Mme la présidente. La parole est à M. Gaëtan Gorce, sur l'article.
M. Gaëtan Gorce. Madame la ministre, contrairement au sentiment que le débat général a peut-être pu donner, beaucoup de sénateurs socialistes s’interrogent sur ce texte, en particulier sur ses finalités.
S’il s’agit de servir l’emploi, on peut se poser de nombreuses questions. En effet, l’étude d’impact, qui consacre seulement deux lignes au sujet, ne nous éclaire pas beaucoup. Adhère-t-on à l’idée selon laquelle le code du travail pèserait plus lourdement que les charges sociales sur les entreprises et mettrait en difficulté leur capacité à se développer ?
C’est très exactement le contraire du raisonnement que la gauche et le mouvement syndical ont toujours défendu. La gauche a toujours considéré que seule la loi pouvait protéger le salarié en lui fournissant des garanties, et que si la négociation devait tenir toute sa place, les principes devaient être fixés et déclinés par le législateur. C’est le vieux principe : « Entre le fort et le faible, c’est la liberté qui opprime, et la loi qui affranchit. »
Pour ma part, avec beaucoup d’autres élus socialistes, je reste fier de ce que représente le code du travail. Je ne suis pas dans le « code du travail bashing », comme on le dit aujourd'hui. Je me revendique au contraire de cette somme d’efforts, de luttes, de compromis, mais aussi de ruptures qui ont progressivement permis de construire notre droit social et notre droit du travail.
Si l’objectif est de créer de l’emploi en diminuant les garanties apportées aux salariés, nous ne pouvons pas y souscrire.
S’agit-il ensuite d’encourager la négociation collective ? Mais quelle négociation collective ? L’article 1er, qui, dans la rédaction initiale du Gouvernement, énonce les principes fondamentaux du droit du travail, ne vise en effet qu’à rappeler de manière très vague quelques principes généraux et à soumettre tout le reste à la négociation.
Comme le disait l’ancien responsable de FO André Bergeron, pour qu’il y ait une négociation, il faut qu’il y ait du grain à moudre. Mais quel grain les partenaires sociaux pourront-ils moudre, puisque tout ce qui était acquis dans la législation du travail devra être renégocié ?
J’aimerais comprendre quelle logique pousse le Gouvernement, pourtant censé envisager l’entreprise dans un esprit d’équilibre entre le patronat et les salariés, à s’engager dans une telle démarche.
Je remarque aussi que le timing est extraordinaire ! L’article 1er met en place une commission qui travaillera et remettra ses conclusions après la présidentielle et les législatives.
On peut imaginer que cette majorité reste aux responsabilités ; certes, elle ne fait rien pour cela, mais cela peut arriver… Mais, en cas de victoire de la droite, nous aurons donné à ceux qui veulent totalement remettre en cause les principes du code du travail une base et une légitimité extraordinaires pour le faire ! Une fois la commission mise en place, ils n’auront plus qu’à en cueillir les fruits. Merci pour les salariés et le droit du travail ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, sur l'article.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Le débat entre loi et contrat, entre négociation locale, de branche et nationale, est un débat ancien. C’est ce qui sépare le droit anglo-saxon du droit républicain français.
Dans notre République, nous considérons que l’intérêt général, fixé par les représentants du peuple souverain dans le cadre de la loi, est supérieur au contrat entre les parties. Bien entendu, nous ne sommes pas contre le contrat. Mais celui-ci doit s’inscrire dans une logique d’intérêt général. En effet, si les parties peuvent être d’accord à un moment donné pour préserver des intérêts particuliers, par exemple pour maintenir un emploi dans une entreprise en difficulté, une entreprise de la même branche peut être dans une situation différente. La loi fixe des acquis d’intérêt général, et la hiérarchie des normes garantit que la négociation n’entame pas cet intérêt général.
On voudrait nous faire basculer vers l’idée que le droit issu du contrat est supérieur au droit républicain établi par la loi. J’en suis d’autant plus étonnée que j’ai eu ce débat au Parlement européen avec mes amis sociaux-démocrates. Ils m’ont expliqué pendant des années que, en Allemagne, les négociations entre partenaires sociaux garantissaient mieux le salaire des ouvriers, des travailleurs, des salariés qu’un salaire minimum fixé par la loi. Or les mêmes découvrent aujourd’hui l’intérêt d’avoir une loi fixant un SMIC national !
Ils ont en effet compris que la période de l’après-guerre et des trente glorieuses, celle où le rapport de force était favorable aux salariés et où le keynésianisme soi-disant dépassé aujourd’hui permettait alors le progrès social, la croissance et le développement économique, avait laissé la placé à la pseudo-« mondialisation heureuse », où le rapport de force est défavorable aux salariés et où, sans la protection de la loi, tout y passe, y compris le modèle social-démocrate ! Ce dernier a pu être fort dans les années 1970, 1980, voire 1990, mais il a été démantelé par cette situation défavorable aux salariés.
Mme la présidente. Veuillez conclure, chère collègue.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. La loi est supérieure au contrat. La logique qui sous-tend ce texte va totalement à l’encontre de la philosophie républicaine.
Mme la présidente. L'amendement n° 40, présenté par M. Watrin, Mmes Cohen, David, Assassi et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Dominique Watrin.
M. Dominique Watrin. À l’origine, le Gouvernement avait prévu d’organiser la réforme du code du travail autour des soixante et un principes essentiels du travail définis par le rapport Badinter, et selon l’architecture du rapport Combrexelle, qui étend l’inversion de la hiérarchie des normes.
Le Gouvernement a finalement renoncé à maintenir la partie relative à ces principes essentiels, conservant uniquement l’inversion de la hiérarchie des normes, ce qui fragilise encore les équilibres. L’article 1er prévoit ainsi qu’une commission d’experts propose au Gouvernement une refondation du code du travail à partir de cette nouvelle architecture.
Nous refusons pour notre part que des experts prennent le pas sur les parlementaires et que, même s’ils n’en décident pas, préparent tout au moins les règles à respecter dans les entreprises !
Nous voyons bien ici l’influence des technocrates de Bruxelles, qui ont pris l’habitude de prendre les décisions à la place des représentants du peuple. Nous sommes attachés à la souveraineté populaire. Nous refusons donc ce dessaisissement des parlementaires.
Nous sommes d’autant plus réservés que cette commission aurait pour objectif de proposer une refondation du code du travail visant à « simplifier les règles du code du travail, protéger les droits et libertés fondamentales des travailleurs et renforcer la compétitivité des entreprises ».
Un rapport de l’OCDE de 2011 a pourtant démontré qu’il n’était pas possible d’établir de conclusion sur la corrélation entre les règles en matière de droit du travail et la compétitivité des entreprises.
En réalité, sous des prétextes tout à fait discutables, notamment sous couvert de simplification, l’objectif principal est bien de supprimer le principe de faveur. En réalité, ce que vous n’acceptez pas, c’est que la loi fixe un minimum et que les accords collectifs et le contrat de travail puissent seulement l’améliorer. Ce principe de faveur ne peut pas être balayé d’un revers de main. Ce n’est pas une option, un accessoire superflu. Il est directement lié au lien de subordination. Ce que vous proposez n’est pas une commission de simplification ; c’est plutôt une commission de déréglementation !
Pour toutes ces raisons, nous demandons la suppression de l’article 1er.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. L’article 1er a été réécrit dans un esprit assez proche de celui du Gouvernement.
Monsieur Watrin, vous évoquez le dessaisissement des parlementaires de leurs compétences législatives. Or la commission des affaires sociales a justement tenu à ajouter un certain nombre de dispositifs permettant au Parlement de jouer tout son rôle.
Le président de la commission visée à l’article 1er sera notamment auditionné par le Parlement avant sa nomination. Par ailleurs, six mois au plus tard après la promulgation de la loi, cette commission viendra présenter l’état d’avancement de ses travaux devant les commissions compétentes du Parlement. Je rappelle enfin que si cette commission formule des préconisations, il appartient ensuite au politique de s’en emparer. Sur la base des conclusions de la commission, le Gouvernement pourra proposer une réforme sur laquelle il reviendra au Parlement de se prononcer.
J’imagine que le contenu de la réforme ne sera pas le même selon que la majorité sera communiste ou que les Français auront fait confiance à la droite et au centre dans un an. C’est à nous, responsables politiques, qu’il revient de faire des choix, étant bien entendu que le Parlement reste naturellement aux commandes avec le Gouvernement.
Je mets des guillemets à l’expression « inversion de la hiérarchie des normes ». En effet, c’est la loi qui organise une répartition des compétences, mais il y a bien un ordre public indérogeable qui demeure. Certes, on peut discuter de l’étendue d’une disposition d’ordre public face à une autre qui serait issue d’un accord collectif. Mais on ne peut pas dire qu’il n’y ait plus de règle du tout.
D’ailleurs, nous avons prévu que la commission présente pour chaque partie du code du travail les arguments en faveur de la primauté de la négociation d’entreprise ou de celle de branche.
Il se trouve que le prisme de l’article 2 sur le temps de travail consacre effectivement une logique de primauté pour l’entreprise. Il apparaîtra peut-être dans d’autres champs que c’est la branche qui a un rôle à jouer, par exemple – mais on ne peut pas en préjuger – dans la formation professionnelle.
Vous le voyez, le travail de la commission vise à éclairer les décisions qu’il nous reviendra à nous, politiques, de prendre en toute responsabilité.
Pour toutes ces raisons, la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Myriam El Khomri, ministre. Je regrette que Mme Marie-Noëlle Lienemann et M. Gaëtan Gorce n’aient pas été présents pendant la discussion générale.
Mme Nicole Bricq. Ils n’avaient pas le temps !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. J’étais là, madame la ministre !
Mme Myriam El Khomri, ministre. Excusez-moi ; je ne vous avais pas vue.
Je n’oppose pas, et je n’ai jamais opposé le droit du travail et le droit au travail. Le projet de loi vise à développer la négociation collective, à créer de nouveaux droits pour les salariés, notamment pour ceux qui connaissent des parcours de plus en plus difficiles, caractérisés par des ruptures de plus en plus grandes. On ne rentre plus dans une entreprise à dix-huit ans pour en sortir à soixante. Il s’agit aussi de renforcer les capacités d’adaptation de nos entreprises en leur donnant plus de clarté et de visibilité. L’enjeu du texte est d’encourager l’emploi durable.
Bien sûr que la loi protège ! Personne ici ne dit le contraire. D’ailleurs, l’entreprise ne pourra pas décider de tout ; je pense en particulier à la durée légale ou au salaire. Il y a aujourd’hui quatre domaines dans lesquels l’accord d’entreprise ne peut pas se placer en deçà de l’accord de branche : les garanties collectives, la prévoyance, les fonds de la formation et les classifications. Nous n’y touchons absolument pas. Nous avons bien conscience que la loi protège. Nous avons cherché à faire en sorte qu’elle se situe au niveau le plus pertinent.
On a évoqué M. Bergeron tout à l’heure. Je reconnais qu’il y avait une certaine cohérence de la part de FO à s’opposer à l’accord dérogatoire aux contingents d’heures supplémentaires lors de l’adoption des lois Auroux. Mais nous sommes passés de 4 000 accords en 1984 à près de 35 000 aujourd'hui. C’était inéluctable. Le monde du travail change. Il a fallu accorder des dérogations, demandées notamment par la partie patronale, pour accompagner ces évolutions. Ce système-là est à bout de souffle.
Il faut aujourd’hui donner aux acteurs la capacité de décider au plus près de l’entreprise. Je le rappelle, lors de l’adoption des lois Auroux ou lors de la mise en place des 35 heures en 2001, un accord d’entreprise pouvait être signé par une organisation syndicale élue par seulement 5 % des salariés, ce chiffre ayant été porté à 30 % par la loi de 2008 sur la représentativité syndicale.
Ce n’est pas pour rien que l’on mesure l’audience des syndicats dans l’entreprise. Ce n’est pas pour rien non plus que la nécessité de s’interroger sur le niveau le plus pertinent pour appliquer les 35 heures figurait dans la position commune des organisations en 2001. Nous considérons que le niveau le plus pertinent, dans certains domaines seulement – par exemple, le projet de loi prévoit que le temps partiel reste au niveau de la branche –, est l’entreprise, avec le verrou de l’accord majoritaire.
Madame David, vous avez évoqué la loi Macron. La création d’une commission de refondation du code du travail est l’une des préconisations du rapport de Jean-Denis Combrexelle, qui n’était pas ministre du travail à cette époque.
Mme Annie David. Rien ne nous oblige à l’écouter !
Mme Myriam El Khomri, ministre. Dans son rapport, M. Combrexelle indique qu’il s’agit d’un travail titanesque et que cela prendra entre trois et quatre ans.
La proposition du Gouvernement était à droit constant. Ce point est particulièrement important. Il ne revient pas à une commission de refondation du droit du travail de faire évoluer le droit. Il lui incombe de formuler des propositions sur l’échelon le plus pertinent en matière de négociations collectives. C’est à partir de ces propositions que le Gouvernement et le Parlement peuvent, le cas échéant, décider de modifications.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Néri, pour explication de vote.
M. Alain Néri. Madame la ministre, ce qui se conçoit bien s’énonce clairement, et les mots pour le dire arrivent aisément !
Notre code du travail est déjà très lourd et compliqué. Lorsque nous voulons y apporter certaines précisions, nous sommes obligés d’aller jusqu’à l’article duodecies, voire au-delà ! Vous voyez bien que cette complication ne répond pas à la réalité et aux besoins des entreprises comme des salariés.
Vous nous proposez un texte de 219 pages supplémentaires. Je ne pense pas que ce soit de nature à répondre à l’objectif de simplification affiché par le Gouvernement.
Pour ma part, je souhaiterais que l’on prenne le temps de dépoussiérer le code du travail, par une véritable négociation avec les personnes concernées dans l’entreprise. La loi est là pour protéger ; nous ne vivons pas dans le monde des Bisounours ! La vie dans l’entreprise est souvent un affrontement, dont ont pu jaillir – c’est souvent le cas ! – des progrès sociaux.
Il faut raison garder. Cela implique de prendre le temps de la discussion. Lorsque les ouvriers et les patrons doivent discuter dans les petites entreprises – on pourra en reparler plus longuement lors de l’examen de l’article 2 –, il arrive souvent que des ouvriers, par peur du lendemain, n’osent pas s’opposer au patron. Les accords de branche garantissent un niveau de protection et de progrès social au monde salarié. C’est la base du mouvement socialiste français ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC. – Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Alors qu’on nous demande de simplifier le code du travail, on nous propose de créer une commission de refondation du code du travail. Mais c’est inutile ! Inscrivons déjà dans la loi ce qui doit y être ! Quel est le sens d’une telle proposition, sinon celui d’ouvrir la porte à une remise en cause du code du travail ?
On nous dit que le code du travail français est complexe. Mais comparons avec les codes du travail étrangers : moins les lois sont uniformes, plus il y a de jurisprudence !
Cela sera-t-il plus simple pour le salarié ? Les salariés qui changent d’entreprise tous les six mois ou tous les deux ans – c’est de plus en plus fréquent, car la précarité est de plus en plus grande – ne bénéficieront plus tout à fait du même mode de calcul pour le décompte des heures supplémentaires et ne seront plus rémunérés de la même manière. C’est un véritable maquis !
Alors que notre code du travail est déjà complexe, on y ajoute des dérogations à longueur de journée. Mais si ces dérogations ne sont pas encadrées par la loi, ce sera encore plus un maquis.
Il n’est donc pas d’utile de créer une commission de refondation du code du travail dans cet article.
En outre, l’urgence exige un travail approfondi sur d’autres mutations. Comment la France doit-elle organiser la démocratie sociale pour assurer la transition 4.0 ? Comment la France va-t-elle entrer dans l’ère du numérique ? Nous devons réfléchir sur ces questions et engager des négociations interprofessionnelles, par branche, voire par entreprise. J’aimerais bien connaître le budget que consacreront certaines entreprises à ces indispensables mutations.
Oui, la négociation est nécessaire, mais il n’est pas utile de l’organiser dans un cadre qui réduit les standards sociaux ! On doit ouvrir le champ de la négociation, sans remettre en cause les acquis fondamentaux.
Enfin, il n’est pas vrai que l’on va simplifier le code du travail avec des possibilités de conventions entreprise par entreprise. Cela ne fera que compliquer les choses, et aura pour effet, vous le savez bien, d’ouvrir la boîte de Pandore du dumping social ! (Marques d’approbation sur les travées du groupe CRC.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 40.
J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe CRC.
Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 245 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 330 |
Pour l’adoption | 23 |
Contre | 307 |
Le Sénat n'a pas adopté.
L'amendement n° 455 rectifié, présenté par M. Watrin, Mmes Cohen, David, Assassi et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
Les États généraux pour un code du travail du XXIe siècle sont réunis afin de proposer au Gouvernement une refondation de la partie législative du code du travail.
À l’occasion de ces États généraux, des groupes de travail thématiques seront créés. Les thématiques pourront être celles de la négociation collective dans la hiérarchie des normes, le renforcement du principe de faveur, les droits d’intervention des salarié-e-s dans l’entreprise. Un rapport de ces travaux sera remis au Gouvernement dans un délai d’un an.
La parole est à M. Dominique Watrin.
M. Dominique Watrin. L’article 1er du projet de loi prévoit une refondation du code du travail afin, officiellement, de le moderniser. Or, sous couvert de « modernisation » et de « simplification », la rédaction qui nous est proposée consiste en une diminution des droits des salariés.
Cette dynamique-là est totalement contraire au mouvement dans lequel s’est inscrit le droit du travail depuis le XIXe siècle, se développant pour protéger les salariés, engagés dans une relation de subordination avec leur employeur.
Ce qui peut permettre la mise en place d’un code du travail du XXIe siècle, ce n’est pas un retour en arrière sur des droits chèrement acquis ; c’est bien la prise en compte des défis actuels, comme la révolution numérique, la formation des salariés tout au long de leur vie ou la sécurité sociale universelle.
Ces progrès ne devraient pas et ne pourront pas se faire, comme vous le proposez, par le biais d’une commission d’experts non élus. Le nouveau code du travail doit être élaboré par des représentants de la Nation et de toutes les personnes qui participent à sa richesse et sa vitalité, avec la mise en place d’états généraux pour un code du travail du XXIe siècle.
Ils permettront à celles et à ceux qui vivent le monde du travail au quotidien et le comprennent en y étant confrontés, les premiers concernés par le code du travail, de s’exprimer. Leurs propositions seraient relayées par des représentants élus, ce qui permettrait de rédiger un code du travail réellement moderne.
À l’heure où des centaines de milliers de personnes se mobilisent pour défendre leur vision du travail et où des mouvements réclamant plus de participation dans la prise de décision politique se multiplient, vous ne pouvez pas continuer à ignorer les fondements et les principes démocratiques en confiant la refondation du code du travail à une assemblée de technocrates.
Tel est le sens de notre amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable sur cet amendement.
J’ai déjà répondu sur le dessaisissement des parlementaires : les états généraux, c’est nous ! La commission travaille sur le sujet. Le Gouvernement fera ce qu’il veut, et nous aurons à nous prononcer.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. L'amendement n° 181 rectifié bis, présenté par M. Gorce, Mme Lienemann et MM. Durain, Néri, Masseret et Cabanel, est ainsi libellé :
I. – Après l’alinéa 2
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
…° Adapter le code du travail aux mutations de l’économie en pérennisant les périodes de professionnalisations ;
II. – Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
… – L’article L. 6324-1 du code du travail est ainsi rédigé :
« Art. L. 6324-1. – Les périodes de professionnalisation ont pour objet de favoriser par des actions de formation le maintien dans l’emploi de salariés en contrat à durée indéterminée. Dans les branches professionnelles déterminées par arrêté du ministre en charge du travail et concernées par des transformations profondes de la nature du travail effectué, liées en particulier à l’évolution des procédés techniques ou des formes d’organisation, chaque salarié bénéficie, dans un délai de cinq ans, d’une ou plusieurs périodes de professionnalisation visant à assurer son adaptation et son maintien dans l’emploi dans des conditions fixées par un accord collectif. »
La parole est à M. Gaëtan Gorce.
M. Gaëtan Gorce. J’essaie de comprendre la logique qui nous amène à discuter d’un tel texte.
J’ai évoqué précédemment l’enjeu de l’emploi, mais je n’ai pas vu le rapport immédiat, bien que ce soit la priorité de nos concitoyens. D’autres priorités peuvent évidemment être envisagées eu égard à l’évolution du monde du travail. Je ne parle pas de « l’ubérisation », dont on nous rebat les oreilles.
La part des emplois correspondant à ce modèle progresse peut-être relativement vite, mais pour un volume qui reste extrêmement limité. Si la perspective est de considérer que nous vivrons une ubérisation du monde du travail – c’est une perspective qu’il vaut mieux éviter ! –, force est de constater qu’elle n’est pas très crédible à l’horizon que nous pouvons nous fixer. En tout cas, elle ne correspond pas à l’évolution, y compris aux États-Unis, d’après ce que l’on peut observer.
Est-ce, d’une certaine manière, la progression de la précarité ? C’est la situation à laquelle on assiste de manière systématique : on nous dit que notre marché du travail manque de flexibilité. Mais on constate au contraire que le recours aux contrats atypiques, aux temps partiels subis et même maintenant au détournement très systématique du statut d’auto-entrepreneur – j’ai de nombreux exemples en tête, je pourrais éventuellement vous les fournir – progresse. On peut alors imaginer que notre priorité serait peut-être de freiner un tel mouvement.
Mais s’il s’agit de se placer dans une perspective, alors tournons-nous vers les véritables enjeux du monde du travail.
Le premier d’entre eux concerne la transformation des métiers au regard de l’évolution des techniques et de la modification de l’organisation du travail. Voilà un sujet qui devrait occuper notre gouvernement et notre majorité, en vue d’essayer d’adapter des solutions. Tel est le sens de notre proposition ; d’autres viendront en discussion ultérieurement.
Nous risquons de rendre obsolète toute une série de compétences dans de très nombreuses entreprises du fait de l’évolution des techniques et des savoir-faire avec l’arrivée du numérique. Malgré un certain nombre de dispositifs existants, les entreprises ne prennent malheureusement pas ce sujet à bras-le-corps, et les branches professionnelles le font encore moins encore. Or c’est pourtant ce qu’elles devraient faire.
De la même manière – ces deux problèmes sont très voisins –, nous connaissons une vraie difficulté dans notre économie du fait de l’insuffisante qualification de nos salariés. Le niveau de formation de nos actifs est inférieur à celui qui existe dans d’autres pays européens, à commencer par l’Allemagne. Cela explique nos difficultés.
Ce texte semble être bâti sur l’idée selon laquelle le code du travail, les lois relatives au travail, le coût du travail – on l’a vu avec le CICE – seraient à l’origine de toutes nos difficultés. Mais la vérité, c’est que nous ne créons pas assez de valeur ajoutée ; nos salariés ne sont pas assez formés ; l’obligation d’adaptation mise à la charge des entreprises n’est pas suffisamment mise en œuvre, et nous n’avons pas de dynamique.
Si nous voulons avoir une action offensive en faveur de l’emploi, il faut pousser à la négociation en ces domaines. Mais il faut que l’État y mette tous ses moyens pour faire en sorte que celle-ci aboutisse.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. Nous partageons le constat de la mutation accélérée de l’économie, du besoin de formation professionnelle, voire de formation tout court. Désormais, on le sait, on va changer plus souvent d’emploi ou de mission au cours de sa vie. Mais le texte qui nous est proposé commence à apporter un début de réponse à ces problématiques avec le compte personnel d’activité, qui, notamment, agrège les droits du compte personnel de formation. Certes, ce compte a mis un peu de temps à prendre son envol – peu de dossiers ont été validés –, mais il prend petit à petit sa vitesse de croisière.
L’article 1er n’est pas forcément le bon endroit pour intégrer un paragraphe sur les périodes de professionnalisation. Il est vrai que cette question se pose. Mais elle commence à être traitée dans le projet de loi, même si la réponse n’est pas parfaite.
En conséquence, la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.