur lesquelles la communication a cependant été très lacunaire, voire pire ; je pense aux dispositions relatives à la formation des représentants du personnel ou au service public juridique à destination des PME.

Si nous sommes favorables à l’esprit du projet de loi et à un grand nombre des dispositions qui y figurent, nous ne soutiendrons pas la version proposée par la commission des affaires sociales de la Haute Assemblée.

Réaffirmer le modèle social français, protecteur des salariés, dans un contexte international où certains États promeuvent l’ultra-flexibilité du travail, me semble primordial. La réforme ne doit conduire ni à une déréglementation du marché du travail ni à une harmonisation de la politique de l’emploi de la France avec celle des autres États, notamment des plus libéraux en la matière.

Selon le professeur Alain Supiot : « Il ne faut pas confondre […] le transformisme, qui réduit la politique à la soumission aux contraintes du marché et à l’évolution des mœurs, avec le véritable réformisme, qui consiste à mettre politiquement en œuvre la représentation d’un monde plus libre et plus juste. »

Nous devons sortir de la caricature de l’opposition entre les dirigeants et les salariés. Tous sont embarqués sur le même bateau.

Notre époque étant celle d’une concurrence internationale forte, nous devons être à la fois imaginatifs et très courageux. D’ailleurs, madame la ministre, vous ne manquez pas de courage, ce dont je vous félicite.

Entre une entreprise très performante et une entreprise boiteuse, la différence est évidemment que le carnet de commandes de l’une est plein quand celui de l’autre est vide. Mais, au-delà des commandes, qui sont indispensables à la bonne santé de l’entreprise, le vent frais de l’humanisme, auquel les radicaux sont très attachés, doit aussi souffler sur cette dernière.

De ce souffle découlera automatiquement un dialogue pacifié. Dans un tel contexte, le salarié se sentira beaucoup plus concerné par la marche de l’entreprise. Il sera donc partie prenante de son bon fonctionnement. Il se rendra au travail, le plus souvent, avec plaisir, et sera donc beaucoup plus performant. L’entreprise en tirera des bénéfices considérables. Un certain nombre de chefs d’entreprise et de salariés pourraient méditer la notion de « dialogue pacifié » !

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Milon. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Alain Milon. Madame la présidente, madame la ministre, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, je n’entrerai pas dans l’analyse détaillée du texte ; nos rapporteurs l’ont fait avec talent et précision. Je voudrais plutôt m’attacher aux interrogations soulevées par le projet de loi.

L’ampleur des réactions suscitées témoigne de l’hypersensibilité, dans notre pays, des questions touchant aux relations de travail.

Si chacun s’accorde à reconnaître les évolutions de nos sociétés, les mutations du monde économique ayant entraîné l’apparition de nouvelles formes d’exercice professionnel, le modèle social à la française a été au fil du temps érigé en statue de marbre ; aussi précieux et solide que ce matériau, mais, à certains égards, aussi difficile à « bouger ».

Or, dans un monde en mouvement, caractérisé par la vitesse et les échanges, il faut bien admettre qu’il n’existe plus de citadelle imprenable.

Évitons d’ériger le rempart protecteur en mur d’enfermement. Refuser l’immobilisme et adapter la protection : tels sont les enjeux d’un nouveau droit du travail.

Chacun d’entre nous le sait pertinemment, derrière les postures adoptées par le Gouvernement ou par certains syndicats, les batailles qui se jouent vont au-delà de la loi El Khomri.

Sans être dupes des jeux d’acteurs et autres manipulations pratiqués par certains, nous ne pouvons pas rester sourds aux inquiétudes exprimées avec sincérité par certains acteurs économiques, chefs d’entreprise, salariés, demandeurs d’emploi, étudiants, conscients du besoin de réforme, mais inquiets face aux décisions contradictoires d’un exécutif qui n’a pas de projet clair et cohérent.

La violence des réactions et la profondeur de l’incompréhension résultent d’un malentendu initial entre les propos d’un candidat à la présidence de la République et les décisions du président élu et de son gouvernement.

Les engagements pris, notamment lors du discours du Bourget, n’ont apparemment pas été entendus de la même manière par l’orateur de l’époque et par une grande partie de son auditoire d’alors. D’où le hiatus actuel, qui plonge notre pays dans une forme de chaos et écorne son image et sa réputation.

La contestation accompagnant ce texte trouve ses racines dans la perception d’une illégitimité, qui s’explique par l’écart énorme existant entre les engagements pris et les propositions faites. Cette situation est vécue par une partie de nos concitoyens comme une trahison ou, pour les plus modérés, comme un non-respect desdits engagements.

Respecter ses engagements, c’est l’obligation qui nous est faite, à nous, les politiques.

Le contrat conclu entre le peuple et les élus doit reposer sur des engagements réalisables et sérieux. Nous devons faire ce que nous avons dit et dire ce que nous allons faire ! À défaut d’empêcher la contestation, cela renforce le pacte conclu au moment de l’élection. Respecter ses engagements est une exigence démocratique non négociable.

La seconde exigence, c’est de respecter ses partenaires. De ce point de vue, proposer un texte de réforme du droit du travail, censé valoriser le dialogue social, en omettant de travailler en concertation avec les partenaires sociaux, est ubuesque ! Rétablir le dialogue social a posteriori est une gageure quasi impossible : le sentiment d’avoir été ignoré, méprisé, se traduit par une surenchère contraire à l’essence même de la négociation.

Voilà où nous en sommes aujourd’hui : présenté en fin de mandat, ce texte cristallise toutes les incompréhensions, crispations et inquiétudes d’une société en crise, qui a conscience de la nécessité d’évoluer, est capable et désireuse de se réformer, mais doute et redoute le changement.

La démarche et la méthode suivies sont pour le moins préjudiciables à la nécessité de réformer. Par le biais de ce projet de loi, désormais largement vidé de son contenu, s’exprime cependant une demande de lisibilité. Il nous est demandé de redonner du sens au droit du travail, sans doute, mais aussi, plus largement, à l’action publique.

À travers ce texte, une question plus large nous est posée sur le rôle de l’État dans une société moderne, sur la place de la loi et de la convention dans la gestion des relations humaines.

Pierre Bourdieu considérait : « Plus la situation est dangereuse, plus la pratique tend à être codifiée. Le degré de codification varie comme le degré de risque. »

Si l’on se réfère à cette analyse, et si l’on compare notre système à ceux de certains de nos États voisins, devons-nous en conclure que nous considérons les acteurs de l’entreprise si éloignés les uns des autres que tout rapport entre eux doit faire l’objet d’une loi ?

Je ne le pense pas ! À l’instar de Bertrand Martinot et Franck Morel, je suis convaincu qu’ « un autre droit du travail est possible », à condition qu’il libère le travail, organise au mieux les relations sociales et protège le travailleur.

Dans une France caractérisée par un chômage endémique, où l’entrée dans la vie active des jeunes est difficile et où le retour à l’emploi nécessite du temps, la question du travail, de l’emploi et des relations sociales revêt une acuité particulière.

Preuve en est la place prise par ce thème, au fil des ans, dans le discours politique.

Preuve en est la multiplicité des textes adoptés censés réformer, protéger, sécuriser.

Hélas ! Cet intérêt sincère a produit un maquis législatif complexe, lui-même à l’origine d’une insécurité juridique peu propice à la pacification des relations sociales.

« Le code du travail se veut protecteur et rassurant. Il est devenu obscur et inquiétant. » Ces propos de Robert Badinter traduisent le besoin de retrouver de la lisibilité. La question n’est pas tant celle de l’obésité du code du travail que de la quête d’efficacité et de la confiance accordée ou non aux partenaires sociaux.

Les propos caricaturaux tenus par certains responsables politiques, à commencer par le Premier ministre – le seul argument de ce dernier consiste à brandir le vieux schéma éculé d’une « droite dérégulatrice aux méthodes régressives » –, contribuent à alimenter un climat délétère sans rapport avec les relations qui peuvent se nouer dans l’entreprise, notamment dans les TPE et les PME.

Par-delà les positionnements idéologiques, nous sommes appelés à repenser les modalités d’intervention de l’État dans l’économie, à réfléchir au champ d’action laissé aux acteurs, à définir de nouvelles règles. Cela représente une certaine révolution culturelle. Chacun le sent bien, le temps presse. Cette transformation conditionne l’avenir et la place de notre pays dans la compétition internationale.

Accompagner le changement, restaurer la confiance, libérer les entraves et protéger les salariés : vaste programme ! Quelques pistes susceptibles d’en favoriser la mise en œuvre ont été proposées, mais le projet de loi Travail s’en est désormais affranchi, au moins en partie.

Au mois de septembre 2015, les auteurs du rapport Combrexelle affirmaient la nécessité de créer une dynamique de la négociation dont les moteurs principaux seraient une pédagogie de la négociation collective, une plus grande intelligibilité des accords, un renforcement du rôle de garant de l’État et une limitation de la « négociation administrée ».

Aujourd’hui, dix-huit thèmes de négociations sont obligatoires. N’est-il pas improductif de fixer des obligations de discussion et, a contrario, d’éliminer d’autres sujets ? Dans une société complexe et en mutation constante, n’est-ce pas figer le dialogue que d’en déterminer les sujets et les modalités ?

Au contraire, comme le préconise le rapport Combrexelle, il convient d’ouvrir de nouveaux champs à la négociation. Comme le proposent MM. Martinot et Morel, il faut refonder le droit par la négociation collective.

Au moins de 2016, le comité présidé par Robert Badinter a défini un socle de soixante et un principes essentiels sur lesquels doit s’établir la législation du travail.

Il n’est pas temps ici de développer les différentes mesures préconisées par tel expert ou tel comité. Ce que l’on peut constater en revanche, c’est la prise de conscience collective d’être arrivés à la croisée des chemins, où il devient nécessaire de redonner tant aux partenaires qu’aux salariés eux-mêmes la responsabilité de développer un vrai dialogue. Qui mieux qu’eux connaissent leurs difficultés ou leurs possibilités ?

Il faut fixer le cadre et donner de la souplesse, libérer mais contrôler ! Durée du travail, contrat, accords, sécurité, représentation et formation : tous ces sujets peuvent faire l’objet de négociations.

Pourquoi refuser en matière sociale ce qui a été considéré comme une avancée notable en matière institutionnelle, à savoir la décentralisation ? Qui, aujourd’hui, souhaiterait remettre cette dernière en question ? Cette « proximité », si revendiquée en matière politique, serait donc dangereuse en matière de droit social ?

Il faut sortir de la conception réparatrice du droit du travail pour lui donner une dimension novatrice, consistant à accompagner plutôt qu’à encadrer ; l’innovation n’est pas nécessairement synonyme de régression.

Tous les débats actuels attestent de l’urgence qu’il y a à repenser nos rapports sociaux, à adapter nos conceptions au monde d’aujourd’hui, à retrouver confiance en nous et en nos dirigeants, qu’il s’agisse du monde politique, syndical, économique, voire – permettez-moi cette incursion dans l’actualité – sportif.

Tel est le chemin que chacun doit parcourir pour qu’une autre conception du droit du travail puisse émerger et que les décisions retrouvent du sens et ne soient pas simplement conjoncturelles ou opportunistes.

Comme dans la sphère de la vie familiale, les schémas traditionnels ont vécu dans le monde de l’entreprise !

La mobilité, une certaine flexibilité et les attentes d’une génération dite X, Y ou Z nous obligent à élaborer de nouveaux modèles propres à adapter la protection à l’ensemble des travailleurs, dont le salariat n’est plus la seule forme de dépendance.

J’aimerais avoir réussi à vous faire partager non seulement mes interrogations, mais aussi ma conviction profonde qu’une autre voie est possible. Je sais que toute proposition est source d’inquiétude, parfois même de rejet. Mais je sais également que les volontés réformatrices existent, et que les Françaises et les Français ne peuvent pas se résoudre au déclin. Ils l’ont montré à bien des reprises !

Nous devons rétablir la confiance. Ce sera tout l’enjeu de la prochaine mandature. Quel que soit le sort réservé à ce projet de loi, nous savons bien que son application n’interviendra pas, dans le meilleur des cas, avant le printemps prochain.

À force de concessions et de détricotage, je crains que cette réforme ne soit mort-née…

Mme Catherine Génisson. Nous verrons !

M. Alain Milon. … et qu’un nouveau projet négocié, porteur et fédérateur ne soit appelé à en prendre le relais.

La période est, semble-t-il, propice à l’éclosion de projets et de propositions. Certains d’entre eux, je l’espère, verront le jour. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Pascale Gruny.

Mme Pascale Gruny. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, la France est plongée depuis plusieurs semaines dans un climat social lourd. La jeunesse est dans la rue ; les grèves dans les transports publics pénalisent les travailleurs ; la pénurie de carburant a été évitée de justesse. Pour des raisons purement idéologiques, une minorité syndicale tente de paralyser le fonctionnement de l’ensemble du pays.

Le projet de loi que nous examinons aujourd’hui est au cœur de ces tensions. Le constat est amer : est-il encore possible de réformer en France ?

Alors que la plupart de nos voisins européens ont engagé une réforme sociale et économique, la France est à la traîne. Les politiques menées en la matière depuis l’élection de François Hollande grèvent notre présent et, surtout, notre avenir. Le résultat est sans appel : la croissance française est très inférieure aux croissances allemande et italienne. Le temps de la réforme est venu !

Depuis de trop nombreuses années, notre pays est rongé par le chômage de masse. Ce constat n’a jamais été aussi vérifié qu’aujourd’hui, alors qu’un jeune sur quatre se retrouve sans emploi. Cette réalité n’est ni rassurante ni satisfaisante pour les 5,4 millions de personnes sans emploi et pour les chefs d’entreprise des TPE et PME.

Nous aurions tort, malgré tout, de croire que le seul code du travail expliquerait les difficultés économiques de notre pays. Ce serait oublier notamment la responsabilité des normes franco-françaises et de la pression fiscale qui pèsent sur nos entreprises et ne favorisent en rien leur développement.

Madame la ministre, depuis 2012, le Gouvernement a déposé trois textes visant à réformer le code du travail : les lois du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi, du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale, et du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi. Leur point commun ? La faiblesse de leur ambition ! Pourquoi en irait-il autrement avec ce quatrième volet ?

Votre texte a été vidé de sa substance, sous la pression de minorités de blocage. Vous proposiez initialement un remodelage du code du travail en lien avec les partenaires sociaux, employeurs et employés. Mais les mauvaises habitudes ont, comme toujours, pris le dessus, au gré de renoncements, de cadeaux faits aux uns et aux autres, et d’une refonte du texte visant à satisfaire les frondeurs de votre majorité.

M. Jean Desessard. Elle ne les a pas beaucoup satisfaits !

Mme Pascale Gruny. En définitive, qu’en reste-t-il ?

Malheureusement, la montagne semble avoir accouché d’une souris.

M. René-Paul Savary. D’une toute petite souris !

Mme Pascale Gruny. Madame la ministre, la paix sociale ne s’achète pas. Elle se construit avec de bonnes réformes et une vision d’avenir.

Je tiens tout particulièrement à féliciter nos rapporteurs, qui ont accompli un travail remarquable. Ils ont pris le recul nécessaire, afin d’analyser les attentes des entreprises et des salariés et d’y apporter des réponses concrètes et adaptées.

Les propositions du groupe Les Républicains vont dans ce sens. Il est important de s’extraire de la vision binaire qui oppose les uns aux autres.

Au sein d’une entreprise, chacun est interdépendant : sans entrepreneur, pas d’emploi ; sans employé, pas de travail. Non, la vie d’une entreprise n’est pas nécessairement fondée sur des rapports de force ! C’est un stéréotype d’un autre temps. Dans les petites et moyennes entreprises, le dialogue social est tissé de relations simples, qui fonctionnent bien. Pourquoi les compliquer ?

Les entreprises françaises, en particulier les TPE et les PME, attendent de vraies réponses, concrètes et efficaces. La pression du carnet de commande, les rapports avec les banquiers, le manque de trésorerie, la concurrence étrangère, la compétitivité, la peur de mal appliquer une législation parfois incompréhensible et modifiée chaque année, sont autant de contraintes quotidiennes pour nos entrepreneurs.

Dans mon département, l’Aisne, les exemples d’entreprises connaissant des défauts de trésorerie se multiplient. La détresse des chefs d’entreprise, notamment dans les PME, est bien présente. Je le dis haut et fort : les entrepreneurs français ont besoin qu’on les laisse respirer ! Laissons-les réaliser ce qu’ils savent faire le mieux : entreprendre, innover, créer.

Nos propositions vont dans le sens de l’intérêt commun, partagé, des employés et des employeurs : plus de négociation, de souplesse et de dialogue social.

Je citerai la promotion des accords d’entreprise, l’introduction d’une liberté de négociation pouvant aller jusqu’à la consultation des salariés, la création d’une clause de retour à « meilleure fortune », prévoyant les conditions d’une transformation des efforts des mauvais jours en bénéfices lorsque l’entreprise va mieux, ou encore les dispositions relatives à la participation des salariés ou à la conclusion des accords d’intéressement.

C’est aussi lever le frein des seuils de franchissement des effectifs, revenir au plafonnement des indemnités de certains licenciements et donner la possibilité de travailler trente-neuf heures par semaine. Nous proposons également plus de souplesse en matière de dépassements de durée du travail, de forfaits en jours et en heures, ainsi qu’une redéfinition du licenciement économique.

En matière de médecine du travail et pour répondre à la pénibilité, il est essentiel de faire de la prévention. Voilà pourquoi le médecin du travail doit rester au cœur du système ! Il est le seul à pouvoir aborder des sujets difficiles, comme le handicap, la dépression… La visite médicale d’embauche est essentielle aussi bien pour le salarié que pour la responsabilité de l’employeur.

Pour favoriser l’emploi des jeunes, l’apprentissage est le meilleur moyen d’une intégration rapide en entreprise. Nous proposons des simplifications et une meilleure adaptation aux métiers préparés. Il faut changer les mentalités en valorisant l’apprentissage.

Oui, les entreprises françaises, mais aussi les travailleurs et les demandeurs d’emploi, ont besoin de plus de souplesse et d’un marché du travail plus fluide ! Notre modèle économique a besoin d’un nouveau logiciel dans lequel l’entreprise redevient un acteur économique central.

Madame la ministre, le groupe Les Républicains s’opposera à tout ce qui crée des contraintes supplémentaires pour les entreprises. À titre plus personnel, je veillerai tout particulièrement au juste équilibre entre les intérêts des salariés et ceux des entreprises. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.)

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Joyandet.

M. Alain Joyandet. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, ce projet de loi est – hélas ! – un rendez-vous manqué pour la France.

Tout d’abord, c’est un rendez-vous manqué avec les Français. Alors que son exposé des motifs indique qu’il doit permettre une « refondation de notre modèle social », il est rejeté par une immense majorité de nos compatriotes. Plus encore : il est vilipendé par nombre de ceux qui ont voté pour François Hollande en 2012, car celui-ci n’avait pas annoncé une telle réforme du travail. Lorsqu’on ne dit pas les choses avant, il est un peu compliqué de les réaliser après !

Ensuite, c’est un rendez-vous manqué avec la lutte contre le chômage. Alors que la finalité première du projet de loi Travail est d’endiguer le cataclysme du chômage qui touche de façon endémique notre pays, il intervient étonnamment la dernière année du mandat présidentiel de François Hollande, et surtout après une augmentation record du nombre de chômeurs, toutes catégories confondues, depuis son élection en 2012.

Enfin, et surtout, c’est un rendez-vous manqué avec les entreprises.

Alors qu’il ambitionne de « restaurer la compétitivité de nos entreprises », de « leur permettre d’investir » et « de mieux anticiper les mutations économiques », ce texte ne s’attaque pas aux principaux maux qui les handicapent lourdement en France. Durant la seule année 2015, environ 60 000 très petites ou petites et moyennes entreprises ont disparu. Pas une seule d’entre elles n’aurait survécu grâce au projet de loi que nous devons examiner. Ce texte est largement inutile, comme je l’ai indiqué à notre rapporteur. Il n’est pas une priorité pour nos entreprises.

Je le dis en tant que chef d’entreprise : le chômage ne disparaîtra pas avec la réforme ou la libéralisation du code du travail. Il ne disparaîtra pas davantage grâce à une stigmatisation de la protection dont bénéficient les salariés. Il disparaîtra encore moins en faisant peur à ceux qui ont un emploi. Nos entreprises ont besoin de collaborateurs sereins, qui soient en mesure d’avoir un avenir lisible et puissent construire des projets personnels.

Plus que jamais, le travail doit être un élément de « fraternité nationale », et non un vecteur d’affrontements, de divisions et de tensions.

Pour que les entreprises soient de nouveau en mesure de créer des emplois, elles doivent renouer avec l’activité. Il est indispensable de les délester du poids des impositions obligatoires de toutes sortes qu’elles doivent payer, pour améliorer sensiblement leur compétitivité et leur rentabilité.

On me dira que tout cela n’est pas à l’ordre du jour. Mais comme je m’exprime en dernier, je dois m’efforcer de trouver des sujets qui n’ont pas été abordés.

Une mesure simple et efficace doit être prise rapidement : remplacer le CICE par la TVA compétitivité-emploi. On transformera ainsi les milliards d’euros de crédit d’impôt qui y sont consacrés actuellement en baisse structurelle, mécanique et généralisée des charges sociales pour toutes les entreprises françaises. Cela créera automatiquement des milliers d’emplois !

De la même manière, les heures supplémentaires défiscalisées, supprimées durant l’été 2012 par François Hollande pour des raisons idéologiques, doivent être rétablies. Certes, il a fait son mea culpa, mais n’en a pas tiré les conséquences. Quatre années après la disparition de ce dispositif, les familles françaises et les travailleurs de notre pays le regrettent encore fortement. Il est véritablement urgent de le rétablir. Des amendements seront proposés en ce sens.

Les entreprises ont également besoin que les pouvoirs publics cessent de les suspecter. Ils devraient plutôt leur faire confiance et les accompagner. À cet égard, il est nécessaire d’alléger, au même titre que les charges sociales, les contraintes normatives et les contrôles administratifs. L’excellent rapport d’information de notre collègue Annick Billon au nom de la délégation aux entreprises, Droit du travail : ce dont les entreprises ont besoin, propose des pistes intéressantes : création d’un rescrit social ; réaffirmation des missions d’information des inspecteurs du travail ; diminution des charges administratives ; majoration des seuils sociaux ; adaptation des accords de branche aux entreprises de moins de cinquante salariés. Il s’agit de réformes faciles à engager et qui ne coûtent rien ! Autant de vrais sujets qui devront être abordés par notre assemblée durant les débats à venir. Dans un contexte de très faible croissance économique et de chômage de masse, la priorité est de faciliter les recrutements ou les embauches par les entreprises.

Cela peut se faire sans remettre en cause la situation de nos salariés, qui n’est déjà pas si facile, notamment dans le privé. Oui à la réforme pour alléger les entreprises ! Mais la condition des salariés du privé ne doit pas être la variable d’ajustement parce que l’État ne réforme pas son administration !

Nous le voyons, le débat est politique. Nous cherchons de nouveaux modèles dans un monde qui bouge. Nous savons tous à quoi a mené le collectivisme. (Mme Laurence Cohen s’esclaffe.) Nous constatons aussi les méfaits du libéralisme échevelé. Entre les deux, une piste demeure à explorer : celle de la participation pour une entreprise fraternelle où le travail est un lien social plus que jamais utile ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Myriam El Khomri, ministre. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je vais essayer d’être synthétique, d’autant que j’aurai l’occasion de répondre plus précisément sur les différents sujets lors de l’examen des articles.

Beaucoup d’entre vous ont évoqué le contexte. Nous entrons dans la dernière année du quinquennat. Notre économie a recréé des emplois en 2015, après plusieurs années de destruction d’emplois. Pour autant, il convient de porter un diagnostic lucide sur notre pays. Les contournements au droit du travail se répandent. Nous perdons des emplois dans l’industrie depuis le premier trimestre de 2001. Un jeune accède au CDI à vingt-sept ans, contre vingt-deux ans voilà quinze ans.

Monsieur Watrin, je n’ai jamais opposé droit du travail et droit au travail. Néanmoins, l’hyper-flexibilité existe, et la réticence à embaucher en CDI, réelle ou ressentie, des employeurs doit être traitée. Nous devons répondre à cette problématique.

Certains intervenants ont affirmé que cette loi faciliterait les licenciements. C’est faux ! Si tel avait été le cas, je ne l’aurai jamais défendue. Cette loi encadre pour la première fois le licenciement économique. Je le rappelle, 5 % des inscriptions à Pôle emploi sont le fruit d’un licenciement économique. Or les TPE et les PME, qui créent de l’emploi dans notre pays, licencient très rarement pour motif économique. À 20 %, elles pratiquent des ruptures conventionnelles, contre 7 % pour les autres entreprises. Elles se servent davantage du licenciement pour motif personnel, notamment parce qu’elles n’arrivent pas à caractériser ce qui pourrait constituer des difficultés économiques.

Je ne mésestime absolument pas la charge symbolique et anxiogène qu’il y a à aborder le licenciement. La première version du texte, qui n’a jamais été présentée en conseil des ministres, a été reçue par bon nombre de nos concitoyens comme une gifle, en particulier à cause de la question du licenciement.

Néanmoins, il est important de le reconnaître entre nous, un salarié est beaucoup plus protégé dans le cadre d’un licenciement économique qu’en cas de rupture conventionnelle. Dans le premier cas de figure, il bénéficie d’un contrat de sécurisation professionnelle et de droits auxquels il n’a absolument pas accès lors d’une rupture conventionnelle ou d’un licenciement pour motif personnel.

Pourquoi les entreprises n’embauchent-elles pas en CDI ? Tout simplement parce qu’elles ont peur de perdre un client ou une commande. Pour embaucher, il faut évidemment d’abord un carnet de commandes.

Pourquoi notre pays est-il de deuxième pays utilisateur de CDD de moins d’un mois de l’Union européenne ? Pourquoi 82 % des embauches en CDD sont-elles des réembauches ?

Nous constatons un dysfonctionnement. Apporter de la clarté et de la prévisibilité aux employeurs est un enjeu d’intérêt général pour les salariés, en particulier pour les plus précaires d’entre eux. Je pense notamment aux jeunes issus des quartiers populaires, aux femmes et aux salariés les moins qualifiés. J’assume donc à 200 % cette réforme, car je n’ai pas une vision manichéenne de l’entreprise. Je sais parfaitement qu’il ne faut pas opposer l’économie et le social ; le progrès économique et le progrès social vont dans un même mouvement.

Ce qu’apporte la démocratie sociale dans l’entreprise, c’est une capacité d’adaptation. En cas de désaccord, c’est le droit actuel qui s’appliquera. Où est le scandale ? Une telle logique ne prévaudra pas dans tous les domaines. Bien évidemment, elle ne s’appliquera pas en matière de durée légale de santé ou de sécurité. Elle concerne l’organisation du travail.

Que prévoit ce texte ? Le taux de majoration des heures supplémentaires sera de 25 % et de 50 %, mais les organisations syndicales, si et seulement si elles le souhaitent, pourront signer, en échange de contreparties, un accord majoritaire à 10 %. À elles de juger ce qui est le plus favorable pour les salariés. Bref, il s’agit de faire confiance aux acteurs de la démocratie sociale. C’est cette vision que nous souhaitons promouvoir.

Nous devons en finir dans notre pays avec certaines postures.

Je pense tout d’abord aux postures d’organisations patronales qui veulent négocier, mais sans les syndicats. J’ai le débat sur le mandatement avec beaucoup d’employeurs sur le terrain. Pour eux, un salarié mandaté, c’est une personne étrangère à l’entreprise qui débarquera pour dire ce qui est bon ou non pour les salariés ! Ce n’est pas la réalité du mandatement. Nous avons une bataille culturelle à mener.

Je pense ensuite aux postures d’organisations syndicales, dont certaines ont une vraie cohérence. J’ai évoqué André Bergeron et les lois Auroux. Dire que tout doit être dans la loi, c’est, quelque part, un aveu de faiblesse.

Je pense enfin aux postures des pouvoirs publics, qui, depuis toujours, ne laissent pas suffisamment de respiration et souhaitent trop encadrer la négociation collective. Comment élargir l’objet de la négociation s’il n’y a pas en face d’accord majoritaire ? Cette exigence était d’ailleurs une position commune des organisations syndicales en 2008. Cela fait quinze ans, voire plus que nous parlons de développer la négociation collective.

La position commune signée en 2001 par toutes les organisations syndicales sauf la CGT était justement de développer la négociation collective et de trouver à chaque fois le niveau le plus pertinent. Tout sera-t-il décidé au niveau de l’entreprise ? Absolument pas ! La question du temps partiel sera traitée au niveau de la branche. Rien n’est donc systématique. Élargir l’objet de la négociation, c’est justement essayer de passer d’une culture de l’affrontement à une culture du compromis.

Monsieur Desessard, vous affirmez que nul progrès social ne saurait naître d’un accord d’entreprise. L’histoire sociale de notre pays ne nous apprend-elle pas que nous devons la troisième semaine de congés payés à la régie Renault ?

Mme Laurence Cohen. C’était une régie nationale !

Mme Myriam El Khomri, ministre. Oui, l’entreprise peut être un laboratoire social ! Renault en a fait la preuve en 1955 ! Sept ans plus tard, elle accordait une quatrième semaine de congés payés supplémentaire !

M. Dominique Watrin. Renault était une entreprise nationalisée ! C’était donc une décision de l’État !

Mme Myriam El Khomri, ministre. D’autres entreprises ont ensuite suivi, et le gouvernement de l’époque a généralisé le dispositif.

Il est souvent question du droit à la déconnexion. Mais il a été instauré dans certaines entreprises de notre pays. C’est la réalité !

Certains d’entre vous ont prétendu que ce projet de loi aurait été exigé par Bruxelles. Comme le complotisme est à la mode et comme l’Europe a souvent bon dos, le récit a pris corps. Cette loi Travail serait, à en croire certains, imposée par la vilaine bureaucratie bruxelloise, obsédée seulement par la mise en concurrence sauvage des salariés sur le continent. Cette loi chargée de tous les péchés souffrirait ainsi de la condamnation ultime. Voilà un récit trop gros pour être vrai !

M. Dominique Watrin. Ce n’est pas un récit ! J’ai là les recommandations de Bruxelles ! (M. Dominique Watrin brandit un document.)

Mme Myriam El Khomri, ministre. Oui, parlons de la recommandation du Conseil européen de mai 2015 !

Permettez-moi de rappeler la genèse du projet de loi. Au printemps 2015, dans le cadre des conférences sociales, le Premier ministre a demandé à Jean-Denis Combrexelle un rapport sur le développement de la négociation collective. M. Combrexelle a mené une concertation et a fait des propositions au Gouvernement. Selon lui, il aurait fallu trois ou quatre ans pour établir le champ accordé à la négociation collective sur l’intégralité du code du travail. Au vu du temps dont nous disposons, nous n’intégrons dans ce projet de loi qu’une partie des recommandations, celles qui concernent le temps de travail et les congés, c’est-à-dire le quotidien des salariés.

Dans le même temps, nous souhaitions développer le compte personnel d’activité, instauré par un article de la loi Rebsamen. C’était un point essentiel. Néanmoins, nous ne développons pas le compte personnel d’activité, parce que nous soutenons de l’autre côté une loi libérale ! J’assume ce texte à 200 %. Personne ne nous l’a imposé. Nous l’avons voulu parce que nous avons su examiner avec beaucoup de lucidité l’état de notre pays, et parce que nous défendons une vision sociale-démocrate de la démocratie dans l’entreprise.

De nombreux témoignages attestent aujourd'hui que nous n’avons pas toujours la capacité de répondre à un pic de commande ou d’activité. Je l’ai souligné, les contournements au droit du travail se multiplient. Regardons les chiffres en matière de travail détaché. Je suis d’ailleurs très heureuse de défendre des mesures pour lutter contre les fraudes en la matière. Regardons aussi les chiffres de l’intérim et du travail indépendant. Ce projet de loi, avant son examen en commission des affaires sociales au Sénat, comportait un article sur la responsabilité sociale des plateformes collaboratives. La société fordiste a vécu. Nos comportements en tant que consommateurs induisent une très forte évolution du monde du travail.

Certains d’entre vous ont établi des comparaisons avec ce qui se pratique à l’étranger. Le Gouvernement n’a pas souhaité les mini-jobs à l’allemande ou les contrats zéro heure. Même si le modèle d’Europe du Nord peut nous inspirer en matière de dialogue social, nous avons parfaitement conscience que notre démocratie sociale n’est pas au même niveau. Nous avons donc écrit un modèle : la social-démocratie à la française.

Certes, ce projet de loi ne répond pas à toutes les difficultés qui l’on rencontre dans le monde du travail. Modestement, il essaie, en ce qui concerne la partie relative au temps de travail, de développer la capacité d’adaptation des entreprises, grâce à l’enjeu essentiel que constitue la négociation. L’équation est simple : pas de souplesse, pas de négociation. Si les entreprises ont besoin de souplesse, elles négocieront. Le souci fondamental reste évidemment l’accord majoritaire.

Si nous comparons la situation de la France et de l’Allemagne en période de difficultés économiques, nous constatons des différences.

Dans notre pays, après la crise de 2008, les licenciements ont été nombreux. En Allemagne, grâce au dialogue social et au recours au chômage partiel – modalités que nous connaissons désormais, mais qui n’existaient pas encore à l’époque –, les salariés sont restés en poste et ont été formés. Ainsi, au moment de la reprise économique, la main-d’œuvre allemande était qualifiée et formée. En France, près de 50 000 emplois ont été perdus par mois jusqu’en 2012. Cette réalité, il faut la regarder en face !

Notre modèle social joue un rôle d’amortisseur social exceptionnel. Nous devons en avoir conscience. Il y a des comparaisons qui ne tiennent pas. Dans certains pays, il suffit de travailler une heure par mois pour sortir des chiffres du chômage !

Le rôle d’amortisseur social de l’assurance chômage est essentiel en France. Nombre de nos concitoyens souffrent de la précarité et du chômage. C’est pourquoi nous devons impérativement développer l’emploi durable. C’est l’enjeu du projet de loi.

Beaucoup d’interventions ont porté sur l’absence de travail pédagogique et sur les erreurs commises en la matière par le Gouvernement. Je les assume sans état d’âme. J’en prends toute ma part de responsabilité.

Erreurs de pédagogie ? Sans doute ! Car le droit du travail, matière complexe, intéresse tout le monde, et c’est légitime. Je suis ainsi donc très heureuse que nos concitoyens se soient emparés des enjeux de l’article 2, ceux de la démocratie sociale dans l’entreprise. Ce débat est nécessaire, même s’il se déroule dans un climat de tension et s’il n’y a pas d’unanimité des organisations syndicales sur le sujet.

Nicole Bricq le soulignait, l’enjeu est de s’adapter ou de disparaître.

Il nous faut nous adapter pour préserver, comme nous le souhaitons, notre modèle social. Il ne s’agit pas de réformer pour réformer ; l'objectif est de transformer la société. C’est pour cela que nous voulons développer la démocratie sociale dans l’entreprise.

Nombreux sont ceux qui s’interrogent sur la médecine du travail. Je suis d’accord, il faudrait mettre en place des visites d’embauche. Mais je suis aux responsabilités : lorsque je constate que, sur 20 millions d’embauches par an, seules 3 millions de visites médicales sont réalisées, je suis bien obligée de constater que ce droit est fictif.

Quand on est aux responsabilités et que l’on a affaire à un droit fictif, il faut bien traiter les situations ! Il y a ainsi des personnes occupant des emplois à risque qui ne bénéficient pas de visites médicales.

L’enjeu est que les salariés les plus exposés aux risques passent une visite médicale assurée par le médecin du travail, et qu’une équipe pluridisciplinaire mette en place ces visites pour l’ensemble des salariés. C’est notre ambition.

Je ne me contente pas de constater la pénurie de médecins du travail, que je regrette bien évidemment.

Mme Laurence Cohen. Il n’y a rien dans la loi sur le sujet !

Mme Myriam El Khomri, ministre. Il n’y a pas assez de candidats lorsque des postes de médecin du travail sont ouverts. Il faut donc travailler sur l’attractivité de ce métier. Or cela relève non pas du ministère non pas du travail, mais de la santé.

Nous devons faire confiance aux autres acteurs de la santé, notamment les infirmiers, qui travaillent sous le contrôle et l’autorité du médecin du travail, auquel on pourra toujours adresser un salarié.

On peut toujours se battre pour des droits fictifs. Mais, lorsqu’on est aux responsabilités, il faut aussi poser des actes afin que la société fonctionne mieux. (Exclamations sur les travées du groupe CRC.)

Je crois vraiment que la démocratie dans l’entreprise permettra de revitaliser les organisations syndicales.

Permettez-moi, même si cela peut vous étonner, de citer Philippe Martinez, qui intervenait ce matin sur Europe 1 à propos de l’accord intervenu à la SNCF. Il déclarait ceci : « Ce sont toujours les salariés qui sont les mieux placés pour dire ce qui est bon ou pas bon pour eux. » C’est justement cette idée que nous défendons avec l’article 2 du projet de loi ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

Mme la présidente. La discussion générale est close.

La parole est à M. le président de la commission.

M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. J’informe les membres de la commission des affaires sociales que nous nous réunirons à vingt et une heures quarante-cinq.

Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures quarante-cinq.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt heures quarante-cinq, est reprise à vingt-deux heures quarante-cinq, sous la présidence de Mme Jacqueline Gourault.)

PRÉSIDENCE DE Mme Jacqueline Gourault

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

Nous poursuivons la discussion du projet de loi, considéré comme adopté par l’Assemblée nationale en application de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution après engagement de la procédure accélérée, visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actif-ve-s.

Je vous rappelle que la discussion générale a été close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

projet de loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actif-ve-s

Titre ier

Refonder le droit du travail et donner plus de poids à la négociation collective

Chapitre Ier

Vers une refondation du code du travail

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi relatif au travail, à la modernisation du dialogue social  et à la sécurisation des parcours professionnels
Article 1er (début)

Article additionnel avant l'article 1er

Mme la présidente. L’amendement n° 180 rectifié, présenté par M. Gorce, Mme Lienemann, MM. Durain et Néri, Mme Yonnet et MM. Masseret et Cabanel, est ainsi libellé :

Avant l’article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

I. – À l’échelle de chaque zone d’emploi, et pour une durée de trois ans, le ministre en charge du travail et de l’emploi désigne un commissaire en charge de la coordination de toutes les politiques de l’emploi, d’insertion, de formation et d’aide à la création d’entreprises, menées sur le territoire concerné.

Le commissaire local à l’emploi assure sa mission dans le cadre de conventions conclues avec Pôle emploi et toutes les collectivités territoriales concernées. Il a autorité sur le service public de l’emploi défini à l’article L. 5311-2 du code du travail.

Sur la base de critères objectifs, il recense les zones d’emploi dont l’état du marché du travail justifie la mise en œuvre du plan d’urgence triennal décrit au II. La liste de ces zones est ensuite arrêtée par décret en conseil des ministres.

II. – Le plan d’urgence mentionné au I inclut les conditions de mise en œuvre des dispositions figurant aux III et IV et destinées à accélérer le retour à l’emploi des chômeurs de longue durée.

III. – Chaque demandeur d’emploi de plus de six mois a droit à un bilan de compétences. Chaque demandeur d’emploi de plus d’un an bénéficie d’une formation destinée à favoriser son retour à l’emploi et de l’ensemble des moyens mobilisables pour lui permettre d’atteindre cet objectif.

Il devient, à ce titre, stagiaire de la formation professionnelle.

Ce bilan de compétences et cette formation sont financés sur le fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels.

IV. – Pour la période triennale 2017, 2018 et 2019 et par dérogation à l'article L. 6332-21 du code du travail, si le montant de la contribution issu de l’accord entre les partenaires sociaux n’est pas suffisant pour faire face aux besoins suscités par la mise en œuvre du III, le ministre en charge du travail et de l’emploi peut, par arrêté, en modifier le taux.

La parole est à M. Gaëtan Gorce.

M. Gaëtan Gorce. Cet amendement vise à rappeler ce qui devrait une priorité de l’action gouvernementale : faire reculer le chômage et donner la priorité aux secteurs les plus fragilisés. À cet égard, la politique menée depuis 2010 ne peut que susciter des interrogations, et le texte dont nous sommes saisis aujourd’hui encore plus.

À l’analyse, il apparaît que les mesures budgétaires adoptées depuis l’alternance de 2012 – je pense à la diminution de dépenses et à l’augmentation des impôts – ont eu un effet négatif sur la croissance et l’activité. La responsabilité n’en incombe pas à ce seul gouvernement : le précédent avait fait exactement pareil, étouffant dans l’œuf la reprise qui était sensible à la fin de l’année 2010.

Le problème est que le prix à payer de cette politique contradictoire, en zigzag ou, plus exactement, « contracyclique », car allant à l’opposé de ce qu’elle annonce, est un chômage de masse atteignant des niveaux jamais connus. Certes, on observe un début de recul du chômage, ce dont nous ne pouvons que nous féliciter, mais hors de proportion par rapport à la situation globale que nous avons à gérer au plan national et sur le terrain.

Cet amendement vise donc à rappeler que la priorité d’un texte relevant du domaine social aurait dû être de lutter contre le chômage, en ciblant les secteurs les plus fragiles et les territoires où il est le plus important.

Dans le territoire dont je suis l’élu, le décalage est total entre les moyens mobilisés et la réalité. Plus de la moitié des chômeurs sont des chômeurs de longue durée. Les moyens de Pôle emploi n’ont pas été augmentés. Les mécanismes mis en place au niveau des zones d’emploi ne permettent pas de répondre à cette situation, car il n’y a pas de pilote dans l’avion des politiques de l’emploi ! Certes, cela n’a pas commencé aujourd’hui. Mais la situation ne s’est guère améliorée.

Il y a autant d’interlocuteurs que l’on peut en souhaiter : la région, le département, la chambre consulaire, le territoire et, bien entendu, l’État et Pôle emploi. Tous se mobilisent, mais passent plus de temps à se coordonner qu’à agir.

Il serait temps de prendre véritablement le sujet des politiques territoriales de l’emploi à bras-le-corps pour mettre en place un dispositif resserré et mobiliser les moyens autour d’une autorité, afin de pouvoir atteindre des objectifs définis en commun.

L’examen de cet amendement permet surtout d’exprimer un désarroi face à des priorités affichées en total décalage, à mon sens, avec la réalité.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. La commission n’a pas pu examiner cet amendement.

Je souscris évidemment au tableau que M. Gorce a dressé des territoires frappés par le chômage de longue durée, d’autant que je suis élu d’un territoire frontalier du sien.

Nous partageons tous la volonté de lutter contre le chômage de longue durée. Le Sénat a d’ailleurs adopté voilà peu de temps une proposition de loi d’expérimentation territoriale visant à résorber le chômage de longue durée, dont l’objectif est d’expérimenter des mesures innovantes dans une dizaine de territoires. Nous pourrions dans un premier temps observer le fonctionnement d’un tel dispositif.

La désignation par le ministre du travail d’un « commissaire en charge de la coordination de toutes les politiques de l’emploi, d’insertion, de formation et d’aide à la création d’entreprises, menées sur le territoire concerné » pourrait poser un problème d’articulation avec les comités régionaux de l’emploi, de la formation et de l’orientation professionnelles, les CREFOP, qui ont pour mission, aux termes de la loi du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale, d’unifier les politiques publiques.

M. Gorce a évoqué l’unification des politiques de l’emploi et le temps perdu par les différentes instances pour se coordonner. Mais cet amendement soulève de nombreuses questions, et la commission n’a pas pu l’examiner. À titre personnel, j’en sollicite le retrait, faute de quoi mon avis serait défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Myriam El Khomri, ministre. Monsieur Gorce, je partage évidemment votre volonté de lutter contre le chômage, notamment le chômage de longue durée, auquel beaucoup de nos concitoyens sont confrontés, sur de nombreux territoires. Cet amendement a pour objet de prévoir la désignation d’un commissaire en charge de la coordination des politiques de l’emploi. Je suis tout à fait d’accord avec vous sur l’importance de l’enjeu de la coordination des politiques locales de l’emploi.

Avec ma collègue Clotilde Valter, secrétaire d'État chargée de la formation professionnelle et de l'apprentissage, nous appelons justement les préfets de région, dans le cadre des visioconférences que nous faisons tous les mois avec eux, à mieux travailler en commun. La loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite loi NOTRe, avait d’ailleurs pour objectif de clarifier les compétences. La loi de 2014 a aussi permis d’instaurer les CREFOP.

Aujourd’hui, les nombreux acteurs des politiques de l’emploi apprennent à travailler ensemble. Je partage votre impatience, mais je ne vous suis pas sur la nécessité d’ajouter un échelon.

Par ailleurs, le plan d’urgence pour l’emploi, lancé par le Président de la République le 18 janvier dernier, doit permettre de répondre au problème des offres d’emploi non pourvues sur de nombreux territoires, qui s’explique dans 80 % des cas par un manque de qualification. Nous avons donc répertorié les difficultés d’emploi dans l’ensemble des territoires, bassin d’emploi par bassin d’emploi.

Il n’y a pas 400 000 offres d’emplois non pourvues ! Je ne considère pas qu’on puisse comptabiliser les contrats de deux heures par semaine… Néanmoins, dans certains secteurs ou métiers, nous avons des difficultés à pourvoir des postes en raison d’un manque de qualification. C'est pourquoi le plan d’urgence est basé sur les besoins exprimés bassin d’emploi par bassin d’emploi.

Selon moi, ce qui manque dans le champ des politiques de l’emploi, c'est l’expérimentation. Nous la tentons au travers du projet d’ATD Quart Monde « Territoires zéro chômeur de longue durée », voté à l’unanimité par le Sénat et l’Assemblée nationale. Le dispositif est en cours de mise en œuvre. Le fonds d’expérimentation sera créé dans les prochains mois, et les appels à projets seront lancés avant l’été. Par ce biais, nous pouvons aussi réinterroger l’ensemble des politiques publiques en la matière.

En résumé, monsieur le sénateur, si je partage tout à fait votre diagnostic, je ne crois pas que la solution soit de créer un échelon supplémentaire.

Je demande donc le retrait de cet amendement. À défaut, l’avis du Gouvernement serait défavorable.

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Je soutiens la philosophie générale de cet amendement et les mesures concrètes qu’il vise à mettre en œuvre.

La philosophie de l’amendement consiste à souligner que, pour faire reculer le chômage, il faut des politiques macro-économiques d’investissement et, éventuellement, de relance du pouvoir d’achat pour soutenir la croissance. Car, comme M. Gorce l’a très bien décrit, les politiques contracycliques visant à soutenir l’offre n’ont pas permis de faire décoller notre pays.

Concrètement, cet amendement traduit la nécessité d’un volontarisme public pour faire reculer le chômage dans les territoires, notamment les plus touchés, avec des outils particuliers de coordination permettant d’agir et d’avoir une vision d’ensemble des problèmes.

Les statistiques peuvent faire état d’un manque global d’emplois qualifiés en France, sans montrer les méthodes astucieuses de formation qui peuvent exister dans tel ou tel territoire.

On raconte beaucoup de bobards sur les emplois disponibles ! Dans la région où j’étais chargée de la formation professionnelle, de nombreux emplois étaient des CDD de durée très courte et très peu renouvelés. On incitait les demandeurs d’emploi à se former aux métiers du bâtiment, alors qu’il n’y avait pas de débouché permanent, avec des emplois stables, dans ce secteur. Il est donc très important de se coordonner et de faire preuve de volontarisme.

Mais je veux surtout insister sur le volet de l’amendement qui est relatif à la sécurisation des parcours. M. Gorce demande que les personnes au chômage depuis plus de six mois aient droit à un bilan de compétences et à un accompagnement vers un retour à l’emploi. Mais il propose aussi que les demandeurs d’emploi de plus d’un an bénéficient du statut de stagiaire de la formation professionnelle, donc d’un accompagnement sérieux, dans la durée, pour effectuer cette formation.

On ne cesse de nous citer les exemples nord-européens en matière de sécurisation de l’emploi. Mais si les chômeurs de longue durée ne font que toucher le RSA, sont laissés à leur insuffisance de formation et livrés à leur découragement, le problème ne sera pas réglé !

La proposition de mon collègue est l’un des maillons, notamment dans les secteurs ruraux, périurbains ou dans certains quartiers de banlieue, de cette politique volontariste de la puissance publique, qui me paraît bien plus efficace qu’une flexibilisation accrue du travail !

Mme la présidente. La parole est à M. Gaëtan Gorce, pour explication de vote.

M. Gaëtan Gorce. Depuis le milieu des années 1980, notre pays vit le drame d’un chômage de masse qui n’est jamais descendu sous la barre de 2 millions ou 2,5 millions de chômeurs. Depuis cette époque, tous les gouvernements ont annoncé faire de la réduction du chômage leur priorité. Les politiques économiques mises en place ont toutes été à l’opposé de cet objectif. Elles ont eu un caractère le plus souvent restrictif, à l’exception de la période comprise entre 1997 et 2002, où les politiques menées, notamment la réduction du temps de travail, ont été très volontaristes.

On aurait pu espérer que ce gouvernement mette en place une politique offensive en arrivant aux responsabilités en 2012. Il ne l’a pas fait. On peut discuter des effets du CICE sur l’emploi. Mais j’ai principalement évoqué les mesures budgétaires, dont les conséquences négatives sur l’emploi et l’activité sont indiscutables.

Le chômage de masse est la racine du mal. Il est à l’origine de l’ensemble des difficultés de notre pays. Il déstabilise la totalité de notre système social et de notre collectivité. Certes, le fait de le réduire ne suffira pas à résoudre l’ensemble de nos problèmes. Mais c’est en bien la source.

On aurait pu imaginer que des actions fortes et volontaristes soient menées au moins sur les zones d’emploi les plus en difficulté. Ce n’est pas ce qui a été fait non plus.

On pouvait espérer que, dans les territoires comme ceux dont j’ai parlé, les moyens soient mobilisés autour d’objectifs clairs et ne servent pas simplement à décliner des politiques nationales.

Les emplois disponibles que l’on évoque sont, pour l’essentiel – d’ailleurs, Mme la ministre a été obligée de le reconnaître –, des emplois saisonniers, temporaires, à très court terme, c'est-à-dire extrêmement instables et n’apportant aucune sécurité aux personnes susceptibles de les occuper. Il n’y a aucune autre perspective pour ces personnes, qu’il s’agisse de jeunes non qualifiés ou de personnes de plus de cinquante ans, population parmi laquelle il y a d’ailleurs de plus en plus de chômeurs.

Il serait donc temps de s’attaquer au problème de manière volontariste en y mettant les moyens.

Il se trouve que je suis les questions d’emploi depuis près d’une vingtaine d’années maintenant. Je suis stupéfait de constater que nous ne nous donnons pas les moyens d’organiser les politiques territoriales de l’emploi autour de tels objectifs. Nous continuons à mener des politiques consistant simplement à décliner des orientations fixées nationalement, sans nous préoccuper des réalités locales.

Par exemple, un conseiller de Pôle emploi doit suivre environ 80 à 90 chômeurs considérés comme en difficulté, et 200 à 250 personnes au total ! Imaginez le résultat que cela peut produire et surtout ce que doivent ressentir ceux qui vivent une telle situation !

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Joyandet, pour explication de vote.

M. Alain Joyandet. Je partage totalement les objectifs de M. Gorce, mais je ne comprends pas qu’il propose de créer une nouvelle administration pour les atteindre.

Il s’agit typiquement d’une matière qui devrait relever de la compétence des régions ! Sans vouloir polémiquer, il est dommage que les régions – je rappelle qu’elles étaient pratiquement toutes dirigées par le même parti politique jusqu’à l’année dernière – ne se soient pas mobilisées secteur par secteur. C’est leur rôle de faire du cousu main dans les territoires ! Nous disposons des crédits de la formation professionnelle. La loi nous donne la possibilité d’avoir la main sur les politiques publiques.

Monsieur Gorce, vous avez entièrement raison dans vos analyses et objectifs. Mais laissons faire les régions. Ne créons pas de postes de fonctionnaire supplémentaires. À quoi servira un préfet de plus, sinon à constater les problèmes et à trouver des solutions que nous sommes déjà capables de mettre en œuvre dans les régions ? D’ailleurs, certaines ont déjà fait des expérimentations. Il faut agir dans le cadre de nos collectivités territoriales. On a tout ce qu’il faut pour le faire !

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marie Vanlerenberghe, pour explication de vote.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Je suis partage aussi le diagnostic de notre collègue Gaëtan Gorce.

Dans nos territoires, il y a une multiplicité de dispositifs, qu’il s’agisse d’économie ou d’emploi et de formation professionnelle. Le problème, c'est la coordination. À l’instar de mon collègue Alain Joyandet, je ne crois pas qu’il faille créer un poste supplémentaire.

Les acteurs existent ! Il y a les élus territoriaux, les présidents de communautés d’agglomération, qui sont compétentes dans le domaine de l’emploi et du développement économique, les préfets, les sous-préfets, les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi, ou DIRECCTE. Qu’attendons-nous pour les coordonner ?

Madame la ministre, les missions locales mettent en œuvre une dizaine de dispositifs, parfois contradictoires. Ces dispositifs, qui doivent être coordonnés avec ceux de Pôle emploi, entrent aussi quelquefois en contradiction, tout au moins en concurrence, avec ceux des plans locaux pour l’insertion et l’emploi. Qu’attendons-nous pour mettre tout le monde autour de la table ? Je l’ai fait dans mon secteur, d’ailleurs avec le soutien de la préfecture. Cela doit être mis en place dans tous les territoires, au plus proche des bassins d’emploi, pour ne pas dire en « épousant » ces bassins d’emploi.

Nous ne parviendrons pas à créer de l’emploi pour autant, mais nous fluidifierons certainement le marché de l’emploi en nous intéressant en priorité à ceux qui en sont les plus éloignés.

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Myriam El Khomri, ministre. J’ai fait référence au plan d’urgence pour l’emploi lancé le 18 janvier 2016. Nous avons justement signé une plateforme avec les régions, en les désignant directement comme chefs de file pour la formation professionnelle. Des conventions ont également été signées entre Pôle emploi et les présidents de région.

Nous avons regardé les difficultés bassin d’emploi par bassin d’emploi. Je parle ici non pas des emplois saisonniers, mais des métiers de bouche et des métiers industriels pour lesquels nous n’arrivions pas à recruter. Comme je l’ai indiqué, je ne crois pas qu’il y ait 400 000 à 500 000 emplois non pourvus dans notre pays. Mais, selon les chiffres de la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques, la DARES, il y en aurait 180 000 à 200 000 ; je parle de temps pleins dans les métiers de bouche, l’industrie ou la transition énergétique.

Nous avons conclu un partenariat avec les CREFOP au mois de décembre dernier. Pôle emploi s’est aussi modernisé en 2015. Nous avons créé 4 000 « conseillers entreprise ». Ils font l’interface avec les entreprises et doivent chercher les offres d’emploi n’existant plus au sein de Pôle emploi.

À partir de là, nous avons créé au sein de Pôle emploi le nouveau parcours du demandeur d’emploi. L’objectif est d’alléger le « portefeuille » des conseillers chargés des demandeurs d’emploi de longue durée ou des jeunes en grande difficulté pour leur permettre d’assurer cet accompagnement globalisé, qui permettra de faire un bilan de compétences, comme vous le suggérez.

Nous avons donc identifié les besoins et développé avec les CREFOP – c’est tout récent, puisque cela a été mis en place au mois d’avril dans chacune des régions – le plan « 500 000 formations supplémentaires », avec le milliard d’euros que l’État a mis sur la table. Ce plan vise non pas à envoyer des demandeurs d’emploi dans des stages parking, mais à développer l’idée d’un parcours entre emploi et formation, en développant les préparations opérationnelles à l’emploi. Car, nous le savons, derrière, il existe des emplois, bien souvent à temps plein.

Par ailleurs, nous travaillons sur la gouvernance des missions locales. C’est aussi une question essentielle entre l’Union nationale des missions locales, l’UNML, et le Conseil national des missions locales, le CNML. Dans le cadre du projet de loi relatif à l’égalité et à la citoyenneté, nous avons prévu une commission pour l’insertion, qui nous permettra d’être beaucoup plus efficaces sur le terrain.

En tant qu’ancienne secrétaire d’État à la politique de la ville, je puis vous dire que nous ciblons évidemment certains territoires, auxquels nous donnons plus de moyens. Au-delà, nous avons renforcé notre partenariat avec les préfets délégués pour l’égalité des chances, notamment dans les quartiers de la politique de la ville. Ces préfets jouent ce rôle de coordinateur, notamment pour les jeunes en situation de difficulté et les jeunes diplômés issus de ces quartiers. Nous avons aussi développé les plans locaux pour l’insertion et l’emploi dans ces quartiers.

Il y a de nombreux acteurs. Mais, avec le plan « 500 000 formations supplémentaires », Clotilde Valter et moi-même avons l’objectif de mieux faire, plus intelligemment, en assurant une meilleure coordination de l’ensemble des partenaires et une répartition très claire du travail de chacun.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 180 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Article additionnel avant l'article 1er
Dossier législatif : projet de loi relatif au travail, à la modernisation du dialogue social  et à la sécurisation des parcours professionnels
Article 1er (interruption de la discussion)

Article 1er

Une commission d’experts et de praticiens des relations sociales est instituée afin de proposer au Gouvernement une refondation de la partie législative du code du travail.

Cette refondation a pour objet de :

1° Simplifier les règles du code du travail, notamment en compensant la création d’une disposition par la suppression d’une disposition obsolète ;

2° Protéger les droits et libertés fondamentales des travailleurs ;

3° Renforcer la compétitivité des entreprises, en particulier de celles qui emploient moins de deux cent cinquante salariés.

Cette refondation attribue une place centrale à la négociation collective et prévoit que la loi fixe les dispositions qui relèvent de l’ordre public et celles supplétives en l’absence d’accord collectif. La commission présente, pour chaque partie du code du travail, l’intérêt d’accorder la primauté à la négociation d’entreprise ou à celle de branche.

La commission associe à ses travaux les organisations professionnelles d’employeurs aux niveaux interprofessionnel et multi-professionnel et les organisations syndicales de salariés représentatives au niveau national. Elle peut entendre toute autre institution, association ou organisation de la société civile.

La composition de la commission tend à respecter l’objectif de parité entre les femmes et les hommes.

Le président de la commission est entendu avant sa nomination par le Parlement.

Au plus tard six mois après la promulgation de la présente loi, la commission présente l’état d’avancement de ses travaux devant les commissions compétentes du Parlement.

Elle remet au Gouvernement ses travaux, qui portent sur les dispositions relatives aux conditions de travail, à l’emploi et au salaire, dans un délai de deux ans à compter de la promulgation de la présente loi.

Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen, sur l’article.

Mme Laurence Cohen. Au moment d’aborder le premier article de ce texte, je voudrais relever une évidence : le code du travail est dégradé avant tout par les multiples dérogations qui l’ont rendu plus volumineux, donc plus complexe, au fil du temps.

Madame la ministre, avec ce projet de loi, vous affirmez vouloir simplifier le code du travail. Or ce texte va instaurer une grande instabilité et une complexité excessive. En effet, la norme pourra être différente dans chaque grande entreprise, y compris au sein d’une même branche d’activité.

Rendre le code du travail moins volumineux ? Il n’en est rien. Comme l’a démontré un collectif d’universitaires spécialisés en droit du travail, avec cette réécriture, le volume du texte connaîtra une augmentation de 27 %. Cette deuxième refonte complète, après celle de 2008, n’apporte donc ni simplification ni meilleure accessibilité du droit, malgré toutes les annonces médiatiques qui ont pu être faites en ce sens.

Nous l’avons dit lors de la discussion générale, ce que vous proposez, c’est l’adaptation des êtres humains aux besoins du marché de l’emploi. Pensez-vous sincèrement qu’il s’agisse d’un progrès ? Il aurait fallu au contraire repenser le travail comme facteur d’émancipation humaine, en créant des droits nouveaux pour protéger les travailleurs tout au long de leur parcours professionnel.

L’article 1er pose les grands principes du projet de loi : inversion de la hiérarchie des normes et remise en cause du principe de faveur. Où sont donc les nouvelles libertés et les nouvelles protections pour les actives et les actifs ? Pourquoi n’avez-vous pas, par exemple, réécrit le code du travail en supprimant les dérogations pour mieux encadrer les temps partiels et accorder aux salariés concernés les mêmes droits qu’aux salariés à temps plein ? Pourquoi favoriser les grands groupes et non les petites entreprises ? Il y avait, et il y a toujours un vrai travail à faire en leur direction.

Pourquoi n’avez-vous pas écrit un code du travail favorable aux salariés, notamment en sécurisant les parcours de vie et en plaçant la démocratie au cœur de l’entreprise, seule manière pour nous de sécuriser les entreprises ?

Malheureusement, c’est l’inverse que vous faites ! Pour toutes ces raisons, nous demandons la suppression de l’article 1er.

Mme la présidente. La parole est à Mme Annie David, sur l'article.

Mme Annie David. En complément des arguments de ma collègue Laurence Cohen, je dirai que l’article 1er est à l’image de l’ensemble du texte. Il n’a donc rien d’anodin, même si la mise en place d’une commission peut apparaître comme une volonté de dialogue, donc d’apaisement.

Cette commission affiche en réalité la couleur : mettre les principaux concernés hors-jeu, puisque les organisations professionnelles d’employeurs et syndicales de salariés y seront seulement associées, alors que c’est l’ensemble du code du travail qui est atteint.

Même si les travaux de la commission Badinter, puisque c’est comme cela qu’on la nomme, ont pu éclairer une partie de nos concitoyennes et de nos concitoyens sur ce qu’est le droit du travail, il ne nous semble pas utile de les graver dans le marbre de la loi, d’autant que l’article originel dispose : « La commission présente, pour chaque partie du code du travail, l’intérêt d’accorder la primauté à la négociation d’entreprise ou à celle de branche. » Autrement dit, le fondement de la réforme à venir se base sur ce que nous contestons : l’inversion de la hiérarchie des normes et l’abandon du principe de faveur. C’est ce que la majorité sénatoriale appelle la « place centrale de la négociation collective » et qu’elle ne remet évidemment pas en cause.

Aussi, dès son article 1er, le projet de loi tend à imposer cette nouvelle norme en matière de droit de travail, ce que nous n’acceptons pas. Il constitue donc un symbole de l’autoritarisme qui prévaut dans l’organisation du débat.

Madame la ministre, vous avez retracé tout à l’heure la genèse du texte. Pour ma part, je me contenterai de retracer celle de l’article 1er. Voici ce qui figurait dans un article paru sur le site du journal Le Monde le 12 mai 2015 : « L’attitude d’Emmanuel Macron sur un amendement de l’UMP concernant la simplification du code du travail irrite déjà les syndicats ».

En effet, dans la soirée du 7 mai 2015, la majorité sénatoriale avait adopté un amendement ayant pour objet de mettre en place une commission chargée de proposer dans un délai d’un an un « nouveau code du travail simplifié ». Il s’agissait alors « d’accroître les possibilités de dérogation aux dispositions du code du travail par un accord collectif ».

Madame la ministre, vos services n’ont pas eu un gros travail d’élaboration à fournir pour l’article 1er, puisque vous avez repris une proposition de la droite sénatoriale guidée par le patronat ! (Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains.) C’est sans doute votre conception du progrès social. Ce n’est pas la nôtre. C’est pourquoi nous demandons la suppression de l’article 1er.

Mme la présidente. La parole est à M. Gaëtan Gorce, sur l'article.

M. Gaëtan Gorce. Madame la ministre, contrairement au sentiment que le débat général a peut-être pu donner, beaucoup de sénateurs socialistes s’interrogent sur ce texte, en particulier sur ses finalités.

S’il s’agit de servir l’emploi, on peut se poser de nombreuses questions. En effet, l’étude d’impact, qui consacre seulement deux lignes au sujet, ne nous éclaire pas beaucoup. Adhère-t-on à l’idée selon laquelle le code du travail pèserait plus lourdement que les charges sociales sur les entreprises et mettrait en difficulté leur capacité à se développer ?

C’est très exactement le contraire du raisonnement que la gauche et le mouvement syndical ont toujours défendu. La gauche a toujours considéré que seule la loi pouvait protéger le salarié en lui fournissant des garanties, et que si la négociation devait tenir toute sa place, les principes devaient être fixés et déclinés par le législateur. C’est le vieux principe : « Entre le fort et le faible, c’est la liberté qui opprime, et la loi qui affranchit. »

Pour ma part, avec beaucoup d’autres élus socialistes, je reste fier de ce que représente le code du travail. Je ne suis pas dans le « code du travail bashing », comme on le dit aujourd'hui. Je me revendique au contraire de cette somme d’efforts, de luttes, de compromis, mais aussi de ruptures qui ont progressivement permis de construire notre droit social et notre droit du travail.

Si l’objectif est de créer de l’emploi en diminuant les garanties apportées aux salariés, nous ne pouvons pas y souscrire.

S’agit-il ensuite d’encourager la négociation collective ? Mais quelle négociation collective ? L’article 1er, qui, dans la rédaction initiale du Gouvernement, énonce les principes fondamentaux du droit du travail, ne vise en effet qu’à rappeler de manière très vague quelques principes généraux et à soumettre tout le reste à la négociation.

Comme le disait l’ancien responsable de FO André Bergeron, pour qu’il y ait une négociation, il faut qu’il y ait du grain à moudre. Mais quel grain les partenaires sociaux pourront-ils moudre, puisque tout ce qui était acquis dans la législation du travail devra être renégocié ?

J’aimerais comprendre quelle logique pousse le Gouvernement, pourtant censé envisager l’entreprise dans un esprit d’équilibre entre le patronat et les salariés, à s’engager dans une telle démarche.

Je remarque aussi que le timing est extraordinaire ! L’article 1er met en place une commission qui travaillera et remettra ses conclusions après la présidentielle et les législatives.

On peut imaginer que cette majorité reste aux responsabilités ; certes, elle ne fait rien pour cela, mais cela peut arriver… Mais, en cas de victoire de la droite, nous aurons donné à ceux qui veulent totalement remettre en cause les principes du code du travail une base et une légitimité extraordinaires pour le faire ! Une fois la commission mise en place, ils n’auront plus qu’à en cueillir les fruits. Merci pour les salariés et le droit du travail ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, sur l'article.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Le débat entre loi et contrat, entre négociation locale, de branche et nationale, est un débat ancien. C’est ce qui sépare le droit anglo-saxon du droit républicain français.

Dans notre République, nous considérons que l’intérêt général, fixé par les représentants du peuple souverain dans le cadre de la loi, est supérieur au contrat entre les parties. Bien entendu, nous ne sommes pas contre le contrat. Mais celui-ci doit s’inscrire dans une logique d’intérêt général. En effet, si les parties peuvent être d’accord à un moment donné pour préserver des intérêts particuliers, par exemple pour maintenir un emploi dans une entreprise en difficulté, une entreprise de la même branche peut être dans une situation différente. La loi fixe des acquis d’intérêt général, et la hiérarchie des normes garantit que la négociation n’entame pas cet intérêt général.

On voudrait nous faire basculer vers l’idée que le droit issu du contrat est supérieur au droit républicain établi par la loi. J’en suis d’autant plus étonnée que j’ai eu ce débat au Parlement européen avec mes amis sociaux-démocrates. Ils m’ont expliqué pendant des années que, en Allemagne, les négociations entre partenaires sociaux garantissaient mieux le salaire des ouvriers, des travailleurs, des salariés qu’un salaire minimum fixé par la loi. Or les mêmes découvrent aujourd’hui l’intérêt d’avoir une loi fixant un SMIC national !

Ils ont en effet compris que la période de l’après-guerre et des trente glorieuses, celle où le rapport de force était favorable aux salariés et où le keynésianisme soi-disant dépassé aujourd’hui permettait alors le progrès social, la croissance et le développement économique, avait laissé la placé à la pseudo-« mondialisation heureuse », où le rapport de force est défavorable aux salariés et où, sans la protection de la loi, tout y passe, y compris le modèle social-démocrate ! Ce dernier a pu être fort dans les années 1970, 1980, voire 1990, mais il a été démantelé par cette situation défavorable aux salariés.

Mme la présidente. Veuillez conclure, chère collègue.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. La loi est supérieure au contrat. La logique qui sous-tend ce texte va totalement à l’encontre de la philosophie républicaine.

Mme la présidente. L'amendement n° 40, présenté par M. Watrin, Mmes Cohen, David, Assassi et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Dominique Watrin.

M. Dominique Watrin. À l’origine, le Gouvernement avait prévu d’organiser la réforme du code du travail autour des soixante et un principes essentiels du travail définis par le rapport Badinter, et selon l’architecture du rapport Combrexelle, qui étend l’inversion de la hiérarchie des normes.

Le Gouvernement a finalement renoncé à maintenir la partie relative à ces principes essentiels, conservant uniquement l’inversion de la hiérarchie des normes, ce qui fragilise encore les équilibres. L’article 1er prévoit ainsi qu’une commission d’experts propose au Gouvernement une refondation du code du travail à partir de cette nouvelle architecture.

Nous refusons pour notre part que des experts prennent le pas sur les parlementaires et que, même s’ils n’en décident pas, préparent tout au moins les règles à respecter dans les entreprises !

Nous voyons bien ici l’influence des technocrates de Bruxelles, qui ont pris l’habitude de prendre les décisions à la place des représentants du peuple. Nous sommes attachés à la souveraineté populaire. Nous refusons donc ce dessaisissement des parlementaires.

Nous sommes d’autant plus réservés que cette commission aurait pour objectif de proposer une refondation du code du travail visant à « simplifier les règles du code du travail, protéger les droits et libertés fondamentales des travailleurs et renforcer la compétitivité des entreprises ».

Un rapport de l’OCDE de 2011 a pourtant démontré qu’il n’était pas possible d’établir de conclusion sur la corrélation entre les règles en matière de droit du travail et la compétitivité des entreprises.

En réalité, sous des prétextes tout à fait discutables, notamment sous couvert de simplification, l’objectif principal est bien de supprimer le principe de faveur. En réalité, ce que vous n’acceptez pas, c’est que la loi fixe un minimum et que les accords collectifs et le contrat de travail puissent seulement l’améliorer. Ce principe de faveur ne peut pas être balayé d’un revers de main. Ce n’est pas une option, un accessoire superflu. Il est directement lié au lien de subordination. Ce que vous proposez n’est pas une commission de simplification ; c’est plutôt une commission de déréglementation !

Pour toutes ces raisons, nous demandons la suppression de l’article 1er.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. L’article 1er a été réécrit dans un esprit assez proche de celui du Gouvernement.

Monsieur Watrin, vous évoquez le dessaisissement des parlementaires de leurs compétences législatives. Or la commission des affaires sociales a justement tenu à ajouter un certain nombre de dispositifs permettant au Parlement de jouer tout son rôle.

Le président de la commission visée à l’article 1er sera notamment auditionné par le Parlement avant sa nomination. Par ailleurs, six mois au plus tard après la promulgation de la loi, cette commission viendra présenter l’état d’avancement de ses travaux devant les commissions compétentes du Parlement. Je rappelle enfin que si cette commission formule des préconisations, il appartient ensuite au politique de s’en emparer. Sur la base des conclusions de la commission, le Gouvernement pourra proposer une réforme sur laquelle il reviendra au Parlement de se prononcer.

J’imagine que le contenu de la réforme ne sera pas le même selon que la majorité sera communiste ou que les Français auront fait confiance à la droite et au centre dans un an. C’est à nous, responsables politiques, qu’il revient de faire des choix, étant bien entendu que le Parlement reste naturellement aux commandes avec le Gouvernement.

Je mets des guillemets à l’expression « inversion de la hiérarchie des normes ». En effet, c’est la loi qui organise une répartition des compétences, mais il y a bien un ordre public indérogeable qui demeure. Certes, on peut discuter de l’étendue d’une disposition d’ordre public face à une autre qui serait issue d’un accord collectif. Mais on ne peut pas dire qu’il n’y ait plus de règle du tout.

D’ailleurs, nous avons prévu que la commission présente pour chaque partie du code du travail les arguments en faveur de la primauté de la négociation d’entreprise ou de celle de branche.

Il se trouve que le prisme de l’article 2 sur le temps de travail consacre effectivement une logique de primauté pour l’entreprise. Il apparaîtra peut-être dans d’autres champs que c’est la branche qui a un rôle à jouer, par exemple – mais on ne peut pas en préjuger – dans la formation professionnelle.

Vous le voyez, le travail de la commission vise à éclairer les décisions qu’il nous reviendra à nous, politiques, de prendre en toute responsabilité.

Pour toutes ces raisons, la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Myriam El Khomri, ministre. Je regrette que Mme Marie-Noëlle Lienemann et M. Gaëtan Gorce n’aient pas été présents pendant la discussion générale.

Mme Nicole Bricq. Ils n’avaient pas le temps !

Mme Marie-Noëlle Lienemann. J’étais là, madame la ministre !

Mme Myriam El Khomri, ministre. Excusez-moi ; je ne vous avais pas vue.

Je n’oppose pas, et je n’ai jamais opposé le droit du travail et le droit au travail. Le projet de loi vise à développer la négociation collective, à créer de nouveaux droits pour les salariés, notamment pour ceux qui connaissent des parcours de plus en plus difficiles, caractérisés par des ruptures de plus en plus grandes. On ne rentre plus dans une entreprise à dix-huit ans pour en sortir à soixante. Il s’agit aussi de renforcer les capacités d’adaptation de nos entreprises en leur donnant plus de clarté et de visibilité. L’enjeu du texte est d’encourager l’emploi durable.

Bien sûr que la loi protège ! Personne ici ne dit le contraire. D’ailleurs, l’entreprise ne pourra pas décider de tout ; je pense en particulier à la durée légale ou au salaire. Il y a aujourd’hui quatre domaines dans lesquels l’accord d’entreprise ne peut pas se placer en deçà de l’accord de branche : les garanties collectives, la prévoyance, les fonds de la formation et les classifications. Nous n’y touchons absolument pas. Nous avons bien conscience que la loi protège. Nous avons cherché à faire en sorte qu’elle se situe au niveau le plus pertinent.

On a évoqué M. Bergeron tout à l’heure. Je reconnais qu’il y avait une certaine cohérence de la part de FO à s’opposer à l’accord dérogatoire aux contingents d’heures supplémentaires lors de l’adoption des lois Auroux. Mais nous sommes passés de 4 000 accords en 1984 à près de 35 000 aujourd'hui. C’était inéluctable. Le monde du travail change. Il a fallu accorder des dérogations, demandées notamment par la partie patronale, pour accompagner ces évolutions. Ce système-là est à bout de souffle.

Il faut aujourd’hui donner aux acteurs la capacité de décider au plus près de l’entreprise. Je le rappelle, lors de l’adoption des lois Auroux ou lors de la mise en place des 35 heures en 2001, un accord d’entreprise pouvait être signé par une organisation syndicale élue par seulement 5 % des salariés, ce chiffre ayant été porté à 30 % par la loi de 2008 sur la représentativité syndicale.

Ce n’est pas pour rien que l’on mesure l’audience des syndicats dans l’entreprise. Ce n’est pas pour rien non plus que la nécessité de s’interroger sur le niveau le plus pertinent pour appliquer les 35 heures figurait dans la position commune des organisations en 2001. Nous considérons que le niveau le plus pertinent, dans certains domaines seulement – par exemple, le projet de loi prévoit que le temps partiel reste au niveau de la branche –, est l’entreprise, avec le verrou de l’accord majoritaire.

Madame David, vous avez évoqué la loi Macron. La création d’une commission de refondation du code du travail est l’une des préconisations du rapport de Jean-Denis Combrexelle, qui n’était pas ministre du travail à cette époque.

Mme Annie David. Rien ne nous oblige à l’écouter !

Mme Myriam El Khomri, ministre. Dans son rapport, M. Combrexelle indique qu’il s’agit d’un travail titanesque et que cela prendra entre trois et quatre ans.

La proposition du Gouvernement était à droit constant. Ce point est particulièrement important. Il ne revient pas à une commission de refondation du droit du travail de faire évoluer le droit. Il lui incombe de formuler des propositions sur l’échelon le plus pertinent en matière de négociations collectives. C’est à partir de ces propositions que le Gouvernement et le Parlement peuvent, le cas échéant, décider de modifications.

Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur cet amendement.

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Néri, pour explication de vote.

M. Alain Néri. Madame la ministre, ce qui se conçoit bien s’énonce clairement, et les mots pour le dire arrivent aisément !

Notre code du travail est déjà très lourd et compliqué. Lorsque nous voulons y apporter certaines précisions, nous sommes obligés d’aller jusqu’à l’article duodecies, voire au-delà ! Vous voyez bien que cette complication ne répond pas à la réalité et aux besoins des entreprises comme des salariés.

Vous nous proposez un texte de 219 pages supplémentaires. Je ne pense pas que ce soit de nature à répondre à l’objectif de simplification affiché par le Gouvernement.

Pour ma part, je souhaiterais que l’on prenne le temps de dépoussiérer le code du travail, par une véritable négociation avec les personnes concernées dans l’entreprise. La loi est là pour protéger ; nous ne vivons pas dans le monde des Bisounours ! La vie dans l’entreprise est souvent un affrontement, dont ont pu jaillir – c’est souvent le cas ! – des progrès sociaux.

Il faut raison garder. Cela implique de prendre le temps de la discussion. Lorsque les ouvriers et les patrons doivent discuter dans les petites entreprises – on pourra en reparler plus longuement lors de l’examen de l’article 2 –, il arrive souvent que des ouvriers, par peur du lendemain, n’osent pas s’opposer au patron. Les accords de branche garantissent un niveau de protection et de progrès social au monde salarié. C’est la base du mouvement socialiste français ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC. – Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Alors qu’on nous demande de simplifier le code du travail, on nous propose de créer une commission de refondation du code du travail. Mais c’est inutile ! Inscrivons déjà dans la loi ce qui doit y être ! Quel est le sens d’une telle proposition, sinon celui d’ouvrir la porte à une remise en cause du code du travail ?

On nous dit que le code du travail français est complexe. Mais comparons avec les codes du travail étrangers : moins les lois sont uniformes, plus il y a de jurisprudence !

Cela sera-t-il plus simple pour le salarié ? Les salariés qui changent d’entreprise tous les six mois ou tous les deux ans – c’est de plus en plus fréquent, car la précarité est de plus en plus grande – ne bénéficieront plus tout à fait du même mode de calcul pour le décompte des heures supplémentaires et ne seront plus rémunérés de la même manière. C’est un véritable maquis !

Alors que notre code du travail est déjà complexe, on y ajoute des dérogations à longueur de journée. Mais si ces dérogations ne sont pas encadrées par la loi, ce sera encore plus un maquis.

Il n’est donc pas d’utile de créer une commission de refondation du code du travail dans cet article.

En outre, l’urgence exige un travail approfondi sur d’autres mutations. Comment la France doit-elle organiser la démocratie sociale pour assurer la transition 4.0 ? Comment la France va-t-elle entrer dans l’ère du numérique ? Nous devons réfléchir sur ces questions et engager des négociations interprofessionnelles, par branche, voire par entreprise. J’aimerais bien connaître le budget que consacreront certaines entreprises à ces indispensables mutations.

Oui, la négociation est nécessaire, mais il n’est pas utile de l’organiser dans un cadre qui réduit les standards sociaux ! On doit ouvrir le champ de la négociation, sans remettre en cause les acquis fondamentaux.

Enfin, il n’est pas vrai que l’on va simplifier le code du travail avec des possibilités de conventions entreprise par entreprise. Cela ne fera que compliquer les choses, et aura pour effet, vous le savez bien, d’ouvrir la boîte de Pandore du dumping social ! (Marques d’approbation sur les travées du groupe CRC.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 40.

J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe CRC.

Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 245 :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 330
Pour l’adoption 23
Contre 307

Le Sénat n'a pas adopté.

L'amendement n° 455 rectifié, présenté par M. Watrin, Mmes Cohen, David, Assassi et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet article :

Les États généraux pour un code du travail du XXIsiècle sont réunis afin de proposer au Gouvernement une refondation de la partie législative du code du travail.

À l’occasion de ces États généraux, des groupes de travail thématiques seront créés. Les thématiques pourront être celles de la négociation collective dans la hiérarchie des normes, le renforcement du principe de faveur, les droits d’intervention des salarié-e-s dans l’entreprise. Un rapport de ces travaux sera remis au Gouvernement dans un délai d’un an.

La parole est à M. Dominique Watrin.

M. Dominique Watrin. L’article 1er du projet de loi prévoit une refondation du code du travail afin, officiellement, de le moderniser. Or, sous couvert de « modernisation » et de « simplification », la rédaction qui nous est proposée consiste en une diminution des droits des salariés.

Cette dynamique-là est totalement contraire au mouvement dans lequel s’est inscrit le droit du travail depuis le XIXe siècle, se développant pour protéger les salariés, engagés dans une relation de subordination avec leur employeur.

Ce qui peut permettre la mise en place d’un code du travail du XXIe siècle, ce n’est pas un retour en arrière sur des droits chèrement acquis ; c’est bien la prise en compte des défis actuels, comme la révolution numérique, la formation des salariés tout au long de leur vie ou la sécurité sociale universelle.

Ces progrès ne devraient pas et ne pourront pas se faire, comme vous le proposez, par le biais d’une commission d’experts non élus. Le nouveau code du travail doit être élaboré par des représentants de la Nation et de toutes les personnes qui participent à sa richesse et sa vitalité, avec la mise en place d’états généraux pour un code du travail du XXIe siècle.

Ils permettront à celles et à ceux qui vivent le monde du travail au quotidien et le comprennent en y étant confrontés, les premiers concernés par le code du travail, de s’exprimer. Leurs propositions seraient relayées par des représentants élus, ce qui permettrait de rédiger un code du travail réellement moderne.

À l’heure où des centaines de milliers de personnes se mobilisent pour défendre leur vision du travail et où des mouvements réclamant plus de participation dans la prise de décision politique se multiplient, vous ne pouvez pas continuer à ignorer les fondements et les principes démocratiques en confiant la refondation du code du travail à une assemblée de technocrates.

Tel est le sens de notre amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable sur cet amendement.

J’ai déjà répondu sur le dessaisissement des parlementaires : les états généraux, c’est nous ! La commission travaille sur le sujet. Le Gouvernement fera ce qu’il veut, et nous aurons à nous prononcer.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Myriam El Khomri, ministre. Avis défavorable.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 455 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. L'amendement n° 181 rectifié bis, présenté par M. Gorce, Mme Lienemann et MM. Durain, Néri, Masseret et Cabanel, est ainsi libellé :

I. – Après l’alinéa 2

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

…° Adapter le code du travail aux mutations de l’économie en pérennisant les périodes de professionnalisations ;

II. – Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

… – L’article L. 6324-1 du code du travail est ainsi rédigé :

« Art. L. 6324-1. – Les périodes de professionnalisation ont pour objet de favoriser par des actions de formation le maintien dans l’emploi de salariés en contrat à durée indéterminée. Dans les branches professionnelles déterminées par arrêté du ministre en charge du travail et concernées par des transformations profondes de la nature du travail effectué, liées en particulier à l’évolution des procédés techniques ou des formes d’organisation, chaque salarié bénéficie, dans un délai de cinq ans, d’une ou plusieurs périodes de professionnalisation visant à assurer son adaptation et son maintien dans l’emploi dans des conditions fixées par un accord collectif. »

La parole est à M. Gaëtan Gorce.

M. Gaëtan Gorce. J’essaie de comprendre la logique qui nous amène à discuter d’un tel texte.

J’ai évoqué précédemment l’enjeu de l’emploi, mais je n’ai pas vu le rapport immédiat, bien que ce soit la priorité de nos concitoyens. D’autres priorités peuvent évidemment être envisagées eu égard à l’évolution du monde du travail. Je ne parle pas de « l’ubérisation », dont on nous rebat les oreilles.

La part des emplois correspondant à ce modèle progresse peut-être relativement vite, mais pour un volume qui reste extrêmement limité. Si la perspective est de considérer que nous vivrons une ubérisation du monde du travail – c’est une perspective qu’il vaut mieux éviter ! –, force est de constater qu’elle n’est pas très crédible à l’horizon que nous pouvons nous fixer. En tout cas, elle ne correspond pas à l’évolution, y compris aux États-Unis, d’après ce que l’on peut observer.

Est-ce, d’une certaine manière, la progression de la précarité ? C’est la situation à laquelle on assiste de manière systématique : on nous dit que notre marché du travail manque de flexibilité. Mais on constate au contraire que le recours aux contrats atypiques, aux temps partiels subis et même maintenant au détournement très systématique du statut d’auto-entrepreneur – j’ai de nombreux exemples en tête, je pourrais éventuellement vous les fournir – progresse. On peut alors imaginer que notre priorité serait peut-être de freiner un tel mouvement.

Mais s’il s’agit de se placer dans une perspective, alors tournons-nous vers les véritables enjeux du monde du travail.

Le premier d’entre eux concerne la transformation des métiers au regard de l’évolution des techniques et de la modification de l’organisation du travail. Voilà un sujet qui devrait occuper notre gouvernement et notre majorité, en vue d’essayer d’adapter des solutions. Tel est le sens de notre proposition ; d’autres viendront en discussion ultérieurement.

Nous risquons de rendre obsolète toute une série de compétences dans de très nombreuses entreprises du fait de l’évolution des techniques et des savoir-faire avec l’arrivée du numérique. Malgré un certain nombre de dispositifs existants, les entreprises ne prennent malheureusement pas ce sujet à bras-le-corps, et les branches professionnelles le font encore moins encore. Or c’est pourtant ce qu’elles devraient faire.

De la même manière – ces deux problèmes sont très voisins –, nous connaissons une vraie difficulté dans notre économie du fait de l’insuffisante qualification de nos salariés. Le niveau de formation de nos actifs est inférieur à celui qui existe dans d’autres pays européens, à commencer par l’Allemagne. Cela explique nos difficultés.

Ce texte semble être bâti sur l’idée selon laquelle le code du travail, les lois relatives au travail, le coût du travail – on l’a vu avec le CICE – seraient à l’origine de toutes nos difficultés. Mais la vérité, c’est que nous ne créons pas assez de valeur ajoutée ; nos salariés ne sont pas assez formés ; l’obligation d’adaptation mise à la charge des entreprises n’est pas suffisamment mise en œuvre, et nous n’avons pas de dynamique.

Si nous voulons avoir une action offensive en faveur de l’emploi, il faut pousser à la négociation en ces domaines. Mais il faut que l’État y mette tous ses moyens pour faire en sorte que celle-ci aboutisse.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. Nous partageons le constat de la mutation accélérée de l’économie, du besoin de formation professionnelle, voire de formation tout court. Désormais, on le sait, on va changer plus souvent d’emploi ou de mission au cours de sa vie. Mais le texte qui nous est proposé commence à apporter un début de réponse à ces problématiques avec le compte personnel d’activité, qui, notamment, agrège les droits du compte personnel de formation. Certes, ce compte a mis un peu de temps à prendre son envol – peu de dossiers ont été validés –, mais il prend petit à petit sa vitesse de croisière.

L’article 1er n’est pas forcément le bon endroit pour intégrer un paragraphe sur les périodes de professionnalisation. Il est vrai que cette question se pose. Mais elle commence à être traitée dans le projet de loi, même si la réponse n’est pas parfaite.

En conséquence, la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Clotilde Valter, secrétaire d'État auprès de la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, chargée de la formation professionnelle et de l'apprentissage. Monsieur le sénateur, la préoccupation que vous exprimez ici est tout à fait légitime, mais la loi du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale y répond déjà largement.

En effet, au travers d’une réforme importante de la formation professionnelle, cette loi a profondément modifié les obligations des employeurs en les renforçant, et elle a rendu obligatoire la négociation par les entreprises de plus de 300 salariés des accords sur la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, la GPEC. L’objectif est d’engager des négociations pour anticiper et préparer les mutations auxquelles vous avez fait référence. Elles sont effectivement au cœur des préoccupations des acteurs économiques, mais aussi des partenaires sociaux sur l’ensemble du territoire.

D’ailleurs, cette préoccupation est d’ores et déjà déclinée dans les régions au sein des instances mises en place par la loi précitée, à savoir les CREFOP, coprésidés par les préfets et les présidents de conseils régionaux ; ils associent les partenaires sociaux. Au niveau territorial, ces comités incitent les entreprises à réfléchir sur l’évolution de leurs besoins en termes de compétences. Les branches sont représentées ; elles ont une responsabilité.

Le Gouvernement est donc défavorable à cet amendement d’ores et déjà satisfait par la loi de 2014, dont l’application, qui a commencé l’année dernière, se prolonge. La loi du 5 mars 2014 définissait un cadre. Myriam El Khomri a évoqué précédemment le plan « 500 000 formations supplémentaires », qui se décline aussi dans ce cadre et permet le déploiement de tous les outils que sont, entre autres, le compte personnel de formation et le conseil en évolution professionnelle. Tout cela forme un tout cohérent, qui s’applique depuis plus d’un an déjà et répond à votre préoccupation.

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. J’entends bien les propos de Mme la secrétaire d’État. Il est vrai que des progrès ont été réalisés pour améliorer l’accès à la formation professionnelle.

Mais, à ce stade, alors que nous débattons de la nécessité de repenser notre code du travail pour l’adapter au monde contemporain et pas, je l’espère, pour réduire les droits des salariés, il est fondamental d’inscrire dans nos textes une forme de révolution culturelle. Elle doit comprendre l’impérative nécessité de former tous les salariés – c’est extrêmement urgent dans certaines branches ! – et d’engager une réflexion sur les mutations technologiques en cours. On le sait, c’est la garantie de pouvoir les accompagner.

Nous le savons, il y a autant de dispositifs de formation qu’un évêque peut en bénir ! (Sourires.) Mais, manque de chance, personne ne s’en saisit ! Bilan des courses, cela ne marche pas. De nombreuses personnes passent à travers les mailles du filet !

Dans le cadre de la révision du code du travail, nous considérons qu’il faut systématiser les stages de professionnalisation pour accompagner les mutations technologiques dans les branches les plus concernées. C’est une révolution culturelle qui va dans le sens de la sécurisation du travail et de l’amélioration de notre compétitivité.

Mme la présidente. La parole est à M. Gaëtan Gorce, pour explication de vote.

M. Gaëtan Gorce. Les dispositifs comme le compte personnel d’activité et le droit individuel à la formation ont pour caractéristique d’être individuels. Sans doute le salarié peut-il y avoir recours s’il sort de l’emploi, mais il n’en sera pas moins dans une grande précarité. Pour que ces dispositifs soient efficaces, nous avons besoin qu’ils fassent l’objet d’un encadrement collectif à l’échelle de l’entreprise et, mieux encore, à l’échelle de la branche.

Par ailleurs, l’obligation de négocier date de 2005 ; j’ai travaillé comme député sur la loi qui l’a mise en place. J’aimerais qu’on dresse le bilan des mesures prises en 2014 ; celui du dispositif institué en 2005 est tout de même extrêmement fragile.

Quelle en est la raison ? D’abord, selon moi, l’entreprise n’est pas le bon niveau d’action. C’est à l’échelle de la branche qu’il faut envisager un tel dispositif. Ensuite, il faut faire preuve d’un véritable volontarisme, en mobilisant les moyens adéquats pour que les objectifs de négociation et de résultats soient atteints.

Comme nous le constatons tous sur le terrain, ceux qui perdent leur emploi et qui sont les moins adaptés et les moins qualifiés ont très peu de chances d’en retrouver un ; le taux de chômage est directement corrélé au niveau de formation. Or les entreprises, et plus encore les branches, parce qu’elles sont soumises à d’autres préoccupations, ne consacrent pas suffisamment de moyens à cet objectif.

Cela vaut aussi pour le grand plan de formation et de qualification que je propose dans un autre de mes amendements. Voilà une bonne vingtaine d’années que Jacques Delors réclame un tel dispositif. Entre parenthèses, dans un petit livre d’entretiens avec la journaliste Cécile Amar, Jacques Delors a déclaré que, vu l’évolution de la majorité, il se situait désormais à sa gauche, alors qu’il était auparavant catalogué comme « droitier ». C’est dire ! (M. le rapporteur Jean-Baptiste Lemoyne rit.) Jacques Delors, lui, n’a pas bougé. Il considère que la négociation sociale se passe d’abord avec une intervention de l’État et que le progrès social conditionne le progrès économique, et non le contraire. Je tenais à le souligner.

Ces questions fondamentales sont évoquées dans le projet de loi, mais elles ne sont pas traitées avec suffisamment de volontarisme. Comme toutes les questions relatives à l’emploi depuis vingt ans, elles font l’objet de magnifiques discours de l’ensemble des ministres et des partenaires sociaux, dont les accords sur le sujet, régulièrement annoncés, sont réalisés de manière insuffisante.

Il faut prendre le projet à bras-le-corps. C’est le rôle de l’État de le faire !

Mme la présidente. La parole est à Mme Annie David, pour explication de vote.

Mme Annie David. Je souscris aux propos de nos collègues.

Ce n’est pas M. Karoutchi qui me contredirait. En tant que président de la délégation sénatoriale à la prospective, il nous a permis d’entendre M. Robin Rivaton.

M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. L’excellent Robin Rivaton !

Mme Annie David. M. Rivaton a longuement évoqué la révolution numérique et les pertes d’emplois qu’elle va entraîner.

Je partage largement son constat, notamment s’agissant des difficultés de la formation et la nécessité pour les salariés de se former dès à présent pour pouvoir exercer les emplois de demain, lorsque beaucoup d’emplois actuels auront disparu sous l’effet de la révolution numérique. (Mme Évelyne Didier acquiesce.)

Nous souhaitions la suppression de l’article 1er du projet de loi. Mais, comme nous n’avons pas été suivis, nous considérons qu’il faut à tout le moins l’améliorer. L’idée d’« adapter le code du travail aux mutations de l’économie en pérennisant les périodes de professionnalisations » va dans le sens du progrès social et de la prise en compte des besoins des salariés, afin de leur permettre le maintien dans l’emploi, voire, mieux encore, une évolution professionnelle.

Et nous ne pouvons que soutenir la proposition des auteurs de l’amendement en matière de formation professionnelle nécessaire ; je dirais même « obligatoire ».

Nous voterons donc cet amendement, même si nous avions défendu la suppression de l’article 1er.

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Cadic, pour explication de vote.

M. Olivier Cadic. Monsieur Gorce, je me permets de vous livrer une information qui éclairera peut-être votre réflexion.

Je vis au Royaume-Uni, où la formation professionnelle est assurée à l’échelle de l’entreprise. Or, dans une étude présentée à la délégation sénatoriale aux entreprises lorsque celle-ci s’est rendue à Londres, le Cercle d’outre-Manche, un think tank spécialisé dans la comparaison des législations des deux côtés de la Manche, a démontré que les salariés sont plus nombreux à accéder à un bon niveau de formation professionnelle lorsque l’accompagnement est assuré à l’échelle de l’entreprise, et non de la branche, comme vous le proposez.

M. Christian Cambon. Très bien !

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 181 rectifié bis.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. L’amendement n° 182 rectifié bis, présenté par M. Gorce, Mme Lienemann et MM. Durain, Néri, Masseret et Cabanel, est ainsi libellé :

Alinéa 3

Rédiger ainsi cet alinéa :

1° Renforcer les garanties des salariés face aux mutations économiques ;

La parole est à M. Gaëtan Gorce.

M. Gaëtan Gorce. Je voudrais faire part à la commission et à son excellent rapporteur de ma surprise devant la rédaction choisie pour l’alinéa 3 de l’article 1er.

Après avoir formulé un certain nombre de critiques à l’encontre du texte initial du Gouvernement, je ne peux pas accepter la formulation retenue, qui tend à subordonner l’évolution de la négociation et du droit social à des objectifs de compétitivité.

Tous ceux qui, dans l’histoire, ont contribué à faire évoluer le droit du travail ont estimé que le progrès social était la condition du progrès économique. On peut considérer que c’est le contraire. Mais il reste que le droit du travail est conçu d’abord pour rééquilibrer la relation entre le salarié et le chef d’entreprise, pour favoriser la sécurité et la prise en compte des questions d’hygiène, pour équilibrer la situation en termes de négociation et pour garantir les droits fondamentaux. Il n’est pas conçu pour servir d’abord la compétitivité.

C’est pourquoi je propose de réécrire l’alinéa 3 de l’article 1er, afin de faire référence à ce qui est normalement la vocation du droit du travail : garantir au salarié des droits dans l’entreprise pour lui permettre d’exercer son activité. Parce qu’ils assurent la sécurité du salarié, ces droits peuvent avoir pour conséquence de le rendre plus productif et, de ce fait, contribuer au progrès économique. Mais ce n’est pas sur cet objectif que nous devons fonder notre droit du travail. Peut-être est-ce l’intention de la droite, si les prochaines élections devaient lui être favorables ? En tout cas, ce n’est pas du tout la logique dans laquelle nous souhaitons nous placer.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. Selon nous, l’objectif de renforcement des garanties des salariés est compris dans l’alinéa 4 de l’article 1er, où il est indiqué que la refondation du code du travail a pour objet de « protéger les droits et libertés fondamentales des travailleurs ».

Dans le texte de la commission, le renforcement de la compétitivité des entreprises n’est que le troisième objectif mentionné, après la protection des droits et libertés fondamentales des travailleurs. D’ailleurs, les deux objectifs ne sont pas antagonistes.

Enfin, l’amendement n° 182 rectifié bis tend à supprimer non pas l’alinéa 5, qui vise le renforcement de la compétitivité, mais l’alinéa 3, qui fixe l’objectif de « simplifier les règles du code du travail ».

La commission a donc émis un avis défavorable sur l’amendement, qui est en partie satisfait.

Monsieur Gorce, vous avez fait référence à Jacques Delors, qui n’a pas bougé et qui se considère maintenant comme à la gauche de la gauche. Nous non plus, nous n’avons pas bougé !

M. Alain Néri. Nous l’avions compris depuis longtemps !

M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. En réalité, le texte de la commission s’inscrit dans la même philosophie que nos lois de 2004 et 2008. Vous n’avez pas bougé, et moi non plus. En revanche, je considère que le Gouvernement, lui, a bougé, pour venir sur nos lignes.

Mme Laurence Cohen. Nous sommes bien d’accord ! C’est précisément ce que nous dénonçons !

M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. Notez que nous nous en réjouissons. Cette prise de conscience, quoiqu’un peu tardive, est salutaire pour la France. C’est dans cet esprit que nous accompagnons le mouvement et que nous avons réécrit l’article 1er du projet de loi.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Myriam El Khomri, ministre. Monsieur le rapporteur, je vous rassure : nous sommes sur notre propre ligne, une ligne sociale-démocrate.

Contrairement à vous, nous estimons que certains grands principes doivent rester inscrits dans la loi. Je pense par exemple à la durée légale du travail.

M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. Nous verrons quel sera votre avis sur l’amendement que nous avons déposé à cet égard !

Mme Myriam El Khomri, ministre. Dans son essence même, le droit du travail comprend la protection du salarié ; il n’est nullement question de la remettre en cause.

L’enjeu est de laisser plus de place à la négociation, afin que les acteurs puissent faire preuve d’une plus grande réactivité devant les mutations. S’il n’y a pas de négociation, c’est le droit actuel qui continuera de s’appliquer.

La négociation collective, à laquelle la refondation du code du travail donnera une place centrale, s’entend autant au niveau de la branche que de l’entreprise. À chacun de trouver le niveau le plus pertinent. C’est aussi par la négociation collective que sont garantis les droits des salariés.

Le projet du Gouvernement est différent de celui de la commission des affaires sociales, dans la mesure où nous souhaitons que la future commission de refondation propose une réécriture du code du travail à droit constant. Dès lors, il ne me paraît pas nécessaire de dresser une liste d’objectifs, ce qui nous éloignerait du droit constant. Je ne suis donc pas favorable ni à la rédaction de la commission des affaires sociales ni aux amendements tendant à introduire des objectifs à cet endroit du texte.

Encore une fois, il n’appartiendra pas à la future commission de faire évoluer le droit. C’est votre travail, mesdames, messieurs les parlementaires !

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 182 rectifié bis.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. Madame la ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, il est près de minuit. Je vous propose de prolonger notre séance jusqu’à minuit trente, afin de poursuivre l’examen de ce texte.

Il n’y a pas d’opposition ?…

Il en est ainsi décidé.

L’amendement n° 183 rectifié bis, présenté par M. Gorce, Mme Lienemann et MM. Durain, Néri, Masseret et Cabanel, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 3

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

…° Diminuer le chômage, en prévoyant qu’un accord de branche fixe les conditions dans lesquelles les salariés en formation sont automatiquement remplacés pendant la durée de celle-ci par un demandeur d'emploi préalablement préparé ;

La parole est à M. Gaëtan Gorce.

M. Gaëtan Gorce. Avec votre permission, madame la présidente, je défendrai en même temps l’amendement n° 184 rectifié bis.

Mme la présidente. J’appelle donc en discussion l’amendement n° 184 rectifié bis, présenté par M. Gorce, Mme Lienemann et MM. Durain, Néri, Masseret et Cabanel, et ainsi libellé :

Après l’alinéa 4

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

…° Permettre la mise en œuvre d’un grand plan de formation et de qualification grâce auquel chaque salarié disposant d'un niveau de formation inférieur au niveau 4 bénéficie d'actions de formation lui permettant d'accéder au minimum au niveau immédiatement supérieur dans un délai de cinq ans. Ces actions sont définies et mises en œuvre dans chaque branche professionnelle par accord collectif ;

Veuillez poursuivre, monsieur Gorce.

M. Gaëtan Gorce. Je suis parti d’un constat sur lequel je ne m’appesantirai pas : l’insuffisance du niveau global de formation dont ont bénéficié les actifs.

Cela résulte de la lenteur avec laquelle le système scolaire s’est mis à contribuer à l’élévation du niveau global de formation, mais aussi de l’attitude d’entreprises qui développent assez peu la formation ou la concentrent au bénéfice de salariés déjà formés. Malgré de multiples réformes, on n’a pas réussi à inverser cette tendance, y compris via les accords signés par les partenaires sociaux. D’ailleurs, sur le sujet, ces derniers ne me paraissent pas paradoxalement forcément les mieux qualifiés pour aboutir à des résultats. Ils préconisent à chaque fois le statu quo, moyennant quelques rares aménagements.

Sans doute faut-il remettre l’ouvrage sur le métier. L’enjeu est considérable. C’est le sens de mes deux amendements.

L’amendement n° 184 rectifié bis vise à lancer le grand plan de qualification et de formation nécessaire pour élever le niveau de formation d’un certain nombre de salariés dans le cadre de la négociation collective. C’est dans ce cadre qu’une telle démarche doit être envisagée. J’ai exprimé précédemment mes plus vives réserves quant à l’efficacité des dispositifs individuels. Ils donnent l’impression de répondre aux situations des personnes amenées à évoluer en accordant à celles-ci des droits spécifiques. Mais, dans les faits, la plupart des salariés ne peuvent pas bénéficier de la liberté supplémentaire qu’ils offrent, soit parce qu’ils ont perdu leur emploi, soit parce qu’ils n’ont pas les outils qui le leur permettraient dans leur entreprise. La démarche doit être menée à une échelle collective !

L’amendement n° 183 rectifié bis tend à mettre en place un système de rotation expérimenté par les Danois et déjà tenté ici ou là. Puisque l’on parle d’expérimentations, pourquoi ne pourrions-nous pas en faire une pour ce dispositif ? Concrètement, un salarié quittant son emploi pour suivre une formation en vue de répondre à l’objectif général d’élévation du niveau de qualification serait remplacé par une personne au chômage qui aurait été préparée à occuper son poste.

On aime bien citer les Danois à propos de la flexisécurité. Je crois bien que ce sont aussi des « sociaux-démocrates », pour reprendre l’expression de Mme la ministre, expression qui ne m’est d’ailleurs guère familière. En France, notre culture n’a jamais été très sociale-démocrate. Puisque la formule date de quelques années et vient de pays étrangers, nous pourrions peut-être essayer de l’acclimater.

Mme Nicole Bricq. Utilisez celle que vous voulez !

M. Gaëtan Gorce. D’ailleurs, il est curieux de prétendre « moderniser » le droit du travail quand on vieillit la politique en utilisant des expressions désuètes, pour ne pas dire obsolètes, que l'on présente comme le symbole de la modernité politique…

Je crains que l’on ne commette la même erreur à propos du code du travail !

M. Christian Cambon. Allez donc faire un stage en entreprise !

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable sur ces deux amendements.

Toutefois, l’idée qui est défendue à l’amendement n° 183 rectifié bis ne me semble pas inintéressante. À mon sens, la commission d’enquête du Sénat sur les chiffres du chômage en France et dans les pays de l’Union européenne, dont la présidente est présente dans notre hémicycle, pourrait étudier le principe de l’expérimentation proposée, afin de déterminer dans quelle mesure le dispositif mis en œuvre au Danemark pourrait être transposé en France.

Certes, il est toujours intéressant d’examiner ce qui se fait à l’étranger. Mais, nous le savons tous, comparaison n’est pas raison ; chaque modèle a ses propres équilibres. Toujours est-il que l’idée de M. Gorce mérite sûrement d’être creusée.

Par ailleurs, toutes les propositions tendant à activer des dépenses passives méritent d’être considérées. Il peut y avoir d’autres idées en ce sens.

Par conséquent, si la commission est hostile à l’inscription des mesures proposées dans le projet de loi, la réflexion mérite, me semble-t-il, d’être poursuivie, notamment au sein de la commission d’enquête que je viens d’évoquer.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Clotilde Valter, secrétaire d'État. La demande de M. Gorce relative au dispositif de rotation envisagé à l’amendement n° 183 rectifié bis est satisfaite. Un tel système est en cours d’expérimentation dans les entreprises de moins de dix salariés et dans les entreprises de dix à quarante-neuf salariés. Nous proposons donc d’attendre l’évaluation des résultats de l’expérimentation pour pouvoir juger de l’efficacité ou de l’inefficacité du dispositif avant d’en envisager la généralisation.

Il me semble en outre que Mme la ministre et moi-même avons déjà largement répondu sur le grand plan de formation et de qualification réclamé à l’amendement n° 184 rectifié bis.

Je le répète, la loi du 5 mars 2014 prévoit une déclinaison dans les territoires, grâce à un travail de terrain mené par l’État, les régions, compétentes en matière de formation professionnelle, et les partenaires sociaux. Les outils qu’elle a créés, comme le conseil en évolution professionnelle, répondent aux préoccupations de M. Gorce. Ils permettent d’accompagner le demandeur d’emploi ou le salarié dans la définition de son parcours et de ses actions de formation. Le choix doit être celui de la personne elle-même ; c’est un principe important de la loi. Le compte personnel de formation, entré en vigueur en 2015, constitue désormais un droit individuel transférable, enrichi par le présent projet de loi pour les salariés les moins qualifiés.

J’ajoute que la loi du 5 mars 2014 permet aux personnes les moins qualifiées d’accéder à une première certification : le socle de connaissances et de compétences professionnelles, plus connu sous l’acronyme CLéA.

Monsieur Gorce, toutes les mesures que nous mettons en œuvre me semblent aller dans le sens de ce que vous souhaitez. Le plan « 500 000 formations supplémentaires », pour lequel le Gouvernement a dégagé un milliard d’euros, constitue le grand plan de formation que vous demandez.

Il a été proposé aux régions, qui sont chargées de coordonner la mise en œuvre de ce plan, de le décliner dans les territoires, au sein des CREFOP, en liaison avec les partenaires sociaux.

Autrement dit, ce plan est décliné au plus près du territoire, pour répondre aux besoins des entreprises et de l’économie, mais aussi pour traiter les sujets que vous avez évoqués, c'est-à-dire la transformation profonde de notre économie et les réponses qui doivent être apportées s’agissant particulièrement de la transition énergétique et de la transformation numérique.

Ce plan de 500 000 formations permet justement d’apporter aux demandeurs d’emploi la brique de formation dont ils ont besoin, sur un socle de qualification quelquefois insuffisant, pour pouvoir répondre immédiatement aux compétences demandées par les entreprises, qui sont aujourd’hui définies, d’un côté, par les transformations numériques, et, de l’autre, par la transition énergétique.

Monsieur le sénateur, en mettant bout à bout tous ces dispositifs, nous sommes donc en situation de répondre aux demandes que vous avez exprimées et dont nous mesurons bien l’importance. C’est pourquoi nous ne pouvons qu’abonder dans votre sens et vous assurer qu’elles sont d’ores et déjà mises en œuvre.

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Néri, pour explication de vote.

M. Alain Néri. La formation est l’une des conditions de base pour avoir des entreprises compétitives. Les chefs d’entreprises nous disent régulièrement qu’ils ont besoin de travailleurs bien formés. Ce n’est d'ailleurs pas nouveau. Comme vous le savez, mes chers collègues, Jules Ferry a décidé de rendre l’école obligatoire pour que les petits Français apprennent à lire, à écrire et à compter, parce que la révolution industrielle impliquait que les travailleurs possèdent certaines connaissances de base.

M. Christian Cambon. C’est vous qui avez diminué les connaissances de base !

M. Alain Néri. Pendant de longues années, on nous a dit qu’il fallait des travailleurs bien formés, qui répondent aux besoins des entreprises. Mme la secrétaire d’État vient tout juste de rappeler que c’était la base de la compétitivité. Dans ces conditions, je vous pose la question, madame la ministre : où en est-on de la formation en alternance ?

Nous sommes au mois de juin, l’année scolaire va se terminer et de nombreux jeunes et leurs parents vont se rendre dans nos permanences, parce qu’ils ne parviennent pas à trouver d’employeur pour suivre un CAP, un BP, un BTS, un baccalauréat professionnel ou toute autre formation en alternance. On fait miroiter aux jeunes qu’ils vont pouvoir suivre une formation en alternance adaptée aux besoins, qui leur permettra d’intégrer l’entreprise, mais, en réalité, au mois de septembre ou au mois d’octobre, ces jeunes vont se trouver sans formation, faute de réponse des chefs d’entreprise.

Ceux qui ne perdent pas le Nord, en revanche, madame la ministre, ce sont les organismes qui proposent des formations théoriques à des prix exorbitants, compris entre 2 000 euros et 5 000 euros, sans même se préoccuper de savoir si les jeunes pourront obtenir une formation en alternance ! (Marques d’impatience sur plusieurs travées.)

Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Alain Néri. Je conclus, mais l’impatience des jeunes qui vont débarquer dans nos permanences dans quelques jours vaut bien quelque temps de parole supplémentaire. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. Monsieur Néri, il faut vraiment conclure ! Nous vous redonnerons la parole ultérieurement.

M. Alain Néri. Si vous m’interrompez, madame la présidente, je reprendrai la parole ensuite, ce n’est pas grave !

Simplement, madame la ministre, je veux vous dire qu’il est important d’imposer à ceux qui ont réclamé une telle formation la réalité de cette alternance…

Mme la présidente. La parole est à M. Martial Bourquin, pour explication de vote.

M. Martial Bourquin. L'amendement n° 183 rectifié bis de notre collègue Gorce est bienvenu, car ce système se met en place au Danemark, où il fonctionne bien et doit être généralisé. L’idée de remplacer un salarié partant en formation dans une PME par un chômeur de longue durée est d’autant plus séduisante qu’une formation en situation de travail apporte bien plus.

M. Christian Cambon. Avez-vous déjà travaillé dans une entreprise ?

M. Martial Bourquin. On compare beaucoup, en matière de droit du travail, la situation de la France à celle de la Grande-Bretagne, évoquée par M. Cadic, de l’Italie, ou encore de l’Espagne. Je voudrais pour ma part vous parler quelques instants de l’Allemagne. Dans ce pays, le cœur de la négociation se situe au niveau de la branche. Des conventions collectives, des conventions sectorielles sont passées à l’échelle régionale.

M. Christian Cambon. Ils n’ont pas non plus les mêmes syndicats !

M. Martial Bourquin. Tous les dix-huit à vingt-quatre mois, les membres de la branche se réunissent ; ils sont proches du terrain, parce qu’ils travaillent dans les entreprises. Ils peuvent signer des accords de groupe, mais ces derniers doivent obligatoirement être plus généreux que les accords de branche.

Durant les deux semaines d’examen de ce projet de loi, nous allons débattre pour savoir s’il faut privilégier l’entreprise ou la branche. Eh bien, il faut favoriser les deux, l’entreprise et la branche. Sur une question comme celle du remplacement des personnes en formation par des chômeurs de longue durée, la branche peut apporter des solutions.

Une chose, en Allemagne, devrait nous mettre d’accord : la volonté de cogestion, la volonté de trouver des accords entre le patronat et les salariés. (M. Jean-François Husson s’exclame.) Certains accords de branche ont ainsi pu prévoir de reporter des augmentations de salaire lorsque l’entreprise irait mieux et ne serait plus en difficulté. Toutefois, il n’est pas bon de mettre la branche de côté.

M. Alain Néri. Très bien !

M. Martial Bourquin. J’ai moi-même, en tant que syndicaliste, mené des accords de branche qui ont constitué des avancées pour les employeurs comme pour les salariés. Vouloir opposer les choses est une gigantesque erreur. C’est la raison pour laquelle il s’agit d’un très bon amendement.

Lorsque nous aborderons l’article 2, nous veillerons à avoir un vrai débat sur la place de la branche et de l’entreprise.

Mme la présidente. La parole est à M. Gaëtan Gorce, pour explication de vote.

M. Gaëtan Gorce. Nos collègues de la majorité nous invitent à nous rendre dans les entreprises, comme si nous n’y étions jamais allés ! Vous avez voté le budget des services spéciaux, mais avez-vous été agent secret autrement que devant votre poste de télévision ? (Sourires sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.) Avez-vous exercé dans un service de gynécologie ?

M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. Oui ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Gaëtan Gorce. Avez-vous même été syndicaliste, comme Martial Bourquin ?

Les parlementaires ont vocation à traiter l’ensemble des sujets. Évitez donc d’employer de tels arguments, qui n’élèvent pas le niveau du débat. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC. – Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) Et si mes propos vous irritent, chers collègues de la majorité sénatoriale, après tout, tant mieux : cela me fait plaisir de ne pas irriter seulement le Gouvernement…

J’en reviens au sujet qui nous intéresse. Je sais qu’il existe déjà un dispositif de rotation des emplois. Ce que j’ai proposé à Mme la ministre, c’est l’articulation des deux. Ce qu’il faudrait mettre en place, aujourd’hui, c’est un grand plan de formation et de qualification.

Vous avez fait allusion à votre plan concernant les demandeurs d’emploi. Pour ma part, je pense à ceux qui occupent déjà un emploi et qui sont confrontés à la question de l’élévation des qualifications. D’où l’articulation avec l’idée de la rotation : il s’agit de mettre en place un dispositif volontariste, s’appuyant sur la formation massive des salariés. Plutôt que de continuer à baisser les cotisations sociales, ce qui coûte extrêmement cher, nous considérons qu’il faut relever le niveau de formation des salariés en créant, au travers d’une obligation de négocier et d’aboutir, avec un accompagnement financier, ce mouvement de formation et de qualification, complété par un mécanisme de rotation.

Je fais observer que nous consacrons beaucoup d’argent à la baisse des cotisations sociales, pour des résultats qui sont, depuis le début, extrêmement modestes.

Bien sûr, nous créons une accoutumance. Certes, nous ne pouvons pas revenir sur ces baisses de cotisations, parce que cela se traduirait par un alourdissement des charges des entreprises, ce qui n’est pas souhaitable. Toutefois, la prise en charge des baisses de cotisations, même si elle a été progressivement relevée, maintient l’échelle des salaires à un niveau relativement faible. Nous favorisons ainsi les mauvaises pratiques.

Nous devrions y réfléchir. C’est presque au-delà de 1,5 SMIC que nous devrions accorder ces allocations, afin d’encourager les entreprises à mener ce travail d’élévation des qualifications, donc des salaires.

Si un problème de pouvoir d’achat se pose dans notre pays, c’est aussi parce que les salaires sont trop bas, les qualifications étant trop faibles. C’est de cela que souffre notre économie, et non d’un poids excessif des cotisations sociales ou du code du travail.

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Cadic, pour explication de vote.

M. Olivier Cadic. Pour réagir aux propos de M. Bourquin, je voudrais rappeler que la délégation aux entreprises s’est rendue à Londres, dans le cadre de l’élaboration d’un rapport d’information se fondant justement sur le témoignage des entrepreneurs français installés au Royaume-Uni. Au moment de la grave crise de 2008, on nous a cité les nombreux cas d’entreprises où les salariés, en accord avec l’entrepreneur, ont fait le choix de travailler sur trois jours plutôt que d’être licenciés. Ces choix étaient arrêtés au niveau de l’entreprise.

Vous avez raison de souligner qu’il ne faut pas opposer la branche et l’entreprise, monsieur Bourquin, mais il convient également de préserver la liberté de l’entreprise de rejoindre une branche, ou pas. Dans certains cas, la branche fonctionne bien et est très utile. Faisons confiance aux gens !

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 183 rectifié bis.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 184 rectifié bis.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. L'amendement n° 115 rectifié, présenté par MM. Antiste, Cornano, Desplan et Karam et Mme Jourda, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 4

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

…° Garantir par des sanctions appropriées une égalité salariale effective entre femmes et hommes occupant un poste équivalent, à ancienneté et compétence égales ;

La parole est à M. Maurice Antiste.

M. Maurice Antiste. Bien qu’ayant été introduit dans le droit français depuis près d’un demi-siècle, le principe « à travail égal, salaire égal » n’est toujours pas respecté dans la pratique, puisqu’un écart de 10 % environ subsiste pour des emplois équivalents.

La « refondation » de la partie législative du code du travail doit selon moi être l’occasion de mettre en place des sanctions suffisamment dissuasives pour les entreprises, afin d’assurer l’application effective de cette égalité salariale entre femmes et hommes occupant un poste équivalent, à ancienneté et compétence égales.

C’est ainsi que je propose, après l’alinéa 4, d’insérer un alinéa ainsi rédigé : « Garantir par des sanctions appropriées une égalité salariale effective entre femmes et hommes occupant un poste équivalent, à ancienneté et compétence égales ».

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. Nous partageons tous l’objectif de l’auteur de l’amendement concernant l’égalité salariale effective. Dans notre esprit, cet objectif relève pleinement de l’alinéa 4 de cet article, qui pose le principe général de protection des droits et des libertés fondamentales des travailleurs.

Cet alinéa est un clin d’œil appuyé au travail du comité Badinter, qui n’a pas été retenu en tant que tel dans le corps du projet de loi. On se souvient que l’article 31 du rapport de ce comité est justement consacré à l’égalité de rémunération. Ce principe est selon nous satisfait par cet alinéa.

Sur le fond, je veux rappeler le travail constant accompli par tous les gouvernements qui se sont succédé, notamment la loi du 23 mars 2006 relative à l’égalité salariale entre les femmes et les hommes, portée à l’époque par Nicole Ameline, qui a instauré des sanctions assez significatives. En effet, toute entreprise qui n’a pas conclu un plan d’égalité professionnelle, lequel comprend notamment l’égalité salariale, peut se voir infliger une sanction de l’ordre de 1 % de la masse salariale : ce n’est pas rien ! Cette logique de sanctions est donc d’ores et déjà inscrite dans la loi de 2006. Je ne dispose pas d’éléments statistiques, mais peut-être Mme la ministre pourra-t-elle nous en communiquer.

Nous partageons naturellement vos préoccupations, mais, selon nous, votre amendement est satisfait par l’alinéa 4 de l’article 1er, à travers le principe général de protection des droits et des libertés fondamentales. J’espère que le travail de résorption des écarts engagé depuis de nombreuses années et les sanctions prévues permettront d’obtenir très rapidement une convergence.

Néanmoins, vous l’aurez compris, la commission a émis un avis défavorable sur cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Myriam El Khomri, ministre. Comme je l’ai dit tout à l’heure, l’enjeu de la commission de refondation est justement de travailler à droit constant. C’est aux parlementaires qu’il revient de faire évoluer le droit. Je partage tout à fait l’objectif de votre amendement, monsieur le sénateur. Les écarts injustifiés de salaire entre les femmes et les hommes sont tout à fait inacceptables dans notre pays. Vous me donnez l’occasion de vous dire ce qu’il en est aujourd'hui.

De nombreux outils ont été mis en œuvre, M. le rapporteur l’a souligné. Le Gouvernement s’y est également activement engagé, notamment par l’encadrement du temps partiel, le renforcement des accords sur l’égalité professionnelle.

Au 15 janvier 2016, près de 2100 entreprises ont fait l’objet d’une mise en demeure. Elles ont alors six mois pour se mettre en règle. Nous rencontrons une difficulté, puisque seulement 34 % des entreprises de 50 à 299 salariés sont couverts par un accord, 69 % des entreprises de 299 à 999 salariés, et 84 % des entreprises de plus de 1000 salariés. Quelque 6 % de ces mises en demeure ont fait l’objet d’une sanction, pour un montant d’environ 408 000 euros.

L’enjeu, aujourd'hui, concerne les plus petites entreprises. Je me suis rendue voilà quelques mois devant le Conseil supérieur de l’égalité professionnelle, le CSEP, pour identifier les leviers en vue de développer ces accords sur l’égalité salariale dans les entreprises de 50 à 299 salariés. Dans le même temps, nous prenons des dispositions pour multiplier les contrôles.

Je partage par conséquent tout à fait votre volonté, monsieur le sénateur. L’enjeu de cette commission, je le répète, n’est pas d’ajouter des objectifs, puisqu’elle travaille à droit constant, ce qui constitue une garantie pour les salariés. C’est aux parlementaires, et non à une commission d’experts ou de praticiens du droit social, même en lien avec les partenaires sociaux et les associations de la société civile, qu’il revient de faire évoluer le droit.

C’est la raison pour laquelle je vous invite à retirer votre amendement, monsieur le sénateur. À défaut, l’avis du Gouvernement serait défavorable.

Mme la présidente. Monsieur Antiste, l'amendement n° 115 rectifié est-il maintenu ?

M. Maurice Antiste. Puisque la commission et le ministre sont d’accord, ma question est la suivante : en quoi cela dérangerait-il de faire ce rappel en maintenant mon amendement ? J’invite l’assemblée à aller dans mon sens, et à l’unanimité ! (Sourires.)

Je maintiens donc mon amendement, madame la présidente.

Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.

Mme Laurence Cohen. Je ne doute pas de l’engagement de Mme la ministre pour essayer d’obtenir l’égalité professionnelle et salariale. Le problème, c’est que de nombreuses lois vont dans ce sens depuis des années, que nous sommes en 2016 et que ces textes ne sont pas appliqués. Nous nous creusons la tête pour faire en sorte que les entreprises respectent les lois.

Cela correspond tout de même à un manque à gagner de 52 milliards d’euros pour la protection sociale ! Je l’ai dit devant l’un des responsables de la Cour des comptes, qui ne m’a absolument pas contredite. Le problème, m’a-t-il répondu, c’est que cela ouvrirait des droits nouveaux. Effectivement, de meilleurs salaires ouvrent des droits nouveaux, une meilleure retraite, etc.

Dans ces conditions, en 2016, il est important de suivre la proposition de notre collègue. À un moment donné, il faut que cessent ces contournements de la loi : il n’y a aucune raison que l’égalité entre les femmes et les hommes ne soit pas pleine et entière, que ce soit l’égalité professionnelle ou l’égalité salariale.

Or ce n’est jamais le bon véhicule législatif, ni jamais le bon moment ! Et pendant ce temps, on voit proliférer les temps partiels imposés, les bas salaires pour les femmes et tous les contournements de la loi que j’ai évoqués.

D’ailleurs, la commission des affaires sociales ne vise même pas la parité dans la composition de la commission, qui doit simplement « tendre à » respecter un objectif de parité. C’est perpétuellement le cas : nous tendons à la parité ! Il y en a assez ! L’égalité doit être respectée, et il faut l’affirmer dans tous les véhicules législatifs qui nous permettent de le faire.

J’invite donc à voter en faveur de cet amendement. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Gaëtan Gorce, pour explication de vote.

M. Gaëtan Gorce. Je souhaite également l’adoption de cet amendement, et je ne puis m’empêcher de faire le rapprochement avec les débats que nous avons eus précédemment. Chaque fois, on nous explique que les choses sont en cours.

Nous avons une politique de l’emploi formidable, par exemple ; il suffit de mobiliser les moyens déjà engagés ! Or cela dure depuis plus de vingt-cinq ans, sans que le chômage de masse et le chômage de longue durée quittent leur niveau élevé. Nos concitoyens doivent le savoir : tout est en place en matière de formation et de qualification. Des réformes ont été menées à bien, on en lance de nouvelles et la rotation des emplois est à l’œuvre…

En fait, rien ne fonctionne : le système de la formation bénéficie toujours aux mêmes ; la politique de l’emploi ne permet pas de réduire le chômage ; depuis des années, nous affichons l’égalité salariale entre hommes et femmes dans un certain nombre de politiques, sans aucun résultat. Tout cela continue, et l’on se contente de déclarations. Il ne faut pas s’étonner, ensuite, que nos électeurs nous sanctionnent dans les urnes. Ce qu’ils veulent, ce sont des actes, et non une accumulation de déclarations !

Des mesures concrètes, suivies d’une volonté de les mettre en œuvre : voilà ce que serait une politique réformatrice !

Mme la présidente. La parole est à Mme Corinne Bouchoux, pour explication de vote.

Mme Corinne Bouchoux. Je remercie Mme la ministre de la précision des chiffres qu’elle a donnés. Cet amendement est vraiment de ceux dont il sera difficile d’expliquer le rejet au grand public : oui, nous en partageons la finalité, mais nous ne l’adoptons pas, parce que ce n’est pas le moment et que cela va poser des problèmes dans certaines entreprises, etc.

Si des membres de la délégation aux droits des femmes sont présents dans notre assemblée ce soir, ils reconnaîtront dans cette proposition le genre de mesures qui, depuis très longtemps, sur toutes les travées de cet hémicycle, font consensus. Il s’agit simplement d’affirmer que l’égalité salariale à emploi équivalent, ce doit être maintenant.

Très franchement, je comprends vos précautions, madame la ministre. Toutefois, un rejet ne serait pas explicable au grand public. Il me paraît donc important que cet amendement recueille un vote unanime.

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Cadic, pour explication de vote.

M. Olivier Cadic. Nous sommes tous d’accord avec le concept : il faut une égalité salariale. Néanmoins, quelque 21 discriminations figurent au code pénal, et il convient de lutter contre toutes ces discriminations. Or il paraît difficilement envisageable de les citer toutes à cet endroit précis du texte !

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Myriam El Khomri, ministre. Je n’ai pas dit que cette disposition posait des problèmes aux entreprises ; je ne m’en préoccupe pas. La question, pour moi, est d’appliquer la loi. Cela explique mon souhait de vous communiquer des données très concrètes sur l’application de cette loi et sur les difficultés que nous rencontrions dans les plus petites entreprises, notamment en termes de mise en œuvre.

J’ai également expliqué que la commission de refondation avait pour fonction, non pas de faire évoluer le droit, mais de laisser une plus grande place à la négociation collective. D’ailleurs, c’est précisément parce que la préoccupation exprimée n’entre pas dans le cadre de cette commission que j’ai suggéré le retrait de cet amendement.

Tels sont les propos que j’ai tenus. Mais si, chaque mois, à la suite de ma rencontre avec le Conseil supérieur de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, je demande à mes services un bilan sur les mises en demeure et amendes appliquées, c’est bien parce que je considère ce sujet particulièrement important. Au-delà des lois qui sont votées, il me revient de mettre ces mesures en œuvre.

Par ailleurs, la volonté réformatrice ne s’exprime pas qu’en mots. L’État, avec les régions, forme actuellement près de 500 000 demandeurs d’emploi. Moi qui, avec Clotilde Valter ou avec les présidents de région, me rends sur le terrain, je considère que, pour des personnes attendant depuis six ou huit mois un financement de la région, ce sont, non pas des mots, mais des actes qui sont posés, redonnant un peu de crédibilité à la politique.

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Néri, pour explication de vote.

M. Alain Néri. Un parlementaire a pour fonction première d’élaborer la loi, laquelle doit effectivement protéger les citoyennes et les citoyens et garantir l’application des valeurs fondamentales de la République : la liberté, l’égalité et la fraternité.

Dans sa proposition, notre collègue Maurice Antiste demande tout simplement davantage d’égalité, et il souhaite sanctuariser l’égalité salariale entre hommes et femmes dans la loi.

Tout le monde semble d’accord, mes chers collègues. Il serait tout de même très positif que, à minuit trente-cinq, au moment de lever la séance, nous parvenions à un vote unanime sur une mesure emportant l’accord de tous. Par conséquent, je ne me contenterai pas d’entendre certains nous expliquer qu’ils sont pour, mais qu’ils voteront contre. De grâce, un peu de cohérence !

Pour ma part, je suis favorable à l’égalité entre hommes et femmes, en particulier s’agissant des salaires. Je vous invite donc à voter l’amendement de M. Antiste. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Joyandet, pour explication de vote.

M. Alain Joyandet. Ne souhaitant pas allonger les débats, je formulerai simplement une suggestion, allant dans le sens d’une modification de l’amendement.

À chaque nouveau texte concernant les entreprises, c’est toujours l’angle de la punition qui est retenu. L’entreprise est automatiquement suspecte – un peu comme dans les contrôles fiscaux qui s’éternisent, y compris lorsque l’on ne trouve rien.

Tout le monde, m’a-t-il semblé, souhaite voir évoluer la relation entre administration et entreprise. Pourquoi, par conséquent, ne pas rectifier cet amendement ? Plutôt que de pénaliser les entreprises n’étant pas parvenues à instaurer l’égalité, on créerait une prime pour celles qui ont déjà atteint ce but. Progressivement, elles auraient toute envie de mettre en œuvre cette égalité ! (Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)

M. Alain Néri. Une prime aux automobilistes qui ne franchissent pas les feux rouges… Très bonne idée, monsieur Joyandet !

Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.

Mme Cécile Cukierman. Je ne peux que réagir à cette dernière intervention. Malheureusement, en matière d’égalité salariale, on ne suspecte pas… On constate !

Oui, c’est une réalité, et non une suspicion : certaines entreprises pratiquent une inégalité salariale, ce qui conduit les femmes, moins bien payées à la fin de leur vie professionnelle, à bénéficier de retraites moins importantes. Malheureusement, c’est une réalité que l’on constate quotidiennement – chaque 8 mars, année après année, la presse dans toute sa diversité livre le même article –, et ce malgré un certain nombre de lois, cela a été rappelé, qui existent aujourd'hui, mais qui ne sont pas appliquées.

La question est donc, non pas de donner une prime aux entreprises respectant la parité, mais bien de sanctionner celles qui ne la respectent pas. Il faut prendre cette question à bras-le-corps, en faisant preuve de volontarisme. Sans cela, on crée des inégalités, que l’on ne corrige pas, et, en définitive, on ne protège pas les plus faibles.

C’est pourquoi nous voterons cet amendement.

M. Alain Joyandet. Pour ma part, je préfère la carotte au bâton !

Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Bricq, pour explication de vote.

Mme Nicole Bricq. Je vois que le débat s’enflamme. Je voudrais tout de même rappeler l’objet de cet article 1er : instaurer une commission chargée de réécrire le code du travail à droit constant, comme Mme la ministre n’a cessé de le répéter. Cette commission n’aura pas à élaborer la loi à notre place !

Je comprends la préoccupation exprimée ici, et je la partage. Toutefois, nous allons examiner, dans quelque temps, un texte sur l’égalité citoyenne ; c’est dans ce texte que vous pourrez demander l’intégration de ces mesures d’égalité, mes chers collègues.

Mme Éliane Assassi. On nous l’a déjà faite, celle-là !

Mme Nicole Bricq. Si vous voulez les assortir de sanctions, vous pourrez le faire. Vous pouvez également voter en faveur de cet amendement, tout comme vous avez voté en faveur des précédents. Néanmoins, j’y insiste, le travail d’élaboration de la loi ne sera pas du ressort de la commission d’experts.

Il en ira autrement quand, demain après-midi, le groupe communiste proposera un amendement tendant à modifier le texte de la commission du Sénat, mais, ici, nous parlons d’une commission d’experts, et ce ne sont pas des experts qui vont faire la loi à ma place !

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 115 rectifié.

(Après une épreuve à main levée déclarée douteuse par le bureau, le Sénat, par assis et levé, n'adopte pas l'amendement.)

Mes chers collègues, nous avons examiné 8 amendements au cours de la journée ; il en reste 887.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

Article 1er (début)
Dossier législatif : projet de loi relatif au travail, à la modernisation du dialogue social  et à la sécurisation des parcours professionnels
Discussion générale

7

Ordre du jour

Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, mardi 14 juin 2016 :

À quatorze heures trente :

Suite du projet de loi, considéré comme adopté par l’Assemblée nationale en application de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution après engagement de la procédure accélérée, visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actif-ve-s (n° 610, 2015-2016) ;

Rapport de MM. Jean-Baptiste Lemoyne, Jean-Marc Gabouty et Michel Forissier, fait au nom de la commission des affaires sociales (n° 661, 2015-2016) ;

Texte de la commission (n° 662, 2015-2016).

À seize heures quarante-cinq : questions d’actualité au Gouvernement.

À dix-sept heures quarante-cinq et le soir :

Suite du projet de loi, considéré comme adopté par l’Assemblée nationale en application de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution après engagement de la procédure accélérée, visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actif-ve-s (n° 610, 2015-2016) ;

Rapport de MM. Jean-Baptiste Lemoyne, Jean-Marc Gabouty et Michel Forissier, fait au nom de la commission des affaires sociales (n° 661, 2015-2016) ;

Texte de la commission (n° 662, 2015-2016).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée le mardi 14 juin 2016, à zéro heure quarante.)

Direction des comptes rendus

GISÈLE GODARD