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Communication relative à deux commissions mixtes paritaires
M. le président. J’informe le Sénat que les commissions mixtes paritaires chargées de proposer chacune un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi organique et de la proposition de loi de modernisation des règles applicables à l’élection présidentielle ne sont pas parvenues à l’adoption de textes communs.
En conséquence, il n’y a plus lieu de prévoir l’examen des conclusions de ces deux commissions mixtes paritaires le jeudi 24 mars après-midi.
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Nomination d'un membre d'une commission
M. le président. Je rappelle au Sénat que le groupe communiste républicain et citoyen a présenté une candidature pour la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.
Le délai prévu par l’article 8 du règlement est expiré.
La présidence n’a reçu aucune opposition.
En conséquence, je déclare cette candidature ratifiée et je proclame M. Bernard Vera membre de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, en remplacement de M. Jean-Vincent Placé, dont le mandat de sénateur a cessé.
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Débat préalable à la réunion du Conseil européen des 17 et 18 mars 2016
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat préalable à la réunion du Conseil européen des 17 et 18 mars 2016.
Dans le débat, la parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé des affaires européennes. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires européennes, mesdames, messieurs les sénateurs, les conseils européens du mois de mars sont traditionnellement dévolus, comme vous le savez, aux questions économiques et aux perspectives financières au sein de l’Union européenne. Cependant, même si ces sujets seront traités lors de la réunion du Conseil européen des 17 et 18 mars prochain, notamment en présence de Mario Draghi, l’ordre du jour de ce Conseil restera largement dominé par la réponse à la crise des réfugiés, et par la finalisation du plan d’action entre l’Union européenne et la Turquie, à la suite du sommet qui s’est déroulé le 7 mars dernier à Bruxelles en présence du Premier ministre turc.
Compte tenu de l’évolution de la crise migratoire, la première des urgences est de soutenir la Grèce, qui a besoin d’une aide immédiate pour gérer la situation humanitaire sur son sol, en particulier à la frontière nord avec la Macédoine, et faire fonctionner les hotspots dans les îles au large des côtes turques.
Depuis notre dernier débat, le 17 février dernier, la situation s’est en effet considérablement dégradée en Grèce. La raison est connue : après avoir fermé partiellement ses frontières avec la Grèce à partir du 29 février dernier, la Macédoine a décidé, le 9 mars, de ne plus laisser entrer sur son territoire aucun migrant en provenance de ce pays. Or les réfugiés ont continué d’y arriver depuis la Turquie à un rythme qui est resté soutenu au cours des dernières semaines, même si celui-ci semble se ralentir ces derniers jours. Vous connaissez la conséquence : des réfugiés et des migrants de plus en plus nombreux sont bloqués sur le territoire grec, en particulier à Idomeni.
Aujourd’hui, selon les chiffres rapportés par notre collègue grec ce matin à Bruxelles lors de la réunion du Conseil des affaires générales, ce serait près de 48 000 migrants et réfugiés qui seraient bloqués en Grèce, dans des conditions extrêmement précaires pour beaucoup d’entre eux, avec des besoins urgents en matière de protection, de nourriture et de soins, les familles étant en très grand nombre.
Face à cette situation, l’Europe doit faire preuve de toute sa solidarité à l’égard d’un État membre, la Grèce, pays d’entrée d’un grand nombre de migrants et de réfugiés qui veulent venir en Europe.
C’est pourquoi nous avons décidé, lors du Conseil des affaires générales de ce matin, l’adoption d’un nouvel instrument financier d’aide humanitaire pour faire face aux besoins urgents de ce pays. Ainsi, 700 millions d’euros pourront être dégagés au cours des trois prochaines années dans le budget de l’Union européenne, dont 300 millions dès cette année. Vous le savez, sur proposition de la Commission, le Conseil a accepté de recourir au fonds d’urgence humanitaire, qui était jusqu’à présent uniquement utilisé pour venir en aide à des pays tiers, afin d’aider un État membre confronté à une situation exceptionnelle et d’urgence.
De plus, la France apportera également une contribution à titre bilatéral à cet effort humanitaire. Un convoi de matériels est en cours d’acheminement vers la Grèce.
Mais il convient aussi d’apporter une réponse plus structurelle en désengorgeant, d’une certaine façon, la Grèce, en faisant en sorte que les États membres respectent leurs engagements en matière de relocalisation des réfugiés présents dans ce pays. Ce mécanisme de relocalisation commence à être opérationnel. Cependant, sa mise en œuvre est encore trop lente et insuffisante. Au début de cette semaine, seuls 374 réfugiés avaient pu être relocalisés. Même si la France est aujourd'hui le premier pays à apporter une contribution, nous souhaitons que ce mécanisme soit mis en pratique d’une façon beaucoup plus rapide.
D’une façon générale, la priorité politique, c’est la mise en œuvre effective, rigoureuse et coordonnée de la totalité des décisions prises par les chefs d’État ou de gouvernement depuis un an : la mise en place des hotspots, les relocalisations et les réinstallations, les retours vers les pays de transit ou les pays d’origine, dans le cadre d’accords de réadmission, le renforcement des moyens de l’agence FRONTEX, l’adoption du paquet « Frontières », présenté par la Commission européenne le 15 décembre dernier, visant notamment à la mise en place de gardes-frontières et de gardes-côtes européens, le dialogue avec les pays tiers, en particulier les pays d’Afrique, mais aussi avec la Turquie, qui revêt en la matière, j’y reviendrai ultérieurement, une dimension très importante, et, enfin, le renforcement des moyens de la mission EUNAVFOR Med/Sophia en Méditerranée. En effet, il faut se préoccuper non seulement de la situation au large de la Turquie, mais aussi de celle qui existe en Méditerranée centrale, au large de la Libye.
Sur les cinq hotspots prévus en Grèce, quatre sont désormais opérationnels. Leur bon fonctionnement doit permettre à la fois l’accueil des migrants, des contrôles de sécurité systématiques et l’identification des personnes nécessitant une protection internationale, qui peuvent relever du droit d’asile. Les travaux doivent s’accélérer pour le cinquième hotspot, qui doit être localisé à Kos et dont l’ouverture est prochaine.
Le renforcement du dispositif passe aussi par une meilleure coopération entre la Grèce et la Turquie pour ce qui concerne les embarcations illégales affrétées par des passeurs en mer Égée. Pour ce faire, l’OTAN a mis à la disposition de l’Union européenne une flotte, en lien avec FRONTEX et les gardes-côtes grecs et turcs, en vue d’identifier les bateaux des passeurs afin de pouvoir secourir les passagers et lutter contre les filières d’immigration illégale.
Pour être efficace, ce dispositif passe également par des procédures de réadmission, mais j’y reviendrai en évoquant le plan négocié avec la Turquie.
Par ailleurs, nous avons décidé d’accélérer autant que possible l’adoption de la base législative qui permettra de mettre en place des gardes-frontières et des gardes-côtes. Notre objectif est d’obtenir un accord dès le prochain conseil Justice et affaires intérieures, qui se réunira le 21 avril prochain, puis un accord politique avec le Parlement européen au mois de juin.
Le Conseil européen sera également très vigilant quant à l’apparition de nouvelles routes migratoires à la suite de la fermeture de la frontière entre la Grèce et la Macédoine, en particulier via l’Albanie, qui pourraient conduire à déstabiliser d’autres pays de l’espace Schengen, notamment l’Italie, et des Balkans. À cet égard, l’Italie et l’Albanie sont déjà convenues d’une coopération très étroite pour éviter que ne se crée dans la mer adriatique une nouvelle route de passage comme celle qui s’est établie entre la Turquie et la Grèce.
Enfin, j’évoquerai un dernier élément en réponse à la crise migratoire, à savoir le partenariat avec la Turquie.
Ce partenariat est extrêmement important. Nous considérons que la Turquie a un rôle essentiel à jouer dans la résolution de cette crise. C’est pourquoi un plan d’action a été négocié avec ce pays le 29 novembre dernier. Le 7 mars, à la suite d’un échange avec le Premier ministre turc, un mandat a été donné au président Tusk pour préciser les conditions d’un dispositif de réadmission des migrants irréguliers et de réinstallation des réfugiés syriens. L’objet de ce plan est de briser la logique des trafiquants d’êtres humains.
Dans le même temps, il faut évidemment s’assurer que les modalités de mise en œuvre de ce plan sont en tout point conformes à nos obligations internationales et au droit de l’Union en matière de droit d’asile. Ainsi, il reste absolument indispensable que les autorités turques réadmettent, comme elles se sont dites prêtes à le faire, des migrants qui auraient embarqué sur des bateaux affrétés par des passeurs, mais qui n’ont pas vocation à être accueillis dans l’Union européenne, ainsi que des réfugiés, même si des procédures de traitement de demandes d’asile doivent pouvoir être faites. Avec le système de réinstallation, il sera établi qu’il n’existe pas de voie d’immigration illégale permettant d’entrer dans l’Union européenne. Les réfugiés qui souhaitent bénéficier d’une protection et de l’asile doivent faire leur demande depuis la Turquie, en coopération avec les autorités turques, mais aussi le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés. Il faut donc ouvrir des voies alternatives, qui soient des voies d’immigration légale.
Pour ce qui nous concerne, cela doit se faire dans le cadre des décisions qui avaient déjà été arrêtées concernant l’accueil de 160 000 réfugiés au sein de l’Union européenne. Une partie de ces réfugiés proviendront des relocalisations depuis la Grèce : ce processus n’ayant pas encore été mis en place avec la Turquie, il faut accueillir des personnes qui se trouvent en Grèce, ainsi que des réfugiés qui sont dans des centres d’accueil et d’enregistrement en Italie. Mais si l’on suit la terminologie adoptée lors des réunions européennes, une partie de ces relocalisations peuvent être des réinstallations directement depuis la Turquie. Pour casser la logique consistant à tenter à tout prix de traverser la Méditerranée par l’intermédiaire d’un passeur au péril de sa vie, il vaut mieux instaurer un système de réinstallation directe depuis la Turquie.
Par ailleurs, les aides à la Turquie, qui accueille, vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, 2,5 millions de réfugiés sur son sol, ont commencé à être versées. Un montant de 3 milliards d’euros avait été initialement alloué par l’Union européenne pour le soutien aux réfugiés syriens en Turquie. Les versements doivent s’accélérer ; ils sont destinés à des projets précis d’aide aux populations syriennes. Si cela s’avère nécessaire, a été évoquée la possibilité que cette enveloppe soit complétée d’ici à 2018, mais toujours pour des projets ciblés au profit de populations de réfugiés sur le sol turc.
Concernant la mise en œuvre de la feuille de route relative à la libéralisation du régime des visas, je veux insister sur un point : cette libéralisation doit répondre à des critères.
Ainsi, dans le cadre des négociations avec tous les partenaires de l’Union européenne susceptibles d’être intéressés par cette mesure, soixante-douze critères ont été fixés, qui sont très loin d’être remplis pour ce qui concerne la Turquie. Le Président de la République l’a rappelé avec force et une très grande clarté, la France ne transigera pas avec le respect de ces soixante-douze critères, qui doivent être remplis avant d’envisager une telle libéralisation. Or c’est encore loin d’être le cas.
Concernant l’ouverture de chapitres de négociation – onze chapitres ont été ouverts entre 2007 et 2012, et deux l’ont été depuis 2012 –, la discussion se poursuit.
Peut-être un chapitre pourrait-il être ouvert cette année, de même qu’un l’a été l’an passé.
En tout état de cause, le processus suivi est extrêmement méticuleux et long, et on ne peut préjuger son issue. Le Président de la République a ainsi rappelé que la conclusion des discussions avec la Turquie n’était pas déterminée à l’avance et que, en toute hypothèse, les Français seraient consultés à l’issue du processus. Il faut rappeler que l’ouverture de chapitres de négociation a pour objet de rapprocher la législation turque de celle de l’Union européenne dans différents domaines de coopération.
Mesdames, messieurs les sénateurs, avec ces trois grandes priorités, les décisions qui ont été prises depuis un an, l’action des gardes-frontières et des gardes-côtes européens qui vont enfin être mis en place et les mesures du plan d’action arrêté avec la Turquie, l’Union européenne va être dotée d’un dispositif complet, qu’il faut maintenant mettre en œuvre de façon résolue, rapide et générale, afin que l’espace Schengen revienne à un fonctionnement normal dans les mois qui viennent, ce qui est notre souhait.
On ne peut pas faire vivre un espace de libre circulation entre les pays de l’Union européenne si l’on ne reprend pas le contrôle de la frontière extérieure commune. (M. Jean-Claude Frécon opine.) On ne peut pas préserver le droit d’asile si l’on ne lutte pas résolument contre le trafic d’êtres humains. (M. Jean-Claude Frécon opine de nouveau.) On ne peut pas protéger les vies humaines si l’on ne donne pas un coup d’arrêt à cette sorte de filière massive d’immigration irrégulière qui s’est développée entre la Turquie et les côtes grecques.
Tel est l’esprit du plan qui a été adopté et qui doit être confirmé lors du Conseil européen des 17 et 18 mars, avant d’être mis en œuvre dans son intégralité.
Le second grand sujet à l’ordre du jour du Conseil sera économique : il s’agit de l’agenda européen pour l’emploi, la croissance et la compétitivité.
En particulier, le Conseil européen endossera une révision du semestre européen visant à simplifier celui-ci autour de trois principes : la relance de l’investissement, les réformes structurelles et des politiques budgétaires responsables – les flexibilités nécessaires étant prises en compte. C’est ce triptyque qui devra être traduit par les États membres de la zone euro dans les programmes nationaux de réforme et les programmes de convergence.
Lors du Conseil européen du mois de juin, les chefs d’État et de gouvernement pourront étudier les progrès accomplis pour compléter l’Union économique et monétaire sur le fondement du rapport des cinq présidents, mais aussi accélérer l’approfondissement du marché intérieur, s’agissant en particulier du marché unique du numérique et de l’Union des marchés de capitaux.
Nous voulons également que le prochain Conseil européen se saisisse de la situation de l’industrie sidérurgique européenne, confrontée à des pratiques de concurrence déloyale, afin que toutes les mesures soient prises pour y faire face et qu’une stratégie de long terme soit élaborée pour l’acier européen.
Par ailleurs, les chefs d’État et de gouvernement aborderont les grandes crises internationales et réaffirmeront nos positions communes au sujet de la Syrie et de la Libye.
Enfin, la France tient beaucoup à ce que le Conseil européen maintienne la dynamique issue de la COP 21, pour que l’Union européenne reste leader dans la lutte contre le changement climatique. Il convient en particulier que les pays européens soient représentés au plus haut niveau pour la signature de l’accord, prévue à New York le 22 avril prochain, et qu’ils s’engagent à procéder très rapidement à la ratification de l’accord de Paris. Ainsi l’Union européenne et l’ensemble de ses États membres auront-ils ratifié l’accord parmi les premiers et le paquet énergie-climat adopté en octobre 2014 pourra-t-il être mis en œuvre.
Faire l’unité face aux urgences, affirmer la volonté de bâtir une réponse européenne commune à la crise migratoire, contrôler les frontières de l’Union européenne, renforcer l’économie européenne : tels sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les grands enjeux du Conseil européen des 17 et 18 mars. Au fond, ce sommet montrera que l’Europe répond aux urgences sans oublier de préparer l’avenir, satisfaisant ainsi les attentes des citoyens ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. André Gattolin applaudit également.)
M. le président. J’indique au Sénat que la conférence des présidents a décidé d’attribuer un temps de parole de huit minutes à chaque groupe politique.
La commission des finances et la commission des affaires européennes interviendront ensuite durant huit minutes chacune.
Le Gouvernement répondra aux commissions et aux orateurs.
Puis nous procéderons, pour une durée maximale d’une heure, à un débat interactif et spontané consistant en une série de questions avec la réponse immédiate du Gouvernement ou de la commission des affaires européennes.
Dans la suite du débat, la parole est à M. Jean-Claude Requier, pour le groupe du RDSE.
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, voilà plusieurs mois que le Conseil européen est mobilisé sur la crise migratoire. Cette crise n’en demeure pas moins aiguë, compte tenu de l’impasse dans laquelle se trouve le conflit syrien depuis cinq ans, une impasse qui alimente sans cesse les flux de migrants.
Le cessez-le-feu en vigueur en Syrie depuis le 27 février dernier est relativement fragile, et la reprise des pourparlers de paix à Genève risque d’achopper une nouvelle fois sur le sort de Bachar al-Assad, que le chef de la diplomatie syrienne, Walid Mouallem, a qualifié de « ligne rouge ». J’ajoute que, dans le chaos actuel, le risque de partition de la Syrie est élevé, ce qui nous oblige à considérer la question des réfugiés comme un défi de long terme.
Depuis le 1er janvier dernier, plus de 18 000 migrants ont traversé la Méditerranée, selon l’agence des Nations unies pour les réfugiés, dans les conditions que l’on connaît et qui nous invitent à faire preuve d’humanisme. De fait, conformément à ses valeurs, l’Europe doit continuer d’apporter des réponses à ce drame humanitaire sans précédent en mettant en œuvre des mesures d’accueil.
C’est ce qui a été fait au travers des orientations définies en décembre, même s’il est vrai que l’Union européenne n’affiche pas toujours un visage uni – c’est le moins que l’on puisse dire… – et que les intérêts nationaux l’emportent trop souvent sur le principe de solidarité européenne. D’ailleurs, les conclusions du Conseil européen des 18 et 19 février dernier ne dissimulent pas cette difficulté, puisque les chefs d’État et de gouvernement recommandent de continuer à agir de manière concertée, de rompre avec la politique du laissez-passer et de pallier l’absence de coordination en ce qui concerne les mesures prises le long de la route des Balkans.
Pour autant, on peut noter, pour s’en satisfaire, des améliorations s’agissant de la mise en place des hotspots, dont le rythme d’installation s’est avéré beaucoup plus long que prévu ; s’ils ne sont pas opérationnels à 100 %, ils ont le mérite d’exister.
En revanche, on ne peut pas nier que la relocalisation soit un sujet plus épineux, ses modalités d’application ne faisant pas l’unanimité.
Comme je l’ai déjà signalé dans le débat préalable au précédent Conseil européen, le RDSE souscrit à la position de notre gouvernement au sujet de l’accueil raisonnable de réfugiés sur notre territoire, dans des conditions qui, disons-le, doivent s’accorder à nos possibilités matérielles et aux enjeux sécuritaires qui sont les nôtres.
Par ailleurs, le dernier Conseil européen a rappelé que le plan d’action Union européenne-Turquie devait être une priorité. Mon groupe est très attaché aux liens que la France entretient avec ce grand pays laïc, et qui doit le rester. Nous sommes donc particulièrement attristés par l’odieux attentat qui a frappé Ankara dimanche dernier. Nous considérons aussi que la gestion des flux passe nécessairement par ce pays : n’oublions pas, en effet, que seuls 10 % des réfugiés gagnent l’Europe, et que ce sont les pays limitrophes de la Syrie qui sont en première ligne. Il faut bien mesurer que près de 3 millions de réfugiés sont actuellement sur le territoire turc !
Dans ces conditions, le déblocage par l’Union européenne de 3 milliards d’euros en faveur de la Turquie, destinés à aider les Syriens installés dans les camps turcs, est évidemment une bonne chose ; mais ne fallait-il pas aller au-delà de cette aide financière et prévoir un mécanisme adapté de gestion du flux migratoire ? Un chèque ne saurait suffire !
Le nouveau plan germano-turc tout juste finalisé contient des propositions en ce sens. Si d’aucuns regrettent que la France ait été absente de la table des négociations, on peut néanmoins reconnaître l’intérêt du projet, qui consiste à admettre un syrien en Europe pour un syrien expulsé des camps grecs vers la Turquie. Certes, réduite à une formule mathématique, cette gestion des migrants peut paraître manquer d’humanité ; c’est pourtant celle qui sera sur la table du prochain Conseil européen. Monsieur le secrétaire d’État, nous souhaitons connaître votre sentiment à ce sujet.
En marge de cette question, mes chers collègues, se pose celle, récurrente depuis 1963, de l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne. Monsieur le secrétaire d’État, où en est-on de la réouverture annoncée des négociations ? La crise syrienne dans toute sa dimension doit nous permettre d’accélérer ce processus, et certainement pas de le freiner à nouveau, tant il est vrai qu’une large partie de la solution passe par l’intégration de cette puissance régionale à nos côtés, dès lors qu’elle sera prête et remplira tous les critères.
L’ampleur de la crise migratoire nous ferait presque oublier que l’Europe a d’autres défis à relever. De fait, le prochain agenda européen se penchera également sur les initiatives visant à renforcer le marché unique.
Attaché au projet européen malgré les turbulences qui le secouent, le RDSE est favorable à une intégration plus poussée ; mais pour aller dans quelle direction ? Un marché unique réduit à une vaste zone de libre-échange sans coordination minimale entre les politiques économiques des États n’est pas souhaitable. (M. Simon Sutour opine.) On ne peut pas continuer à faire de grands discours pro-européens tout en laissant perdurer des situations de concurrence intracommunautaire. Je pense en particulier aux politiques fiscales,…
M. Loïc Hervé. Très bien !
M. Jean-Claude Requier. … insuffisamment convergentes. (M. Yvon Collin opine.)
À cet égard, je salue l’initiative de la Commission européenne visant à réformer la directive sur les travailleurs détachés, source de dumping social. (M. Loïc Hervé applaudit.)
MM. Yvon Collin et Simon Sutour. Très bien !
M. Jean-Claude Requier. Toujours est-il que beaucoup reste à faire pour approfondir la solidarité au sein de l’Union européenne.
Enfin, en marge de cet agenda, je me réjouis du paquet de mesures significatif destiné à soutenir les secteurs agricoles en crise. La politique agricole commune, la PAC, est un volet fondamental de l’Union européenne, mais, dans ce domaine aussi, promouvoir un marché unique ne doit pas conduire à abandonner les instruments de régulation – je pense en particulier au lait. Ces instruments, du reste, les traités européens permettent encore de les actionner !
Mes chers collègues, sur de nombreux fronts, l’Union européenne est mise à l’épreuve ; mais, comme le disait Jean Monnet, « l’homme n’accepte le changement que sous l’empire de la nécessité »,…
M. Yvon Collin. C’est trop souvent le cas, en effet !
M. Jean-Claude Requier. … tant il est vrai que nous ne sommes pas des réformateurs par nature.
Permettez donc à l’euro-optimiste que je suis de penser, à la suite de Maurice Faure (Exclamations amusées. – M. André Gattolin applaudit), mon mentor en politique, que toutes les difficultés que traverse l’Europe lui permettront de rebondir et de se renouveler en profondeur, pour son plus grand bien et celui des citoyens de notre cher et vieux continent ! (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur plusieurs travées de l'UDI-UC. – M. le président de la commission des affaires européennes applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Pascal Allizard, pour le groupe Les Républicains.
M. Pascal Allizard. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la crise migratoire s’invite une nouvelle fois à l’agenda de l’Union européenne en 2016, comme ce fut le cas lors de très nombreux conseils et réunions en 2015.
Certains ont peut-être cru voir dans l’année écoulée le pic de la crise : les chiffres des passages par les voies terrestres et maritimes étant en forte hausse par rapport aux années antérieures, ils auraient pu se stabiliser, pour enfin décroître. Seulement, le scénario à venir pourrait être assez différent. Au vrai, la relative accalmie hivernale devrait être de courte durée et laisser place au printemps à un nouveau déferlement.
Le temps des premières arrivées au large de Lampedusa semble déjà bien loin, et force est de constater que l’Europe n’a pas su tirer toutes les conséquences des désordres à sa périphérie.
Au-delà des désordres extérieurs, c’est une forme de chaos intérieur lié aux grandes difficultés que rencontrent les États membres pour juguler les flux de migrants et pour organiser de manière efficace leur tri au regard du droit d’asile et, le cas échéant, leur retour qui a pu susciter des vocations. À ce stade, hélas, la crise appelle la crise.
En vérité, quel ressortissant d’un pays en guerre, d’un État sans avenir économique, ne tenterait pas sa chance dans la confusion actuelle, surtout quand des passeurs lui font miroiter un meilleur avenir en Europe et un faible risque d’expulsion ? Pourtant, comme l’a rappelé l’agence FRONTEX, la majorité de ces malheureux ne relèvent pas du droit d’asile.
Monsieur le secrétaire d’État, la situation en Grèce paraît toujours extrêmement inquiétante, surtout après la fermeture progressive de la route des Balkans. L’identification, l’enregistrement et le suivi des migrants et réfugiés s’améliorent-ils ? Les moyens annoncés sont-ils fournis en quantité suffisante ? Sont-ils dimensionnés pour l’inévitable montée en charge du dispositif ?
Plus fondamentalement, est-il acceptable de voir la Grèce, ce pays exsangue économiquement et au territoire fragmenté, devenir un hotspot géant – certains ont parlé de « Calais de l’Europe » ?
Les milliers de migrants entassés, parfois à même le sol, dans un aéroport fantôme donnent une image déplorable de l’Europe, de ses valeurs et de l’état de dislocation de certains de ses membres. Vue de Pékin, de Washington, de Moscou ou d’ailleurs, l’image n’est pas sans conséquences.
De plus, la Commission européenne a fait récemment observer que, depuis le début de l’année 2015, la Grèce avait procédé à un nombre de retours forcés et de retours volontaires aidés de migrants économiques « insuffisant par rapport au nombre d’arrivées en 2015, soit plus de 800 000 migrants. » Elle a d’ailleurs dressé le même constat d’insuffisance à propos des retours à partir de l’Italie.
Au cours du récent sommet Union européenne-Turquie, le principe d’une coopération renforcée avec la Turquie a été entériné. Naturellement, tout ce qui peut contribuer à sortir de la crise migratoire est à considérer avec intérêt. Or la Turquie est pour l’Union européenne, à de nombreux titres, un partenaire important.
Néanmoins, monsieur le secrétaire d’État, les contreparties semblent substantielles : la suppression, peut-être dès l’automne, des visas imposés aux ressortissants turcs, une relance du processus d’adhésion à l’Union européenne et plusieurs milliards d’euros d’aide. Les négociations sous la pression des événements sont, vous en conviendrez, rarement avantageuses pour le demandeur…
Par ailleurs, comment sera contrôlé l’emploi des financements européens destinés aux réfugiés ?
Quant au projet de renvoyer tous les migrants en situation irrégulière vers la Turquie et de procéder, pour chaque Syrien réadmis par la Turquie, à la réinstallation dans l’Union européenne d’un autre Syrien, il fait largement débat. Monsieur le secrétaire d’État, quelle position la France prendra-t-elle en la matière lors du prochain Conseil européen ?
Il faudra aussi s’assurer que la Turquie lutte efficacement contre les passeurs agissant sur son territoire, d’autant que ce sont les mêmes réseaux qui font transiter des combattants de Daech de et vers la Syrie.
La Turquie ne deviendra-t-elle pas, en définitive, une base arrière pour certains migrants qui voudront, vaille que vaille, retenter leur chance ?
Un autre sujet d’attention est, à mon sens, le déploiement d’une flotte de l’OTAN en mer Égée en vue, officiellement, de lutter contre le trafic de migrants. J’y vois d’abord – pardonnez-moi – une forme de faiblesse de l’Europe : une solution de facilité, si j’ose dire. Là aussi, l’image est désastreuse.
Quelle est la plus-value réelle de cette opération navale ? N’aura-t-elle pas un effet pervers incitatif, les passeurs, sachant que les migrants auront plus de chances d’être récupérés, étant davantage tentés de faire partir leurs embarcations ? De fait, comme l’a reconnu devant la commission des affaires européennes et la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat le commandant en second de la mission EUNAVFOR Med, « les passeurs se sont adaptés à la présence accrue des navires européens, sans compter ceux des ONG, et comptent sur l’organisation d’opérations de recueil des migrants ».
Par ailleurs, au moment où les relations russo-européennes sont toujours délicates, pour ne pas dire tendues, sur fond de crise ukrainienne et d’embargo russe, la présence de navires de l’OTAN dans cette région orientale a probablement de quoi interpeller en Russie : ce déploiement pourrait être aussi perçu comme un moyen de renseignement sur les activités des bâtiments russes en provenance de la mer Noire.
Je rappelle que, de façon parallèle, en réponse à l’annexion de la Crimée et aux inquiétudes de certains États membres de l’est de l’Europe, l’OTAN renforce actuellement sa présence dans cette zone. S’il faut sans doute rester ferme face à la Russie, cet arc de l’OTAN, des États baltes aux Balkans jusqu’à la mer Égée, est-il le meilleur moyen d’apaiser les tensions régionales ?