Sommaire
Présidence de M. Jean-Claude Gaudin
Secrétaires :
MM. Jean Desessard, Jackie Pierre.
2. Cessation du mandat d’un sénateur
3. Remplacement d’un sénateur nommé membre du Gouvernement
4. Désignation de sénateurs en mission temporaire
recouvrement de la taxe d’aménagement
Question n° 1236 de Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. – M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget ; Mme Marie-Hélène Des Esgaulx.
conséquences pour la france de la convention fiscale franco-qatarie
Question n° 1326 de M. Jean-Yves Leconte. – M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget ; .Jean-Yves Leconte.
couverture en téléphonie mobile
Question n° 1300 de M. Cédric Perrin. – M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget ; M. Cédric Perrin.
contrats de volontariat en petites et moyennes entreprises
Question n° 1312 de M. Yannick Vaugrenard. – M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget ; M. Yannick Vaugrenard.
fonds de soutien au développement des activités périscolaires
Question n° 1256 de M. Gérard Longuet. – M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget ; M. Gérard Longuet.
projet d'enfouissement d'une portion de l'autoroute a1 à saint-denis
Question n° 1330 de Mme Aline Archimbaud. – M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget ; Mme Aline Archimbaud.
pratiques commerciales du secteur des énergies renouvelables
Question n° 1340 de Mme Stéphanie Riocreux. – M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget ; Mme Stéphanie Riocreux.
modification de la gouvernance des caisses de retraite des professions libérales
Question n° 1302 de Mme Corinne Imbert. – Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion ; Mme Corinne Imbert.
devenir de la clinique de cluses
Question n° 1265 de M. Loïc Hervé. – Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion ; M. Loïc Hervé.
isolement géographique du centre hospitalier d’aurillac
Question n° 1336 de M. Jacques Mézard. – Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion ; M. Jacques Mézard.
régimes complémentaires de retraite des élus locaux et reprise d'activité
Question n° 1337 de M. Jean Louis Masson. – Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion ; M. Jean Louis Masson.
qualité d’ayant droit d'un retraité français résidant hors de france
Question n° 1339 de Mme Claudine Lepage. – Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion ; Mme Claudine Lepage.
professionnels de santé et lutte contre les violences conjugales
Question n° 1315 de Mme Claire-Lise Campion. – Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion ; Mme Claire-Lise Campion.
projet de fermeture du centre de formation de l'office national des forêts de velaine-en-haye
Question n° 1303 de M. Jean-François Husson. – M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement ; M. Jean-François Husson.
simplification des normes pour les agriculteurs
Question n° 1249 de Mme Pascale Gruny. – M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement ; Mme Pascale Gruny.
montée de l'insécurité en guyane
Question n° 1319 de M. Georges Patient. – M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement ; M. Georges Patient.
versement de la prime à la naissance
Question n° 1322 de M. Claude Bérit-Débat. – M. Jean-Vincent Placé, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé de la réforme de l'État et de la simplification ; M. Claude Bérit-Débat.
responsabilité des entreprises dans l’exposition de leurs salariés à l’amiante
Question n° 1329 de Mme Michelle Demessine. – M. Jean-Vincent Placé, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé de la réforme de l'État et de la simplification ; Mme Michelle Demessine.
gens du voyage et aires d’accueil
Question n° 1268 de M. Alain Chatillon. – Mme Emmanuelle Cosse, ministre du logement et de l'habitat durable ; M. Alain Chatillon.
rénovation des logements sociaux étudiants à nice
Question n° 1313 de Mme Dominique Estrosi Sassone. – Mme Emmanuelle Cosse, ministre du logement et de l'habitat durable ; Mme Dominique Estrosi Sassone.
aide personnalisée au logement pour les apprentis
Question n° 1271 de M. Henri Tandonnet. – Mme Emmanuelle Cosse, ministre du logement et de l'habitat durable ; M. Henri Tandonnet.
avenir du collège montaigne de vannes
Question n° 1334 de M. Michel Le Scouarnec. – Mme Emmanuelle Cosse, ministre du logement et de l'habitat durable ; M. Michel Le Scouarnec.
compétence eau et assainissement des collectivités territoriales
Question n° 1317 de M. Jean-Jacques Filleul. – Mme Estelle Grelier, secrétaire d'État auprès du ministre de l'aménagement du territoire, de la ruralité et des collectivités territoriales, chargée des collectivités territoriales ; M. Jean-Jacques Filleul.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
6. Hommage à Claude Estier, ancien sénateur
M. le président ; M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Claude Gaudin
7. Conventions internationales. – Adoption en procédure d’examen simplifié de quatre projets de loi dans les textes de la commission
8. OTAN : protocole sur le statut des quartiers généraux militaires internationaux. – Adoption en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
Discussion générale :
Clôture de la discussion générale.
Adoption de l’article unique du projet de loi dans le texte de la commission.
9. Candidature à une commission
10. Rapport au Parlement relatif aux conditions d’emploi des forces armées lorsqu’elles interviennent sur le territoire national pour protéger la population. – Déclaration du Gouvernement suivie d’un débat
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense
M. Jean-Pierre Raffarin, président de la commission des affaires étrangères
M. Jean-Yves Le Drian, ministre
Suspension et reprise de la séance
11. Communication relative à deux commissions mixtes paritaires
12. Nomination d'un membre d'une commission
13. Débat préalable à la réunion du Conseil européen des 17 et 18 mars 2016
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Caffet
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes
M. Harlem Désir, secrétaire d’État
Mme Fabienne Keller ; M. Harlem Désir, secrétaire d'État
M. Didier Marie ; M. Harlem Désir, secrétaire d'État
M. Michel Canevet ; M. Harlem Désir, secrétaire d'État
M. Patrick Abate ; M. Harlem Désir, secrétaire d'État
M. Alain Marc ; M. Harlem Désir, secrétaire d'État
M. Yves Pozzo di Borgo ; M. Harlem Désir, secrétaire d'État
M. Gérard Bailly ; M. Harlem Désir, secrétaire d'État
M. Daniel Gremillet ; M. Harlem Désir, secrétaire d'État
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes
14. Ordre du jour
compte rendu intégral
Présidence de M. Jean-Claude Gaudin
vice-président
Secrétaires :
M. Jean Desessard,
M. Jackie Pierre.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du jeudi 10 mars a été publié sur le site internet du Sénat.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté.
2
Cessation du mandat d’un sénateur
M. le président. Conformément à l’article 1er de l’ordonnance n° 58-1099 du 17 novembre 1958 portant loi organique pour l’application de l’article 23 de la Constitution, le président du Sénat a pris acte de la cessation, le vendredi 11 mars 2016, à minuit, du mandat sénatorial de M. Jean Vincent Placé, nommé secrétaire d’État chargé de la réforme de l’État et de la simplification par décret en date du 11 février 2016 relatif à la composition du Gouvernement.
3
Remplacement d’un sénateur nommé membre du Gouvernement
M. le président. Conformément à l’article 32 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, M. le ministre de l’intérieur a fait connaître à M. le président du Sénat qu’à compter du samedi 12 mars 2016, à zéro heure, M. Bernard Vera est appelé à remplacer, en application de l’article L.O. 320 du code électoral, en qualité de sénateur de l’Essonne, M. Jean Vincent Placé, nommé secrétaire d’État chargé de la réforme de l’État et de la simplification par décret en date du 11 février 2016 relatif à la composition du Gouvernement.
4
Désignation de sénateurs en mission temporaire
M. le président. Par courrier en date du 14 mars 2016, M. le Premier ministre a fait part de sa décision de placer, en application de l’article L.O. 297 du code électoral, MM. Gérard César, sénateur de la Gironde et Yannick Vaugrenard, sénateur de la Loire-Atlantique, en mission temporaire auprès de M. Alain Vidalies, secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche.
Monsieur Vaugrenard, ce sera peut-être une occasion de vous rendre à Marseille ! (Sourires.)
Cette mission portera sur l’attractivité des grands ports maritimes de la façade Atlantique… et seulement de la façade atlantique, ce que je regrette. (Nouveaux sourires.)
J’ai donc parlé un peu vite, monsieur Vaugrenard, mais cela a donné le sourire à M. le secrétaire d’État chargé du budget ! (Mêmes mouvements.) Le sourire, en ce moment, cela nous fait du bien à tous…
M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget. Le sourire et le soleil !
M. le président. Acte est donné de cette communication.
5
Questions orales
M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions orales.
recouvrement de la taxe d’aménagement
M. le président. La parole est à Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, auteur de la question n° 1236, adressée à M. le secrétaire d’État chargé du budget.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Monsieur le secrétaire d’État, je souhaite attirer votre attention sur les difficultés d’encaissement de la taxe d’aménagement rencontrées cette année par les communes.
Lors du passage de la taxe locale d’équipement, la TLE, à la taxe d’aménagement, ou TA, en 2012, les communes avaient déjà fait face à des problèmes de cette nature.
Aujourd’hui, un nouveau dysfonctionnement est apparu, révélant une évidente difficulté de gestion administrative, sans oublier les dossiers traités restant à ce jour en instance.
Je vais m’appuyer sur un exemple que je connais bien.
D’une part, à la suite de nombreux impayés portant sur des sommes assez importantes, les services de la commune de Gujan-Mestras, dont je suis le maire, ont constaté que le point commun entre tous ces dossiers résidait dans l’intitulé : « Transfert de permis de construire ». Renseignements pris auprès de la direction départementale des territoires et de la mer, la DDTM, les causes de ces blocages sont d’ordre technique.
En effet, tous les permis de construire faisant l’objet d’un transfert sont bloqués au niveau du traitement informatique par le logiciel de la DDTM. Le décompte initial, qui, lui, a pu être imprimé, a été annulé et remis à zéro au moment du transfert, mais il est techniquement impossible d’éditer un nouveau décompte de taxes attaché au même numéro de permis de construire pour le nouveau titulaire.
Par conséquent, si aucun décompte n’est édité, le pétitionnaire ne le reçoit pas et, forcément, ne paiera pas…
Les prévisions budgétaires se trouvent, dès lors, faussées. Le problème est amplifié par l’importance des sommes concernées.
D’autre part, depuis le 1er janvier 2015, les services de la DDTM ont été réorganisés et le traitement des dossiers relatifs à mon territoire se fait non plus à Andernos-les-Bains, mais à Lesparre-Médoc, depuis la fin du mois de mai dernier. Les décomptes concernés ont ainsi été mis de côté pour transmission à la nouvelle DDTM.
Tout cela est vraiment très ennuyeux, monsieur le secrétaire d’État.
En plus de ces difficultés, nous n’avons toujours pas reçu les décomptes des taxes des années précédentes, qui devront être rattrapés.
Monsieur le secrétaire d’État, pourrait-il être envisagé, par exemple, le versement par les pouvoirs publics d’un acompte sur les sommes à récupérer, afin de soulager la trésorerie des communes ?
Plus généralement, quelles mesures le Gouvernement compte-t-il prendre pour remédier à cette situation préjudiciable au budget des communes, dont l’avenir devient très inquiétant au regard des charges toujours croissantes que font peser sur elles les pouvoirs publics ces dernières années et qui s’ajoutent à la baisse des dotations de l’État ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget. Madame la sénatrice, vous appelez mon attention sur la situation des communes, notamment de votre département, concernant les difficultés de liquidation du produit de la taxe d’aménagement.
En premier lieu, il est important de noter que la liquidation de la taxe d’aménagement à la suite d’un transfert de permis de construire peut désormais s’effectuer, depuis septembre 2015.
Le logiciel ADS 2007, permettant la liquidation des taxes, a en effet fait l’objet d’une mise à jour pour traiter de ces cas particuliers. Le retard, réel, pris dans la liquidation des dossiers est donc en voie d’être résorbé.
Par ailleurs, la première échéance, ou l’échéance unique, de la taxe d’aménagement est recouvrée au quatorzième ou au quinzième mois après la délivrance du permis de construire, la deuxième échéance, au vingt-sixième ou au vingt-septième mois, le reversement aux collectivités se faisant ensuite de façon hebdomadaire.
Je vous précise également que le droit de reprise de l’administration s’exerce jusqu’au 31 décembre de la quatrième année qui suit la délivrance de l’autorisation et que le montant de la taxe d’aménagement n’est définitivement acquis aux collectivités qu’au moment de l’achèvement des travaux.
Enfin, je vous indique qu’à l’échelle du département de la Gironde les montants liquidés en 2015 pour la taxe d’aménagement s’élèvent à environ 37 millions d’euros, dont 27 millions d’euros pour la part communale.
Il s’agit des montants liquidés intégrés et pris en charge par l’application Chorus entre le 1er janvier et le 31 décembre 2015, toutes autorisations et toutes échéances confondues, quelle que soit l’année de délivrance.
Ces chiffres ne présagent ni des abandons ou diminutions de projets ni des problèmes de recouvrement vis-à-vis des bénéficiaires des autorisations, susceptibles de diminuer les montants des avoirs.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Hélène Des Esgaulx.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Je souhaite rappeler combien il importe, dans le contexte de difficultés de financement que nous connaissons, d’accélérer ces procédures de recouvrement.
Il est nécessaire de trouver une solution pour débloquer ces sommes importantes qui sont autant de ressources perdues pour nos communes, avec toutes les conséquences que cela a sur les sections d’investissement de nos budgets : avec moins de recettes pour investir, nous dépensons moins, c’est aussi simple que cela ! Cette situation est très dommageable, alors que la croissance ne décolle pas et que nos entreprises ont besoin de travailler.
Je vous rappelle tout de même que nos budgets communaux, eux, doivent être équilibrés. Jouer sur les recettes, c’est jouer aussi sur les dépenses.
J’ai bien entendu votre réponse, monsieur le secrétaire d’État, et j’espère qu’elle sera très rapidement suivie d’effet.
conséquences pour la france de la convention fiscale franco-qatarie
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, auteur de la question n° 1326, adressée à M. le ministre des finances et des comptes publics.
M. Jean-Yves Leconte. Monsieur le secrétaire d’État, je souhaite appeler votre attention sur les conséquences néfastes, pour la France, de l’avenant apporté, en janvier 2008, à la convention fiscale franco-qatarie.
En effet, cette convention confère à la France un statut particulièrement attractif – pour ne pas dire un statut de paradis fiscal – pour tout investisseur qatari. Aux termes de l’avenant à cette convention conclu en 2008, et contrairement aux conventions classiques, il n’y a aucune retenue à la source sur les dividendes, selon l’article 8, pas d’imposition en France sur les redevances, selon l’article 10, ni sur les revenus de créances, selon l’article 9, alors que l’imposition est faible, voire nulle sur ces objets au Qatar.
Une clause relative à la navigation aérienne, même sous couvert d’une apparente réciprocité, favorise, en outre, le développement en Europe – donc en France - d’entreprises de transport aérien à participation qatarie, comme Gulf Air, Qatar Airways ou d’autres, et ce au détriment de notre compagnie nationale.
Mais il y a pire encore dans cette convention : le paragraphe 5 de l’article 17 stipule en effet que, concernant l’imposition au titre de l’impôt de solidarité sur la fortune d’une personne physique citoyen du Qatar résident de France sans avoir la nationalité française, les biens situés hors de France que cette personne possède au 1er janvier de chacune des cinq années suivant l’année civile au cours de laquelle elle devient résidente en France n’entrent pas dans l’assiette de l’ISF afférente à chacune de ces cinq années.
De la sorte, est institué au profit des ressortissants qataris installés en France un principe unique d’exemption du paiement de l’impôt, du seul fait de leur nationalité.
Cette convention fiscale, si elle accompagne des investissements qataris en France, permet surtout de rapatrier au Qatar toute la valeur ajoutée qui en est issue. Elle assure aux entreprises à capitaux qataris un avantage concurrentiel important. L’avantage pour la France se trouve dans l’emploi de salariés et dans le versement de cotisations sociales, comme pour un simple « pays atelier » !
Une telle distorsion est également susceptible de positionner le Qatar comme pays de transit pour des investissements réalisés en France, retirant ainsi toute traçabilité aux flux de capitaux choisissant d’investir en France, ce qui constitue une menace potentielle pour la souveraineté française.
Face à un tel dispositif, il est indispensable d’envisager des mesures pour mettre fin à certaines des exceptions fiscales introduites par l’avenant de janvier 2008, car, en l’absence d’une remise en cause, la diffusion de tels avantages fiscaux pourrait être revendiquée par nombre d’autres États au profil économique proche de celui du Qatar.
Quelles sont sur ces sujets, monsieur le secrétaire d’État, les intentions du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget. Monsieur le sénateur, comme vous le savez, en tant que représentant des Français de l’étranger, le réseau des 125 conventions fiscales françaises, dont fait partie celle que nous avons conclue avec le Qatar le 4 décembre 1990 et qui a été modifiée en 2008 – la date est importante ! –, nous lie à la quasi-totalité de nos partenaires.
Cela nous permet de disposer avec eux d’un support pour la coopération fiscale, notamment en matière d’échange de renseignements, et d’un cadre sécurisé pour les contribuables et les entreprises confrontés à des situations transfrontalières.
Dans ce contexte, il est important d’insister sur le fait que le Gouvernement est très attentif aux dispositions qui sont inscrites dans ces accords et veille à ce qu’elles comportent systématiquement des clauses anti-abus, ainsi qu’un mécanisme d’échange de renseignements sans restriction, conformément aux principes internationaux.
En outre, sur le sujet de l’étendue des avantages accordés par les conventions aux États étrangers, le Gouvernement fait preuve de la plus grande rigueur.
Comme nous avons eu l’occasion de l’indiquer, le cas du Qatar est, de ce point de vue, un précédent qui ne sera pas reproduit. J’ai d’ailleurs transmis l’année dernière au Parlement, dans un esprit de transparence totale, un rapport détaillé sur les exonérations accordées aux investisseurs publics étrangers par les conventions fiscales en matière immobilière.
Quant aux autres exemples que vous mentionnez, il faut souligner qu’ils font apparaître un régime certes favorable, mais qui ne va pas pour autant à l’encontre des principes conventionnels de base.
Sur le régime afférent aux transports internationaux, c’est un élément du modèle de l’OCDE.
La disposition relative à l’impôt sur la fortune que vous visez n’a plus vraiment d’effet, car notre législation prévoit un mécanisme général similaire, dans le cadre du régime dit des « impatriés ».
Concernant les retenues à la source, le modèle de l’OCDE n’en prévoit pas sur les redevances. Quant aux intérêts versés à l’étranger, du côté français, notre loi ne les impose à la source que dans des cas résiduels.
Il existe enfin d’autres conventions, comme celle avec l’Allemagne, qui ne comportent pas de retenue à la source sur les dividendes.
De façon plus générale, monsieur le sénateur, les évolutions des accords internationaux, du travail de l’OCDE et de la position de la France sur ces questions appellent, de notre part – je crois comprendre que c’est cela que vous souhaitez – un passage au peigne fin de l’ensemble des conventions, afin de les aligner sur les standards internationaux qui deviennent aujourd’hui la règle. Cela doit être le cas pour le Qatar comme pour les autres pays.
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie de ces précisions et de votre attachement aux conventions fiscales bilatérales, lesquelles, en effet, simplifient la mobilité internationale et offrent également – c’est important – un outil de transparence fiscale progressive.
Toutefois, le coût pour la France des dispositions très bénéfiques de la convention avec le Qatar, selon des éléments que vous avez donnés à l’Assemblée nationale, peut être estimé à quelque 150 millions d’euros par an, ce qui peut susciter des interrogations.
Vous avez bien relevé la date de l’avenant que je conteste, 2008. Pourquoi ne pas choisir d’être attractifs pour tout le monde ? Pourquoi se limiter spécifiquement à ce type d’investisseurs ? C’est très problématique, d’autant plus que notre pays étant pour le Qatar un paradis fiscal, les investissements qui veulent aller vers la France ont tout intérêt à passer par là, ce qui donne finalement le sentiment d’une sorte de dépendance factice vis-à-vis de cet État, qui pourrait peser sur certaines de nos décisions, et c’est particulièrement dommageable.
couverture en téléphonie mobile
M. le président. La parole est à M. Cédric Perrin, auteur de la question n° 1300, adressée à Mme la secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, chargée du numérique.
M. Cédric Perrin. Monsieur le secrétaire d’État, dans nos territoires ruraux, de nombreux Français connaissent des difficultés pour bénéficier d’une couverture en téléphonie mobile.
Officiellement, notre pays bénéficie des réseaux mobiles parmi les plus étendus d’Europe. Ainsi, 99 % de la population serait couverte selon les chiffres fournis par l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, l’ARCEP. Si tel était réellement le cas, il ne resterait que 1 % de déserts téléphoniques en France. En réalité, et à juste titre, le ressenti de nos concitoyens est bien différent. Qui pourrait en effet croire de tels chiffres, qui masquent des inégalités criantes ? Certaines communes rurales ne sont pas suffisamment couvertes, ce qui constitue un handicap pour les habitants et un frein pour le développement de nos territoires.
Les plans successifs de couverture des zones blanches ont permis d’améliorer la situation. De quoi s’agit-il ? Une zone blanche est caractérisée par l’absence totale de couverture réseau par tous les opérateurs en centre-bourg. Mais il n’y a pas que les centres-bourgs ! Dans les communes rurales étendues, les zones d’habitation situées en périphérie du centre-bourg ne sont pas considérées en zone blanche, alors même qu’il y est impossible de recevoir ou d’émettre un appel téléphonique.
Monsieur le secrétaire d’État, je m’interroge sur l’attachement du Gouvernement à résorber les zones blanches, quand je constate que, dans le Territoire de Belfort, aucun élu n’a été sollicité par les services déconcentrés de l’État pour dresser un descriptif de la couverture en téléphonie mobile sur sa commune. Il me semble pourtant que les élus sont les premiers concernés et les mieux placés pour fournir un état des lieux précis de la situation.
J’ai donc pris l’initiative de recenser les communes de mon département en difficulté et d’en informer les services de l’État. Deux communes ont été déclarées en zone blanche et neuf autres en zone grise. Or, sur le terrain, les zones grises sont aussi problématiques que les zones blanches : les communes doivent faire face à une couverture réseau souvent inexistante, ce qui pose aujourd’hui des problèmes de sécurité à nos concitoyens.
Monsieur le secrétaire d’État, alors que le Gouvernement annonce la mobilisation de 30 millions d’euros pour financer le programme « zones blanches – centres-bourgs », que compte-t-il faire pour remédier aux zones grises laissées pour compte, qui perdurent depuis trop longtemps et qui pénalisent nos territoires ruraux en termes tant de développement économique que de sécurité ? Il est urgent de revoir la définition de la zone blanche, afin qu’elle soit moins restrictive et qu’ainsi l’action de l’État soit plus pertinente.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget. Monsieur le sénateur, la couverture numérique est une nécessité pour faire de l’égalité des territoires une réalité. Axelle Lemaire m’a chargé de vous transmettre la réponse à votre question précise.
Le Gouvernement s’est engagé, au travers des comités interministériels aux ruralités du 13 mars et du 14 septembre 2015 et de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, à améliorer l’accès aux services de téléphonie mobile.
Notre priorité était de répondre à la situation des dernières communes dépourvues de tout accès au mobile. Nous avons engagé, sous l’égide des préfectures de région, deux campagnes de vérifications de terrain pour établir une liste des communes à couvrir. Le protocole utilisé pour ces mesures de terrain a été amélioré afin de tenir compte de l’arrivée du quatrième opérateur et de mieux intégrer les centres-bourgs de petite taille.
Plus d’un millier de centres-bourgs ont ainsi fait l’objet de mesures qui ont permis d’établir une liste de 268 communes qui pourront bénéficier, de la part de l’ensemble des opérateurs de réseaux mobiles, d’une couverture en internet mobile d’ici à la fin 2016 ou six mois après la mise à disposition d’un pylône par la collectivité territoriale. L’État prendra à sa charge l’investissement initial. Les quatre opérateurs auront l’obligation d’équiper en haut débit mobile, d’ici à la mi-2017, 2 200 communes qui n’ont aujourd’hui accès qu’à un service minimal. L’ARCEP pourra sanctionner tout manquement.
Enfin, une mesure complémentaire a été prévue pour identifier 800 sites d’intérêt particulier, qu’il soit économique, touristique ou lié à un service public, qui pourront être couverts au cours des quatre prochaines années. Ce guichet sera mis en place au cours de ce mois pour lancer un premier appel à projets portant sur 300 sites.
J’en viens plus particulièrement au Territoire de Belfort.
Deux communes figurent sur la liste des 268 communes arrêtée le 8 février 2016 et seront ainsi couvertes conjointement par les quatre opérateurs d’ici à la fin 2016.
La relance du programme de résorption des zones blanches 2G et 3G mis en place par le Gouvernement permettra donc d’apporter l’accès à la téléphonie mobile à celles de nos communes les plus enclavées. Si ce programme n’épuise pas la question de la couverture du territoire en services mobiles, monsieur le sénateur, il permet, à court terme, d’améliorer la situation dans près de 3 300 communes.
M. le président. La parole est à M. Cédric Perrin.
M. Cédric Perrin. Monsieur le secrétaire d’État, le compte n’y est pas ! Cela fait des années que l’on nous raconte la même histoire, mais les habitants des territoires ruraux attendent. Pour avoir été vous-même un élu local, vous savez pertinemment que les chiffres que l’on avance – les zones non couvertes concerneraient 268 communes – sont un véritable mensonge et un scandale.
Il est urgent de demander à l’ARCEP de modifier ses méthodes de calcul, car il est inacceptable que la fracture numérique entre territoires ruraux et territoires urbains perdure de la sorte.
On ne peut pas continuer à mentir à nos concitoyens en leur faisant croire que, sur l’ensemble du territoire national, seuls 268 villages ne seraient pas connectés ou raccordés à la téléphonie mobile. Celles et ceux qui vivent dans nos villages et qui, au quotidien, doivent faire face à ces difficultés savent très bien qu’ils n’ont aucune possibilité de se connecter ou de se raccorder au réseau mobile local.
J’espère vivement que l’on parviendra enfin à trouver une solution. Je ne nie pas les bonnes intentions du Gouvernement, mais, dans le Territoire de Belfort, que vous avez cité, monsieur le secrétaire d'État, j’ai recensé 17 communes qui ne sont absolument pas raccordées à la téléphonie mobile. Or l’ARCEP n’en a retenu que deux. Cela signifie qu’il en reste encore quinze qui sont complètement livrées à elles-mêmes et privées de tout raccordement.
Il faut vraiment que le Gouvernement fasse comprendre à l’ARCEP que les méthodes de calcul qu’elle met en œuvre sont complètement fausses !
contrats de volontariat en petites et moyennes entreprises
M. le président. La parole est à M. Yannick Vaugrenard, auteur de la question n° 1312, transmise à Mme la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.
M. Yannick Vaugrenard. Monsieur le secrétaire d’État, dans notre pays, 63 % des salariés sont employés dans des petites et moyennes entreprises. Pourtant, les PME embauchent proportionnellement moins de jeunes diplômés que les grandes entreprises, ce qui leur porte préjudice. De nombreuses études montrent en effet l’importance de ces profils pour leur développement et pour leur dynamisme. Il faut d’ailleurs constater que, même parmi les PME françaises les plus dynamiques, les difficultés à recruter des jeunes diplômés sont réelles.
Cette situation constitue une différence majeure avec l’Allemagne, où le niveau moyen d’encadrement des entreprises est bien meilleur que celui des PME et des entreprises de taille intermédiaire françaises, notamment parce que les jeunes diplômés s’y orientent naturellement à la sortie de leurs études.
Certains pays, comme le Royaume-Uni, se sont saisis du problème et ont mis en place des programmes particuliers entre les grandes universités et les PME. Des stages sont effectués par les étudiants dans ces entreprises.
Nos entrepreneurs sont très demandeurs de ce type d’initiative dans notre pays. C’est pourquoi il serait particulièrement pertinent qu’un dispositif spécifique soit mis en place, qui pourrait être créé sur le modèle des contrats de volontariat international en entreprise, les VIE, qui constituent une expérience valorisable par les jeunes passés par ce dispositif. L’entreprise verse au volontaire une indemnité qui entre dans le calcul de ses droits à la retraite et qui n’est pas soumise à cotisations sociales. C’est donc véritablement une opération « gagnant-gagnant ».
Une convention pourrait ainsi permettre aux PME de recruter, pour une durée significative mais limitée, des jeunes diplômés pour y conduire un projet déterminé. Ce dispositif viserait aussi à améliorer la productivité et la compétitivité des PME et des ETI en leur permettant de s’associer les compétences des jeunes diplômés de l’enseignement supérieur, en particulier ceux qui sortent des écoles d’ingénieur et de commerce et qui, aujourd’hui, leur échappent.
Ce programme permettrait de lever les nombreux freins symboliques qui éloignent nos jeunes diplômés des PME les plus dynamiques de notre pays. La Banque publique d’investissement, la BPI, notamment via son programme Bpifrance Excellence, ainsi que les réseaux Business France pourraient faciliter les liens entre les jeunes diplômés et les entreprises.
Par conséquent, monsieur le secrétaire d'État, je souhaite connaître la position du Gouvernement sur cette proposition et savoir de quelle manière celle-ci pourrait être mise en œuvre.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget. Monsieur le sénateur, Mme El Khomri, ministre du travail, qui m’a chargé de vous transmettre sa réponse, vous remercie de cette question, car le Gouvernement partage votre analyse.
D’une part, les PME ont intérêt à recruter des jeunes qualifiés, notamment pour développer leurs fonctions d’encadrement et accompagner leur croissance. D’autre part, il est important que ces jeunes puissent mesurer l’opportunité qu’offre un emploi dans une PME. Ils peuvent y trouver un environnement propice à une rapide montée en compétence. Les relations humaines y sont plus directes. Les tâches à réaliser y sont souvent plus complètes et peuvent être plus larges en termes de responsabilité.
Depuis de nombreuses années d’ailleurs, les écoles de commerce et les universités développent également des programmes et des certifications adaptées pour favoriser l’intégration de leurs étudiants dans les PME. Nous pouvons constater ensemble que les jeunes ont bien compris leur intérêt à intégrer ce type d’entreprise.
Certes, en proportion, nous retrouvons légèrement plus de diplômés de grandes écoles et de diplômés de cycles supérieurs de l’université dans une grande entreprise que dans une PME. Cependant, en 2015, parmi les jeunes sortis des études depuis moins de six ans, 41 % des diplômés de grandes écoles et 36 % des titulaires d’une maîtrise étaient employés dans une PME, loin devant l’embauche dans les entreprises de taille intermédiaire, dans les grandes entreprises ou dans le secteur public.
Comment renforcer encore cette tendance, alors que les jeunes rencontrent des difficultés pour s’insérer dans le monde du travail ?
À ces difficultés, nous ne souhaitons pas répondre par un contrat spécifique.
Le dispositif du volontariat international en entreprise a toute sa valeur, parce qu’il permet aux jeunes d’accéder rapidement à une première expérience professionnelle à l’étranger. Toutefois, nous ne souhaitons pas proposer un dispositif similaire pour la France, passant par une exonération de cotisations sociales, alors que des dispositifs existent déjà, favorables au rapprochement entre PME et jeunes.
Par exemple, un décret du 2 mai 2012 ouvre la possibilité d’un parcours partagé d’apprentis dans plusieurs entreprises. C’est ce que développe le secteur de l’aéronautique. Un seul contrat d’apprentissage lie l’employeur avec l’apprenti, mais l’apprenti peut passer jusqu’à 50 % de son temps dans une entreprise partenaire. Ce dispositif pourrait être mieux promu.
De la même façon, encourageons les stages dans une diversité d’entreprises, de la start-up à la grande entreprise.
Vous le savez, monsieur le sénateur, une fois leur diplôme acquis, les jeunes ne sont pas demandeurs d’un nouveau type de contrat. Ils souhaitent intégrer durablement le monde du travail.
Prenons appui sur les outils et les initiatives des acteurs économiques d’ores et déjà existants. C’est ce type de pratiques, utilisant pleinement les potentialités de notre droit du travail et les dispositifs en vigueur, que nous souhaitons privilégier pour rapprocher plus encore PME et jeunes diplômés.
Je crois, monsieur le sénateur, que nous nous retrouvons dans cet objectif.
M. le président. La parole est à M. Yannick Vaugrenard.
M. Yannick Vaugrenard. Monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie de votre réponse, qui me satisfait, mais en partie seulement.
Certains éléments que vous avez indiqués sont positifs. On note bien une évolution par rapport au monde des petites et moyennes entreprises, voire des très petites entreprises. Reste que cette évolution est notoirement insuffisante.
Par ailleurs, il est hors de question pour moi d’imaginer une évolution du contrat de travail, quelle qu’elle soit, à destination de ce public jeune, lequel a raison parfois de s’en inquiéter.
Je souhaite que, sur le modèle du contrat « volontariat international en entreprise », nous mettions en place un autre contrat, qui pourrait s’appeler « volontariat intérieur France » et qui en reprendrait en quelque sorte l’idée et les modalités.
Aujourd’hui, le VIE marche formidablement bien. Les jeunes ne s’inquiètent pas du tout de la manière dont ils sont recrutés et ils sont protégés. Comme je l’ai déjà souligné, c’est un contrat gagnant-gagnant.
Je pense donc qu’il faut aller beaucoup plus loin et ne pas avoir peur de son ombre. Contactons les organisations de jeunes, en particulier les organisations syndicales des jeunes, pour voir si cela soulève des craintes et, le cas échéant, les mesurer.
En revanche, monsieur le secrétaire d’État, je ne suis pas satisfait lorsque vous me répondez que des dispositifs existent déjà. Il faut être beaucoup plus offensif en direction de notre jeunesse comme du tissu des PME, car c’est l’essentiel de l’économie de notre pays.
Parce que je ne suis donc pas complètement satisfait par votre réponse, je compte déposer une proposition de loi en ce sens. Après concertation, après avoir informé et écouté, il sera nécessaire d’agir.
Monsieur le président, je profite du temps qu’il me reste pour vous remercier d’avoir informé le Sénat que m’avait été confiée une mission temporaire sur l’attractivité des grands ports maritimes de la façade Atlantique, c'est-à-dire Nantes-Saint-Nazaire, La Rochelle, Bordeaux. Comme il sera nécessaire d’étudier la gouvernance des autres ports, éventuellement l’évolution de cette gouvernance, et que Marseille possède un grand port, j’aurai sans doute le plaisir d’aller dans cette très belle ville, même si elle n’est peut-être pas aussi belle que celle de Saint-Nazaire, qui gagne à être connue ! (Sourires.)
M. le président. Merci, mon cher collègue !
fonds de soutien au développement des activités périscolaires
M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet, auteur de la question n° 1256, adressée à Mme la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche.
M. Gérard Longuet. Monsieur le secrétaire d’État, ma question a trait à la mise en œuvre du fonds de soutien au développement des activités périscolaires.
L’article 67 de la loi n° 2013-595 du 8 juillet 2013 prévoit que le fonds de soutien est accessible aux communes. C’est une excellente chose, n’était que la réalité est différente. En effet, de très nombreuses communes rurales ont confié aux établissements publics de coopération intercommunale le soin de mettre en place les nouvelles activités périscolaires.
Or les EPCI ne sont pas fondés à demander la mise en œuvre de ce fonds de soutien pour l’ensemble des élèves dont ils ont la charge. Il appartient à chaque commune membre de l’EPCI de se tourner vers l’administration de l’État et de reverser ensuite les sommes perçues à l’EPCI, ce qui conduit à des situations extraordinairement complexes.
À cette gestion délicate s’ajoute le fait que certaines communes bénéficient de la dotation de solidarité rurale et, à ce titre, obtiennent du fonds de soutien des sommes plus importantes, alors que les actions sont mutualisées et les coûts parfaitement normalisés. Dans ces conditions, faut-il aligner toutes les communes sur le régime minimum à 50 euros par enfant ou sur le régime maximum majoré de 40 euros par enfant ? Ceci est un autre débat. Il n’en reste pas moins que cette distinction est absurde, lorsque l’action est menée en commun, c’est-à-dire mutualisée par un EPCI.
Une dernière remarque : même si cette situation ne s’est jamais produite, en tout cas dans le département que j’ai l’honneur de représenter, on peut imaginer qu’un conflit entre une commune et un EPCI conduise la commune éventuellement bénéficiaire de la dotation de solidarité rurale puisse obtenir des sommes à ce titre, mais ne pas les restituer à l’EPCI.
Cette situation mérite d’être examinée. C’est pourquoi, monsieur le secrétaire d’État, je souhaite que les services de l’éducation nationale, que vous représentez ce matin, fassent preuve d’imagination pour que, par voie d’amendements, nous puissions faire évoluer cette situation.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget. Monsieur le sénateur, l’État accompagne la mise en œuvre des nouveaux rythmes éducatifs au plus près du terrain par un fonds de soutien au développement des activités périscolaires mis en place au bénéfice des communes.
Ces aides ont été rendues pérennes par la loi de finances pour 2015, dès lors que les collectivités mettent en place un projet éducatif territorial. À l’échelon national, près de 22 000 communes perçoivent ces aides du fonds.
S’il en est ainsi, monsieur le sénateur, c’est à la demande expresse des associations d’élus locaux. Je vous assure toutefois que, lorsque la compétence périscolaire lui a été transférée, l’EPCI se voit reverser les fonds.
Ce qui a présidé à ce choix, c’est aussi la volonté de pouvoir verser les fonds au plus tôt et de manière certaine, en nous fondant sur des éléments appréciés à l’échelle de la commune.
S’agissant des compétences facultatives des EPCI, dont les contours sont parfois variables d’un territoire à l’autre, nous ne disposons pas à l’échelon national de données certaines, d’autant que la carte des compétences facultatives est en train d’évoluer considérablement dans les territoires depuis la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite « loi NOTRe ».
C’est donc un choix d’opportunité, conseillé par les associations d’élus, de sécurité et d’efficacité des versements qui a guidé la décision du Gouvernement en 2013. Je sais que, dans cet hémicycle, beaucoup sont d’ailleurs attachés à son maintien.
S’agissant enfin de la différence des taux d’aide aux communes au sein d’un même EPCI, les capacités de mutualisation autorisées par l’organisation des activités au niveau de l’EPCI sont de nature à optimiser l’utilisation des sommes perçues. Elles bénéficient donc bien à l’ensemble des élèves scolarisés dans les communes de l’EPCI.
Vous le voyez, monsieur le sénateur, notre dispositif est inspiré par le choix de la proximité avec les élus des communes et par le souci de l’efficacité afin de soutenir les communes et les EPCI qui sont engagés pour la réussite de la refondation de l’école de la République, à laquelle nous sommes tous attachés ici et notamment le département de la Meuse, que vous connaissez bien.
M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet.
M. Gérard Longuet. Monsieur le secrétaire d'État, j’ai écouté attentivement votre réponse.
Il est vrai que les associations d’élus locaux ont eu à l’égard des nouvelles activités périscolaires une attitude prudente, que l’on pourrait même parfois qualifier de « méfiante », en vue d’observer la mise en œuvre et la montée en puissance de ce dispositif.
Avec le recul, on s’aperçoit aujourd'hui que la coopération intercommunale fonctionne bien en milieu rural, même si celle-ci a été en effet bouleversée par les impératifs de la loi NOTRe, qu’il est parfois difficile de décliner sur l’ensemble du territoire, notamment lorsque les densités sont extrêmement faibles.
Nous serons amenés à rouvrir ce débat législatif. J’en suis à peu près certain, il devrait être donné la possibilité d’infléchir, par voie d’amendements, l’article 67 de la loi n° 2013-595 parce que la réussite de la coopération intercommunale renforcée par les nouvelles cartes entraînera manifestement une mutualisation plus grande de ce service, qui est, par ailleurs, extraordinairement lié au ramassage scolaire dont les EPCI ont en général la responsabilité, sur le plan opérationnel concret du moins.
Le dossier n’est pas fermé. Je comprends la prudence du Gouvernement, mais je ne la partage pas. Selon moi, il convient d’aller de l’avant et de soutenir les EPCI qui feront leurs preuves.
projet d'enfouissement d'une portion de l'autoroute a1 à saint-denis
M. le président. La parole est à Mme Aline Archimbaud, auteur de la question n° 1330, transmise à M. le secrétaire d'État auprès de la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat, chargé des transports, de la mer et de la pêche.
Mme Aline Archimbaud. Monsieur le secrétaire d’État, j’ai été sollicitée par des représentants de trois associations de Seine-Saint-Denis au sujet de la terrible dégradation de l’environnement à laquelle sont confrontés les riverains et les salariés de l’autoroute Al et de sa bretelle, qui traversent le quartier nord-est de Saint-Denis.
Ces associations agissent pour faire reconnaître les nuisances subies quotidiennement sur ce territoire : pollution atmosphérique et bruit dus essentiellement au trafic routier sur le tronçon de l’autoroute Al où circulent, j’y insiste, près de 195 000 véhicules par jour.
Les chiffres en matière de pollution sont éloquents : cette zone bat en effet des records – de tristes records ! – en Île-de-France en matière de pollution atmosphérique, avec les particules fines issues des moteurs et le dioxyde de carbone notamment. Sur les soixante-dix stations de mesure implantées en Île-de-France par Airparif, c’est celle-là qui enregistre le dépassement le plus important du seuil limite journalier légal de particules PM10, à savoir un jour sur deux. En 2012, on a recensé 192 jours de dépassement !
C’est un calvaire pour des milliers d’habitants et de salariés qui travaillent ou habitent à la Plaine-Saint-Denis et se trouvent ainsi exposés à un risque fortement accru de maladies respiratoires et cardio-vasculaires. Sur ce point, les études sanitaires sont absolument unanimes.
Face à ce constat dramatique, ces associations ont formulé un ensemble de propositions citoyennes à l’attention des pouvoirs publics, sous la forme d’un document intitulé Concilier la réparation de fractures urbaines et les objectifs environnementaux pour en faire un laboratoire de la transition écologique urbaine. Ce projet consiste essentiellement à limiter ces nuisances via l’enfouissement d’une portion de l’autoroute Al, du tunnel du Landy à La Courneuve, dans le cadre de l’aménagement du Grand Paris. Ce sont des dizaines de milliers d’habitants, mais aussi de salariés, qui se concentrent dans cette portion de 2,7 kilomètres.
Cela constituerait également une solution à la fracture urbaine que représente l’autoroute pour la ville de Saint-Denis.
Monsieur le secrétaire d'État, je poserai deux questions.
Premièrement, comment ce projet pourrait-il être soutenu concrètement par les pouvoirs publics ? Et, dans un premier temps, quels moyens pourraient être mis à la disposition des citoyens porteurs de ce projet pour que soit menée une étude spécifique de faisabilité ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget. Madame la sénatrice, je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser mon collègue Alain Vidalies, qui n’a pas pu être présent ce matin.
Vous appelez l’attention du Gouvernement sur l’impact environnemental des axes routiers et autoroutiers sur le territoire de la Plaine-Saint-Denis et sur les aménagements qui pourraient en diminuer les effets sur les riverains.
Le secrétaire d’État chargé des transports est, comme vous, conscient des attentes des élus, des usagers et des riverains de ces axes. Je tiens à vous assurer de l’attention que porte le Gouvernement sur l’amélioration environnementale de ce territoire eu égard aux nuisances subies.
À ce titre, le contrat de développement territorial 2014-2030 sur le territoire de Plaine Commune, élaboré dans la perspective du déploiement du Grand Paris Express, intègre des actions pour améliorer les infrastructures autoroutières existantes. Il vise également à favoriser la nécessaire insertion urbaine des autoroutes.
L’importance de ce sujet et la convergence de vues des acteurs ont permis d’inscrire au contrat de développement territorial les études relatives aux deux actions concernant le réseau routier national dans le contrat de plan État-région 2015-2020, actions regroupées dans « l’opération de réaménagement du carrefour Pleyel à Saint-Denis sur l’A86 » du CPER et incluant également la suppression des bretelles de la Porte de Paris sur l’Al.
Après un premier échange de cadrage entre les services techniques de la communauté d’agglomération de Plaine Commune et les services de l’État, en janvier 2015, le cahier des charges des études est en voie d’être complètement rédigé. La réalisation de l’ensemble de ces études permettra, le moment venu, d’examiner l’inscription des travaux. Du fait du temps d’étude nécessaire, ceux-ci n’ont pas été inscrits au CPER 2015-2020 de la région d’Île-de-France signé le 9 juillet 2015.
Je vous confirme donc, madame la sénatrice, que le financement de cette opération pourra être considéré dans le cadre des prochaines programmations pluriannuelles au regard de plusieurs facteurs, notamment le coût et les délais de réalisation, mais aussi la position des collectivités concernées.
M. le président. La parole est à Mme Aline Archimbaud.
Mme Aline Archimbaud. Monsieur le secrétaire d'État, je vous remercie des éléments de réponse précis que vous avez apportés au nom du Gouvernement.
Je note qu’un cahier des charges est en cours de rédaction et qu’une concertation avec les responsables de la communauté d’agglomération de Plaine Commune est engagée.
Toutefois, permettez-moi d’insister sur les enjeux sanitaires de la situation. En effet, les études montrent les dangers extrêmement graves d’une telle pollution et du bruit sur la santé de dizaines de milliers de personnes. L’Organisation mondiale de la santé reconnaît l’effet cancérigène des particules fines. Nous devons donc nous mobiliser sur ces effets réellement meurtriers.
Par ailleurs, je suppose – j’y regarderai de plus près – que le Gouvernement a également prévu, dans le cadre du cahier des charges, une concertation avec les associations citoyennes. C’est une ressource précieuse pour le Gouvernement que d’avoir des réseaux citoyens qui se préoccupent de l’intérêt général et sont porteurs de projets.
Certes, je comprends bien qu’il faille chiffrer le projet d’enfouissement de la portion de l’autoroute A1, mais il faut examiner cette question dans le cadre du projet du Grand Paris Express, une opération très lourde.
Certaines villes dans le monde conduisent de telles expériences. Ainsi, à Montpellier, un projet d’enfouissement d’une partie de l’autoroute A9, dont le responsable a été entendu en juin dernier par la commission d’enquête sénatoriale sur le coût économique et financier de la pollution de l’air, apporte de réelles garanties quant à la façon de faire disparaître la pollution au moyen de procédés technologiques assez modernes.
Je vous remercie encore de votre réponse, mais j’espère vraiment – c’est une nécessité ! - que le réseau citoyen sera lui aussi intégré à la concertation et qu’il aura, s’il le juge utile, les moyens d’expertiser des méthodes nouvelles en matière de lutte contre la pollution dans le cadre d’un projet d’enfouissement d’une autoroute.
pratiques commerciales du secteur des énergies renouvelables
M. le président. La parole est à Mme Stéphanie Riocreux, auteur de la question n° 1340, adressée à Mme la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat.
Mme Stéphanie Riocreux. Monsieur le secrétaire d'État, une enquête de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, la DGCCRF, présentée le 19 novembre 2015 a révélé « de graves manquements » de la part de professionnels peu scrupuleux dans le secteur de la commercialisation de dispositifs domestiques permettant la production et l’utilisation des énergies nouvelles renouvelables, telles que les éoliennes domestiques ou les panneaux solaires photovoltaïques, par exemple.
La DGCCRF s’est intéressée au sujet, car le nombre de plaintes avait doublé en un an. Elle a relevé un taux infractionnel très élevé, de 50 %, mettant en évidence « la tromperie sur les coûts et gains attendus des installations, le paiement par les consommateurs aux professionnels avant l’expiration du délai de sept jours, le non-respect du délai de rétractation et le non-respect dû au formalisme des contrats de vente et de crédit ».
La DGCCRF a observé que « des consommateurs trompés sur la qualité des équipements ou des installations et sur la portée de leur engagement lors de la signature du PV de réception des travaux remboursent un prêt affecté à un matériel qui ne leur permet aucune économie d’énergie, voire présente un bilan énergétique négatif ».
Elle relève aussi que 64 % des entreprises ayant fait l’objet d’un procès-verbal détiennent la mention « RGE », pour « Reconnu Garant de l’Environnement », qui permet l’activation de dispositifs fiscaux incitatifs.
Le constat est accablant, et la DGCCRF a lancé une alerte.
Monsieur le secrétaire d’État, il apparaît que la confiance du public à l’égard du volontarisme que le Gouvernement déploie, avec d’autres acteurs, en faveur de l’environnement risque d’être atteinte et que les entreprises honnêtes et scrupuleuses seraient elles aussi victimes de cette perte de confiance.
Quelles mesures le Gouvernement compte-t-il prendre pour que les dispositions législatives protégeant les consommateurs soient appliquées dans ce secteur et pour que la mention RGE distingue réellement des entreprises respectueuses du public et de l’environnement ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget. Madame la sénatrice, je vous remercie d’avoir posé cette question importante. Mme la ministre Ségolène Royal, qui vous prie de bien vouloir excuser son absence, m’a chargé de vous répondre.
Des témoignages de consommateurs reçus par les services du ministère de l’environnement relatent en effet le démarchage d’installateurs de panneaux photovoltaïques ou d’éoliennes domestiques qui se révèlent par la suite de véritables tromperies. Ces fraudes sont le fait d’une minorité d’entreprises et de projets, mais elles placent des ménages dans des situations financières difficiles et nuisent, qui plus est, à la réputation des filières d’énergies renouvelables décentralisées.
Les services du ministère travaillent activement avec la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes pour enrayer ces pratiques.
Ainsi, la DGCCRF a mené depuis 2013 des enquêtes sur la commercialisation des petites installations d’énergie renouvelable, dont celles que vous avez citées. Elles ont fait apparaître des taux d’anomalie importants sur les installations contrôlées et ont donné lieu à des poursuites administratives et contentieuses contre les entreprises en infraction.
La DGCCRF a prévu de maintenir un contrôle accru sur ce secteur. Les éléments rassemblés peuvent permettre d’attaquer en justice les récidivistes pour escroquerie.
Par ailleurs, des actions de prévention sont menées par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, l’ACPR, auprès des organismes de crédit qui proposent des prêts à la consommation aux particuliers pour des équipements de ce type.
À la suite des résultats de l’enquête, la Direction générale de l’énergie et du climat, la DGEC, a demandé à QualiPV, la marque qualité « Reconnu garant de l’environnement » pour le solaire photovoltaïque, de durcir son dispositif de sanctions à l’égard des entreprises qualifiées ne remplissant pas leurs obligations en termes de qualité de réalisation et de respect des réglementations et des bonnes pratiques en matière commerciale.
Pour ce qui est du renforcement des contrôles, plusieurs pistes sont à l’étude, qui pourront déboucher sur des suspensions ou des radiations dans les mois qui viennent. Pour assurer l’effectivité de ce dispositif, il est également essentiel que les particuliers victimes de fraudes les signalent à QualiPV, afin que soit engagée une radiation des entreprises concernées si les faits sont confirmés.
M. le président. La parole est à Mme Stéphanie Riocreux.
Mme Stéphanie Riocreux. Monsieur le secrétaire d'État, je vous remercie de votre réponse. La confiance des citoyens dans les analyses relatives aux atteintes à l’environnement et dans les solutions proposées est en effet essentielle.
Je me permets toutefois d’attirer votre attention sur un point : l’alerte de la DGCCRF concerne aujourd'hui les équipements domestiques, mais nous voyons de plus en plus ici et là une défiance se manifester à l’égard des éoliennes géantes.
Dans certains endroits de France, le développement de ces machines interpelle : il peut apparaître incongru et, de la même manière que pour les équipements domestiques, en décalage au regard des objectifs annoncés en matière de protection de l’environnement et des moyens qui y sont consacrés.
Il ne faudrait pas que les dérives constatées par la DGCCRF concernant l’usage domestique et les questions qui se posent à propos des éoliennes géantes viennent porter atteinte à la réussite de la politique environnementale soutenue par le Gouvernement.
modification de la gouvernance des caisses de retraite des professions libérales
M. le président. La parole est à Mme Corinne Imbert, auteur de la question n° 1302, adressée à Mme la ministre des affaires sociales et de la santé.
Mme Corinne Imbert. Je souhaite attirer l’attention de Mme la ministre sur la modification des règles de gouvernance des caisses de retraite des professions libérales.
Le décret du 22 juillet 2015 a apporté des modifications significatives au code de la sécurité sociale, notamment quant à la composition du conseil d’administration, la limitation de la durée du mandat du président et autres éléments relatifs à la gouvernance de ces caisses, et ce en dépit des opérations électorales qui avaient eu lieu auparavant.
Cette décision gouvernementale a été prise unilatéralement, en plein milieu de l’été et sans concertation préalable avec les intéressés, mettant ainsi en défaut la volonté des corps concernés, principalement la Caisse autonome de retraite des médecins de France, la CARMF. Or, depuis 1945, ces organismes sont dirigés par des élus désignés par les affiliés.
Cette mesure vient donc entraver un processus historique et démocratique dans le fonctionnement même des instances dirigeantes des caisses de retraite.
En effet, la Mission nationale de contrôle et d’audit des organismes de sécurité sociale s’est appuyée sur ledit décret pour suspendre durant quarante jours le président Gérard Maudrux et l’ensemble des membres du bureau ainsi que les décisions prises par le conseil d’administration de la CARMF. Cette décision a alors fait l’objet d’un recours devant le Conseil d’État, en octobre 2015.
Néanmoins, en novembre dernier, le directeur de la sécurité sociale a annulé ces décisions : le Dr Maudrux a été nommé à l’unanimité président honoraire de la Caisse et l’ancien premier vice-président en est devenu le président, le Dr Thierry Lardenois. Le tribunal administratif a cependant été saisi contre cette décision de tutelle, qui a eu pour conséquence directe de mettre à mal le bon fonctionnement de la Caisse.
Aussi, le Gouvernement entend-il clarifier sa position quant à l’application du décret précité et réaffirmer le principe d’autonomie des caisses de retraite des professions libérales ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion. Madame la sénatrice, je tiens tout d’abord à rappeler l’objectif porté par la loi du 20 janvier 2014 garantissant l’avenir et la justice du système de retraites : un objectif de clarification des missions de la Caisse nationale d’assurance vieillesse des professions libérales, la CNAVPL.
Dans ce cadre, le Gouvernement a également souhaité moderniser la gouvernance de ces organismes. Comme vous l’avez dit, cette gouvernance était historique dans la mesure où elle n’avait pas évolué depuis 1951.
Le décret du 22 juillet 2015 a renforcé le caractère démocratique de cette gouvernance. Il a conféré aux allocataires la qualité d’électeur et a affirmé, dans le respect de la construction ordinale de certaines professions, le principe d’élection des administrateurs par l’ensemble des affiliés et des allocataires, en établissant un lien entre le nombre d’administrateurs et le nombre de cotisants.
Enfin, afin de garantir le renouvellement des instances dirigeantes, le décret a prévu de limiter le nombre de mandats que peut exercer le président ou la présidente.
Je tiens également à insister sur le fait que des mécanismes d’entrée en vigueur différée ont été prévus, afin de garantir la continuité de la gouvernance des sections professionnelles et le respect des processus électoraux, un point qui, me semble-t-il, vous inquiétait, madame la sénatrice. Cela a permis de ne pas porter atteinte aux mandats en cours et de laisser aux caisses le temps nécessaire pour mettre en œuvre les réformes attendues.
Vous le voyez, tout en respectant la construction historique de ces caisses, cette réforme est venue apporter les évolutions nécessaires à une gestion à la fois démocratique et moderne. Elle contribuera à renforcer la légitimité des administrateurs auprès de leurs assurés et aussi à conforter les orientations portées par ces caisses.
M. le président. La parole est à Mme Corinne Imbert.
Mme Corinne Imbert. J’entends bien votre souci de clarifier et de moderniser les systèmes de retraite. Nous sommes tous préoccupés par le devenir et, surtout, par la pérennité des différentes caisses.
Mais il est important de respecter les processus électoraux. Or, vous le savez bien, madame la secrétaire d’État, ce qui a pu poser problème, c’est le fait d’avoir quelque peu donné l’impression de tordre le cou aux règles habituelles, voire de se livrer à une forme de « bidouillage », sans discussion préalable. C’est cela qui me paraît peu acceptable.
Oui à la pérennité des caisses et des systèmes de retraite ! Mais pas à n’importe quel prix et sans respecter la démocratie !
devenir de la clinique de cluses
M. le président. La parole est à M. Loïc Hervé, auteur de la question n° 1265, adressée à Mme la ministre des affaires sociales et de la santé.
M. Loïc Hervé. Ma question concerne la clinique des Grandes Alpes, à Cluses, en Haute-Savoie.
Le 1er octobre dernier, quand j’ai déposé cette question orale, la situation de l’établissement était critique. J’en appelais à Mme la ministre Marisol Touraine pour qu’une solution puisse être trouvée.
Depuis lors, après plusieurs mois d’inquiétude, l’agence régionale de santé, l’ARS, a finalement renouvelé la plupart des autorisations de la clinique de Cluses, permettant à celle-ci de poursuivre son activité. Dans un premier temps, ce fut un véritable soulagement pour le groupe Noalys, repreneur à la barre du tribunal d’une clinique ayant connu de nombreux déboires par le passé.
Au cœur d’une vallée industrielle et touristique, à l’image de notre département, cet équipement sanitaire est vital dans un bassin de vie qui fait face à des défis importants et s’efforce de relever grâce à un contrat de ville, à une zone d’éducation prioritaire et à une zone de sécurité prioritaire. Là plus qu’ailleurs, au cœur de la vallée de l’Arve et du bassin clusien, la santé est plus qu’un droit : une nécessité absolue pour les habitants. Or la question de l’égalité d’accès aux soins pour tout un chacun se pose réellement, avec une acuité qui me conduit ce matin à interpeller avec force le Gouvernement.
La communauté de communes Cluses-Arve et Montagnes, que je préside, vient de lancer un diagnostic de santé du territoire, les interactions avec un quartier prioritaire de la politique de la ville et avec deux quartiers en veille active sont au cœur des préoccupations de tous les élus de notre territoire, en particulier de ceux de la ville de Cluses.
Alors que les structures publiques environnantes, le centre hospitalier Alpes Léman de Contamine-sur-Arve et les Hôpitaux du pays du Mont-Blanc de Sallanches, sont saturées et éloignées de plusieurs dizaines de kilomètres, il est inconcevable de ne pas saisir l’occasion de maintenir une offre de soins et de la rendre pérenne en renforçant les partenariats entre les structures, qu’elles relèvent de l’hôpital public ou de l’initiative privée.
Le temps de la reconstruction de cette clinique, pour laquelle le groupe Noalys prévoit d’investir 8 millions d’euros, est maintenant venu. La nouvelle clinique des Grandes Alpes devrait abriter une équipe de soixante personnes pour une cinquantaine de lits. Ce projet représente un enjeu majeur pour tout notre territoire !
Madame la secrétaire d’État, pouvez-vous nous indiquer quelles sont les instructions données par le ministère chargé de la santé en soutien de cette clinique pour lui permettre de consolider toutes ses activités, en particulier la chirurgie et le centre de premier recours ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion. Monsieur le sénateur, la clinique des Grandes Alpes de Cluses, qui, vous l’avez expliqué, a été récemment reprise par le groupe Noalys, dispose d’une autorisation de chirurgie sous forme d’hospitalisation complète, d’anesthésie et de chirurgie ambulatoire. Elle a renoncé à la première. Seules les autorisations pour l’anesthésie et la chirurgie ambulatoire ont été renouvelées.
Comme vous le savez, cet établissement en est à sa troisième reprise en trois ans. Il a donc de réelles difficultés à trouver sa place dans l’offre de soins entre Sallanches et Annemasse. Le secteur de la vallée de l’Arve dispose déjà de deux centres hospitaliers et d’une clinique de dimension importante : le centre hospitalier Alpes Léman, qui comprend 420 lits et places, les Hôpitaux du pays du Mont-Blanc, qui en comptent 460, et l’hôpital privé des Pays de Savoie, qui regroupe deux cliniques privées à Annemasse.
La concurrence qui existe en matière de chirurgie sur le territoire est certainement l’une des raisons des difficultés rencontrées par la clinique des Grandes Alpes ces dernières années. C’est la raison pour laquelle le projet territorial de santé élaboré en 2013, c’est-à-dire avant le rachat de la clinique par Noalys, prévoyait déjà que le site de Cluses serait consacré aux soins et services de proximité.
Avec le souci de maintenir une offre de soins équilibrée et répondant au plus près aux besoins de la population, l’agence régionale de santé Auvergne-Rhône-Alpes a proposé à l’établissement de l’accompagner au fur et à mesure dans sa réflexion sur son projet médical. Elle est disposée à lui accorder une autorisation de médecine dans le cadre d’un projet d’établissement qui porterait également sur le renforcement de l’offre de soins de premier recours, en lien étroit, bien entendu, avec le centre hospitalier de Sallanches et le centre de soins non programmés de Cluses.
M. le président. La parole est à M. Loïc Hervé.
M. Loïc Hervé. Madame la secrétaire d’État, je vous remercie des explications que vous venez de fournir sur un dossier, certes, complexe – comme vous l’avez rappelé, la clinique de Cluses a été reprise plusieurs fois en quelques années –, mais de la plus haute importance pour notre territoire.
Je puis le certifier, tous les élus, convaincus que cet établissement garde une raison d’être, sont mobilisés pour lui garantir une forme de pérennité. Je gage que vos annonces de ce matin nous permettront de conserver cette clinique, si utile pour les habitants de la vallée de l’Arve !
isolement géographique du centre hospitalier d’aurillac
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, auteur de la question n° 1336, adressée à Mme la ministre des affaires sociales et de la santé.
M. Jacques Mézard. Ma question concerne le centre hospitalier général d’Aurillac.
Un décret du 17 février dernier prévoit les modalités dérogatoires de financement des activités de soins des établissements de santé répondant à des critères d’isolement géographique.
Remarquons d’abord que ce décret a été appliqué avant même sa parution au profit de deux établissements hospitaliers de mon département. D’un point de vue administratif, c’est assez original !
Le centre hospitalier d’Aurillac, lui, s’est vu refuser ce financement, en raison, semble-t-il, de l’existence d’une clinique privée. Certes, depuis lors, on nous a expliqué oralement que sa situation pourrait faire l’objet d’un examen positif.
Il faut dire que notre centre hospitalier est certainement le plus excentré par rapport à l’université et à la métropole régionale dont il dépend. Songez que nous sommes à neuf heures de Lyon aller-retour et à onze heures par le train. C’est tout de même un record toutes catégories ! Au demeurant, cela démontre l’ineptie de la fusion de régions pour certains territoires…
En tout cas, s’il est un établissement qui répond à des critères d’isolement géographique, c’est bien le nôtre. Ce fait est incontestable s’agissant de l’obstétrique, la néonatalogie et la pédiatrie, aucune clinique privée n’exerçant la moindre activité dans ces domaines dans un rayon de plus de 100 kilomètres.
Madame la secrétaire d’État, je souhaite connaître la position définitive du ministère de la santé, ainsi que le montant des sommes susceptibles d’être allouées, de manière tout à fait justifiée, au centre hospitalier d’Aurillac. Je voudrais également savoir si cette aide pourra être pérennisée.
Plus généralement, je voudrais attirer l’attention du ministère sur la difficulté actuelle à recruter des praticiens hospitaliers dans des zones aussi enclavées, notamment dans un domaine comme la psychiatrie. J’ai récemment interpellé le Gouvernement sur la question des remplacements et sur la pénurie de praticiens, qui est particulièrement grave dans certaines spécialités.
En outre, comment va-t-on à Lyon quand on est convoqué par l’agence régionale de santé ? Vous l’imaginez bien, cela ne peut pas continuer ainsi : les déplacements nécessitent deux jours !
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion. Monsieur Mézard, je vous prie d’excuser l’absence de Mme la ministre des affaires sociales et de la santé, qui ne pouvait pas être présente ce matin.
Vous avez interrogé le Gouvernement sur le centre hospitalier d’Aurillac, établissement auquel vous êtes très attaché. Je connais votre mobilisation à cet égard.
Cet établissement a connu une aggravation soudaine de son déficit, qui avoisinait 3 millions d’euros pour 2015, malgré le versement d’une aide exceptionnelle de 800 000 euros par l’agence régionale de santé d’Auvergne. Cette évolution a conduit l’ARS à conclure avec l’établissement un contrat de stabilité budgétaire dès 2014.
La disposition de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2014 relative au financement des activités isolées, à laquelle vous avez fait référence, vise à corriger le modèle actuel de financement des établissements de santé reconnus comme isolés géographiquement.
Au regard des critères précis et transparents fixés par le décret du 17 février 2015 sur le niveau d’activité, l’hôpital d’Aurillac ne pouvait pas être éligible au dispositif. Toutefois, compte tenu de la situation que vous avez rappelée, notamment l’environnement géographique, une attention particulière a été portée à cet établissement. À la fin de l’année 2015, il a bénéficié à titre dérogatoire d’une subvention d’accompagnement pour activités déficitaires à hauteur de 360 000 euros.
Afin d’aider l’hôpital d’Aurillac à poursuivre ses efforts de gestion et de l’accompagner vers un retour à l’équilibre financier, l’aide pourra être reconduite par l’agence régionale de santé Auvergne-Rhône-Alpes en 2016.
Plus généralement, la nouvelle configuration de l’agence régionale de santé n’aura pas de conséquence négative sur l’attention et le soutien des pouvoirs publics à l’égard des établissements de santé, en particulier celui d’Aurillac, qui vous est cher.
Vous avez eu raison d’insister sur le problème de l’attractivité des hôpitaux et de souligner que les difficultés de recrutement sont particulièrement graves dans certaines spécialités. C’est bien la raison pour laquelle Marisol Touraine a présenté au mois de novembre dernier un plan d’action pour l’attractivité de l’exercice médical à l’hôpital public. Le plan comprend douze engagements pour inciter les professionnels de santé, notamment les plus jeunes, à exercer au sein de l’hôpital public dans les zones sous-denses ou dans les spécialités en tension, comme, en effet, la psychiatrie.
Bien entendu, la définition des territoires éligibles sera cohérente avec les mesures déjà adoptées pour favoriser l’installation des professionnels de santé dans les territoires fragiles.
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Madame la secrétaire d’État, comme je connais votre attachement personnel aux territoires éloignés du pouvoir central, je suis certain que vous me comprendrez très bien. Votre réponse, hormis la fin, est totalement administrative et assez coupée des réalités du territoire…
Même si le déficit du centre hospitalier d’Aurillac a atteint 3 millions d’euros, le travail mené par tout le monde permet de considérer que la situation financière est globalement assez saine.
Je le maintiens, sur la question de l’isolement géographique, le traitement qui nous est réservé n’est pas équitable. Certains services de l’hôpital d’Aurillac, n’ayant strictement aucune concurrence privée, assument l’entière responsabilité de l’offre médicale dans un rayon supérieur à 100 kilomètres. Sans doute lui a-t-on alloué, à la faveur d’une dérogation à la dérogation, 360 000 euros sur les 900 000 demandés. Mais cela ne tient pas compte de la réalité profonde, liée à un enclavement considérable !
C’est très bien de vouloir renforcer la dimension territoriale de l’agence régionale de santé au niveau départemental, comme cela nous est annoncé. Seulement, on continue à convoquer nos directions ou les membres de nos commissions médicales d’établissement à Lyon pour des réunions qui durent parfois une ou deux heures, mais qui nécessitent deux jours de déplacement !
Tout cela n’est pas raisonnable. C’est contraire à l’équité et au bon sens. Il est plus que temps de prendre des décisions de bon sens dans notre pays !
régimes complémentaires de retraite des élus locaux et reprise d'activité
M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson, auteur de la question n° 1337, adressée à Mme la ministre des affaires sociales et de la santé.
M. Jean Louis Masson. Le nouvel article L. 161-22-1 A du code de la sécurité sociale, applicable à compter du 1er janvier 2015, a des conséquences particulièrement négatives pour les élus locaux.
Désormais, lorsqu’un maire ou un adjoint au maire perçoit déjà sa retraite professionnelle, les cotisations de retraite qu’il acquitte en tant qu’élu ne sont plus prises en compte pour sa future retraite d’élu ; elles sont donc versées en pure perte, sans contrepartie.
Le Gouvernement a déjà récemment imposé aux élus locaux le paiement de cotisations d’assurances sociales, même lorsqu’ils bénéficient déjà d’une couverture sociale au titre de leur activité professionnelle. Il ne faudrait pas que, après les avoir fait cotiser pour une couverture sociale qui fait double emploi et qui ne leur sert à rien, on les oblige maintenant à cotiser pour une retraite à laquelle ils n’auront pas droit !
Le problème est d’autant plus préoccupant que, à la suite de leur élection, certains maires prennent une retraite professionnelle anticipée pour se consacrer pleinement à leur mandat. Or, à l’avenir, ceux qui feront ce choix seront pénalisés sur leur retraite finale.
Les restrictions susvisées pourraient-elles être assouplies ? Pourraient-elles du moins ne pas s’appliquer aux cotisations complémentaires versées par les élus locaux à l’Institution de retraite complémentaire des agents non titulaires de l’État et des collectivités publiques, l’IRCANTEC, à la Caisse autonome de retraite des élus locaux, la CAREL, et au Fonds de pension des élus locaux, le FONPEL ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion. Monsieur le sénateur, la loi du 20 janvier 2014 garantissant l’avenir et la justice du système de retraites a clarifié et harmonisé les règles de cumul emploi-retraite applicables au sein des différents régimes de retraite. Plus précisément, la loi prévoit désormais que la reprise d’activité par un retraité n’entraîne pas pour lui l’acquisition de nouveaux droits à la retraite. Cette règle était déjà applicable par groupes de régimes, mais de manière très peu lisible.
Il est important de préciser que ces mécanismes visent seulement les régimes de retraite obligatoires. Ils ne s’appliquent donc pas aux régimes de retraite auxquels l’adhésion est facultative, comme le Fonds de pension des élus locaux et la Caisse autonome de retraite des élus locaux, régimes auxquels tous les élus locaux ont dorénavant la possibilité d’adhérer, en application de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2013, en vue de s’assurer un complément de pension sur une base facultative. En conséquence, les assurés de ces régimes pourront continuer à cotiser et à acquérir des droits à pension au sein de ces dispositifs, même après avoir liquidé leur retraite professionnelle.
La réforme n’a pas pour objet de remettre en cause l’équilibre des règles applicables aux régimes auxquels les élus locaux adhèrent à titre obligatoire. C’est la raison pour laquelle l’article 19 de la loi du 20 janvier 2014 a clarifié le statut des mandats électifs au regard des règles de cessation d’activité propres à la retraite. La loi précise désormais explicitement que les élus locaux ne sont pas obligés d’interrompre leur activité au moment où ils liquident leur retraite. C’est heureux ! À défaut, des élus auraient dû démissionner de leur mandat pour pouvoir faire valoir leurs droits à la retraite, ce qui aurait été pour le moins paradoxal. Le Gouvernement ne l’a évidemment pas souhaité.
M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson.
M. Jean Louis Masson. Madame le secrétaire d’État, je suis un peu surpris par votre réponse. Il n’aurait plus manqué qu’un maire soit obligé de démissionner de son mandat pour avoir le droit de toucher sa retraite professionnelle ! Les maires ne vont tout de même pas vous dire merci parce qu’on les autorise à percevoir le fruit d’une vie de labeur tout en conservant leur mandat ! Votre réponse est quelque peu incohérente.
En plus, vous n’avez pas dit un mot de l’IRCANTEC. Vous n’avez même pas prononcé son nom ! Il faut avoir le courage de le dire : les maires et les adjoints au maire vont acquitter auprès de l’IRCANTEC des cotisations qui ne leur vaudront aucun droit à pension ! C’est tout de même un peu regrettable… Vous auriez pu avoir le courage de dire la vérité complètement, sans la déformer !
qualité d’ayant droit d'un retraité français résidant hors de france
M. le président. La parole est à Mme Claudine Lepage, auteur de la question n° 1339, adressée à Mme la ministre des affaires sociales et de la santé.
Mme Claudine Lepage. Comme vous le savez, tout retraité français du régime général établi à l’étranger peut venir en France pour se faire soigner, quel que soit le motif de séjour : vacances, résidence temporaire ou autres. En effet, ses droits d’assurance maladie demeurent ouverts, puisqu’il continue à cotiser à la sécurité sociale par le biais de prélèvements sur sa pension de retraite, privée ou publique.
Le conjoint de cet assuré social, considéré comme ayant droit, peut bénéficier de la même couverture maladie. Seulement, la qualité d’ayant droit ne lui est reconnue que dans la mesure où il n’exerce pas d’activité et où ne bénéficie pas lui-même d’un régime obligatoire de sécurité sociale à un autre titre, comme une pension d’invalidité.
Dans l’hypothèse où le conjoint, même s’il est Français, perçoit une très faible retraite de son pays de résidence habituelle, il ne peut pas prétendre à la qualité d’ayant droit, alors qu’il est effectivement à la charge financière de l’assuré social !
La situation est d’autant plus problématique que les Français expatriés prennent souvent la décision de passer au moins une partie de leur retraite en France. Le conjoint de l’assuré social ne peut alors pas être pris en charge.
Madame la secrétaire d’État, face à cette situation, certes très particulière, mais dont la fréquence est loin d’être négligeable et dont les effets peuvent être très néfastes et susciter un profond sentiment d’injustice, est-il envisageable de trouver une autre solution ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion. Madame la sénatrice, comme vous l’avez très justement rappelé, tous les pensionnés des régimes de retraite français bénéficient du remboursement de leurs frais de santé par leur régime d’assurance maladie quand ils résident ou séjournent en France.
Ainsi, et sans préjudice de l’application d’un règlement européen ou d’une convention internationale de sécurité sociale, tous les titulaires d’une pension, d’une rente de vieillesse ou d’une pension de réversion servie par un régime de base de sécurité sociale française, dans le cas où ils résident à l’étranger, n’exercent pas d’activité professionnelle et justifient d’une plus longue durée d’assurance sous la législation française, bénéficient de la prise en charge de leurs frais de santé lors de leur séjour temporaire en France, quelle que soit leur nationalité.
Dans le cadre de la protection universelle maladie, dispositif adopté par votre Haute Assemblée lors de l’examen de la dernière loi de financement de la sécurité sociale, et donc en vigueur depuis le 1er janvier 2016, toute personne résidant en France de manière stable et régulière a désormais droit à la prise en charge de ses frais de santé. En effet, la protection universelle maladie mise en place par Marisol Touraine constitue une réforme importante. Elle donne à chacun la capacité de faire valoir ses droits en simplifiant radicalement les conditions requises pour ouvrir le droit à remboursement.
À ce titre, le statut d’ayant droit est désormais supprimé pour les personnes majeures. En conséquence, dans la situation que vous décrivez, les conjoints des pensionnés des régimes de retraite français qui rentrent en France sont désormais assurés en leur nom propre, dès lors qu’ils résident de manière stable et régulière sur le territoire français.
M. le président. La parole est à Mme Claudine Lepage.
Mme Claudine Lepage. Madame la secrétaire d’État, je vous remercie de ces précisions. La simplification que vous annoncez profitera effectivement aux ayants droit français. Mais j’espère qu’il en sera de même pour les ayants droit de nationalité étrangère.
professionnels de santé et lutte contre les violences conjugales
M. le président. La parole est à Mme Claire-Lise Campion, auteur de la question n° 1315, transmise à Mme la ministre des familles, de l'enfance et des droits des femmes.
Mme Claire-Lise Campion. Madame la secrétaire d'État, alors que nous avons célébré la journée de la femme voilà tout juste une semaine, je souhaite attirer votre attention sur la protection des professionnels de santé qui s’engagent en faveur de la lutte contre les violences conjugales.
Un cas de figure récent, celui d’une sage-femme traduite devant la chambre disciplinaire du Conseil national de l’ordre des sages-femmes, a permis d’identifier quelques faiblesses en la matière. En effet, à la demande d’une patiente, cette sage-femme avait établi un certificat médical attestant les violences subies. Elle a dû comparaître pour ce motif devant la justice ordinale, une plainte ayant été déposée par l’agresseur désigné par la patiente, qui n’était autre que son conjoint, pour violation du secret médical et manquement au code de déontologie. Le conjoint prétendait que, comme il était géniteur de l’enfant à naître, l’intéressée était tout autant tenue au respect du secret professionnel à son égard qu’à celui de sa compagne.
Une proposition de loi tendant à clarifier la procédure de signalement de situations de maltraitance par les professionnels de santé, définitivement adoptée par le Parlement le 22 octobre 2015, a contribué à apporter des réponses. En effet, grâce à ce texte, le code pénal dispose désormais que les professionnels de santé ne peuvent pas voir leur responsabilité pénale, civile ou disciplinaire engagée en cas de signalement, sauf si leur mauvaise foi est avérée, y compris en cas d’atteintes sur « une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique ».
Pourtant, une difficulté demeure dans le domaine disciplinaire. Contrairement à ce qui se produit en matière pénale en vertu de l’article 40-1 du code de procédure pénale, les conseils de l’ordre ne peuvent pas juger de l’opportunité des poursuites. En effet, l’action disciplinaire contre un médecin, un chirurgien-dentiste ou une sage-femme, régie par les articles R. 4126-1 et suivants du code de la santé publique, ne leur offre pas cette faculté. Les ordres professionnels sont donc tenus de transmettre chaque plainte à la chambre disciplinaire régionale, puis à la chambre nationale. Ne pouvant débouter les plaignants, ils entraînent systématiquement les professionnels visés dans une longue procédure, quand bien même la loi les met désormais à l’abri de toute sanction.
Je souhaite savoir quelles mesures sont envisagées pour remédier à de telles situations, qui constituent un frein supplémentaire au signalement des violences conjugales.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion. Madame la sénatrice, vous avez raison d’attirer l’attention du Gouvernement sur l’enjeu que représente la protection des professionnels de santé signalant des situations de violence. Protéger ces professionnels, c’est aussi protéger les femmes victimes de violences.
Les professionnels de santé ont un rôle primordial à jouer dans la lutte contre les violences faites aux femmes, car, vous le savez, le système de santé constitue souvent le premier recours pour les femmes victimes de violences. En France, un quart de ces femmes font appel à un médecin en premier recours, alors qu’une sur cinq seulement se rend au commissariat de police ou à la gendarmerie.
La loi du 5 novembre 2015 tendant à clarifier la procédure de signalement de situations de maltraitance par les professionnels de santé vise à favoriser les signalements pour la protection des plus vulnérables. Or les médecins, tout comme beaucoup d’autres professionnels de santé, ignorent encore les dispositions qui existent pour lutter contre les maltraitances. Il est donc indispensable de continuer à les informer. C’est précisément l’objectif du Conseil national de l’ordre des médecins lorsqu’il met à disposition des outils faciles d’accès et d’utilisation sur son site internet.
Ainsi, le médecin qui rédige un certificat médical conforme au modèle validé avec le Conseil de l’ordre des médecins, d’une part, et le Conseil de l’ordre des sages-femmes, d’autre part, n’encourent aucune sanction disciplinaire.
Afin de pouvoir renseigner ce certificat médical ou cette attestation le plus complètement possible, il est très important que, lors de chaque entretien, les faits constatés soient clairement et précisément mentionnés dans le dossier de suivi. Il faut également respecter les règles prescrites par les organes et les instances professionnels dans le respect de la législation et de la réglementation en vigueur. Ces certificats médicaux facilitent l’accompagnement des victimes dans leurs démarches. Sans eux, les victimes ne pourront ni demander à la justice de prononcer des mesures de protection ni engager des poursuites contre leur agresseur.
Par ailleurs, le rôle des professionnels de santé est très bien identifié dans le quatrième plan interministériel de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes pour la période 2014-2016, qui a fait de la consolidation de la réponse du système de santé une nouvelle priorité de la politique de lutte contre les violences.
Désormais, les urgences seront dotées de référents « violence » : chaque service d’urgence a pour instruction de désigner un référent « violences faites aux femmes ». Ces référents seront prochainement réunis et outillés pour prendre en charge les femmes victimes de violences.
Enfin, la formation des professionnels de santé a été complétée. La prise en charge des victimes de violences a été intégrée à la formation initiale des médecins et des sages-femmes. En outre, deux kits de formation continue, « Anna » et « Élisa », produits par la mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains, la MIPROF, sont dorénavant accessibles sur le site www.stop-violences-femmes.gouv.fr.
Vous le voyez, le Gouvernement est pleinement mobilisé dans la lutte contre les violences faites aux femmes : il n’est pas acceptable qu’en France, de telles violences et un tel niveau de sexisme puissent encore être d’actualité en 2016 ! Ces violences sont le symptôme d’une société encore trop inégalitaire entre les femmes et les hommes. Elles constituent des atteintes à nos valeurs fondamentales.
M. le président. La parole est à Mme Claire-Lise Campion.
Mme Claire-Lise Campion. Madame la secrétaire d’État, je voudrais vous remercier de votre réponse à cette question importante.
Nous savons bien tout ce que le Gouvernement réalise en faveur de l’égalité entre les hommes et les femmes et de la lutte contre les violences conjugales. Merci d’avoir rappelé les actions à l’ordre du jour !
Toutefois, les professionnels de santé qui auront notamment disposé des formations que vous avez évoquées voilà un instant doivent bénéficier des conditions leur permettant de jouer pleinement leur rôle, auquel vous avez à juste titre fait référence. Je dirais qu’il s’agit d’un rôle de « lanceurs d’alerte ».
J’insiste sur le fait que, en l’état actuel de son fonctionnement, la justice ordinale ne peut pas décider de l’opportunité des poursuites. Cela signifie que les conditions ne sont pas réunies.
On dit parfois que le diable se niche dans les détails. Aussi, je pense qu’il nous faudrait corriger ce qui pourrait être considéré comme un verrou perpétuel en matière de lutte contre les violences conjugales. Je sais que le Gouvernement y sera attentif !
projet de fermeture du centre de formation de l'office national des forêts de velaine-en-haye
M. le président. La parole est à M. Jean-François Husson, auteur de la question n° 1303, adressée à M. le ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement.
M. Jean-François Husson. Monsieur le ministre, après plus d’un an d’âpres négociations, vous venez de signer la semaine dernière le contrat d’objectifs et de performance, ou COP, entre l’État, l’Office national des forêts, l’ONF, et la Fédération nationale des communes forestières pour la période 2016-2020.
Fort heureusement, aucune contribution financière supplémentaire n’a finalement été demandée aux communes forestières. C’est une étape importante qui vient donc d’être franchie. Néanmoins, après avoir soutenu leur mobilisation, je comprends aujourd’hui parfaitement la vigilance dont elles font preuve.
En effet, nous connaissons tous la situation financière délicate de l’ONF. Nous sommes attachés au fait qu’il exerce ses missions de service public en faveur de la préservation de la biodiversité, de l’adaptation au changement climatique, mais aussi de la sylviculture et de l’approvisionnement de la filière. Encore faut-il lui en donner les moyens !
Dans les cinq ans à venir, 2 500 personnes, soit près du quart du personnel de l’office, partiront à la retraite. Or, dans le même temps, on nous annonce une progression des effectifs. C’est dire à quel point le besoin en matière de formation sera important !
Pourtant, au mois de septembre dernier, nous avons appris par voie de presse que l’ONF avait décidé de « déraciner » sa formation en fermant le centre national de formation des techniciens forestiers de Velaine-en-Haye en Meurthe-et-Moselle ! Quelle manière cavalière de procéder pour un opérateur de l’État ! Cette méthode a d’ailleurs eu des effets désastreux, puisque le site a été occupé par les personnels pendant plus de vingt-trois jours consécutifs !
Une mission a depuis – et enfin ! – été diligentée pour définir des scenarii crédibles d’évolution du pôle de Velaine-en-Haye à partir d’un diagnostic du site et d’une analyse des besoins en formation.
Dans ce contexte, les élus locaux souhaitent que l’on trouve une solution préservant l’emploi local et faisant honneur à la longue tradition forestière de Nancy. C’est en effet à Nancy qu’est née, en 1824, l’École nationale des eaux et forêts, devenue l’École nationale du génie rural, des eaux et des forêts, l’ENGREF, composante de l'Institut des sciences et industries du vivant et de l'environnement, dit « AgroParisTech ». Aujourd’hui, la ville de Nancy dispose également d’un centre de l’Institut national de la recherche agronomique, l’INRA, qui est de toute première catégorie et dont l’activité s’exerce en lien avec l’université de Lorraine, un réseau d’enseignement et de recherche unique en France !
Vous l’aurez compris, monsieur le ministre, je souhaite savoir quelles garanties vous entendez offrir s’agissant du devenir du centre national de formation des techniciens forestiers, la prise en compte de son personnel et le nécessaire rapprochement de celui-ci avec l’écosystème local d’excellence en matière de recherche et de développement.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le sénateur, comme vous l’avez rappelé, la signature du COP de l’ONF a nécessité un an de discussions, et il n’y a eu aucune demande supplémentaire aux communes forestières.
La négociation a été extrêmement délicate, car il s’agissait de garantir les ressources de l’ONF sans rien demander de plus aux communes forestières.
Le nouveau COP vise à pérenniser l’ONF et le régime forestier tout en assurant l’équilibre financier de l’office ; l’exercice n’avait rien d’évident.
Vous avez évoqué une « augmentation » des effectifs. Il faut plutôt parler de stabilisation. Après les réductions de personnels décidées dans le cadre des précédents COP, nous sommes parvenus à stabiliser les effectifs de l’ONF. Les départs à la retraite impliqueront des embauches, donc de la formation.
J’ai parfaitement entendu votre récrimination au sujet de l’annonce de la fermeture du centre de formation, qui avait suscité un mouvement social. J’ai diligenté une commission pour examiner la question. Elle rendra ses conclusions dans quelques semaines. Mais l’objectif est bien de continuer à assurer une formation au niveau de l’ONF et de faire en sorte que le centre de Nancy reste le pôle d’excellence qu’il est et doit demeurer.
Il faut adapter la formation au contexte budgétaire, mais également aux nouveaux enjeux, notamment le numérique. À partir de là, il sera possible de sécuriser le site de Nancy, de le maintenir au niveau d’excellence qui doit rester le sien et d’offrir une formation à tous les futurs techniciens et ingénieurs.
Je ne manquerai pas de vous envoyer les conclusions de la mission en cours pour que vous soyez informé le plus rapidement possible.
M. le président. La parole est à M. Jean-François Husson.
M. Jean-François Husson. Monsieur le ministre, je vous remercie de vos propos rassurants, notamment sur la localisation du site et sur sa pérennité, y compris en ce qui concerne les effectifs. Plus généralement, je salue l’actuel état d’esprit des services du ministère et de l’ONF.
J’ai eu l’occasion voilà peu de temps de rencontrer l’expert que vous avez mandaté. Alors que les choses avaient mal commencé, du moins s’agissant de la manière de procéder, nous avons pu travailler et avancer des propositions de fond.
À mon sens, nous ne pourrons trouver des solutions qu’en associant l’ensemble des parties prenantes, dont, évidemment, les personnels, mais aussi les élus. Je vous ai rappelé l’attachement qui était le nôtre à la tradition forestière du territoire nancéien, du département, voire de la région, qu’il s’agisse de la Lorraine ou de la nouvelle grande région, une région forestière de tout premier plan.
Je profite de l’occasion pour vous demander d’examiner également de plus près la question de la forêt de Haye. Cette forêt, couvrant aujourd'hui plus de 11 000 hectares en zone périurbaine, fait l’objet d’une demande de classement en forêt de protection. Il se trouve que le site de Velaine-en-Haye, objet de la fermeture, est implanté au sein de cette future forêt de protection.
Voilà plus de quinze mois que nous attendons une réponse. Le dossier est sur votre bureau. Je le devine, ce n’est pas sans raison si la procédure est quelque peu ralentie. Mais je tiens à vous remettre ce dossier en mémoire, car il ne faut pas doucher l’enthousiasme qui s’est exprimé dans le cadre d’un mouvement ayant réuni l’ensemble des services de l’État, des associations, des élus et des acteurs économiques autour d’un projet d’envergure. Avec l’obtention de ce classement pour la forêt de Haye, ce serait le troisième plus grand massif forestier périurbain qui accèderait au statut de forêt de protection.
Quoi qu’il en soit, merci pour tout, monsieur le ministre !
simplification des normes pour les agriculteurs
M. le président. La parole est à Mme Pascale Gruny, auteur de la question n° 1249, adressée à M. le ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement.
Mme Pascale Gruny. Monsieur le ministre, les agriculteurs français sont confrontés depuis de trop nombreuses années à une pression asphyxiante des normes qui régissent leurs activités. L’ensemble de la filière est ainsi pénalisé par un arsenal extrêmement dense de contraintes franco-françaises, qu’elles soient sociales, phytosanitaires, salariales et, surtout, environnementales. La plupart du temps, elles viennent s’ajouter aux normes européennes qui existent déjà.
Face au constat d’un modèle agricole en souffrance, la simplification des normes qui pèsent sur la filière agricole devient une nécessité absolue.
Si des mesures d’urgence ont été prises, nous ne pouvons que déplorer l’absence totale de propositions en faveur d’un allégement des normes. Pas un mot sur la suppression ou l’aménagement de normes ! Pas un mot sur les répercussions des normes sur le quotidien des agriculteurs ! Ces problématiques sont pourtant essentielles dans la compréhension des difficultés et des souffrances de notre modèle agricole.
Monsieur le ministre, l’embellie de la filière agricole française coïncidera nécessairement avec une amélioration des conditions de son exercice. Elle exige une meilleure traçabilité des produits et de leur provenance, ainsi qu’un véritable allégement des normes qui pèsent sur notre agriculture. Sur ce point précis, quelle est la position du Gouvernement ? Quand vous déciderez-vous enfin à faire de la simplification des normes une priorité absolue, comme l’exige la situation ?
Plus que des mots, l’urgence requiert une action concrète et efficace. Vous ne pouvez plus décevoir nos agriculteurs !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. Madame la sénatrice, je vais être extrêmement clair : votre discours sur la nécessité de simplifier les normes, je le connais. Mais, quand on le tient, encore faut-il préciser de quelles normes on parle !
Vous avez évoqué les normes sociales. Je vous le rappelle, la baisse des cotisations sociales, décidée et annoncée par le Premier ministre, nous ramène à la moyenne européenne. Durant les quatre premières années d’exercice de mes fonctions de ministre de l’agriculture, le total des baisses de cotisations aura dépassé les 3 milliards d’euros.
Vous avez aussi fait référence aux normes environnementales. Je reviens du conseil des ministres européens de l’agriculture, à Bruxelles, où j’ai beaucoup discuté pour décrocher un certain nombre de décisions, en particulier sur l’étiquetage.
Qui en aura fait autant sur le sujet ? Nous avons développé un projet « Viandes de France » d’étiquetage volontaire avec l’association nationale interprofessionnelle du bétail et des viandes, INTERBEV, et obtenu que la France puisse, de manière dérogatoire, expérimenter dans ce domaine.
Savez-vous que les Pays-Bas, qui assurent actuellement la présidence néerlandaise du Conseil de l’Union européenne, viennent de mettre en place des quotas pour la potasse ? On pourrait parler de « surtransposition »… En France, ce n’est pas le cas.
Savez-vous aussi que toutes les normes environnementales que vous citez s’appliquent à l’échelle européenne ? C’est le cas des zones vulnérables. L’Allemagne est entièrement classée en zone vulnérable et doit se conformer sur l’ensemble de son territoire aux règles en matière d’azote applicables en France.
Ce n’est pas moi qui ai négocié la directive-cadre européenne sur l’eau ou les règles en matière de protection de l’eau ! Pourtant, lors de ma prise de fonctions, j’ai été confronté à un contentieux européen dans lequel la France risquait d’être sanctionnée financièrement. J’ai dû trouver des solutions.
Dans ce cadre, j’ai permis un certain nombre d’avancées.
Ainsi, dans le cadre de la loi du 13 octobre 2014 d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, en faisant adopter des dispositions sur l’approche dite de l’azote total, j’ai permis de sortir cinq des neuf bassins versants de Bretagne concernés des zones d’excédent structurel. J’ai aussi mis en place des allégements et des simplifications dans les établissements classés. Dans la filière porcine, cela s’est fait sans délai. Le dispositif fonctionne très bien à l’échelle de la Bretagne et de l’ensemble du territoire français. Les mêmes règles d’enregistrement seront appliquées pour les volailles, les bovins et les exploitations laitières. Tout cela a été réalisé sous ma responsabilité.
Madame la sénatrice, puisque vous m’interrogez sur la suppression de toutes les normes, faites-moi connaître précisément vos propositions ! Nous aurons ainsi un débat dans lequel je pourrai défendre mes réalisations, et vous pourrez défendre vos idées pour abolir des normes afin de permettre une remontée des prix sur les marchés agricoles, laitiers, bovins, porcins ou même céréaliers.
Je le dis très solennellement : il ne suffit pas d’appeler à la suppression de normes ; il faut dire lesquelles !
J’ai assisté à de nombreux débats, avec des citoyens qui s’interrogent sur les pesticides ou sur les herbicides. J’ai aussi entendu cela ici, sur toutes les travées. Mais de quoi parle-t-on ? Et pour qui ?
Vous dites qu’il ne faut pas se contenter de mots ? Alors, ne vous contentez pas des mots : « suppression des normes » ! Dites-nous quelles normes vous voulez supprimer, et nous pourrons discuter sur ces bases !
M. le président. La parole est à Mme Pascale Gruny.
Mme Pascale Gruny. Monsieur le ministre, tout ça, c’est très joli, mais, sur le terrain, les agriculteurs ne cessent de nous répéter que cela ne va pas !
Je n’ai pas dit qu’il fallait supprimer toutes les normes. Je demande simplement que l’on n’en ajoute pas en France ! J’ai participé aux débats sur la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte ou sur le projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages. Tous ces textes se traduisent ou se traduiront par des contraintes supplémentaires pour nos agriculteurs, qui n’en peuvent plus !
Je pourrais évoquer aussi les normes administratives et les discussions actuelles sur le dossier de la PAC.
Monsieur le ministre, ce ne sont pas que des mots ; ce sont les remontées du terrain ! Nos agriculteurs sont à cran ! D’ailleurs, si tout allait aussi bien, je ne serais pas ici ce matin !
J’ai déposé cette question voilà plus de quatre mois. Quel dommage qu’elle soit encore d’actualité !
Monsieur le ministre, nous avons siégé ensemble au Parlement européen. Vous teniez alors un discours similaire. Je n’incrimine pas ce seul gouvernement. Mais il est clair que, si vous ajoutez de nouvelles normes, la situation de nos agriculteurs ne sera pas tenable !
La baisse des charges sociales est une bonne chose. Mais, outre que la pérennité de la mesure n’est pas inscrite dans le marbre, tout cela se traduit encore par beaucoup de paperasse. (M. le ministre le conteste.)
Ces différents sujets posent problème à nos agriculteurs, qui, en ce moment, ont besoin d’oxygène, et pas de normes tous azimuts pour les asphyxier !
J’ai bien entendu que l’on pouvait vous présenter des propositions très concrètes. Je ne manquerai de vous interpeller pour évoquer un certain nombre de sujets qui préoccupent au quotidien nos agriculteurs.
montée de l'insécurité en guyane
M. Georges Patient. En Guyane, la criminalité est désormais quotidienne et croissante dans toutes ses formes : braquages, vols à main armée, violences en milieu scolaire, viols, trafics de stupéfiants, crimes, etc. Le taux de criminalité est très éloquent. En 2014, il atteignait quatre-vingt-dix pour mille habitants, contre cinquante-six en France métropolitaine, soit trente-quatre points de plus !
Monsieur le ministre, on ne peut pas dire que le Gouvernement demeure insensible. Certes, quelques moyens ont pu être déployés, comme l’instauration de zones de sécurité prioritaires, ou ZSP. Mais la situation n’évolue guère. Bien au contraire, les chiffres de la criminalité progressent en 2015, avec une mention particulière pour les atteintes à l’intégrité physique et les atteintes aux biens, enregistrant des hausses respectives de 8,43 % et 5,40 %.
Face à une telle spirale de la criminalité, les protestations se multiplient. Elles proviennent de partout, non seulement de la société civile dans son ensemble, mais aussi des syndicats de forces de l’ordre !
Tous revendiquent un véritable plan de sécurité pour la Guyane.
Comme en métropole, la sécurité doit être en Guyane une priorité du Gouvernement, avec un traitement mieux adapté aux réalités de notre territoire.
Cela doit inclure un renforcement de l’angle répressif, avec des moyens supplémentaires en hommes et en matériels. Il faut un commissariat central aux normes – l’hôtel de police de Cayenne est en état reconnu de vétusté et de délabrement – et un commissariat dans les villes excédant 20 000 habitants ; je pense aux villes de Kourou, Matoury et Saint-Laurent-du-Maroni. Ces revendications sont exprimées depuis très longtemps.
Mais le traitement de l’insécurité doit aussi inclure les dimensions judiciaires, éducatives, économiques et socioculturelles de la Guyane. La perméabilité des frontières, le chômage endémique, accentué chez les jeunes, le manque de logements, avec, pour corollaire, la prolifération des squats, la multiplication des bandes sont des caractéristiques hors normes qui concourent à placer la Guyane en secteur et unité d’encadrement prioritaire.
Ce dispositif, visant à classer une zone réputée difficile en matière de sécurité publique, aurait l’avantage d’une meilleure réactivité des personnels, connaissant bien le terrain, mais également moins soumis au turn-over constant. Offrant la possibilité de décider seul de l’affectation des moyens supplémentaires alloués à la zone concernée, il permettrait de mieux prioriser certaines mesures liées aux moyens et aux effectifs. Il viendrait ainsi renforcer le dispositif des zones de sécurité prioritaires.
Superposés, car compatibles, ces deux dispositifs serviraient dès lors mieux les intérêts de la Guyane dans la lutte contre cette criminalité rampante.
Monsieur le ministre, la désespérance et le sentiment d’abandon sont très forts au sein de la population guyanaise. Elle est de plus en plus exaspérée par l’insuffisance de réactions face à cette violence qui gangrène toute la société. Il est plus que temps de montrer que des mesures adéquates sont prises pour restaurer la sécurité en Guyane ! Que compte faire le Gouvernement pour remédier à ce problème ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le sénateur, je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser mon collègue ministre de l’intérieur, qui ne pouvait pas être présent ce matin.
Je ne doute pas de la réalité de la situation que vous évoquez et des difficultés que rencontre aujourd'hui la Guyane.
Comme vous l’avez souligné, le phénomène est important. La délinquance, notamment juvénile, mobilise les forces de sécurité du département. Une action de longue durée est nécessaire pour apporter des réponses à une délinquance désormais ancrée. Le ministre de l’intérieur tient à exprimer tout son soutien aux policiers et gendarmes qui agissent pour lutter contre cette délinquance.
La jeunesse est un sujet majeur de préoccupation, en particulier dans un département avec une démographie aussi dynamique. Malheureusement, elle a souvent comme perspective non pas le travail et la réussite, mais l’échec et le chômage. Il faut donc que nous soyons capables d’avancer toutes les propositions nécessaires.
En 2015, les mineurs représentent près de 20 % des personnes mises en cause dans des actes de délinquance. Ce taux est très élevé. Ce sont ainsi 816 mineurs qui ont été identifiés, interpellés et mis en cause.
La délinquance est également de plus en plus violente. Ainsi, sept mineurs ont été impliqués dans des tentatives d’homicide, et un pour homicide en 2015, alors qu’un seul mineur avait été mis en cause pour une affaire de tentative d’homicide en 2014. Cette évolution ne fait que corroborer vos propos, monsieur le sénateur.
La création des zones de sécurité prioritaire de Cayenne, Matoury, Remire-Montjoly et Kourou a donné une nouvelle impulsion à la lutte contre cette délinquance.
Les moyens de la gendarmerie nationale en Guyane ont été renforcés. Ainsi, les 574 gendarmes départementaux bénéficient en permanence du renfort de 465 gendarmes mobiles. Par ailleurs, 25 postes supplémentaires de gendarmes départementaux ont été créés depuis deux ans et 12 officiers de police judiciaire supplémentaires, en provenance de métropole, ont été détachés.
Les effectifs de la police sont également en augmentation. Alors que la sécurité publique disposait au 31 décembre 2015 d’un effectif de 313 agents, incluant les personnels du service départemental du renseignement territorial, elle devrait compter 323 agents d’ici au mois de juin 2016.
La présence des forces de l’ordre sur la voie publique dans les créneaux horaires les plus sensibles a été accentuée, en lien avec les élus des communes concernées et l’ensemble des acteurs de la prévention. L’effort se porte prioritairement sur la zone littorale, notamment sur les ZSP et dans l’agglomération de Saint-Laurent-du-Maroni.
Ces actions doivent être complétées par des mesures de prévention, en particulier dans le domaine des violences scolaires.
En complément de l’action des brigades territoriales, qui comprennent notamment des référents scolaires dans chaque établissement, la brigade de prévention de la délinquance juvénile de Kourou, créée le 1er septembre 2012, conserve et conservera un rôle essentiel dans ce dispositif.
Elle développe différents dispositifs : des interventions dans des lycées et collèges de Cayenne, ainsi que la mise en place de « points écoute » à l’intérieur de plusieurs établissements ; des interventions sur les violences, drogues, dangers liés à internet, violences sexuelles dans des foyers, associations, maisons de quartier, ainsi que dans des villages amérindiens ; des mesures de réparations pénales, mesures ordonnées par le juge des enfants ou le magistrat chargé des mineurs ; des réunions publiques ou d’information de parents d’élèves.
Toujours dans le domaine de la prévention des violences scolaires, des actions contre la vente d’alcool aux mineurs à proximité des établissements d’enseignement sont également menées. Elles doivent être renforcées, car l’enjeu est majeur pour la jeunesse.
Vous le voyez, cette problématique donne lieu à une double action de l’État, pour renforcer la présence des forces de sécurité, gendarmes et police, et pour assurer une démarche de prévention, absolument nécessaire.
C’est cet équilibre qui doit progressivement être mis en place pour réduire la délinquance dénoncée par vos soins, monsieur le sénateur. Il s’agit là d’un véritable fléau pour la Guyane. Il est donc essentiel que les élus locaux et l’État s’engagent dans une action commune absolument concertée et coopérative pour réussir ensemble à faire reculer cette délinquance.
M. le président. La parole est à M. Georges Patient.
M. Georges Patient. Monsieur le ministre, je vous ai écouté attentivement. C’est vrai que le Gouvernement fait des efforts.
Pour autant, la situation reste extrêmement grave en Guyane. Samedi dernier, un commerçant a été agressé et blessé de deux balles en pleine ville de Cayenne. Cet incident a semé la panique dans le quartier et provoqué des réactions, légitimes, de colère de la population. Il faut vraiment attaquer frontalement cette insécurité rampante !
Je le rappelle, la lutte contre l’insécurité fait partie des trente engagements du candidat François Hollande à l’égard des outre-mer. Je vous relis l’engagement n° 25 : « Je veux donner à la police et à la justice les moyens de protéger les Ultramarins en donnant des moyens supplémentaires pour la sécurité des quartiers les plus exposés à la violence. La lutte contre l’immigration clandestine sera également renforcée. »
L’insécurité gangrène toute la société guyanaise et empêche un développement réel de notre territoire. Les Guyanais ont voté en masse pour le changement ; ils attendent des résultats concrets. Je vous demande de les entendre et de réagir en conséquence.
versement de la prime à la naissance
M. le président. La parole est à M. Claude Bérit-Débat, auteur de la question n° 1322, adressée à Mme la ministre des familles, de l’enfance et des droits des femmes.
M. Claude Bérit-Débat. Depuis le 1er janvier 2015, le versement de la prime de naissance s’établit, pour les familles éligibles, deux mois après la naissance de l’enfant.
Pour cette année encore, les conditions d’ouverture du droit et le montant de la prime de naissance demeurent inchangés. Cela illustre la volonté du Gouvernement de poursuivre une politique familiale ambitieuse pour notre pays ; je m’en réjouis.
Concrètement, cette prime vise à permettre aux familles les plus modestes de préparer la naissance d’un enfant dans les meilleures conditions, en finançant l’achat des équipements indispensables à l’arrivée du nouveau-né. Alors qu’elle était habituellement versée lors du septième mois de grossesse, elle l’est depuis le 1er janvier 2015 avant la fin du dernier jour du second mois civil suivant la naissance.
Pour les familles les plus vulnérables, l’antériorité du versement par rapport à la naissance répond à une nécessité financière qui détermine souvent la réalisation des achats envisagés. Je me place strictement du côté des familles, loin du regrettable amalgame que font certains avec la baisse de la natalité enregistrée dans notre pays, sujet qui n’a rien à voir.
Lors d’une récente intervention devant nos collègues de l’Assemblée nationale, le Gouvernement inscrivait cette mesure dans le cadre d’une logique de simplification et de redressement de nos comptes publics, en particulier ceux de la branche famille, toujours déficitaire.
Si je souscris pleinement à de tels objectifs, quelle réponse concrète pouvons-nous apporter à ces familles, qui sont mises en difficulté par le report du versement de cette prime ? Je connais l’implication de Mme la ministre sur ce dossier, ainsi que son attachement aux impératifs de justice sociale, qui fondent le soutien de l’État aux familles les plus démunies.
Le Gouvernement pourrait-il nous préciser si des exceptions peuvent être envisagées au cas par cas pour maintenir un versement antérieur à la naissance pour les familles les plus modestes et les plus démunies ? De même, au regard de la convention d’objectifs et de gestion conclue entre l’État et la Caisse nationale des allocations familiales, la CNAF, pourrait-il nous éclairer sur l’accompagnement social prévu, le cas échéant, pour ces familles ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Jean-Vincent Placé, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargé de la réforme de l’État et de la simplification. Monsieur le sénateur, je vous prie de bien vouloir excuser l’absence de ma collègue Laurence Rossignol, ministre des familles, de l’enfance et des droits des femmes, qui est retenue par d’autres réunions.
Comme vous l’avez rappelé, le Gouvernement a pris une mesure de décalage du versement de la prime à la naissance, dans le cadre du « paquet » d’économies sur la branche famille qui a été voté par le Parlement à l’automne de 2014. Pour les grossesses déclarées après le 1er janvier 2015, cette prime à la naissance est versée par les caisses d’allocations familiales, les CAF, au cours du deuxième mois suivant la naissance, et non plus au septième mois de la grossesse.
Cette mesure a incontestablement permis de mener à bien le plan d’économies, sans lequel le déficit de la branche famille se serait encore aggravé.
Ce plan porte aujourd’hui ses fruits. Le déficit de la branche famille a été réduit de plus d’un milliard d’euros en 2015, revenant à 1,6 milliard d’euros, alors qu’il s’élevait à 2,7 milliards d’euros en 2014. Le solde de la branche famille devrait ainsi se rapprocher de l’équilibre en 2016, restant toutefois déficitaire d’environ 800 millions d’euros.
Dans le contexte économique très contraint que nous connaissons, le Gouvernement a réussi à préserver le montant de la prime à la naissance de 923,08 euros pour chaque enfant, alors qu’il était initialement prévu de le réduire dès le deuxième enfant.
Par ailleurs, et cela permet de répondre à votre préoccupation tout à fait légitime, afin que les familles modestes ne soient pas pénalisées par ce décalage de trésorerie de quelques mois, les CAF peuvent avancer cette somme aux familles sous forme de prêt sur leur fonds d’action sociale.
En vue d’harmoniser les pratiques des caisses, le conseil d’administration de la CNAF, lors de sa séance du 2 février 2016, a souhaité confirmer cette possibilité. Il a notamment rappelé à toutes les CAF que ces prêts avaient vocation à être mobilisés en faveur des familles confrontées à des difficultés financières pour faire face à des événements de la vie familiale tels qu’une naissance.
Cette aide, non systématique, constitue une réponse à des difficultés ponctuelles pour permettre aux familles de mener à bien, et de manière autonome, leurs projets. Je peux vous le confirmer, Laurence Rossignol suit avec attention la mise en œuvre de cette possibilité, qui garantit en particulier le pouvoir d’achat des familles les plus vulnérables, conformément à votre préoccupation, tout en conciliant l’effort de redressement de la branche famille de la sécurité sociale.
M. le président. La parole est à M. Claude Bérit-Débat.
M. Claude Bérit-Débat. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le secrétaire d’État chargé de la réforme de l’État et de la simplification. Effectivement, le décalage du versement de cette prime peut être envisagé comme une mesure de simplification… (Sourires.)
Toutefois, il s’agit plus d’une mesure de trésorerie que d’une véritable économie, puisque le montant de la prime a été maintenu. Le budget de l’État consacré à la politique familiale bénéficie simplement d’un report de quelques mois de la dépense.
J’ai bien écouté votre réponse, notamment s’agissant des mesures prises par la CNAF, qui a réaffirmé sa volonté d’appliquer de la même manière dans tous les départements les critères d’octroi des prêts destinés aux familles en difficulté. Malgré tout, les échos qui me reviennent, notamment à ma permanence, tendent à prouver que l’information n’est pas bien passée ou que les familles hésitent à demander une telle aide.
J’insiste sur le caractère anormal du versement de cette prime après la naissance. Une famille qui attend un enfant et connaît des difficultés financières a besoin de toucher la prime avant la naissance pour acheter les biens nécessaires à l’accueil de l’enfant, qu’il s’agisse du landau ou du lit. Comment fait-on lorsque la prime est versée presque trois mois après la naissance ? J’ai bien compris que des prêts sans intérêts pouvaient être accordés. Mais la procédure est tout à fait différente, puisqu’il faut une démarche volontariste.
Je souhaitais donc attirer l’attention du Gouvernement sur ce point, même si je connais sa volonté de prendre en compte cette problématique. Je le félicite de sa bonne gestion, tant de la branche famille que de l’ensemble de la sécurité sociale, dont le déficit est bien inférieur aux prévisions.
responsabilité des entreprises dans l’exposition de leurs salariés à l’amiante
M. le président. La parole est à Mme Michelle Demessine, auteur de la question n° 1329, adressée à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.
Mme Michelle Demessine. Je tiens à interpeller le Gouvernement sur un sujet qui m’est particulièrement cher : le combat contre les conséquences de l’utilisation de l’amiante.
Il me paraît bon de le rappeler, ce fléau a causé, et cause encore des maladies mortelles, notamment chez les salariés des grandes industries métallurgiques ou sidérurgiques qui ont été particulièrement touchés. Il suffit de se rendre régulièrement dans les assemblées générales de victimes de l’amiante, comme je le fais, pour réaliser l’ampleur du désastre.
Face à ce scandale sanitaire, les industriels qui ont exposé leurs salariés à l’amiante continuent à user de tous les arguments juridiques pour nier leurs responsabilités. C’est tout le sens de l’arrêt du Conseil d’État du 9 novembre 2015, qui a malheureusement donné gain de cause à la société des Constructions mécaniques de Normandie en condamnant l’État à lui verser 350 000 euros.
Par cet arrêt, la plus haute juridiction administrative a admis qu’un employeur condamné au titre de la faute inexcusable se retourne contre l’État pour réclamer un remboursement partiel des indemnités versées à ses salariés victimes de l’amiante !
Pour les victimes de l’amiante, leurs familles, les associations et les syndicats qui les soutiennent, cet arrêt résonne comme un coup de tonnerre. Elles n’acceptent tout simplement pas que les industriels mettent le prix de leurs fautes à la charge du contribuable. En outre, cet arrêt risque de faire « tache d’huile », puisque les groupes Latty et Eternit ont obtenu des jugements similaires et favorables devant les tribunaux administratifs de Nantes et de Versailles.
Pour entrer rapidement dans le détail de l’arrêt, l’État est condamné pour la période d’avant 1977, date du décret imposant une série de mesures à prendre lors de travaux au contact de l’amiante. Cependant, les règles en vigueur avant 1977 étaient déjà suffisamment précises pour constituer une obligation particulière de sécurité en matière d’amiante. Tout le monde connaissait déjà la dangerosité de ce matériau.
Ainsi, ne va-t-on pas vers une déresponsabilisation des employeurs dans la mise en danger de la santé de leurs salariés ? Si ce revirement jurisprudentiel était confirmé, quelles mesures le Gouvernement entend-il prendre pour éviter un recul important et dramatique de la responsabilité des entreprises face au fléau de l’amiante ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Jean-Vincent Placé, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargé de la réforme de l’État et de la simplification. Madame la sénatrice, je vous prie d’excuser l’absence de M. le garde des sceaux, qui est retenu par d’autres obligations.
J’en profite pour saluer votre combat constant pour la défense des salariés victimes de l’amiante. Je sais que de nombreuses régions françaises sont concernées, mais votre région, le Nord de la France, a été particulièrement frappée. Permettez-moi d’associer à ce bref hommage mon amie et ancienne collègue Marie-Christine Blandin. Nous avons pu ensemble intervenir sur ces thématiques, qui intéressent à la fois la justice, la solidarité, la santé et l’écologie. Il s’agit donc de luttes que nous menons ensemble !
Vous interpellez le Gouvernement sur la manière dont la jurisprudence traite de la responsabilité des entreprises dans l’exposition de leurs salariés à l’amiante.
Il convient tout d’abord de rappeler un principe : les victimes doivent être indemnisées pour le préjudice qu’elles ont subi, et chacun doit payer à hauteur de sa responsabilité. C’est sur ce principe que se fonde la jurisprudence du Conseil d’État en matière d’exposition à l’amiante.
La responsabilité de l’État pour carence dans la prévention des risques liés à l’exposition des travailleurs aux poussières d’amiante a été reconnue pour la première fois le 3 mars 2004 par le Conseil d’État.
L’arrêt du 9 novembre 2015, que vous évoquez à juste titre, vise uniquement à préciser les conditions du partage de responsabilité entre l’État et l’employeur qui a été condamné par le juge judiciaire à réparer le préjudice résultant d’une exposition aux poussières d’amiante.
Ainsi, et c’est important, pour le Conseil d’État, la circonstance que l’employeur ait été condamné pour « faute inexcusable » ne fait pas obstacle à ce que la responsabilité de l’État puisse être engagée à raison de la faute commise, à condition qu’il en soit résulté un préjudice « direct et certain », selon les termes précis de l’arrêt.
Pour autant, il ne s’agit pas du tout de déresponsabiliser les employeurs.
D’abord, l’État, qui doit lui aussi être exemplaire, ne voit sa responsabilité engagée que sur les seules fautes liées aux obligations qui lui incombent directement. À ce titre, un recours de l’employeur contre l’État doit prouver la causalité directe entre la faute de l’État et les pathologies des victimes.
Ensuite, en cas de faute « particulièrement grave et délibérée », l’employeur demeure seul redevable de l’indemnisation de la victime et ne peut pas se retourner contre l’État.
Enfin, l’employeur poursuivi par une victime doit l’indemniser intégralement avant d’exercer un recours contre l’État.
Comme vous le voyez, la jurisprudence ne décharge aucunement les employeurs reconnus fautifs pour avoir mis leurs salariés en danger ; ils doivent assumer leurs responsabilités et indemniser les victimes de l’amiante.
M. le président. La parole est à Mme Michelle Demessine.
Mme Michelle Demessine. Monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie de votre réponse juridiquement très argumentée.
Je persiste cependant à vouloir attirer l’attention du Gouvernement sur les dérives que l’on peut craindre du fait de l’extension d’une telle jurisprudence à l’ensemble des accidents du travail et des maladies professionnelles.
Nous devons rester particulièrement vigilants dans la période de déréglementation à tout va que nous vivons. Je souhaite que la parole de l’État reste forte dans ce domaine.
gens du voyage et aires d’accueil
M. le président. La parole est à M. Alain Chatillon, auteur de la question n° 1268, adressée à Mme la ministre du logement et de l’habitat durable.
M. Alain Chatillon. Madame la ministre, j’attire votre attention sur un sujet préoccupant, celui de l’accueil des gens du voyage, en particulier dans mon département, la Haute-Garonne. Ma question concerne surtout l’occupation de l’aire d’accueil qui leur est dédiée dans les communes, comme la mienne, car c’est ce qui pose fréquemment des problèmes.
Depuis vingt ans, la commune de Revel a tenu ses engagements, en réalisant une aire d’accueil des gens du voyage. Il a fallu, seulement sept ans après, réhabiliter en totalité cet équipement, qui avait coûté un million d’euros, pour un montant supplémentaire de 500 000 euros.
Afin de remplir ses obligations relatives à la réglementation en vigueur, la commune a pris un arrêté municipal au mois de mars 1999, interdisant le stationnement des caravanes des gens du voyage en dehors de cette aire.
Depuis lors, chaque été, à Revel-Saint-Ferréol, site important du Lauragais qui accueille près de 130 000 touristes chaque année, des caravanes s’installent dans les zones industrielles, les zones touristiques, à l’entrée des campings, sans que l’on parvienne à trouver des solutions.
Je le rappelle, la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance autorise la mise en place d’une procédure d’évacuation administrative à l’encontre des gens du voyage stationnant illégalement sur un terrain. Le préfet de la région Midi-Pyrénées a d’ailleurs adressé aux maires du département de la Haute-Garonne un rappel concernant ce dispositif le 12 juillet 2012.
La négociation devient de plus en plus difficile ; je ne suis pas le seul maire à le dire. Certaines personnes, il faut le reconnaître, ont une conduite correcte. Mais d’autres se conduisent de plus en plus mal !
Nombre de maires du département de Haute-Garonne doivent gérer le même type de problèmes. Une telle situation ne pourra pas durer bien longtemps, car les habitants expriment leur mécontentement et reprochent leur laxisme aux politiques et à l’administration.
À l’heure où toutes les communes doivent restreindre leur budget d’investissement compte tenu de la baisse drastique des dotations de l’État, je vous demande comment trouver un équilibre acceptable pour tous.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Emmanuelle Cosse, ministre du logement et de l’habitat durable. Monsieur le sénateur, vous m’interrogez sur les aires d’accueil destinées aux gens du voyage et sur les difficultés que vous rencontrez.
Comme vous le savez, la loi du 5 juillet 2000 relative à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage vise à concilier les besoins en accueil des gens du voyage et les préoccupations des collectivités locales pour éviter les installations illicites.
La loi prévoit l’élaboration d’un schéma départemental pour l’accueil des gens du voyage, ainsi qu’un certain nombre de mesures définies en lien avec les représentants des gens du voyage. Le schéma de Haute-Garonne a été approuvé par arrêté conjoint du préfet et du président du conseil départemental ; il a été publié le 8 février 2013. Les prescriptions, à savoir 45 aires d’accueil, soit 969 places de caravanes, n’ont été réalisées qu’à hauteur de 60 %. La majorité des aires aménagées sont occupées toute l’année à 100 %. Votre commune a réalisé son aire d’accueil de 16 places.
Dans le département de Haute-Garonne, sur les cinq aires de grand passage inscrites au schéma initial et réinscrites dans le schéma révisé, aucune n’a été réalisée. Or le nombre des grands passages en période estivale augmente chaque année. Faute d’aire de grand passage, les groupes qui traversent le département sont amenés à stationner sur des terrains publics ou privés inadaptés. Il s’ensuit des dégradations, provoquant des situations conflictuelles avec les populations riveraines, d’où la nécessité, encore une fois, de créer des aires dédiées à ces passages de grands groupes, afin d’éviter ces stationnements illicites, qui mettent en difficulté les collectivités et les populations riveraines. La problématique doit être évoquée et traitée au sein de la commission départementale consultative de votre département.
Par ailleurs, une instruction annuelle du ministre de l’intérieur rappelle aux préfets de département l’importance que revêt une préparation en amont de ces arrivées de grands groupes de caravanes de gens du voyage et la nécessaire mobilisation de l’ensemble des acteurs concernés par ces déplacements. Cette instruction invite également les préfets de département à confronter leurs prévisions et, le cas échéant, à ajuster les dispositions prises lors d’échanges avec leurs collègues des départements limitrophes.
En ce qui concerne les procédures pour occupation illicite de terrains, les communes de plus de 5 000 habitants et les établissements publics de coopération intercommunale disposant de la compétence aménagement, entretien et gestion des aires d’accueil qui ont réalisé leurs obligations au titre du schéma départemental d’accueil et d’habitat des gens du voyage peuvent bénéficier de la procédure administrative de mise en demeure et d’évacuation forcée. La loi permet au préfet, saisi d’une demande du maire, du propriétaire ou du titulaire du droit d’usage du terrain, de mettre en demeure par arrêté les propriétaires de résidences mobiles qui stationnent irrégulièrement sur le terrain.
Le Gouvernement est attentif à garantir des droits effectifs aux gens du voyage, mais il est aussi sensible aux difficultés rencontrées par les élus. Il prête donc la plus grande attention aux réflexions des parlementaires sur ce sujet, notamment dans le cadre de la proposition de loi relative au statut, à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage, texte qui a été adopté en première lecture par l’Assemblée nationale le 9 juin 2015 et qui, je l’espère, sera prochainement inscrit à l’ordre du jour du Sénat. Il entend soutenir les évolutions législatives nécessaires pour renforcer l’effectivité des droits des gens du voyage, mais aussi pour donner aux élus locaux des moyens de mettre fin aux occupations illégales en modernisant la procédure administrative de mise en demeure et d’évacuation forcée.
M. le président. La parole est à M. Alain Chatillon.
M. Alain Chatillon. Madame la ministre, j’entends bien vos propos. Mais, entre le verbe et la mise en place des mesures promises, il existe parfois un écart très important compte tenu des difficultés rencontrées, quelles que soient les sensibilités des membres du Gouvernement.
Le département de Haute-Garonne étant historiquement de votre sensibilité depuis soixante-dix ans, je serais très heureux si vous pouviez intervenir directement… Il ne faut pas pénaliser ceux qui ont fait le travail, comme cela se produit aujourd’hui !
rénovation des logements sociaux étudiants à nice
M. le président. La parole est à Mme Dominique Estrosi Sassone, auteur de la question n° 1313, adressée à Mme la ministre du logement et de l'habitat durable.
Mme Dominique Estrosi Sassone. Madame la ministre, ma question porte sur l’intégration des résidences universitaires du centre régional des œuvres universitaires et scolaires, ou CROUS, dans le quota de logements prévus par la loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dite loi SRU.
L’article 55 de cette loi impose un seuil minimal de 20 % de logements sociaux dans les communes de plus de 3 500 habitants, seuil porté à 25 % par la loi du 18 janvier 2013 relative à la mobilisation du foncier public en faveur du logement et au renforcement des obligations de production de logement social.
Toutefois, le manque de foncier disponible dans le département des Alpes-Maritimes ralentit la réalisation de ces logements. Plus encore, le problème du « fléchage » budgétaire ajoute un frein supplémentaire aux objectifs légaux, notamment pour les résidences universitaires.
La métropole Nice-Côte d’Azur et la ville de Nice sont très impliquées en faveur du logement locatif social, mais également en faveur du logement social étudiant. Depuis 2008, 1 038 logements ont été agréés, 308 ont été livrés, et 730 le seront d’ici à 2017. Ces nouveaux logements étudiants ont fait l’objet d’un agrément au titre du logement locatif social et sont ou seront bien intégrés au « quota SRU ».
Outre ces engagements financiers en faveur de la production nouvelle, nous apportons un soutien important au CROUS pour la réhabilitation des résidences existantes, particulièrement vieillissantes.
Ainsi, les résidences du CROUS datent des années soixante et soixante-dix. Elles représentent 2 200 logements ou chambres sur la seule commune de Nice, et elles ne sont pas comptabilisées en qualité de logement locatif social, malgré leur évidente vocation sociale, du fait d’un fléchage budgétaire différent de celui qui est consacré au parc social.
Pourtant, ces logements, réalisés selon d’anciennes normes et, pour partie, réhabilités ou en cours de réhabilitation, accueillent des étudiants aux ressources faibles, le plus souvent bénéficiaires de bourses universitaires.
Les critères d’occupation de ces logements devraient donc l’emporter sur les critères de financement afin de déterminer les agréments.
Madame la ministre, dès lors que les conditions d’attribution de ces logements répondent à des plafonds de ressources pour les occupants et obéissent à la même logique de solidarité que le parc social, comptez-vous modifier la loi afin d’intégrer et de comptabiliser l’ensemble des logements sociaux étudiants en logement social, qu’ils soient nouvellement produits ou rénovés ?
L’article 35 du projet de loi égalité et citoyenneté, qui est actuellement examiné par le Conseil d’État, prévoit des mesures relatives aux résidences universitaires. L’habilitation du Gouvernement à légiférer par ordonnance permettra-t-elle la reconversion des logements étudiants existants et rénovés pour encourager les collectivités à moderniser leurs résidences universitaires et leur permettre ainsi de les comptabiliser dans le quota des logements sociaux ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Emmanuelle Cosse, ministre du logement et de l'habitat durable. Madame la sénatrice, vous m’interrogez sur la possibilité d’intégrer au décompte des logements sociaux réalisé au titre de l’article 55 de la loi SRU les résidences universitaires du CROUS dites d’« ancienne génération », en cours de réhabilitation dès lors que ces logements sont attribués à des étudiants à faibles ressources ou à des étudiants boursiers.
Vous le savez, la loi SRU impose à certaines communes l’obligation de disposer d’un taux minimal de logement social. Elle définit à ce titre les conditions à satisfaire pour que les logements puissent être pris en compte dans le cadre de l’inventaire SRU. Plus précisément, le principe général qui guide le décompte des logements SRU réside, d’une part, dans l’agrément de ces logements au titre du logement social ou à des fins sociales, donc au conditionnement de leur accès à des critères de ressources, en lien avec le financement par l’État – cela explique les difficultés actuelles concernant le CROUS –, et, d’autre part, dans la conclusion d’une convention ouvrant droit à l’aide personnalisée encadrant de manière pérenne les loyers ou redevances à verser par les occupants de ces logements. C’est à ce titre que les logements financés en prêts locatifs sociaux et destinés aux étudiants sont aujourd’hui pris en compte dans l’inventaire des logements locatifs sociaux SRU.
En revanche, si les logements des résidences du CROUS d’ancienne génération sont effectivement occupés par des étudiants à faibles ressources ou des étudiants boursiers, cela ne saurait en droit justifier leur comptabilisation SRU en qualité de logements locatifs sociaux pérennes, soumis à des conditions de loyers et de ressources et universellement accessibles au regard des critères que je viens de rappeler.
À cet égard, l’intégration a posteriori, et en pure opportunité, de ces résidences étudiantes dans la définition des logements sociaux mettrait à mal l’atteinte des objectifs de loi SRU.
Vous attirez mon attention sur les difficultés que rencontre le territoire niçois, qui se caractérise par une tension sur la demande en logement locatif social extrêmement élevée. Il s’agit – vous le savez parfaitement, étant très engagée sur la question – de l’un des territoires de France sur lequel la pression sur la demande est la plus forte ! Comme vous le rappelez, en dépit de l’engagement fort des collectivités et des acteurs, ainsi que des efforts récemment menés pour la construction de logements locatifs sociaux, le taux de logement social de la ville de Nice en regard des résidences principales n’a augmenté que de 10,7 % à 12,3 % de 2004 à 2015, alors que la ville doit disposer de 25 % de logements sociaux à l’horizon 2025.
Dans ces conditions, la réponse aux besoins émis par les ménages modestes de l’agglomération niçoise ne saurait donc être apportée par le décompte dérogatoire des logements CROUS d’ancienne génération. Les communes de l’agglomération doivent vous accompagner dans les efforts importants que vous déployez, pour poursuivre leurs engagements en faveur du développement de l’offre de logement locatif social, et prendre leur juste part à l’effort de solidarité.
Vous évoquez des difficultés spécifiques quant à la production d’une telle offre supplémentaire dans des territoires où le foncier est rare et cher, comme c’est le cas à Nice. Je tiens à rappeler que les efforts ne passent pas simplement par la construction. Des objectifs de rattrapage peuvent tout aussi bien être satisfaits par l’acquisition-amélioration de logements existants ou par la mobilisation du parc privé conventionné avec l’Agence nationale de l’habitat, l’ANAH. Je reste évidemment à votre disposition pour soutenir les efforts de votre agglomération, qu’il convient de souligner.
M. le président. La parole est à Mme Dominique Estrosi Sassone.
Mme Dominique Estrosi Sassone. Madame la ministre, je suis très sensible au fait que vous reconnaissiez les efforts que nous consentons depuis quelques années déjà en faveur du logement locatif social, là où, pendant des années, sur notre territoire, cette question n’a effectivement pas constitué une priorité…
Pour autant, il me semble important d’avoir une vision pragmatique de la réalité. Dans un territoire tendu comme le nôtre, les élus manifestent une réelle volonté de poursuivre ces efforts en faveur de la production de logements sociaux, tous segments confondus, qu’il s’agisse de la production nouvelle à titre de vente en l’état futur d’achèvement, de la maîtrise d’ouvrage par les bailleurs sociaux – vous avez fait allusion aux acquisitions-améliorations : nous y avons recours, même si cela coûte plus cher –, ainsi que du conventionnement dans le parc privé, avec les contraintes budgétaires qui en découlent, puisque les enveloppes de l’ANAH sont assez contraintes : nous bataillons d’ailleurs au niveau du préfet de région pour obtenir le nécessaire.
Néanmoins, dans des communes situées dans un territoire tendu, comme la nôtre, il ne faut pas décourager les élus. Au contraire ! Là où des possibilités apparaissent pour intégrer des logements déjà existants dans le quota de logements sociaux – je pense évidemment plus particulièrement aux résidences universitaires qui n’obèrent pas nos efforts constants en la matière –, il convient de se doter d’une vision beaucoup plus pragmatique, afin d’accompagner les élus et de les encourager dans leurs efforts et leur politique volontariste. Nous enverrons ainsi un signe fort, au lieu d’en rester à des positions encore un peu trop dogmatiques : nous savons que, dans des territoires comme le nôtre, certains objectifs seront très difficiles à atteindre, y compris d’ici à 2025.
aide personnalisée au logement pour les apprentis
M. le président. La parole est à M. Henri Tandonnet, auteur de la question n° 1271, adressée à Mme la ministre du logement et de l'habitat durable.
M. Henri Tandonnet. Madame la ministre, je souhaite attirer votre attention sur la situation des apprentis. Au moment où l’on veut favoriser l’apprentissage, certains freins en matière de logement restent problématiques.
En effet, le logement est une condition importante, puisqu’il présente, le plus souvent, un double besoin : l’apprenti doit pouvoir se loger à proximité de son lieu de formation d’enseignement général, mais également sur le lieu de la formation professionnelle auprès du maître de stage.
La plupart du temps, l’apprenti est donc dans l’obligation de prendre un double logement, qu’il doit financer lui-même, ce qui constitue une lourde charge. Une aide personnalisée au logement, ou APL, peut être demandée auprès de la caisse d’allocations familiales. Elle n’est cependant pas toujours accordée, puisque les modalités d’attribution et le montant sont conditionnés aux trois critères suivants : l’âge du ou de la locataire ; son statut professionnel ; enfin, ses revenus de l’année n-2.
Ce troisième point est prédominant. Par conséquent, il est fréquent que le jeune apprenti soit contraint d’abandonner son projet professionnel faute de pouvoir financer seul le paiement intégral de son loyer.
Il ne semble pas cohérent que les revenus de l’année n-2 conditionnent l’obtention d’une APL. Certaines personnes se trouvent sanctionnées par rapport aux autres demandeurs du simple fait d’avoir perçu des revenus, souvent très modestes, deux ans auparavant. À n’en pas douter, c’est une anomalie qui ne s’inscrit absolument pas dans le sens d’une politique en faveur de l’apprentissage et de l’aide à l’insertion dans la vie professionnelle.
Madame la ministre, je souhaite donc connaître votre point de vue sur ce critère, qui paraît peu pertinent, ainsi que sur les modifications éventuelles qui pourraient rendre plus juste le dispositif d’obtention de l’APL, notamment pour les apprentis.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Emmanuelle Cosse, ministre du logement et de l'habitat durable. Monsieur le sénateur, vous m’interrogez sur le dispositif d’obtention par les apprentis des aides personnelles au logement, notamment sur le mode de calcul concernant leurs revenus.
En effet, les aides au logement sont calculées sur la base des revenus pris en compte au titre de l’impôt sur le revenu et perçus au cours de l’année civile n-2.
Il résulte de cette situation un décalage temporel important entre les revenus pris en compte pour le calcul des aides au logement et ceux qui sont perçus au moment où cette aide est versée. Ce décalage profite à l’allocataire lorsque ses revenus augmentent, mais peut en effet lui être défavorable en cas de diminution brutale de ses ressources. C’est pourquoi il est prévu des mesures d’abattement ou de neutralisation des ressources de l’année n-2, par exemple en cas de chômage ou d’admission au bénéfice du RSA socle.
Par ailleurs, en cas de double résidence, les apprentis bénéficient d’un abattement forfaitaire sur leurs ressources, majorant ainsi l’aide versée.
Enfin, il existe d’autres aides au logement destinées aux apprentis qu’il me semble utile de mobiliser. Le dispositif MOBILI-JEUNE, développé par Action Logement, vise tous les jeunes de moins de trente ans, étant en formation en alternance, sous contrat de professionnalisation ou d’apprentissage et percevant au plus 100 % du SMIC. L’entreprise qui accueille l’alternant doit cotiser au 1 % logement, ce qui est le cas dans toutes les entreprises de plus de vingt salariés.
MOBILI-JEUNE est une subvention pouvant atteindre 100 euros par mois, visant à prendre en charge tout ou partie de l’échéance du loyer, déduction faite des APL, pour une durée maximale de trois ans. Elle est disponible pour tous les types de logements : colocations, locations vides ou meublées, logement en foyer ou résidence sociale, en sous-location, mais exclusivement dans le parc social, en chambre en internat. L’occupation du logement doit être liée à la période de formation.
Cette aide MOBILI-JEUNE est cumulable avec les APL, mais aussi avec d’autres dispositifs d’Action Logement comme le dispositif Loca-pass, prêt à taux zéro pour financer tout ou partie d’un dépôt de garantie réclamé au locataire lors de son entrée dans les lieux. Ce prêt s’adresse également aux jeunes de moins de trente ans, en formation professionnelle ou en recherche d’emploi, mais aussi aux étudiants salariés en CDD de trois mois minimum, aux étudiants en stage conventionné ou encore aux étudiants boursiers d’État. Je mentionnerai enfin la garantie Loca-pass accordée également par les organismes d’Action Logement, qui permet de garantir au bailleur le paiement du loyer et des charges en cas de difficultés budgétaires temporaires du locataire. Cette garantie fait donc office de caution pour le bailleur.
Les apprentis peuvent enfin bénéficier du nouveau dispositif VISALE, pour Visa pour le logement et l’emploi, nouveau service en ligne d’Action logement, qui permet de cautionner les loyers du parc privé.
Enfin, il existe des aides spécifiques au logement pour les jeunes apprentis qui rencontrent des problèmes avec plusieurs résidences, afin de trouver des solutions d’hébergement temporaire. Des logements peuvent notamment être mis temporairement à leur disposition par les foyers de jeunes travailleurs, qui ont pour mission d’accueillir les jeunes en stage, en activité professionnelle ou en apprentissage jusqu’à trente ans.
En conclusion, les APL constituent certainement l’aide au logement à destination des jeunes apprentis la plus connue. Cette aide est complétée par des dispositifs d’aide spécifique, d’avance et de garantie, développés par Action Logement, mais également par des solutions d’hébergement en faveur de ces jeunes en apprentissage.
M. le président. La parole est à M. Henri Tandonnet.
M. Henri Tandonnet. Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse, qui a complété mon information.
Ma question est liée à la remontée d’un cas pratique. Je sais que vous voulez mobiliser du logement social. Dans le Lot-et-Garonne, nous avons réalisé une opération particulière dénommée « Apprentoit », pour laquelle nous avons mutualisé les moyens de la chambre des métiers, d’un opérateur social, Ciliopée, et des associations des maires. Les communes fournissent le foncier, la société d’HLM rénove ce bâti, souvent en centre-bourg, et la chambre des métiers gère le logement. Malheureusement, sur ma petite commune, je n’ai pas pu en faire profiter le premier apprenti qui s’est présenté, recruté dans un restaurant une étoile Michelin.
C’est pourquoi je sollicite une plus grande souplesse à l’égard des apprentis, qui ne sont pas toujours jeunes, certains se trouvant en reconversion professionnelle ; c’était le cas de cet apprenti. J’ai bien compris qu’il existait d’autres solutions de logements, mais je tenais à vous faire part de ce cas pratique, afin que la situation évolue.
avenir du collège montaigne de vannes
M. le président. La parole est à M. Michel Le Scouarnec, auteur de la question n° 1334, adressée à Mme la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche.
M. Michel Le Scouarnec. Madame la ministre, depuis le 29 février dernier, la fermeture du collège public Montaigne de Vannes est actée par un arrêté préfectoral. Comment se réjouir de la disparition d’un établissement scolaire public labellisé réseau d’éducation prioritaire, ou REP, et situé en plein cœur d’un quartier populaire ?
Certes, ce collège a perdu de ses effectifs. À l’heure actuelle, il accueille moins de 200 élèves alors qu’il compte en tout 750 places. Mais cette situation résulte de plusieurs facteurs qui ont amoindri son attractivité, internes d’abord à l’éducation nationale – il a pâti d’une grande concurrence des établissements privés voisins proposant des options valorisantes –, indépendants de sa volonté ensuite, dans le cadre de l’aménagement territorial du secteur de Kercado.
La fermeture du collège ne fera qu’aggraver encore la relégation de ce quartier populaire. Pourtant, la ville de Vannes a signé un projet de réussite scolaire dont découlent certaines subventions. Ce n’est pas en coupant les enfants de leur établissement que l’on va les aider à s’épanouir.
L’équipe éducative, les parents d’élèves et de nombreux élus du secteur se sont mobilisés pour dénoncer la disparition de ce service public dans ce quartier, qui laisse de nombreuses questions en suspens. Où iront les élèves à la prochaine rentrée ? Par quels moyens de transport ? Quels seront les temps de trajet pour les externes lors de la pause du déjeuner ? Voilà autant de demandes restées sans réponse, puisque les parents d’élèves n’ont pas réussi à obtenir les informations qu’ils demandaient.
Cette fermeture fragilise tout le réseau éducatif local. Le regroupement de deux écoles primaires est déjà annoncé. Il me semble très étonnant que les services du ministère de l’éducation nationale laissent au seul enseignement privé présent dans ce quartier le monopole de l’accueil et de la scolarisation de toute cette jeunesse.
Pour tous, cette fermeture porte un coup fatal à la liberté de choix d’un enseignement public pour tout le sud de la ville de Vannes, qui compte aujourd’hui seulement trois collèges publics, alors que sa population dépasse les 50 000 habitants.
Nous avons besoin d’établissements scolaires publics offrant à tous un enseignement de qualité et les meilleures chances de réussite. Des possibilités de développement du collège Montaigne existent, mais elles semblent avoir été complètement ignorées. De même, rien n’a été fait au cours des dernières années pour enrayer la chute des effectifs. Cette situation est incompréhensible !
Le Gouvernement ne peut pas se satisfaire de cette situation : cela reviendrait à abandonner les quartiers en difficulté. Je lui demande donc de tout mettre en œuvre pour empêcher la fermeture inadmissible de cet établissement de proximité, si ce n’est pas déjà trop tard.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Emmanuelle Cosse, ministre du logement et de l'habitat durable. Monsieur Le Scouarnec, je vous prie tout d’abord d’excuser l’absence de Mme Vallaud-Belkacem, qui ne pouvait pas être présente ce matin.
Le conseil départemental du Morbihan a effectivement annoncé au début du mois de septembre 2015 son intention de fermer le collège Montaigne à la rentrée 2016.
Comme vous venez de le rappeler, cet établissement se caractérise par un taux de professions et catégories socioprofessionnelles défavorisées avoisinant les 70 %. C’est là le résultat d’un long processus d’évitement. Cette année, le collège Montaigne ne scolarise plus que 151 élèves, alors qu’il peut en accueillir 700.
La nouvelle sectorisation envisagée permettrait l’accès des élèves de cet établissement au collège de centre-ville, ce qui favoriserait la mixité sociale. Elle donnerait aussi aux familles qui le souhaitent la possibilité d’une poursuite de scolarité aux collèges d’Arradon ou de Séné.
Par ailleurs, je vous informe qu’une réflexion sera engagée entre le préfet du Morbihan, le recteur, le président du conseil départemental et l’ensemble des acteurs locaux de l’éducation afin que soit redéfinie, avec l’enseignement privé sous contrat, une scolarisation contribuant efficacement à une plus grande mixité sociale et à l’amélioration des résultats scolaires des élèves.
Enfin, le quartier de Kercado est quartier prioritaire de la ville dont sont issus les élèves du collège Montaigne. L’État est aussi attentif que vous au maintien des services publics. C’est pourquoi une concertation est engagée avec le préfet, les collectivités territoriales compétentes et l’ensemble des habitants du quartier, au sujet de la reconversion du site du collège Montaigne.
M. le président. La parole est à M. Michel Le Scouarnec.
M. Michel Le Scouarnec. Madame la ministre, le collège Montaigne, dont vous confirmez aujourd’hui la fermeture, n’est pas un simple établissement.
Il représente une population scolaire aux origines sociales et culturelles diverses, des élèves au profil particulier, relevant notamment des sections d’enseignement général et professionnel adapté, les SEGPA, et des unités localisées pour l’inclusion scolaire, les ULIS.
Il représente de surcroît un savoir-faire pédagogique accumulé depuis de nombreuses années, avec la mise en place de passerelles entre les ULIS, les SEGPA et les classes ordinaires. Il s’est ainsi révélé précurseur de la circulaire du 28 octobre 2015, préconisant les inclusions pour les élèves de SEGPA.
Le passage en REP, assuré à la rentrée 2015, renforce la liaison entre le collège Montaigne et les écoles de son secteur. Il permet ainsi l’élaboration de projets communs éducatifs et culturels.
Ce collège garantit en outre la continuité du service public d’éducation de la maternelle à l’enseignement supérieur.
Voilà ce qui se cache derrière la rigueur budgétaire : la perte d’un service public de proximité et de qualité !
Sans doute les acteurs locaux auraient-ils dû s’engager davantage en faveur de la mixité sociale de ce quartier. À l’évidence, leur action n’a pas été à la hauteur.
Quoi qu’il en soit, pour nos enfants, une telle mesure se traduit par un amoindrissement du vivre ensemble dans le respect de la différence de chacun. C’est une injustice sociale, familiale et même républicaine.
M. le préfet du Morbihan m’a invité à prendre part à une réunion dès lundi prochain, au sujet non pas du collège Montaigne, mais de la création d’une maison de services au public, une MSAP, permettant de pallier les carences du service public. J’espère pouvoir m’y rendre !
compétence eau et assainissement des collectivités territoriales
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Filleul, auteur de la question n° 1317, transmise à M. le ministre de l'aménagement du territoire, de la ruralité et des collectivités territoriales.
M. Jean-Jacques Filleul. Je souhaite attirer l’attention du Gouvernement sur la situation des collectivités territoriales chargées des compétences eau et assainissement.
Les collectivités sont tenues de maintenir séparées ces deux attributions bien distinctes, qui font l’objet de deux budgets annexes totalement étrangers l’un à l’autre.
Les budgets « eau » sont, en règle générale, plutôt en équilibre. Sans doute est-ce lié au fait que la distribution d’eau potable est un sujet historiquement sensible et bien maîtrisé de longue date. En revanche, les budgets d’assainissement souffrent plus facilement des difficultés, eu égard à l’ampleur des investissements exigés, en particulier par les stations d’épuration.
À l’heure où revient de plus en plus souvent l’expression, parfaitement pertinente, du « cycle de l’eau », je m’interroge sur la nécessité de maintenir le cloisonnement entre ces deux compétences, qui participent à l’économie circulaire.
Y a-t-il un intérêt à autoriser la fusion des deux budgets annexes pour n’en faire qu’un seul ? Beaucoup d’élus le pensent. Sur le plan environnemental, la préservation de la ressource en eau passe par la protection des zones de captage.
Le lien se traduit nécessairement par des conventions conclues avec le monde agricole et par un traitement optimal des eaux usées avant leur retour en milieu naturel. Ces dernières reviendront un jour dans le cycle de la consommation humaine.
Dès lors, il est de plus en plus évident que ces deux compétences n’en font qu’une : celle du grand cycle de l’eau.
On comprend ainsi tout l’intérêt qu’il y a à mutualiser dans un même budget les hommes, les matériels, les fournitures et les investissements.
Alerté sur ce sujet par plusieurs maires d’Indre-et-Loire, je vous demande d’apporter une réponse aux collectivités territoriales qui souhaiteraient avoir la possibilité de fusionner ces deux budgets.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Estelle Grelier, secrétaire d'État auprès du ministre de l'aménagement du territoire, de la ruralité et des collectivités territoriales, chargée des collectivités territoriales. Monsieur le sénateur, vous appelez mon attention et celle de Jean-Michel Baylet, dont je vous prie d’excuser l’absence aujourd’hui, sur la situation des collectivités territoriales chargées de l’exercice des compétences en matière d’eau et d’assainissement.
Vous soulignez en particulier, et à juste titre, le lien étroit qui existe entre ces compétences ; toutes deux sont inscrites dans le cycle de l’eau.
Plus précisément, vous m’interrogez sur la possibilité de fusionner les budgets annexes « eau potable » et « assainissement », afin de limiter les cas de déséquilibres et d’assurer une mutualisation des ressources.
D’un point de vue budgétaire, l’article L. 2224-11 du code général des collectivités territoriales indique que les services publics d’eau et d’assainissement doivent, en principe, faire l’objet de budgets distincts et que l’équilibre financier de ces derniers doit être assuré par le produit des redevances perçues auprès des usagers. (M. Jean-Jacques Filleul acquiesce.)
Toutefois, vous le savez, dans les communes de moins de 3 000 habitants et dans les établissements publics de coopération intercommunale, ou EPCI, dont aucune commune membre n’a plus de 3 000 habitants, il est possible d’établir un budget unique des services de distribution d’eau potable et d’assainissement si les deux services sont soumis aux mêmes règles d’assujettissement à la TVA et si leur mode de gestion est identique. Le budget et les factures émises doivent faire apparaître la répartition entre les opérations relatives à la distribution d’eau potable et celles relatives à l’assainissement, selon l’article L. 2224-6 du même code.
Par ailleurs, les articles 64 et 66 de la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République attribuent à compter du 1er janvier 2020 les compétences en matière d’eau et d’assainissement aux communautés de communes et aux communautés d’agglomération. Le transfert sera optionnel dès 2018. (M. Jean-Jacques Filleul acquiesce.)
Cette attribution vise à remédier au morcellement de l’exercice de ces deux compétences, qui sont étroitement liées, comme vous l’avez justement souligné. Aujourd’hui, la gestion de l’eau et de l’assainissement est assurée par près de 35 000 services.
Compte tenu de l’augmentation de la taille moyenne des EPCI, liée à la refonte de la carte intercommunale actuellement en cours et de la généralisation de l’exercice des compétences eau et assainissement par les EPCI à compter de 2020, il paraît pertinent d’étudier, dans ce calendrier, une adaptation éventuelle des seuils de population permettant à ceux-ci d’établir un budget unique des services de distribution d’eau potable et d’assainissement.
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Filleul.
M. Jean-Jacques Filleul. Madame la secrétaire d’État, la piste que vous tracez est très intéressante, dans la perspective des transferts de compétences prévus à l’horizon de 2018 et de 2020.
Les collectivités territoriales peinent à entretenir deux budgets distincts. Sur le terrain, les services sont les mêmes, mais la répartition actuelle des agents et des matériels n’est pas pertinente.
L’évolution que vous suggérez réjouira, j’en suis persuadé, nombre de maires et de présidents de communauté de communes.
M. le président. Mes chers collègues, l’ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures vingt, est reprise à quatorze heures trente-cinq, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
M. le président. La séance est reprise.
6
Hommage à Claude Estier, ancien sénateur
M. le président. Messieurs les ministres, monsieur le président Jean-Pierre Bel, monsieur le président du groupe socialiste et républicain, cher Didier Guillaume, mes chers collègues, c’est avec beaucoup de tristesse que nous avons appris jeudi dernier – Daniel Vaillant m’en a personnellement informé – le décès du président Claude Estier, sénateur de Paris de 1986 à 2004. (Mmes et MM. les sénateurs, MM. André Vallini, secrétaire d'État chargé du développement et de la francophonie, Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement, et Jean-Marc Todeschini, secrétaire d'État chargé des anciens combattants et de la mémoire, se lèvent.)
Homme de courage et de conviction, entré adolescent dans la Résistance, plus tard fondateur et directeur de l’hebdomadaire l’Unité, un mot qui lui était cher, Claude Estier mena de front une double carrière de journaliste et d’homme politique de premier plan.
Fervent partisan de l’union de la gauche, il s’engagea aux côtés de François Mitterrand, qu’il suivit dans tous ses combats politiques, jusqu’à l’Élysée, et dont il pouvait s’honorer d’être l’ami, voire le confident.
Fidèle d’entre les fidèles, secrétaire général de la Convention des institutions républicaines, il joua l’un des premiers rôles au congrès d’Épinay, en 1971, pour la renaissance du parti socialiste.
Tour à tour député à l’Assemblée nationale, député européen, sénateur, il trouva dans chacun des mandats qu’il exerça le prolongement naturel de son engagement militant de toujours pour les valeurs de sa famille politique et, au-delà, de la République.
Au Palais-Bourbon, il présida de 1983 à 1986 la commission des affaires étrangères, où il fit partager sa parfaite connaissance des questions internationales, acquise au fil de ses nombreux déplacements aux « quatre coins du monde ».
Cette inclination pour les enjeux diplomatiques restera au cœur des dix-neuf années qu’il passa ensuite au sein du Sénat. Il y fut ainsi tout naturellement membre de la commission des affaires étrangères, où plusieurs rapports importants lui furent confiés, vice-président de la délégation sénatoriale pour l’Union européenne, où il suivit comme rapporteur le processus d’adhésion de la Hongrie à l’Union européenne, membre de la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires et, enfin, président du groupe d’amitié France-Algérie et vice-président du groupe d’amitié France-Russie.
Comme président du groupe d’amitié France-Algérie, il se fit l’avocat inlassable de son projet de toujours de refondation d’une nouvelle relation avec ce pays, tant il avait su tisser un lien particulier avec ses amis algériens, ayant vécu de près les heures tragiques du début des années soixante et suivi avec inquiétude celles du terrorisme islamique. Pour avoir effectué une visite officielle dans ce pays à l’automne dernier, je puis témoigner qu’il était présent dans la mémoire de nombre d’Algériens.
En 1988, à la suite de la nomination d’André Méric au secrétariat d’État aux anciens combattants, il est élu à l’unanimité président du groupe socialiste du Sénat. Il dirige avec pondération et le souci constant de la communication un groupe politique en expansion, qui montre la voie en se rajeunissant et en se féminisant.
Très attaché au bicamérisme, il prend une part active à la réflexion sur la rénovation du Sénat et insiste, parmi ses préoccupations, sur la nécessité d’une présence renforcée de ses collègues dans les débats en commission et en séance publique…
Ses multiples responsabilités ne l’éloignent pas pour autant de son « territoire », le XVIIIe arrondissement de Paris –car il y a aussi des « territoires » dans la ville capitale –, où il fait partie de ce que l’on a appelé la « bande des quatre », avec Lionel Jospin, Bertrand Delanoë et Daniel Vaillant.
À la fin du mandat sénatorial de Claude Estier, c’est Jean-Pierre Bel qui prend les rênes d’un groupe socialiste en pleine progression, avec l’avenir que chacun sait…
Épris de liberté, homme d’écriture et de presse autant que chroniqueur de l’histoire du parti socialiste, on pouvait souvent le croiser dans notre belle bibliothèque, ou près de son bureau du deuxième étage du 26, rue de Vaugirard, non loin de la photocopieuse… Pendant près de trois ans, j’ai ainsi été son voisin de bureau. Nous avions fréquemment l’occasion de nous saluer et d’échanger.
Toujours la plume au poing, il avait refusé la retraite pour revenir à sa première vocation, celle de journaliste, avec un quatorzième ouvrage consacré à ses mémoires et intitulé J’en ai tant vu, qu’il publia en 2008 et où il nous apparaît tel qu’en lui-même : engagé dans tous les combats de son siècle, sur le plan tant national qu’international.
Ceux qui ont eu la chance de le connaître peuvent en témoigner, Claude Estier savait faire preuve d’un humour parfois mordant et d’une énergie passionnée. Il était un débatteur de premier ordre. Ses joutes oratoires avec Charles Pasqua résonnent encore dans les mémoires de ceux qui ont connu cette époque.
En ces temps de doute, d’interrogations, de repli, je voudrais citer l’une de ses dernières interventions, qui fut pour rappeler les promesses de l’Europe et que nous pouvons tous, me semble-t-il, partager, quelle que soit notre appartenance politique :
« J’appartiens à une génération qui a connu les débuts de la construction européenne : elle apparaissait alors, au lendemain des déchirements de la Seconde Guerre mondiale, comme une utopie. À partir de la réconciliation franco-allemande, le projet des pères fondateurs a connu tantôt des avancées, tantôt des reculs. Mais, au total, quel chemin parcouru depuis cinquante ans ! Cela n’a été possible que parce que la force des idées et des convictions a été plus forte que tous les obstacles. » Ces propos méritent aujourd'hui une réflexion collective.
Claude Estier était un grand républicain, qui souhaita réaffirmer, peu avant de quitter cet hémicycle, son attachement à « la valeur de la laïcité, l’un des principes fondateurs de notre République ».
Au nom du Sénat tout entier, je veux présenter à son épouse nos condoléances les plus attristées et assurer sa famille, ses proches et les membres du groupe socialiste et républicain de notre sincère compassion.
C’était un grand socialiste, un grand parlementaire. Je vous propose d’observer un moment de recueillement en la mémoire de celui qui fut aussi un grand journaliste et un grand militant. Quelle que soit la formation politique à laquelle nous appartenons, les valeurs militantes font partie des valeurs essentielles qui nous construisent et nous permettent, en ces temps de doute, de croire au destin, au rôle et à la place du politique. (Mmes et MM. les sénatrices et les sénateurs, ainsi que MM. les membres du Gouvernement, observent un moment de recueillement.)
La parole est à M. le secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement.
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le président, le Gouvernement s’associe pleinement à l’hommage que vous venez de rendre à Claude Estier. Vous avez raison de souligner combien il a été un grand parlementaire. En particulier, il a joué un rôle éminent au sein de cette assemblée. Il était un homme dont la stature, l’engagement et l’humanité lui permettaient de faire rayonner ses idées bien au-delà de sa formation politique et de ses fonctions.
Claude Estier a eu une action éminente, notamment en matière internationale, en tant que parlementaire et en tant que militant. Au-delà, je ne peux pas ne pas souligner la force de sa personnalité, la puissance considérable de son engagement, depuis l’époque de la Résistance et tout au long de sa vie, notamment durant toutes ces années où la gauche était en difficulté, divisée. Il a alors œuvré pour l’unité de la gauche et pour le rayonnement intellectuel de celle-ci, notamment en tant que journaliste : il remettait les choses en perspective, ce qui ne l’empêchait pas d’être aussi un polémiste, tout en gardant le sens de la mesure.
Il a été un responsable de premier plan du parti socialiste. Le mot qui vient spontanément à l’esprit lorsque l’on évoque Claude Estier, c'est celui de fidélité : il a été fidèle à ses idées, bien sûr, mais aussi, de façon tout à fait exemplaire et remarquable, à François Mitterrand, depuis les années soixante et la Convention des institutions républicaines jusqu’à ses derniers moments.
Claude Estier a toujours eu le souci du rassemblement, de l’unité et de la fidélité. Son humanité nous a toutes et tous profondément marqués.
M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à quatorze heures cinquante, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M. Jean-Claude Gaudin.)
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Claude Gaudin
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
7
Conventions internationales
Adoption en procédure d’examen simplifié de quatre projets de loi dans les textes de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle l’examen de quatre projets de loi tendant à autoriser la ratification ou l’approbation de conventions internationales.
Pour ces quatre projets de loi, la conférence des présidents a retenu la procédure d’examen simplifié.
Je vais donc les mettre successivement aux voix.
projet de loi autorisant l’approbation de l’accord relatif au site technique de l’agence européenne pour la gestion opérationnelle des systèmes d’information à grande échelle au sein de l’espace de liberté, de sécurité et de justice entre le gouvernement de la république française et l’agence européenne pour la gestion opérationnelle des systèmes d’information à grande échelle au sein de l’espace de liberté, de sécurité et de justice
Article unique
Est autorisée l’approbation de l’accord relatif au site technique de l’Agence européenne pour la gestion opérationnelle des systèmes d’information à grande échelle au sein de l’espace de liberté, de sécurité et de justice entre le Gouvernement de la République française et l’Agence européenne pour la gestion opérationnelle des systèmes d’information à grande échelle au sein de l’espace de liberté, de sécurité et de justice (ensemble deux annexes), fait à Bruxelles le 5 décembre 2013, et dont le texte est annexé à la présente loi.
M. le président. Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi autorisant l’approbation de l’accord relatif au site technique de l’Agence européenne pour la gestion opérationnelle des systèmes d’information à grande échelle au sein de l’espace de liberté, de sécurité et de justice entre le Gouvernement de la République française et l’Agence européenne pour la gestion opérationnelle des systèmes d’information à grande échelle au sein de l’espace de liberté, de sécurité et de justice (projet n° 106 [2014-2015], texte de la commission n° 456, rapport n° 455).
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées est favorable à l’adoption de ce texte.
(Le projet de loi est adopté.)
projet de loi autorisant l’approbation de l’amendement à la convention sur la future coopération multilatérale dans les pêches de l’atlantique du nord-ouest du 24 octobre 1978
Article unique
Est autorisée l’approbation de l’amendement à la convention sur la future coopération multilatérale dans les pêches de l’Atlantique du Nord-Ouest du 24 octobre 1978 (ensemble deux annexes), adopté à Lisbonne le 28 septembre 2007, et dont le texte est annexé à la présente loi.
M. le président. Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi autorisant l’approbation de l’amendement à la convention sur la future coopération multilatérale dans les pêches de l’Atlantique du Nord-Ouest du 24 octobre 1978 (projet n° 212 [2014-2015], texte de la commission n° 450, rapport n° 449).
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées est favorable à l’adoption de ce texte.
(Le projet de loi est adopté.)
projet de loi autorisant l’approbation de l’accord sous forme d’échange de lettres entre le gouvernement de la république française et le gouvernement du royaume-uni de grande-bretagne et d’irlande du nord (ensemble un règlement transférant la compétence de régulation économique ferroviaire de la commission intergouvernementale aux organismes de contrôle nationaux, établissant les principes de la coopération entre ceux-ci et portant établissement d’un cadre de tarification pour la liaison fixe transmanche, et une annexe)
Article unique
Est autorisée l’approbation de l’accord sous forme d’échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord relatif au règlement concernant la liaison fixe transmanche (ensemble un règlement transférant la compétence de régulation économique ferroviaire de la Commission intergouvernementale aux organismes de contrôle nationaux, établissant les principes de la coopération entre ceux-ci et portant établissement d’un cadre de tarification pour la liaison fixe transmanche, et une annexe), signées à Paris le 18 et le 23 mars 2015, et dont le texte est annexé à la présente loi.
M. le président. Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi autorisant l’approbation de l’accord sous forme d’échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord (ensemble un règlement transférant la compétence de régulation économique ferroviaire de la commission intergouvernementale aux organismes de contrôle nationaux, établissant les principes de la coopération entre ceux-ci et portant établissement d’un cadre de tarification pour la liaison fixe transmanche, et une annexe) (projet n° 173 [2014-2015], texte de la commission n° 454, rapport n° 453).
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées est favorable à l’adoption de ce texte.
(Le projet de loi est adopté.)
projet de loi autorisant l’approbation de la convention d’entraide judiciaire en matière pénale entre le gouvernement de la république française et le gouvernement de la république du pérou
Article unique
Est autorisée l’approbation de la convention d’entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Pérou, signée à Paris le 15 novembre 2012, et dont le texte est annexé à la présente loi.
M. le président. Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant l’approbation de la convention d’entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Pérou (projet n° 352, texte de la commission n° 452, rapport n° 451).
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées est favorable à l’adoption de ce texte.
(Le projet de loi est adopté définitivement.)
8
OTAN : protocole sur le statut des quartiers généraux militaires internationaux
Adoption en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi autorisant l’accession de la France au protocole sur le statut des quartiers généraux militaires internationaux créés en vertu du traité de l’Atlantique Nord (projet n° 286, texte de la commission n° 458, rapport n° 457).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d’État.
M. André Vallini, secrétaire d’État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé du développement et de la francophonie. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, de la défense nationale et des forces armées, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je viens aujourd’hui vous présenter, au nom du Gouvernement, le projet de loi autorisant l’accession de notre pays au protocole sur le statut des quartiers généraux militaires internationaux créés en vertu du traité de l’Atlantique Nord, communément appelé « protocole de Paris ».
Laissant de côté les polémiques, je souhaite évoquer devant vous les faits et la réalité de ce texte, qui est avant tout technique puisqu’il définit le cadre juridique applicable aux quartiers généraux de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord, l’OTAN, ou reconnus par cette organisation, ainsi qu’aux officiers et soldats issus de pays alliés qui y servent.
Je le dis donc d’emblée : le protocole de Paris n’affecte en rien le positionnement de la France au sein de l’OTAN, pas plus qu’il ne porte atteinte à l’autonomie et à l’indépendance de notre politique de défense ou à la souveraineté de notre pays.
Revenons un instant sur l’histoire de ce texte, qui nous éclaire sur sa réelle portée.
La France fut, vous le savez, l’un des signataires originels de ce protocole, le 28 août 1952, texte auquel notre capitale a d’ailleurs donné son nom. Le protocole de Paris fut ensuite dénoncé par la France, le 30 mars 1966, lorsque notre pays décida, sur l’initiative du général de Gaulle, de quitter la structure de commandement intégré de l’OTAN.
Le protocole de Paris est indissociablement lié à la participation à la structure de commandement intégré de l’OTAN. Il en constitue en effet la traduction juridique et administrative ; j’y reviendrai ultérieurement.
Un précédent gouvernement ayant pris en 2009, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, la décision de réintégrer la structure de commandement intégré, une nouvelle accession de la France au protocole de Paris est très vite devenue un développement logique et nécessaire.
Tous les membres de l’OTAN sont parties à ce protocole. La France, elle, a recommencé à accueillir du personnel de l’OTAN dans ses quartiers généraux militaires sans que ces structures et les personnes qui y servent ne bénéficient d’un statut international. À l’inverse, tous les quartiers généraux de l’OTAN ou reconnus par elle et implantés dans les pays alliés bénéficient d’un même statut unifié et homogène.
Quel est le résultat de ce décalage ? Aujourd’hui, les officiers alliés que nous accueillons dans nos structures sont parfois confrontés à de nombreuses difficultés administratives, juridiques et financières, du fait de l’absence de statut harmonisé, difficultés auxquelles ils ne sont pas confrontés dans les autres pays de l’Alliance et auxquelles nos propres officiers en poste dans les structures de nos alliés ne sont pas non plus confrontés, puisqu’ils bénéficient du statut défini par le protocole de Paris.
Cette situation se traduit par des tracasseries bureaucratiques, par un défaut d’attractivité et par une moindre visibilité de nos structures militaires, qui constituent pourtant des relais d’influence précieux auprès de nos alliés et de l’OTAN.
Par conséquent, des travaux interministériels ont été engagés en 2014 en vue de préparer une nouvelle accession de la France au protocole de Paris. La France a ensuite saisi le Conseil de l’Atlantique Nord, qui, le 21 janvier 2015, a approuvé à l’unanimité la demande d’accession française.
Quel est l’objet du protocole de Paris ?
En dépit de la relative technicité de ses dispositions, il est en réalité très simple : il étend l’application de la convention entre les États parties au traité de l’Atlantique Nord sur le statut des forces, dite « SOFA OTAN », signée à Londres le 19 juin 1951, aux quartiers généraux interalliés créés en vertu du traité de l’Atlantique Nord ou aux « organismes militaires internationaux », ainsi qu’à leurs personnels civils et militaires.
La France est partie au SOFA OTAN depuis l’origine et sans discontinuer puisque, je le rappelle, elle n’a jamais quitté l’OTAN. Ce texte détermine le statut des forces armées des parties lorsque celles-ci se trouvent en service sur le territoire métropolitain d’une autre partie.
Le protocole de Paris s’applique, quant à lui, aux « quartiers généraux suprêmes » de l’OTAN, ainsi qu’à « tout quartier général militaire international créé en vertu du traité de l’Atlantique Nord et directement subordonné à un quartier général suprême ». Il n’existe en fait que deux quartiers généraux suprêmes, et aucun n’est en France : le commandement allié opérations, situé à Mons, en Belgique, et le commandement allié transformation, commandé par notre compatriote le général Denis Mercier et sis à Norfolk, aux États-Unis. Il n’y a pas non plus de quartier général militaire international subordonné à un quartier général suprême sur le territoire français ni de projet d’en installer un.
Toutefois, l’article 14 du protocole de Paris prévoit également – c’est cette disposition qui nous intéresse aujourd'hui principalement – que le Conseil de l’Atlantique Nord peut décider d’appliquer tout ou partie des stipulations du protocole à tout « quartier général militaire international » ou à toute « organisation militaire internationale » n’entrant pas dans les définitions de l’article 1er du protocole de Paris. Concrètement, cela signifie qu’un État membre de l’OTAN peut demander au Conseil de l’Atlantique Nord, qui statue à l’unanimité, l’activation d’une de ses structures militaires, afin de lui voir appliquer les dispositions du protocole.
Pour ce qui concerne la France, comme le détaille l’étude d’impact qui accompagne le projet de loi, un certain nombre de structures ont été identifiées comme pouvant bénéficier, si la France le décide, des dispositions du protocole de Paris.
Par leur nature, les stipulations du protocole correspondent largement à celles qu’a établies le SOFA OTAN.
Ainsi, le protocole prévoit, premièrement, des dispositions relatives au privilège de juridiction : les pouvoirs de juridiction en matière pénale et disciplinaire dévolus à l’État d’origine par le SOFA OTAN sont conférés, s’agissant des personnels affectés dans les quartiers généraux, aux autorités de l’État dont la loi militaire peut s’appliquer à la personne intéressée.
Deuxièmement, le protocole contient des dispositions ayant trait au règlement des dommages : les stipulations du SOFA OTAN relatives aux dommages causés ou subis par des membres des forces sont rendues applicables aux employés des quartiers généraux.
Troisièmement, en matière d’exonérations fiscales et douanières, les personnels seront exonérés d’impôt dans l’État d’accueil au titre des traitements et émoluments payés par la force armée à laquelle ils appartiennent ou par laquelle ils sont employés, mais restent imposables par le pays dont ils ont la nationalité. En outre, les quartiers généraux sont exonérés sur le territoire des États parties des droits et taxes afférents aux dépenses qu’ils supportent pour leur avantage officiel et exclusif.
Quatrièmement, le protocole de Paris confère aux quartiers généraux suprêmes la capacité juridique – c’est l’objet de l’article 10. Celle-ci leur permet notamment de contracter, d’acquérir ou d’ester en justice, soit pour eux-mêmes, soit pour tout quartier général subordonné autorisé par eux.
Cinquièmement, le protocole prévoit que les archives et autres documents officiels d’un quartier général interallié conservés dans les locaux de ce QG ou détenus par tout membre de ce QG sont inviolables, sauf dans le cas où ce dernier renonce à cette immunité.
Quel est l’intérêt, pour notre pays, d’accéder de nouveau au protocole de Paris ? Il s’agit non pas d’accueillir de nouveaux quartiers généraux de l’OTAN sur notre sol, mais bien de valoriser les structures, nationales ou multinationales, qui y sont déjà présentes. L’accession de la France au protocole de Paris nous permettrait ainsi de corriger une anomalie, administrative et juridique, qui, aujourd’hui, nous pénalise et n’est pas comprise par nos partenaires. En effet, l’application de ses dispositions aux QG situés sur le territoire français entraînera une simplification et une harmonisation des règles et procédures administratives liées à l’accueil du personnel de l’OTAN, à laquelle nos alliés se montrent particulièrement sensibles.
En favorisant l’accès à ces entités à davantage de personnels, notamment étrangers, l’accession de la France au protocole de Paris contribuera à promouvoir des activités économiques sur le territoire national et à valoriser nos propres structures militaires parmi nos alliés.
Voilà la réalité du protocole de Paris, bien loin des analyses trop rapides qui ont tendu à conférer à ce texte une portée qu’il n’a pas.
Les faits sont là : en aucun cas le protocole de Paris n’affecte ni ne remet en cause les conditions que notre pays avait fixées lors de sa réintégration de la structure de commandement intégré de l’OTAN, en 2009 ; en aucun cas il ne traduit un infléchissement de notre position au sein de l’OTAN, où la France continuera, bien sûr, de faire entendre la voix d’un allié loyal, solidaire, mais indépendant ; en aucun cas il n’amoindrit nos ambitions pour l’Europe de la défense, que la France souhaite toujours plus forte et plus substantielle ; en aucun cas il ne porte atteinte à l’autonomie et à l’indépendance de notre politique de défense et à la souveraineté de notre pays.
C’est pour toutes ces raisons que je vous invite, au nom du Gouvernement, à juger ce protocole pour ce qu’il est, et seulement pour cela : un développement pratique et logique de la décision de réintégrer la structure de commandement de l’OTAN, qui permettra à la France de renforcer son influence au sein de l’Alliance, en proposant un cadre attractif et cohérent à nos partenaires pour l’accueil de leurs personnels au sein de certaines structures militaires françaises.
Telles sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les principales observations qu’appelle le protocole sur le statut des quartiers généraux militaires internationaux créés en vertu du traité de l’Atlantique Nord, qui fait l’objet du projet de loi aujourd'hui soumis à votre vote. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur quelques travées du RDSE et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jacques Gautier, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, veuillez m’excuser si mes propos sont souvent redondants avec ceux que vient de tenir M. le secrétaire d'État, dont je partage les analyses.
L’accession de la France au protocole de Paris n’est que la suite logique du retour de la France dans la structure du commandement intégré de l’OTAN, en 2009.
En 1966, sous la présidence du général de Gaulle, la France, pays cofondateur de l’OTAN, se retire du commandement militaire intégré et dénonce le protocole de Paris, ce qui entraîne le départ de 57 000 soldats et employés américains de notre pays et le déménagement en Belgique du grand quartier général des puissances alliées en Europe, qui était jusqu’alors basé à Rocquencourt. La France garde une position particulière : elle est membre de l’Alliance, mais ne met plus de forces à disposition de l’OTAN.
Après un rapprochement entamé au début des années quatre-vingt-dix, la France reprend place au sein du commandement intégré de l’OTAN en avril 2009, à des conditions sur lesquelles je reviendrai.
Symbole de sa place pleine et entière dans le commandement intégré, la France a obtenu l’un des deux commandements stratégiques, avec le poste de commandant suprême allié pour la transformation : après le général Stéphane Abrial et le général Jean-Paul Paloméros, c’est aujourd'hui le général Denis Mercier qui assure cette fonction.
Chacun se souvient des questionnements qui ont accompagné cette réintégration. Pour y répondre, le Président de la République avait demandé à Hubert Védrine, après la dernière élection présidentielle, de réaliser un rapport. Ce rapport, réservé sur la réalité de l’avenir de la défense européenne, approuvait le retour de notre pays au sein du commandement intégré. Depuis, la politique française s’est inscrite dans cette orientation, que l’on retrouve au travers du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2013.
Venons-en maintenant au protocole de Paris.
Composé de seize articles, le projet de loi qui nous est soumis est un accord avant tout administratif et technique, qui définit le cadre juridique du stationnement des quartiers généraux militaires interalliés de l’OTAN et accorde une couverture juridique à leurs personnels. L’adopter, ce n’est pas faire un pas de plus vers l’OTAN : ce n’est que la conséquence logique de notre réintégration. En effet, ce protocole ne modifie en rien les conditions posées par la France à son retour dans les structures de commandement intégré, qui sont essentiellement les suivantes : la préservation d’une liberté d’appréciation totale pour la contribution de la France aux opérations de l’OTAN, le maintien de notre indépendance nucléaire et la garantie qu’aucune force française ne serait placée en permanence sous un commandement de l’OTAN en temps de paix. J’ajoute que nous ne voulons pas payer pour ce qui a été décidé avant notre retour au sein du commandement intégré.
Les quartiers généraux et leurs personnels se voient conférer une grande partie des droits et obligations que la convention dite « SOFA – status of forces agreement – OTAN » ratifiée par la France en 1952 confère aux États d’origine et à leurs forces lorsque celles-ci séjournent en France.
L’application du protocole facilitera la vie quotidienne des personnels militaires et civils envoyés par les autres pays de l’Alliance dans les quartiers généraux situés en France, ainsi que celle des personnes à leur charge, en leur octroyant notamment les traditionnels privilèges diplomatiques en matière de juridictions, d’exonérations fiscales ou douanières et le bénéfice des règles protectrices concernant les dommages commis ou subis, c’est-à-dire, en fait, en leur donnant les mêmes droits que ceux dont disposent les militaires français travaillant dans les quartiers généraux de l’OTAN. Aujourd’hui, l’accueil de ces personnels étrangers se fait sur la base d’arrangements techniques qui offrent moins de sécurité juridique et d’harmonisation.
Signalons que seuls 240 militaires issus des pays membres de l’OTAN sont actuellement affectés en France et seraient donc susceptibles de bénéficier de l’application du protocole de Paris.
La ratification du protocole facilitera aussi la résolution des difficultés que rencontrent aujourd’hui les conjoints des militaires français affectés dans les QG de l’OTAN. Par exemple, les Américains sont moins enclins à autoriser le travail du conjoint d’un militaire français basé à Norfolk que celui du conjoint de n’importe quel autre militaire dont le pays a ratifié le protocole. Le protocole marque donc une avancée sur ce plan.
L’accession à ce protocole simplifiera également le travail des personnels de l’OTAN appelés à venir ponctuellement sur le territoire français en dehors des exercices déjà couverts par le SOFA OTAN. Les difficultés rencontrées pour l’organisation à Paris, en 2014, d’un séminaire de l’OTAN, à propos de simples questions de droits de douane et de TVA dont le ministère de la défense et Bercy avaient une vision différente, n’ont pas donné une image positive de notre pays. La ratification du protocole apportera une solution.
Elle améliorera aussi le fonctionnement des quartiers généraux, en les dotant de la capacité juridique, en leur octroyant des exonérations fiscales et douanières ainsi que la possibilité de détenir des devises et d’avoir des comptes dans n’importe quelle monnaie, en simplifiant les règles applicables au foncier et en garantissant – c’est la moindre des choses – l’inviolabilité des archives. De fait, le champ d’application du protocole restera limité, puisqu’il n'y a actuellement, en France, aucun des quartiers généraux répondant à la définition figurant à l’article 1er du protocole, à savoir le SHAPE de Mons, le quartier général du commandement allié transformation de Norfolk, les commandements des forces interarmées de Brunssum et de Naples, ainsi que les commandements alliés aérien de Ramstein, maritime de Northwood et terrestre d’Izmir.
L’article 14 permet au Conseil de l’Atlantique Nord d’étendre le champ d’application du protocole, à la demande du pays hôte et sous réserve de l’unanimité du Conseil, à tout quartier général ou organisation militaire internationale. À ce titre, dans le futur, la France pourrait demander à bénéficier d’une décision dite « d’activation » pour les quartiers généraux du corps de réaction rapide-France de Lille, du corps de réaction rapide européen de Strasbourg, de l’état-major de la force aéromaritime française de réaction rapide de Toulon et pour le centre d’analyse et de simulation pour la préparation aux opérations aériennes de Lyon-Mont Verdun. Cette liste est limitative, et il n’est pas certain que nous solliciterons ces agréments.
Peut-être pourra-t-on enfin créer un centre d’excellence certifié OTAN pour valoriser l’expertise, par exemple, du service des essences des armées, car, sur vingt-quatre centres d’excellence OTAN, il n’y en a pour l’instant qu’un seul en France. En effet, il est plus simple pour les alliés de s’installer dans des pays ayant signé le protocole.
En conclusion, je recommande l’adoption de ce texte.
L’accession au protocole de Paris simplifiera la vie des personnels étrangers dans les quartiers généraux situés sur le territoire national et permettra d’harmoniser les statuts, ce à quoi nos alliés sont très attentifs. Comme M. le secrétaire d'État l’a rappelé, l’attractivité de la France devrait s’en trouver renforcée et, au-delà, son influence au sein de l’OTAN. La réadhésion à ce protocole ne porte aucunement atteinte à la règle du contrôle politique permanent de l’emploi des forces françaises, puisque le placement des quartiers généraux sous commandement de l’OTAN ne pourra résulter que d’une décision politique française.
Enfin, il est normal que la France, qui est le troisième contributeur au budget de l’OTAN, puisse avoir les moyens d’exercer pleinement son influence. En 2014, la participation française s’est élevée à 211 millions d’euros. Même lorsque nous n’étions plus présents au sein du commandement militaire intégré, nous versions cette contribution. Désormais, nous avons les moyens d’agir et de peser, nous faisons partie des organes décisionnels de l’OTAN, nous participons aux structures intégrées de commandement, nous détenons le poste de commandant suprême allié transformation. Nous avons pesé sur la réduction du nombre des agences de l’OTAN, qui était trop élevé. Cela a permis de diminuer les coûts.
Cette influence de la France est mesurable et quantifiable. Dans le cadre du projet Smart Defence de l’OTAN, 12 % des commandes ont échu à des groupes industriels français : ce pourcentage est plus élevé que notre part au budget de l’OTAN.
En réalité, ce texte est un texte d’adaptation d’un SOFA, comme nous en signons régulièrement avec de nombreux pays. N’empêchons pas nos partenaires allemands, italiens, britanniques, belges et, plus rarement, américains de venir travailler dans les commandements français en ayant une couverture juridique, administrative et fiscale identique à celle dont bénéficient les Français en poste dans les quartiers généraux de l’OTAN situés à l’étranger. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et républicain et du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Leila Aïchi.
Mme Leila Aïchi. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, l’accession de la France au protocole de Paris qui nous occupe aujourd’hui s’inscrit dans la continuité du retour de notre pays dans le commandement militaire intégré de l’OTAN en 2009.
Ce protocole a pour objet de clarifier le statut juridique des quartiers généraux militaires interalliés situés sur le territoire français, d’assurer une couverture juridique aux personnels militaires et civils et de préciser les garanties et privilèges dont ils bénéficient.
Depuis 2009, la France accueille de nouveau du personnel de l’OTAN dans ses quartiers généraux militaires : il s’agit de combler le vide juridique né de cette situation, au travers de dispositions similaires à celles qui régissent le fonctionnement des organisations internationales. Nous admettons la nécessité d’un tel processus, afin de clarifier et d’encadrer le statut de ces quartiers généraux.
Toutefois, si un tel accord technique ne pose pas de difficulté particulière, c’est la stratégie de fond qui le sous-tend qui nous interpelle. En effet, ce protocole vient valider un peu plus le choix politique et stratégique opéré par la France lors de sa réintégration en 2009.
Alors que le lancement et la promotion d’une politique européenne de sécurité et de défense étaient une condition informelle de notre retour au sein du commandement militaire intégré de l’OTAN, force est de constater que la défense européenne fait encore aujourd’hui cruellement défaut. Nous en avons encore eu récemment la preuve en Syrie, où la France s’est particulièrement exposée, en intervenant seule en première ligne.
Plus encore, à propos de la Syrie, s’est posée la question de l’absence de convergence des intérêts des membres de l’organisation, qui a mené – nous ne pouvons le nier – à une réelle paralysie.
La défense de l’Union européenne est aujourd’hui clairement déléguée à l’OTAN, au travers de l’adhésion et de la participation de la plupart de ses membres à ce système d’alliance. Or l’Union européenne se doit d’assumer les responsabilités incombant à un acteur politique et économique de son rang. Il ne peut revenir aux États-Unis de protéger les Européens contre l’éventualité tragique d’une guerre, ni de présider aux choix européens en matière de défense.
Mes chers collègues, je n’ai de cesse de rappeler devant vous l’importance que l’Europe se comporte en acteur stratégique autonome mettant le poids de son influence au service du système onusien de sécurité collective pour la prévention et la résolution des conflits. La défense européenne est une chance réelle à saisir, en particulier dans le contexte difficile que nous traversons.
Pour ce faire, nous devons impérativement réactualiser la stratégie européenne de sécurité, encourager l’élaboration d’un consensus politique en matière de défense, fixer des objectifs en matière de politiques de coopération sectorielles et poursuivre la création d’une base industrielle technologique et de défense européenne.
Si nous reconnaissons que l’OTAN est une des seules coalitions internationales au sein desquelles des armées ont réussi à travailler ensemble et à coopérer, nous pensons qu’elle est un frein réel et durable au projet européen.
Pour toutes ces raisons, monsieur le secrétaire d'État, le groupe écologiste s’abstiendra sur ce texte. (M. Yves Pozzo di Borgo applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Noël Guérini.
M. Jean-Noël Guérini. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, il nous est demandé aujourd’hui d’autoriser l’accession de la France au protocole sur le statut des quartiers généraux militaires internationaux créés en vertu du traité de l’Atlantique Nord.
Cet ordre du jour nous renvoie aux débats animés qui se sont déroulés en mars 2009, au moment de la réintégration de notre pays dans le commandement intégré de l’OTAN.
Personnellement, je reste persuadé que ce fut une erreur politique.
D’abord, cette réintégration vide de sens le projet de défense européenne.
Ensuite, elle place l’Europe et la France sous protectorat américain, ce qui nous engage souvent à participer aux guerres d’influence menées par les États-Unis.
Enfin, la participation de notre pays, troisième contributeur aux budgets de l’OTAN, s’élève à quelque 220 millions d’euros.
Ce sont là trois handicaps dont nous pouvons mesurer, hélas ! les conséquences.
Bien évidemment, le débat est clos… Mais il me semble nécessaire de replacer notre discussion dans ce contexte, car, sous une appellation aux allures martiales, on nous invite à pallier les lacunes d’une décision politique prise en son temps –autorisez-moi cette familiarité – « à la va-vite », « sur un coup de tête ».
Ce choix a été fait sans que l’on assure une sécurité juridique totale aux 240 personnels militaires et civils des autres pays membres de l’Alliance basés en France et aux quartiers généraux militaires interalliés installés sur notre territoire.
Permettez-moi, monsieur le secrétaire d'État, de vous poser une question simple et pragmatique : pourquoi n’a-t-on pas accordé l’accession à ce protocole lors de la discussion de cette décision ? C’eût été logique…
Si le Sénat avait été autorisé, conformément aux articles 49, alinéa 4, et 50-1 de la Constitution, à se prononcer sur la déclaration de politique générale traitant de la réintégration au sein de commandement intégré de l’OTAN, nous aurions conseillé à l’exécutif alors en place de conforter juridiquement sa décision politique.
Monsieur le secrétaire d'État, nonobstant ma position, je vous remercie du respect que vous témoignez à ces personnels et vous indique que je voterai en faveur de l’adoption de ce texte, tout comme treize de mes collègues du RDSE, les trois autres s’abstenant.
Mais cet accord n’est pas un chèque en blanc… Pour préciser ma pensée, j’oserai m’approprier une maxime gaullienne qui ne manquera pas de faire sourire malicieusement mes collègues bucco-rhodaniens et, au-delà, tous ceux qui connaissent la devise des Baux-de-Provence : « allié mais pas vassal ». (Sourires.)
Je réaffirme donc avec fermeté les positions fondamentales qui me tiennent à cœur s’agissant de la défense antimissiles balistiques, qui « doit être complémentaire et non substituable », comme l’a rappelé le Président de la République lors du vingt-troisième sommet de l’OTAN, en mai 2012, et des intérêts militaro-industriels de l’Union européenne et de la France, que nous devons protéger.
Protégeons ce que nous sommes, protégeons les intérêts de la France. C’est aussi cela qu’attendent les Français : de la cohérence, de l’ambition et un cap pour l’avenir. (Applaudissements sur les travées du RDSE. – Mme Mireille Jouve applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Yves Pozzo di Borgo. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.)
M. Yves Pozzo di Borgo. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le présent texte est une mesure de conséquence du retour de la France au sein du commandement intégré de l’OTAN, que j’avais approuvé. En tant que tel, il appelle en réalité peu de développements. C’est pourtant bien dommage, car nous ne pouvons plus faire l’économie d’une réflexion globale sur le rôle de l’OTAN en Europe et dans le monde contemporain.
L’OTAN a été créée pendant la guerre froide, pour la guerre froide. C’était un outil de lutte et de dissuasion contre l’URSS et, maintenant que celle-ci a disparu, l’OTAN demeure comme une alliance privée d’adversaire et a tendance à s’en créer d’artificiels. À ce titre, il est insuffisant de dire que, à l’heure actuelle, l’OTAN est un outil privilégié de sécurité collective dans la société internationale.
Son fonctionnement n’est pas satisfaisant, quoi qu’en disent M. le secrétaire d'État et M. le rapporteur. Il demeure encore resserré autour de quatre pays anglo-saxons, ceux qu’on appelle les « four eyes » : le Canada, l’Australie, la Grande-Bretagne et, bien évidemment, les États-Unis. Autant le dire, l’OTAN repose principalement sur le commandement américain et, par voie de conséquence, sur le complexe militaro-industriel qui le sous-tend. Que pèsent la France et les autres pays européens dans cette architecture ? Bien peu de chose en fait.
Dans ces conditions, cette alliance est dotée dans son génome même d’un programme stratégique qui fait la part belle à des intérêts économiques bien compris outre-Atlantique, cela parfois au mépris de l’apaisement que demande la sécurité collective européenne.
À ce titre, l’Europe s’est signalée depuis deux ans comme l’un des nœuds les plus sensibles de l’arc de crise global. Le fonctionnement actuel de l’OTAN ne permet pas –au contraire même, dirais-je – d’apaiser la situation en Ukraine, au-delà du compromis, toujours fragile, de Minsk. Il ne permet pas non plus de déterminer une solution à la crise irako-syrienne, dans laquelle la Turquie, pourtant membre de l’Alliance, a pu jouer un rôle très ambigu.
Aussi avons-nous plus que jamais besoin de recentrer l’OTAN sur les problématiques européennes qui ont présidé à sa conception dès le traité de Bruxelles. L’OTAN ne saurait demeurer le véhicule d’une nostalgie de la guerre froide, mais doit devenir enfin le vecteur de sécurité en Europe qu’elle devrait être.
Nous devons avoir une véritable ambition, celle d’une OTAN européanisée. L’Alliance doit devenir l’une des deux jambes de la défense du continent européen avec, à ses côtés, une véritable défense européenne intégrée et autonome.
M. Jeanny Lorgeoux. Vous êtes un utopiste !
M. Yves Pozzo di Borgo. Équilibrer l’OTAN avec la défense européenne, c’est préserver l’autonomie stratégique et défensive de notre continent, c’est garantir la souveraineté des nations européennes.
Aussi ne puis-je que regretter que, à l’heure actuelle, l’Europe de la défense demeure un slogan. Son inexistence conduit de fait nos voisins européens à l’inertie et à confier leur sort à une défense exclusivement dominée par l’OTAN. Voyez les pays baltes, la Pologne, le prochain Livre blanc allemand. Or, tant que l’Alliance sera pilotée à titre principal par les États-Unis, cela n’aura aucun sens, et je crois vraiment qu’il est temps de nous ressaisir, du côté européen et français, sur cette question.
Des initiatives de haut niveau existent. La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sur l’initiative de son président, Jean-Pierre Raffarin, a récemment auditionné Thierry Breton sur la mise en place d’un fonds de financement d’une défense authentiquement européenne, proposition qui est d’une très grande intelligence. Je souhaite d’ailleurs que la commission des affaires européennes et la commission des finances du Sénat se saisissent de ce dossier.
Il nous incombe de nous doter de notre complexe militaro-industriel plutôt que de vivre dans la dépendance et sous l’autorité d’une puissance étrangère, fût-elle amie. Pensons aux drones ou à l’alerte avancée.
Pour ces raisons, et parce que je crois foncièrement à la nécessité de faire de l’OTAN une force plus européenne, je voterai à titre personnel contre ce texte : je n’ai pas de reproche de fond à formuler à son encontre, je ne vote pas non plus contre l’OTAN ; je vote simplement contre l’idée que l’OTAN, dans son fonctionnement actuel, serait l’horizon indépassable de la défense de notre continent, au détriment d’une véritable défense européenne. C’est une position symbolique, personnelle et pédagogique. En revanche, une grande partie des membres du groupe UDI-UC votera en faveur de l’adoption de ce projet de loi. (Applaudissements sur certaines travées de l'UDI-UC. – Mme Michelle Demessine et M. Robert Hue applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Michelle Demessine.
Mme Michelle Demessine. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui le projet de loi autorisant l’approbation d’une nouvelle adhésion de la France au protocole sur le statut des quartiers généraux militaires internationaux.
Il s’agit en effet d’une nouvelle adhésion, puisque ce protocole avait été dénoncé en 1966, lorsque la France du général de Gaulle s’était retirée du commandement militaire intégré de l’OTAN. C’est, bien sûr, dans le contexte bien particulier de la « guerre froide » entre les puissances occidentales et les pays rassemblés autour de l’Union soviétique. Je rappelle que le général de Gaulle était un allié loyal des États-Unis, mais qu’il souhaitait affirmer la souveraineté de la France et son autonomie stratégique par rapport à une organisation politico-militaire qu’il estimait inféodée à ceux-ci.
Le contexte géopolitique a bien entendu radicalement changé depuis cinquante ans, mais il faut avoir en mémoire ces éléments historiques pour comprendre la situation d’aujourd’hui et la démarche qui sous-tend cette réadhésion.
Accéder à nouveau à ce protocole pourrait sembler n’être qu’une formalité et une simple régularisation juridique, car c’est la conséquence logique de la décision prise par le Président Sarkozy, en 2009, de réintégrer pleinement la structure de commandement militaire de l’OTAN.
Il est vrai qu’il s’agit d’un texte technique qui ne pose pas beaucoup de problèmes en lui-même, puisque le protocole a avant tout pour objet de garantir un statut aux quartiers généraux et une couverture juridique aux personnels des pays alliés en poste en France.
L’exposé des motifs du projet de loi met l’accent sur la simplification de la vie des personnels étrangers dans les quartiers généraux situés sur le territoire national. En retour, l’attractivité de la France aux yeux des pays tiers s’en trouverait renforcée, ainsi que son influence au sein de l’OTAN.
Or j’estime que, dans le contexte géopolitique actuel, avec toutes les situations de crise dans lesquelles l’OTAN est directement ou indirectement impliquée, une telle adhésion revêt une signification particulière et une dimension qui va bien au-delà de ces avantages supposés. Accéder au protocole serait implicitement approuver les objectifs politiques d’une organisation dont nous considérons qu’elle n’a plus de raison d’être depuis la fin de la « guerre froide ».
Contre le gouvernement de François Fillon, nous avions présenté en 2009 une motion de censure qui condamnait cette réintégration dans le commandement militaire intégré de l’OTAN. Plus largement, cette motion dénonçait, selon l’expression de l’orateur du groupe socialiste de l’Assemblée nationale, « l’agressivité d’une alliance militaire qui se transforme en organisation politique de l’Occident ».
Les événements de ces dernières années ne sont pas de nature à nous faire changer d’avis. Au contraire, ils nous confortent dans notre analyse.
Pendant quelques années, l’OTAN s’est interrogée sur sa vocation et a tenté de définir un « nouveau concept stratégique », des officiers généraux français se trouvant d’ailleurs à la tête de cette réflexion.
Nous nous opposons fermement à un certain nombre de ses orientations stratégiques, et tout particulièrement à sa dangereuse politique d’élargissement et de renforcement de ses moyens, en direction de pays qui faisaient auparavant partie de la zone d’influence de l’ex-Union soviétique.
La crise ukrainienne en est une illustration. L’on a pu mesurer combien l’OTAN contribuait à attiser les tensions avec la Russie, quand la France et l’Allemagne cherchaient elles, au contraire, une solution politique.
Le dernier exemple concret de cette politique agressive a été fourni, en février dernier à Bruxelles, par la présentation aux membres de l’Alliance par le secrétaire d’État américain à la défense d’un plan dit de « réassurance européenne ». Celui-ci consiste principalement en un projet d’investissement de plus de 3 milliards de dollars destiné à renforcer, dans le cadre de l’OTAN, la présence américaine en Europe avec un prépositionnement de forces en Pologne et dans les États baltes.
C’est la mise en œuvre de ce type de projets que nous ne voulons aucunement faciliter. Il y a une contradiction majeure entre l’appartenance à cette organisation politico-militaire qui met principalement en œuvre des stratégies agressives et la volonté – tout au moins affichée – du Gouvernement de chercher d’abord des solutions politiques aux conflits.
Pour cet ensemble de raisons, le groupe communiste républicain et citoyen votera contre ce projet de loi autorisant l’accession de la France au protocole dit « de Paris ». (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Reiner.
M. Daniel Reiner. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous ratifions aujourd’hui une convention qui est, comme l’a dit Yves Pozzo di Borgo, la conséquence du retour de la France au sein de la structure intégrée de l’OTAN, c'est-à-dire du pilier militaire de l’Alliance atlantique.
C’est au cours du sommet de Strasbourg de 2009, à l’occasion du soixantième anniversaire de l’Alliance atlantique, que la France, par la voix de son Président, a annoncé sa volonté de réintégrer le commandement intégré de l’OTAN, qu’elle avait quitté le 30 mars 1966, sur la décision du général de Gaulle.
Faut-il rappeler ici que cette sortie s’inscrivait dans le contexte de l’époque, celle d’une France, nouvelle et jeune puissance nucléaire, qui souhaitait asseoir une certaine forme d’autonomie stratégique ? Cet acte d’affirmation politique à l’endroit des États-Unis a eu pour conséquence le retour de la pleine souveraineté française sur les installations militaires de l’Alliance sises sur son territoire national – on le sait bien en Lorraine, où ces installations étaient nombreuses –, ainsi que le transfert à Mons, en Belgique, du siège, installé d’abord au palais de Chaillot puis au palais de l’OTAN porte Dauphine, et du quartier général, alors à Rocquencourt.
Cependant, si la France s’est désengagée de la structure militaire, elle est restée solidaire de l’Alliance sur le plan politique, notamment à l’occasion de la crise des euromissiles. Quelque 200 officiers continuaient d’assurer la liaison entre les forces de l’Alliance et les forces françaises, notamment nos forces en Allemagne, sur le fondement de l’accord Ailleret-Lemnitzer de 1967. De même, elle a activement participé plus tard aux opérations de l’OTAN dans les Balkans, en Bosnie puis au Kosovo, dans le cadre des forces IFOR et KFOR. Elle était même le premier contributeur européen.
L’une des raisons avancées pour le retour de la France dans le commandement militaire intégré tenait au souci de peser au sein de l’OTAN d’un poids au moins équivalent à sa contribution financière, qui représente 11 % du budget total de cette organisation. Ainsi, et ce résultat n’est pas négligeable, elle a obtenu, à l’issue du sommet de Strasbourg, en 2009, l’un des deux commandements majeurs, celui de la transformation, sis à Norfolk.
De fait, ce sont 825 officiers français qui devraient évoluer aujourd’hui au sein des structures otaniennes. Assez paradoxalement, le rapport de 2012 de la Cour des comptes souligne l’incapacité de notre pays à pouvoir l’ensemble des postes qui lui sont réservés : ainsi, 150 ne sont pas pourvus.
Sur la demande du Président de la République, en 2012, après l’élection présidentielle, Hubert Védrine a fait un bilan de ce retour de la France et conclu qu’une « (re)sortie française du commandement intégré n’était pas une option ». Outre son coût politique, une telle démarche nous affaiblirait stratégiquement. Le débat est donc clos, quoi qu’en pensent certains.
Venons-en au texte qui nous est soumis aujourd’hui.
En quittant les structures intégrées en 1966, la France dénonçait par la même occasion le protocole de Paris, lequel « définit le cadre juridique du stationnement des organismes de l’OTAN et de leurs personnels au sein des pays de l’Alliance, en traitant particulièrement le cas des quartiers généraux » et assure, dans les « quartiers généraux militaires interalliés créés en vertu du traité de l’Atlantique Nord, une couverture juridique aux personnels militaires et civils stationnés ainsi qu’à leurs personnes à charge, et précise les garanties et privilèges dont ils bénéficieront – exonérations, protection juridictionnelle, règlement des dommages ».
En réintégrant la structure intégrée de l’Alliance, la France a naturellement recommencé à accueillir au sein de ses états-majors des personnels de l’OTAN sans qu’ils bénéficient d’un statut spécifique. Cette situation a d’ailleurs nécessité des arrangements juridiques, parfois bilatéraux, de circonstance et eu pour effet, il faut le dire, une attractivité moindre de la France sur ce plan, alors que l’interopérabilité avec nos partenaires est cruciale, puisque nous sommes engagés avec eux sur plusieurs théâtres.
De fait, la France a introduit devant le Conseil de l’Atlantique Nord une demande de réadhésion au protocole de Paris, approuvée à l’unanimité le 21 janvier 2015. Je m’étonne d’ailleurs, avec d’autres, que nous procédions aussi tardivement à cette démarche de normalisation.
Outre l’application du SOFA OTAN, le texte définit la qualification de quartier général international et de quartier général suprême, ainsi que le périmètre d’application des dispositions qui découlent du texte pour les forces armées, les éléments civils et les personnes à charge.
Les quartiers généraux bénéficieront de la personnalité juridique et de l’inviolabilité des documents et archives. Les personnels disposeront d’exonérations fiscales semblables à celles dont bénéficient les fonctionnaires des institutions internationales.
À titre d’exemple, le quartier général du corps de réaction rapide de Lille, certifié OTAN, et celui du corps de réaction rapide européen de Strasbourg, également certifié OTAN, pourraient bénéficier du présent accord.
Il en va de même du quartier général de l’état-major de la force aéromaritime française de réaction rapide, situé à Toulon, du Centre d’analyse et de simulation pour la préparation aux opérations aériennes de Lyon-Mont Verdun et de quelques autres structures françaises qui participent largement au maillage de l’Alliance.
Cet accord vise donc à harmoniser les statuts des personnels évoluant au sein des structures de l’Alliance et à assurer une cohérence juridique d’ensemble à l’échelle des États membres. Bien évidemment, le groupe socialiste votera en faveur de sa ratification. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. Jean-Marie Bockel applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Xavier Pintat.
M. Xavier Pintat. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, il me paraît important, cet après-midi, de bien repréciser le cadre de notre débat.
Soyons clairs, il ne s’agit pas de revenir sur un débat vieux de plus de sept ans : nous devons aujourd’hui nous prononcer sur le protocole de Paris, c’est-à-dire sur l’adoption d’un accord juridique encadrant la situation matérielle des personnels et des quartiers généraux militaires de l’OTAN.
Ce texte ne vise qu’à une harmonisation « logistique » de la réintégration de la France au sein du commandement intégré de l’OTAN, décidée en 2009.
Ainsi, l’accession de la France au protocole de Paris permettra d’assurer un statut aux quartiers généraux militaires interalliés créés en vertu du traité de l’Atlantique Nord et une couverture juridique aux personnels militaires et civils stationnés en France, ainsi qu’aux personnels à charge des quartiers généraux.
Les seize articles du projet de loi précisent les garanties dont les personnels bénéficieront, à savoir les exonérations fiscales ou douanières, les privilèges diplomatiques en matière de protection juridictionnelle ou encore les modalités relatives au règlement des dommages commis ou subis.
En réalité, la réaccession de la France au protocole de Paris, que nous avions signé en 1952, puis dénoncé en 1966, permettra une simplification et une sécurisation juridique de la vie quotidienne et administrative des personnels des quartiers généraux.
Enfin, le règlement des questions relatives aux droits de douane et à d’autres problèmes administratifs améliorera le fonctionnement de ces mêmes quartiers généraux. Rappelons qu’actuellement l’accueil des personnels étrangers se fait sur la seule base d’arrangements techniques présentant des fragilités juridiques évidentes.
À la lumière de tous ces éléments, notre groupe votera en faveur de l’adoption de ce texte.
À cet instant du débat, je souhaiterais revenir sur quelques points méritant d’être approfondis.
Tout d’abord, n’oublions pas que, entre 1966 et 2009, la France est restée l’un des premiers contributeurs de l’OTAN, financièrement et humainement. De ce fait, notre pays devait avoir les moyens de peser sur les choix stratégiques de cette organisation et d’infléchir la conduite d’opérations militaires sur le terrain.
À cet égard, je me réjouis que, depuis 2009, notre pays soit à la tête de l’un des deux commandements stratégiques. En effet, le général Mercier a succédé aux généraux Abrial et Paloméros à la tête du commandement suprême allié pour la transformation, le SACT, sis à Norfolk.
Comme j’ai pu le dire en commission des affaires étrangères, c’est la première fois depuis Lafayette qu’un général français commande des troupes américaines aux États-Unis : c’est un signe fort, symbolique et concret, alors même qu’aucune force française n’est placée en permanence sous un commandement de l’OTAN en temps de paix.
M. Jeanny Lorgeoux. N’oublions pas Rochambeau !
M. Xavier Pintat. Ni de Grasse !
Il me paraît ensuite important ne pas tomber dans un piège presque aussi vieux que l’Organisation en opposant défense européenne et OTAN. L’actualité, la réalité de l’Union européenne nous démontre que nos voisins et partenaires traînent les pieds et n’investissent pas, ou peu, dans la défense européenne. Qui, excepté la France et la Grande-Bretagne, dispose de capacités militaires complètes et intégrées ?
Là encore, regardons la réalité en face et ne reprochons pas à l’OTAN ce que les responsables européens rechignent eux-mêmes à faire par confort politique et budgétaire. Mes chers collègues, la vraie question est celle de la volonté politique des exécutifs nationaux de chacun des vingt-huit États européens.
À titre personnel, je pense que si un débat devait être organisé à l’occasion d’un Conseil européen de la défense, il devrait porter sur la question de savoir comment européaniser l’OTAN.
En tant que membre de la délégation française à l’Assemblée parlementaire de l’OTAN, je peux vous dire que, comme dans toute enceinte internationale, pour exister il faut travailler, se donner les moyens nécessaires et mettre en place une stratégie d’influence.
Ce protocole nous en offre la possibilité au travers de son article 14. Comme l’a très bien expliqué Jacques Gautier et comme l’a rappelé Daniel Reiner, cet article prévoit que, à la demande du pays hôte, sur décision unanime du Conseil de l’Atlantique Nord, ce protocole puisse s’étendre « à tout quartier général militaire international ou à toute organisation militaire internationale […] institués en vertu du traité de l’Atlantique Nord. »
Actuellement, la France ne dispose pas de quartiers généraux répondant aux critères de l’article 2 du protocole, contrairement à ses voisins européens qui, bien que moindres contributeurs que nous, accueillent les quartiers généraux de l’OTAN. Je pense notamment à l’Italie, avec le commandement des forces interarmées de Naples, à l’Allemagne, avec le commandement aérien allié de Ramstein, au Royaume-Uni, avec le commandement maritime allié de Northwood.
En conclusion, mes chers collègues, je crois qu’il serait temps que la France se saisisse des possibilités qui se présentent à elle. La tradition et la cartographie militaires de notre pays sont des chances inexploitées.
Ainsi, plusieurs quartiers généraux pourraient être éligibles au dispositif de l’article 14. Je pense, par exemple, au quartier général du corps de réaction rapide européen de Strasbourg ou à celui de l’état-major de la force aéromaritime française de réaction rapide de Toulon. Nul ne peut nier que cela contribuerait non seulement au rayonnement de la France, mais aussi au dynamisme des collectivités locales où sont installées ces structures. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
projet de loi autorisant l'accession de la france au protocole sur le statut des quartiers généraux militaires internationaux créés en vertu du traité de l'atlantique nord
Article unique
Est autorisée l'accession de la France au protocole sur le statut des quartiers généraux militaires internationaux créés en vertu du traité de l'Atlantique Nord, signé à Paris le 28 août 1952, et dont le texte est annexé à la présente loi.
M. le président. Je vais mettre aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi.
Le vote sur l’article vaudra vote sur l’ensemble du projet de loi.
Personne ne demande la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi autorisant l’accession de la France au protocole sur le statut des quartiers généraux militaires internationaux créés en vertu du traité de l’Atlantique Nord.
9
Candidature à une commission
M. le président. J’informe le Sénat que le groupe communiste républicain et citoyen a fait connaître à la présidence le nom du candidat qu’il propose pour siéger à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, en remplacement de M. Jean-Vincent Placé, dont le mandat de sénateur a cessé.
Cette candidature a été publiée et la nomination aura lieu conformément à l’article 8 du règlement.
10
Rapport au Parlement relatif aux conditions d’emploi des forces armées lorsqu’elles interviennent sur le territoire national pour protéger la population
Déclaration du Gouvernement suivie d’un débat
M. le président. L’ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d’un débat, en application de l’article 50-1 de la Constitution, sur le rapport au Parlement relatif aux conditions d’emploi des forces armées lorsqu’elles interviennent sur le territoire national pour protéger la population.
La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai l’honneur de vous présenter, comme le Gouvernement s’y était engagé au titre de l’article 7 de la loi actualisant la programmation militaire pour les années 2015 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense, un rapport sur les conditions d’emploi des armées lorsqu’elles interviennent sur le territoire national pour protéger la population.
Les attentats qui ont frappé la France en 2015 et la menace terroriste particulièrement forte qui continue de s’exercer, tant à l’extérieur de nos frontières que directement sur notre territoire, appelaient en effet, au-delà des mesures exceptionnelles décidées par le Président de la République, l’engagement d’une réflexion de fond sur cette situation nouvelle.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la première opération conduite par nos armées, en nombre de militaires engagés, se déroule aujourd’hui sur le territoire national. Il y a là un fait majeur qui marque une inflexion forte dans le positionnement de nos armées. En raison de la nature même de la menace, sur laquelle je reviendrai, cette situation nous paraît malheureusement avoir vocation à s’inscrire dans la durée.
L’histoire peut nous aider à penser la singularité du moment que nous vivons : telle est la première finalité de ce rapport. Il faut du reste constater que c’est la première fois, dans l’histoire de la Ve République, qu’un tel débat portant sur l’intervention des armées sur notre propre territoire se tient au Parlement.
Depuis la Révolution française, exception faite des missions de sécurité civile qui sont régulières et d’une autre nature, les armées ont été employées sur le territoire national par les gouvernements successifs dans deux types de situations : d’une part, pour exercer des missions de maintien de l’ordre, au XIXe siècle en particulier, lorsqu’il s’agissait de défendre les institutions ou l’ordre social, et jusqu’à la guerre d’Algérie ; d’autre part, pour assurer la défense du territoire au sens strict.
Si la défense du territoire a toujours relevé des armées dans son principe, il n’en est pas de même du maintien de l’ordre. En la matière, l’implication des armées est allée en s’amenuisant, avec l’apparition et le développement de forces spécialisées à cette fin, au fur et à mesure qu’était consolidée la responsabilité spécifique de ces forces.
S’agissant de la défense du territoire, cette fonction des armées a toujours existé, y compris depuis la Seconde Guerre mondiale. Même si elle est inscrite dans le principe même des forces armées, elle a bien sûr évolué en s’adaptant à la nature de la menace extérieure, fût-elle appuyée par des relais présents sur notre sol.
La fin de la guerre froide, qui a conduit à la disparition, sans précédent dans notre histoire, du risque d’invasion de notre pays, a fait du même coup tomber en désuétude le concept de défense opérationnelle du territoire qui avait cours depuis l’émergence de la menace organisée par les plans militaires de l’ex-Pacte de Varsovie.
Pour autant, tous les Livres blancs sur la défense, depuis le premier d’entre eux, en 1972, ont souligné avec netteté le rôle des armées, leur mission première dans la défense et la protection de notre territoire et de sa population.
Jusqu’au début de l’année 2015, cette fonction de protection s’est traduite au premier chef par les missions permanentes de sûreté aérienne et de sauvegarde maritime qui relèvent du Premier ministre, ainsi que par une contribution, d’ailleurs relativement modeste en termes d’effectifs, au plan gouvernemental Vigipirate.
Je n’oublie pas – j’y ai fait allusion au début de mon propos – les missions de service public et de secours à la population qui sollicitent très régulièrement nos armées, tout comme la contribution spécifique de celles-ci à la sécurisation des grands événements qui rythment la vie de notre pays.
C’est cette répartition des missions que l’année 2015 est venue ébranler. L’offensive terroriste sans précédent dont la France a fait l’objet, avec deux séries d’attentats majeurs, a transformé la donne.
Les objectifs des terroristes, leurs modes d’entraînement et d’action comme les niveaux de violence atteints par eux remettent en question les catégories de pensée qui prévalaient jusque-là : devant une menace d’un genre nouveau et d’une virulence inédite, il ne s’agit pas simplement, pour nos armées, d’apporter un concours supplémentaire, ponctuel, marginal et épisodique aux forces de sécurité intérieure. Nous sommes bel et bien entrés dans une ère nouvelle, qu’il nous appartient de caractériser.
Anticipant des dangers de ce type, les Livres blancs sur la défense et la sécurité nationale de 2008 et de 2013 avaient déjà décrit une continuité possible entre menace extérieure et danger à l’intérieur du territoire, et donc entre défense et sécurité nationale.
Les scénarios les plus exigeants en termes d’organisation des forces, tant en 2008 qu’en 2013, étaient ceux qui sollicitaient nos forces à la fois à l’extérieur de nos frontières et sur le territoire.
C'est la raison pour laquelle ces documents, approuvés en conseil de défense, puis traduits en lois de programmation et enfin en contrats opérationnels assignés aux forces, ont prévu, outre nos dispositions permanentes sur mer et dans les airs, un contrat opérationnel d’engagement de 10 000 soldats, en 2008 et en 2013.
Il s’agissait, pour les armées, de concrétiser l’éventualité d’une contribution majeure à la sécurité sur le territoire, et cela pour une durée qui n’avait pas été précisée, ni en 2008 ni en 2013 : était alors envisagée une crise majeure, mais ponctuelle, combinée avec une crise extérieure. L’enjeu était bien d’envisager une réponse cohérente devant l’affirmation de risques susceptibles de porter atteinte à la vie de la nation, tant à l’extérieur qu’à l’intérieur de nos frontières.
Il est clair aujourd’hui que nos concitoyens ne comprendraient pas que les années, engagées régulièrement depuis la fin de la guerre froide dans des opérations internationales au nom de leur sécurité et des responsabilités de la France, ne s’investissent pas dans une mission de protection rapprochée au plus près, alors que le danger, à la fois extérieur et intérieur, les menace désormais très directement.
En janvier 2015, ce contrat de protection a été activé par le Président de la République au travers de la mobilisation et du déploiement, en quelques jours, de 10 000 militaires dans le cadre de l’opération Sentinelle. Cet engagement quasiment immédiat a mis en lumière, une nouvelle fois, le grand professionnalisme de nos armées, dont nous devons être fiers.
Après analyse des premiers retours d’expérience, le Président de la République a décidé, lors d’un conseil de défense et de sécurité nationale, la rénovation de ce contrat de protection, entérinée par la représentation nationale dans le cadre de l’actualisation de la loi de programmation militaire votée en juillet 2015.
Cette loi décrit ce nouveau contrat des armées sur le territoire national, avec une capacité permanente de mobilisation de 7 000 hommes dans la durée, pouvant être portée jusqu’à 10 000 hommes pour un mois. Cet effectif maximal a été de nouveau engagé après la nuit du 13 au 14 novembre 2015, avec une efficacité remarquable. Depuis lors, nos soldats sont déployés à un haut niveau aux côtés des forces de sécurité intérieure, elles-mêmes très sollicitées.
S’agissant de l’emploi des armées sur le territoire national, il convient de noter que la France agit en mettant en œuvre des principes et des moyens comparables à ceux déployés par les pays occidentaux confrontés à des situations analogues. En effet, lors de situations de crise, la plupart des pays occidentaux confient à leurs armées des missions de protection et de soutien, menées sous le contrôle de l’autorité civile, mais sous commandement militaire.
Il s’agit souvent de renforts déployés à titre temporaire. Ainsi, le Royaume-Uni envisage l’emploi de militaires, à hauteur de 10 000 hommes, en appui des forces de sécurité intérieure pour protéger des sites sensibles contre une menace terroriste dans le cadre du plan Temperer, conçu à la suite des attentats de Paris de janvier 2015.
En matière de lutte contre la menace terroriste sur le territoire national, certains pays ont, comme la France, fait le choix de dispositifs durables pour l’emploi de leurs forces armées. C’est le cas de l’Italie, qui mobilise plus de 6 000 militaires dans des missions de contrôle du territoire national et de prévention du terrorisme, ainsi que dans des missions de lutte contre la criminalité organisée visant les mafias, en complément des forces de sécurité intérieure.
Je n’évoque pas le cas de la Belgique, mais j’ajoute que, au-delà de la lutte contre la menace terroriste, certains pays ont recours à leurs armées pour des opérations de contrôle du territoire et d’aide aux réfugiés. C’est actuellement le cas de l’Allemagne, où 9 000 soldats sont engagés quotidiennement dans des missions particulièrement délicates.
Sur cette base, le rapport qui est soumis au Parlement revient en détail sur la menace, telle qu’elle se présente désormais à nous.
Cette menace terroriste d’inspiration djihadiste a évolué, vous le savez – nous en avons souvent débattu dans cet hémicycle –, d’une manière très significative. Les groupes terroristes ont maintenant recours à des modes d’action militarisés et professionnalisés, de type commando, y compris à grande échelle, comme en attestent tragiquement les attaques du 13 novembre 2015. Les terroristes ne s’en cachent pas, ils veulent porter la guerre chez nous.
Parce qu’elle vise une multitude de cibles potentielles, l’ennemi étant la société dans son ensemble, cette menace est à la fois diffuse et omniprésente. Elle agit à l’extérieur comme à l’intérieur de nos frontières, avec des connexions établies entre les deux espaces.
Susceptible de monter brusquement en intensité, elle ne présente aucune limite dans sa volonté de marquer durablement les esprits par la terreur et vise explicitement à reproduire sur le territoire national de véritables actions de guerre.
Au-delà même de ce que nous avons vécu, soyons pleinement conscients que les scénarios d’attaques sont multiples, aujourd’hui sur terre, demain dans nos eaux sous juridiction nationale ou dans les airs, sur des cibles que chacun peut imaginer et qui nécessitent un renforcement très significatif de nos dispositifs.
Cette menace s’exerce également, au même moment, dans les champs immatériels, dont le cyberespace, ce qui exige de notre part, en retour, la définition d’une réponse ne négligeant aucun aspect de cette nouvelle forme de guerre.
Devant la militarisation de la menace, selon les traits que je viens de rappeler, les armées professionnelles présentent un ensemble de spécificités qui leur permettent d’apporter une contribution importante, s’intégrant pleinement à une manœuvre de sécurité intérieure profondément renouvelée. Ce renouvellement touche d’ailleurs les forces de sécurité intérieure, comme on le voit dans les inflexions importantes qu’apporte en ce moment même mon collègue Bernard Cazeneuve au dispositif spécifique et aux modes d’action du ministère de l’intérieur.
Pour les armées, je rappelle d’abord que les capacités uniques détenues par l’armée de l’air et la marine en font les intervenants de premier rang dans leur milieu, et ce en permanence, avec des moyens importants.
Dans le domaine terrestre, la première vertu de nos forces est la connaissance qu’elles ont acquise de l’ennemi sur les théâtres extérieurs. Elles mesurent donc au moins en partie la menace, même si elles ne se trouvent pas, sur le territoire national, en situation de conflit armé, comme c’est le cas à l’extérieur. Leur équipement, en particulier leur armement et leurs moyens de protection, ainsi que leur forte visibilité, leur confère une vertu à la fois dissuasive et rassurante, qui est complémentaire de celle des forces de sécurité intérieure.
L’apport des armées s’appuie également sur des capacités éprouvées de planification, qui leur permettent d’intégrer, combiner et harmoniser de nombreuses aptitudes issues des différents milieux – terre, air, mer –, auquel j’ajoute bien sûr le milieu cyber.
Leur mode de fonctionnement et d’organisation centralisé et hiérarchisé, avec notamment la capacité de projeter leurs efforts en pleine autonomie logistique, permet en outre de traduire sans délai une volonté politique forte.
Cette réactivité doit beaucoup au statut de nos militaires et exige d’eux une disponibilité de tous les instants ; l’acceptation de contraintes fortes est également facilitée par une chaîne de commandement rigoureuse. Cette dernière s’ajoute à la capacité d’intervention de la force armée, dans toutes ses dimensions.
Enfin, les armées se caractérisent par la mise en œuvre de moyens spécialisés rares, comme les moyens de protection et d’intervention en milieu nucléaire, radiologique, biologique ou chimique, ou milieu NRBC, ou encore la capacité de chirurgie de guerre détenue par le SSA, le service de santé des armées, ou encore, exceptionnellement, certains moyens des forces spéciales.
L’ensemble de ces spécificités permet à nos armées d’agir en complément des forces de sécurité intérieure. Elles réalisent alors des opérations de plein exercice, qui leur sont confiées, après décision du Président de la République, chef des armées, par les autorités en charge de la sécurité intérieure, c'est-à-dire par le ministre de l’intérieur. Il m’appartient, en tant que ministre de la défense, ainsi qu’aux chefs d’état-major sur mes instructions, de les y préparer et de veiller à leur mise à disposition pour leurs capacités propres.
C’est bien le nouveau contexte des menaces militarisées et la prise en compte de ces spécificités qui nous a conduits à dépasser la logique d’un engagement terrestre des armées limité à une contribution temporaire de quelques centaines de soldats, dans le cadre du plan gouvernemental Vigipirate.
L’enjeu est aussi d’optimiser l’action d’une ressource rare, rompue aux combats comme à la gestion de crises dans les opérations extérieures, pour qu’elle réponde au mieux aux impératifs posés par l’affirmation de la menace terroriste dans toutes ses dimensions, notamment sur le territoire national. Il nous faut donc, dans cette perspective, nous appuyer sur ses spécificités, en très étroite coordination avec les forces de police et de gendarmerie.
Ainsi, la posture de protection du territoire national et de ses approches devient beaucoup plus structurante. Dans le contexte que chacun garde à l’esprit, nous devons repositionner cette fonction, tout en préservant soigneusement l’efficacité de nos capacités dans ces deux autres grandes missions de notre stratégie générale de défense et de sécurité nationale que sont la dissuasion nucléaire et l’intervention extérieure.
Je veux en témoigner devant vous, la fonction « protection rénovée » constitue donc un engagement à part entière de l’ensemble des armées et des services du ministère de la défense, en complément des autres forces et services de l’État.
Cette fonction se déclinera désormais en quatre postures de milieu, qui sont définies par un ensemble de dispositions prises pour protéger le pays face aux agressions, même limitées, contre son territoire, sa population ou ses intérêts.
Il s’agit d’abord des postures permanentes de sauvegarde maritime et de sûreté aérienne, dont le fonctionnement a fait ses preuves, mais qui continuent d’être rénovées et renforcées. Il s’agit de les adapter, elles aussi, aux évolutions que je viens de retracer.
La défense maritime du territoire, renforcée et orientée vers la menace terroriste, répond au défi de surveiller 19 000 kilomètres de côtes, dont 5 800 en métropole, ainsi que nos ports d’intérêt prioritaire, et cela au travers d’un dispositif organisé en couches successives, du littoral à la haute mer. Environ 1 400 « sentinelles des mers » y contribuent quotidiennement en métropole, avec les sémaphores, navires et aéronefs de surveillance et d’intervention.
La mission de sûreté aérienne a pour objet, quant à elle, de garantir notre souveraineté dans l’espace aérien national, où 11 000 aéronefs transitent quotidiennement, et d’intervenir contre toute menace aérienne. Près de 1 000 militaires y participent chaque jour, ce qui assure une capacité d’intervention en moins de quinze minutes en tout point de notre espace aérien. Ce délai peut bien entendu être raccourci – il l’a déjà été –, en fonction de l’analyse des menaces.
À la suite des attentats de 2015, la contribution à la fonction de protection dans son volet terrestre fait l’objet d’une posture entièrement nouvelle. Elle doit permettre aux armées d’apporter leur capacité d’intervention terrestre ou aéroterrestre dans le cadre du dispositif global de sécurité intérieure : c’est la posture de protection terrestre.
Cette posture repose sur deux axes. Tout d’abord, l’optimisation de l’emploi des forces engagées dans le cadre du nouveau contrat de protection ; il s’agit aujourd’hui de l’opération Sentinelle, mais ce contrat peut revêtir d’autres formes et dénominations. Ensuite, la réorientation d’une partie de la préparation opérationnelle des forces terrestres, au profit de la sécurité intérieure sur le territoire national. Je suis en mesure de vous annoncer que ce volet particulier de préparation fera très prochainement l’objet d’un exercice entre les armées et les forces de la gendarmerie.
Enfin, la posture permanente de cyberdéfense s’appuie sur une organisation dédiée et intégrée à la chaîne des opérations, qui lui permet de détecter et d’agir au plus tôt face aux menaces propres à ce milieu, qui viseraient les installations et moyens de la défense. Sous l’autorité de l’ANSSI, l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information, qui dépend du Premier ministre, nos moyens doivent aussi pouvoir appuyer l’action cyberdéfensive plus large de l’appareil d’État.
Au-delà de ces quatre postures, la fonction de protection rénovée mobilise deux capacités permanentes.
Il s’agit, d’une part, de la capacité permanente de réponse sanitaire, assurée par le service de santé des armées, capacité qui a été confirmée par la mobilisation exemplaire de ce service au lendemain du 13 novembre 2015. Au-delà de sa participation au service public hospitalier, le ministère de la défense est en mesure, le cas échéant, de mettre ses capacités et compétences sanitaires propres à la disposition de la Nation ; on l’a vu par exemple pour la médecine et chirurgie de guerre lors de certains attentats, ou la lutte contre une agression de type NBC, c'est-à-dire nucléaire, biologique et chimique.
Il s’agit, d’autre part, et enfin, de la capacité permanente de soutien pétrolier des armées et des forces de sécurité intérieure, mise en œuvre par le service des essences des armées.
Sur ces bases renouvelées, et c’est singulièrement nouveau, la fonction globale de protection rénovée, telle que je viens de la définir, voit ses missions organisées autour de six contributions principales : sécurité sur le territoire national et lutte contre le terrorisme à l’intérieur du territoire, en lien étroit avec la défense hors de nos frontières ; contribution à la lutte contre le crime organisé – je pense notamment à la lutte contre l’orpaillage illégal dans le cadre de l’opération Harpie ; défense des intérêts économiques et des accès aux ressources stratégiques ; sauvegarde maritime ; sûreté aérienne ; enfin, sécurité civile dans le cadre de sinistres et catastrophes de toute nature.
En revanche, en accord avec le ministre de l’intérieur, le Gouvernement a fait le choix d’exclure expressément de cette posture, premièrement, les actions relevant du domaine judiciaire, hors réquisition spécifique de l’autorité judiciaire ; deuxièmement, les opérations de maintien et de rétablissement de l’ordre public, de type contrôle de manifestations, de foules ou d’émeutes sur la voie publique, en dehors des états d’exception prévus par la Constitution et la loi, c'est-à-dire en dehors de l’état de siège.
Je veux insister sur un point : la réalisation de l’ensemble de ces missions n’appelle pas d’évolution de notre cadre juridique, au-delà de l’adaptation au texte retenu sur la légitime défense dans le projet de loi améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale, s’agissant de ce qu’on nomme communément le « périple meurtrier ». Dans ce nouveau contexte, l’emploi des armées sur le territoire national peut, à notre sens, s’effectuer à cadre constitutionnel et législatif constant.
Dans le prolongement des éléments que je viens de vous indiquer, ce rapport pose également les grands principes qui doivent encadrer le recours des armées sur le territoire national, pour garantir leur pleine efficacité, mais aussi leur juste utilité.
En premier lieu, l’engagement de plusieurs milliers de militaires ou de capacités interarmées d’importance équivalente dans de telles opérations relève directement du chef de l’État, chef des armées, dans le cadre des conseils de défense et de sécurité nationale, comme pour les interventions extérieures.
Ce sont par ailleurs les mêmes soldats, marins et aviateurs qui font face à une même menace, présentant des caractéristiques militaires sur le territoire national comme sur les théâtres d’opérations extérieures.
En réfléchissant à ces enjeux nouveaux, nous avons totalement écarté l’idée de créer des unités militaires spécialisées pour le territoire national. C’est bien une même armée qui se trouve engagée dans l’Adrar des Ifoghas, dans les rues de nos grandes villes ou sur nos axes de communication sensibles, en particulier parce qu’il y a, je le répète, une continuité de la menace et parce que l’action des armées, complémentaire de celle des forces de sécurité intérieure, ne doit pas se confondre avec elles. Il y a là un principe fort que j’ai fixé à nos armées, lesquelles constituent donc un réservoir unique à la disposition du Gouvernement.
L’action militaire sur le territoire national est enfin nécessairement encadrée par une demande du ministre de l’intérieur, localement de l’autorité préfectorale, réquisition qui suit un dialogue que, tous, nous souhaitons étroit avec l’autorité militaire.
Au niveau déconcentré, l’autorité civile responsable de la manœuvre doit être régulièrement informée des modes d’action retenus, comme de la manière dont ses réquisitions sont accomplies.
Au niveau central, l’articulation entre les chaînes de commandement civile et militaire est réalisée dans une instance commune de coordination, qui associe régulièrement les ministres de l’intérieur et de la défense.
Nous devons aussi nous assurer de la bonne connaissance de l’environnement dans lequel les militaires évoluent, afin de mieux anticiper les risques et menaces auxquels ils sont susceptibles d’être confrontés. Les armées peuvent en outre proposer au ministère de l’intérieur, en fonction de la nature des missions – contrôle de zones, de frontières, ou d’axes de communication, par exemple –, des capacités spécifiques de surveillance et d’observation à cette fin. Pour autant, ces informations à buts opérationnels ne se confondent pas avec le renseignement à des fins judiciaires, qui ne relève pas des armées, comme je l’ai indiqué voilà un instant.
Un an après le déclenchement de l’opération Sentinelle, le développement de l’interopérabilité avec les forces de sécurité intérieure et les autres acteurs, comme l’adaptation des modes d’action aux évolutions de la menace, doit donc se poursuivre.
Cette réflexion intègre un volet capacitaire. C’est ainsi que le rapport qui vous a été remis indique que certaines capacités devront être renforcées, pour compléter celles qui sont actuellement mises en œuvre sur le territoire national et qui, pour l’essentiel, sont communes avec les capacités employées pour les opérations extérieures.
Il s’agit d’abord de capacités dont disposent les armées et qui sont peu ou pas utilisées sur notre territoire. Je pense notamment aux capteurs d’observation et de surveillance que je viens de citer, qui peuvent être mis en œuvre si nécessaire sur réquisition du ministère de l’intérieur.
En outre, certaines capacités devront être renforcées, afin d’optimiser la contribution des armées à la protection du territoire national et de ses approches.
Je pense notamment au développement des moyens de mobilité terrestre. Il en va de même de tout le secteur des communications et transmissions, qui font et feront l’objet d’actions d’urgence. Les moyens de planification et d’échange d’information avec les autres acteurs étatiques doivent également être développés, afin de parfaire l’interopérabilité entre les armées et les acteurs de la sécurité intérieure.
Je pense également aux drones, dont la montée en puissance est inscrite dans la loi de programmation militaire, en particulier les drones tactiques, mais aussi, à terme, les drones MALE, comme le montre déjà l’emploi des drones Harfang dans les bulles aériennes de protection de certains grands événements. Les réflexions en cours doivent intégrer la possibilité de les impliquer davantage dans des missions sur le territoire national et ses approches.
Le renforcement de la surveillance de nos approches maritimes en métropole et outremer doit s’accompagner enfin d’un effort s’agissant de nos moyens de détection et d’intervention, qu’il s’agisse de radars côtiers, de systèmes de détection à très basse altitude, de systèmes de protection à l’égard de drones ou de patrouilleurs de surveillance et d’intervention pour nos vastes espaces marins.
Comme l’a amplement démontré l’expérience de l’opération Sentinelle, nous devons enfin avoir une attention toute particulière sur les conditions d’exécution. Je pense en particulier au soutien des hommes et des femmes ainsi engagés. Je suis conscient, ici, des difficultés qui persistent, notamment en matière d’hébergement. Les premiers déploiements opérés en urgence au début de l’année 2015 se sont déroulés dans des conditions parfois délicates.
Des mesures ont été prises, dès le printemps dernier, pour faire face à cette situation inédite et pour la corriger lorsque c’était nécessaire. Nous avons ainsi mobilisé tous les lieux d’hébergement possibles du ministère, y compris l’îlot Saint-Germain et le Val-de-Grâce, pour rapprocher nos militaires déployés de leurs zones d’intervention.
La politique immobilière décidée en ce sens a bénéficié de mesures financières qui ont permis – j’ai pu, comme certains d’entre vous d'ailleurs, le vérifier – d’améliorer significativement les conditions d’hébergement, en particulier en Île-de-France. Des efforts restent cependant à accomplir, et le ministère s’y consacre avec beaucoup de détermination.
La condition du personnel engagé dans cette opération mérite également une attention particulière. L’exceptionnelle mobilisation de nos militaires sur le théâtre national, comme d’ailleurs en opérations extérieures, s’est traduite, pour beaucoup de nos soldats, par une absence de leur foyer très importante en 2015.
Conscient du caractère exceptionnel de cette situation, qui se répercute sur les familles, j’ai décidé d’octroyer le bénéfice de l’indemnité pour sujétion spéciale d’alerte opérationnelle aux militaires déployés dans le cadre de l’opération Sentinelle, ainsi qu’aux militaires participant au dispositif Cuirasse de protection des sites militaires sensibles.
Ces dispositions indemnitaires seront maintenues et la condition des personnels sera améliorée, dans le cadre du plan annoncé par le Président de la République lors de ses vœux aux armées.
Je l’ai dit en évoquant les principes structurant l’emploi des armées sur le territoire national : il n’existe qu’une seule et unique armée, agissant à l’intérieur comme à l’extérieur de nos frontières.
Je rappelle, à cet égard, que 70 000 militaires ont déjà été engagés dans Sentinelle en 2015, certains jusqu’à six fois, avec une moyenne de plus de 7 500 soldats chaque jour depuis le début de l’opération.
L’annulation par le Président de la République de 18 750 déflations, décision concrétisée par l’actualisation de la loi de programmation militaire votée en juillet 2015, va permettre de réaliser 11 000 recrutements supplémentaires d’ici à la fin de l’année 2016, au bénéfice de la force opérationnelle terrestre.
Ces jeunes soldats, une fois formés et opérationnels, contribueront à alléger la mobilisation de nos effectifs, particulièrement intense depuis l’activation du contrat opérationnel de protection dans son intégralité, le 13 novembre dernier.
En outre, à la suite de l’annonce du Président de la République devant le Congrès, le 16 novembre dernier, quelque 10 000 postes supplémentaires seront sauvegardés sur les années 2017 à 2019, afin notamment de renforcer nos effectifs opérationnels, et ainsi de rendre soutenable dans la durée ce niveau d’engagement de nos forces, qui est tout à fait exceptionnel.
La contribution des armées à la fonction stratégique de protection s’accompagne, très logiquement, d’une rénovation en profondeur de la politique de nos réserves. Pour la première fois, en 2015, le nombre des réservistes militaires a connu une augmentation, cela grâce à une volonté forte de tous les acteurs concernés.
J’ai eu l’occasion de l’annoncer la semaine dernière, lors des assises de la réserve : dès 2018, ce sont 40 000 réservistes opérationnels qui contribueront aux missions de protection, avec 1 000 réservistes engagés par jour, au lieu des 400 à 450 qui le sont aujourd’hui.
Bénéficiant d’un budget accru inscrit dans la loi de programmation militaire actualisée, offrant des parcours plus attractifs, la réserve viendra notamment compléter les effectifs d’active dans des domaines déficitaires ou sensibles tels que la cyberdéfense.
Voilà, mesdames, messieurs les sénateurs, l’essentiel des réflexions portées par ce rapport que je considère comme important.
En 2015, ce sont près de 11 000 soldats, marins et aviateurs qui auront été engagés quotidiennement dans ces missions de protection, de sûreté et de sauvegarde, alors que le territoire national est devenu le premier théâtre de nos engagements opérationnels et que la menace reste particulièrement préoccupante.
En ce moment même, ils sont autant à veiller sur nous, et vous me permettrez de leur redire, à l’occasion de ce débat, notre reconnaissance pour l’engagement qui est le leur. C’est un engagement difficile, qui réclame sang-froid, endurance, abnégation, courage aussi, toutes qualités qu’ils ont eu l’occasion de démontrer à maintes reprises, au cours de cette première année émaillée d’interventions parfois musclées, mais en gardant toujours le contrôle de la situation et de leur puissance de feu.
C’est en tout cas, aujourd’hui plus que jamais, un engagement essentiel, pour lequel je fais pleine confiance à nos armées.
Le Président de la République a rappelé l’impérieux devoir du Gouvernement d’assurer la protection de la Nation et de nos concitoyens. Je veux dire devant vous que la défense, avec ce cadre structurellement renouvelé, continuera à jouer tout son rôle dans cette mission vitale pour le territoire national et pour nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du RDSE. – M. Jacques Gautier applaudit également.)
M. le président. Acte est donné de la déclaration du Gouvernement.
Dans le débat, la parole est à M. Yvon Collin, pour le groupe du RDSE.
M. Yvon Collin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les attentats qui ont endeuillé la Nation en 2015 et qui éclatent dorénavant de façon quasi quotidienne aux quatre coins du monde, et ce week-end encore en Côte d’Ivoire et en Turquie – je veux bien sûr avoir une pensée pour les victimes –, démontrent que nous sommes confrontés à une menace spécifique : des organisations terroristes militarisées, capables de conduire des opérations commando, et visant désormais des cibles indiscriminées.
Cela a conduit le Président de la République à solliciter le concours des forces armées sur notre sol, avec pour effet, inédit dans l’histoire récente de notre pays, de faire du territoire national le premier théâtre d’engagement de nos forces armées. Une telle situation exigeait un effort de définition du cadre d’emploi de ces dernières.
Oui, monsieur le ministre, dans de telles circonstances, il ne fait plus aucun doute que l’offensive terroriste rend nécessaire la participation des forces armées, en appui des forces de sécurité intérieure, à la protection des Français.
Pourquoi ? Tout d’abord, il est évident que la sécurité nationale repose désormais sur une articulation serrée entre défense extérieure et sécurité intérieure. Ceux qui nous attaquent sur notre sol sont les mêmes que nous combattons en OPEX.
Ensuite, Daech, à la fois armée terroriste exerçant une attraction puissante jusqu’au plus profond de nos campagnes et proto-État disposant de ressources considérables, est une menace d’une dangerosité sans précédent, qui requiert, monsieur le ministre, une réponse adaptée.
Pour que cette réponse soit la plus complète et la plus efficace possible, les savoir-faire et expertises particuliers de nos armées sont un atout indéniable ; ils permettent de couvrir un large spectre de risques radiologiques, chimiques ou nucléaires, ainsi que la « cybermenace » évoquée par M. le ministre, dont on sait qu’elle ne cesse de croître.
Nous avons d’ailleurs eu recours de longue date aux armées en situation de crise, comme réservoir de compétences spécifiques. Leur plus-value s’apprécie aussi dans leur capacité de planification et de mise en synergie d’équipements et d’aptitudes interarmées. Elles ont donc, incontestablement, à prendre leur part dans la stratégie globale de contre-terrorisme mise en œuvre sur le territoire.
Par ailleurs, il convient d’insister sur le fait que lorsque les armées interviennent sur le territoire national, exception faite des postures permanentes de sûreté aérienne et de sauvegarde maritime, c’est en soutien des forces de sécurité intérieure, lesquelles restent, si je puis dire, « maîtresses en leur demeure », et dans le cadre de missions bien identifiées, telles que la sécurisation des sites stratégiques et des points d’importance vitale, ou encore la protection des structures essentielles de l’État.
Les armées assurent ainsi le volet militaire des opérations de sécurité intérieure, et non des missions dévolues à d’autres acteurs relevant, par exemple, du domaine judiciaire.
La militarisation de la réponse au terrorisme doit cependant être assortie des garanties que l’on est en droit d’attendre d’un État démocratique. Il m’apparaît, monsieur le ministre, que tel est bien le cas : je vous en donne tout à fait acte.
En effet, hors état de siège, l’intervention des armées sur le territoire national ne peut s’opérer que par voie de réquisition, et sous la responsabilité des autorités civiles. Il est en outre à souligner que les militaires ne jouissent, en matière d’usage de la force, que des prérogatives reconnues à tout citoyen, à savoir, essentiellement, la légitime défense et l’exigence d’absolue nécessité. La logique du plan Vigipirate, qui consistait en un appoint ponctuel d’effectifs, est donc dès à présent dépassée, au profit de ce qui s’apparente à une véritable « opération intérieure ».
Toutefois, cette refonte de la posture de protection, qui va indéniablement s’inscrire dans la durée, doit nous obliger à accélérer l’émergence d’un nouveau modèle d’armée, pour en assurer la soutenabilité.
En effet, ces derniers mois, la mobilisation exceptionnelle des forces sur le territoire national a entraîné des ajustements pour le moins importants. Elle a notamment exercé une forte tension sur l’outil de défense – le niveau d’engagement des forces a atteint sa capacité maximale, et même dépassé ce qui était prévu dans le contrat opérationnel initial – et fait naître un besoin accru en hébergement, qui s’est traduit par l’adoption d’un plan de travail plus ou moins ambitieux.
Cela a évidemment entraîné des surcoûts à due proportion, qui ont été financés pour l’instant par décret d’avance à hauteur de 171 millions d’euros, sans qu’aucune provision n’ait été inscrite en loi de finances initiale ! Il faut donc s’attendre à une réaffectation des ressources.
Toutefois, quelles en seront les conséquences, monsieur le ministre, notamment sur l’entretien programmé du matériel, qui avait été fléché comme prioritaire dans la discussion budgétaire ? Comment, de surcroît, continuer sur le long terme à soutenir de telles dépenses, et financer le renforcement nécessaire des capacités ?
Je ferai référence, pour ne prendre qu’un exemple, à la surveillance de nos approches maritimes, qui constitue un véritable défi, à l’aune de nos 19 000 kilomètres de côtes et de la continuité naturelle que représente la mer entre notre territoire et les théâtres des OPEX.
Enfin, et puisqu’il convient de ne pas « consommer » les forces en permanence, votre projet visant à faire de la réserve un instrument privilégié de protection de la Nation est intéressant et mériterait d’être précisé.
Je partage, monsieur le ministre, la conviction selon laquelle nous ne pouvons pas nous contenter d’augmenter le nombre de réservistes, ainsi que leurs jours d’activité.
Vous indiquez souhaiter développer des partenariats avec l’enseignement supérieur, les écoles de fonctionnaires ou encore les entreprises. C’est à mes yeux une excellente piste, mais comment comptez-vous favoriser l’attractivité d’un tel dispositif ?
Il sera en outre impératif de nous doter d’un véritable plan de formation, sans lequel nous ne parviendrons pas à atteindre l’objectif fixé, qui est de disposer, certes, d’un réseau de personnes mobilisables rapidement, mais avant tout de personnes qualifiées !
Il nous faut vraisemblablement nous habituer pour longtemps à la présence des militaires sur notre sol ; j’ai d’ailleurs tendance à penser qu’une telle présence rassure une partie de nos concitoyens.
J’ai pu lire dans le rapport que l’opération sera maintenue tant que la menace l’exigera ; mais je m’interroge, monsieur le ministre : jusqu’à quand ? En attendant, le groupe du RDSE vous accorde toute sa confiance et tout son soutien. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe socialiste et républicain.)
M. Jeanny Lorgeoux. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Jacques Gautier, pour le groupe Les Républicains.
M. Jacques Gautier. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, après les attentats de janvier 2015, l’exécutif a procédé à un déploiement massif et rapide des forces de sécurité. En trois jours, le ministère de la défense a su mobiliser 10 000 militaires.
Afin de rassurer nos concitoyens et de protéger les écoles, les lieux de culte, les grands magasins et tous les autres lieux dits « sensibles », gardes et missions se sont additionnées. Le résultat, aujourd’hui, consiste en un millefeuille de 1 300 sites dont la protection est assurée de façon différenciée, allant de la garde statique permanente, majoritaire, à la patrouille aléatoire.
L’affectation à l’opération Sentinelle de 7 000 militaires, et peut-être bientôt de 10 000, est, de fait, permanente. Elle dépasse les capacités de l’armée de terre, alors même que nos armées sont déjà en situation de surtension.
Certes, monsieur le ministre, la déflation des effectifs a été réduite, grâce à la révision de la loi de programmation militaire. Toutefois, les effets de cette décision ne se feront vraiment sentir qu’en 2017.
La situation est grave : nos militaires enchaînent plusieurs rotations, jusqu’à six dans l’année, au sein de Sentinelle, avec une semaine de préparation et six semaines de déploiement, et, pour les plus chanceux, une projection en OPEX.
Ce rythme ne permet plus à nos militaires de se régénérer. Il les prive de préparation opérationnelle indispensable, de formations classiques, et génère une réduction des permissions. Il affecte en outre fortement le moral de nos militaires, lesquels, pourtant, ne manquent ni de courage ni de professionnalisme.
Après la mobilisation et l’enthousiasme initiaux, l’usure, le manque d’intérêt opérationnel et l’éloignement croissant de la famille se font sentir.
Monsieur le ministre, nous avons reçu votre document. Il s’agit d’un bon bilan, bien présenté. Rappel historique, comparaisons internationales, évolution des menaces, cadre juridique, impact budgétaire : la méthodologie est bien là, mais pas les propositions. Le nouveau concept d’emploi se limite à quelques pages, dont une partie est consacrée à la posture permanente, en temps de paix… En réalité, ce document est un parfait état des lieux.
Premièrement, vous l’avez rappelé, Sentinelle résulte de la volonté du Président de la République, chef des armées.
Deuxièmement, l’emploi des forces armées sur le territoire national est encadré par une réquisition de l’autorité civile ; elles sont placées sous l’autorité du ministre de l’intérieur et commandées – heureusement pour nous ! – par le chef d’état-major des armées.
Le rapport précise que « les militaires jouissent des prérogatives reconnues à tout citoyen en matière d’usage de la force » – nous sommes rassurés ! –, que « les capacités spécifiques de surveillance et observation […] à fins opérationnelles ne se confond[ent] pas avec le renseignement à fins judiciaires, qui ne relève pas des armées », et que « lors de la définition des effets à obtenir […], énoncés dans les réquisitions des préfets, la prise en compte par les autorités administratives des spécificités des armées permet d’en optimiser l’emploi ».
Nous sommes malheureusement dans l’incantatoire : les juristes seront certes rassurés, mais les armées restent, de fait, des supplétifs du ministère de l’intérieur.
Conscient que Sentinelle prive nos militaires de la préparation nécessaire à des projections extérieures de guerre, vous indiquez : « Déployées dans des zones peu fréquentées ou difficiles d’accès, en coordination avec les autorités administratives et les forces de sécurité intérieure, les unités peuvent travailler des savoir-faire utiles en OPEX ». Toutefois, la quasi-totalité des forces est déployée dans des zones urbaines denses ! De qui se moque-t-on ?
Rassurez-vous, monsieur le ministre, ce bilan renferme quelques points positifs : la posture permanente, en temps de paix, appliquée à l’armée de l’air et à la marine, sera étendue à l’armée de terre, au service de santé des armées, au service de soutien pétrolier et à la cyberdéfense.
Mes chers collègues, ce rapport est très en deçà de nos attentes, mais il pouvait difficilement en être autrement, car nous vivons sur un malentendu profond. Les plus hautes autorités de l’État, après les abominables attentats du 13 novembre, ont affirmé que la France était en guerre. Or il n’en est rien !
Le symbole est fort, mais la réalité, en termes militaires, est bien différente. Daech n’a pas envahi le territoire national, et des combats de rue n’ont pas lieu dans nos centres-villes. Notre pays subit certes des attentats perpétrés avec des armes de guerre ; mais ce n’est pas la guerre.
Contre le terrorisme, l’essentiel de la mobilisation doit porter sur le renseignement, l’infiltration des réseaux et l’action en amont, à l’extérieur et à l’intérieur du territoire ! Le reste n’est qu’accompagnement et réassurance politique. Toutes les forces déployées n’empêcheront pas d’autres attentats.
Cette menace va durer, d’autant qu’une partie importante des terroristes se trouve déjà en France ou dans les pays voisins. Ce volet-là du problème est primordial, et il est européen !
Sentinelle contribue à rassurer nos concitoyens, mais ceux-ci doivent connaître la réalité de la situation. Nous ne dissuadons par les terroristes, au contraire : nous les aidons à choisir leurs cibles – soit ils visent un site non protégé par nos armées, soit ils frappent d’abord les militaires avant de commettre l’attaque globale.
La réserve opérationnelle, dont vous avez raison, monsieur le ministre, de vouloir augmenter les effectifs, allégera, dans quelques années, l’engagement des militaires de carrière. Encore faut-il préciser que nos armées ont besoin, pour les états-majors et les OPEX, de réservistes confirmés possédant des compétences particulières. Ceux-là ne pourront assurer des gardes statiques.
Il faut donc innover et territorialiser cet embryon de garde nationale voulue par le Président de la République, et la construire avec des citoyens volontaires, mobilisés pour leur pays, près de chez eux. Mais il faut aller vite – pas dans un an : dans six mois !
Oui, l’exécutif peut difficilement baisser la garde. En même temps, la mobilisation de 10 000 militaires par Sentinelle altère fortement notre capacité opérationnelle, d’autant, nous le savons tous, que de nouveaux défis au nord du Sahel risquent de nécessiter des moyens qui ne sont déjà plus disponibles.
Il est grand temps d’adapter notre outil militaire et notre doctrine d’emploi des forces à la réalité du monde et de trouver un équilibre entre nos ambitions, nos capacités budgétaires et les menaces qui nous concernent. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Bockel, pour le groupe UDI-UC.
M. Jean-Marie Bockel. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, d’emblée, je tiens à préciser que l’objet de ce débat n’est pas de procéder à un commentaire en règle du rapport très clair remis par le Gouvernement et largement exposé par M. le ministre tout à l’heure.
Il s’agit de faire mûrir nos analyses, de structurer notre travail et notre réflexion, alors que le tiers de l’exercice budgétaire a été accompli et que nous nous approchons de l’examen d’un collectif budgétaire important, puis d’un budget annuel encore plus indispensable pour la question qui nous préoccupe aujourd'hui.
La mutation constante, comme la plasticité des mouvements terroristes d’inspiration djihadiste, a induit une modification substantielle de la nature et de l’échelle de la menace visant le territoire national. C’était l’une des principales analyses du Livre blanc de 2013. Nous en mesurons toute la gravité aujourd’hui.
Nous sommes donc pris dans un véritable paradoxe stratégique : notre sécurité intérieure et notre défense nationale ont des moyens très contraints, alors que jamais autant de fronts n’ont été ouverts contre la France ces dernières décennies. C’est un paradoxe, monsieur le ministre, qu’il est urgent de résoudre à l’heure où le terrorisme international se joue des frontières nationales.
La situation actuelle a poussé notre pays à innover et à mettre en place un dispositif temporaire exceptionnel en supplément des actions menées chaque jour par les forces de sécurité traditionnelles sur notre sol. Cette innovation porte un nom : l’opération Sentinelle.
Comme le souligne le rapport, pour l’année 2015, jusqu’à 75 000 soldats ont concouru à assurer notre protection et la surveillance de plus de 1 300 sites sensibles, principalement en Île-de-France. Une mobilisation aussi exceptionnelle pose deux questions : son ciblage et sa soutenabilité.
Concernant son ciblage, son dimensionnement, je joins ma voix à celle de notre collègue Yves Pozzo Di Borgo, qui estime que, à Paris, il faut nous garder du saupoudrage des forces militaires pour mieux les concentrer sur les sites les plus sensibles, en particulier les écoles.
Au-delà, lors de notre visite au fort de Vincennes à la rencontre des soldats de l’opération Sentinelle, nous avons évoqué, avec Jean-Pierre Raffarin et plusieurs collègues de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, la problématique du bon équilibre entre le positionnement statique, qui s’accompagne d’une dimension psychologique rassurante, et le positionnement dynamique, qui permet de s’adapter à l’évolution de la menace. Telles sont des questions que nous avons actuellement à traiter.
Cependant, nous ne pouvons pas non plus céder aux sirènes du « tout militaire ». Nos forces armées ont certes vocation à assurer davantage notre protection. Cela ne signifie pas pour autant qu’elles ont les moyens de garantir notre sécurité quotidienne. D’autres forces de sécurité existent : la gendarmerie et la police au premier chef.
Inversement, dans un contexte marqué jusqu’en juillet dernier par une décrue des effectifs de notre armée, toute affectation considérable de nos hommes sur un théâtre d’opérations, même intérieur, représente autant de capacités que la France ne peut déployer sur le plan extérieur. Un dispositif tel que Sentinelle, de par son ampleur et sa durée, crée ainsi un certain nombre de défis d’ordre logistique, humain et financier.
Le présent rapport fait état d’une posture de protection des armées renouvelée, cela a été exposé tout à l’heure à travers tous ses aspects, compte tenu du nouveau contexte sécuritaire et de l’évolution des contraintes opérationnelles. Je salue certes cette nouvelle posture nécessaire, mais elle ne peut à elle seule répondre aux besoins que connaît actuellement la France.
Dans ce contexte de mobilisation exceptionnelle de nos armées, où il est nécessaire de faire des choix, il est désormais vital de rénover en profondeur notre politique de réserve et de définir des moyens innovants pour protéger le territoire national en cas de crise menaçant la sécurité nationale – il ne s’agit pas ici que de terrorisme, et le rapport décrit bien les différents types de crises –, sans saturer pour autant notre outil de défense. « Une réserve plus nombreuse et mieux intégrée à l’active est une nécessité opérationnelle », comme le souligne le général de Villiers.
Ainsi que vous le savez, les réservistes opérationnels et citoyens contribuent pleinement à entretenir le lien fondamental qui relie notre armée à notre nation, tout en diffusant au sein de la société cet esprit propre à notre défense nationale.
Cette composante de la défense, la réserve, a pourtant été trop souvent utilisée par le passé comme une variable d’ajustement budgétaire. Je le souligne avec beaucoup d’humilité pour avoir été moi-même aux responsabilités sur ces questions, à un moment où j’ai peiné à me faire entendre, comme d’autres avant et après moi. C’est une pratique que vous avez commencé à changer et à faire évoluer. Encore aujourd’hui, nos réservistes ne sont pas employés à la mesure de leurs compétences et de leurs savoir-faire. Cette situation est bien dommageable. Je crois, monsieur le ministre, que nous partageons sur ce point la même analyse que vous.
Je ne puis ainsi qu’être satisfait de vos récentes annonces faites la semaine dernière, à l’occasion des premières assises de la réserve à l’École militaire, auxquelles j’ai assisté avec certains de mes collègues. Je tiens à signaler les augmentations de budget déjà engagées par le Gouvernement depuis plusieurs années.
L’effort sera poursuivi durant la période 2016-2018, pour atteindre réellement – depuis le temps que l’on en parle ! – l’objectif des 40 000 réservistes opérationnels, avec une capacité permanente de déploiement de 1 000 réservistes par jour. Monsieur le ministre, vous venez d’évoquer ce point, qui a été mis en avant dans votre rapport. Ainsi, nous pourrons réaliser cet objectif ancien, sans oublier la question du statut du réserviste et celle du lien avec l’entreprise ou l’administration dans laquelle il travaille. Ce sont autant de freins que nous connaissons bien. C’est un objectif ambitieux, mais atteignable, auquel je souscris.
Le présent rapport détermine également l’objectif de pérenniser les réserves comme parties intégrantes du modèle de l’armée 2025. C’est une idée assez innovante, qui fait à l’heure actuelle l’objet d’un groupe de travail au sein de la commission des affaires étrangères du Sénat que j’ai l’honneur de coprésider avec ma collègue Gisèle Jourda. Je veux parler, bien sûr, de la problématique de la « garde nationale ».
En effet, au regard de la montée en puissance des réserves, le concept de garde nationale, avancé par les sénateurs centristes depuis longtemps, mais défendu certainement pas d’autres aussi, et appelé de ses vœux par le Président de la République à Versailles, est particulièrement intéressant, car il ouvre une réflexion nouvelle en termes de défense du territoire. En outre, ce concept répond à la volonté d’engagement de nombre de nos concitoyens.
Pour l’heure, cette garde nationale suscite encore un certain nombre d’interrogations tant au regard de ses compétences propres que des moyens qui seront mis à sa disposition. S’agira-t-il d’un prolongement de la réserve ou d’un dispositif adjacent ? Ce point reste encore à déterminer.
Sur ces questions, Jacques Gautier a prononcé des mots justes et a évoqué les pièges qu’il convient d’éviter. Une réflexion doit être menée et poursuivie, afin de définir clairement les missions et les compétences qui seront attribuées à cette garde nationale, pour que le nouveau dispositif dispose de moyens à la hauteur de l’exigence que nous lui aurons imposée.
Nous allons contribuer, au sein de la commission - son président s’y est engagé -, à cette nécessaire réflexion, en étroite collaboration avec vous, monsieur le ministre, et avec les forces armées. J’espère que vous pourrez nous donner, aujourd'hui ou en d’autres occasions, l’état de vos réflexions, car c’est un sujet qui n’est pas défini, qui est évolutif et qui mérite d’être précisé. Il nous donne la possibilité, en tant que parlementaires, de nous impliquer pleinement dans une démarche conceptuelle au sujet de la nouvelle réserve qui est devant nous.
Ne ratons pas ce rendez-vous avec nos concitoyens, qui, sur ces questions, sont disponibles comme jamais, nous le constatons tous les jours. Ne les décevons pas ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du groupe Les Républicains. – M. Daniel Reiner applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Michelle Demessine, pour le groupe communiste républicain et citoyen.
Mme Michelle Demessine. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord me féliciter de la tenue de ce débat. En effet, hormis lors de la révision du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, nous n’avons pas eu de discussion ni de réflexion en séance publique sur les grands enjeux de notre défense.
Ces questions, pourtant essentielles et fondamentales dans la vie de la Nation, ne sont publiquement évoquées que par le biais des débats de politique étrangère sur nos interventions militaires à l’extérieur de nos frontières.
Or, depuis les attentats terroristes sur le territoire national même, la politique de défense de notre pays est interpellée et prend une nouvelle dimension, qui n’avait pas été appréhendée avec l’intensité d’une telle menace.
Monsieur le ministre, vous nous avez présenté les grandes lignes et les principes inspirant le rapport au Parlement que vous avez préparé sur les conditions d’emploi des forces armées sur le territoire national, conformément à l’article 7 de la loi de juillet 2015 actualisant la programmation militaire pour les années 2015 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense.
Après les attentats de janvier 2015, qui ont entraîné un déploiement massif et rapide de 10 000 militaires en dix jours sur le territoire national, il était urgent et nécessaire de redéfinir les modalités de leur emploi, ainsi que les missions qui leur sont assignées.
Cette posture de nos armées, si elle n’est pas fondamentalement nouvelle, est inédite par son ampleur. C’est la raison pour laquelle j’ai été très attentive votre présentation de ce qui me semble être un changement dans la conception des missions de nos armées, lesquelles, depuis leur professionnalisation, ont comme principale vocation de se projeter pour intervenir à l’extérieur de nos frontières.
Ce rapport se présente, me semble-t-il, comme une « feuille de route » donnée aux armées : il réaffirme et clarifie leur rôle sur le territoire national et rappelle leur légitimité à combattre, en France, des actions terroristes qui se jouent des frontières, qui menacent directement notre société et qui visent à en brouiller les repères.
La question, bien sûr, est de savoir si cette redéfinition de la doctrine d’emploi de nos armées sur le territoire national est justifiée et si les réponses apportées sont pertinentes.
Globalement, nous pouvons partager les principaux éléments de la réflexion que vous nous avez présentée. En matière d’antiterrorisme, il me paraît effectivement nécessaire de proposer de nouvelles missions de sécurité intérieure pour nos armées, sans changer le cadre légal de leur intervention. Il est essentiel de rappeler que ce sont les attentats du mois de janvier qui obligent à recentrer nos armées, en particulier l’armée de terre, sur leur mission première de protection du territoire national.
Ce cadre d’intervention était prévu dans le Livre blanc, avec 10 000 hommes à terre, ainsi que la protection de nos approches maritimes et la sûreté de l’espace aérien, soit 15 000 hommes au total.
Toutefois, comme vous le préconisez, il faut faire évoluer le premier dispositif mis en place après les attentats, mais – vous l’affirmez – sans modifier la Constitution ni la loi. Conformément à nos principes et à la tradition républicaine, l’emploi des armées doit bien entendu rester soumis à l’autorité civile, sous la forme de la réquisition.
De même, il est exclu naturellement de conférer aux militaires des pouvoirs de police judiciaire pour procéder à des fouilles ou à des contrôles d’identité, ou de les mettre en situation de participer à des opérations de maintien de l’ordre.
À cet égard, je suis très réservée sur les discussions en cours concernant les modifications du régime juridique d’utilisation de la force armée, qui relève actuellement exclusivement du régime de la légitime défense des policiers.
Dès lors que le régime aura été modifié pour les policiers, comme le prévoit le texte en discussion à l’Assemblée nationale, qu’en sera-t-il des conditions d’ouverture du feu pour les militaires ? Il pourrait y avoir là un enchaînement préoccupant. Pour notre part, nous nous y opposerons, à l’instar des collègues de notre groupe à l’Assemblée nationale, qui ont défendu un amendement visant à supprimer cette mesure pour les policiers.
À la lumière de l’expérience, il apparaît que le dispositif Sentinelle doit évoluer, car il a vite atteint ses limites. Nous sommes nombreux à nous interroger – ce débat en est le reflet – sur l’efficacité réelle de cette opération, ainsi que sur la pertinence qu’il y aurait à utiliser des unités combattantes, souvent très spécialisées, pour lutter en milieu urbain contre la forme de terrorisme que nous connaissons en France.
Je sais que le dispositif change pour des missions plus dynamiques. Il faut ainsi rétablir la dissuasion et la surprise, avec une armée qui soit en mesure d’appliquer sur le territoire national ce qu’elle sait faire à l’extérieur. Il faut lui confier les missions qu’elle connaît, au regard de son expérience sur les théâtres, comme sécuriser une zone, un quartier, un territoire, avec un objectif à atteindre. Toutefois, on doit la laisser s’organiser. C’est par exemple à elle de choisir le format nécessaire et le mode de déplacement, puis de les faire valider par le préfet. J’approuverai les mesures concrètes qui pourraient être prises dans ce sens.
Par ailleurs, depuis un an, nos armées sont pleinement mobilisées dans la lutte antiterroriste. Elles sont à la limite de l’usure, entre opérations extérieures et mission Sentinelle de protection de la population que les soldats enchaînent à une cadence inédite.
En 2015, plus de 70 000 soldats de l’armée de terre y ont participé, une situation sans précédent depuis la guerre d’Algérie, certains ayant cumulé jusqu’à cinq ou six déploiements. Vous l’avez souligné, monsieur le ministre, ils ont été mobilisés jusqu’à 230 jours hors de leur garnison.
Nous avons 30 000 militaires mobilisés à l’intérieur et à l’extérieur ; certains d’entre eux en sont à huit mois d’absence. Avant les attentats, quelque 5 % du temps des soldats étaient mobilisés pour Vigipirate. Avec Sentinelle, ce taux est passé à 40 % ! M. Louis Gautier a tiré la sonnette d’alarme : il s’agit d’un rythme non compatible avec une action dans la durée. Or la durée, monsieur le ministre, c’est le grand mystère de notre débat.
En outre, cette situation pèse sur l’entraînement et la préparation opérationnelle, qui sont « l’assurance vie » de nos soldats en opérations extérieures. Et je n’insisterai pas sur les faiblesses logistiques et matérielles, notamment sur les conditions d’hébergement souvent très difficiles, surtout dans la durée. Je sais que vous y êtes sensible, monsieur le ministre, et que les choses devraient s’améliorer.
Enfin, je dirai un dernier mot concernant la rénovation de la politique des réserves militaires. Nous approuvons les efforts tant en matière budgétaire – ceux-ci doivent maintenant se concrétiser –, qu’en matière d’augmentation des effectifs, pour atteindre une capacité permanente de déploiement de 1 000 réservistes par jour, afin d’assurer les missions de protection sur le territoire national.
Avec des mesures visant également à augmenter le nombre de jours d’activité des réservistes salariés, à réduire le préavis d’information de leurs employeurs et à simplifier les démarches de gestion administrative, nous avons là un ensemble qui, je l’espère, renforcera enfin les liens entre nos concitoyens et leurs armées.
Telles sont, monsieur le ministre, les quelques appréciations que ce rapport m’a inspirées et dont je voulais vous faire part au nom du groupe communiste républicain et citoyen. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Gilbert Roger, pour le groupe socialiste et républicain.
M. Gilbert Roger. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, nous entamons un débat sur le rapport que le Gouvernement s’était engagé à remettre au Parlement lors de l’actualisation de la loi de programmation militaire votée en juillet 2015, afin d’informer la représentation nationale des orientations arrêtées pour la formalisation d’une nouvelle doctrine d’emploi des armées sur le territoire national, devenu le premier théâtre d’engagement en volume. Je tiens à remercier le Gouvernement de tenir cet engagement.
Je salue tout d’abord le dévouement de nos 10 000 militaires mobilisés depuis plus d’un an sur le territoire national, lesquels contribuent au quotidien, aux côtés des forces de police et de gendarmerie, à protéger nos concitoyens, parfois dans des conditions extrêmement difficiles, certains ayant cumulé jusqu’à cinq ou six déploiements.
La France est directement exposée à la menace terroriste. Comme vous l’avez déjà souligné dans cet hémicycle, monsieur le ministre, il existe une imbrication croissante entre la sécurité de la population sur le territoire national et la défense de notre pays à l’extérieur.
Il n’y a donc plus de dissociation entre la menace extérieure et la menace intérieure : l’engagement des militaires qui interviennent en appui de la mission conduite par les forces de sécurité intérieure se place désormais dans la continuité des OPEX menées dans la bande sahélo-saharienne ou au Levant pour lutter contre Daech.
Sentinelle est mise en œuvre par les mêmes soldats, puisqu’il n’existe qu’une seule armée à la disposition du chef de l’État, et non une armée territoriale et une armée extérieure.
C’est la prise en compte de cette évolution de la menace terroriste, depuis les attentats de janvier et de novembre 2015, où des Français, nés en France, s’attaquent à leur propre patrie, qui a conduit à engager un changement profond d’échelle et de nature des interventions terrestres sur notre territoire. C’est cette même menace qui nécessite, aujourd’hui, le maintien du contrat de protection à 10 000 hommes et un emploi des armées de plus en plus réactif, souple et manœuvrier.
Il était en effet nécessaire de repenser le plan Vigipirate. Le chef de l’État a pris la décision de pérenniser le contrat opérationnel de protection des armées et d’en tirer les conséquences en termes d’effectifs dans le cadre de la loi d’actualisation de la programmation militaire. Pour s’adapter au nouveau contexte sécuritaire post-attentats, c’est principalement l’armée de terre qui a dû se recentrer sur sa mission de protection, en plus de ses autres missions que sont la projection extérieure, la prévention et la dissuasion.
Pour ce faire, le rapport que nous examinons aujourd’hui ne prévoit pas de modification du cadre juridique existant : le régime de réquisition des armées par le pouvoir civil reste pertinent. Sentinelle ne peut pas être un simple complément d’effectifs aux forces de sécurité intérieure. C’est la raison pour laquelle sont conduites de véritables opérations militaires, sur le même modèle que les OPEX : elles sont placées sous le commandement du chef d’état-major des armées et déclenchées par le chef de l’État au terme d’un conseil de défense et de sécurité nationale.
L’intérêt majeur du recours au contrat de protection des armées tient à la capacité de réaction immédiate que constitue ce réservoir de forces, à sa souplesse d’emploi et à sa modularité.
En effet, si l’opération Sentinelle a permis, dans un premier temps, de protéger statiquement les sites les plus sensibles, elle a progressivement adopté une plus grande flexibilité dans ses modes d’action, notamment depuis les attaques terroristes simultanées du 13 novembre 2015, dont les cibles étaient indiscriminées. Il fallait apporter une réponse claire, un signe fort de l’engagement plein et entier des forces armées au service de la Nation et de sa protection.
Les forces armées disposent en effet de capacités que les policiers n’ont pas, que ce soit en termes d’infrastructures, de drones, de génie ou encore de lutte contre la menace nucléaire, radiologique, bactériologique et chimique. Elles ont également une grande expérience en matière de planification des missions et de commandement. Enfin, le déploiement visible de la force armée sur l’ensemble du territoire maximise l’effet dissuasif face aux actes terroristes.
L’armée de terre a-t-elle, pour autant, vocation à exercer sa mission de protection du territoire national de façon pérenne ? Si nous répondons positivement, alors nécessairement nous devrons mieux préciser son rôle, ses actions et ses missions sur le territoire, sans négliger les outre-mer, en particulier les forces de gendarmerie et les forces armées en Guyane, qui mènent depuis 2008, avec la mission Harpie, une lutte acharnée contre l’orpaillage illégal. Si le bilan présenté dans ce rapport est encourageant, nous peinons encore à en limiter l’ampleur.
Aussi, puisque les effectifs des forces armées en Guyane n’ont pu être renforcés, nous devons redoubler d’efforts pour améliorer la coopération transfrontalière. Les opérations conjointes se développent avec les forces brésiliennes, mais restent limitées du côté du Surinam. Monsieur le ministre, pourriez-vous nous préciser les perspectives de coopération avec ce pays à moyen terme ?
Par ailleurs, je souhaite rappeler qu’en raison du haut niveau de mobilisation de nos forces, nous n’atteignons pas actuellement notre objectif de temps d’entraînement de nos soldats. Pour ce faire, je le rappelle, nous devrions absolument passer de 64 à 90 jours.
M. Gilbert Roger. Cependant, la tension actuelle que connaît notre outil de défense en raison des multiples théâtres d’engagement s’allégera progressivement à partir de la mi-2016, notamment grâce aux mesures de recrutement autorisées pour la force opérationnelle terrestre : quelque 5 500 recrutements sont prévus en 2015, et autant en 2016.
S’agissant des conditions d’hébergement, des améliorations sont encore nécessaires pour accueillir dans de bonnes conditions nos troupes. Je souhaite cependant saluer la réactivité du ministère de la défense, qui a dû mobiliser dans l’urgence tous les lieux d’hébergement disponibles, y compris le fort de Vincennes et l’îlot Saint-Germain.
En ce qui concerne l’adaptation des règles d’usage des armes, je ne suis pas favorable à une évolution de la règle de légitime défense, mais nous aurons l’occasion d’en débattre à l’occasion de l’examen du projet de loi renforçant l’efficacité de la procédure pénale.
Enfin, si le souhait de certains de réintroduire un service militaire obligatoire me semble totalement inadapté aux enjeux actuels, en revanche, le déploiement du service militaire volontaire et le renforcement des réserves militaires, opérationnelles et citoyennes répondent aux besoins du pays et aux aspirations des Français. J’ai moi aussi assisté jeudi matin à vos annonces, monsieur le ministre : elles vont dans le bon sens.
J’insiste depuis plusieurs années sur la nécessité de renforcer le lien entre l’armée et la Nation, notamment en direction d’une classe d’âge qui peine parfois à trouver ses repères dans notre société.
Aussi étais-je très satisfait d’entendre le Président de la République, lors de son allocution devant le Parlement réuni en Congrès, le 16 novembre dernier, annoncer la montée en puissance du recours à la réserve opérationnelle, avec la mise en place d’une « garde nationale » qui pourrait, en cas de crise majeure, combiner les dispositifs des réserves militaires avec celui, en cours de création, de réserve citoyenne interministérielle. Le parti socialiste travaille actuellement à la rédaction d’un rapport sur le concept d’une garde nationale et civique. De tels dispositifs répondent à cet objectif d’insertion et de formation ; ils devraient faire consensus dans notre pays.
Je me félicite, pour conclure, de la décision de relever le budget des armées, après une décennie de lourdes restructurations. Cette augmentation du budget est nécessaire pour maintenir un modèle complet d’armée permettant de couvrir tout le spectre des menaces et de garantir la sécurité de notre pays. Il y va de la crédibilité de la Nation auprès de nos militaires et du maintien d’un niveau d’ambition élevé de la France sur la scène internationale. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du RDSE.)
M. Jean-Pierre Raffarin, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Leila Aïchi, pour le groupe écologiste.
Mme Leila Aïchi. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, vous connaissez mon engagement en faveur de l’environnement. Avant d’entamer mon propos, je saisis donc l’occasion qui m’est offerte de saluer la présence dans nos tribunes d’une délégation d’Indiens Ashaninkas, qui viennent du Brésil et auxquels je souhaite la bienvenue. (M. Jean-Marie Bockel applaudit.)
Notre débat, qui s’inscrit dans un contexte difficile et inédit, revêt une importance toute particulière. Mais avant tout, je tiens à saluer, au nom de l’ensemble du groupe écologiste du Sénat, la détermination et le courage de nos soldats, que ce soit dans le cadre de leur engagement sur le territoire national ou sur les différents théâtres d’opérations à l’étranger.
Ces hommes et femmes qui s’engagent au quotidien pour notre sécurité sont en effet au cœur du dispositif dont nous débattons aujourd’hui. Nous ne le répéterons jamais assez, ils sont la première richesse de nos armées et la meilleure réponse aux menaces auxquelles nous sommes confrontés. Aussi, les annonces que vous avez faites la semaine dernière, monsieur le ministre, concernant la réserve militaire, particulièrement précieuse aujourd’hui, nous paraissent aller dans le bon sens.
Nous devons impérativement mener une réflexion commune et sur le long terme, afin de définir les missions les plus adaptées aux risques d’aujourd’hui et de demain. Nous pensons donc que la présentation au Parlement de ce rapport sur les opérations intérieures, décidé lors de l’actualisation de la loi de programmation militaire de juillet 2015, et le débat qui a lieu aujourd’hui sont des signaux positifs.
Nous considérons en effet que le Parlement a toute sa place dans la réflexion stratégique autour de l’emploi des armées sur le territoire national. Plus encore, nous pensons que le Parlement devrait être davantage associé, dans la mesure du possible, en amont, et non pas seulement exercer un contrôle a posteriori.
Dans l’esprit de la Constitution et concourant au renforcement du lien entre armée et nation, nous devons encourager les débats contradictoires tout au long de l’engagement de nos forces, de surcroît sur le territoire national. Pourquoi, monsieur le ministre, ne pas adopter le même dispositif de contrôle parlementaire des opérations intérieures que celui que nous exerçons aujourd’hui pour les OPEX ?
En effet, comme vous le soulignez tout au long de votre rapport, l’engagement de nos soldats sur le territoire national n’est en rien une décision anodine, bien au contraire. Je sais que vous en mesurez toute la gravité et je tiens à saluer ici votre action, dans le contexte particulièrement difficile que nous traversons au niveau tant international que national. Je tiens également à souligner la réactivité et la justesse d’analyse de l’état-major dans cette crise internationale.
À plusieurs reprises, dans ce rapport, vous rappelez que l’opération Sentinelle, déployée après les attentats de janvier 2015 et renforcée après ceux de novembre, est un engagement « inédit ». Sur ce point-là, nous sommes d’accord.
Toutefois, et c’est là que nous souhaiterions obtenir davantage de précisions, vous ajoutez que cet engagement est « durable ». Or cette situation ne peut être pérenne : pour garantir l’effet dissuasif et l’efficacité de ce dispositif, ce dernier doit être clairement défini dans le temps. De surcroît, il semble difficile d’ignorer la multiplication des engagements et le contexte budgétaire actuel.
Le territoire national est devenu le premier théâtre d’engagement du ministère de la défense en volume, avec des effectifs militaires dédiés multipliés par cinq en 2015. Même si la situation exceptionnelle que nous traversons l’impose, la présence massive de soldats sur notre territoire ne peut avoir vocation à s’inscrire dans le long terme.
Il ne s’agit pas, pour nous, de remettre en cause le travail de nos soldats dans le cadre de l’opération Sentinelle. Un tel déploiement, faisant suite aux terribles attentats qui ont frappé notre pays, était nécessaire. Toutefois, nous pensons que cet engagement ne peut pas être durable, comme vous l’affirmez, auquel cas le partage des compétences voudrait que ce soit le ministère de l’intérieur qui se charge du maintien de l’ordre et de la sécurité du territoire.
J’attire également votre attention sur les ajustements que vous comptez apporter, dans le cadre de la réforme pénale, à « l’irresponsabilité pénale » des fonctionnaires de police, des gendarmes et des militaires déployés sur le territoire national dans le cadre d’une réquisition. Nous y sommes fondamentalement opposés. Nous devons trouver l’équilibre juste entre un État de droit et un état de nécessité !
La peur de l’attentat du lendemain, monsieur le ministre, ne peut être une excuse à une normalisation de l’état d’exception dans lequel nous nous trouvons.
La peur de l’attentat du lendemain ne doit pas nous tétaniser. C’est pourquoi les recommandations que vous formulez à la fin de votre rapport, à savoir une meilleure coordination et une interopérabilité renforcée avec les forces de sécurité intérieure, vont dans la bonne direction. Cela doit justement faciliter une transition et une sortie progressive de l’état d’exception dans lequel nous sommes.
Monsieur le ministre, combien de temps nos soldats seront-ils engagés sur le territoire national dans le cadre de l’opération Sentinelle ? Combien de temps le renfort des 3 000 hommes restera-t-il en vigueur ? Avez-vous un agenda prévisionnel ?
D’un point de vue plus général, votre rapport vise à redéfinir les missions prioritaires de nos armées lorsqu’elles interviennent sur le territoire national. Le groupe écologiste ne remet aucunement en cause l’expertise de l’armée. Nous considérons, au contraire, qu’elle représente une réelle plus-value dans un certain nombre de domaines.
En effet, parmi les missions permanentes définies dans le cadre des opérations intérieures, l’action de l’armée en matière de défense des intérêts économiques et des accès aux ressources stratégiques, ou encore de sauvegarde maritime, avec notamment la défense maritime du territoire, dont le contre-terrorisme, est primordiale et doit être encouragée.
Vous connaissez bien ma position sur ce sujet, monsieur le ministre. Ces missions intérieures sont de réelles priorités sur le long terme.
Nous soutenons donc l’action de nos armées, y compris sur le territoire national, lorsque cette action se place dans un cadre strictement défini, avec des objectifs clairs et surtout un agenda. Il s’agit de la condition sine qua non pour garantir un État démocratique, la sauvegarde des libertés individuelles et la sécurité de notre territoire.
M. le président. Mes chers collègues, je vous invite à mon tour à saluer la présence dans nos tribunes d’une délégation d’Indiens Ashaninkas, originaires du Brésil, en visite au Sénat. (Mmes et MM. les sénateurs se lèvent et applaudissent.)
Dans la suite du débat, la parole est à M. Dominique de Legge, pour le groupe Les Républicains.
M. Dominique de Legge. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, mes chers collègues, le débat qui nous occupe cette après-midi résulte de dispositions que le Parlement avait souhaité introduire lors de la révision de la loi de programmation militaire en juillet 2015, c’est-à-dire avant les tragiques événements de novembre dernier.
Dès lors, il prend une dimension toute particulière, car il s’agit non plus seulement de satisfaire à une obligation légale, mais bien d’évoquer une question d’actualité tristement pérenne, à savoir l’adaptation permanente de nos moyens et de nos pratiques à une menace qui ne faiblit pas et qui s’inscrit dans la durée.
Expression d’un intérêt pour la question du cadre juridique de l’engagement de nos armées, le document que vous nous soumettez traite de façon complète ce sujet, crucial dans un État de droit et pour la protection de nos militaires. Vous y précisez ainsi, monsieur le ministre, que « la participation des armées à la préservation de l’ordre public s’opère dans le cadre de réquisitions […] et que l’emploi des forces est fondé sur la légitime défense ». À ce titre, les forces armées sont placées sous l’autorité du ministre de l’intérieur. La situation est ainsi clarifiée.
Cette question fait écho au débat que nous aurons demain sur la constitutionnalisation de l’état d’urgence. Une chose est d’en appeler à celui-ci de façon exceptionnelle, une autre est de l’inscrire dans la durée, en en faisant un outil pérenne de maintien de l’ordre.
Pour autant, sur le plan pratique et opérationnel, les choses sont plus complexes. Nos militaires agissent bien sous le régime de la protection civile et du maintien de l’ordre, mais dans un contexte très particulier. Le Président de la République, comme le Premier ministre, ne parle-t-il pas de situation de guerre ?
Votre document fait état de menace militaire, d’actes de guerre, ou encore de commandos militaires et, à l’instant, vous nous parliez de militarisation de la menace. Quant à nos adversaires, ils disent très clairement qu’ils sont en guerre avec nous et se considèrent bien comme des combattants d’une armée au service d’un État.
S’agissant de l’engagement de nos armées, je veux rendre hommage au savoir-faire et à la disponibilité de ces dernières. Certaines des missions qui leur sont confiées dans le cadre de l’opération Sentinelle sont des plus-values incontestables, comme le renseignement, la surveillance aérienne et maritime, la cyberdéfense et la santé.
Pour autant, on peut s’interroger sur d’autres missions, comme celles que vous mentionnez vous-même dans votre rapport – présence dissuasive, contrôle, surveillance, protection, voire fonction de communication, pour rassurer nos concitoyens –, car elles ne constituent pas le cœur de métier de nos soldats. Le maintien de l’ordre public ne participe pas des mêmes logiques que la fonction militaire. Par exemple, les termes « neutraliser un adversaire » n’ont pas la même signification pour un policier et pour un militaire.
À juste titre, vous n’avez pas souhaité créer une force dédiée à ces missions placées sous l’autorité du ministre de l’intérieur. J’ai bien noté que l’ensemble de nos personnels était invité à les assurer, en plus de leurs missions traditionnelles. Je vous rejoins pour considérer qu’il ne peut pas y avoir deux armées, l’une de l’intérieur et l’autre de l’extérieur. La question qui nous est alors posée est la suivante : comment et combien de temps une armée professionnelle peut-elle venir en renfort des forces de l’ordre pour des missions de sécurité intérieure ?
Les militaires n’ont pas vocation à renforcer les forces de l’ordre et à se substituer à elles, pas plus qu’à être placés durablement sous l’autorité du ministre de l’intérieur. Les cadres d’emploi et conditions d’engagement ne peuvent répondre aux mêmes impératifs et logiques, au risque d’une dérive de l’État de droit. Cela nous renvoie aux moyens globaux dégagés pour lutter contre les menaces sur notre territoire national, notamment sur le plan de la police administrative et judiciaire, pour lesquelles nos armées sont incompétentes et doivent le rester.
J’en viens maintenant à des aspects plus budgétaires. Le document que vous nous soumettez est peu disert et se contente de renvoyer au décret d’avance du 27 novembre 2015, en affichant un surcoût de l’opération Sentinelle de 170 millions d’euros en 2015.
Pas un mot sur le budget 2016, alors que le Président de la République a annoncé devant le Congrès une révision du format de nos armées : 70 000 personnels, permettant de mobiliser 10 000 militaires sur le territoire national ! Pas un mot sur les conséquences de l’opération Sentinelle sur l’organisation même de nos armées et sur le reste de nos engagements !
Quand nos militaires font de la garde statique, ils ne se forment pas, ils ne remplissent pas de missions plus traditionnelles, ils ne sont pas en OPEX. Quelles en sont les conséquences sur le maintien en condition opérationnelle de nos hommes et de nos matériels ?
La moindre déflation des effectifs pour les besoins de l’opération Sentinelle ne constitue pas une réponse aux besoins de nos armées, au regard de leurs engagements sur des théâtres extérieurs. On ne peut affirmer que nous inscrivons notre mobilisation dans la durée sans faire de même pour les financements et continuer à recourir à des provisions insuffisantes et à de la cavalerie budgétaire !
Dans un contexte en perpétuelle évolution, où les maîtres mots doivent être adéquation et réactivité, je ne sais pas s’il faut réviser la loi de programmation militaire. En effet, à peine votée, elle risque déjà de devenir obsolète.
Pour autant, je souhaite que le Gouvernement nous soumette rapidement un collectif budgétaire, afin que nous disposions d’une vision d’ensemble des actions entreprises tant à l’intérieur qu’à l’extérieur, en faveur de la sécurité de nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Cédric Perrin, pour le groupe Les Républicains.
M. Cédric Perrin. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, mes chers collègues, il est des évidences qu’il faut parfois marteler : nos armées sont servies par des femmes et des hommes de grande qualité, généreux, courageux, volontaires, qui ont le goût de l’effort et qui ne craignent pas le sacrifice.
En 2015, près de 50 % d’entre eux ont quitté leurs familles durant plus de 200 jours. Après l’attaque contre Charlie Hebdo, nos militaires ont été engagés dans une mission inédite. 10 000 soldats sont déployés sur notre territoire. À la fin de l’année 2015, quelque 70 000 d’entre eux ont participé à l’opération Sentinelle. Ils sont désormais plus nombreux dans nos villes, affectés à la protection de notre territoire national, qu’en opérations extérieures.
Ce dispositif exceptionnel et nouveau pour nos armées répond à une menace nouvelle, qui s’affranchit de toute convention, à une menace plurielle, présente sur de multiples fronts, au plus loin comme au plus près.
Dans ce contexte, nos armées sont légitimes à concourir, sur le sol national, à la sécurité de nos concitoyens, comme elles le font déjà à travers les postures permanentes de sûreté maritime et aérienne.
Les équilibres traditionnels ont cependant disparu. La menace dépassant les frontières, la complémentarité entre sécurité intérieure et défense extérieure est plus que nécessaire. Le rapport au Parlement le souligne.
Il ne faut pas se contenter d’apporter un complément d’effectifs sur le modèle du plan Vigipirate. Il s’agit bien de permettre aux pouvoirs publics de prendre sous leur tutelle la conduite de véritables opérations militaires. Dans ce cadre, il me semble essentiel de rappeler à ceux qui resteraient confinés dans des schémas dépassés que les militaires ne sont en aucun cas des supplétifs des forces de sécurité intérieure, avec lesquelles ils travaillent d’ailleurs déjà en très bonne intelligence. Ceux qui doutent de leur légitimité à intervenir sur le territoire national font erreur.
Le défi est désormais de repenser cette fonction de protection dans toutes ses dimensions. Il faut adapter les conditions d’emploi des armées à ce nouveau contexte sécuritaire. Nos militaires ne sont pas des vigiles, dociles et corvéables à merci. Ils ne sont pas là pour faire régner l’ordre de manière statique, en constituant des cibles supplémentaires. Ils ne sont pas là pour se contenter de faire nombre et de rassurer les Français ! C’est une question de compétence, d’efficacité opérationnelle, de morale, mais aussi, plus prosaïquement, de coût.
Ils doivent, notamment, être capables d’apporter du renseignement militaire. Il n’est évidemment pas question qu’ils interviennent dans le domaine judiciaire, mais les unités qui patrouillent doivent pouvoir recevoir et apporter un renseignement, dont je ne doute pas qu’il sera exploité au mieux par les forces de sécurité intérieure. Nos militaires doivent donc servir à démultiplier les forces de sécurité en s’interconnectant avec elles. Il faut créer une habitude de travail en synergie.
Les propositions émises par l’armée de terre et qui visent à mettre un terme aux missions statiques doivent être soutenues par les pouvoirs publics, qui en recueilleront rapidement les bénéfices. Il n’est pas acceptable que cette nécessaire évolution de l’emploi des militaires soit remise en cause par des réaffectations de plus en plus nombreuses vers des gardes statiques, inefficaces et dangereuses.
En complément, la politique des réserves doit être rénovée, vous l’avez dit, monsieur le ministre. Au-delà des propositions déjà formulées, il faut inventer de nouveaux dispositifs incitant les entreprises à libérer davantage les réservistes.
Reste une interrogation majeure, monsieur le ministre, face à la complexité de la violence que nous combattons. Quand serons-nous capables de diminuer les effectifs consacrés à la mission Sentinelle ? Nous sommes passés de 7 000 à 10 000 hommes. Nous devons être capables de redescendre. Cela nécessite, sans doute, beaucoup de courage politique de la part de ceux qui prendront cette décision, mais elle est, à mon sens, nécessaire.
Il faut laisser souffler les troupes et leur permettre de s’entraîner avec leurs équipements, afin qu’elles se maintiennent en condition opérationnelle pour affronter l’avenir.
De quelles réserves disposons-nous pour faire face à la prochaine attaque ? Quel emploi de l’armée comptons-nous faire en cas de nouvel attentat de masse ? Quelle sera la nature exacte de la mission confiée aux armées, une fois que celles-ci auront recouvré leur mobilité sur le territoire national ? Que ferons-nous s’il faut intervenir à nouveau à l’étranger ? Supprimerons-nous Sentinelle ? N’est-il pas préférable, monsieur le ministre, d’adapter ce dispositif, afin de lui permettre de remonter en puissance ? Ne peut-on pas envisager des missions particulières, par exemple le cloisonnement du terrain ou le contrôle des axes ? En un mot, que ferons-nous de plus au prochain attentat ?
L’armée est la pierre angulaire de notre action collective contre cette barbarie. Nous savons que nous pouvons compter sur elle et sur sa loyauté.
Je terminerai par ces mots du chef d’état-major des armées, le général de Villiers : « Nos militaires défendent avec foi les valeurs de la France. La liberté, ils combattent pour elle. L’égalité, ils la vivent sous l’uniforme. La fraternité, ils la construisent au quotidien ». (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l’UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Pierre Raffarin, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme il est difficile d’être classé en permanence parmi les bons ministres !
M. Gérard Longuet. C’est toujours mieux que de faire partie des mauvais ! (Sourires.)
M. Jean-Pierre Raffarin, président de la commission des affaires étrangères. En effet, on attend de vous toujours plus, toujours mieux ! Et aujourd’hui, nous attendions plus quant au rapport particulièrement important qui fait l’objet de ce débat, dont nous vous remercions, monsieur le ministre.
Logiquement, c’est au Sénat que ce débat se tient en premier lieu, car c’est la commission des affaires étrangères et de la défense de la Haute Assemblée qui en a introduit le principe dans la loi de programmation militaire.
Il est vrai que le Gouvernement a pris le temps de la réflexion. Ce déploiement sur notre sol de forces jusqu’alors principalement engagées à l’extérieur constitue en effet un tournant majeur des relations entre l’armée et la Nation, sans doute le plus important depuis la suspension du service national par le président Chirac.
Je propose ici une triple exigence : il nous faut une pensée, afin de fixer la politique que nous devons mener et de la faire partager, il nous faut un cadre d’action et il nous faut des moyens. C’est cette triple exigence que je vais interroger. En conclusion, je vous transmettrai volontiers, monsieur le ministre, non pas un ordre de mission, mais un mandat de fidélité aux convictions du Sénat !
Première question : disposons-nous vraiment d’une doctrine d’emploi ?
Cet aspect ayant été fort bien traité par plusieurs orateurs avant moi, je ne m’y étendrai que pour souligner à la fois la pleine légitimité de l’armée dans la protection du territoire, mais aussi, quelques insuffisances de la situation actuelle. Malgré la mise en place d’états-majors tactiques et le très lent reflux des gardes statiques, les militaires restent guettés par le piège d’être des supplétifs destinés à soulager les forces de sécurité intérieure. La sédimentation des réquisitions et la trop lente dynamisation du dispositif Sentinelle en sont la preuve.
En conséquence, les qualités de nos armées sont trop peu exploitées : pas de remontée vers le renseignement territorial, pas d’utilisation des compétences proprement militaires, autonomie limitée. C’est se priver du pouvoir de faire changer l’incertitude de camp !
Demandons plutôt aux militaires un effet final recherché et laissons-les déployer leur savoir-faire. Les scènes de guerre, la sécurisation de zones, le contact avec les populations sont leur lot en OPEX. Sachons mieux en tirer profit. Il reste du chemin à faire.
Disons-le clairement, à quel autre ministère oserait-on demander un tel effort dans la durée ? Quelque 10 % des soldats de Sentinelle campent pour six à huit semaines dans des lits de camp, et en plein Paris, pas à Gao ni à Kidal ! Leurs journées sont du genre six heures vingt-trois heures et ils font quinze kilomètres de marche en portant vingt-cinq kilogrammes sur le dos. Cela doit être dit : les conditions sont dures.
Enfin, le Président de la République a demandé à la défense, en quelque sorte, de « faire tapis » et d’engager d’entrée de jeu un plafond de 10 000 soldats, ce qui ne permet pas de remontée en puissance ultérieure. Il y a là, à mon sens, une des lacunes de ce rapport, monsieur le ministre : il manque un outil pour adapter Sentinelle.
En conséquence, les tensions seront fortes pour l’armée de terre, au moins jusqu’en 2017, et nous n’avons pas de réserve pour faire face à un nouvel attentat.
Deuxième question : disposons-nous d’un cadre juridique solide ?
Dans le code de la défense, il est écrit noir sur blanc que le devoir militaire va jusqu’au sacrifice suprême, celui de sa vie. C’est une réalité, chaque année, pour de nombreux soldats, auxquels nous rendons tous ici hommage. Réciproquement, la Nation doit à ses militaires des conditions claires et sûres d’exercice de leur mission.
Concernant les opérations extérieures, la rédaction du Sénat, plus protectrice pénalement, avait prévalu en 2013, lorsque, à la suite du traumatisme d’Uzbin, le code de la défense et le code pénal avaient été modifiés pour mettre un terme à l’utilisation abusive des recours juridictionnels contre les opérations militaires, lesquelles comportent, par leur nature même, le risque du combat, donc celui de la mort. Je le rappelle et je salue la sagesse de notre assemblée.
Sur le territoire national, c’est la règle de la légitime défense qui s’applique. Chacun connaît les fortes exigences de la Cour de cassation en la matière. L’article 19 du projet de loi contre le crime organisé propose d’autoriser l’usage des armes en cas de « périple meurtrier ». Notre commission s’en est saisie pour avis. Il importe que les militaires bénéficient de la même sécurisation juridique que les forces de sécurité intérieure, avec lesquelles ils opèrent désormais.
M. Jean-Pierre Raffarin, président de la commission des affaires étrangères. Nous serons très attentifs sur ce point.
Troisième question : disposons-nous de moyens suffisants ?
« À mission nouvelle, moyens nouveaux ». Ces mots du chef d’état-major des armées, nous les faisons nôtres. Une mission de l’ampleur de Sentinelle implique, bien sûr, la mobilisation de moyens en conséquence. Il est tout à fait évident aux yeux des Français, dont la sécurité est, après le chômage, la deuxième préoccupation prioritaire, que le budget de la défense doit remonter en puissance après des années de décrue, afin de prendre en compte la menace terroriste, laquelle puise ses racines à l’extérieur pour venir frapper à l’intérieur.
C’est d’ailleurs une prescription que nous nous sommes donnée à nous-mêmes, lors du sommet des chefs d’État à Newport en 2014, où a été affirmé l’objectif de consacrer 2 % du produit intérieur brut à la défense. Cet objectif doit bien sûr s’imposer aujourd’hui à tous ceux qui se préparent à diriger notre pays à l’avenir. L’intensité de l’effort demandé à nos armées doit avoir, pour contrepartie, l’assurance que les ressources nécessaires seront disponibles. C’est une question d’éthique politique et de responsabilité.
Des déclarations solennelles ont été faites. Le Président de la République, le 16 novembre dernier, à Versailles, devant le Parlement réuni en Congrès, a annoncé expressément qu’il n’y aurait « aucune diminution d’effectifs dans la défense jusqu’en 2019 ». Vous-même, monsieur le ministre, le 27 novembre, dans cet hémicycle, vous avez indiqué que « 10 000 postes supplémentaires à l’horizon 2017, 2018 et 2019 […] seront sauvegardés en application de la décision du Président de la République ».
Encore faut-il que ces décisions soient gravées dans le marbre de la programmation militaire, qui se décline chaque année en loi de finances et confère des moyens à nos forces armées. Il s’agit donc, mes chers collègues, d’enclencher la deuxième vague, logique et attendue, de la remontée en puissance, après l’étape, franchie en juillet dernier, de la première actualisation de la loi de programmation militaire.
Il pourrait en effet se révéler aventureux de laisser le dernier mot en la matière à la loi de programmation des finances publiques, l’autre document budgétaire pluriannuel, dont nous attendons le projet à l’automne. Nous le savons, celui-ci est rédigé de l’autre côté de la Seine !
D’après les évaluations de la commission, le gel des réductions d’effectifs représente 600 millions d’euros de masse salariale sur la durée de la programmation en coût complet, 700 millions d’euros avec le fonctionnement et l’investissement. S’y ajoute le surcoût budgétaire annuel de Sentinelle, qui était de 170 millions d’euros en 2015.
À cet égard, le rapport dont nous débattons se révèle peu rassurant.
Tout d’abord, ce document rappelle que la couverture des surcoûts entraînés en 2015 par Sentinelle a été intégralement assurée par la voie d’un décret d’avance. Dont acte.
Ensuite, il se borne à exposer que « ce traitement budgétaire accordé en 2015 […] devra être reconduit lors des exercices budgétaires à venir. À défaut, la prise en charge de ces surcoûts […] induirait des redéploiements de ressources budgétaires en cours de gestion générant principalement un effet d’éviction sur les dépenses d’entretien programmé des matériels, alors que l’accroissement de [ces dépenses] constitue un objectif majeur au service de l’amélioration de la disponibilité des parcs de matériels, lourdement sollicités en opérations extérieures ».
Une telle incertitude pour l’avenir, un si faible engagement du Gouvernement dans ce rapport ne constituent pas, à nos yeux, de bonnes nouvelles ni, d’un point de vue politique, pour notre Assemblée ni, d’un point de vue opérationnel, pour les armées. Monsieur le ministre, vous avez compris que nous nous battons pour votre cause, mais que nous voulons des assurances sur ce sujet.
Lors de l’examen de la loi de programmation militaire, le Sénat voulait mutualiser les surcoûts liés aux missions intérieures, comme pour les opérations extérieures. Cette disposition n’a pas franchi l’étape de la commission mixte paritaire. Il paraît maintenant urgent de relancer cette réflexion.
Personne ne sera donc surpris que je suggère, en conclusion, que le Sénat donne cet après-midi au ministre de la défense un mandat de suite, comportant deux objectifs.
Premièrement, actualiser les tableaux de plafond d’emplois et les tableaux de ressources financières de la loi de programmation militaire, afin d’y intégrer les annonces du Président de la République du 16 novembre dernier, et cela avant la loi de programmation des finances publiques. La menace est claire : cette dernière pourrait précéder la décision !
Deuxièmement, introduire un système de mutualisation du surcoût des opérations intérieures, comme c’est déjà le cas pour les OPEX.
Le sujet n’est pas annexe. Faute de consolider la trajectoire financière, la défense serait dans l’impasse à l’heure des lourds investissements programmés à partir de 2018. L’industrie de défense représente quelque 165 000 emplois, des milliers de PME et des technologies de pointe dans nos territoires. Nous voyons combien ces efforts sont nécessaires. Monsieur le ministre, nous sommes heureux d’avoir eu ce débat et d’entendre vos réponses à nos interrogations.
Nous avons conscience que le pays mérite des efforts pour sa défense et que la sécurité des Français l’exige. C’est pour cela que nous élevons un peu le ton : nous menons une bataille commune, celle de la sécurité des Français et de la France ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l’UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez exprimé dans ce débat l’attention que la Nation porte à nos armées, mais aussi son soutien dans cette période de fortes sollicitations et la fierté que nous tirons collectivement de l’engagement de nos soldats.
Vous avez également – je pense à Mme Michelle Demessine, mais aussi à d’autres orateurs – insisté sur la nécessité d’être extrêmement vigilant sur les conditions d’hébergement et de vie quotidienne de nos forces déployées très rapidement dans le cadre de l’opération Sentinelle.
Je tiens à vous remercier de la qualité de vos propos et de l’appui que vous apportez à nos forces armées. Je vous remercie également de votre soutien à mon action, répété par les uns et par les autres au-delà des clivages politiques.
Je crois avoir déjà évoqué la plupart des sujets qui ont été abordés, et je reviendrai donc simplement sur deux ou trois points, en réponse à certaines interpellations qui m’ont été adressées.
J’assume complètement la « menace militarisée ». Cette expression, qui n’est pas neutre, explique en partie la mobilisation encore plus forte qu’auparavant de nos forces armées pour assurer la protection intérieure.
De fait, la menace s’est militarisée. Je crois avoir été le premier à parler d’« armée terroriste » au sujet de Daech. Cette expression dit bien la dimension territoriale et la volonté d’élargir le califat en se projetant à l’extérieur, y compris d’ailleurs en Libye, qui anime cette organisation. Nous sommes confrontés à une armée terroriste.
Permettez-moi à ce sujet de suggérer à M. Jacques Gautier, dont j’apprécie toujours la tonicité, bien que parfois elle m’interpelle, la lecture intégrale du dernier ouvrage de M. Pierre Servent, un expert assez connu de la chose militaire. Cette suggestion de lecture ne s’adresse d’ailleurs pas qu’à lui ! Je précise que la publicité que je vais faire pour ce livre n’engage que moi. Son seul titre, Extension du domaine de la guerre, est assez révélateur, le mot « domaine » étant pris ici dans son sens aussi bien numérique que territorial.
Monsieur Gautier, vous vous demandez si nous sommes en guerre ou non, en soulignant que la guerre n’est pas visible sur le territoire comme elle l’était auparavant. Je cite l’introduction de l’ouvrage de M. Servent, en miroir de votre interpellation : « [Les guerres] n’obéissent plus aux partitions classiques d’hier : État contre État, armée contre armée, étendard contre étendard. Elles sont baroques, dodécaphoniques et en perpétuelles transformations. » Il nous faut changer ensemble notre logiciel sur la guerre.
En réponse au terrorisme militarisé, pour que nos armées soient en mesure d’assumer ce nouveau domaine de la guerre, nous devons changer de logiciel et nous donner d’autres priorités.
Cela suppose sans doute une mutation culturelle assez considérable de notre part et de la part de l’ensemble des acteurs, y compris des militaires, mais je crois que les priorités que nous nous sommes fixées, y compris celles que j’affichai aujourd’hui dans mes propos et celles qui figurent dans le rapport sur l’emploi des forces armées sur le territoire, correspondent à peut-être ce début de réflexion.
Je vous le concède, mesdames, messieurs les sénateurs, ce nouveau domaine de la guerre ne concerne pas uniquement le territoire national ; les événements que nous venons de vivre en Côte d’Ivoire en participent.
Vous avez raison, changer de logiciel et de priorités suppose également, et nous le faisons, de renforcer le renseignement, de le rendre plus fluide, plus opérationnel, plus interactif entre les différents acteurs, et de faire en sorte que les personnels engagés dans l’opération Sentinelle contribuent à la politique et à l’action du renseignement.
Il nous faut pour cela renforcer les forces spéciales, la préparation opérationnelle et la prévention. L’ambition que nous donnons aux forces armées sur le territoire national est animée par cette volonté. Les forces armées ne peuvent en aucun cas être des supplétifs, et je partage volontiers les propos de M. Raffarin soulignant combien il est nécessaire que le potentiel de nos armées soit suffisamment exploité.
Les choses ont déjà beaucoup bougé. Nous ne sommes plus aujourd’hui dans la situation du mois de novembre 2015, eu égard notamment à la bonne utilisation de l’agilité de nos forces et de l’effet de surprise. Les compétences de nos armées sont mises en œuvre dans le cadre du respect de la loi et de la Constitution, en lien étroit avec le ministère de l’intérieur et dans le cadre d’une interopérabilité renforcée.
Nous avons beaucoup progressé, parce qu’il y avait une urgence et qu’il fallait prendre la situation telle qu’elle était. Une mutation s’opère progressivement dans le respect des textes et dans une collaboration extrêmement étroite, je le dis pour l’ensemble des sénateurs, entre le ministre de l’intérieur et moi-même pour la mise en œuvre de cette nouvelle logique de protection du territoire.
Certains l’ont rappelé avec force et ils ont eu raison, il ne s’agira en aucun cas de faire de nos forces armées des supplétifs d’autres forces sur le territoire national. Les évolutions qui sont déjà engagées en la matière permettront d’assurer notre sécurité dans la durée.
Cela m’amène à répondre à la question de Mme Leila Aïchi, qui me demandait : jusqu’à quand ? Eh bien, jusqu’à longtemps ! Étant donné que nous sommes confrontés à un nouveau domaine de la guerre, je ne sais pas si cette situation aura une fin. Nous devons faire face à une nouvelle donne, et il faut y répondre le mieux possible, avec cohérence et dans le dialogue. Ce débat, que vous avez souhaité, nous permet ainsi de progresser.
Concernant le cadre juridique, M. Raffarin et d’autres sont intervenus sur ce point, et je tiens à ce que les choses soient très claires : nous sommes pour le respect de la légitime défense comme référence juridique sur le territoire intérieur de nos forces. Nous y intégrons le concept de « périple meurtrier », qui a été voté par l’Assemblée nationale et qui sera débattu demain dans cet hémicycle, afin que les forces armées aient à cet égard les mêmes capacités d’action et d’intervention que les forces de police ou de gendarmerie. Il s’agit donc d’une extension du droit de légitime défense.
Je souhaite également répondre à M. Gilbert Roger et à d’autres orateurs sur la question de la préparation opérationnelle de nos forces. Y a-t-il eu une diminution de la préparation opérationnelle de nos forces terrestres, qui sont les principales concernées par la nouvelle logique de protection du territoire déployée au cours de l’année 2015 ? Oui, bien sûr ! Et le contraire eût été stupéfiant, puisque nos forces terrestres ont été mobilisées par l’opération Sentinelle dès janvier 2015, puis remobilisées en novembre au maximum de la capacité indiquée dans le contrat opérationnel.
L’activité de préparation opérationnelle de l’armée de terre est tombée à 64 jours, au lieu des 90 prévus, mais face aux événements que vous connaissez, il était d’une certaine manière logique qu’il en soit ainsi.
Nous sommes en phase de recrutement, certains d’entre vous l’ont rappelé, puisque quelque 11 000 militaires supplémentaires seront recrutés pour renforcer la force opérationnelle terrestre en 2015-2016, et plus de 10 000 en 2017-2019. Nous pouvons donc alléger le dispositif Sentinelle, en particulier les rotations, et accroître progressivement le nombre de jours consacrés à la préparation opérationnelle. En augmentation dès 2016, celui-ci sera porté à 83 en 2017 et à 85 en 2018, afin d’atteindre de nouveau l’objectif de 90 jours.
Mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi de vous apporter un élément de précision concernant l’action de préparation opérationnelle des forces en OPEX ou sur le territoire national. L’opération Sentinelle prévoit des préparations sur les actions de présence d’unité. Dans les périodes creuses, l’état-major de l’armée de terre propose également sur le territoire national, par exemple en région parisienne, des créneaux de formation et de maintien en condition opérationnelle, des actions de préparation au tir ou encore l’utilisation de simulateurs de chars Leclerc.
Le cycle de présence Sentinelle est désormais intégré dans les préparatifs et dans les scénarios d’emploi et d’activité de nos forces, en particulier terrestres, afin d’éviter une partie des inconvénients ou des carences que certains d’entre vous ont pointés.
Par ailleurs, il m’a été demandé si des moyens avaient été engagés en vue de l’acquisition des nouveaux matériels nécessaires pour la protection intérieure du territoire. Je répète que le développement d’une protection intérieure renforcée nécessite l’acquisition de matériels supplémentaires, notamment des véhicules légers.
Nous allons commander 16 000 armes d’infanterie du futur, qui seront mises à la disposition des réserves renforcées et des nouveaux personnels affectés à l’opération Sentinelle dans le cadre des recrutements que j’ai indiqués tout à l’heure ; s’y ajoute une action particulièrement forte de renforcement de l’entretien programmé des matériels. Comme je l’ai annoncé à l’occasion de l’actualisation de la loi de programmation militaire, il s’agit de l’une de mes priorités, et l’action sera poursuivie dans ce sens.
MM. de Legge et Raffarin m’ont interrogé sur le financement. Je répète que, en 2015, la dépense supplémentaire entraînée par l’opération Sentinelle s’est élevée à 171 millions d’euros et que cette opération intérieure a été traitée de la même manière qu’une OPEX classique. Je l’avais annoncé lors des débats budgétaires, et cet engagement a été tenu.
Ce surcoût de 171 millions d’euros se décompose en 52 millions d’euros de dépenses salariales et 119 millions d’euros de dépenses hors titre II. Cet effort sera poursuivi, et les opérations intérieures connaîtront le même sort positif que les opérations extérieures en fin d’année.
L’autre question, posée à la fois par M. de Legge et par M. Raffarin, concerne la pérennité de l’effort financier sur la durée, c'est-à-dire, en quelque sorte, l’actualisation de l’actualisation !
Le Président de la République a annoncé la création de 10 000 postes sur la période 2017-2019 – puisqu’il y en a 10 000 en moins, 10 000 seront maintenus. Cette perspective triennale de la loi de programmation militaire sera soumise à l’examen du Parlement avant la fin de cette année, même si je ne sais pas encore sous quelle forme. Je précise que cette perspective triennale est indépendante du triennal budgétaire, puisqu’il s’agit de l’adaptation de la loi de programmation militaire à des décisions prises par le Président de la République et qu’elle sera appliquée même si la forme n’en est pas encore définitivement arrêtée.
Je voudrais conclure mon propos en revenant sur la question des réserves, sur laquelle M. Perrin, notamment, a insisté. Lors des premières assises de la réserve qui ont eu lieu il y a quelques jours, j’ai redit que mon objectif était d’atteindre les 40 000 réservistes en 2019.
Nous constatons déjà un progrès en 2016, mais l’atteinte de cet objectif suppose de rendre la réserve plus attractive, d’y consacrer des moyens financiers plus importants – quelque 100 millions d’euros annuels y seront désormais dédiés, contre 75 millions d’euros au cours de la période précédente –, d’inciter les entreprises à contracter avec le ministère de la défense pour faciliter l’accès des réservistes à des périodes de réserve, et d’augmenter les périodes dans la mesure du possible, pour passer d’une moyenne de vingt jours à une moyenne de trente jours.
Pour répondre à la préoccupation exprimée par MM. Bockel et Roger en particulier, nous travaillons également dans le sens d’une plus grande territorialisation des réserves. Les réserves « nouvelles formules » pourront ainsi être le creuset d’une garde nationale qui serait l’aboutissement de cette évolution, mais celle-ci ne peut se faire que progressivement.
Nous observons déjà des résultats dès 2016, et je suis certain que nous atteindrons l’objectif grâce à la mobilisation de tous, à la communication sur la facilité de devenir réserviste et sur l’attractivité de cette mission, ainsi qu’à la mobilisation de l’intérieur.
Je précise que le même officier général assurera la fonction d’organisation des réserves et celle de responsabilité de la force opérationnelle terrestre, ce qui montre bien l’impulsion que nous souhaitons donner à la territorialisation de la réserve.
La réserve fait l’objet d’une mobilisation très forte, dont les résultats nous permettront d’alléger progressivement certaines contraintes. Nos militaires ont en effet été extrêmement mobilisés en 2015 et ils le seront de manière très significative jusqu’à l’été 2016 dans le cadre de l’opération Sentinelle. Ensuite, les recrutements nouveaux qui sont engagés, ajoutés à la montée en puissance de la réserve permettront d’aboutir à une situation plus stable, tout en maintenant le principe en vertu duquel nos forces armées sont parties prenantes de la protection intérieure du territoire.
C’est la première fois dans l’histoire de la République que nous avons un débat sur l’emploi des forces armées sur le territoire national, me semble-t-il. Ce n’est pourtant pas la première fois que la mission de protection du territoire est confiée à nos armées, puisque c’était prévu par la loi de 2008, ainsi que par la loi de 2013 et dans les lois de programmation militaire précédentes, du fait de ce qu’on appelait alors la défense opérationnelle du territoire.
C’est en quelque sorte une nouvelle forme de défense opérationnelle du territoire qu’il nous appartient de mettre en œuvre désormais. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du RDSE, ainsi que sur quelques travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur le rapport au Parlement relatif aux conditions d’emploi des forces armées lorsqu’elles interviennent sur le territoire national pour protéger la population.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures cinq, est reprise à dix-huit heures quinze.)
M. le président. La séance est reprise.
11
Communication relative à deux commissions mixtes paritaires
M. le président. J’informe le Sénat que les commissions mixtes paritaires chargées de proposer chacune un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi organique et de la proposition de loi de modernisation des règles applicables à l’élection présidentielle ne sont pas parvenues à l’adoption de textes communs.
En conséquence, il n’y a plus lieu de prévoir l’examen des conclusions de ces deux commissions mixtes paritaires le jeudi 24 mars après-midi.
12
Nomination d'un membre d'une commission
M. le président. Je rappelle au Sénat que le groupe communiste républicain et citoyen a présenté une candidature pour la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.
Le délai prévu par l’article 8 du règlement est expiré.
La présidence n’a reçu aucune opposition.
En conséquence, je déclare cette candidature ratifiée et je proclame M. Bernard Vera membre de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, en remplacement de M. Jean-Vincent Placé, dont le mandat de sénateur a cessé.
13
Débat préalable à la réunion du Conseil européen des 17 et 18 mars 2016
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat préalable à la réunion du Conseil européen des 17 et 18 mars 2016.
Dans le débat, la parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé des affaires européennes. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires européennes, mesdames, messieurs les sénateurs, les conseils européens du mois de mars sont traditionnellement dévolus, comme vous le savez, aux questions économiques et aux perspectives financières au sein de l’Union européenne. Cependant, même si ces sujets seront traités lors de la réunion du Conseil européen des 17 et 18 mars prochain, notamment en présence de Mario Draghi, l’ordre du jour de ce Conseil restera largement dominé par la réponse à la crise des réfugiés, et par la finalisation du plan d’action entre l’Union européenne et la Turquie, à la suite du sommet qui s’est déroulé le 7 mars dernier à Bruxelles en présence du Premier ministre turc.
Compte tenu de l’évolution de la crise migratoire, la première des urgences est de soutenir la Grèce, qui a besoin d’une aide immédiate pour gérer la situation humanitaire sur son sol, en particulier à la frontière nord avec la Macédoine, et faire fonctionner les hotspots dans les îles au large des côtes turques.
Depuis notre dernier débat, le 17 février dernier, la situation s’est en effet considérablement dégradée en Grèce. La raison est connue : après avoir fermé partiellement ses frontières avec la Grèce à partir du 29 février dernier, la Macédoine a décidé, le 9 mars, de ne plus laisser entrer sur son territoire aucun migrant en provenance de ce pays. Or les réfugiés ont continué d’y arriver depuis la Turquie à un rythme qui est resté soutenu au cours des dernières semaines, même si celui-ci semble se ralentir ces derniers jours. Vous connaissez la conséquence : des réfugiés et des migrants de plus en plus nombreux sont bloqués sur le territoire grec, en particulier à Idomeni.
Aujourd’hui, selon les chiffres rapportés par notre collègue grec ce matin à Bruxelles lors de la réunion du Conseil des affaires générales, ce serait près de 48 000 migrants et réfugiés qui seraient bloqués en Grèce, dans des conditions extrêmement précaires pour beaucoup d’entre eux, avec des besoins urgents en matière de protection, de nourriture et de soins, les familles étant en très grand nombre.
Face à cette situation, l’Europe doit faire preuve de toute sa solidarité à l’égard d’un État membre, la Grèce, pays d’entrée d’un grand nombre de migrants et de réfugiés qui veulent venir en Europe.
C’est pourquoi nous avons décidé, lors du Conseil des affaires générales de ce matin, l’adoption d’un nouvel instrument financier d’aide humanitaire pour faire face aux besoins urgents de ce pays. Ainsi, 700 millions d’euros pourront être dégagés au cours des trois prochaines années dans le budget de l’Union européenne, dont 300 millions dès cette année. Vous le savez, sur proposition de la Commission, le Conseil a accepté de recourir au fonds d’urgence humanitaire, qui était jusqu’à présent uniquement utilisé pour venir en aide à des pays tiers, afin d’aider un État membre confronté à une situation exceptionnelle et d’urgence.
De plus, la France apportera également une contribution à titre bilatéral à cet effort humanitaire. Un convoi de matériels est en cours d’acheminement vers la Grèce.
Mais il convient aussi d’apporter une réponse plus structurelle en désengorgeant, d’une certaine façon, la Grèce, en faisant en sorte que les États membres respectent leurs engagements en matière de relocalisation des réfugiés présents dans ce pays. Ce mécanisme de relocalisation commence à être opérationnel. Cependant, sa mise en œuvre est encore trop lente et insuffisante. Au début de cette semaine, seuls 374 réfugiés avaient pu être relocalisés. Même si la France est aujourd'hui le premier pays à apporter une contribution, nous souhaitons que ce mécanisme soit mis en pratique d’une façon beaucoup plus rapide.
D’une façon générale, la priorité politique, c’est la mise en œuvre effective, rigoureuse et coordonnée de la totalité des décisions prises par les chefs d’État ou de gouvernement depuis un an : la mise en place des hotspots, les relocalisations et les réinstallations, les retours vers les pays de transit ou les pays d’origine, dans le cadre d’accords de réadmission, le renforcement des moyens de l’agence FRONTEX, l’adoption du paquet « Frontières », présenté par la Commission européenne le 15 décembre dernier, visant notamment à la mise en place de gardes-frontières et de gardes-côtes européens, le dialogue avec les pays tiers, en particulier les pays d’Afrique, mais aussi avec la Turquie, qui revêt en la matière, j’y reviendrai ultérieurement, une dimension très importante, et, enfin, le renforcement des moyens de la mission EUNAVFOR Med/Sophia en Méditerranée. En effet, il faut se préoccuper non seulement de la situation au large de la Turquie, mais aussi de celle qui existe en Méditerranée centrale, au large de la Libye.
Sur les cinq hotspots prévus en Grèce, quatre sont désormais opérationnels. Leur bon fonctionnement doit permettre à la fois l’accueil des migrants, des contrôles de sécurité systématiques et l’identification des personnes nécessitant une protection internationale, qui peuvent relever du droit d’asile. Les travaux doivent s’accélérer pour le cinquième hotspot, qui doit être localisé à Kos et dont l’ouverture est prochaine.
Le renforcement du dispositif passe aussi par une meilleure coopération entre la Grèce et la Turquie pour ce qui concerne les embarcations illégales affrétées par des passeurs en mer Égée. Pour ce faire, l’OTAN a mis à la disposition de l’Union européenne une flotte, en lien avec FRONTEX et les gardes-côtes grecs et turcs, en vue d’identifier les bateaux des passeurs afin de pouvoir secourir les passagers et lutter contre les filières d’immigration illégale.
Pour être efficace, ce dispositif passe également par des procédures de réadmission, mais j’y reviendrai en évoquant le plan négocié avec la Turquie.
Par ailleurs, nous avons décidé d’accélérer autant que possible l’adoption de la base législative qui permettra de mettre en place des gardes-frontières et des gardes-côtes. Notre objectif est d’obtenir un accord dès le prochain conseil Justice et affaires intérieures, qui se réunira le 21 avril prochain, puis un accord politique avec le Parlement européen au mois de juin.
Le Conseil européen sera également très vigilant quant à l’apparition de nouvelles routes migratoires à la suite de la fermeture de la frontière entre la Grèce et la Macédoine, en particulier via l’Albanie, qui pourraient conduire à déstabiliser d’autres pays de l’espace Schengen, notamment l’Italie, et des Balkans. À cet égard, l’Italie et l’Albanie sont déjà convenues d’une coopération très étroite pour éviter que ne se crée dans la mer adriatique une nouvelle route de passage comme celle qui s’est établie entre la Turquie et la Grèce.
Enfin, j’évoquerai un dernier élément en réponse à la crise migratoire, à savoir le partenariat avec la Turquie.
Ce partenariat est extrêmement important. Nous considérons que la Turquie a un rôle essentiel à jouer dans la résolution de cette crise. C’est pourquoi un plan d’action a été négocié avec ce pays le 29 novembre dernier. Le 7 mars, à la suite d’un échange avec le Premier ministre turc, un mandat a été donné au président Tusk pour préciser les conditions d’un dispositif de réadmission des migrants irréguliers et de réinstallation des réfugiés syriens. L’objet de ce plan est de briser la logique des trafiquants d’êtres humains.
Dans le même temps, il faut évidemment s’assurer que les modalités de mise en œuvre de ce plan sont en tout point conformes à nos obligations internationales et au droit de l’Union en matière de droit d’asile. Ainsi, il reste absolument indispensable que les autorités turques réadmettent, comme elles se sont dites prêtes à le faire, des migrants qui auraient embarqué sur des bateaux affrétés par des passeurs, mais qui n’ont pas vocation à être accueillis dans l’Union européenne, ainsi que des réfugiés, même si des procédures de traitement de demandes d’asile doivent pouvoir être faites. Avec le système de réinstallation, il sera établi qu’il n’existe pas de voie d’immigration illégale permettant d’entrer dans l’Union européenne. Les réfugiés qui souhaitent bénéficier d’une protection et de l’asile doivent faire leur demande depuis la Turquie, en coopération avec les autorités turques, mais aussi le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés. Il faut donc ouvrir des voies alternatives, qui soient des voies d’immigration légale.
Pour ce qui nous concerne, cela doit se faire dans le cadre des décisions qui avaient déjà été arrêtées concernant l’accueil de 160 000 réfugiés au sein de l’Union européenne. Une partie de ces réfugiés proviendront des relocalisations depuis la Grèce : ce processus n’ayant pas encore été mis en place avec la Turquie, il faut accueillir des personnes qui se trouvent en Grèce, ainsi que des réfugiés qui sont dans des centres d’accueil et d’enregistrement en Italie. Mais si l’on suit la terminologie adoptée lors des réunions européennes, une partie de ces relocalisations peuvent être des réinstallations directement depuis la Turquie. Pour casser la logique consistant à tenter à tout prix de traverser la Méditerranée par l’intermédiaire d’un passeur au péril de sa vie, il vaut mieux instaurer un système de réinstallation directe depuis la Turquie.
Par ailleurs, les aides à la Turquie, qui accueille, vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, 2,5 millions de réfugiés sur son sol, ont commencé à être versées. Un montant de 3 milliards d’euros avait été initialement alloué par l’Union européenne pour le soutien aux réfugiés syriens en Turquie. Les versements doivent s’accélérer ; ils sont destinés à des projets précis d’aide aux populations syriennes. Si cela s’avère nécessaire, a été évoquée la possibilité que cette enveloppe soit complétée d’ici à 2018, mais toujours pour des projets ciblés au profit de populations de réfugiés sur le sol turc.
Concernant la mise en œuvre de la feuille de route relative à la libéralisation du régime des visas, je veux insister sur un point : cette libéralisation doit répondre à des critères.
Ainsi, dans le cadre des négociations avec tous les partenaires de l’Union européenne susceptibles d’être intéressés par cette mesure, soixante-douze critères ont été fixés, qui sont très loin d’être remplis pour ce qui concerne la Turquie. Le Président de la République l’a rappelé avec force et une très grande clarté, la France ne transigera pas avec le respect de ces soixante-douze critères, qui doivent être remplis avant d’envisager une telle libéralisation. Or c’est encore loin d’être le cas.
Concernant l’ouverture de chapitres de négociation – onze chapitres ont été ouverts entre 2007 et 2012, et deux l’ont été depuis 2012 –, la discussion se poursuit.
Peut-être un chapitre pourrait-il être ouvert cette année, de même qu’un l’a été l’an passé.
En tout état de cause, le processus suivi est extrêmement méticuleux et long, et on ne peut préjuger son issue. Le Président de la République a ainsi rappelé que la conclusion des discussions avec la Turquie n’était pas déterminée à l’avance et que, en toute hypothèse, les Français seraient consultés à l’issue du processus. Il faut rappeler que l’ouverture de chapitres de négociation a pour objet de rapprocher la législation turque de celle de l’Union européenne dans différents domaines de coopération.
Mesdames, messieurs les sénateurs, avec ces trois grandes priorités, les décisions qui ont été prises depuis un an, l’action des gardes-frontières et des gardes-côtes européens qui vont enfin être mis en place et les mesures du plan d’action arrêté avec la Turquie, l’Union européenne va être dotée d’un dispositif complet, qu’il faut maintenant mettre en œuvre de façon résolue, rapide et générale, afin que l’espace Schengen revienne à un fonctionnement normal dans les mois qui viennent, ce qui est notre souhait.
On ne peut pas faire vivre un espace de libre circulation entre les pays de l’Union européenne si l’on ne reprend pas le contrôle de la frontière extérieure commune. (M. Jean-Claude Frécon opine.) On ne peut pas préserver le droit d’asile si l’on ne lutte pas résolument contre le trafic d’êtres humains. (M. Jean-Claude Frécon opine de nouveau.) On ne peut pas protéger les vies humaines si l’on ne donne pas un coup d’arrêt à cette sorte de filière massive d’immigration irrégulière qui s’est développée entre la Turquie et les côtes grecques.
Tel est l’esprit du plan qui a été adopté et qui doit être confirmé lors du Conseil européen des 17 et 18 mars, avant d’être mis en œuvre dans son intégralité.
Le second grand sujet à l’ordre du jour du Conseil sera économique : il s’agit de l’agenda européen pour l’emploi, la croissance et la compétitivité.
En particulier, le Conseil européen endossera une révision du semestre européen visant à simplifier celui-ci autour de trois principes : la relance de l’investissement, les réformes structurelles et des politiques budgétaires responsables – les flexibilités nécessaires étant prises en compte. C’est ce triptyque qui devra être traduit par les États membres de la zone euro dans les programmes nationaux de réforme et les programmes de convergence.
Lors du Conseil européen du mois de juin, les chefs d’État et de gouvernement pourront étudier les progrès accomplis pour compléter l’Union économique et monétaire sur le fondement du rapport des cinq présidents, mais aussi accélérer l’approfondissement du marché intérieur, s’agissant en particulier du marché unique du numérique et de l’Union des marchés de capitaux.
Nous voulons également que le prochain Conseil européen se saisisse de la situation de l’industrie sidérurgique européenne, confrontée à des pratiques de concurrence déloyale, afin que toutes les mesures soient prises pour y faire face et qu’une stratégie de long terme soit élaborée pour l’acier européen.
Par ailleurs, les chefs d’État et de gouvernement aborderont les grandes crises internationales et réaffirmeront nos positions communes au sujet de la Syrie et de la Libye.
Enfin, la France tient beaucoup à ce que le Conseil européen maintienne la dynamique issue de la COP 21, pour que l’Union européenne reste leader dans la lutte contre le changement climatique. Il convient en particulier que les pays européens soient représentés au plus haut niveau pour la signature de l’accord, prévue à New York le 22 avril prochain, et qu’ils s’engagent à procéder très rapidement à la ratification de l’accord de Paris. Ainsi l’Union européenne et l’ensemble de ses États membres auront-ils ratifié l’accord parmi les premiers et le paquet énergie-climat adopté en octobre 2014 pourra-t-il être mis en œuvre.
Faire l’unité face aux urgences, affirmer la volonté de bâtir une réponse européenne commune à la crise migratoire, contrôler les frontières de l’Union européenne, renforcer l’économie européenne : tels sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les grands enjeux du Conseil européen des 17 et 18 mars. Au fond, ce sommet montrera que l’Europe répond aux urgences sans oublier de préparer l’avenir, satisfaisant ainsi les attentes des citoyens ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. André Gattolin applaudit également.)
M. le président. J’indique au Sénat que la conférence des présidents a décidé d’attribuer un temps de parole de huit minutes à chaque groupe politique.
La commission des finances et la commission des affaires européennes interviendront ensuite durant huit minutes chacune.
Le Gouvernement répondra aux commissions et aux orateurs.
Puis nous procéderons, pour une durée maximale d’une heure, à un débat interactif et spontané consistant en une série de questions avec la réponse immédiate du Gouvernement ou de la commission des affaires européennes.
Dans la suite du débat, la parole est à M. Jean-Claude Requier, pour le groupe du RDSE.
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, voilà plusieurs mois que le Conseil européen est mobilisé sur la crise migratoire. Cette crise n’en demeure pas moins aiguë, compte tenu de l’impasse dans laquelle se trouve le conflit syrien depuis cinq ans, une impasse qui alimente sans cesse les flux de migrants.
Le cessez-le-feu en vigueur en Syrie depuis le 27 février dernier est relativement fragile, et la reprise des pourparlers de paix à Genève risque d’achopper une nouvelle fois sur le sort de Bachar al-Assad, que le chef de la diplomatie syrienne, Walid Mouallem, a qualifié de « ligne rouge ». J’ajoute que, dans le chaos actuel, le risque de partition de la Syrie est élevé, ce qui nous oblige à considérer la question des réfugiés comme un défi de long terme.
Depuis le 1er janvier dernier, plus de 18 000 migrants ont traversé la Méditerranée, selon l’agence des Nations unies pour les réfugiés, dans les conditions que l’on connaît et qui nous invitent à faire preuve d’humanisme. De fait, conformément à ses valeurs, l’Europe doit continuer d’apporter des réponses à ce drame humanitaire sans précédent en mettant en œuvre des mesures d’accueil.
C’est ce qui a été fait au travers des orientations définies en décembre, même s’il est vrai que l’Union européenne n’affiche pas toujours un visage uni – c’est le moins que l’on puisse dire… – et que les intérêts nationaux l’emportent trop souvent sur le principe de solidarité européenne. D’ailleurs, les conclusions du Conseil européen des 18 et 19 février dernier ne dissimulent pas cette difficulté, puisque les chefs d’État et de gouvernement recommandent de continuer à agir de manière concertée, de rompre avec la politique du laissez-passer et de pallier l’absence de coordination en ce qui concerne les mesures prises le long de la route des Balkans.
Pour autant, on peut noter, pour s’en satisfaire, des améliorations s’agissant de la mise en place des hotspots, dont le rythme d’installation s’est avéré beaucoup plus long que prévu ; s’ils ne sont pas opérationnels à 100 %, ils ont le mérite d’exister.
En revanche, on ne peut pas nier que la relocalisation soit un sujet plus épineux, ses modalités d’application ne faisant pas l’unanimité.
Comme je l’ai déjà signalé dans le débat préalable au précédent Conseil européen, le RDSE souscrit à la position de notre gouvernement au sujet de l’accueil raisonnable de réfugiés sur notre territoire, dans des conditions qui, disons-le, doivent s’accorder à nos possibilités matérielles et aux enjeux sécuritaires qui sont les nôtres.
Par ailleurs, le dernier Conseil européen a rappelé que le plan d’action Union européenne-Turquie devait être une priorité. Mon groupe est très attaché aux liens que la France entretient avec ce grand pays laïc, et qui doit le rester. Nous sommes donc particulièrement attristés par l’odieux attentat qui a frappé Ankara dimanche dernier. Nous considérons aussi que la gestion des flux passe nécessairement par ce pays : n’oublions pas, en effet, que seuls 10 % des réfugiés gagnent l’Europe, et que ce sont les pays limitrophes de la Syrie qui sont en première ligne. Il faut bien mesurer que près de 3 millions de réfugiés sont actuellement sur le territoire turc !
Dans ces conditions, le déblocage par l’Union européenne de 3 milliards d’euros en faveur de la Turquie, destinés à aider les Syriens installés dans les camps turcs, est évidemment une bonne chose ; mais ne fallait-il pas aller au-delà de cette aide financière et prévoir un mécanisme adapté de gestion du flux migratoire ? Un chèque ne saurait suffire !
Le nouveau plan germano-turc tout juste finalisé contient des propositions en ce sens. Si d’aucuns regrettent que la France ait été absente de la table des négociations, on peut néanmoins reconnaître l’intérêt du projet, qui consiste à admettre un syrien en Europe pour un syrien expulsé des camps grecs vers la Turquie. Certes, réduite à une formule mathématique, cette gestion des migrants peut paraître manquer d’humanité ; c’est pourtant celle qui sera sur la table du prochain Conseil européen. Monsieur le secrétaire d’État, nous souhaitons connaître votre sentiment à ce sujet.
En marge de cette question, mes chers collègues, se pose celle, récurrente depuis 1963, de l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne. Monsieur le secrétaire d’État, où en est-on de la réouverture annoncée des négociations ? La crise syrienne dans toute sa dimension doit nous permettre d’accélérer ce processus, et certainement pas de le freiner à nouveau, tant il est vrai qu’une large partie de la solution passe par l’intégration de cette puissance régionale à nos côtés, dès lors qu’elle sera prête et remplira tous les critères.
L’ampleur de la crise migratoire nous ferait presque oublier que l’Europe a d’autres défis à relever. De fait, le prochain agenda européen se penchera également sur les initiatives visant à renforcer le marché unique.
Attaché au projet européen malgré les turbulences qui le secouent, le RDSE est favorable à une intégration plus poussée ; mais pour aller dans quelle direction ? Un marché unique réduit à une vaste zone de libre-échange sans coordination minimale entre les politiques économiques des États n’est pas souhaitable. (M. Simon Sutour opine.) On ne peut pas continuer à faire de grands discours pro-européens tout en laissant perdurer des situations de concurrence intracommunautaire. Je pense en particulier aux politiques fiscales,…
M. Loïc Hervé. Très bien !
M. Jean-Claude Requier. … insuffisamment convergentes. (M. Yvon Collin opine.)
À cet égard, je salue l’initiative de la Commission européenne visant à réformer la directive sur les travailleurs détachés, source de dumping social. (M. Loïc Hervé applaudit.)
MM. Yvon Collin et Simon Sutour. Très bien !
M. Jean-Claude Requier. Toujours est-il que beaucoup reste à faire pour approfondir la solidarité au sein de l’Union européenne.
Enfin, en marge de cet agenda, je me réjouis du paquet de mesures significatif destiné à soutenir les secteurs agricoles en crise. La politique agricole commune, la PAC, est un volet fondamental de l’Union européenne, mais, dans ce domaine aussi, promouvoir un marché unique ne doit pas conduire à abandonner les instruments de régulation – je pense en particulier au lait. Ces instruments, du reste, les traités européens permettent encore de les actionner !
Mes chers collègues, sur de nombreux fronts, l’Union européenne est mise à l’épreuve ; mais, comme le disait Jean Monnet, « l’homme n’accepte le changement que sous l’empire de la nécessité »,…
M. Yvon Collin. C’est trop souvent le cas, en effet !
M. Jean-Claude Requier. … tant il est vrai que nous ne sommes pas des réformateurs par nature.
Permettez donc à l’euro-optimiste que je suis de penser, à la suite de Maurice Faure (Exclamations amusées. – M. André Gattolin applaudit), mon mentor en politique, que toutes les difficultés que traverse l’Europe lui permettront de rebondir et de se renouveler en profondeur, pour son plus grand bien et celui des citoyens de notre cher et vieux continent ! (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur plusieurs travées de l'UDI-UC. – M. le président de la commission des affaires européennes applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Pascal Allizard, pour le groupe Les Républicains.
M. Pascal Allizard. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la crise migratoire s’invite une nouvelle fois à l’agenda de l’Union européenne en 2016, comme ce fut le cas lors de très nombreux conseils et réunions en 2015.
Certains ont peut-être cru voir dans l’année écoulée le pic de la crise : les chiffres des passages par les voies terrestres et maritimes étant en forte hausse par rapport aux années antérieures, ils auraient pu se stabiliser, pour enfin décroître. Seulement, le scénario à venir pourrait être assez différent. Au vrai, la relative accalmie hivernale devrait être de courte durée et laisser place au printemps à un nouveau déferlement.
Le temps des premières arrivées au large de Lampedusa semble déjà bien loin, et force est de constater que l’Europe n’a pas su tirer toutes les conséquences des désordres à sa périphérie.
Au-delà des désordres extérieurs, c’est une forme de chaos intérieur lié aux grandes difficultés que rencontrent les États membres pour juguler les flux de migrants et pour organiser de manière efficace leur tri au regard du droit d’asile et, le cas échéant, leur retour qui a pu susciter des vocations. À ce stade, hélas, la crise appelle la crise.
En vérité, quel ressortissant d’un pays en guerre, d’un État sans avenir économique, ne tenterait pas sa chance dans la confusion actuelle, surtout quand des passeurs lui font miroiter un meilleur avenir en Europe et un faible risque d’expulsion ? Pourtant, comme l’a rappelé l’agence FRONTEX, la majorité de ces malheureux ne relèvent pas du droit d’asile.
Monsieur le secrétaire d’État, la situation en Grèce paraît toujours extrêmement inquiétante, surtout après la fermeture progressive de la route des Balkans. L’identification, l’enregistrement et le suivi des migrants et réfugiés s’améliorent-ils ? Les moyens annoncés sont-ils fournis en quantité suffisante ? Sont-ils dimensionnés pour l’inévitable montée en charge du dispositif ?
Plus fondamentalement, est-il acceptable de voir la Grèce, ce pays exsangue économiquement et au territoire fragmenté, devenir un hotspot géant – certains ont parlé de « Calais de l’Europe » ?
Les milliers de migrants entassés, parfois à même le sol, dans un aéroport fantôme donnent une image déplorable de l’Europe, de ses valeurs et de l’état de dislocation de certains de ses membres. Vue de Pékin, de Washington, de Moscou ou d’ailleurs, l’image n’est pas sans conséquences.
De plus, la Commission européenne a fait récemment observer que, depuis le début de l’année 2015, la Grèce avait procédé à un nombre de retours forcés et de retours volontaires aidés de migrants économiques « insuffisant par rapport au nombre d’arrivées en 2015, soit plus de 800 000 migrants. » Elle a d’ailleurs dressé le même constat d’insuffisance à propos des retours à partir de l’Italie.
Au cours du récent sommet Union européenne-Turquie, le principe d’une coopération renforcée avec la Turquie a été entériné. Naturellement, tout ce qui peut contribuer à sortir de la crise migratoire est à considérer avec intérêt. Or la Turquie est pour l’Union européenne, à de nombreux titres, un partenaire important.
Néanmoins, monsieur le secrétaire d’État, les contreparties semblent substantielles : la suppression, peut-être dès l’automne, des visas imposés aux ressortissants turcs, une relance du processus d’adhésion à l’Union européenne et plusieurs milliards d’euros d’aide. Les négociations sous la pression des événements sont, vous en conviendrez, rarement avantageuses pour le demandeur…
Par ailleurs, comment sera contrôlé l’emploi des financements européens destinés aux réfugiés ?
Quant au projet de renvoyer tous les migrants en situation irrégulière vers la Turquie et de procéder, pour chaque Syrien réadmis par la Turquie, à la réinstallation dans l’Union européenne d’un autre Syrien, il fait largement débat. Monsieur le secrétaire d’État, quelle position la France prendra-t-elle en la matière lors du prochain Conseil européen ?
Il faudra aussi s’assurer que la Turquie lutte efficacement contre les passeurs agissant sur son territoire, d’autant que ce sont les mêmes réseaux qui font transiter des combattants de Daech de et vers la Syrie.
La Turquie ne deviendra-t-elle pas, en définitive, une base arrière pour certains migrants qui voudront, vaille que vaille, retenter leur chance ?
Un autre sujet d’attention est, à mon sens, le déploiement d’une flotte de l’OTAN en mer Égée en vue, officiellement, de lutter contre le trafic de migrants. J’y vois d’abord – pardonnez-moi – une forme de faiblesse de l’Europe : une solution de facilité, si j’ose dire. Là aussi, l’image est désastreuse.
Quelle est la plus-value réelle de cette opération navale ? N’aura-t-elle pas un effet pervers incitatif, les passeurs, sachant que les migrants auront plus de chances d’être récupérés, étant davantage tentés de faire partir leurs embarcations ? De fait, comme l’a reconnu devant la commission des affaires européennes et la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat le commandant en second de la mission EUNAVFOR Med, « les passeurs se sont adaptés à la présence accrue des navires européens, sans compter ceux des ONG, et comptent sur l’organisation d’opérations de recueil des migrants ».
Par ailleurs, au moment où les relations russo-européennes sont toujours délicates, pour ne pas dire tendues, sur fond de crise ukrainienne et d’embargo russe, la présence de navires de l’OTAN dans cette région orientale a probablement de quoi interpeller en Russie : ce déploiement pourrait être aussi perçu comme un moyen de renseignement sur les activités des bâtiments russes en provenance de la mer Noire.
Je rappelle que, de façon parallèle, en réponse à l’annexion de la Crimée et aux inquiétudes de certains États membres de l’est de l’Europe, l’OTAN renforce actuellement sa présence dans cette zone. S’il faut sans doute rester ferme face à la Russie, cet arc de l’OTAN, des États baltes aux Balkans jusqu’à la mer Égée, est-il le meilleur moyen d’apaiser les tensions régionales ?
M. Simon Sutour. C’est une bonne question !
M. Pascal Allizard. Serait-il seulement efficace en cas de besoin ? Mais c’est là un autre sujet…
Par ailleurs, monsieur le secrétaire d’État, je m’interroge aussi sur les conséquences sur les opinions publiques européennes tant de l’incapacité à anticiper ces événements tragiques – certains parleront d’aveuglement – que de la manière dont la situation actuelle est gérée. Outre le cas britannique, de nombreux autres Européens en particulier en Europe centrale et orientale, sont en plein doute. Eux qui, quelques années à peine après leur adhésion enthousiaste, se trouvent plongés au cœur d’une crise historique de l’Union et voient monter la défiance de leurs citoyens vis-à-vis de Bruxelles. Eux qui, faute d’Europe, comptent déjà sur l’OTAN pour assurer leur sécurité.
Sur le terrain, l’actualité s’arrête souvent sur la situation explosive en Grèce ou dans les Balkans. Pourtant, en France aussi, les inquiétudes sont grandes. Il y a quelques jours, les habitants de Calais, excédés de voir leur ville s’éteindre progressivement, défilaient dans Paris. Dans mon département, le Calvados, des communes comme Ouistreham, petite ville portuaire, voient arriver de plus en plus de clandestins candidats au départ pour l’Angleterre, surtout depuis le début du démantèlement de la « jungle » calaisienne et le rétablissement des contrôles aux frontières. Dès lors, les tensions montent inévitablement entre les clandestins et les habitants.
Dans un tel contexte, monsieur le secrétaire d’État, comment la coordination entre services de sécurité européens pour lutter contre le trafic d’êtres humains et saisir l’argent sale des passeurs avance-t-elle ?
Si le démantèlement des camps de Calais est indispensable, quelles mesures le Gouvernement prendra-t-il pour éviter la dispersion des migrants sur plusieurs autres sites et pour davantage éloigner du territoire ceux qui n’ont pas vocation à s’y maintenir ?
Enfin, monsieur le secrétaire d’État, lorsque la crise sera dernière nous – cela finira par arriver –, il faudra aussi faire le bilan, y compris financier, du montant sans doute exorbitant payé par l’Union européenne, faute d’avoir pris les mesures adéquates en temps et en heure. J’espère que nous saurons tirer les conséquences collectives de cette leçon, et je reste néanmoins un européen convaincu. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains. – M. le président de la commission des affaires européennes et M. Yves Pozzo di Borgo applaudissent également. )
M. le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère, pour le groupe UDI-UC.
M. Philippe Bonnecarrère. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, l’Europe affronte des crises multiples, interconnectées et qui, additionnées les unes aux autres, représentent la plus lourde remise en cause qu’elle ait connue depuis sa création.
L’Europe tente de faire face, alors qu’elle se trouve dans une situation de faiblesse liée à la perte de confiance des opinions publiques et aux réactions de plus en plus nationales des États membres.
Chaque crise, qu’il s’agisse de crise migratoire, de lutte contre le terrorisme, du Brexit ou des difficultés économiques, se caractérise par le fait que la solution qui lui correspond ne dépend jamais d’une seule partie. Elle résulte en réalité de la combinaison de causes et de solutions interdépendantes. Chacun détient une partie de la solution, personne n’en dispose seul. Manifestement, monsieur le secrétaire d’État, les pays européens n’arrivent plus à se parler ou à mettre suffisamment en commun pour décider.
Si nous en sommes arrivés là, c’est parce que le couple franco-allemand a sa part de responsabilité et que la France a également sa part de responsabilité dans ce qui a pu être qualifié de « panne sèche ».
Nous assistons à un découplage entre la France et l’Europe, d’une part, et entre la France et l’Allemagne, d’autre part.
Tout d’abord, il existe un découplage entre la France et l’Europe, qui est flagrant en matière économique.
Deux grands sujets sont inscrits à l’ordre du jour du prochain Conseil européen, dont l’un est de nature économique et porte sur la stratégie pour le marché unique des biens et des services. Cette stratégie vise à « libérer tout le potentiel du marché unique et à améliorer ainsi la compétitivité de l’économie européenne. » Il s’agit d’« ouvrir de nouvelles perspectives aux consommateurs et aux entreprises » en développant l’économie collaborative, en favorisant la croissance des PME, et en créant un marché sans frontières des services. Il s’agit également d’« encourager la modernisation et l’innovation. »
Vous l’avez compris, mes chers collègues, on peut résumer ainsi la stratégie pour le marché unique : premièrement, mener des réformes structurelles ; deuxièmement, travailler sur la compétitivité de l’économie. Exactement, ce que notre pays peine à faire !
Monsieur le secrétaire d’État, ne percevez-vous pas le découplage qui s’accentue entre le parcours de notre pays et la trajectoire de l’Europe ? Ne pensez-vous pas que l’actualité accable quelque peu notre pays, quand on sait que le Conseil de l’Union européenne, dans sa décision du 5 octobre 2015 relative aux lignes directrices pour les politiques de l’emploi des États membres, demande d’« améliorer le fonctionnement des marchés du travail » au travers de la mise en œuvre d’un système de flexisécurité, quand on sait également que le Jobs Act de Matteo Renzi date d’il y a plus d’un an ou encore que les accords Hartz de nos amis allemands ont plus de dix ans ?
Selon vous, monsieur le secrétaire d’État, à qui s’adresse le commissaire européen aux affaires économiques et financières, M. Pierre Moscovici, sinon à notre pays, lorsqu’il déclare : « Aujourd’hui, nous voyons clairement que les pays qui sont parvenus à réformer leur économie rapidement et en profondeur recueillent les fruits de leurs efforts. D’autres doivent passer à la vitesse supérieure pour pouvoir offrir plus de croissance et d’emplois à leurs citoyens » ? Il parle bien du découplage qui s’accentue entre la France et l’Europe !
Ensuite, il existe un découplage entre la France et l’Allemagne. Deux sujets parmi d’autres illustrent ce découplage. Il s’agit, en premier lieu, de la question agricole, sur laquelle je vais aller très vite. Si vous en avez la possibilité, monsieur le secrétaire d’État, et sans développer davantage ce thème, je vous demanderai de répondre à une question très pratique : pourriez-vous nous expliquer ce que signifie l’annonce faite il y a peu de temps concernant « l’activation d’une mesure permettant aux opérateurs du secteur laitier de s’entendre, sur une base volontaire, sur des limitations de la production pour une période de six mois renouvelable une fois » ? Que veulent dire les termes « sur une base volontaire » ? Cela signifie-t-il que certains pourraient réduire provisoirement leur production quand d’autres continueraient à augmenter la leur ?
Il s’agit, en second lieu, de la crise migratoire – peut-être la plus grave –, sujet que mes collègues viennent de développer largement. Sur ce thème, mes collègues de la commission des affaires européennes et moi-même estimons à la quasi-unanimité qu’il n’existe pas d’alternative à Schengen, du moins à un Schengen opérationnel. En outre, je souhaite vous dire ô combien je regrette que les positions allemande et française aient pu s’éloigner au sujet de cette crise.
Monsieur le secrétaire d’État, vous avez évoqué la Turquie tout à l’heure. N’avez-vous pas été blessé tout de même, comme chacun d’entre nous l’a été, compte tenu de ce que représente notre pays aujourd’hui, de constater que nos amis allemands ont lancé leurs négociations avec la Turquie sans nous en informer préalablement ? En effet, c’est bien cela la réalité !
En conclusion, quelles sont nos attentes ? Tout d’abord, notre pays doit assumer ses responsabilités dans le domaine économique, se réformer et retrouver à la fois sa place et sa voix en Europe. Ensuite, il faut que notre pays redevienne le moteur de la politique européenne.
Pour terminer, monsieur le secrétaire d’État, vous avez évoqué les hotspots. Autorisez-moi à réaliser un modeste retour d’expérience à l’issue de la visite du hotspot de l’île de Lampedusa que j’ai faite hier avec M. le président du Sénat, Gérard Larcher, qui m’avait fait l’honneur de m’inviter à l’accompagner. Le bilan sera très positif sur le hotspot lui-même : l’État italien assume ses responsabilités, a mis de gros moyens dans ce centre, assure remarquablement ses devoirs humanitaires, identifie et vérifie les données grâce au système d’information Schengen, et a dépêché sur place des professionnels de l’antiterrorisme. Par ailleurs, les migrants ne restent en moyenne que trois à quatre jours dans ce hotspot.
En revanche, plusieurs points nous ont frappés. Tout d’abord, nous avons constaté un changement dans l’origine géographique des migrants. Parmi les personnes arrivées récemment, la moitié venait d’Afrique de l’Ouest, de l’Afrique francophone. Aussi mesure-t-on le trajet que cela représente pour eux. Il ne s’agit plus simplement de réfugiés provenant de l’Afrique de l’Est, via la Libye.
Ensuite, nous avons été frappés par l’ignominie vécue par les migrants en Libye, État failli – chacun le sait –, sans qu’il soit nécessaire de nous appesantir sur le sort des quelques femmes qui ont participé aux voyages.
Enfin, nous avons noté le faible nombre d’accords de réadmission, y compris avec l’Afrique de l’Ouest qui bénéficie pourtant de notre aide financière et militaire. C’est très clairement un sujet sur lequel l’Europe peut travailler directement et pour compte commun.
Envisager l’après-hotspot, c’est-à-dire la situation des migrants lorsqu’ils poursuivent leur route, qu’ils aient ou non déposé une demande d’asile, nous engagerait presque dans un autre débat. C’est pourquoi, monsieur le secrétaire d’État, je me contenterai de vous remercier de votre attention et des éléments de réponse que vous apporterez à mes interrogations. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et sur plusieurs travées du groupe Les Républicains. – M. le président de la commission des affaires européennes applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet, pour le groupe communiste républicain et citoyen.
M. Éric Bocquet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le président de la commission des affaires européennes, mes chers collègues, c’est dans un contexte des plus difficiles que s’est tenu le 7 mars dernier un sommet entre l’Union européenne et la Turquie qui a abouti à un accord laissant bien des questions en suspens.
La Turquie a confirmé qu’elle était résolue à mettre en œuvre l’accord bilatéral de réadmission gréco-turc en vue d’accepter le retour rapide de tous les migrants qui partent de la Turquie pour gagner la Grèce et qui n’auraient pas besoin d’une protection internationale, et de reprendre tous les migrants en situation irrégulière qui seraient appréhendés dans les eaux territoriales turques.
En contrepartie, l’Union européenne s’est engagée à faciliter l’obtention par les citoyens turcs de visas provenant de tous ses États membres, à accélérer le versement des trois milliards d’euros déjà promis, à compléter son aide de trois milliards d’euros supplémentaires et à favoriser la reprise des négociations pour l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne.
De son côté, en plus de reprendre les réfugiés expulsés d’Europe, la Turquie s’engagerait, selon le principe du « un pour un », à n’organiser le passage de Syriens vers la Grèce qu’en respectant des mesures de contrôle et de sécurité, dans lesquelles l’OTAN jouerait un rôle.
À l’avenir, même si l’accord ne l’indique pas, les autres réfugiés non admis en Europe, qu’ils soient d’Afghanistan, d’Érythrée, du Soudan ou d’Irak, seraient rapatriés en direction de leurs pays d’origine.
Ainsi, l’Union européenne et les États membres abandonnent à la Turquie la responsabilité d’assurer le contrôle de leurs propres frontières et de gérer l’accueil des réfugiés qui vont être chassés de Grèce.
Les centaines de milliers de migrants arrivés en 2015 sur le sol européen ne représentent pourtant que quelques dixièmes de pourcent de la population globale de l’Union.
Certains défenseurs d’une Europe forteresse feignent de faire face à une crise migratoire sans précédent. Pourtant, les chiffres montrent bien tout autre chose. À ce jour, il y a autant de demandeurs d’asile par habitant de l’Union européenne qu’il y en avait au début des années 1990. En outre, le nombre de personnes dans le monde sous mandat de protection du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés est le même qu’en 1995.
La crise des migrants est mondiale : tous les continents sont touchés, d’autant que, pour l’essentiel, pour 80 % d’entre eux plus précisément, ces mouvements migratoires restent cantonnés du Sud vers le Sud. Des solutions mondiales doivent donc également être mises en œuvre, même s’il n’est question ici que de l’Union européenne.
En signant cet accord, les dirigeants européens ont-ils bien mesuré les conséquences des décisions qu’ils prenaient et de l’image qu’ils ont donnée de l’Europe, en recourant à une forme de marchandage autour de la détresse des réfugiés avec un pays qui bafoue trop souvent les valeurs démocratiques que l’Union européenne est censée représenter ?
Nous pensons que l’Union européenne a pourtant les moyens de répondre à ses devoirs d’accueil et d’asile. Ainsi, avec la participation des États membres qui ont donné leur accord, elle pourrait accélérer l’installation des 160 000 réfugiés, respectant en cela l’engagement qu’elle a pris en octobre dernier. Aujourd’hui, très peu de réfugiés ont pu s’établir. On a également pris l’engagement d’aider financièrement les collectivités accueillant des réfugiés. Au lieu de jouer la stigmatisation, la division entre réfugiés et migrants, la France doit évidemment leur tendre la main et faire la preuve qu'elle reste toujours ce grand pays de fraternité et de solidarité.
Monsieur le secrétaire d’État, quelle sera la position de la France sur ce dossier ? La France doit exiger le rejet de cet accord et accueillir enfin dignement ces hommes, ces femmes et ces enfants abandonnés à leur sort, même si certains efforts et progrès ont déjà été accomplis.
De plus, tout comme de nombreuses associations, nous souhaitons attirer l’attention sur la problématique du rapprochement familial. L’enjeu est particulièrement manifeste à Calais. Il est plus qu’urgent de mettre en œuvre des mesures efficaces pour que les personnes ayant des liens familiaux au Royaume-Uni soient identifiées rapidement et transférées vers ce pays. Il est également indispensable de garantir que le rapprochement familial ne soit pas restreint en raison d’exigences administratives trop lourdes, notamment en ce qui concerne les pièces justificatives à fournir.
Même si tout cela a été abordé lors du sommet franco-britannique, nous rappelons l’urgence de ce rapprochement familial, surtout pour les mineurs. On doit évaluer les demandes en la matière au regard de la convention relative aux droits de l’enfant. L’intérêt supérieur de l’enfant doit primer tout au long de la procédure, ce qui est hélas loin d’être le cas actuellement.
Plus globalement, l’Union européenne et les États membres ont également une part de responsabilité dans les tragédies qui frappent aujourd’hui les peuples du Proche-Orient, les poussant sur les routes de l’exil. Comme l’a rappelé notre collègue Jean-Claude Requier, le conflit en Syrie entre dans sa cinquième année. L’Union européenne doit peser de tout son poids pour que le projet de transition politique soit mis en place le plus rapidement possible, afin que l’on arrive à un cessez-le-feu durable et à l’arrêt des hostilités dans les luttes intersyriennes.
L’Union européenne s’est trop souvent alignée sur les positions de certains États du Golfe, comme l’Arabie Saoudite ou le Qatar, ou encore sur la Turquie, encouragée dans cette voie par la France qui a multiplié en certaines occasions les surenchères politiques et militaires. Il est désormais temps qu’elle apporte un soutien sans équivoque à la mise en œuvre la plus rapide possible de la feuille de route fixée par le Conseil de sécurité de l’ONU. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – MM. Jean-Claude Requier et André Gattolin applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Simon Sutour, pour le groupe socialiste et républicain. (Marques de satisfaction sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Simon Sutour. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le Conseil européen qui se déroulera les 17 et 18 mars prochain sera quasi intégralement consacré à la crise migratoire et fera suite à la réunion des chefs d’État et de gouvernement de l’Union européenne avec la Turquie qui s’est tenue le 7 mars dernier.
Il s’agit désormais de mettre en œuvre l’ensemble des mesures et dispositifs qui ont été décidés, de trouver un consensus sur la question des migrations et d’ouvrir enfin une nouvelle phase plus favorable à la construction européenne. Cela sera le cas par exemple en matière économique avec le plan Juncker, en matière sociale avec la proposition de directive sur les travailleurs détachés, ou encore en matière environnementale avec l’adoption de la COP 21.
Aujourd’hui, il faut sauver l’Europe. Trente ans après la signature de l’Acte unique européen, l’intégration européenne est menacée. Si la crise migratoire en est le symptôme le plus perceptible et le plus douloureux, l’Europe doit faire face à d’autres défis majeurs.
En premier lieu, le secteur agricole subit une crise sans précédent. Elle est peut-être davantage médiatisée en France compte tenu de notre attachement à la terre, mais cette crise touche tous les agriculteurs européens.
Je pourrais ajouter à ce sombre tableau la menace du Brexit qui se précise un peu plus chaque jour, la croissance économique qui est atone et ne permet pas de faire reculer le chômage et la pauvreté, le spectre de la déflation ou encore la faiblesse de l’Europe en matière de lutte contre le terrorisme, avec le retard que l’on observe notamment dans le domaine de la coordination des moyens de renseignement et dans la mise en place du PNR, le passenger name record. À ce propos, j’ai de bien mauvaises nouvelles à vous annoncer, mes chers collègues. J’arrive de Bruxelles où je viens d’apprendre que la commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures, la fameuse commission LIBE, du Parlement européen semble avoir décidé de ne pas se prononcer sur le PNR tant qu’un accord ne serait pas trouvé sur le paquet relatif à la protection des données personnelles. C’est attristant et désespérant, monsieur le secrétaire d’État !
Les eurosceptiques auraient tort de se réjouir, car la principale vocation de l’Europe est de garantir la paix. Or une Europe fragilisée, des États membres fragilisés, c’est la porte ouverte à la montée des populismes et des nationalismes ! Aujourd’hui, le risque est bien celui d’une déstabilisation politique de l’Europe.
Après-demain donc, à Bruxelles, l’Europe des Vingt-Huit tentera une nouvelle fois d’apporter des réponses à la grave crise migratoire. L’année dernière, pris de panique, les pays européens ont été incapables de s’entendre pour d’emblée gérer au mieux le gigantesque afflux de réfugiés venus de Syrie, d’Érythrée et d’Irak dans un premier temps, puis les migrants économiques provenant d’autres pays du Proche-Orient, du Moyen-Orient ou d’Afrique.
Entre une Allemagne très généreuse dans l’accueil des migrants et d’autres pays totalement opposés à cet accueil, l’Europe a failli. En effet, c’est bien l’Europe qui aurait alors dû intervenir : elle dispose pour ce faire de tous les outils et notamment d’un outil menacé de disparition, Schengen ! On voit bien aujourd’hui que l’absence dès le départ d’une politique commune sur la gestion des flux migratoires nous a conduits au chaos et qu’il est, de ce fait, d’autant plus difficile d’apporter aujourd’hui sereinement des solutions pérennes et acceptées par tous les États membres.
Les pays du Nord découvrent bien tardivement le Sud. D’ailleurs, s’agissant du pourtour méditerranéen, le budget que consacre l’Union européenne à la politique de voisinage est insuffisant. Il est vrai que l’importance des relations avec les pays des rives est et sud de la Méditerranée a trop souvent été minimisée par nos partenaires européens, tout particulièrement les pays baltes et la Pologne.
Cette panique a eu pour résultat de faire fortement vaciller l’Europe. De surcroît, Schengen ne fonctionne plus et certains États membres se trouvent dans des situations préoccupantes, la Grèce en premier lieu. Cette situation a non seulement des conséquences sur les relations que les pays européens entretiennent entre eux, mais aussi sur les relations que nous entretenons avec les pays périphériques, je pense bien sûr à la Turquie.
Alors qu’attendre du Conseil européen de cette semaine ? Il est difficile d’apporter une réponse tant l’ébauche d’accord avec la Turquie suscite des réactions, au mieux contrastées, le plus souvent de franche hostilité. Nombre de pays européens sont opposés à cet accord, et nos collègues eurodéputés ont accueilli l’accord de principe plutôt fraîchement, tous groupes politiques confondus.
Je souhaiterais, monsieur le secrétaire d’État, que vous précisiez la position de la France à ce sujet, car cette négociation avec la Turquie suscite de légitimes interrogations : sur la légalité du dispositif, sur sa faisabilité et sur des contreparties que beaucoup jugent exorbitantes.
La surenchère permanente de la part de la Turquie ne semble pas être le meilleur moyen de traiter le problème. Faut-il, par exemple, lier la question des réfugiés avec les négociations sur son adhésion à l’Union européenne ? Je ne le pense pas.
On ne peut aussi passer sous silence les restrictions des libertés dans ce pays, en particulier dans le domaine de la presse. Décidément, la Turquie s’éloigne un peu plus chaque jour des standards démocratiques de l’Union européenne.
De plus, la France, qui a toujours été aux cotés de la Grèce au cours des dernières années, doit pouvoir, une fois encore, réaffirmer de manière forte son soutien à ce pays. C’est urgent, et la crise humanitaire menace, avec la fermeture de la route dite des Balkans. Vous avez cité le chiffre, monsieur le secrétaire d’État, 48 000 migrants sont d’ores et déjà bloqués en Grèce, dont environ 13 000 à Idomeni, qui s’entassent dans des conditions difficiles, voire inacceptables.
La Grèce, c’est l’évidence, ne peut faire face seule. Il faut l’aider à tout prix car la crise humanitaire, s’ajoutant à la crise économique, peut être fatale à ce pays.
La solution à court et moyen termes passe par plus d’Europe, et non par un repli national.
À ce titre, nous devons saluer la feuille de route présentée par la Commission européenne, qui souhaite revenir à un fonctionnement « normal » de Schengen d’ici à la fin de l’année – le rétablissement des frontières est illusoire, coûteux et contre-productif. Cela implique de renforcer le dispositif, notamment en s’attaquant à un sujet trop longtemps négligé : le renforcement des contrôles aux frontières extérieures de l’Union.
Comme le rappelle très justement Dimitris Avramopoulos, commissaire européen chargé de la migration, des affaires intérieures et de la citoyenneté : « Un espace sans contrôle aux frontières intérieures n’est viable que si ses frontières extérieures sont dûment protégées ». Contrôles renforcés, création d’un corps européen de gardes-frontières et de gardes-côtes sont quelques-unes des pistes envisagées à cet égard.
Il y a urgence, car nous ne pouvons pas nous accommoder de la situation actuelle, avec des êtres humains qui périssent chaque jour en Méditerranée et des mafias de passeurs qui s’enrichissent sur cette détresse. Ce n’est plus tolérable !
Renforcer Schengen, c’est donc mettre un terme à l’immigration désordonnée par la multiplication des centres d’accueil ; c’est permettre une application rationnelle du droit d’asile ; c’est aussi relancer l’intégration européenne.
Pour conclure, monsieur le secrétaire d’État, je souhaiterais évoquer un aspect de la crise agricole, celui qui est lié aux sanctions imposées par l’Union européenne à la Russie et pénalisant très durement nos agriculteurs.
Récemment, notre ministre de l’agriculture, Stéphane Le Foll, s’est à plusieurs reprises déclaré favorable à la levée des sanctions contre la Russie.
On estime que l’embargo alimentaire a déjà coûté plus de 250 millions d’euros à notre agriculture, dont 50 millions d’euros pour le secteur des fruits et légumes, 109 millions d’euros pour les professionnels du lait et 100 millions d’euros pour la filière porcine.
La semaine dernière, le Sénat a reçu une délégation du Conseil de la Fédération de Russie conduite par M. Konstantin Kossatchev, président du comité des affaires internationales. À ce sujet, est-il normal que la présidente du Sénat russe soit toujours interdite de séjour dans l’Union européenne ? À titre personnel, je ne le pense pas !
La commission des affaires européennes, la commission des affaires étrangères ainsi que M. le président du Sénat ont rencontré cette délégation et il est clair que la volonté d’une normalisation des relations avec ce grand pays est forte.
Quel est votre sentiment à ce sujet, monsieur le secrétaire d’État ? Il a été décidé, semble-t-il, de prolonger les sanctions jusqu’en septembre. Va-t-on procéder de la sorte indéfiniment ?
Comme vous pouvez le constater, mes chers collègues, l’Europe est au milieu du gué. Nous avons le choix soit de céder au pessimisme, soit, au contraire, de rebâtir une Europe plus forte, plus humaine, capable de redonner de l’espoir et du bien-être à ses citoyens.
En tant qu’Européens convaincus, nous espérons que les graves difficultés actuelles, mettant en lumière les faiblesses de l’Europe, seront, au bout du compte, ce qui la renforcera. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – MM. Yves Pozzo di Borgo et Philippe Bonnecarrère applaudissent également.)
(M. Jean-Pierre Caffet remplace M. Jean-Claude Gaudin au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Caffet
vice-président
M. le président. La parole est à M. André Gattolin, pour le groupe écologiste.
M. André Gattolin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, comme le présent débat nous le confirme, lors du Conseil européen qui se tiendra à la fin de la semaine, les discussions tourneront certainement, pour l’essentiel, autour de la crise migratoire.
Nous le savons tous, la complexité de ce dossier découle de son caractère multidimensionnel.
En réalité, il n’y a pas une crise migratoire, il y a des crises migratoires, avec des réfugiés et des migrants originaires de différents pays et aux motivations parfois très variées.
Ces crises sont nourries par des instabilités géopolitiques aux portes de l’Europe et, parfois, au-delà.
Certains États n’hésitent d’ailleurs pas à instrumentaliser cette détresse, en l’utilisant comme une arme sournoise et pour le moins non conventionnelle, dans le but de contraindre l’Union européenne.
N’est-ce pas le cas quand la Turquie se sert de sa place géostratégique pour exiger, en échange de sa coopération, le déblocage du dossier de libéralisation des visas et une reprise des négociations sur son adhésion à l’Union ?
N’est-ce pas le cas non plus quand Moscou bombarde Alep en soutien au régime syrien, poussant des dizaines de milliers de civils à fuir, saturant un peu plus les camps de réfugiés en Turquie et les flux de migrants vers l’Union européenne ?
La Russie ne défie-t-elle pas l’Europe, lorsqu’elle laisse certains réfugiés traverser son territoire, afin qu’ils puissent atteindre l’espace Schengen via la Norvège et la Finlande ? Ainsi, au cours des derniers mois, on a soudainement vu s’ouvrir une route arctique de l’exil, perçue par la Norvège comme une punition de la part de Moscou, en réplique à son soutien aux sanctions internationales qui ont été décidées à la suite du conflit en Ukraine.
Plus encore que les pays de l’Union européenne, chacun de nos partenaires extra-européens joue donc aujourd’hui, dans cette grave crise, sa propre partition, avec des objectifs souvent très divergents.
Comment en effet interpréter la très récente annonce faite par Vladimir Poutine d’un retrait partiel de ses troupes du conflit syrien ? S’agit-il d’une annonce en trompe-l’œil à la veille de la réouverture des négociations de Genève sur la Syrie ?
En matière militaire comme en matière diplomatique, dispose-t-on aujourd’hui d’une base minimale d’objectifs partagés entre tous les acteurs impliqués dans ce que nous osons appeler « la guerre contre Daech » ? Pour notre part, nous en doutons. Mais peut-être M. le secrétaire d’État peut-il nous éclairer sur ce point.
Vu d’Europe, ce drame est l’une des plus graves crises humanitaires que la région ait jamais connue. Il est symptomatique d’une profonde crise de la solidarité européenne, non seulement à l’endroit des réfugiés, mais aussi entre les pays de l’Union.
Ces derniers temps, il faut bien le reconnaître, nous avons failli, en abandonnant notre allié allemand au moment où la chancelière Angela Merkel avait le plus besoin de soutien pour promouvoir la cohésion européenne. Ainsi, la poussée de l’extrême droite anti-réfugiés lors des élections régionales du week-end dernier en Allemagne a été la conséquence directe de notre incapacité à élaborer une approche commune.
Après la crise du Grexit, et en dépit des concessions faites par ce pays, la Grèce reste aujourd'hui encore très décriée. C’est injuste, compte tenu de sa situation économique et politique, et de la charge immense qui lui incombe. En un an seulement – de janvier 2015 à 2016 –, les arrivées de réfugiés sur le territoire grec ont augmenté de 600 % !
Monsieur le secrétaire d’État, pourriez-vous nous dire comment la France compte contribuer au plan d’aide humanitaire récemment dévoilé par la Commission européenne pour soutenir la Grèce ?
Cette aide est bienvenue, et elle est aussi, et surtout, très attendue.
Toutefois, sans volonté politique et sans un budget européen digne de ce nom, toute tentative de stratégie européenne sera sans doute vaine.
Nous l’observons déjà, puisque, pour faire face en termes de moyens à ces défis, nous bricolons aujourd’hui des marges d’action ad hoc, avec des transferts de budget et une forte fongibilité au sein d’un cadre financier européen déjà très contraint avant tous ces événements.
Dans ce contexte, le ministre allemand des finances, M. Wolfgang Schäuble, avait proposé, voilà quelques mois, une taxe européenne sur l’essence. Monsieur le secrétaire d’État, la France étudie-t-elle cette hypothèse ? N’y a-t-il pas là une occasion rêvée pour, enfin, réformer notre système archaïque de ressources propres, qui n’en sont pas ?
Les tensions et divisions intra-européennes sont toujours aussi vives, et le coup de force d’Angela Merkel lors du sommet entre l’Union européenne et la Turquie du 7 mars dernier en est certainement le plus récent avatar.
Cette rencontre a en effet été marquée par l’ouverture d’un nouveau chapitre dans notre gestion approximative de l’actuelle crise migratoire.
Non seulement les États membres ont acté la fermeture de la route des Balkans, qui, de facto, avait déjà été mise en œuvre par les pays concernés, mais une autre proposition, dangereuse selon nous, a aussi été mise sur la table. On nous suggère d’établir une sorte de pont du Bosphore d’un tout nouveau genre, aux frais de l’Europe, entre la Turquie et la Grèce.
Le principe – il a été rappelé, mais on peut le repréciser ici – serait le suivant : en échange d’un Syrien en situation irrégulière réadmis en Turquie à partir des îles grecques, on accepterait de réinstaller un Syrien de la Turquie vers les États membres. Une logique de un contre un, en quelque sorte…
Ce tour de passe-passe avec des vies humaines est à notre sens inacceptable, d’autant qu’il se fera avec un pays qui, ces derniers temps, brille surtout par sa dérive autoritaire.
Si cette proposition était mise en œuvre, elle traduirait un véritable échec moral de l’Europe.
Pour de nombreuses raisons, cet échec risquerait aussi d’être juridique, cette proposition pouvant constituer une violation du droit européen et un précédent préjudiciable contre le système de protection internationale.
Le haut commissaire des Nations unies aux droits de l’homme a déjà exprimé sa profonde inquiétude au sujet de l’atteinte au principe de non-refoulement vers le pays d’origine. Tout comme la convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés, la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne interdit les « expulsions collectives », sans traitement individuel de la demande d’asile.
Monsieur le secrétaire d’État, quel serait d’ailleurs l’impact de cette nouvelle mesure sur le processus de relocalisation ?
Je crois que sur ce point, le conseil Justice et affaires intérieures de la semaine dernière a admis que le doute demeurait sur la compatibilité.
Dernière chose, et non des moindres, la Turquie ne remplit pas les critères juridiques fixés par l’Union pour être qualifiée de « pays sûr ».
En effet, elle n’applique que partiellement la convention de Genève, son système d’asile présente de nombreux dysfonctionnements et il existe des cas répétés de tortures, de détentions illégales sanctionnés par la Cour européenne des droits de l’homme, et de renvois forcés de réfugiés vers la Syrie et l’Irak.
Jeudi, il s’agirait donc de fermer les yeux sur ces questions épineuses et de passer outre !
Le Président de la République a pourtant affirmé qu’« aucune concession » ne sera faite à la Turquie au sujet des droits de l’homme.
Monsieur le secrétaire d’État, cela signifie-t-il que nous nous positionnerons contre ce statut de « pays sûr » et, de facto, contre ce nouvel accord avec la Turquie ?
En conclusion, avec la superposition des défis, les risques de dislocation de l’Union européenne atteignent désormais un niveau jamais vécu depuis la signature du traité de Rome, en 1957.
Aujourd’hui, malheureusement, le projet européen est illisible. Il appartient donc au Conseil européen de diffuser un message clair, articulé sur une vision cohérente, fidèle à nos valeurs, et à la hauteur des défis qui ébranlent fortement l’Union européenne. Nous espérons, monsieur le secrétaire d’État, que la France saura jouer un rôle majeur dans ce cadre. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain. – M. Henri Tandonnet applaudit également.)
M. Daniel Raoul. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général de la commission des finances.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des affaires européennes, mes chers collègues, le Conseil européen des 17 et 18 mars prochains constituera une étape essentielle dans l’élaboration d’une réponse à la crise migratoire qui frappe l’Europe, mais aussi dans la recherche d’une stratégie pour accélérer la reprise économique.
Alors que l’Union européenne est en devoir de faire face à la crise des réfugiés, en conciliant impératif humanitaire et exigence de réalité, le projet d’accord avec la Turquie apparaît comme un premier jalon sur le chemin d’une gestion plus équilibrée des flux migratoires, condition de la survie de l’espace Schengen.
Ainsi, les chefs d’État et de gouvernement ont décidé d’augmenter les aides en faveur des migrants syriens ayant trouvé refuge sur le territoire turc. À ce titre, 3 milliards d’euros devraient s’ajouter aux 3 milliards d’euros initialement prévus.
En plus de sa participation via le budget de l’Union européenne, la contribution de la France au titre de la première tranche de cette assistance financière s’élève à 309 millions d’euros.
Monsieur le secrétaire d’État, les 3 milliards d’euros supplémentaires consacrés aux mesures en faveur des réfugiés syriens ont-ils vocation à être financés exclusivement par des contributions nationales ? Ces contributions seront-elles, comme précédemment, proportionnelles à la part de chaque État membre dans le revenu national brut de l’Union ? Par ailleurs, a-t-on aujourd’hui une idée plus précise sur la manière dont les fonds seront suivis et contrôlés ?
S’il marque une étape importante, ce projet d’accord ne peut conduire à octroyer à la Turquie un chèque en blanc et il sera de notre devoir de nous assurer de la bonne utilisation de ces aides.
Le Conseil européen de mars sera également appelé à se prononcer sur les priorités du semestre européen pour l’année 2016.
La présidence néerlandaise a indiqué qu’elle souhaitait identifier des priorités susceptibles d’assurer la pérennité de la reprise économique au sein de l’Union. Mais selon les prévisions de la Commission européenne, le taux de croissance au sein de la zone euro devrait s’établir à 1,9 % en 2016, nettement au-dessus de la prévision pour la France, estimée à 1,5 % par le Gouvernement et à 1,3 % par la Commission.
De plus, faut-il le rappeler, la France fait partie des rares États membres, avec le Portugal et la Croatie, à faire l’objet d’un suivi à la fois pour déficit public excessif et pour déséquilibres macroéconomiques majeurs.
Dans son « paquet » d’hiver relatif à la procédure concernant les déséquilibres macroéconomiques, la Commission européenne souligne en particulier deux points, qui nous apparaissent préoccupants : l’augmentation de la dette publique française, qui devrait dépasser 97 % du produit intérieur brut en 2017 ; l’absence de réformes structurelles à même de lever les contraintes grevant le bon fonctionnement du marché du travail – nous en reparlerons prochainement – ainsi que les obstacles réglementaires au développement des entreprises.
Monsieur le secrétaire d’État, au vu des maigres résultats de l’économie de notre pays et des progrès relevés par la Commission européenne dans de nombreux États membres, comment le Gouvernement entend-il démontrer à ses partenaires son engagement à mettre en œuvre les recommandations formulées à l’égard de la France ? Comment préserver notre crédibilité dans le cadre du semestre européen ?
Enfin, dans la perspective des discussions sur le marché unique numérique, j’appelle l’attention du Gouvernement sur les propositions formulées par un groupe de travail de la commission des finances du Sénat au sujet de la déclaration et la taxation des revenus issus de l’économie collaborative et de la collecte de la TVA applicable au commerce en ligne. Au-delà de la suppression de certains obstacles, le bon fonctionnement du marché unique numérique en Europe passe aussi par une concurrence loyale sur le plan fiscal et une lutte efficace contre la fraude.
Ce sont quelques-unes des questions qui se posent et je vous remercie, monsieur le secrétaire d’État, des réponses que vous voudrez bien nous apporter. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains. – M. le président de commission des affaires européennes applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le prochain Conseil européen sera à nouveau consacré à la crise des migrants. Il débattra également du semestre européen et de la mise en œuvre des recommandations par pays, que M. le rapporteur général vient d’évoquer.
Il est donc important que le Sénat échange avec le Gouvernement sur ces sujets cruciaux. Je remercie le président du Sénat et la conférence des présidents d’avoir programmé notre débat précisément à cet horaire.
Répondre à la crise migratoire qui déstabilise notre continent est une priorité.
Notre commission des affaires européennes examinera dans quelques jours le rapport de Jean-Yves Leconte et André Reichardt.
L’Union européenne a choisi la voie d’un accord avec la Turquie pour tarir le flux de migrants. La situation géostratégique de ce grand pays le justifie. L’Union européenne lui a beaucoup promis. En contrepartie, elle est en droit d’attendre des résultats concrets. Le président du Conseil européen devait poursuivre le dialogue. Où en est-on à la veille du Conseil européen ? Que peut-on espérer concrètement ?
Certaines mesures vont dans le bon sens. C’est le cas de l’application de l’accord gréco-turc de réadmission. Il permettra le retour rapide de tous les migrants n’ayant pas besoin d’une protection internationale.
On peut en revanche être dubitatif sur le principe « un migrant pour un migrant », qui entraînera, pour chaque Syrien réadmis en Turquie, la réinstallation d’un autre Syrien de la Turquie vers les États membres. Pouvez-vous, monsieur le secrétaire d’État, nous donner des précisions sur la mise en œuvre opérationnelle d’un tel mécanisme ?
En outre, l’Union européenne a pris des engagements vis-à-vis de la Turquie sur une libéralisation rapide du régime des visas. A-t-on bien évalué la portée d’une telle mesure ? De même, la perspective d’une ouverture de nouveaux chapitres de négociation est-elle bien réaliste, au regard de l’évolution préoccupante de l’état de droit dans ce pays ?
Nous souhaitons un retour rapide à un fonctionnement normal de l’espace Schengen. Le coût économique d’un retour des frontières serait considérable : 10 milliards d’euros par an pour la France uniquement, selon l’estimation de France Stratégie.
Pour cela, un soutien à la Grèce est indispensable et beaucoup de nos collègues se sont exprimés en ce sens. Après la Turquie, ce pays est en première ligne dans l’arrivée de migrants. Il doit être à même de gérer les frontières extérieures et d’assurer le bon fonctionnement des centres d’enregistrement, les hotspots.
On nous dit que la route des Balkans a désormais pris fin, mais nous devons aussi être vigilants sur les routes alternatives. Les passeurs ne vont-ils pas mettre en place un contournement par l’Albanie, voire par la Bulgarie ?
Le renforcement de FRONTEX a été annoncé. Nous nous en félicitons, mais le temps presse. Comment accepter que les opérations de l’agence pour 2016 ne soient pas encore dotées de toutes les ressources nécessaires par les États membres ? FRONTEX doit aussi disposer de tous les moyens juridiques nécessaires, en particulier pour se déployer hors de l’Union, comme en Macédoine récemment. L’agence doit également pouvoir accéder au système d’information Schengen et au système d’information sur les visas !
Enfin, je veux insister sur la dimension sécuritaire du contrôle des frontières. Il faut lutter contre les fraudes d’identité. La coopération opérationnelle doit s’intensifier contre les mafias de trafics d’êtres humains. Des contrôles efficaces doivent permettre d’identifier des terroristes potentiels, notamment par l’interrogation de bases de données performantes.
Le Conseil européen examinera, par ailleurs, la mise en œuvre des recommandations par pays et discutera des priorités pour le semestre européen 2016. Fabienne Keller et François Marc nous ont fait un point de situation. La réforme du semestre européen permet d’avoir une vue globale qui doit faciliter un ajustement plus précis des recommandations. La Commission européenne a retenu quatre priorités pour la zone euro, dont la fluidité sur le marché du travail et la réduction de la dette publique.
Disons-le : les prévisions économiques paraissent sombres. En effet, la croissance a été revue à la baisse et la situation budgétaire de plusieurs pays suscite l’inquiétude. Six pays, dont la France, présentent un risque de soutenabilité en matière de dette publique. Dans ce panorama peu réjouissant, notre situation économique nourrit une inquiétude d’autant plus forte en raison des effets d’entraînement possibles sur l’ensemble de la zone euro. Je retiens du rapport sur la France le constat d’une stratégie de réformes « au coup par coup », manquant d’ambition et d’une mise en œuvre incertaine. Je relève aussi, et surtout, des perspectives peu favorables en matière d’emploi.
Espérons que le Gouvernement saura en tirer des enseignements utiles dans ses échanges avec la Commission européenne, avant de transmettre en avril son programme national de réforme et son programme de stabilité. Je rappelle que la Commission publiera ensuite, en mai, sa proposition de recommandation sur la situation de notre pays et celle de nos partenaires.
Un compte à rebours est donc en quelque sorte engagé. Monsieur le secrétaire d’État, sur ce point précis qui ne doit pas être occulté par le délicat dossier des migrants, nous aimerions également obtenir un certain nombre de réponses et d’éclaircissements. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains. – M. Yves Pozzo di Borgo applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Harlem Désir, secrétaire d’État. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires européennes, monsieur le rapporteur général de la commission des finances, mesdames, messieurs les sénateurs, beaucoup d’orateurs ont insisté sur les mêmes questions, j’essaierai donc de regrouper mes réponses.
Jean-Claude Requier et plusieurs de ses collègues se sont interrogés sur la portée exacte des négociations engagées avec la Turquie. Tout le monde reconnaît la nécessité de nouer un partenariat avec ce pays dans la lutte contre les filières de l’immigration illégale. Toutefois, les décisions prises dans différents domaines, en particulier celles qui sont relatives à l’ouverture de chapitres de négociations d’adhésion à l’Union européenne ou au régime des visas, doivent répondre aux critères et aux cadres établis et il est clair qu’il ne saurait y avoir de chantage.
D’une part, il faut faire face à la nécessité d’apporter une réponse à la mise en place d’une route de l’immigration illégale qui provoque des drames et des morts et résulte de l’instabilité internationale liée à la situation en Syrie ou à des guerres civiles dans d’autres régions du monde. M. Bonnecarrère a ainsi évoqué sa visite du hotspot de Lampedusa en compagnie du président du Sénat et il ne faut pas oublier la situation en Libye ni les mouvements migratoires au cœur de l’Afrique. Des passeurs proposent, moyennant finance, à des migrants venant parfois de très loin de les aider à accéder à des voies de passage qui semblent ouvertes vers l’Union européenne : ils soumettent ces personnes à des traitements tout à fait indignes avant de les entasser sur des embarcations de fortune, provoquant des naufrages et des morts.
D’autre part, parallèlement au partenariat qui concerne la lutte contre les filières de l’immigration illégale, la Turquie avait déjà demandé – cette question avait fait l’objet d’un accord dans le cadre d’un plan d’action global décidé en novembre – que l’aide qui lui est apportée pour accueillir les réfugiés présents sur son sol s’accompagne d’une reprise du dialogue politique avec l’Union européenne. Ce dialogue passe par divers canaux et il peut aussi porter sur les réponses communes à la grande crise internationale à l’origine de ces flux de migration, la crise syrienne. Sur ce dernier point, les progrès sont difficiles, car la Turquie a ses propres objectifs, tout comme la Russie ou d’autres pays de la région.
Quant à nous, notre seul objectif est la résolution de la crise syrienne, ce qui suppose l’arrêt des combats – la trêve est actuellement à peu près respectée –, la lutte contre les groupes terroristes, en particulier Daech et le Front al-Nosra, et surtout l’organisation d’une transition politique qui permette de mettre un terme à la guerre civile, afin que les Syriens puissent retourner dans leur propre pays et y vivre. Nous tâchons de faire en sorte que la Turquie soit partie prenante à la recherche de cette solution. Tel est l’objet des négociations qui ont lieu à Genève.
Ensuite, la Turquie demande aussi la réouverture des discussions avec l’Union européenne, d’une part, sur les chapitres de négociation ouverts à partir de 2005 dans le cadre du statut de candidat à l’adhésion qui lui a été reconnu en 1999 et, d’autre part, sur la feuille de route relative à la libéralisation du régime des visas établie il y a déjà longtemps et dont elle souhaite qu’elle soit accélérée.
Sur ces deux points, notre position est très claire. L’ouverture de chapitres de négociation ne préjuge pas l’issue des négociations. Un chapitre a été ouvert l’an dernier, un autre pourrait l’être cette année dans le cadre du dialogue politique que je viens de mentionner. Ces chapitres concernent des sujets économiques.
Le chapitre ouvert l’an dernier porte sur des sujets de politique financière et économique. Son intitulé englobe également la politique monétaire, ce qui, évidemment, ne signifie pas que la Turquie rejoindrait la zone euro, puisqu’elle n’est pas membre de l’Union européenne.
L’un des chapitres économiques qui pourraient être ouverts cette année concerne l’énergie. Je reste prudent, dans la mesure où cette ouverture suppose un vote unanime des vingt-huit États membres, et donc de la République de Chypre qui, pour d’autres raisons liées à la négociation interchypriote sur la réunification de l’île, est très attentive à ce que l’ouverture de chapitres de négociation soit cohérente avec le fait que la Turquie soutient le processus de réunification en cours. Une négociation sur l’énergie s’avère délicate parce que des explorations de gisements gaziers ont lieu actuellement dans la zone économique exclusive de Chypre, mais elle peut être intéressante, parce qu’il est important d’avoir une coopération dans le domaine de l’énergie avec la Turquie, comme avec d’autres pays voisins de l’Union européenne.
Quoi qu’il en soit, nous avons entamé un rapprochement avec la Turquie, un dialogue politique et économique. En revanche, l’issue des négociations et la perspective d’une adhésion à l’Union européenne constituent une autre question. Je réponds ainsi très clairement à Jean-Claude Requier, même s’il m’a semblé qu’il se réjouissait de l’ouverture de ces chapitres de négociation et de la reprise de ce dialogue dans la perspective d’une adhésion. Je le répète, la question ne se pose pas maintenant.
Pascal Allizard a posé la question du contrôle de l’aide aux réfugiés en Turquie. À ce jour, un peu plus de 200 millions d’euros ont été vraiment utilisés dans le cadre du plan de 3 milliards d’euros – je rappellerai tout à l’heure la provenance de ces fonds. Cette aide est versée sur la base de projets concrets et vérifiables : il ne s’agit absolument pas de signer un chèque de 3 milliards d’euros à la Turquie en espérant que cet argent permettra d’aider les réfugiés.
Pascal Allizard, comme d’autres orateurs, notamment le président Bizet, m’a demandé comment nous nous assurerions que le système « un pour un » respecte le droit d’asile et soit vraiment opérationnel. L’idée de ce système a été retenue, mais doit faire l’objet d’un examen plus détaillé. Son principe est simple : chaque fois que, dans le cadre d’un accord de réadmission signé avec la Turquie, un réfugié syrien entré illégalement dans l’Union serait reconduit en Turquie – il s’agit de dissuader les Syriens d’accepter les propositions des passeurs –, nous accepterions la réinstallation dans l’Union d’un réfugié syrien présent actuellement en Turquie. Nous pensons en effet qu’il est préférable de faire passer le message suivant : il est inutile de recourir aux services de trafiquants d’êtres humains pour entrer en Europe ; pour obtenir le droit d’asile en Europe, il faut déposer en Turquie une demande qui respecte la procédure légale.
Il faudra toutefois examiner dans quelles conditions ce système respecte la convention de Genève relative au statut des réfugiés et les directives européennes sur le droit d’asile. Le service juridique du Conseil de l’Union européenne a évidemment rappelé que des règles existaient et qu’une demande d’asile déposée en Europe doit être examinée. Cet examen est individuel et il ne saurait y avoir de traitement collectif des dossiers. Il en va de même pour les réadmissions. Évidemment, ce dispositif devra être conforme avec les principes européens pour être appliqué.
Pascal Allizard m’a également interrogé sur la plus-value que représente le recours à l’OTAN. Le principal avantage tient au fait que la Turquie est membre de l’OTAN ; c’est la principale différence avec le recours à FRONTEX.
Faut-il craindre que ce signal soit perçu de manière négative par la Russie, compte tenu du fait que celle-ci est présente dans la région en raison de son intervention en Syrie ? Non, parce que les bateaux de l’OTAN étaient déjà présents dans cette zone de la Méditerranée. Ils ont simplement été plus spécifiquement affectés, dans le cadre de ce partenariat entre la Turquie et l’Union européenne, à la surveillance des mouvements de bateaux entre les côtes turques et les côtes grecques. Cette opération n’entraîne pas de changement de posture stratégique de l’OTAN.
Cette opération est utile dans la mesure où la Turquie est membre de l’OTAN et, à ce titre, partie prenante à ce dispositif de surveillance. À partir du moment où l’OTAN établit chaque jour qu’un certain nombre de bateaux quittent les côtes turques pour se diriger vers la Grèce et demande aux gardes-côtes turcs de vérifier si ces bateaux circulent légalement ou se livrent au trafic d’êtres humains, la Turquie n’a pas de raison de mettre en doute l’information qui lui est transmise par l’OTAN, puisqu’elle est membre de l’Alliance et qu’elle a par conséquent les moyens de vérifier comment cette mission est mise en œuvre. La Turquie a donc accepté ce partenariat qui permet de fait une coopération plus étroite entre les gardes-côtes turcs et les gardes-côtes grecs et entre les gardes-côtes turcs et FRONTEX, via la mission de surveillance de l’OTAN.
La question peut se poser de savoir s’il ne serait pas préférable que l’agence FRONTEX assure seule cette mission. En soi, c’est l’objectif que nous visons : renforcer les moyens de FRONTEX, disposer de véritables gardes-côtes européens, faire en sorte que tous les États membres mettent davantage de personnel à disposition de FRONTEX pour éviter à l’Union européenne de recourir aux services d’organismes extérieurs.
Dans le cas présent, il était intéressant de pouvoir s’appuyer sur l’OTAN, mais une telle solution ne serait pas applicable dans d’autres zones de la Méditerranée où cette surveillance pourrait avoir à s’exercer, par exemple au large de la Libye où l’Union européenne a déployé sa propre mission, EUNAVFOR Med.
Là aussi, une question doit être réglée et le ministre de la défense, Jean-Yves Le Drian, a eu l’occasion d’insister sur ce point au cours des dernières semaines. Nous avons besoin d’un gouvernement d’union nationale, d’une autorité reconnue en Libye, afin de pouvoir engager la phase 3 de l’opération EUNAVFOR Med et intervenir aussi dans les eaux territoriales libyennes et empêcher les départs de bateaux à partir des côtes de ce pays. Pour cela, il faut soit un accord international avec un mandat de l’ONU, soit un accord avec une autorité reconnue en Libye. Voilà pourquoi il est urgent qu’un gouvernement d’union nationale soit formé, mais aussi tout simplement pour stabiliser ce pays et lutter contre les groupes terroristes.
Enfin, Pascal Allizard et d’autres sénateurs ont souhaité connaître le coût des moyens mobilisés dans le cadre du plan d’action vis-à-vis de la Turquie. Les 3 milliards d’euros que j’ai mentionnés tout à l’heure se répartissent comme suit : 1 milliard d’euros est prélevé sur le budget de l’Union européenne et 2 milliards d’euros proviennent de contributions des États membres, au prorata de leurs capacités. La France, comme l’a rappelé M. le rapporteur général de la commission des finances, contribue donc à hauteur de 309 millions d’euros pour les quatre prochaines années.
Pour l’instant, aucun accord ne prévoit le versement de 3 milliards d’euros supplémentaires. La possibilité a été évoquée, s’il était nécessaire de continuer à venir en aide à la Turquie au-delà de 2017, d’abonder l’enveloppe initiale. Comme je l’ai dit tout à l’heure, aujourd’hui, seuls plus de 200 millions d’euros ont été identifiés et affectés : nous sommes donc très loin d’avoir utilisé la totalité de la facilité financière accordée. Aucune décision n’a donc été prise, même si l’hypothèse d’une deuxième enveloppe de 3 milliards d’euros a été évoquée au cas où elle serait nécessaire au-delà de 2017.
Plusieurs interventions ont abordé les recommandations de la Commission européenne. À ce propos, Philippe Bonnecarrère a évoqué la notion de « découplage » entre la France et l’Union européenne sur la nécessité des réformes structurelles.
Je me permets de lui répondre que nous menons actuellement ces réformes. Comme il l’a rappelé lui-même, nous menons une réforme du marché du travail qui va être soumise au Parlement : votre assemblée aura donc l’occasion de se prononcer. Philippe Bonnecarrère notait que les réformes dites « Hartz » ont été menées en Allemagne il y a dix ans. Effectivement, cette réforme n’a pas alors été faite en France ; nous l’entreprenons maintenant et il faut plutôt s’en réjouir. En outre, cette réforme est menée dans les conditions de dialogue social que vous connaissez et le Premier ministre a présenté hier les éléments d’aménagement décidés dans le cadre du dialogue engagé avec les partenaires sociaux.
En l’occurrence, il s’agit plutôt d’un « recouplage » de la France avec l’Union européenne. Nous avons mené et nous menons de nombreuses réformes : le pacte de responsabilité, les réformes qui concernent les collectivités locales et sur lesquelles nombre d’entre vous avez travaillé, cette réforme du marché du travail aujourd’hui. D’autres réformes sont également importantes, pour lesquelles la France réunit beaucoup d’atouts : le renforcement de la recherche, de l’innovation, du système éducatif.
Je souhaiterais donc que l’on voit, y compris dans le dialogue avec la Commission, le chemin parcouru, y compris la réduction des déficits, loi de finances après loi de finances, plutôt que de constater simplement que d’autres avaient parfois procédé à des réformes avant nous. Il en a effectivement été ainsi, mais ceux-là peuvent aussi rencontrer d’autres problèmes, par exemple de sous-investissement.
Quand la Commission européenne parle de déséquilibre au sein de la zone euro, elle mentionne aussi le fait que, dans certains pays, des excédents commerciaux peuvent poser un problème aux autres partenaires de l’Union. Ainsi, l’Allemagne – ce débat est connu et public outre-Rhin – a besoin d’investir davantage ; cela contribuera à des besoins qui lui sont propres, mais aussi à la relance de l’économie européenne.
Concernant l’agriculture, la mesure prise en vue de soutenir les prix dans le secteur laitier, sur une base volontaire, constitue l’un des acquis de la discussion qui a eu lieu hier au sein du Conseil Agriculture, à la demande du ministre Stéphane Le Foll. La Commission a déclenché pour la première fois l’article 222, qui permet aux opérateurs de déroger au droit de la concurrence pour maîtriser et gérer la production laitière. Il est vrai que cet article permet de déclencher ces mesures sur une base volontaire, au profit des États membres et des opérateurs. Il est important que les institutions européennes – Commission, Conseil, Parlement européen – prennent aussi leurs responsabilités en réunissant rapidement les représentants européens de ces opérateurs. Nous souhaitons évidemment une cohérence des actions qui seront menées dans les différents États membres.
Éric Bocquet a posé des questions sur la Turquie auxquelles j’ai essayé de répondre. Il est tout à fait légitime de s’interroger sur les conditions de mise en œuvre d’un accord, sur les exigences que l’on peut attendre d’un partenaire – j’ai dit que nous avions l’exigence que la Turquie lutte par tous les moyens contre les filières de l’immigration clandestine, non seulement au départ des côtes turques, mais aussi à l’intérieur de la Turquie. En revanche, en proposant simplement de rejeter toute forme d’accord ou de partenariat proposé, on n’offre pas de solution.
Nous sommes vigilants, exigeants, attentifs à ce que les accords proposés puissent être efficaces, conformes à nos principes, mais il faut proposer une réponse européenne. On ne peut pas se contenter de dire à la Grèce, après avoir reconnu que sa situation est dramatique, que les propositions avancées soulèvent de telles questions que nous préférons ne rien faire. Ce n’est pas possible, car aujourd’hui la Grèce vit une crise humanitaire. Les pays des Balkans ont fermé leurs frontières, ne voulant pas eux-mêmes se retrouver dans une situation humanitaire intenable, puisque l’Autriche avait annoncé qu’elle n’accueillerait plus de migrants dans les mêmes proportions.
Nous disons ce que la France a toujours dit : il faut une réponse collective, et cette réponse passe par le contrôle de notre frontière extérieure commune. Ce contrôle passe par des mesures concernant notamment l’agence FRONTEX, mais aussi par un partenariat avec la Turquie dans la lutte contre les filières de l’immigration illégale.
Éric Bocquet a insisté à juste titre sur la situation des mineurs isolés. C’est l’un des accords qui ont été rendus publics au moment de la rencontre franco-britannique d’Amiens. Comme vous le savez, le Premier ministre britannique a confirmé que la Grande-Bretagne accepterait le regroupement familial des mineurs isolés qui se trouvent à Calais et ont de la famille directe outre-Manche.
Le ministre de l’intérieur a eu à plusieurs reprises l’occasion d’exprimer devant le Sénat ses intentions, à savoir que le camp de Calais soit assaini, qu’aucun migrant ne vive dans des conditions insalubres ou dans la boue, que soit proposé à tous ceux qui peuvent avoir des motifs de le faire, de déposer leur demande d’asile en France, car ils ne pourront pas se rendre en Grande-Bretagne, que les migrants soient relogés dans des centres d’accueil des réfugiés partout en France et qu’ils ne se rendent pas dans d’autres ports pour tenter de passer en Grande-Bretagne, car celle-ci ne les acceptera pas. Je comprends tout à fait l’alerte qui a été donnée par Pascal Allizard concernant Ouistreham, par exemple ; le même problème se pose à Grande-Synthe.
La mobilisation des services du ministère de l’intérieur est donc permanente. Mais, je le répète, nous demandons à la Grande-Bretagne d’accueillir les mineurs qui ont déjà des parents directs outre-Manche et veulent les rejoindre.
Philippe Bonnecarrère a posé des questions sur les changements d’origine géographique. J’ai déjà évoqué cette question. Effectivement, si l’attention est portée aujourd’hui sur cette route principale qui avait été ouverte, d’une certaine façon, par les passeurs entre la Turquie et la Grèce, nous ne devons pas sous-estimer les problèmes qui peuvent de nouveau se poser dès que la situation saisonnière et météorologique s’améliorera en Méditerranée centrale, entre la Libye et l’Italie, en particulier à Lampedusa dont vous avez eu l’occasion de visiter le centre d’accueil et d’enregistrement. À ce propos, vous avez constaté que, à partir du moment où une route était perçue comme ouverte, des migrants venaient de très loin, de plus en plus loin, en tentant de passer par cette voie. Il faut donc mettre en œuvre des accords de réadmission et un contrôle de cette frontière.
Simon Sutour s’est désolé que le Parlement européen n’ait toujours pas adopté la directive sur le PNR.
M. Jean-Claude Requier. Il a raison !
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Nous considérons qu’aucune raison ne justifie ce retard, y compris au regard de l’attention que le Parlement européen porte à la directive sur la protection des données personnelles dont nous comprenons la nécessité, car en réalité un accord est intervenu en la matière avec le Parlement européen au mois de décembre. Simplement, ce texte doit être traduit dans les différentes langues et transcrit par les services juridiques. Ce retard est préjudiciable à la mise en œuvre la plus rapide possible du PNR.
Nous avons évidemment eu l’occasion d’intervenir auprès du Parlement européen et de ses responsables. Ils nous ont donné l’assurance que la directive PNR serait adoptée dès les prochaines semaines. Nous souhaitons que le vote intervienne sans retard,…
M. Simon Sutour. Cela devait intervenir en décembre !
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. … dès les prochaines sessions du Parlement européen, car l’adoption de cette directive est retardée depuis trop longtemps.
Nous veillons évidemment à la légalité absolue, je le répète, des accords avec la Turquie, et ce avec le plus grand soin.
J’en viens à la crise agricole et les sanctions, individuelles et sectorielles, avec la Russie. Les sanctions individuelles viennent d’être reconduites ; elles concernent un certain nombre de personnalités politiques. Les sanctions sectorielles ont été reconduites voilà déjà plusieurs mois jusqu’au mois de juillet. Nous avons désormais très clairement lié la suspension de ces sanctions à la mise en œuvre de la feuille de route de Minsk entre l’Ukraine et la Russie. Donc, nous souhaitons que, très rapidement, les engagements pris de part et d’autre, par l’Ukraine et par la Russie, permettent de régler le conflit ukrainien et de lever les sanctions.
André Gattolin a évoqué l’idée d’une taxe sur les réfugiés. Nous pensons que cette idée n’est pas judicieuse pour financer la mobilisation européenne afin d’aider les réfugiés, mais qu’il faut continuer à travailler sur les ressources propres de l’Union. À cet égard, les idées qui ont été émises méritent d’être débattues, notamment celles qu’a proposées le ministre des finances allemand, Wolfgang Schäuble. Il ne serait vraiment pas avisé d’établir aujourd’hui un lien entre la création d’une forme de taxation ou d’imposition et la réponse européenne à la crise des réfugiés. En revanche, la démarche visant à trouver des ressources pour financer les politiques de l’Union européenne, en particulier le soutien à l’investissement, nous semble prometteuse.
Je ne détaillerai pas de nouveau les budgets. J’indiquerai simplement, pour la Grèce, l’aide de 700 millions d’euros au titre de l’aide humanitaire, comme je l’avais précisé dans mon propos introductif, et 236 millions pour le HCR. En outre, à titre bilatéral, la France a apporté et continue d’apporter son aide aux réfugiés, à travers la protection civile, notamment des générateurs et des tentes, qui seront acheminés en particulier à Idomeni.
Je crois avoir répondu à M. le rapporteur général, Albéric de Montgolfier, sur les 3 milliards d’euros d’aide à la Turquie.
Quant au marché unique du numérique, c’est effectivement une priorité, y compris pour l’économie collaborative. Ce sujet sera traité lors de ce Conseil européen.
Enfin, même si j’ai commencé à le faire notamment sur le dispositif « un pour un », je veux répondre au président Jean Bizet, en particulier sur les visas.
En l’occurrence, je tiens à le confirmer, ce qui prime, ce sont les critères et non le calendrier. Nous pouvons comprendre le souhait que l’accélération de la feuille de route sur la libéralisation des visas permette d’aboutir rapidement, mais nous constatons qu’il y a soixante-douze critères, dont certains concernent d’ailleurs l’état de droit dans le pays partenaire – la Turquie –, tandis que d’autres ont trait à la politique de visas pratiquée par ce propre pays avec des pays tiers, ce qui suppose que celle-ci se mette en conformité avec le régime des visas européens. D’autres, encore, concernent la fraude documentaire, le contrôle des passeports, les procédures de sécurité. Il faut avancer sur tous ces critères. C’est cela qui permettrait d’envisager éventuellement une libéralisation des visas. Nous en sommes encore très loin, et nous ne voyons pas comment les dates qui ont été évoquées pourraient correspondre à une réalité, même si nous sommes tout à fait d’accord pour en discuter et y travailler avec la Turquie.
S’agissant de FRONTEX, il faut en effet répondre aux demandes de l’agence et de son directeur, lui permettre d’accéder au système d’information Schengen et de disposer des moyens dont elle a besoin pour accomplir son travail dans les hotspots et assurer de façon très sûre l’accueil de ceux qui auront vocation à être ensuite reçus dans les pays de l’Union européenne, pour procéder aux opérations de retour d’une façon conforme à notre droit, avec un traitement individuel des données.
La France mobilise beaucoup de moyens pour FRONTEX. Elle continuera de le faire. Nous pensons que l’adoption du règlement sur les gardes-côtes et les gardes-frontières européens sera une étape très importante dans la transformation de l’agence et dans une réponse collective à la question du contrôle de nos frontières. (MM. Didier Marie et Jean-Claude Requier ainsi que M. le président de la commission des affaires européennes applaudissent.)
Débat interactif et spontané
M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif et spontané, dont la durée a été fixée à une heure par la conférence des présidents.
Je vous rappelle que chaque sénateur peut intervenir pendant deux minutes au maximum. La commission des affaires européennes ou le Gouvernement, s’ils sont sollicités, pourront répondre.
La parole est à Mme Fabienne Keller.
Mme Fabienne Keller. Monsieur le secrétaire d’État, j’évoquerai tout d’abord le financement européen de la lutte contre le terrorisme et la crise des migrants, ce dernier point étant le sujet principal du prochain Conseil européen.
L’accord politique et le plan d’action global sont encore en cours d’examen concernant les gardes-frontières, vous l’avez signalé, et la lutte contre les filières illégales. Les premiers moyens financiers ont été dégagés en 2015, mais une politique structurée nécessite des moyens budgétaires clarifiés et volontaristes.
Vous avez évoqué le financement de l’accord qui s’esquisse avec la Turquie, mais qu’en est-il du financement du renforcement de Schengen et de FRONTEX ? Comment les gardes-frontières et les gardes-côtes seront-ils financés ?
Ma question est la même s’agissant de la structuration de la lutte contre le terrorisme ; je pense notamment à la coordination de nos services de renseignement et aux moyens technologiques indispensables pour mieux maîtriser les flux entrant dans l’espace Schengen.
J’évoquerai ensuite l’abondement des différents fonds, comme le fonds pour la Syrie et les fonds multilatéraux, tels que celui du HCR. L’année 2016 sera marquée par la révision du cadre financier pluriannuel de l’Union européenne. Dans ce contexte, quelle est, monsieur le secrétaire d’État, la stratégie du Gouvernement, sachant que les moyens financiers témoignent de la volonté d’agir ?
Je terminerai par une question un peu plus technique : comment seront pris en compte les efforts militaires des États membres dans le cadre de cette stratégie ? On évoque le montant considérable de 16 milliards d’euros.
Monsieur le secrétaire d’État, pourriez-vous nous préciser les axes stratégiques de la négociation budgétaire, ainsi que les moyens de cette lutte contre le terrorisme et face à la crise des migrants ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Madame la sénatrice, il est tout à fait exact que le budget de l’Union est sous tension. Ses rubriques 3 et 4 en particulier sont beaucoup sollicitées du fait des efforts consentis pour financer l’accueil et l’intégration des réfugiés – au titre de la rubrique 3 – et les actions extérieures – au titre de la rubrique 4. Il s’agit d’accorder des facilités financières à la Turquie, à la Syrie et aux pays d’Afrique à la suite du sommet de La Valette.
Il faut jouer de toutes les flexibilités du budget communautaire. La révision à mi-parcours permettra de prendre en compte, sans revoir l’ensemble de la structure du budget, les urgences qui constituent aujourd’hui des priorités pour l’Union européenne.
Vous m’avez interrogé sur les gardes-frontières et les gardes-côtes. Dans un premier temps, ce sont les États membres qui contribueront au financement de la mise en place de ce corps en fournissant des personnels. Ce n’est qu’ensuite que se posera la question du recours au budget communautaire, qu’il faut bien sûr anticiper.
Pour être efficace aujourd’hui, il convient d’utiliser les personnels existants.
Le ministre de l’intérieur a en ce sens présenté à ses homologues un système de réserve, sur la base duquel la Commission européenne a proposé la mise en place du futur corps de gardes-frontières et de gardes-côtes. Chaque État membre accepte ainsi de constituer une réserve de 2 % de ses personnels de police aux frontières ou de ses gardes-côtes afin qu’ils puissent être mobilisés au service du corps de gardes-côtes ou de gardes-frontières européens et venir en appui à FRONTEX, dont la définition sera peut-être un peu différente à l’avenir, en cas d’urgence ou de nécessité de renforcer le contrôle de la frontière extérieure de l’Union européenne.
Il faut évidemment utiliser tous les moyens du budget de l’Union européenne, mais il convient aussi, sans attendre un nouveau budget ou de nouvelles perspectives financières, de mettre les moyens des États membres à disposition . C’est ce que nous faisons dans le cadre de l’opération EUNAVFOR Med ; c’est ce que nous faisons pour être efficaces aujourd’hui au large des côtes grecques.
M. le président. La parole est à M. Didier Marie.
M. Didier Marie. Monsieur le secrétaire d’État, le chaos syrien, la menace terroriste et la crise migratoire qui en découlent mettent très sérieusement à l’épreuve la solidarité entre les États membres, la cohésion de l’Union et sont, nous en sommes tous convaincus ici, porteurs de risques de délitement du projet européen.
Nous avons largement très logiquement évoqué les mesures qui doivent être mises en œuvre rapidement pour surmonter cette crise migratoire et, dans le même temps, sauver Schengen.
L’enjeu du Conseil européen sera avant tout de prendre de nouvelles décisions, mais aussi, et surtout, de mettre en œuvre celles qui ont déjà été prises. Les citoyens de l’Union attendent aujourd’hui des actes très concrets pour faire face à l’urgence humanitaire.
Du coup, nous n’avons pas beaucoup évoqué le second volet de ce Conseil, à savoir le semestre européen de l’année 2016. Pourtant, il existe une passerelle entre les deux sujets : si l’Europe allait mieux, si la situation économique et celle de l’emploi étaient meilleures, nous connaîtrions moins de tentations de repli, moins d’égoïsme, et nous éviterions vraisemblablement la montée de la xénophobie et du populisme. C’est la raison pour laquelle ce second volet est si important.
Après des années de recul des investissements résultant des politiques d’austérité, la Commission a enfin décidé de replacer la croissance et l’investissement au cœur de sa stratégie. En quelques mois, des progrès ont été accomplis. La politique budgétaire est devenue un peu plus flexible, ce qui a permis le maintien de la Grèce dans la zone euro. La Banque centrale européenne a permis la baisse du cours de notre monnaie. S’en sont suivies des répercussions économiques, en particulier une amélioration des exportations. En outre, la Banque européenne d’investissement, la BEI, a été mandatée pour déployer un plan de soutien à l’investissement de 315 milliards d’euros sur trois ans.
Depuis le lancement de ce plan, un peu plus de 50 milliards d’euros ont été engagés au titre du Fonds européen pour les investissements stratégiques, le FEIS. La BEI vient d’annoncer 4,5 milliards d’euros de nouveaux investissements. Plus risqués que ceux qui sont habituellement soutenus par la BEI, ces projets doivent concerner des nouvelles infrastructures, des projets innovants et aider les PME et les TPE.
La France est, semble-t-il, le troisième pays destinataire de ce plan. Elle a bénéficié, pour un total de dix-sept projets, de 1,3 milliard d’euros de soutien.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Didier Marie. Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous indiquer l’état d’avancement du plan Juncker, à l’échelle tant de l’Union européenne que de notre pays ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Monsieur le sénateur, je vous confirme que le plan Juncker monte actuellement en puissance dans divers pays de l’Union européenne, en particulier en France.
Ce plan permet à la BEI, via des prêts ou des prises de participation, de financer divers projets qu’elle aurait eu davantage de difficultés à encourager précédemment, mais qu’elle peut aujourd’hui soutenir, même s’ils présentent un risque plus élevé. En effet, ces prêts sont couverts par la garantie du budget de l’Union européenne. C’est là la particularité de ce dispositif.
En particulier, le plan Juncker doit permettre de financer des projets dans les domaines de la transition énergétique, de l’efficacité énergétique, du numérique. Plus largement, il a vocation à soutenir des chantiers innovants, bref, d’accompagner les secteurs qui seront les moteurs de la croissance future au sein de l’Union européenne. Il peut également financer des projets d’infrastructures portés par des régions. Parmi les projets que la France entend présenter figure notamment celui du Roissy-Charles de Gaulle Express.
D’ores et déjà, le comité d’investissement du plan Juncker a retenu de nombreux dossiers. Ainsi, divers bailleurs sociaux ont présenté, de façon groupée, des dossiers portant sur la rénovation thermique des logements. S’y ajoutent des projets de soutien à des installations dans le domaine de l’énergie renouvelable.
Par ailleurs, dans le cadre du Fonds européen d’investissement, le FEI, filiale de la BEI, sont soutenus des projets destinés à financer des petites et moyennes entreprises.
Ainsi, il y a quelques semaines, j’ai visité, dans le département du Loiret, une entreprise de moins de dix salariés ayant bénéficié d’un prêt de la BEI par l’intermédiaire de BPI France. Si en effet la BEI ne dispose pas de guichets dans l’ensemble des départements français, BPI France, elle, travaille dans tous les territoires avec les PME, qu’elle fait bénéficier, grâce au plan Juncker, de nouveaux prêts, plus importants que les précédents.
Vous le constatez : le plan Juncker, qui doit encore monter en puissance, sera extrêmement utile au financement des divers acteurs économiques. C’est pourquoi je vous sais gré d’avoir insisté sur cet enjeu.
Vous avez avancé le chiffre de 1,3 milliard d’euros. À ce jour, la France est déjà un peu au-delà. L’objectif global est de parvenir à un soutien de l’ordre de 315 milliards d’euros à l’échelle européenne. Étant donné la qualité des dossiers sur le point d’être présentés devant le comité d’investissement par les porteurs de projets, avec l’appui du Gouvernement, nous pouvons espérer que ce dispositif permette plus de 40 milliards d’euros d’investissements dans notre pays au cours des deux prochaines années.
M. le président. La parole est à M. Michel Canevet.
M. Michel Canevet. Monsieur le secrétaire d’État, les Conseils européens qui se succèdent ont tous à leur ordre du jour la définition d’une stratégie européenne en matière migratoire. Il s’agit là, bien entendu, d’un enjeu extrêmement important.
Néanmoins, gardons à l’esprit que, dans divers États européens, et tout particulièrement dans notre pays, la crise agricole a suscité de très grandes manifestations, traduisant la profonde désespérance des professionnels.
Je sais que des mesures financières ont été adoptées l’an dernier pour apporter une aide d’urgence au secteur agricole.
Vous l’avez rappelé, hier, le conseil des ministres européens de l’agriculture a permis d’apporter un certain nombre de réponses un peu plus structurelles, mais néanmoins limitées dans le temps, aux divers problèmes qui se posent et concernant lesquels nous avions formulé un certain nombre de propositions. Il était important d’agir.
Outre l’étiquetage, que vous avez évoqué, je songe à l’organisation de la production dans la filière laitière. S’il est en effet essentiel d’adopter des mesures temporaires pour éviter que les prix continuent de s’effondrer, au grand dam des exploitants agricoles, nous devons aussi avancer en faveur de la filière porcine, d’autant que Bruxelles a pris diverses initiatives à l’encontre d’industriels de l’agroalimentaire qui, en la matière, avaient pris des mesures sur ce point.
Nous, sénateurs de l’UDI-UC, estimons que l’autosuffisance alimentaire, enjeu essentiel pour l’être humain en général et pour l’économie européenne en particulier, mérite d’être abordée au cours d’un prochain Conseil européen. Nous espérons que tel sera le cas !
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Monsieur Canevet, le conseil des ministres européens de l’agriculture, réuni hier, à Bruxelles, a repris en grande partie les mesures proposées, au nom de la France, par Stéphane Le Foll. Il s’agissait en particulier de maîtriser la production, notamment dans les filières laitière et porcine.
À court terme, le doublement des plafonds d’intervention pour la poudre de lait et le beurre permettra d’endiguer la surproduction, en attendant l’instauration d’une limitation temporaire de la production.
Parallèlement, je le répète, la Commission a, pour la première fois, décidé de recourir à l’article 222 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Il permet aux opérateurs de déroger temporairement au droit de la concurrence, pour maîtriser et gérer leur production laitière. À cet égard, il importe que les institutions européennes réunissent rapidement les représentants desdits opérateurs.
Pour ce qui concerne le porc, un nouveau mécanisme de stockage privé sera mis en œuvre en 2016. Un observatoire dédié au secteur des viandes permettra, à l’instar de l’Observatoire du prix du lait, de mieux suivre les évolutions des marchés concernés.
En matière d’exportations, la Commission s’est engagée à intensifier ses efforts pour lever les entraves au commerce, en particulier l’embargo sanitaire russe, qu’il faut distinguer de l’embargo décidé par Moscou à titre de sanction. La Commission s’est engagée à proposer un mécanisme européen de garantie pour couvrir les risques financiers pris par les entreprises.
De plus, la France et l’Union européenne ont abouti à un accord sur l’étiquetage de l’origine des produits transformés. Il s’agissait là d’une demande essentielle : une grande partie des productions porcines sont en effet destinées à des produits transformés.
En conséquence, ce conseil des ministres européens de l’agriculture a apporté des réponses à nombre de questions que nous avions soulevées. À présent, nous allons veiller à la mise en œuvre des mesures décidées.
M. le président. La parole est à M. Patrick Abate.
M. Patrick Abate. Monsieur le secrétaire d’État, la commission spéciale « Taxe » du Parlement européen a enquêté pendant plusieurs mois sur les accords secrets passés entre tel ou tel État membre et certaines multinationales en vue de réduire leurs taux d’imposition.
Prolongés de six mois en décembre dernier, les travaux de cette commission se poursuivent actuellement.
Les deux îles anglo-normandes de Jersey et de Guernesey ont été les premiers paradis fiscaux à venir témoigner de leurs pratiques devant cette commission. Leurs représentants ont tenté d’expliquer que le taux d’imposition de 0 % accordé aux entreprises qu’elles hébergeaient ne posait pas de problème de concurrence vis-à-vis des autres pays européens, où le taux d’imposition le plus bas s’élève à 12,5 % – défense de rire…
Sauf erreur de ma part, Andorre, le Liechtenstein et Monaco sont actuellement auditionnés. Certaines juridictions, comme les îles Caïmans et l’île de Man, ont décliné l’invitation de la commission « Taxe ».
À l’échelle de l’Union, la liste paneuropéenne des juridictions non coopératives a été établie en juin 2015. Jersey n’y figure pas, étant donné qu’elle est mentionnée sur la liste noire de moins de dix pays membres. Au demeurant, la France a retiré Jersey de sa propre liste. Elle ne considère donc plus ce territoire comme un paradis fiscal. Il semble que Guernesey bénéficie du même sort à plus ou moins long terme.
Monsieur le secrétaire d’État, nous ne pouvons pas construire une Union européenne sans une véritable solidarité. Mais comment agir lorsque « l’évitement fiscal » – c’est apparemment ainsi qu’il faut désormais désigner la pratique en question – représente chaque année, au sein de l’Union, entre 50 et 70 milliards d’euros ?
À nos yeux, la quatrième directive relative à la coopération administrative ne va pas assez loin et ne répond pas suffisamment aux exigences d’information, pays par pays, pour renforcer le contrôle sur les transactions fiscales des multinationales.
Le 12 avril prochain, la Commission devrait présenter une nouvelle proposition. Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous indiquer les lignes que défendra la France à cet égard, notamment pour ce qui concerne l’obligation, faite aux multinationales, de rendre compte de leurs activités pays par pays ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Monsieur Abate, la directive sur la coopération administrative en matière fiscale sera tout de même un progrès, comme l’ensemble des mesures du « paquet fiscal » présentées par le commissaire européen, Pierre Moscovici, lesquelles visent à lutter contre les mécanismes d’optimisation et d’évitement fiscaux. (M. Patrick Abate acquiesce.)
Cette politique implique des règles communes à l’Union européenne tout entière, face à des multinationales qui peuvent décider de localiser leurs bénéfices dans tel État membre, alors qu’en vérité elles dégagent leur chiffre d’affaires dans les Vingt-Huit.
Cette politique implique également une action vis-à-vis d’États tiers.
À cet égard, un point constitue une priorité pour M. Moscovici : l’élaboration d’une liste commune des territoires non coopératifs.
À l’heure actuelle, chaque État membre établit sa propre liste des États qu’il estime être des paradis fiscaux, sur le fondement de discussions auxquelles concourent tous les membres de l’OCDE.
Dès lors qu’au-delà des seuls États de l’Union européenne, divers pays coopèrent au sein de l’OCDE pour lutter contre les paradis fiscaux, ils doivent appliquer les mêmes critères. Désormais, nous devons pouvoir déclarer d’une seule voix que la transparence fiscale, les échanges automatiques d’informations sont suffisamment établis avec un pays pour qu’il ne soit plus considéré comme un paradis fiscal. Au contraire, si l’on estime que des problèmes subsistent, tous les États membres doivent exercer la même pression, tous doivent partir du principe que le territoire concerné est non coopératif.
Ces règles doivent s’étendre aux territoires disposant d’un statut particulier les liant à l’un ou l’autre des États membres, comme Jersey, que vous avez mentionnée.
Notre but, c’est donc une convergence totale de l’action de tous les États membres. Il faut donc soutenir l’ensemble de propositions présentées par la Commission afin de garantir une seule et unique caractérisation des États non coopératifs. Les Vingt-Huit doivent exercer, à l’encontre de chacun de ces États une pression commune.
M. le président. La parole est à M. Alain Marc.
M. Alain Marc. Monsieur le secrétaire d’État, la mise en demeure de la Commission européenne à la France concernant l’ouverture à la concurrence des concessions hydroélectriques suscite de vives inquiétudes de la part des élus, des collectivités territoriales et des habitants des territoires concernés.
J’attire plus particulièrement votre attention sur les concessions des vallées de la Truyère et du Lot, en Aveyron, département qui m’est cher et qui l’est également à mon collègue et ami Jean-Claude Luche, présent dans cet hémicycle.
Les aménagements de ces bassins constituent un ensemble énergétique de premier ordre - environ 10 % de la capacité hydraulique d’EDF en France -, pour répondre aux besoins de notre pays en la matière. Pour l’Aveyron, ils constituent de surcroît un atout vital.
Or une procédure de mise en concurrence pourrait desservir ces bassins : elle serait de nature à compromettre les investissements à réaliser dans le cadre de la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte. En effet, l’article 116 de ce texte prévoit que, lorsque des investissements nécessaires à l’atteinte des objectifs fixés dans la loi peuvent y être réalisés, la concession hydroélectrique peut être prorogée.
Si l’État le demande, le concessionnaire en place peut lancer rapidement d’importants investissements. De tels investissements sont essentiels pour nos territoires ruraux tant en termes d’emplois qu’en termes de fiscalité. Ils créent de nouvelles ressources pour nos collectivités territoriales et vont dans le sens de la transition énergétique.
En ce sens, la Truyère et le Lot représentent une véritable possibilité de mise en application de cette loi.
Aussi, pouvez-vous nous donner des précisions sur la suite que la France entend donner à cette procédure d’infraction, et plus particulièrement sur les conséquences pour les vallées de la Truyère et du Lot ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Monsieur Marc, je tiens avant tout à rappeler l’importance du dossier des concessions hydroélectriques : avec 25 400 mégawatts de puissance installée, l’hydroélectricité est la première source d’électricité d’origine renouvelable dans notre pays.
La loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, défendue par Mme Ségolène Royal, doit précisément garantir une meilleure gestion des concessions hydroélectriques.
Pour ce qui concerne la mise en demeure à laquelle vous faites référence, la France a répondu à la Commission européenne, le 18 décembre 2015, en contestant fermement l’infraction. Depuis lors, et à l’invitation de la commissaire européenne, Mme Vestager, nous avons engagé sur ce dossier un dialogue constructif avec la Commission. Nous tenons cette dernière informée des dispositions de la loi relative à la transition énergétique portant sur les concessions, ainsi que de l’état d’avancement du calendrier des textes réglementaires afférents.
Vous évoquez plus particulièrement les concessions de la Truyère et du Lot, qui sont effectivement de la première importance.
À cet égard, je vous rappelle que toutes les demandes de prolongation de concessions présentées par EDF devront impérativement être formulées dans le respect du droit européen, notamment de la directive Concessions. La France devra veiller à notifier en détail chaque projet de prolongation.
Nous tenons à défendre ces concessions. Nous pensons que nous pouvons convaincre la Commission qu’elles contribuent à atteindre les objectifs de développement durable fixés au niveau de l’Union européenne. Il faut prendre en considération les enjeux environnementaux d’intérêt public dans la gestion de ces concessions : on ne saurait se contenter d’examiner le seul droit de la concurrence.
L’intérêt général européen et l’intérêt des territoires qui bénéficieront de cette source d’électricité renouvelable doivent, eux aussi, être pris en compte.
M. le président. La parole est à M. Yves Pozzo di Borgo.
M. Yves Pozzo di Borgo. Monsieur le secrétaire d’État, je n’avais pas l’intention de prendre la parole, jusqu’à ce que j’entende plusieurs de mes collègues, notamment MM. Allizard et Sutour, faire allusion aux problèmes des sanctions relatives à la Russie, liés à l’affaire de Crimée et d’Ukraine.
À ces questions, vous avez apporté votre réponse habituelle : la suspension des sanctions dépendra de la mise en œuvre des accords de Minsk. Toutefois, quelques explications complémentaires me semblent nécessaires, compte tenu de la situation actuelle de l’Ukraine et des conséquences des sanctions décidées.
Je peux l’affirmer, car j’en ai été le témoin : la France, notamment grâce au Président de la République, a été l’un des principaux acteurs des accords de Minsk. Le chef de l’État a fait preuve d’énergie, en se rendant à Astana, puis auprès de Vladimir Poutine. En outre, la détermination de la France s’est confirmée au cours du Conseil européen de l’hiver 2015 : la ligne directrice traduite par les accords de Minsk a été imposée par la France. On a prétendu que Mme Merkel l’avait fixée ; en fait, c’est notre pays, et Mme Merkel a suivi.
Des sanctions ont été adoptées. Elles sont sévères et, on l’observe clairement, elles affectent davantage les Européens que les Russes. Plusieurs orateurs ont évoqué les conséquences de ces mesures, notamment en matière agricole.
Or manifestement la France semble avoir perdu toute énergie pour se battre s’agissant de ces sanctions.
Le ministre de l’agriculture, qui est aussi le porte-parole du Gouvernement, demande, lui, leur suppression. Or, de votre côté, en tant que secrétaire d’État chargé des affaires européennes, accompagnant le Président de la République au Conseil européen, vous déclarez attendre l’application des accords de Minsk.
On le sait très bien : pour leur part, les Russes en ont assez de cette situation, ils n’ont plus envie de cette affaire du Donbass. Le blocage actuel vient de l’affaiblissement du pouvoir ukrainien, qui ne respecte pas les conditions précédemment fixées, notamment l’instauration, par le biais d’un vote, de structures fédérales pour certaines régions.
Parallèlement, on le sait très bien également, les Américains se montrent très combattifs… pour faire traîner les choses.
En face, on a l’impression que la France, alors qu’elle était véritablement en pointe s’agissant des accords de Minsk, se tient désormais en retrait. Elle se laisse un peu dominer par les États baltes, par la Pologne, par les Américains, et n’ose pas affirmer une position forte dans cette affaire.
Je remercie donc le ministre de l’agriculture, porte-parole du Gouvernement, d’avoir dit qu’il fallait mettre fin à ces sanctions. En revanche, nous n’avons pas l’impression que ni vous ni le Président de la République n’appuyiez son discours…
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Monsieur le sénateur, votre question ne m’étonne pas. Comme vous l’avez dit, je suis amenée à faire souvent la même réponse, sans doute parce que l’on me pose souvent la même question ! (Sourires.) Mais votre question étant aujourd’hui formulée de façon un peu différente, je répondrai sur les éléments nouveaux que vous avez soulevés.
Je rappelle d’abord que le ministre de l’agriculture a demandé à la Russie la levée des sanctions sanitaires, lesquelles n’ont pas de lien avec l’affaire ukrainienne, l’annexion de la Crimée ou la mise en œuvre des accords de Minsk. Ces restrictions commerciales ont été prises par la Russie avant ces évènements pour faire face à l’épidémie de peste porcine qui touchait certains États membres de l’Union européenne, mais non la majorité d’entre eux, en tout cas pas la France.
C’est vrai qu’il y a là un sujet de discussion. Nous considérons qu’il serait justifié que la Commission européenne plaide, tout comme nous, auprès de la Russie en faveur de la levée des restrictions pour les pays qui ne sont pas concernés par ce problème sanitaire.
Le ministre de l’agriculture, qui est également, vous l’avez rappelé, le porte-parole du Gouvernement, est bien évidemment totalement solidaire de la position de ce dernier s’agissant des sanctions sectorielles prises par l’Union européenne à la suite de l’annexion de la Crimée et de la situation dans l’est de la Russie.
Notre position est également celle de l’Europe, et elle est liée aux négociations qui ont lieu sur la mise en œuvre des accords de Minsk. Et là, vous ne pouvez pas dire que nous sommes en retrait ! La France et l’Allemagne représentent aujourd’hui la communauté internationale dans les discussions avec la Russie et l’Ukraine. L’Union européenne soutient l’action de nos deux États dans le cadre du format Normandie. Une réunion s’est tenue à Paris le 3 mars dernier, sur l’initiative du ministre des affaires étrangères, Jean-Marc Ayrault.
Pour mémoire, je rappelle que l’on parle du « format Normandie » parce que sa première réunion a eu lieu sur l’initiative du Président de la République François Hollande, en Normandie, lors de la célébration du soixante-dixième anniversaire du débarquement, manifestations auxquelles ont assisté le président Poutine, le président Porochenko et la chancelière Merkel.
C’est donc sur proposition de la France que cette négociation a lieu. Elle est la seule voie diplomatique pour mettre fin au conflit entre l’Ukraine et son voisin la Russie.
Nous avons effectivement lié, avec l’accord des autres États membres de l’Union européenne, la levée des sanctions à la mise en œuvre des engagements pris par les deux parties, l’Ukraine et la Russie, dans le cadre des accords de Minsk. Notre objectif est, je le répète, de faire respecter ces accords afin que les sanctions puissent être levées.
M. le président. La parole est à M. Gérard Bailly.
M. Gérard Bailly. J’aborderai pour ma part un sujet d’ordre plus général.
Je suis européen depuis toujours, et je le reste, car l’Europe a apporté la paix ces dernières décennies ; elle a soutenu nos échanges commerciaux, nous a garanti plus de sécurité grâce à Schengen et nous a permis de peser face aux géants économiques de la planète, sans parler de l’apport très important que fut l’euro pour certains États.
Mais l’Europe, c’est aussi aujourd’hui bien des situations que je regrette et qui m’attristent : Schengen explose de toutes parts ; il n’y a pas de politique européenne pour les migrants ; le Brexit est un véritable sujet d’inquiétude pour l’avenir. Je pense aussi à la cacophonie face aux problèmes agricoles – j’ose espérer que les résultats obtenus hier auront des répercussions concrètes – ; à l’absence de politique identique s’agissant des travailleurs détachés – on sait combien cela coûte à notre économie –, à l’absence aussi de politique européenne face à Daech, en Syrie ou en Libye, sans oublier l’opacité totale des négociations commerciales entre l’Europe et les États-Unis.
Tous ces sujets interpellent nos concitoyens. Certes, la situation n’est pas facile, mais, vous qui êtes chargé des affaires européennes à l’heure où l’Europe se délite de toutes parts, comme je viens de le montrer et comme l’ont relevé plusieurs de mes collègues, pensez-vous, monsieur le secrétaire d’État, que la France a vraiment joué ces dernières années le rôle qu’elle a assumé au cours des dernières décennies grâce à son poids politique et à sa diplomatie ? Pensez-vous que nos concitoyens seront encore européens lors des prochaines échéances électorales, plus particulièrement au moment des élections européennes ? J’en doute, je le regrette et je le crains, pour mon pays et pour l’Europe !
M. le président. La parole est à M. Harlem Désir, secrétaire d'État.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Monsieur Bailly, ma conviction est que l’Europe est plus que jamais nécessaire. Vous avez affirmé être un européen convaincu et vous avez décrit très justement l’ensemble des crises auxquelles l’Union est confrontée et auxquelles elle doit apporter des réponses.
Le fait est que l’Union européenne n’était pas préparée à faire face à des urgences ayant trait à la sécurité collective, qu’il s’agisse de la crise des réfugiés, du terrorisme ou du contrôle de ses frontières. Or ce sont ces défis qu’elle doit relever aujourd’hui.
L’Europe est démunie parce qu’elle ne s’est pas construite autour de ces questions. Pourtant, c’est là aujourd’hui que se joue en grande partie sa crédibilité aux yeux des citoyens. Chacun comprend qu’il ne peut pas y avoir vingt-huit réponses différentes à la crise syrienne et à la question des réfugiés. Les réponses unilatérales, nationales, ne font que reporter les problèmes d’un pays à l’autre et aggraver la situation.
L’Europe doit donc apporter des réponses collectives dans des domaines dans lesquels, jusqu’à présent, il n’y avait pas forcément de compétence européenne, de budget européen ou d’expérience européenne. Dans le même temps, elle doit aussi faire mieux fonctionner des secteurs dans lesquels il existe une politique européenne depuis longtemps, mais qui n’est pas aujourd'hui à la hauteur de la situation.
Vous avez ainsi évoqué le cas des travailleurs détachés : nous avons un marché intérieur, mais pas d’harmonisation sociale et fiscale !
Nous évoquions précédemment la fiscalité, les recommandations de la Commission, l’examen de la situation de la zone euro, l’insuffisance de notre croissance. Nous avons certes une politique monétaire très volontariste grâce à la Banque centrale européenne et à Mario Draghi, mais il faut soutenir les investissements de manière plus importante. Nous venons à peine de mettre en œuvre le plan Juncker ; nous aurons probablement besoin d’autres outils financiers pour soutenir les investissements.
Face à ces défis, il ne faut pas se laisser aller à l'autoflagellation ou renoncer, au motif que nous sommes vingt-huit, que nous avons des points de vue très différents ou qu’un État risque de sortir de l’Union. Des risques existent, c’est vrai, et, si nous n’agissons pas, ils peuvent entraîner une dislocation de l’Union européenne.
Mais nous ne choisissons pas ces crises, ni le moment auquel elles surviennent, et elles ne dépendent pas que de l’Europe, car nombre d’entre elles viennent de l’extérieur, même si certaines tiennent à nos insuffisances dans nos propres dispositifs, par exemple, à l’intérieur de la zone euro, comme nous l’avons vu l’été dernier avec la Grèce.
Notre devoir, le devoir de la France est d’apporter des réponses. C’est ce que nous faisons avec nos partenaires lorsque nous proposons d’aller de l’avant, qu’il s’agisse des pays fondateurs, l’Allemagne ou l’Italie, lesquels sont évidemment les plus attachés au projet européen, ou de ceux ayant rejoint l’Union européenne par la suite – je pense à l’Espagne, au Portugal et à tous les États membres de la zone euro.
Demain, il existera peut-être une Europe différenciée, car certains pays ne veulent sans doute pas approfondir autant que nous le souhaitons le projet européen. À vingt-huit, il faudra continuer de mener des politiques importantes dans les domaines de l’énergie et du climat, de l’immigration, etc. Mais la réponse des pays les plus attachés au projet européen, comme nous le sommes, vous et moi, monsieur le sénateur, est d’aller encore plus loin, d’aller encore plus vite. C’est le sens des efforts que nous déployons dans tous les domaines que vous avez cités.
M. le président. La parole est à M. Daniel Gremillet.
M. Daniel Gremillet. Monsieur le secrétaire d'État, vous avez souligné les avancées intervenues, notamment en début de semaine, s’agissant de la prise en considération par la Commission européenne de la crise agricole.
Pour la première fois, effectivement, le commissaire européen reconnaît l’état de crise dans lequel se trouve l’agriculture européenne. Néanmoins, il faut être très vigilant concernant les décisions qui ont été prises. Votre propos pourrait laisser penser que le travail est fini. Or il ne fait que commencer. Si la situation de crise est aujourd’hui prise en compte, rien n’a été dit, par exemple, sur l’organisation de la réduction des volumes dans le secteur laitier.
Je rappelle que, à ce jour, la seule décision qui a été prise a été de permettre à des entreprises de conclure des accords volontaires de gestion, c'est-à-dire des ententes sur des diminutions de volumes. Or l’expérience a montré, à la suite notamment de la fermeture des frontières avec la Russie, que la France était plus exposée que d’autres pays exportant beaucoup vers la Russie, tout simplement parce que notre agriculture connaît des problèmes de compétitivité. Des volumes très importants de produits laitiers en provenance d’Allemagne sont arrivés sur le marché, y compris sur le marché national. Les chiffres sont d’ailleurs assez inquiétants : les exportations communautaires de produits laitiers sont en baisse de 50 millions d’euros, alors que les importations de ces mêmes produits connaissent une hausse de plus de 58 millions d’euros…
Je le répète, monsieur le secrétaire d'État, il faut être très vigilant.
Par ailleurs, il n’y a pas d’accord non plus sur l’utilisation des 440 millions d’euros gérés à l’échelon communautaire pour faire face aux crises. Là non plus, rien n’est dit, et tout reste à faire.
Enfin, je me réjouis de la décision concernant l’étiquetage des produits laitiers et des produits carnés, qui fait l’objet de l’article 3 de la proposition de loi dont j’ai l’honneur d’être le rapporteur.
Monsieur le secrétaire d'État, encore une fois, soyons vigilants, car, si nous avons remporté une première bataille, le plus dur reste à faire !
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Monsieur le sénateur, vous avez raison, nous allons maintenant devoir veiller au suivi de la mise en œuvre de l’accord auxquels nous sommes parvenus lors du conseil Agriculture et pêche du 14 mars.
Sur le suivi, nous discuterons de la situation des marchés et de la mise en œuvre des mesures lors du comité spécial Agriculture. Des points d’information sont prévus lors des prochaines sessions du conseil Agriculture et pêche les 11 et 12 avril prochain, peut-être également le 10 mai. Enfin, une nouvelle discussion complète est prévue lors du conseil Agriculture des 27 et 28 juin, voire plus tôt si la situation l’exige.
Nous sommes tout à fait d’accord avec vous, il va falloir maintenant veiller à ce que les dispositions prises soient suivies d’effet et permettent de gérer l’évolution des marchés. On ne peut pas considérer que le problème est réglé simplement parce qu’un accord a été obtenu lors d’une réunion des ministres de l’agriculture.
L’accord obtenu pose des bases, permet de prendre des décisions et d’activer les articles pertinents des traités afin de mettre en œuvre cette gestion des marchés, d’obtenir une baisse de la production et une remontée des prix, et, pour la France, de mettre en œuvre l’étiquetage des produits transformés.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Je tiens de nouveau à vous remercier, monsieur le secrétaire d'État, pour la qualité de nos échanges au cours de cet exercice.
Permettez-moi toutefois d’attirer votre attention sur deux points particuliers : Schengen, d’une part, le semestre européen et le conseil Agriculture et pêche de lundi dernier, d’autre part.
Je rappelle que Schengen reste malgré tout un marqueur essentiel de l’Union et qu’il est très important de le conserver, même s’il n’a pas été spécialement conçu pour faire face à l’afflux des migrants que nous connaissons depuis quelques mois.
Je m’étais permis, lors de la quinzième session de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, à Vienne, de souligner deux points particuliers importants.
J’ai tout d’abord évoqué les sanctions contre les passeurs, lesquels sont aujourd’hui dûment identifiés par les services de renseignement. Or il ne m’a pas semblé que l’Union européenne était très sévère à leur égard. Il est pourtant important de sanctionner les passeurs, car il y va de la lisibilité et de la crédibilité de Schengen auprès de nos concitoyens.
J’ai ensuite évoqué le problème de l’intervention des gardes-frontières dans les États qui se révéleraient défaillants dans la maîtrise des frontières extérieures, car il est bien évident que cela pose un problème de souveraineté. Mais, si l’on veut donner toute sa crédibilité à Schengen et, surtout, à FRONTEX, il faut régler cette question très rapidement.
Le coût d’un rétablissement des frontières intérieures a été souligné, car, dans l’hypothèse où l’on signerait dans quelques années le traité transatlantique, un tel rétablissement serait dramatique pour les flux commerciaux en provenance d’outre-Atlantique.
Par ailleurs, je partage tout à fait les propos de notre collègue Daniel Gremillet concernant le conseil Agriculture et pêche. Au-delà des recommandations qui ont été faites à cette occasion, j’insiste sur le fait que nous devrons, par le biais d’une coopération renforcée, nous engager vers une convergence fiscale. Face aux divergences entre certains États membres, la souplesse que pourrait apporter le projet de loi sur le travail et la diminution des dépenses publiques seraient des éléments essentiels pour parvenir à une convergence, laquelle se ferait au minimum à neuf, comme cela a été le cas pour la taxe sur les transactions financières.
Enfin, je souhaite que l’on mette véritablement l’accent sur le Fonds européen d’investissement stratégique consacré aux problématiques agricoles. Si les filières laitières se sont restructurées pour ce qui est de leurs outils de transformation, c’est loin d’être le cas de la filière « viande rouge », par comparaison avec certains États membres. Si nous devions signer demain le traité transatlantique, cela nous placerait là encore en situation de distorsion de compétitivité et de concurrence.
M. le président. Nous en avons terminé avec le débat préalable à la réunion du Conseil européen des 17 et 18 mars 2016.
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Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mercredi 16 mars 2016, à quatorze heures trente et le soir :
Projet de loi constitutionnelle, adopté par l’Assemblée nationale, de protection de la Nation (n° 395, 2015-2016) ;
Rapport de M. Philippe Bas, fait au nom de la commission des lois (n° 447, 2015-2016).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt heures cinquante.)
Direction des comptes rendus
GISÈLE GODARD