M. Simon Sutour. C’est une bonne question !
M. Pascal Allizard. Serait-il seulement efficace en cas de besoin ? Mais c’est là un autre sujet…
Par ailleurs, monsieur le secrétaire d’État, je m’interroge aussi sur les conséquences sur les opinions publiques européennes tant de l’incapacité à anticiper ces événements tragiques – certains parleront d’aveuglement – que de la manière dont la situation actuelle est gérée. Outre le cas britannique, de nombreux autres Européens en particulier en Europe centrale et orientale, sont en plein doute. Eux qui, quelques années à peine après leur adhésion enthousiaste, se trouvent plongés au cœur d’une crise historique de l’Union et voient monter la défiance de leurs citoyens vis-à-vis de Bruxelles. Eux qui, faute d’Europe, comptent déjà sur l’OTAN pour assurer leur sécurité.
Sur le terrain, l’actualité s’arrête souvent sur la situation explosive en Grèce ou dans les Balkans. Pourtant, en France aussi, les inquiétudes sont grandes. Il y a quelques jours, les habitants de Calais, excédés de voir leur ville s’éteindre progressivement, défilaient dans Paris. Dans mon département, le Calvados, des communes comme Ouistreham, petite ville portuaire, voient arriver de plus en plus de clandestins candidats au départ pour l’Angleterre, surtout depuis le début du démantèlement de la « jungle » calaisienne et le rétablissement des contrôles aux frontières. Dès lors, les tensions montent inévitablement entre les clandestins et les habitants.
Dans un tel contexte, monsieur le secrétaire d’État, comment la coordination entre services de sécurité européens pour lutter contre le trafic d’êtres humains et saisir l’argent sale des passeurs avance-t-elle ?
Si le démantèlement des camps de Calais est indispensable, quelles mesures le Gouvernement prendra-t-il pour éviter la dispersion des migrants sur plusieurs autres sites et pour davantage éloigner du territoire ceux qui n’ont pas vocation à s’y maintenir ?
Enfin, monsieur le secrétaire d’État, lorsque la crise sera dernière nous – cela finira par arriver –, il faudra aussi faire le bilan, y compris financier, du montant sans doute exorbitant payé par l’Union européenne, faute d’avoir pris les mesures adéquates en temps et en heure. J’espère que nous saurons tirer les conséquences collectives de cette leçon, et je reste néanmoins un européen convaincu. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains. – M. le président de la commission des affaires européennes et M. Yves Pozzo di Borgo applaudissent également. )
M. le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère, pour le groupe UDI-UC.
M. Philippe Bonnecarrère. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, l’Europe affronte des crises multiples, interconnectées et qui, additionnées les unes aux autres, représentent la plus lourde remise en cause qu’elle ait connue depuis sa création.
L’Europe tente de faire face, alors qu’elle se trouve dans une situation de faiblesse liée à la perte de confiance des opinions publiques et aux réactions de plus en plus nationales des États membres.
Chaque crise, qu’il s’agisse de crise migratoire, de lutte contre le terrorisme, du Brexit ou des difficultés économiques, se caractérise par le fait que la solution qui lui correspond ne dépend jamais d’une seule partie. Elle résulte en réalité de la combinaison de causes et de solutions interdépendantes. Chacun détient une partie de la solution, personne n’en dispose seul. Manifestement, monsieur le secrétaire d’État, les pays européens n’arrivent plus à se parler ou à mettre suffisamment en commun pour décider.
Si nous en sommes arrivés là, c’est parce que le couple franco-allemand a sa part de responsabilité et que la France a également sa part de responsabilité dans ce qui a pu être qualifié de « panne sèche ».
Nous assistons à un découplage entre la France et l’Europe, d’une part, et entre la France et l’Allemagne, d’autre part.
Tout d’abord, il existe un découplage entre la France et l’Europe, qui est flagrant en matière économique.
Deux grands sujets sont inscrits à l’ordre du jour du prochain Conseil européen, dont l’un est de nature économique et porte sur la stratégie pour le marché unique des biens et des services. Cette stratégie vise à « libérer tout le potentiel du marché unique et à améliorer ainsi la compétitivité de l’économie européenne. » Il s’agit d’« ouvrir de nouvelles perspectives aux consommateurs et aux entreprises » en développant l’économie collaborative, en favorisant la croissance des PME, et en créant un marché sans frontières des services. Il s’agit également d’« encourager la modernisation et l’innovation. »
Vous l’avez compris, mes chers collègues, on peut résumer ainsi la stratégie pour le marché unique : premièrement, mener des réformes structurelles ; deuxièmement, travailler sur la compétitivité de l’économie. Exactement, ce que notre pays peine à faire !
Monsieur le secrétaire d’État, ne percevez-vous pas le découplage qui s’accentue entre le parcours de notre pays et la trajectoire de l’Europe ? Ne pensez-vous pas que l’actualité accable quelque peu notre pays, quand on sait que le Conseil de l’Union européenne, dans sa décision du 5 octobre 2015 relative aux lignes directrices pour les politiques de l’emploi des États membres, demande d’« améliorer le fonctionnement des marchés du travail » au travers de la mise en œuvre d’un système de flexisécurité, quand on sait également que le Jobs Act de Matteo Renzi date d’il y a plus d’un an ou encore que les accords Hartz de nos amis allemands ont plus de dix ans ?
Selon vous, monsieur le secrétaire d’État, à qui s’adresse le commissaire européen aux affaires économiques et financières, M. Pierre Moscovici, sinon à notre pays, lorsqu’il déclare : « Aujourd’hui, nous voyons clairement que les pays qui sont parvenus à réformer leur économie rapidement et en profondeur recueillent les fruits de leurs efforts. D’autres doivent passer à la vitesse supérieure pour pouvoir offrir plus de croissance et d’emplois à leurs citoyens » ? Il parle bien du découplage qui s’accentue entre la France et l’Europe !
Ensuite, il existe un découplage entre la France et l’Allemagne. Deux sujets parmi d’autres illustrent ce découplage. Il s’agit, en premier lieu, de la question agricole, sur laquelle je vais aller très vite. Si vous en avez la possibilité, monsieur le secrétaire d’État, et sans développer davantage ce thème, je vous demanderai de répondre à une question très pratique : pourriez-vous nous expliquer ce que signifie l’annonce faite il y a peu de temps concernant « l’activation d’une mesure permettant aux opérateurs du secteur laitier de s’entendre, sur une base volontaire, sur des limitations de la production pour une période de six mois renouvelable une fois » ? Que veulent dire les termes « sur une base volontaire » ? Cela signifie-t-il que certains pourraient réduire provisoirement leur production quand d’autres continueraient à augmenter la leur ?
Il s’agit, en second lieu, de la crise migratoire – peut-être la plus grave –, sujet que mes collègues viennent de développer largement. Sur ce thème, mes collègues de la commission des affaires européennes et moi-même estimons à la quasi-unanimité qu’il n’existe pas d’alternative à Schengen, du moins à un Schengen opérationnel. En outre, je souhaite vous dire ô combien je regrette que les positions allemande et française aient pu s’éloigner au sujet de cette crise.
Monsieur le secrétaire d’État, vous avez évoqué la Turquie tout à l’heure. N’avez-vous pas été blessé tout de même, comme chacun d’entre nous l’a été, compte tenu de ce que représente notre pays aujourd’hui, de constater que nos amis allemands ont lancé leurs négociations avec la Turquie sans nous en informer préalablement ? En effet, c’est bien cela la réalité !
En conclusion, quelles sont nos attentes ? Tout d’abord, notre pays doit assumer ses responsabilités dans le domaine économique, se réformer et retrouver à la fois sa place et sa voix en Europe. Ensuite, il faut que notre pays redevienne le moteur de la politique européenne.
Pour terminer, monsieur le secrétaire d’État, vous avez évoqué les hotspots. Autorisez-moi à réaliser un modeste retour d’expérience à l’issue de la visite du hotspot de l’île de Lampedusa que j’ai faite hier avec M. le président du Sénat, Gérard Larcher, qui m’avait fait l’honneur de m’inviter à l’accompagner. Le bilan sera très positif sur le hotspot lui-même : l’État italien assume ses responsabilités, a mis de gros moyens dans ce centre, assure remarquablement ses devoirs humanitaires, identifie et vérifie les données grâce au système d’information Schengen, et a dépêché sur place des professionnels de l’antiterrorisme. Par ailleurs, les migrants ne restent en moyenne que trois à quatre jours dans ce hotspot.
En revanche, plusieurs points nous ont frappés. Tout d’abord, nous avons constaté un changement dans l’origine géographique des migrants. Parmi les personnes arrivées récemment, la moitié venait d’Afrique de l’Ouest, de l’Afrique francophone. Aussi mesure-t-on le trajet que cela représente pour eux. Il ne s’agit plus simplement de réfugiés provenant de l’Afrique de l’Est, via la Libye.
Ensuite, nous avons été frappés par l’ignominie vécue par les migrants en Libye, État failli – chacun le sait –, sans qu’il soit nécessaire de nous appesantir sur le sort des quelques femmes qui ont participé aux voyages.
Enfin, nous avons noté le faible nombre d’accords de réadmission, y compris avec l’Afrique de l’Ouest qui bénéficie pourtant de notre aide financière et militaire. C’est très clairement un sujet sur lequel l’Europe peut travailler directement et pour compte commun.
Envisager l’après-hotspot, c’est-à-dire la situation des migrants lorsqu’ils poursuivent leur route, qu’ils aient ou non déposé une demande d’asile, nous engagerait presque dans un autre débat. C’est pourquoi, monsieur le secrétaire d’État, je me contenterai de vous remercier de votre attention et des éléments de réponse que vous apporterez à mes interrogations. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et sur plusieurs travées du groupe Les Républicains. – M. le président de la commission des affaires européennes applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet, pour le groupe communiste républicain et citoyen.
M. Éric Bocquet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le président de la commission des affaires européennes, mes chers collègues, c’est dans un contexte des plus difficiles que s’est tenu le 7 mars dernier un sommet entre l’Union européenne et la Turquie qui a abouti à un accord laissant bien des questions en suspens.
La Turquie a confirmé qu’elle était résolue à mettre en œuvre l’accord bilatéral de réadmission gréco-turc en vue d’accepter le retour rapide de tous les migrants qui partent de la Turquie pour gagner la Grèce et qui n’auraient pas besoin d’une protection internationale, et de reprendre tous les migrants en situation irrégulière qui seraient appréhendés dans les eaux territoriales turques.
En contrepartie, l’Union européenne s’est engagée à faciliter l’obtention par les citoyens turcs de visas provenant de tous ses États membres, à accélérer le versement des trois milliards d’euros déjà promis, à compléter son aide de trois milliards d’euros supplémentaires et à favoriser la reprise des négociations pour l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne.
De son côté, en plus de reprendre les réfugiés expulsés d’Europe, la Turquie s’engagerait, selon le principe du « un pour un », à n’organiser le passage de Syriens vers la Grèce qu’en respectant des mesures de contrôle et de sécurité, dans lesquelles l’OTAN jouerait un rôle.
À l’avenir, même si l’accord ne l’indique pas, les autres réfugiés non admis en Europe, qu’ils soient d’Afghanistan, d’Érythrée, du Soudan ou d’Irak, seraient rapatriés en direction de leurs pays d’origine.
Ainsi, l’Union européenne et les États membres abandonnent à la Turquie la responsabilité d’assurer le contrôle de leurs propres frontières et de gérer l’accueil des réfugiés qui vont être chassés de Grèce.
Les centaines de milliers de migrants arrivés en 2015 sur le sol européen ne représentent pourtant que quelques dixièmes de pourcent de la population globale de l’Union.
Certains défenseurs d’une Europe forteresse feignent de faire face à une crise migratoire sans précédent. Pourtant, les chiffres montrent bien tout autre chose. À ce jour, il y a autant de demandeurs d’asile par habitant de l’Union européenne qu’il y en avait au début des années 1990. En outre, le nombre de personnes dans le monde sous mandat de protection du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés est le même qu’en 1995.
La crise des migrants est mondiale : tous les continents sont touchés, d’autant que, pour l’essentiel, pour 80 % d’entre eux plus précisément, ces mouvements migratoires restent cantonnés du Sud vers le Sud. Des solutions mondiales doivent donc également être mises en œuvre, même s’il n’est question ici que de l’Union européenne.
En signant cet accord, les dirigeants européens ont-ils bien mesuré les conséquences des décisions qu’ils prenaient et de l’image qu’ils ont donnée de l’Europe, en recourant à une forme de marchandage autour de la détresse des réfugiés avec un pays qui bafoue trop souvent les valeurs démocratiques que l’Union européenne est censée représenter ?
Nous pensons que l’Union européenne a pourtant les moyens de répondre à ses devoirs d’accueil et d’asile. Ainsi, avec la participation des États membres qui ont donné leur accord, elle pourrait accélérer l’installation des 160 000 réfugiés, respectant en cela l’engagement qu’elle a pris en octobre dernier. Aujourd’hui, très peu de réfugiés ont pu s’établir. On a également pris l’engagement d’aider financièrement les collectivités accueillant des réfugiés. Au lieu de jouer la stigmatisation, la division entre réfugiés et migrants, la France doit évidemment leur tendre la main et faire la preuve qu'elle reste toujours ce grand pays de fraternité et de solidarité.
Monsieur le secrétaire d’État, quelle sera la position de la France sur ce dossier ? La France doit exiger le rejet de cet accord et accueillir enfin dignement ces hommes, ces femmes et ces enfants abandonnés à leur sort, même si certains efforts et progrès ont déjà été accomplis.
De plus, tout comme de nombreuses associations, nous souhaitons attirer l’attention sur la problématique du rapprochement familial. L’enjeu est particulièrement manifeste à Calais. Il est plus qu’urgent de mettre en œuvre des mesures efficaces pour que les personnes ayant des liens familiaux au Royaume-Uni soient identifiées rapidement et transférées vers ce pays. Il est également indispensable de garantir que le rapprochement familial ne soit pas restreint en raison d’exigences administratives trop lourdes, notamment en ce qui concerne les pièces justificatives à fournir.
Même si tout cela a été abordé lors du sommet franco-britannique, nous rappelons l’urgence de ce rapprochement familial, surtout pour les mineurs. On doit évaluer les demandes en la matière au regard de la convention relative aux droits de l’enfant. L’intérêt supérieur de l’enfant doit primer tout au long de la procédure, ce qui est hélas loin d’être le cas actuellement.
Plus globalement, l’Union européenne et les États membres ont également une part de responsabilité dans les tragédies qui frappent aujourd’hui les peuples du Proche-Orient, les poussant sur les routes de l’exil. Comme l’a rappelé notre collègue Jean-Claude Requier, le conflit en Syrie entre dans sa cinquième année. L’Union européenne doit peser de tout son poids pour que le projet de transition politique soit mis en place le plus rapidement possible, afin que l’on arrive à un cessez-le-feu durable et à l’arrêt des hostilités dans les luttes intersyriennes.
L’Union européenne s’est trop souvent alignée sur les positions de certains États du Golfe, comme l’Arabie Saoudite ou le Qatar, ou encore sur la Turquie, encouragée dans cette voie par la France qui a multiplié en certaines occasions les surenchères politiques et militaires. Il est désormais temps qu’elle apporte un soutien sans équivoque à la mise en œuvre la plus rapide possible de la feuille de route fixée par le Conseil de sécurité de l’ONU. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – MM. Jean-Claude Requier et André Gattolin applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Simon Sutour, pour le groupe socialiste et républicain. (Marques de satisfaction sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Simon Sutour. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le Conseil européen qui se déroulera les 17 et 18 mars prochain sera quasi intégralement consacré à la crise migratoire et fera suite à la réunion des chefs d’État et de gouvernement de l’Union européenne avec la Turquie qui s’est tenue le 7 mars dernier.
Il s’agit désormais de mettre en œuvre l’ensemble des mesures et dispositifs qui ont été décidés, de trouver un consensus sur la question des migrations et d’ouvrir enfin une nouvelle phase plus favorable à la construction européenne. Cela sera le cas par exemple en matière économique avec le plan Juncker, en matière sociale avec la proposition de directive sur les travailleurs détachés, ou encore en matière environnementale avec l’adoption de la COP 21.
Aujourd’hui, il faut sauver l’Europe. Trente ans après la signature de l’Acte unique européen, l’intégration européenne est menacée. Si la crise migratoire en est le symptôme le plus perceptible et le plus douloureux, l’Europe doit faire face à d’autres défis majeurs.
En premier lieu, le secteur agricole subit une crise sans précédent. Elle est peut-être davantage médiatisée en France compte tenu de notre attachement à la terre, mais cette crise touche tous les agriculteurs européens.
Je pourrais ajouter à ce sombre tableau la menace du Brexit qui se précise un peu plus chaque jour, la croissance économique qui est atone et ne permet pas de faire reculer le chômage et la pauvreté, le spectre de la déflation ou encore la faiblesse de l’Europe en matière de lutte contre le terrorisme, avec le retard que l’on observe notamment dans le domaine de la coordination des moyens de renseignement et dans la mise en place du PNR, le passenger name record. À ce propos, j’ai de bien mauvaises nouvelles à vous annoncer, mes chers collègues. J’arrive de Bruxelles où je viens d’apprendre que la commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures, la fameuse commission LIBE, du Parlement européen semble avoir décidé de ne pas se prononcer sur le PNR tant qu’un accord ne serait pas trouvé sur le paquet relatif à la protection des données personnelles. C’est attristant et désespérant, monsieur le secrétaire d’État !
Les eurosceptiques auraient tort de se réjouir, car la principale vocation de l’Europe est de garantir la paix. Or une Europe fragilisée, des États membres fragilisés, c’est la porte ouverte à la montée des populismes et des nationalismes ! Aujourd’hui, le risque est bien celui d’une déstabilisation politique de l’Europe.
Après-demain donc, à Bruxelles, l’Europe des Vingt-Huit tentera une nouvelle fois d’apporter des réponses à la grave crise migratoire. L’année dernière, pris de panique, les pays européens ont été incapables de s’entendre pour d’emblée gérer au mieux le gigantesque afflux de réfugiés venus de Syrie, d’Érythrée et d’Irak dans un premier temps, puis les migrants économiques provenant d’autres pays du Proche-Orient, du Moyen-Orient ou d’Afrique.
Entre une Allemagne très généreuse dans l’accueil des migrants et d’autres pays totalement opposés à cet accueil, l’Europe a failli. En effet, c’est bien l’Europe qui aurait alors dû intervenir : elle dispose pour ce faire de tous les outils et notamment d’un outil menacé de disparition, Schengen ! On voit bien aujourd’hui que l’absence dès le départ d’une politique commune sur la gestion des flux migratoires nous a conduits au chaos et qu’il est, de ce fait, d’autant plus difficile d’apporter aujourd’hui sereinement des solutions pérennes et acceptées par tous les États membres.
Les pays du Nord découvrent bien tardivement le Sud. D’ailleurs, s’agissant du pourtour méditerranéen, le budget que consacre l’Union européenne à la politique de voisinage est insuffisant. Il est vrai que l’importance des relations avec les pays des rives est et sud de la Méditerranée a trop souvent été minimisée par nos partenaires européens, tout particulièrement les pays baltes et la Pologne.
Cette panique a eu pour résultat de faire fortement vaciller l’Europe. De surcroît, Schengen ne fonctionne plus et certains États membres se trouvent dans des situations préoccupantes, la Grèce en premier lieu. Cette situation a non seulement des conséquences sur les relations que les pays européens entretiennent entre eux, mais aussi sur les relations que nous entretenons avec les pays périphériques, je pense bien sûr à la Turquie.
Alors qu’attendre du Conseil européen de cette semaine ? Il est difficile d’apporter une réponse tant l’ébauche d’accord avec la Turquie suscite des réactions, au mieux contrastées, le plus souvent de franche hostilité. Nombre de pays européens sont opposés à cet accord, et nos collègues eurodéputés ont accueilli l’accord de principe plutôt fraîchement, tous groupes politiques confondus.
Je souhaiterais, monsieur le secrétaire d’État, que vous précisiez la position de la France à ce sujet, car cette négociation avec la Turquie suscite de légitimes interrogations : sur la légalité du dispositif, sur sa faisabilité et sur des contreparties que beaucoup jugent exorbitantes.
La surenchère permanente de la part de la Turquie ne semble pas être le meilleur moyen de traiter le problème. Faut-il, par exemple, lier la question des réfugiés avec les négociations sur son adhésion à l’Union européenne ? Je ne le pense pas.
On ne peut aussi passer sous silence les restrictions des libertés dans ce pays, en particulier dans le domaine de la presse. Décidément, la Turquie s’éloigne un peu plus chaque jour des standards démocratiques de l’Union européenne.
De plus, la France, qui a toujours été aux cotés de la Grèce au cours des dernières années, doit pouvoir, une fois encore, réaffirmer de manière forte son soutien à ce pays. C’est urgent, et la crise humanitaire menace, avec la fermeture de la route dite des Balkans. Vous avez cité le chiffre, monsieur le secrétaire d’État, 48 000 migrants sont d’ores et déjà bloqués en Grèce, dont environ 13 000 à Idomeni, qui s’entassent dans des conditions difficiles, voire inacceptables.
La Grèce, c’est l’évidence, ne peut faire face seule. Il faut l’aider à tout prix car la crise humanitaire, s’ajoutant à la crise économique, peut être fatale à ce pays.
La solution à court et moyen termes passe par plus d’Europe, et non par un repli national.
À ce titre, nous devons saluer la feuille de route présentée par la Commission européenne, qui souhaite revenir à un fonctionnement « normal » de Schengen d’ici à la fin de l’année – le rétablissement des frontières est illusoire, coûteux et contre-productif. Cela implique de renforcer le dispositif, notamment en s’attaquant à un sujet trop longtemps négligé : le renforcement des contrôles aux frontières extérieures de l’Union.
Comme le rappelle très justement Dimitris Avramopoulos, commissaire européen chargé de la migration, des affaires intérieures et de la citoyenneté : « Un espace sans contrôle aux frontières intérieures n’est viable que si ses frontières extérieures sont dûment protégées ». Contrôles renforcés, création d’un corps européen de gardes-frontières et de gardes-côtes sont quelques-unes des pistes envisagées à cet égard.
Il y a urgence, car nous ne pouvons pas nous accommoder de la situation actuelle, avec des êtres humains qui périssent chaque jour en Méditerranée et des mafias de passeurs qui s’enrichissent sur cette détresse. Ce n’est plus tolérable !
Renforcer Schengen, c’est donc mettre un terme à l’immigration désordonnée par la multiplication des centres d’accueil ; c’est permettre une application rationnelle du droit d’asile ; c’est aussi relancer l’intégration européenne.
Pour conclure, monsieur le secrétaire d’État, je souhaiterais évoquer un aspect de la crise agricole, celui qui est lié aux sanctions imposées par l’Union européenne à la Russie et pénalisant très durement nos agriculteurs.
Récemment, notre ministre de l’agriculture, Stéphane Le Foll, s’est à plusieurs reprises déclaré favorable à la levée des sanctions contre la Russie.
On estime que l’embargo alimentaire a déjà coûté plus de 250 millions d’euros à notre agriculture, dont 50 millions d’euros pour le secteur des fruits et légumes, 109 millions d’euros pour les professionnels du lait et 100 millions d’euros pour la filière porcine.
La semaine dernière, le Sénat a reçu une délégation du Conseil de la Fédération de Russie conduite par M. Konstantin Kossatchev, président du comité des affaires internationales. À ce sujet, est-il normal que la présidente du Sénat russe soit toujours interdite de séjour dans l’Union européenne ? À titre personnel, je ne le pense pas !
La commission des affaires européennes, la commission des affaires étrangères ainsi que M. le président du Sénat ont rencontré cette délégation et il est clair que la volonté d’une normalisation des relations avec ce grand pays est forte.
Quel est votre sentiment à ce sujet, monsieur le secrétaire d’État ? Il a été décidé, semble-t-il, de prolonger les sanctions jusqu’en septembre. Va-t-on procéder de la sorte indéfiniment ?
Comme vous pouvez le constater, mes chers collègues, l’Europe est au milieu du gué. Nous avons le choix soit de céder au pessimisme, soit, au contraire, de rebâtir une Europe plus forte, plus humaine, capable de redonner de l’espoir et du bien-être à ses citoyens.
En tant qu’Européens convaincus, nous espérons que les graves difficultés actuelles, mettant en lumière les faiblesses de l’Europe, seront, au bout du compte, ce qui la renforcera. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – MM. Yves Pozzo di Borgo et Philippe Bonnecarrère applaudissent également.)
(M. Jean-Pierre Caffet remplace M. Jean-Claude Gaudin au fauteuil de la présidence.)